19. Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR

Jeudi 18 octobre 2012

Le pôle « mutation et développement économique » de la DATAR a été créé en 2005 après la suppression de la mission interministérielle aux mutations économiques. La DATAR gère deux instruments financiers, la prime à l'aménagement du territoire et le fonds national de revitalisation des territoires (FNRT). Elle participe au comité interministériel de suivi des restructurations.

Une différenciation entre milieu rural et milieu urbain se justifie pleinement pour le développement économique. On observe cependant des disparités plus grandes entre territoires ruraux qu'entre l'espace rural pris dans son ensemble et l'espace urbain. La prospérité des campagnes est sous l'étroite influence des villes dont elles dépendent. On relève par ailleurs un taux d'utilisation des TIC plus élevé dans les zones rurales. L'agriculture est un atout, mais elle peut être aussi un obstacle à l'implantation d'autres activités. Enfin, le développement des zones rurales ne repose pas exclusivement sur un enjeu productif, car les différents services aux personnes sont essentiels, surtout si l'on songe que la population et le pouvoir d'achat des retraités est encore appelé à progresser au cours des 20 prochaines années. Cependant, les campagnes ne peuvent se restreindre à la seule économie résidentielle. Il existe, par ailleurs, un problème d'accessibilité, tandis que l'essor du périurbain pose problème, avec un certain envahissement paysager et la dépendance à l'énergie qu'entraîne ce développement. Dans cette dernière perspective, la question de l'employabilité de la main-d'oeuvre locale deviendra cruciale.

Quelles sont les conditions d'un développement économique en milieu rural ? Elles dépendent d'abord de la décision des chefs d'entreprise d'y rester ou de s'y implanter. Pour ces derniers, la condition nécessaire, mais pas forcément suffisante, est celle d'une offre territoriale satisfaisante. Celle-ci se caractérise par un triptyque incontournable : très haut débit, qualité des infrastructures de transport et main-d'oeuvre employable. Ce dernier point est essentiel car la démographie des campagnes se nourrit de la fuite de populations périurbaines qui sont sous-qualifiées ou peu qualifiées et qui nécessitent en outre un soutien social renforcé. C'est pourquoi des efforts portant sur des infrastructures peuvent être facilement vains, dans la mesure où il est fréquent que la main-d'oeuvre employable soit, par ailleurs, jugée trop rare par les entreprises.

Outre ce triptyque, deux thèmes apparaissent fondamentaux : la disponibilité foncière, et le niveau des services offerts à la population, qui a lui-même un impact sur l'attractivité du territoire pour les plus qualifiés.

Ajoutons enfin une donnée qui tend à devenir problématique : le seuil d'acceptabilité des projets, qui ne cesse de s'élever, non seulement en raison des obstacles soulevés par les résidents de longue date, mais encore à cause de l'énergie que peuvent déployer certains périurbains récemment installés qui sont parfois très soucieux de préserver l'intégrité des aménités qu'ils étaient venus chercher.

Par exemple, je me souviens de l'échec d'un projet d'implantation du groupe Andros dans le pays basque, qui avait été l'enjeu d'une élection municipale. Autre exemple, dans le Nord-Est de la France, on observe une tendance à refuser l'implantation d'entreprises au motif qu'elles seraient aussi polluantes que celles qu'elles seraient venues remplacer.

A ce tableau d'ensemble, s'ajoute enfin le débat sur la taxe professionnelle et son évolution dans le sens d'une moindre incitation des communes à y favoriser l'implantation d'entreprises.

Forte de tous ces constats, que peut faire la DATAR ? Elle dispose de certains outils. En premier lieu, les pôles d'excellence ruraux (PER). Ils ont été dotés de 300 millions d'euros à ce jour. Il est encore trop tôt pour en tirer un bilan définitif, mais on peut avancer qu'il serait plutôt positif, même si des critiques peuvent être formulées au niveau des appels à projet et concernant un certain déficit d'ingénierie.

En deuxième lieu, l'opération « Plus de services » qui a stoppé le mouvement de désertification rurale des services publics qu'avait entraîné la RGPP (révision générale des politiques publiques) même si les modalités de cette initiative apparaissent comme perfectibles à certains endroits.

En troisième lieu, la gestion des programmes « LEADER » et des fonds européens.

En dernier lieu, l'organisation des circuits courts.

