II. DES RÉFORMES STRUCTURELLES DESTINÉES À INFLÉCHIR DURABLEMENT LA TRAJECTOIRE DES COMPTES SOCIAUX

Les prévisions à moyen terme réalisées par la Cour des comptes soulignent la nécessité d'infléchir dans les meilleurs délais la trajectoire des comptes sociaux afin de garantir la pérennité de notre système de sécurité sociale.

Afin de répondre à ce défi, le Gouvernement s'est engagé dans la voie des réformes, conformément à la feuille de route déterminée à l'issue de la première conférence sociale de juillet 2012. Dès cet automne, les branches famille et retraite seront ainsi réformées afin de recouvrer de salutaires marges de manoeuvre financières.

Au-delà de ces mesures, votre rapporteur insiste à nouveau sur la nécessité de repenser l'ensemble des modalités du financement de la protection sociale. Il s'agit certes d'un exercice périlleux compte tenu de la complexité et de l'enchevêtrement des dispositifs de financement existants. Mais il paraît nécessaire tant les conditions de retour à l'équilibre des régimes de protection sociale paraissent liées à la clarification de leur financement et à la diversification de leurs ressources.

A. UNE RÉFORME PRAGMATIQUE DE LA POLITIQUE FAMILIALE

Le 3 juin dernier, par la voix du Premier ministre, le Gouvernement annonçait un plan de rénovation de la politique familiale destiné à accroître le caractère redistributif des prestations versées et à accélérer le retour à l'équilibre d'une branche dont les déficits peinent à se résorber.

1. Une situation financière fragilisée

Les données retraçant l'évolution du solde de la branche famille depuis 2003 mettent en évidence l'importante et régulière dégradation des comptes de la Cnaf. Le tableau ci-après permet de constater qu'au cours des dix dernières années, la branche n'aura connu que deux exercices excédentaires et cumulé plus de 12 milliards d'euros de déficit. Le déficit moyen constaté sur les cinq dernières années atteint ainsi plus de 2,4 milliards d'euros.

Situation financière de la branche famille 2003-2013

(en milliards d'euros)

Source : Annexe B du projet de loi de financement pour 2013

L'interprétation de ces chiffres doit toutefois se faire avec prudence. Ceux-ci traduisent certes une dégradation des comptes de la branche liée au financement de nouvelles mesures telles que la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) depuis 2004 ou la succession des « plans crèche » élaborés par les gouvernement successifs.

Mais ils reflètent également la prise en charge progressive par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) du coût de mesures jusqu'alors financées par d'autres organismes concourant au financement du régime général parmi lesquelles la majoration de pension attribuée aux assurés ayant eu ou élevé au moins trois enfants.

Pour mémoire, le montant des transferts de la Cnaf au FSV au titre de cette prise en charge pour le compte du régime général, des régimes alignés et des exploitants agricoles est ainsi passé de 437 millions d'euros en 2001 (15 % des dépenses liées à la majoration pour enfant) à 4,3 milliards d'euros en 2011, date depuis laquelle la caisse prend en charge l'intégralité de cette majoration. Au total, près de 25,5 milliards d'euros auront été prélevés sur les ressources de la branche afin de financer des prestations prises en charges par le FSV depuis 1994.

Evolution comparée du solde de la branche famille et du versement
de la Cnaf au FSV au titre de la majoration pour enfant

(en milliards d'euros)

Sources : rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale -
Commission des affaires sociales du Sénat.

Les projections réalisées jusqu'en 2017 dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 laissent par ailleurs entrevoir des perspectives financières marquées par une succession ininterrompue de déficits - pour un montant cumulé de 10,2 milliards d'euros.

Evolution du solde de la branche famille

(en milliards d'euros)

Source : PLFSS pour 2013

Ces prévisions ont été réactualisées début juin par la Commission des comptes de la sécurité sociale. Selon ces travaux, la diminution des recettes liée à la forte dégradation du marché de l'emploi entraînerait pour l'année 2013 une dégradation du solde de la branche plus élevée que prévue. A règlementation constante, le déficit s'accroîtrait en effet de 700 millions d'euros par rapport à la prévision établie dans le cadre du PLFSS 2013 pour s'élever à 3,2 milliards d'euros.

