II. LE TEMPS DE TRAVAIL ET LA DÉPENSE PUBLIQUE

Le temps de travail constitue un enjeu non seulement économique, mais également budgétaire . Ceci a clairement été mis en évidence par les incidences de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail (RTT) sur les finances publiques. Tout d'abord, l'application des lois « Aubry » s'est accompagnée d' allègements de charges pour les entreprises, dont le coût actuel est estimé entre 11 et 13 milliards d'euros ; toutefois, celui-ci semble avoir été en grande partie compensé par les hausses de recettes et les moindres dépenses induites par le dynamisme des créations d'emplois observé au début des années 2000. Ensuite, la réduction du temps de travail dans la fonction publique a été à l'origine de dépenses significatives pour les administrations , liées en particulier aux recrutements de nouveaux agents, dont le montant n'est toujours pas parfaitement connu à ce jour.

En tout état de cause, eu égard à l'importance actuelle de la masse salariale des administrations, une évolution du temps de travail dans la fonction publique est susceptible de constituer un levier non négligeable afin de réduire durablement le dynamisme de la dépense publique . Aussi celui-ci gagnerait-il à être mobilisé, alors que le redressement des finances publiques devra désormais porter sur des efforts en dépenses, en particulier afin de mener à bien le programme de 50 milliards d'euros d'économies engagé par le Gouvernement au titre de la période 2015-2017 .

A. LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : UN COÛT BUDGÉTAIRE NET DU DÉPLOIEMENT DANS LE SECTEUR PRIVÉ LIMITÉ...

1. Entre 11 et 13 milliards d'euros d'allègements de charges...

En 2014, les allègements généraux de cotisations sociales ont représenté un « coût » de 20,9 milliards d'euros 60 ( * ) , dont une large part résulterait des réductions de charges liées à la mise en oeuvre des lois « Aubry », comme l'ont fait apparaître divers travaux d'estimation.

À titre de rappel, les allègements généraux de cotisations sociales ont été mis en place en deux temps principaux. Entre 1993 et 1998, une première vague d'allègements s'est attachée à réduire le coût du travail pour les salaires situés à proximité du SMIC - avec un seuil de sorti variant entre 1,1 et 1,3 SMIC - pour l'ensemble des entreprises ; il s'agissait des allègements dits « Balladur » puis « Juppé ». Après 1998, la seconde vague d'allègements visait essentiellement à compenser l'impact de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail (RTT), ainsi que de la convergence des salaires minimaux, sur le coût du travail . De 1998 à 2002, le champ des allègements a été étendu pour les entreprises réduisant leur temps de travail ; dans le cadre des allègements « Aubry », la réduction de cotisation était passée de 18,2 à 26 points au niveau du SMIC et décroissait progressivement jusqu'à 1,7 SMIC. De 2003 à 2005, enfin, la loi dite « Fillon » 61 ( * ) a procédé à une unification des barèmes d'allègements différenciés depuis la mise en oeuvre de la RTT , conjointement à la convergence vers le haut du SMIC et des garanties mensuelles de rémunération. Depuis 2005, les cotisations sociales sont réduites à un taux unique de 26 points au niveau du SMIC et diminuent ensuite de manière linéaire pour s'annuler à 1,6 SMIC 62 ( * ) .

Toutefois, à compter de 2015, les allègements généraux ont engagé une forte augmentation - ceux-ci devant représenter 26,3 milliards d'euros cette année - en raison du déploiement du Pacte de responsabilité et de solidarité , qui a notamment prévu une exonération complète, au niveau du SMIC, de l'ensemble des cotisations patronales recouvrées par les URSSAF (« zéro cotisation URSSAF »).

Quoi qu'il en soit, une étude réalisée par la Dares 63 ( * ) a estimé qu'en 2009, alors que les allègements généraux étaient évalués à 22,2 milliards d'euros, « la première vague des allègements mis en place jusqu'en 1998 représenterait un coût actualisé de 9,3 Mds€ [...] ; les allègements supplémentaires décidés depuis s'élèveraient à 12,9 Mds€ ». Pour l'année 2007, une publication du Conseil d'analyse économique (CAE) 64 ( * ) évaluait à 12 milliards d'euros l'accroissement des allègements liés à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et de la convergence vers le haut des SMIC, les allègements généraux antérieurs à 1998 étant, quant à eux, estimés à 9 milliards d'euros.

Plus récemment, la direction du budget a réalisé, à la demande de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact de la réduction du temps de travail, une nouvelle estimation du coût budgétaire des allègements généraux (AG) de cotisations prévus par les lois « Aubry » . Le tableau ci-après retrace les projections réalisées par la direction du budget pour la période 2003-2013.

Tableau n° 6 : Coût budgétaire des allègements de cotisations découlant des lois « Aubry » (1)

(en milliards d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Allègements « Juppé » (1)

7,6

7,8

8,1

8,5

8,9

9,2

9,1

9,3

9,6

9,8

9,9

Aides « Robien »

0,5

0,4

0,1

0,0

0,0

-

-

-

-

-

-

Scénario de référence sans 35 heures

8,2

8,3

8,2

8,5

8,9

9,2

9,1

9,3

9,6

9,8

9,9

Aubry I

2,1

0,9

0,2

0,0

0,0

-

-

-

-

-

-

Aubry II

4,2

0,1

0,0

0,0

-

-

-

-

-

-

-

Allègements « Fillon » (2)

7,0

15,3

17,1

19,4

20,4

21,1

20,9

21,3

22,0

22,5

22,8

Scénario avec 35 heures

13,2

16,3

17,3

19,5

20,4

21,1

20,9

21,3

22,0

22,5

22,8

Coût pour les AG des 35 heures

5,1

8,0

9,1

11,0

11,5

11,9

11,8

12,0

12,4

12,7

12,8

(1) Reconstitution du coût de la ristourne « Juppé ».

