C. RÉDUIRE LA DÉPENSE PUBLIQUE À L'AIDE D'UNE ÉVOLUTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Les coûts liés au passage aux 35 heures dans la fonction publique mettent en évidence l'importance de la question du temps de travail dans le pilotage des finances publiques . Selon les données publiées par l'Insee, la masse salariale des administrations représentait 278,2 milliards d'euros en 2014, soit plus de 20 % de la dépense publique. Par ailleurs, si la progression des dépenses de personnel a marqué un ralentissement au cours des dernières années, celle-ci n'en a pas moins été de 2,8 % - soit de près de 6 milliards d'euros - par an en moyenne au cours de la période 2000-2014.

Aussi la masse salariale des administrations constitue-t-elle un enjeu majeur à l'heure où le redressement des comptes publics doit reposer sur une stricte maîtrise de la dépense . Pourtant, les mesures décidées par le Gouvernement afin de réaliser des économies sur les rémunérations résident principalement dans le « gel » du point d'indice de la fonction publique - qui explique le ralentissement des dépenses de personnel observé au cours des dernières années ; à titre d'illustration, le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2016 estime les économies sur la masse salariale de l'État à 0,8 milliard d'euros en 2016, dont 0,6 milliard découleraient de la stabilité du point de la fonction publique.

Alors que le « gel » du point d'indice ne constitue en rien une mesure structurelle , dès lors qu'il reste sans incidence sur la « dynamique » de la masse salariale publique, une telle décision n'est satisfaisante ni pour les agents publics eux-mêmes , qui voient leurs rémunérations stagner, ni pour les gestionnaires et les usagers des services publics , dès lors que la fonction publique perd en attractivité.

Dans ces conditions, il semblerait opportun d'envisager de nouveaux instruments de maîtrise de la masse salariale des administrations ; à cet égard, une évolution du temps de travail dans la fonction publique paraît constituer un levier non négligeable d'économies - d'autant que la durée moyenne de travail dans le secteur public est plus faible en France, relativement aux pays comparables, mais aussi au secteur privé.

1. La faiblesse relative de la durée du travail dans la fonction publique française

Le temps de travail dans la fonction publique constitue une question particulièrement complexe . En effet, ainsi que l'a souligné la Cour des comptes, si le régime de droit commun dans la fonction publique est désormais, comme dans le secteur privé, de 35 heures hebdomadaires 82 ( * ) , soit 1607 heures par an 83 ( * ) , « des catégories nombreuses de fonctionnaires bénéficient toutefois d'une organisation du temps de travail différente en raison de sujétions particulières : agents soumis à des obligations réglementaires de service (par exemple les enseignants), ou à une pénibilité ou des horaires décalés (par exemple les personnels travaillant dans les abattoirs ou les surveillants de l'administration pénitentiaire) [...]. Lors du passage aux 35 heures, il a également été décidé de maintenir les accords dérogatoires antérieurs octroyant un temps de travail inférieur (en particulier dans 1 550 collectivités territoriales) » 84 ( * ) .

De même, dans l'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances, cette dernière rappelle que nombre de ses travaux antérieurs ont montré que, dans différentes catégories d'administrations, la durée effective du travail pourrait être inférieure à la durée légale , « souvent en raison d'un nombre important d'autorisations d'absence » 85 ( * ) .

En tout état de cause, la Cour des comptes a estimé, sur la base de l'Enquête emploi 2012 de l'Insee, que le temps de travail annuel moyen, à temps complet, serait de 1 594 heures dans le secteur public , contre 1 684 heures dans le secteur privé, « avec un temps de travail hebdomadaire plus important de 0,8 heure dans le secteur privé et 7 jours de congés et de RTT en moins » 86 ( * ) . L'étude de l'institut Coe-Rexecode publiée en juin 2014 estime, quant à elle, la durée effective moyenne de travail des salariés à temps complet à 1 589 heures dans les services non marchands - qui comprennent notamment les administrations publiques -, soit 72 heures de moins que la moyenne dans l'ensemble des secteurs économiques. Ainsi, le temps de travail moyen dans la fonction publique semble être, en France, inférieur à celui observé dans le secteur privé .

S'agissant des comparaisons internationales, il apparaît que la fonction publique française affiche l'une des durées annuelles de travail moyennes les plus faibles parmi les pays de l'OCDE . Comme le montre le graphique ci-après, avec une durée moyenne de travail de 1 620 heures par an dans la fonction publique 87 ( * ) , la France se plaçait, en 2011, parmi les quatre pays de l'OCDE - pour lesquels des données étaient disponibles - dont la moyenne annuelle d'heures travaillées dans le secteur public était la plus basse.

