B. PROMOUVOIR LA LANGUE ARABE

Fabienne KELLER , rapporteure

Serait-il possible de mener un travail de même nature pour réconcilier l'histoire entre la France et ses anciennes colonies ? Je me tourne vers Yahya Cheikh, professeur d'arabe, qui a beaucoup travaillé sur les questions de mémoire. Pourquoi la langue arabe fait-elle encore l'objet d'un regard négatif ? Comment, au contraire, construire une histoire commune et un regard positif sur cette culture très riche ?

Yahya CHEIKH

J'ai eu la chance, dans ma vie, d'exercer le métier d'enseignant. Dès 1987, j'ai ainsi accompagné des élèves issus de l'immigration, d'abord en tant qu'enseignant dans des écoles associatives de la banlieue parisienne, puis, après avoir passé les concours du Capes et de l'agrégation d'arabe, en tant que professeur au lycée Henri IV. L'année suivante, j'ai été affecté dans le département du Val-d'Oise, dans deux collèges et un lycée, assez éloignés les uns des autres. Mes conditions de travail n'ont donc pas toujours été faciles. Par la suite, je suis revenu à Paris, où je travaille au lycée Jacquard, dans le XIX e arrondissement. J'enseigne également l'arabe à Sciences Po. Cet itinéraire vous montre que j'ai eu l'opportunité d'accompagner des élèves depuis le niveau du collège jusqu'à celui des études supérieures.

Au travers de cette expérience, j'ai constaté l'importance de l'enseignement que je dispense à ces élèves. Je me suis trouvé à plusieurs reprises dans des endroits marqués par une très forte demande, mais une absence d'enseignement. Dans d'autres régions, il existe au contraire une offre d'enseignement, mais pas de demande.

La situation de l'enseignement de l'arabe dans le V e arrondissement de Paris n'est pas la même que dans le Val-d'Oise, où le public dans sa totalité est issu de l'immigration. À Sciences Po, il n'y avait pratiquement pas d'élèves issus de l'immigration. La situation a toutefois été amenée à évoluer ces dernières années, grâce aux conventions signées par Sciences Po avec cinq cents établissements du secondaire.

La langue arabe n'est pas une langue nouvelle dans notre société. Cet enseignement a été introduit officiellement en France en 1538, sous le règne de François I er , au Collège de France. Quant à l'agrégation d'arabe, créée en 1906, elle est l'une des plus anciennes.

Pour ce qui concerne le public, la demande croît. Je fais partie du corps enseignant de l'éducation nationale. Je ne peux donc que me réjouir des initiatives qui encouragent cet enseignement et en font la promotion, pour que le terrain ne soit pas occupé par un système ou une école associative susceptible de manquer de pédagogie.

Mon travail, comme celui de mes collègues au sein de l'Association française des arabisants (Afda), dont je suis secrétaire général, consiste à identifier les maux dont souffre cet enseignement.

Je signale tout d'abord que la langue arabe est une langue étrangère, comme l'allemand, l'italien ou le turc. Néanmoins, elle est « un peu plus étrangère que les autres ». J'emprunte cette expression à Benoît Deslandes, qui a beaucoup travaillé, au sein de l'éducation nationale, sur les relations entre la France et les pays d'Orient.

Aujourd'hui, je n'irais pas jusqu'à dire que cet enseignement connaît une situation catastrophique, mais en tout cas, il mérite un important soutien.

Fabienne KELLER , rapporteure

Comment pourrions-nous aller plus loin, en intégrant dans les ouvrages d'histoire des éléments sur la culture arabe, qui est très présente ?

Yahya CHEIKH

Il existe aujourd'hui de nombreux manuels d'arabe. Les manuels conçus par l'éducation nationale observent un principe de neutralité. C'est pourquoi ils ne font pas référence à l'histoire. Les programmes du baccalauréat s'inspirent plutôt de textes littéraires. En revanche, le rapport à la mémoire et l'enseignement d'histoire se trouvent dans les manuels d'histoire. Ainsi, les manuels d'histoire des classes de cinquième comportent une partie intitulée « religion », qui évoque la religion musulmane. Or, concernant la religion musulmane, un certain nombre de mes collègues historiens font état de difficultés. Leurs élèves n'admettent pas certaines réalités scientifiques, leur rapport à la religion relevant d'une transmission familiale. Ainsi, le programme de seconde portait sur le Moyen Âge. Il s'agissait d'une occasion de recevoir un enseignement sur l'âge d'or des sciences arabes. Cette partie a été supprimée. Certains de mes collègues ont adressé des courriers à leurs académies pour leur demander d'intervenir pour que cet enseignement puisse perdurer.

Je suis en train de préparer un rapport sur le regard des élèves issus de l'immigration sur les matières proposées en philosophie, en français et en histoire, susceptibles d'avoir un rapport avec leur quotidien.

Sur les cinquante élèves de lycée et de collège interrogés, la majorité estime que la place consacrée à la culture arabe dans le système scolaire est insuffisante, ce qui les incite à chercher une formation hors du système éducatif français, notamment auprès d'associations communautaires. Or, l'enseignement de l'arabe, de l'histoire et de la religion connaît un problème d'identité. L'enseignement de l'arabe dans le système scolaire est très minoritaire. Il concerne moins de 7 000 élèves, ce chiffre comprenant les 1 800 élèves de Mayotte et les 1 500 élèves scolarisés par l'intermédiaire du Cned. Cela représente 262 professeurs agrégés ou certifiés. L'enseignement supérieur se porte mieux, notamment les classes préparatoires et les écoles de commerce.

Mais l'enseignement qui rencontre le plus de succès est celui qui est dispensé hors du système éducatif français. Selon les chiffres du ministère de l'intérieur, en 2003, 265 000 élèves étaient scolarisés dans des associations ou des écoles coraniques.

Les enseignements de langue et de culture d'origine (Elco) constituent un autre lieu d'enseignement de l'arabe. Ce dispositif a été créé à la suite des accords bilatéraux entre l'État français et un certain nombre de pays. Commencé en 1965 avec le Portugal, il s'est poursuivi en 1982 avec le Maroc. Ce dispositif scolarise à lui seul plus de 50 000 élèves.

Au final, l'enseignement de l'arabe est vraiment minoritaire dans le système éducatif français. Il s'agit donc d'une langue rare et que je pense être « un peu plus étrangère que les autres ».

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