C. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE À GÉOMÉTRIE VARIABLE

1. La coopération internationale, un facteur clef de la lutte antidopage
a) Une sensibilité variable des pays aux questions de dopage

Par essence transfrontalier, le trafic de produits dopants nécessite une coopération internationale pour en assurer une répression efficace.

Toutefois les États sont très inégalement sensibles à la question du dopage , comme l'a souligné Jean-Paul Garcia lors de son audition : « La sensibilité de nos partenaires à l'égard des produits dopants est assez inégale » 427 ( * ) . En Roumanie, par exemple, les stéroïdes ne sont pas interdits, mais ne peuvent être exportés.

En effet, plusieurs pays admettent que la lutte contre le dopage n'est pas la priorité de leurs services répressifs, à l'instar de l'Australie qui, dans l'étude de Houlihan et de Garcia précitée, observe que le dopage « n'est pas une priorité pour les services » 428 ( * ) .

Pour le directeur de l'AMA, un cadre juridique répressif efficace est pourtant indispensable : « les autorités antidopage (...) ont besoin de cadres juridiques nationaux adaptés, qui autorisent les échanges d'informations entre les douanes, la police, les fédérations sportives et les agences antidopage. Si les gouvernements comprennent l'importance d'adopter de telles lois, alors je serai optimiste pour l'avenir » 429 ( * ) .

Ainsi, Ronald K. Noble, secrétaire général d'Interpol souligne-t-il que « le système d'informations criminelles d'Interpol contient un nombre considérable de données sur le trafic international de drogues. Chaque année, plus de 35 000 messages sont échangés entre les services de police de nos pays membres sur ce seul sujet. Des détails à propos de suspects, de types de recels et de saisies sont échangés chaque jour; mais, parmi ces milliers de messages, moins de vingt sont liés à des cas de dopage. Ceci semble indiquer que le trafic de substances dopantes n'est pas un domaine prioritaire pour les pays membres d'Interpol . Mais ceci indique également que l'infrastructure existe, et que là où le soutien est présent, la communauté chargée de l'application de la loi peut partager les détails liés à des enquêtes et le fait » 430 ( * ) .

La coopération des pays membres avec Interpol - dont le rôle est de faire circuler les informations et de partager les expériences pour permettre aux États de mieux combattre le trafic de produits dopants - reste très variable selon les pays, comme le souligne le rapport Houlihan et Garcia précité 431 ( * ) .

À la seule échelle des États composant l'Union européenne, on constate que très peu d'États transmettent à Interpol les statistiques liées aux condamnations pour trafic de produits dopants et que l'organisme chargé de le faire n'est identifié que dans très peu de cas.

Pays
(Seuls les pays de l'Union européenne sont pris en compte dans ce tableau)

Transmission à Interpol
de statistiques concernant les procédures
et les condamnations pour la production,
le mouvement, la distribution
et l'approvisionnement en produits dopants

Organisme
chargé de la transmission

Chypre

Non

Danemark

Non

France

Oui

Oclaesp via le bureau central national

Hongrie

Non

Italie

Oui

Forces de police

Portugal

Oui

Forces de police

Roumanie

Non

Espagne

Non

Suède

Non

Grèce

?

Luxembourg

Non

Belgique

variable

Finlande

Non

Lettonie

Non

Lituanie

Non

Slovaquie

Non

Irlande

Oui

Irish Medecine board

Source : Barrie Houlihan, Borja Garcia, The use of legislation un relation to controlling the production, movement, importation, distribution and supply of performance-enhancing drugs in sport (PEDS) ,
Institute of Sport and Leisure Policy, Loughborrough University, Aug. 2012