Ecart entre les prévisions du PLFSS et de la commission des comptes

(en milliards d'euros)

2012 (p)

2013 (p)

Prévision PLFSS 2013 (octobre 2012)

2,5

2,6

Prévisions Commission des comptes de la sécurité sociale (juin 2013)

2,5

3,2

Ecart

0

- 0,6

Source : PLFSS pour 2013 - rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale

Le fort ralentissement des recettes lié à la dégradation de la conjoncture s'ajoute aux conséquences financières de l'attribution, au cours des dernières années, de ressources peu dynamiques destinées à compenser la perte des 0,28 point de CSG attribués à la Cades en 2011.

Pour mémoire, les recettes issues du prélèvement au fil de l'eau de la CSG sur les contrats d'assurance-vie multisupport, communément appelé préciput assurance-vie, devrait ainsi diminuer de près de 200 millions d'euros tous les ans jusqu'en 2020, date à laquelle cette recette s'éteindra définitivement.

Evolution des recettes du préciput assurance-vie

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Préciput

1 446

1 264

1 084

904

723

541

Source : article 22 de la LFI pour 2011

Par ailleurs, depuis le 1 er janvier, la branche famille reçoit la totalité de la taxe sur les véhicules terrestres à moteur en lieu et place de l'essentiel des droits sur les tabacs, désormais attribués au financement de la branche maladie.

Ces décisions ont conduit la Cour des comptes à souligner le creusement du différentiel entre la recette de CSG perdue et les compensations attribuées. Selon elle, « les taxes affectées à la branche à titre de compensation ont un rendement plus faible que la CSG. Le taux moyen d'évolution de la taxe sur les contrats d'assurance des véhicules terrestres à moteur est ainsi de 1,4 % par an avec une volatilité importante alors que la CSG sur les revenus d'activité a en moyenne évolué de 3,4 %. Le rendement de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance maladie n'est pas encore connu sur longue période. »

2. Une réforme équilibrée

Lors de la réunion du Haut Conseil de la famille (HCF) du 3 juin dernier, le Premier ministre a précisé les principales mesures envisagées dans le cadre de la « rénovation de la politique familiale ».

Largement inspirées par les conclusions du rapport établi par M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, elles devraient permettre de desserrer la contrainte financière pesant sur la branche en accentuant la contribution des ménages les plus aisés et le caractère redistributif des prestations versées.

Comme l'indique le tableau ci-dessous, les différentes mesures d'économie s prévues par ce plan devraient représenter près de 1,3 milliard d'euros en 2014 et jusqu'à 1,9 milliard d'euros en 2016 .

Mesures d'économies du plan de rénovation de la politique familiale

(en milliards d'euros)

2014

2015

2016

Baisse du plafond du QF

1

1

1

Division par deux de la Paje

0,1

0,2

0,2

Gel de la PAJE

0,1

0,1

0,2

Suppression majoration du CLCA

0,1

0,1

0,2

Suppression de la réduction d'impôt pour frais de scolarité dans le secondaire

-

0,2

0,3

Total

1,3

1,6

1,9

Sources : Gouvernement - Rapport Fragonard

La principale mesure proposée par le Gouvernement concerne la diminution de 25 % du plafond du quotient familial , qui passerait de 2 000 à 1 500 euros par demi-part pour les familles situées dans le haut de l'échelle des revenus. Préférée à la modulation des allocations familiales, cette diminution du plafond pourrait dégager entre 915 millions d'euros selon les données du rapport Fragonard et 1 milliard d'euros selon les chiffres annoncés par le Gouvernement.

Le plan prévoit par ailleurs de diviser par deux, pour les 280 000 ménages les plus aisés, le montant de l'allocation de base de la Paje - 184 euros par mois - versée chaque année sous condition de ressources aux familles ayant la charge d'un enfant de moins de trois ans. Le montant de cette allocation sera par ailleurs gelé jusqu'à ce qu'il soit égal, à l'horizon 2016, à celui du complément familial, pour une économie totale de 200 millions d'euros.

Le Gouvernement propose également la suppression de la majoration du complément de libre choix d'activité (CLCA) pour une économie de 100 millions d'euros.