(2) L'évolution du coût des allègements « Fillon » reprend le constaté pour les années 2003-2006, puis une estimation indexée sur l'évolution de la masse salariale - comme dans le cadre du scénario de référence.

Source : commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail (à partir des données transmises par la direction du budget)

Ces projections, fondées sur des scénarii conventionnels, font apparaître que le coût des allègements généraux liés à la réduction du temps de travail (RTT) pour les finances publiques se serait élevé à 12,8 milliards d'euros en 2013. Dans un second temps, la direction du budget s'est attachée à comparer son « scénario de référence sans 35 heures » aux évaluations des allègements généraux apparaissant dans les annexes aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans ce cadre, le coût des AG découlant des lois « Aubry » était estimé à 10,8 milliards d'euros en 2013.

Tableau n° 7 : Coût budgétaire des allègements de cotisations découlant des lois « Aubry » (2)

(en milliards d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Scénario de référence sans 35 heures

8,2

8,3

8,2

8,5

8,9

9,2

9,1

9,3

9,6

9,8

9,9

Estimation du coût des AG en PLFSS

15,9

16,7

17,4

19,5

21,5

22,6

22,3

22,0

20,8

20,6

20,7

Coût pour les AG des 35 heures

7,7

8,4

9,2

11,0

12,6

13,4

13,2

12,7

11,2

10,8

10,8

Source : commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail (à partir des données transmises par la direction du budget)

Par suite, le coût actuel des allègements généraux institués à la suite de la réduction du temps de travail (RTT) semble être compris entre 11 et 13 milliards d'euros .

2. ... en partie compensés par les hausses de recettes et les moindres dépenses induites

Toutefois, il semblerait que le coût de ces allègements pour les finances publiques ait été, en grande partie, compensé par les hausses de recettes et les moindres dépenses induites . En effet, les créations d'emplois qui ont accompagné la mise en oeuvre des lois « Aubry » ont permis une augmentation des cotisations sociales collectées, assises sur la masse salariale, du produit des taxes perçues sur la consommation et sur l'épargne issues du gonflement de la masse salariale imputable aux emplois créés, mais aussi des recettes des impôts sur les bénéfices des entreprises. En outre, les créations d'emplois ont réduit le montant des prestations d'assurance chômage servies.

Graphique n° 8 : Évaluation de l'impact macroéconomique des lois « Aubry »
par l'OFCE

Source : commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail (à partir des données transmises par l'OFCE)

Ainsi, actualisant les résultats d'une précédente étude 65 ( * ) , l'OFCE a évalué, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à la réduction du temps de travail, l'augmentation des cotisations sociales reçues par les administrations à 3,4 milliards d'euros et celle des impositions à 3,1 milliards d'euros. Les moindres dépenses d'assurance chômage s'élèveraient, quant à elles, à 1,5 milliard d'euros (cf. graphique ci-avant). Aussi, dans la mesure où le montant des allègements généraux liés à la réduction du temps de travail (RTT) est évalué par l'OFCE à 10,5 milliards d'euros, le coût « net » des lois « Aubry » pour les finances publiques serait de 2,5 milliards d'euros .

Pour autant, si les allègements de charges intervenus à la suite de la RTT ont été en grande partie compensés, il n'en demeure pas que le coût « net » cumulé au cours de la décennie passée n'est pas négligeable. Est-ce à dire que l'existence de ce dispositif doit être remise en question ? Ce point doit être examiné avec la plus grande circonspection. En effet, il convient de rappeler qu'une publication de la Dares a estimé que « 0,6 à 1,1 million d'emplois seraient détruits en quelques années si les allègements généraux étaient totalement supprimés » 66 ( * ) . Quoi qu'il en soit, l'essentiel du coût de la réduction du temps de travail pour les finances publiques a résulté de sa mise en oeuvre dans la fonction publique.


* 60 Annexe 5 « Présentation des mesures d'exonérations de cotisations et contributions et de leur compensation » au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

* 61 Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi.

* 62 Des modifications limitées concernant les allègements généraux sont intervenues entre 2007 et 2012. En particulier, la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 a majoré le taux de réduction pour le relever à 28,1 points dans les entreprises de moins de 20 salariés. En outre, initialement calculé sur une base horaire, le taux de l'allègement général a été mensualité en 2007 puis annualisé à partir de 2011. Enfin, la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 a intégralement réintégré les heures supplémentaires dans la formule de calcul de l'allègement.

* 63 B. Ourliac et C. Nouveau, « Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009 », Document d'études de la Dares n° 169, février 2012.

* 64 J. Boissinot, J. Deroyon, B. Heitz et V. Rémy, « Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2007 » in P. Cahuc, G. Cette et A. Zylberberg (éd.), Salaire minimum et bas revenus : comment concilier justice sociale et efficacité économique ? , Paris, La Documentation française, 2008.

* 65 É. Heyer et X. Timbeau, op. cit.

* 66 B. Ourliac et C. Nouveau, op. cit. , p. 17.

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