Cette relative difficulté à identifier les contacts entre les autorités nationales en charge de la lutte contre le dopage et Interpol se retrouve dans les relations entre les instances policières et douanières nationales, qui peuvent être relativement compliquées, comme l'a souligné Jean-Paul Garcia : « je vous rejoins (...) sur la nécessité de développer nos contacts avec l'étranger. (...) Autant nous n'avons pas de difficultés à travailler avec les Anglais sur les stupéfiants ou le tabac - avec toute la diplomatie et la ruse nécessaires - autant nous avons beaucoup d'aisance à travailler avec la police, la douane et la garde civile espagnoles sur les stupéfiants ou sur le tabac, autant les choses sont fort différentes pour ce qui est des produits dopants . Il est en effet nécessaire de trouver le bon interlocuteur, ceux-ci ne se bousculant pas. Dans les deux cas que je prends, nous n'avons eu aucun contact utile à proprement parler avec les autorités britanniques ! En revanche, nous en avons eu avec les laboratoires et les instances installées en Grande-Bretagne en matière de médicaments dopants. En Espagne, le bon interlocuteur est plutôt le ministère de la santé, la police étant assez réticente à travailler à l'échelon international sur les affaires de dopage. Il en va ainsi à peu près partout. Nous travaillons cependant fort bien avec la douane allemande ou la police suisse sur les produits dopants, mais plus difficilement que sur d'autres sujets » 432 ( * ) .

Or, la coopération douanière entre les pays est une des conditions - clefs de l'efficacité de la lutte contre les trafics de produits dopants.

Proposition n° 59 Suggérer à l'AMA de recommander aux membres de communiquer le point de contact en charge de la répression pénale du dopage au niveau national

b) Le trafic de produits dopants, un axe non prioritaire d'Interpol

Au sein même d'Interpol, le trafic de produits dopants n'est pas une priorité, comme le constate Jean-François Lamour lors de son audition : « On doit également renforcer la lutte en matière de trafic de produits dopants. En dehors de quelques prises réalisées par Interpol, peu de trafics ont été mis à jour. Je reconnais qu'Interpol est aujourd'hui focalisé sur la lutte antiterroriste et sur les trafics de drogue, mais il me semble important que ces entités internationales travaillent de façon plus marquée sur le trafic de produits dopants » 433 ( * ) .

Mentionnons toutefois des opérations internationales, menées sous l'égide d'Interpol ciblant spécifiquement les produits des ventes illégales de médicaments sur Internet : les opérations Pangea . Elles ne concernent toutefois qu'indirectement les produits dopants ; surtout, le bilan de celles-ci, qui se tiennent depuis 2008, ne distinguent pas les saisies de produits dopants. La simple mention de la quantité de produits reconnus comme dopants, tout comme les avoirs ou le nombre de sites internet désactivés liés au trafic de produits dopants pourraient être très instructives, d'autant que six ans après son lancement, ces opérations concernent une centaine de membres d'Interpol.

Bilan de l'opération PANGEA V (25 Sept. - 2 Oct. 2012)

Nombre de pays participants : 100.

3,75 millions de pilules illicites-contrefaites saisies, d'une valeur estimée à 10,5 millions de dollars ;

Plus de 18 000 sites web désactivés.

Près de 133 000 colis-paquets inspectés par les douanes ou les forces de police, dont 6 700 confisqués.

80 individus poursuivis ou arrêtés pour diverses infractions comme la gestion d'un laboratoire clandestin produisant des médicaments contrefaits ou illégaux, appartenance à un groupe criminel vendant des médicaments contrefaits ou illégaux en ligne, responsables de sites Internet vendant des médicaments contrefaits ou illégaux.

L'AMA ayant signé avec Interpol un protocole d'accord, le 2 février 2009, afin d'améliorer la circulation de l'information entre les pays membres, il semblerait logique que l e détail des saisies de produits dopants réalisées lors des opérations Pangea apparaissent dans les bilans .

Comme le souligne Jean-Paul Garcia, les bases de la coopération internationale sont posées, mais l'effectivité du dispositif dépend largement de l'implication des partenaires : « dans un tel système international, c'est par un réseau étroit de liens avec des services étrangers que nous allons pouvoir anticiper et attendre la marchandise. Aujourd'hui, les bases de ce système sont posées mais le système est perfectible , la sensibilité aux produits dopants étant relativement inégale chez nos partenaires » 434 ( * ) .

c) La mise en place en France d'un cadre juridique efficace pour coopérer

La France dispose d'une législation permettant les échanges d'informations avec les autres autorités nationales.

