LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES

I. LA LOI N° 2013-1117 DU 6 DÉCEMBRE 2013 RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE ET LA GRANDE DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

1. Des mesures fiscales essentiellement d'application directe

La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est le principal texte du quinquennat spécifiquement consacré à cette priorité, bien que de nombreuses autres mesures figurent dans les lois de finances et les lois de finances rectificatives successives (cf. infra ).

Toutefois, l'essentiel des mesures relevant de la compétence de la commission des finances sont d'application directe et ne nécessitent aucun texte d'application.

Ainsi, outre l'article relatif au registre public des trusts (cf. infra ), le seul article de nature fiscale de la loi du 6 décembre 2013 nécessitant une mesure d'application est l'article 13 , qui porte sur la composition de la commission des infractions fiscales (CIF). Cette instance, prévue à l'article 1741 A du code général des impôts (CGI) et à laquelle sont soumises pour avis conforme les plaintes déposées par l'administration en matière de fraude fiscale, a été portée de 12 à 28 membres, avec l'ajout de magistrats honoraires à la Cour de cassation et de personnalités qualifiées aux Conseillers d'État et Conseillers maîtres à la Cour des comptes déjà prévus. Le décret n° 2014-1636 du 26 décembre 2014 précise ces nouvelles dispositions et les conditions de fonctionnement de la CIF.

Parmi les autres mesures significatives de ce texte mais d'application directe, on peut notamment citer :

- à l'article 9, le relèvement à deux millions d'euros d'amende et sept ans d'emprisonnement des sanctions pénales applicables à la fraude fiscale aggravée (contre 750 000 euros et cinq ans d'emprisonnement auparavant), et l'élargissement de la définition de celle-ci, notamment en cas de recours à un compte ou à une société à l'étranger ;

- à l'article 14, la possibilité pour les agents de l'administration fiscale de prendre des copies des fichiers informatiques à l'occasion d'une « perquisition fiscale » (ou « visite domiciliaire ») en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

- à l'article 19, l'institution d'une sanction en cas de non-respect de l'obligation de déclarer l'ouverture et la fermeture de comptes auprès du fichier des comptes bancaires (Ficoba) , fixée à 1 500 euros par ouverture de compte non déclarées et 150 euros par omission ou inexactitude ;

- à l'article 20, un droit de communication spécifique à l'égard des éditeurs de logiciels de caisse, ainsi qu'une amende fiscale égale à 15 % du chiffre d'affaires provenant de la commercialisation de logiciels ou systèmes de caisse frauduleux ou « permissifs » qui permettent de dissimuler une partie des recettes encaissées, et de les soustraire ainsi à la TVA ;

- à l'article 37, la possibilité d'utiliser des preuves d'origine illicite , sous réserve que celles-ci soient régulièrement transmises à l'administration fiscale, soit par la mise en oeuvre d'un droit de communication, soit dans le cadre de l'assistance administrative internationale, et sans pour autant permettre la rémunération des « aviseurs » ;

- à l'article 45, l'obligation de transmission à l'administration fiscale, par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 400 millions d'euros ou les entreprises liées, d'une documentation générale permettant de justifier leur politique de prix de transfert , qui mentionne notamment toutes les transactions supérieures à 100 000 euros entre entreprises liées, en complément de la documentation détaillée qu'elles doivent tenir à disposition de l'administration en cas de contrôle fiscal ;

- à l'article 53, l'allongement de trois à six ans du délai de prescription des infractions pénales en matière fiscale ;

- à l'article 54, l'extension de l'obligation de déclaration des sommes, titres ou valeurs supérieurs à 10 000 euros à l'or, aux jetons de casino et aux cartes prépayées lors du franchissement de frontières.

2. Les registres des trusts : un texte d'application à revoir pour tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel

Afin de permettre une identification plus facile des bénéficiaires effectifs, l'article 11 de cette loi a institué un registre public des trusts . Aux termes de l'article 1649 AB du code général des impôts, ce registre « recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l'administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust ». Issue du droit anglo-saxon, la notion de trust n'a été introduite en droit français qu'en 2011 132 ( * ) , à l'article 792-0 bis du code général des impôts. Dans le cadre d'un montage visant à éluder l'impôt, un trust établi à l'étranger peut permettre de dissimuler l'identité du bénéficiaire effectif , auquel se substitue un administrateur ( trustee ), plus ou moins fictif.

Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques (DGFiP), a insisté sur la grande utilité du registre des trusts pour l'administration fiscale : « aujourd'hui, 16 000 trusts figurent dans ce registre : il s'agit d'un outil extrêmement précieux, très utilisé par les services et qui monte en puissance 133 ( * ) ».

L'article 1649 AB précité dispose que les modalités de consultation du registre sont précisées par décret en Conseil d'État. Publié tardivement, le décret n° 2016-567 du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts précise notamment que « toute personne peut obtenir, par voie électronique, la délivrance des informations [contenues dans le registre]. L'accès au traitement automatisé est réalisé dans le cadre d'une procédure sécurisée d'authentification fixée par arrêté du ministre chargé du budget ».