Graphique n° 11 : Durée annuelle moyenne de travail dans les fonctions publiques des pays de l'OCDE en 2011

(en heures)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'OCDE)

2. Le temps de travail dans la fonction publique : un levier de maîtrise de la masse salariale des administrations

Dans ces conditions, il pourrait être envisagé une hausse du temps de travail dans la fonction publique, d'autant qu'il s'agit là d'un levier non négligeable de maîtrise de la masse salariale . Il convient de relever que celui-ci a déjà été « actionné » par différents pays européens. Ainsi, en Espagne , à compter de décembre 2011, le temps de travail des fonctionnaires de l'État est passé de 35 à 37,5 heures par semaine sans compensation salariale . Le Portugal a, à son tour, relevé la durée de travail hebdomadaire de 35 à 40 heures en septembre 2013 .

Quelles pourraient-être les économies à attendre, en France, d'un relèvement du temps de travail dans la fonction publique ? Pour procéder à une telle estimation, il est possible de se référer, une nouvelle fois, aux travaux de la Cour des comptes. Dans un rapport de juin 2014, celle-ci indique : « une hausse de la durée effective du travail dans les administrations peut permettre de diminuer les effectifs sans réduire la quantité et la qualité des services publics rendus. Une telle hausse pourrait prendre des formes diverses : alignement de la durée effective sur la durée légale, réduction du nombre de jours d'absence (par exemple en rétablissant la journée de carence en cas de maladie), éventuellement augmentation de la durée légale » 88 ( * ) .

Toutefois, il convient de relever qu'une hausse de la durée du travail ne saurait permettre une diminution « mécanique » des effectifs dans une proportion équivalente, dès lors que celle-ci peut être compensée par une baisse de la productivité horaire des agents et nécessite la réorganisation préalable de certains services. Aussi, retenant une hypothèse conventionnelle d'un partage à 50 % entre baisse des besoins en emplois et baisse de la productivité, la Cour des comptes estime qu'« une augmentation du temps de travail effectif de 1 % (soit l'équivalent de la suppression de 3 jours de congés) permettrait de dégager une économie de 700 M€ en réduisant les recrutements nécessaires » 89 ( * ) . Celle-ci a par ailleurs précisé, dans l'enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, qu'une telle augmentation du temps de travail permettait une économie en emplois pouvant être estimée à 27 000 dans l'ensemble des fonctions publiques 90 ( * ) .

Sur la base de ces résultats, deux scénarii principaux peuvent être envisagés concernant l'évolution du temps de travail dans la fonction publique. Le premier considère les effets d'un alignement du temps de travail effectif dans l'ensemble des fonctions publiques sur la durée légale et le deuxième projette les incidences d' une hausse « homothétique » de la durée hebdomadaire de travail - ce qui signifie que les agents ayant une durée de travail inférieure à la durée légale, notamment pour des raisons réglementaires ou de pénibilité, tout en conservant une situation dérogatoire, verraient leur temps travail évoluer proportionnellement aux autres.

Tout d'abord, dans l'hypothèse où la durée effective moyenne de travail à temps complet dans le secteur public - soit aujourd'hui 1 594 heures par an, selon la Cour des comptes - était alignée avec la durée légale ( scénario 1 ), qui est aujourd'hui de 1 607 heures, le temps de travail progresserait de 0,8 % , correspondant à une économie de 570 millions d'euros pour l'ensemble des fonctions publiques , en raison d'une diminution des recrutements à hauteur de 22 000 emplois environ.

Ensuite, il est envisagé l'hypothèse où la durée de travail des fonctionnaires soumis à la durée légale hebdomadaire de travail, soit 35 heures, serait relevée et s'accompagnerait d'une hausse proportionnelle du temps de travail des agents ayant un statut dérogatoire . Si la hausse de la durée légale du travail était d'une heure ( scénario 2a ), pour atteindre 36 heures par semaines, la durée effective du travail augmenterait en moyenne de 3 % environ , autorisant une économie de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations , du fait d'une baisse des effectifs de 77 000 emplois environ.

Si l'augmentation de la durée légale de travail était portée à 37,5 heures par semaine ( scénario 2b ), qui correspond peu ou prou à la durée habituelle hebdomadaire de travail déclarée par l'ensemble des actifs selon les données issues des Enquêtes emploi de l'Insee, la durée effective du travail augmenterait de près de 7 % , pour une économie de 5 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques , du fait d'une baisse des effectifs de plus de 190 000 emplois.


* 82 La réduction du temps de travail a été opérée par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 dans la fonction publique d'État, par la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 dans la fonction publique territoriale et par le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 dans la fonction publique hospitalière.

* 83 Le temps de travail annuel, initialement fixé à 1 600 heures, a été porté à 1 607 heures en 2004 avec l'institution de la « journée de solidarité ».

* 84 Rapport d'information n° 675 (2014-2015), op. cit. , p. 97.

* 85 Ibid. , p. 101.

* 86 Ibid. , p. 99.

* 87 OCDE, Government at Glance 2013 , Paris, Éditions de l'OCDE, 2013.

* 88 Cour des comptes, La situation et les perspectives des finances publiques , 2014, p. 161.

* 89 Ibid.

* 90 Rapport d'information n° 675 (2014-2015), op. cit.

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