L'article L. 232-20-1 dispose en effet que « l'Agence française de lutte contre le dopage est habilitée à recevoir de la part d'un organisme reconnu par l'Agence mondiale antidopage et disposant de compétences analogues aux siennes des informations de la nature de celles mentionnées au premier alinéa de l'article L. 232-20 et à lui communiquer de telles informations ».

Cette disposition a été introduite par la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs. L'AFLD, dans sa délibération n° 176 du 26 mai 2011, avait en effet recommandé de compléter en ce sens l'article L. 232-20 du code du sport.

Sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, l'Oclaesp peut transmettre des informations couvertes par le secret de l'enquête à l'AMA ; l'Oclaesp reste bien sûr libre de transmettre aussi toutes les informations qui ne seraient pas couvertes par ce secret.

Précisons aussi que les dispositions des articles 695-9-31 à 695-9-49 du code de procédure pénale permettent des échanges directs d'informations des forces de police et des douanes entre les pays de l'Union européenne ainsi que de l'espace Schengen, via le système d'information Europol.

Enfin, l'insertion d'un officier de liaison à Interpol depuis 2009 permet aussi de faciliter la coopération entre la France et Interpol.

2. La prise en compte progressive de la question de la lutte contre le dopage par l'Union européenne
a) La mise en place d'une instance européenne spécialement dédiée au dopage : une solution écartée par votre rapporteur

Le cadre actuel de lutte contre le dopage apparaît relativement complet ; la création d'une structure européenne de lutte contre le dopage, comme cela a pu être suggéré par certaines personnalités entendues, constituerait plutôt un facteur de brouillage des compétences en matière de dopage. Comme le souligne en effet Jean-Pierre Bourely, « ce serait un élément de complexité qui pourrait déséquilibrer la construction actuelle, altérant l'efficacité globale du système en cours de construction » 435 ( * ) .

Ajoutons d'ailleurs que l'Office européen de police (Europol) - qui a pour mission de « soutenir l'action des services répressifs nationaux et leur coopération mutuelle aux fins de la prévention des formes graves de criminalité et du terrorisme et de la lutte contre ces phénomènes [et de faciliter] l'échange d'informations entre les autorités répressives des États membres et [de fournir] des analyses de la criminalité afin d'aider les forces de police nationales à mener des enquêtes transfrontières » 436 ( * ) - remplit déjà cet objectif, sans qu'il soit nécessaire de créer une structure supplémentaire.

b) L'existence depuis le Traité de Lisbonne d'instruments permettant une action efficace

L'Union européenne n'a que très récemment marqué son intérêt pour les questions liées au sport en général et au dopage en particulier.

Ainsi, dans ses conclusions lors du Conseil européen de Nice, des 7, 8 et 9 décembre 2000, les « fonctions sociales du sport » ont été soulignées, ainsi que la nécessité de préserver les sportifs du dopage, tout en constatant que la Communauté n'a pas de compétences directes dans ce domaine 437 ( * ) .

Le Livre blanc sur le sport 438 ( * ) présenté en 2007 par la Commission européenne est quant à lui présenté comme « la première initiative prise par la commission pour traiter de manière approfondie les problèmes liés au sport ».

Dans ce document, la Commission européenne souligne la nécessité de « s'unir pour lutter contre le dopage dans le sport » 439 ( * ) ; elle recommande de faciliter les échanges d'informations en la matière entre les différentes structures en charge de la lutte ; elle propose aussi « que le trafic de substances dopantes illégales soit traité de la même manière que le trafic de drogues illégales dans l'ensemble de l'Union européenne » 440 ( * ) .

Dès lors, le cadre existant dans l'Union européenne reste aujourd'hui encore très parcellaire. Dans le rapport précité de Houlihan et de Garcia, précitée 441 ( * ) , la France a souligné que l'absence d'harmonisation minimale des législations nationales en la matière posait une grande difficulté pour lutter contre ces trafics . Une des personnes auditionnée par votre commission a ainsi rappelé que dans une affaire impliquant deux pays membres de l'Union européenne, seule une partie d'un trafic a pu être démantelée, en raison d'un cadre juridique inadéquat dans l'un des pays.

