B. DEUX SEUILS D'AFFILIATION OBLIGATOIRE À LA SÉCURITÉ SOCIALE CRÉÉS EN 2017 : UNE RÉPONSE TRÈS PARTIELLE ET PROBLÉMATIQUE

1. Une affiliation obligatoire à partir de 7 846 euros pour les locations de biens et de 23 000 euros pour les locations de logements meublés

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 27 ( * ) a apporté une première réponse à ce problème, en instituant deux seuils d'affiliation obligatoire à la sécurité sociale , respectivement pour les activités de location de logements meublés pour de courtes durées et pour les activités de location de biens meubles (voitures, outils, etc.).

Depuis le 1 er janvier 2017, en principe, sont donc obligatoirement affiliées au régime social des travailleurs indépendants (RSI), ou sur option de leur part au régime général , les personnes physiques dont les recettes brutes annuelles excèdent les seuils de :

- 23 000 euros pour la location de meublés pour de courtes durées , ou plus précisément « la location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés, [...] lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au mois et n'y élisant pas domicile ». Seraient ainsi concernées les locations de logement par des particuliers sur des plateformes comme Airbnb ou encore Abritel . Le seuil de 23 000 euros existe déjà pour le statut de loueur en meublé professionnel (LMP) , dont les autres conditions sont toutefois plus restrictives (cf. supra ) : en pratique, le régime « LMP » est donc élargi sur le plan social, mais demeure inchangé sur le plan fiscal ;

- 7 846 euros (en 2017) pour la location de biens meubles , le critère fixé par la loi étant celui de recettes supérieures à 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS). Cette activité 28 ( * ) vise notamment la location de voitures (par exemple sur Drivy ou Ouicar ), mais aussi de tout autre type d'objet, de la poussette au bateau, en passant par le barbecue ou la caméra (par exemple sur Zilok ).

Lorsque son revenu excède ces seuils, la personne est assujettie à cotisations sociales sur l'ensemble de ses revenus, c'est-à-dire au premier euro.

En-deçà de ces seuils, les revenus ne relèvent pas d'une activité professionnelle, mais de la gestion du patrimoine immobilier ou mobilier privé . Ils sont donc, en principe, soumis à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de 15,5 % sur les revenus du patrimoine (cf. infra ).

Ces seuils sont d'application générale, et ne sont pas spécifiques aux activités exercées via des plateformes en ligne. Il s'agit de seuils « plafonds », au-delà desquels l'affiliation est obligatoire, mais n'interdisent pas le cas échéant une affiliation à un niveau inférieur de recettes annuelles.

2. Une clarification bienvenue mais inaboutie, qui ne couvre ni les activités de ventes ni les prestations de services

Il s'agit là d'une clarification bienvenue . En effet, s'il importe de « laisser vivre » l'économie du partage et de ne pas l'entraver par des règles contraignantes dès le premier euro gagné au titre d'une activité accessoire, il n'est pas pour autant acceptable que celle-ci puisse devenir une véritable « économie parallèle », avec de « faux particuliers » entrant en concurrence directe avec les professionnels, n'acquittant pas de cotisations sociales... et ne bénéficiant in fine d'aucune protection sociale non plus. À cet égard, la mise en place d'un seuil permettant de distinguer clairement les revenus relevant de la gestion du patrimoine privé de ceux relevant de la location professionnelle constitue un pas dans la bonne direction .

Il convient, en particulier, de saluer deux modifications intervenues au cours des débats parlementaires 29 ( * ) :

- le relèvement de 10 % à 20 % du PASS pour le seuil applicable aux locations de biens meubles : le niveau de 3 923 euros bruts par an initialement proposé par le Gouvernement, soit 327 euros par mois, pouvait paraître très bas, d'autant plus qu'il ne s'agit que de recettes brutes, ce qui n'implique nullement que le particulier réalise un bénéfice net important - ou même un bénéfice tout court. Comme l'avait observé Francis Delattre, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances 30 ( * ) , « un particulier qui louerait occasionnellement sa voiture, son camping-car, sa tondeuse ou sa perceuse, aurait été considéré comme un travailleur indépendant, et aurait dû s'affilier au RSI, avec toutes les contraintes et obligations que cela emporte. Est-ce vraiment ce dont ont besoin les millions de Français engagés dans l'économie du partage, et qui n'y trouvent bien souvent qu'un revenu accessoire ? » ;

- la possibilité d'opter pour une affiliation au régime général , qui permet notamment aux personnes qui ont déjà une activité salariée de ne pas devoir s'affilier à deux régimes différents 31 ( * ) .

Toutefois, les règles fixées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ne règlent qu'une petite partie du problème. Cela n'a pas échappé au secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, qui l'a reconnu lors des débats à l'Assemblée nationale : « disons-le clairement : cet article ne prétend pas tout régler ».