Toutefois, dans sa décision n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution le deuxième alinéa de l'article 1649 AB précité, qui créé le registre public des trusts, estimant que « la mention, dans un registre accessible au public, des noms du constituant, des bénéficiaires et de l'administrateur d'un trust fournit des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine. Il en résulte une atteinte au droit au respect de la vie privée. Or, le législateur, qui n'a pas précisé la qualité ni les motifs justifiant la consultation du registre, n'a pas limité le cercle des personnes ayant accès aux données de ce registre, placé sous la responsabilité de l'administration fiscale. Dès lors, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi 134 ( * ) ».

En conséquence, l'article 1649 AB du code général des impôts a été modifié par l'article 10 de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1 er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme . Celle-ci supprime le caractère public du registre des trusts et restreint son accès à certaines autorités nommément désignées par la loi , dans le cadre de leur mission : la cellule de renseignement financier Tracfin ; les autorités judiciaires ; les agents de l'administration fiscale et de l'administration des douanes ; l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ; les personnes assujetties aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La loi dispose toujours que les modalités d'application de cet article sont fixées par décret en Conseil d'État. Toutefois, le nouveau décret n'a pas été pris à ce jour, alors même que le décret du 10 mai 2016 précité n'est plus applicable du fait de la décision du Conseil constitutionnel.

Un problème similaire aurait pu se poser pour le registre des « bénéficiaires effectifs » créé par l'article 139 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique , dite « loi Sapin 2 », dans la mesure où le nouvel article L. 561-46 du code monétaire et financier prévoyait une communication des informations au registre du commerce et des sociétés (RCS), et renvoyait à un décret en Conseil d'État « la liste des informations collectées ainsi que les conditions et modalités selon lesquelles ces informations sont obtenues, conservées, mises à jour et communiquées », sans plus de précisions sur leur accessibilité au public - étant précisé que le RCS est aujourd'hui public.

Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, l'article 8 de l'ordonnance du 1 er décembre 2016 précitée a modifié les dispositions applicables au registre des bénéficiaires effectifs , désormais prévues aux articles L. 561-46 à L. 561-50 du code monétaire et financier, avant même leur entrée en vigueur (fixée au 2 août 2017). La loi dispose désormais que le document relatif aux bénéficiaires effectifs est « annexé » au registre du commerce et des sociétés , et seulement accessible aux autorités compétentes ainsi qu'à « toute autre personne justifiant d'un intérêt légitime et autorisée par le juge ».

L'article L. 561-50 du code monétaire et financier renvoie toujours les modalités d'application de ces dispositions à un décret en Conseil d'État, qui n'a à ce jour pas été publié.

Pour mémoire, le « bénéficiaire effectif » d'une entité juridique est la personne qui, en dernier ressort, possède ou contrôle cette entité, ou pour le compte de laquelle une transaction ou une activité est réalisée. Le registre des bénéficiaires effectifs repose donc sur une notion moins restrictive que celle de « trust », et devrait permettre d'accéder à un plus grand nombre d'informations dans le cadre de l'identification de montages complexes faisant intervenir une société-écran, une entité offshore ou encore un prête-nom. Lors de son audition du 4 mai 2016 à la suite de l'affaire des Panama Papers , Éliane Houlette, procureur de la République financier, avait d'ailleurs confirmé l'impossibilité pour le Parquet national financier (PNF) d'obtenir cette information en l'absence d'un tel registre :

« Mme Michèle André , présidente. - Cette coopération, qui passe par les agents de liaison de nos ambassades, vous permet-elle d'avoir connaissance des bénéficiaires effectifs ?

« Mme Éliane Houlette. - Non. Pas pour le moment. Les schémas sont devenus très complexes. La fraude fiscale a énormément évolué avec la mondialisation et la révolution numérique. Autrefois, il suffisait d'ouvrir un compte numéroté en Suisse dont on était le seul titulaire sous-jacent ; aujourd'hui, on passe par des sociétés offshore dans plusieurs pays, en s'appuyant sur des moyens technologiques très sophistiqués. (...) Les États avec lesquels nous peinons à coopérer sont : la Russie, le Qatar, l'Île Maurice et j'ajoute, au risque de vous surprendre, la Suisse, avec laquelle la coopération n'est pas facile ».

L'administration fiscale rencontre des difficultés similaires dans la coopération administrative , même si les pays concernés ne sont pas les mêmes que ceux qui font obstacle à la coopération pénale.


* 132 Article 14 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.

* 133 Audition de la commission des finances du Sénat le 4 mai 2016

* 134 Il s'agit de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, dont le Conseil constitutionnel a confirmé dans la même décision sa qualité d'objectif de valeur constitutionnelle.

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