Le plan de rénovation supprime enfin, dès la rentrée 2014, la réduction d'impôt pour frais de scolarité dans le secondaire 5 ( * ) - qui ne bénéficie par définition qu'aux familles imposables. Ne devrait donc demeurer que l'Allocation de rentrée scolaire (ARS) concernant les familles sous condition de ressources et dont le montant a été augmenté de 25 % pour la rentrée scolaire de septembre 2012.

Ces mesures d'économies ciblées sur les familles les plus favorisées se doublent, conformément à la volonté du Gouvernement de rééquilibrer l'ensemble des prestations, de mesures de justice destinées aux familles les plus vulnérables - les familles monoparentales et familles nombreuses - et à développer l'offre d'accueil pour les jeunes enfants. Leur impact financier est précisé dans le tableau ci-dessous.

Mesures nouvelles du plan de rénovation de la politique familiale

Majoration du complément familial

225 millions d'euros sur cinq ans

Revalorisation de l'allocation de soutien familial

320 millions d'euros sur cinq ans

Progression des crédits du Fnas

2 milliards d'euros sur cinq ans

Sources : Gouvernement - Rapport Fragonard

Le Gouvernement propose en premier lieu de majorer de 50 % le complément familial 6 ( * ) à l'horizon 2018 pour les familles ayant plus de trois enfants âgés de trois à vingt et un ans vivant sous le seuil de pauvreté. Cette revalorisation de 90 euros par mois bénéficiera aux 385 000 familles de trois enfants disposant d'un revenu inférieur à 1 700 euros par mois.

Le plan propose ensuite de revaloriser de 25 %, toujours d'ici 2018, l'allocation de soutien familial qui complète le revenu disponible des 735 000 parents ne bénéficiant pas de pensions alimentaires ou recevant une pension de faible montant et élevant seuls leurs enfants de moins de vingt ans.

Il confirme enfin la progression de 7,5 % par an sur cinq ans des crédits du Fonds national d'action sociale (Fnas) envisagée dans le cadre de la loi de financement pour 2013. Le Fnas passera de 4,6 milliards à 6,5 milliards d'euros en 2017 afin de contribuer au financement :

- du développement, en partenariat avec les collectivités territoriales, de 275 000 nouvelles solutions d'accueil pour les enfants de moins de trois ans ;

- du doublement des moyens consacrés aux aides à la parentalité ;

- de la participation à la réforme des rythmes éducatifs et aux loisirs des enfants et des adolescents à hauteur de 250 millions d'euros supplémentaires par an.

3. Des modalités de mises en oeuvre à surveiller

Votre rapporteur soutient fermement l'orientation prise par le Gouvernement en matière de réduction du déficit de la branche famille de la sécurité sociale.

Au moment où ce déficit est en passe de dépasser les 3 milliards d'euros pour la première fois depuis 1995, les mesures annoncées devraient permettre de dégager des économies suffisantes pour garantir la pérennité financière de la Cnaf et de la politique familiale qu'elle porte.

Avec 1,9 milliard de recettes supplémentaires d'ici 2016 dont 1,3 milliard dès l'an prochain (représentant près de 2,5 % des ressources de la branche), la branche pourrait retrouver le chemin de l'équilibre de manière anticipée et contribuer à rembourser les déficits accumulés au cours des dernières années.

Le choix de diminuer le plafond du quotient familial offre par ailleurs des avantages non négligeables sur le plan des principes comme sur celui de la gestion du dispositif. Il permet en effet :

- de ne pas remettre en cause l'universalité des allocations familiales ;

- de faire contribuer l'ensemble des familles les plus aisées -notamment les familles n'ayant qu'un enfant ;

- d'éviter de faire peser sur les CAF de nouvelles contraintes administratives.

Ce choix, qui implique une « rétrocession » des économies réalisées par le biais de la réduction du plafond du quotient familial au financement de la branche famille fera l'objet d'une attention particulière de votre rapporteur afin que la politique familiale bénéficie effectivement du surcroît de recettes initialement envisagé.


* 5 61 euros par enfant au collège et 153 euros par enfant au lycée.

* 6 Il convient de rappeler que cette mesure, tout comme la revalorisation de l'allocation de soutien familial, avaient déjà été annoncées par le Premier ministre le 11 décembre 2012 lors de la conférence contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale.

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