Tout d'abord, et surtout, cette « clarification » se limite au cas des locations de logements meublés et de biens meubles, mais ne fixe aucun seuil de minimis pour les prestations de services d'une part, et pour les ventes de biens d'autre part, laissant de côté une part considérable de l'économie collaborative . Comme ceux de la direction générale des finances publiques (DGFiP), les représentants de la direction de la sécurité sociale (DSS) entendus par le groupe de travail ont estimé que le droit existant ne posait aucun problème, et qu'il n'y avait aucune raison de le modifier : une vente ou une prestation de services constituent une activité professionnelle au premier euro de bénéfice.

Il en résulte qu'un étudiant proposant via une plateforme en ligne quelques cours de mathématiques ou une soirée de babysitting par semaine devrait en principe s'affilier au RSI dès le premier euro perçu . Il en va de même pour un passionné de poterie qui revendrait ses propres productions sur un marché dominical, une fois de temps en temps. Or, si le principe d'une affiliation à la sécurité sociale n'est pas contestable dès lors que l'activité devient professionnelle, on peut en revanche douter de l'acceptabilité sociale d'une affiliation au premier euro pour des activités occasionnelles ou accessoires , menées parfois comme hobby ou en tant que simple amateur.

D'ailleurs, il pourrait bien s'avérer délicat de distinguer entre les activités visées par les seuils (location de biens meubles ou immeubles) et les activités non-visées (ventes et services). Ainsi, les services annexes à la location d'un appartement sur Airbnb , non seulement la remise des clés et le ménage, mais aussi des conseils touristiques sur le quartier, doivent-ils être pris en compte dans le calcul des seuils ? On peut légitimement craindre une série d'affiliations injustifiées et de contentieux, ou au contraire une multiplication des effets d'aubaine.

En outre, l'affiliation à la sécurité sociale au titre des activités exercées via des plateformes et dont le caractère professionnel n'est pas évident est problématique dans plusieurs cas, et notamment :

- pour les personnes déjà affiliées à un régime de sécurité sociale au titre d'une autre activité , qu'elle soit salariée ou indépendante. En effet, et la différence des impôts, les cotisations sociales se définissent par l'existence de contreparties (assurance maladie, retraite, etc.) : dès lors, ces personnes devraient acquitter des cotisations supplémentaires, sans pour autant bénéficier d'une protection plus élevée, ce qui pourrait être difficile à comprendre. Les « pluriactifs », ou encore les personnes en situation de cumul emploi-retraite qui acquittent des cotisations retraite de solidarité, pourraient se retrouver dans ce cas ;

- pour les fonctionnaires , qui sont tenus de solliciter une autorisation écrite de cumul d'activité auprès de leur hiérarchie, limitée dans le temps 32 ( * ) : la stricte application du droit reviendrait à placer dans l'illégalité tout fonctionnaire actif sur une plateforme de services ou de vente , ou réalisant plus de 7 846 euros par an sur une plateforme de location de biens ou plus de 23 000 euros par an sur une plateforme de location de logements. Le même problème se pose pour les professions soumises à une stricte interdiction d'exercer toute forme d'activité commerciale , comme les magistrats, les policiers et les certaines professions réglementées ;

- pour les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux (pension d'invalidité, RSA, AAH, etc.), qui pourraient perdre une partie de leurs droits en louant leur appartement ou leur voiture ou en proposant quelques services de bricolage dans leur voisinage, alors que cela peut représenter un précieux « coup de pouce ».

Par ailleurs, cette clarification « sociale » ne semble pas cohérente avec la clarification « fiscale » de la définition des activités de « co-consommation » : si celles-ci sont par nature exonérées sur le plan fiscal, comment justifier que le simple franchissement de seuils de recettes brutes entraîne obligatoirement l'affiliation au RSI, même lorsqu'il s'agit également de « co-consommation » ?


* 27 Article 18 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017. Ces dispositions sont codifiées à l'article L. 613-1 du code de la sécurité sociale, qui dresse la liste les personnes obligatoirement affiliées au régime d'assurance maladie et d'assurance maternité des travailleurs indépendants des professions non agricoles (RSI).

* 28 Définie par référence au 4° de l'article L. 110-1 du code de commerce, qui vise « toute entreprise de location de meubles » (cf. supra ).

* 29 Et plus précisément à l'occasion d'une seconde délibération demandée par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, compte tenu des réserves exprimées sur cet article par des parlementaires de la majorité et de l'opposition, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

* 30 Avis n° 108 (2016-2017) de Francis Delattre, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, déposé le 8 novembre 2016. Pour mémoire, le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, avant quant lui proposé un seuil de 40 % du PASS, soit 15 691 euros pour 2017, un niveau équivalent à celui du SMIC.

* 31 Cette mesure répond donc essentiellement à un besoin de simplification, les cotisations sociales et les droits ouverts étant aujourd'hui très largement alignés entre les deux régimes.

* 32 Article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, tel que modifié par l'article 7 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.