MM. Rémi Duchêne, inspecteur général de l'administration et Bertrand Jarrige, inspecteur général de la jeunesse et des sports, co-auteurs du rapport de la mission d'évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur

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M. Michel Savin , président . - Nous poursuivons nos auditions avec MM. Rémi Duchêne, inspecteur général de l'administration, et Bertrand Jarrige, inspecteur général de la jeunesse et des sports, co-auteurs en juillet 2013 du rapport de la mission d'évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur, qui a mis l'accent sur les déficiences du contrôle de gestion des clubs et sur l'absence de véritable régulation. Mettre en place, comme elle l'a proposé, une autorité indépendante préserverait les collectivités territoriales sollicitées par les ligues et les clubs, mais soumises à des normes sur lesquelles elles n'ont pas de prise.

M. Rémi Duchêne, inspecteur général de l'administration . - Les aides des collectivités territoriales aux clubs sportifs peuvent prendre la forme de subventions ou d'achats de prestations. Le code du sport encadre le montant annuel maximal par sport et limite ces aides aux trois missions de service public que sont la formation, la cohésion sociale et la sécurité, ces dernières entendues au sens large, puisque intégrant par exemple dans la sécurité la prévention de la violence.

L'on se heurte d'abord à des difficultés techniques, ainsi sur le calcul des subventions cumulées, ou parce que la saison sportive ne coïncide pas avec l'annualité budgétaire ; surtout, les clubs ne produisent pas de document attestant de la finalité d'intérêt général de la subvention, et les préfectures ne les contrôlent pas. Les subventions servent ainsi trop souvent à alimenter des dépenses de fonctionnement, y compris des dépenses salariales.

La loi ne dit pas si le plafond des achats de prestations s'entend hors taxe ou TVA comprise. Comme cela peut prendre des formes aussi différentes que l'achat de places distribuées gratuitement ou à prix réduit aux enfants des collèges et l'achat d'espace publicitaire pour la promotion de la collectivité elle-même, nous sommes favorables à l'établissement d'un plafond dans le plafond pour réorienter les dépenses vers des actions véritablement destinées au public. Nous préconisons également d'établir une réunion annuelle de contrôle de la correcte application des seuils, de cibler les subventions servant à des dépenses salariales, de demander des études d'impact par mission et de compter la TVA dans le calcul des plafonds d'achat.

Premier enjeu, réorienter les dépenses des collectivités du fonctionnement vers l'équipement. Lors de nos déplacements à Montpellier comme au Mans, nous avons constaté qu'elles contribuaient à l'inflation salariale. Est-il légitime d'aider des disciplines où règne le sport business ?

M. Bertrand Jarrige, inspecteur général de la jeunesse et des sports . - Les équipements représentent en effet un enjeu central dans la relation entre clubs et collectivités. Dans ce domaine, la répartition des compétences est ambiguë : théoriquement, le code du sport interdit aux ligues d'avoir des exigences ayant trait à la commercialisation du spectacle sportif. En réalité, tous les acteurs se renvoient la balle... Les collectivités se plaignent que les fédérations et les ligues imposent des normes sans en supporter le coût ; ces dernières parlent de simples recommandations ; les clubs se plaignent de n'être associés que tardivement aux décisions des collectivités.

Les conditions de mise à disposition d'équipements municipaux ou communautaires sont instables : elles devraient en effet tenir compte de la valeur locative et du chiffre d'affaires que dégage le spectacle professionnel, ce qui n'est pas le cas partout, loin s'en faut. Nous avons même vu des cas de gratuité. Une épée de Damoclès juridique pèse alors sur les délibérations correspondantes, et les annulations se sont multipliées, comme à Villeurbanne pour l'Astroballe ou à Paris pour Roland-Garros.

Résultat, l'engagement financier des collectivités reste très élevé. Étant généralement le maître d'ouvrage de ces équipements, elles supportent les aléas sportifs du club, ainsi qu'on l'a vu au Mans ou à Grenoble. Certains grands projets pour l'Euro 2016 ont recours aux PPP, dont les loyers très importants sur le long terme ne pourront peut-être pas être répercutés sur les clubs, comme à Marseille ou demain à Lille. Certains projets se présentent comme purement privés, alors qu'aucun n'aurait été possible sans un apport des collectivités, comme le stade de Décines à Lyon, où la chronique judiciaire se poursuit, le projet d'Aréna 92 du Racing Metro de Nanterre, où le conseil général s'est engagé à acquérir un immeuble de bureaux, ou même la rénovation des bétons du Parc des Princes, que la Ville de Paris finance à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros.