Je vous livre enfin trois considérations prospectives. Premièrement, l'organisation spatiale devient un enjeu stratégique pour lequel les SCOT ou, d'une façon générale, des démarches intercommunales, peuvent être adéquats. Deuxièmement, l'importance du maillage des villes moyennes, qui rendent des services essentiels, par exemple au travers de maisons de santé publiques, devient patente. Troisièmement, la politique de zonage gagnerait probablement à être revisitée. Non seulement, les instruments sont, sans doute, trop nombreux, mais on constate en outre un problème d'effectivité de ces zonages : certaines exonérations ne sont pas appliquées ! On peut classer les zones en trois catégories : celles imposées par l'Europe (le « zonage AFR » - Aides à finalité régionale), celles à dominante économique, et les zones spécifiques ou thématiques.

[ Renée Nicoux - Les dessertes physiques apparaissent en effet comme essentielles.]

Il importe que la physionomie des dessertes reprenne le modèle de « l'arête de poisson » autour de l'axe principal que peut constituer une autoroute ou un TGV. La question des mouvements de population est souvent indifférente à la DGTIM (Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) - d'où l'intérêt d'une réflexion interministérielle - et la DATAR n'avait même pas été entendue sur le SNIT - Schéma national des infrastructures de transport - (elle devrait l'être dans le cadre de sa révision à venir). En tout état de cause, il ne faut pas renoncer à certains projets à la seule aune de considérations budgétaires court-termistes.

Par ailleurs, la question de l'accessibilité des PME/PMI aux marchés publics se pose. Dans la pratique du « moins disant », le coût social du non recours à une entreprise de proximité devrait être systématiquement intégré.

[ Gérard Bailly - Je pense que les collectivités les plus pauvres devraient être davantage soutenues pour la réalisation d'équipements. Je relève, concernant la desserte TGV, que des décisions trop radicales sont prises : la suppression d'un arrêt ne devrait pas être totale et il faudrait envisager de conserver l'arrêt d'un ou deux TGV par jour. Par ailleurs, je vous rejoins tout à fait sur le problème des qualifications. Enfin, j'observe qu'entre les « trames bleues » et les « trames vertes », la question se pose de l'endroit où peut bien s'implanter une entreprise...]

Dans le chantier gouvernemental de relance de la croissance, il faudra explorer les dysfonctionnements administratifs résultant de la superposition de zones et de contraintes diverses, dans la conduite des grands projets. Certains maires, de par cette difficulté, sont littéralement dessaisis de leurs projets. Avec 400.000 normes, on ne fait plus rien ! Je relève, par ailleurs, que les débats et concertations préalables à la réalisation de projets d'envergure, au demeurant fort utiles, ont un coût. Par exemple, le débat public sur le projet ITER a coûté un million d'euros à organiser. Au total, la somme de toutes ces contraintes aboutit à un rapport de 1 à 10 entre le temps de réalisation et le temps de conception...

J'en arrive au très haut débit. Dans le plan de 2011, il est prévu d'aider les opérateurs à hauteur de 1,3 milliard d'euros, d'accompagner les collectivités locales à hauteur de 750 millions d'euros, et de soutenir, à hauteur de 250 millions d'euros, les techniques alternatives. Cet équilibre est peut-être à revoir.

[ Renée Nicoux - Il arrive que des opérateurs refusent de travailler avec les collectivités locales et que deux fibres soient tirées parallèlement...Par ailleurs, j'observe que le zonage européen n'est pas toujours concentré sur les zones les plus nécessiteuses.

Gérard Bailly - pour ce qui concerne le zonage, j'estime que les zones de haute montagne sont justifiées car elles compensent des handicaps naturels certains.]

D'après la Commission européenne, 19 % de la population est couverte par les AFR. La doctrine de base de la Commission, figée dans une posture libérale, est que les aides d'Etat ne se justifient pas. Or, la décision d'interdire les aides aux entreprises de plus de 250 salariés est dévastatrice. On sait, en effet, que la croissance viendra de ces entreprises de taille intermédiaire, tandis que les pays hors Union européenne aident évidemment ce type de structure. Ainsi, menés par la France, onze pays de l'Union européenne ont protesté, auxquels le commissaire Joaquín Almunia a opposé une fin de non recevoir. C'est pourquoi la DATAR a proposé d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour du Conseil européen de fin d'année. Si l'on obtient gain de cause, comment gérer ce zonage AFR ?

En France, il est actuellement beaucoup trop fin et ciselé, si bien qu'on rencontre certaines situations absurdes, qui écartent du bénéfice du zonage certaines entreprises à quelques mètres près. L'idée est d'adopter une logique « patatoïde », et de doubler ce recentrage territorial, le cas échéant, par le recours à des critères de filière (par exemple la transition écologique). Le prochain zonage courra de 2014 à 2020, et il ne faudrait pas que les nouveaux pouvoirs que s'apprêtent à recevoir les régions dans ce domaine soient muselés par une gestion contrainte des zones AFR.

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