Dans le rapport d'information n° 379, fait au nom de la commission des affaires européennes, sur l'Union européenne et le sport professionnel 442 ( * ) , votre président Jean-François Humbert souligne comment les différences de législation en matière de dopage, - déjà fortes à la seule échelle de l'Union européenne - constituent des freins importants à une lutte efficace contre le dopage : « cette différence d'approche n'est pas sans nuire à l'efficacité de la lutte contre un phénomène souvent transfrontalier. L'Union européenne se doit d'être un cadre pour une plus grande convergence des plans nationaux de lutte contre le dopage » 443 ( * ) .

Toutefois, c'est véritablement depuis le Traité de Lisbonne que l'Union européenne obtient un rôle de soutien du sport puisque l'article 65 al. 1 er du Traité de Lisbonne dispose que « l'Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat, ainsi que de sa fonction sociale et éducative ». Précisons qu'en la matière, l'Union ne dispose que d'un rôle de soutien et de promotion du sport , sans pouvoir entreprendre une harmonisation des législations nationales dans le domaine du sport.

Dès lors, ce processus est encore à l'ébauche au sein de l'Union européenne.

Toutefois, comme le suggère votre président dans son rapport précité, en vertu de l'article 83 du Traité de Lisbonne, des directives d'harmonisation en matière pénale peuvent être adoptées ; elles pourraient être l'occasion de préciser des principes communs pour les infractions pénales les plus consensuelles en matière de dopage : le trafic de produits stupéfiants, par exemple mais aussi à terme le délit de détention d'un produit dopant ou encore le délit d'administration d'une substance dopante.

Là encore, les instruments juridiques existent ; outre leur caractère récent, ils nécessitent aussi la volonté politique de les mobiliser en faveur d'une lutte plus efficace contre le dopage.

Proposition n° 60 Encourager l'adoption par l'Union européenne de directives d'harmonisation en matière de lutte contre le trafic de produits dopants


* 427 Audition du 3 avril 2013.

* 428 Barrie Houlihan, Borja Garcia, The use of legislation in relation to controlling the production, movement, importation, distribution and supply of performance-enhancing drugs in sport (PEDS) , Institute of Sport and Leisure Policy, Loughborrough University, Aug. 2012. p. 50.

* 429 Audition du 13 juin 2013.

* 430 Franc jeu , 2007, n° 1, p. 2.

* 431 Rapport précité, pp. 27-29.

* 432 Audition du 3 avril 2013.

* 433 Audition du 27 mars 2013.

* 434 Audition du 3 avril 2013.

* 435 Audition du 27 mars 2013.

* 436 http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/affaires_europeennes/textes_subsidiarite/COM_2013_173.pdf

* 437 http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/00400-r1.%20ann.f0.htm : « Le Conseil européen a pris note du rapport sur le sport remis par la Commission européenne au Conseil européen à Helsinki en décembre 1999 dans l'optique de la sauvegarde des structures sportives actuelles et du maintien de la fonction sociale du sport au sein de l'Union européenne. Les organisations sportives et les États membres ont une responsabilité première dans la conduite des affaires sportives. La Communauté doit tenir compte, même si elle ne dispose pas de compétences directes dans ce domaine, dans son action au titre des différentes dispositions du Traité des fonctions sociales, éducatives et culturelles du sport , qui fondent sa spécificité, afin de respecter et de promouvoir l'éthique et les solidarités nécessaires à la préservation de son rôle social ».

* 438 http://ec.europa.eu/sport/white-paper/the-2007-white-paper-on-sport_fr.htm#wp

* 439 Livre blanc, p.5.

* 440 Livre blanc, p.5.

* 441 Barrie Houlihan, Borja Garcia, The use of legislation in relation to controlling the production, movement, importation, distribution and supply of performance-enhancing drugs in sport (PEDS) , Institute of Sport and Leisure Policy, Loughborrough University, Aug. 2012, p. 50.

* 442 http://www.senat.fr/rap/r12-379/r12-3791.pdf

* 443 Rapport n° 379, p. 57.

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