Une idée s'impose face à cette situation, que ce soit à la Commission grands stades Euro 2016 ou à la commission Arénas 2015 : une plus grande implication des clubs. Cela tarde à se concrétiser. Un petit nombre de clubs de football et de rugby sont propriétaires de leur stade, pour des raisons historiques, et d'autres, comme l'Olympique Lyonnais, le Racing-Métro 92 ou le PSG, ont des projets. La formule du bail emphytéotique, ouverte par le législateur, n'a été choisie que pour quatre projets qui n'ont finalement pas vu le jour. Un frein important est l'impossibilité pour les collectivités d'aider les clubs pour leurs investissements.

Nos préconisations sont les suivantes : prendre une nouvelle circulaire des ministères de l'intérieur et des sports sur le sujet - la précédente date de 2002 ; sécuriser le modèle économique : la ligue ouverte avec ses montées et descentes, à laquelle tous sont très attachés, pose un problème ; peut-être faudrait-il au moins amortir ces mouvements. Enfin, transposer pour les équipements le régime d'aide spécifique pour l'Euro 2016, auquel la Commission européenne a donné un accord en décembre dernier.

M. Stéphane Mazars , rapporteur . - Nous l'avons entendu hier encore, l'heure est aux économies, notamment pour les collectivités. Dans ce contexte, doivent-elles être aussi présentes aux côtés des sports les plus développés ? Les aides doivent se concentrer sur les équipements pour promouvoir un nouveau modèle où les clubs s'approprieront leur outil, ou tout au moins auront les mains libres dans leurs stades. Peut-on selon vous faire un distinguo en ce domaine entre sports ?

Le rapport de forces entre collectivités et clubs est plutôt en faveur de ces derniers, qui bénéficient de l'appui de l'opinion publique et de la presse. Les collectivités, qui doivent suivre la raison, et non la passion, ont parfois du mal à leur résister. Vous préconisez la création d'une autorité administrative indépendante pour réguler ce domaine qui devient de plus en plus assimilable au business et où les risques de conflits d'intérêt sont nombreux. Enfin, vous avez, à propos des DNCG, évoqué de possibles conflits d'intérêt.

M. Rémi Duchêne . - Les finances publiques sont en effet une denrée rare à utiliser le mieux possible. La prédominance des dépenses de fonctionnement dans les aides est un problème. La seule exception concerne les centres de formation, qui constituent certes un investissement immatériel, mais dont la qualité est reconnue internationalement. C'est le contraire au Mans, ou encore à Montpellier, où les collectivités ont fait le choix de faire du sport un vecteur de dynamisme et d'affichage, en y consacrant des dizaines de millions d'euros ; les équipements ne s'en ressentent guère : le stade de la Mosson est vétuste : le stade de rugby, quoique datant de 2007, ne peut accueillir faute de place les rencontres européennes du club, qui ont lieu à la Mosson, dont elles endommagent les pelouses...

La disproportion est souvent grande entre les investissements, toujours faits en fonction des meilleurs résultats des équipes, et la réalité : qui connaît un peu l'histoire sportive sait que Le Mans n'avait pas besoin d'un stade de 25 000 places, malgré les voix s'exprimant en faveur de la construction d'un pôle sportif fédérant les populations... La vitrine coûte cher !

Une politique vertueuse serait d'augmenter le contrôle, avec une certification par des commissaires aux comptes des subventions et des achats de prestations et un contrôle régulier par l'État, car cela relève du contrôle de légalité, de l'objet des subventions : lorsque nous entendons que tel joueur a été dans les quartiers pour faire une démonstration, nous disons que ce n'est pas ce que la loi appelle la cohésion sociale. Il conviendrait de faire porter les subventions sur les investissements, pas seulement sur la sécurité, mais aussi pour que les spectateurs n'aient plus l'impression de venir dans un univers carcéral de grillages et de barrières, où les supporteurs invités doivent marcher entre deux rangées de CRS. Les stades pourraient alors accueillir femmes, enfants et vieillards... Le succès du modèle allemand réside aussi dans cette modification de la sociologie du spectateur.

M. Bertrand Jarrige . - Les tableaux annexés à notre rapport montrent une situation très diverse d'une discipline à une autre. Certaines seraient incapables de vivre sans les subventions publiques ; le football et le rugby ne sont pas dans ce cas, mais les aides représentent 30 % des recettes des clubs de basketball, 50 % pour le handball et 80 % pour le volleyball. Quelles que soient les perversions du système actuel, l'on ne peut y mettre fin brutalement.

Peut-on pour autant créer une réglementation à géométrie variable ? Les collectivités ont pu faire accepter un régime en 2000-2001 à la Commission européenne pour leur permettre de résister à l'inflation des demandes des clubs. Il serait difficile de revenir treize ans plus tard devant une Commission bien plus attentive qu'alors à ces sujets pour faire valider un nouveau régime d'aides. Mieux vaut s'assurer que ce régime n'est pas trop détourné et renforcer les contrôles.

Certes les clubs de football et la plupart des clubs de rugby pourraient être autonomes financièrement. Cela relève de la responsabilité des collectivités territoriales, qui d'ailleurs agissent dans ce sens. Il convient de distinguer la régulation et le contrôle de gestion. La première dépend des fédérations et des ligues, dont le pouvoir a été encore renforcé par la loi sur le sport de 2012. Le contrôle de gestion est la vérification que les règles fixées par celles-ci sont respectées. En France, la régulation est faible car les fédérations ne sont pas allées au bout de leurs pouvoirs. Le salary cap ou plafond salarial n'a été mis en place que dans le rugby, et encore au niveau de la masse salariale du premier club ; le dispositif du joueur formé localement ne s'applique pas partout et dans des conditions particulières ; la licence club ne sert qu'à obtenir un label et des subsides supplémentaires. Les fédérations sont sous l'influence des clubs. Les réunions du conseil d'administration de la ligue du football professionnel sont toutes précédées par une réunion de l'union des clubs professionnels qui arrête toutes les décisions à prendre. Elles ne sont dès lors pas les mieux placées pour édicter des règles dans un contexte juridique de plus en plus complexe.

Le contrôle de gestion, s'il fonctionne plutôt bien, reste un régime de droit coutumier : le football et le rugby ont mis en place des structures qui ont été consacrées par la loi, mais aucun texte ne prévoit le détail de l'organisation des commissions chargées du contrôle de gestion. C'est pourquoi nous proposons de prendre un texte réglementaire à ce propos. Autre point, l'impensable est arrivé : une fédération a en effet décidé de passer outre une décision des instances de gestion, validée par deux fois par les instances d'appel. Bien qu'elle ait refusé de rétrograder le club du Mans au nom de l'intérêt supérieur du football, ce club a pourtant fini en liquidation judiciaire au terme d'une saison qu'il a eu du mal à terminer. La loi devrait réaffirmer le caractère indépendant et intangible de ces décisions lorsqu'elles sont prises dans les règles, et qui ne devraient être remises en cause ni devant la fédération, ni devant le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), mais bien uniquement devant les tribunaux. Cela éviterait d'assister de nouveau à une lente agonie, comme celle du Mans.

Faut-il une autorité indépendante pour exercer ce pouvoir de régulation ? L'Autorité de la concurrence, à qui nous l'avons demandé, considère que cela n'est pas de son ressort, car elle ne descend pas dans le détail de chaque secteur. Cette autorité doit-elle se consacrer à tous les sports ou seulement aux plus développés ? Certains proposent qu'elle ne soit compétente que sur le football. Cette autorité devrait être compétente sur les trois niveaux : édiction des règles, contrôle de leur application et sanction en cas d'infraction. Un arbitrage sera nécessaire entre la nouvelle autorité et le pouvoir sportif ; la précédente ministre n'avait pas accepté cette proposition. Par mesure d'économie, nous envisagions plutôt une réaffectation à une autorité existante : l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), par exemple, qui reprendrait certaines compétences du CSA, tant l'enjeu des droits TV est essentiel. Nous avions laissé de côté l'Agence française de lutte contre le dopage, qui dépend de l'Agence mondiale et du code mondial.

Dernier point : l'articulation entre notre contrôle de gestion, celui mis en place à l'UEFA et celui qui devrait être mis en place dans l'ensemble des fédérations étrangères.

M. Stéphane Mazars , rapporteur . - Comment les fédérations ont-elles perçu votre rapport ?

M. Rémi Duchêne . - M. Vincent et moi étions à la commission Glavany ; nous avions pu observer le fonctionnement des clubs et de la ligue de football, semblable à ce que décrivait Bertrand Jarrige : ces acteurs ont sorti de leur chapeau des propositions négociées ailleurs. J'ajouterai en mon nom personnel que cette défiance très forte est non seulement déplaisante, mais surtout qu'elle démontre chez des personnes investies de missions de service public qu'elles ont largement perdu de vue cette contrainte... Sur le plan juridique, la décision du 25 juillet 2012 de maintenir Le Mans en Ligue 2 n'existe pas, puisqu'il n'y a pas de procès-verbal ; elle a pris la forme, après une réunion tenue par téléphone, d'un communiqué affiché sur le site du club que Metz, qui attaquait cette décision, n'a pu produire devant le juge. Juridiquement, c'est impossible : j'ai consulté les statuts et le règlement intérieur de la FFF, que le ministère de l'intérieur conserve, en tant que tutelle des associations reconnues d'utilité publique. La base juridique se trouve dans les règlements généraux, à l'article 199, qui prévoit un droit de réforme en toute matière, sauf disciplinaire : le comité exécutif peut réformer les décisions dans l'intérêt supérieur du football français.

L'ensemble des textes doit garantir l'indépendance de la DNCG. Pour certains secteurs économiques, une autorité indépendante serait utile, pour qu'ils échappent à la mainmise des clubs professionnels.

M. Maurice Vincent . - L'aléa sportif rend difficile de trouver des investisseurs privés plutôt que des États, comme le Qatar. Je ne suis pas favorable aux ligues fermées. Les investisseurs extérieurs finiront par substituer la puissance financière à l'aléa sportif. La commission présidée par M. Glavany a bien montré que la volonté de valoriser les recettes de télévision implique des horaires de programmation des matchs qui ne conviennent pas aux familles qui pourraient fréquenter les stades. Comment résoudre cette contradiction, qui obère l'exploitation des stades ?

M. Bertrand Jarrige . - Sur l'aléa sportif, votre inquiétude est fondée. Peu de personnes soutiendraient le passage à un système de ligues fermées. Pourtant, celui-ci s'autorégule plus facilement que la compétition ouverte, qui conduit à une explosion des salaires. L'augmentation annoncée des droits du football passera dans la masse salariale des clubs plutôt que dans des projets d'avenir. Division par division, que deviennent les clubs qui montent et ceux qui descendent ? Il semble que la pire chose qui puisse arriver à un club soit d'être relégué, et la deuxième pire chose, d'être promu ! En dépit de l'exemple éclatant de Montpellier, le taux de survie des clubs promus est faible au-delà de deux ou trois saisons. De même, un club relégué voit ses ressources diminuer considérablement. Le système risque d'instituer, sous couvert de compétition ouverte, une compétition à deux vitesses, avec des clubs intouchables qui chaque année peuvent viser un titre européen, et une deuxième division, en quelque sorte, au sein de la première. S'il n'y a pas d'autorégulation, nous devons poser les principes d'une régulation et prévoir des mécanismes d'amortissement des descentes et d'encouragement des montées. Ces mouvements sont d'ailleurs sans doute trop fréquents, et leur nombre devrait être réduit, par exemple par des matchs de barrage.

M. Michel Savin , président . - En effet.

M. Bertrand Jarrige . - Je participe à une commission qui mène une expérimentation en basketball consistant à inviter en Pro A deux clubs de Pro B qui le justifient par un projet sportif. Nous verrons les résultats. Nul ne se résoudrait au passage aux ligues fermées.

M. Michel Savin , président . - S'il est difficile de modifier les critères, rien n'interdit de revoir le plafond des subventions au niveau national.

M. Rémi Duchêne . - Le principe du plafond est législatif, mais son montant est réglementaire. Il serait possible de le modifier, éventuellement de le diminuer : le niveau cumulé de dépense publique pour le secteur est élevé, alors même que les recettes professionnelles sont croissantes.

M. Bertrand Jarrige . - Parce qu'elles ont une contrepartie, les prestations ne sont pas considérées comme un régime d'aide. Les collectivités territoriales devraient d'ailleurs y avoir davantage recours, plutôt qu'aux subventions. Si l'on change le plafond des subventions, il faut le notifier à la Commission européenne, qui s'opposerait sans doute à son augmentation.

M. Stéphane Mazars , rapporteur . - D'autres pays ont-ils ce modèle de régulation du sport professionnel ?

M. Bertrand Jarrige . - Je ne le crois pas. Le système des DNCG est une invention française. L'organisation du sport en France est, en général, très spécifique, comme la place qu'y tient l'État.

M. Rémi Duchêne . - Nous avons un niveau d'équipement aussi compétitif que possible, mais les Français vont moins au stade que leurs voisins. C'est l'une des raisons pour lesquelles les collectivités territoriales sont appelées à l'aide pour rééquilibrer les budgets !

M. Michel Savin , président . - Je vous remercie.

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