COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. MARC GUILLAUME, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT

Le mercredi 23 mai 2018, Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, a procédé à l'audition de M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement (audition à laquelle elle avait convié les présidentes et présidents, ou leurs représentants, des sept commissions permanentes ainsi que de la commission des affaires européennes).

Mme Valérie Létard , présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. - Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie d'être présent pour cette audition désormais traditionnelle dans le cadre du contrôle de l'application des lois. Le calendrier particulier de la session dernière n'avait pas permis de vous recevoir - ni d'organiser notre débat annuel en séance - mais vous nous aviez fait parvenir une contribution écrite qui nous a été très utile. Votre dernière audition date de janvier 2017 date à laquelle notre collègue M. Bérit-Débat - que je salue - vous avait reçu dans le cadre du contrôle de l'application des lois significatives du quinquennat.

Le Sénat a toujours été très vigilant sur la bonne application des lois, à commencer par la publication en temps et en heure des textes réglementaires prévus par le législateur.

Comme vous le savez, le suivi de l'application des lois incombe au premier chef aux commissions permanentes : chaque commission effectue ainsi, tout au long de la session, le contrôle de l'application des lois qui la concerne. Aussi, j'ai convié aujourd'hui l'ensemble des commissions qui sont représentées par leur président ou un vice-président. Sont ainsi présents Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture ; M.  Alain Milon, président de la commission des affaires sociales ; M. Claude Bérit-Débat, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ; M. Vincent Éblé, président de la commission des finances ; M. François-Noël Buffet, vice-président de la commission des lois ; M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes. Je vous prie de bien vouloir excuser la commission des affaires étrangères, retenue en séance par l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019-2025.

Chacun président a présenté la semaine dernière, ou juste avant la suspension d'avril, une communication sur l'application des lois de la session 2016-2017 relevant de leurs compétences. Ils ont sans nul doute quelques questions à vous poser. Notre collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, que je tiens à excuser, m'a également chargée en tant que membre du bureau de cette commission de vous interroger sur des points liés au bilan de notre commission.

Si vous en êtes d'accord, sur la base du questionnaire qui a été transmis à vos services, je vous invite à nous faire part des statistiques de l'année et de votre point de vue sur l'état et les perspectives de l'application des lois. Nous sommes notamment intéressés par le taux d'application de l'année parlementaire, mais aussi par celui de la XIVème législature qui vient de se terminer.

Après quoi, mes collègues et moi-même pourront poser les questions qui nous paraîtraient utiles.

M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement. - Si vous me le permettez, je vais commencer par un rappel de la méthode que nous utilisons pour nous assurer de la prise des textes d'application des lois. Une fois la loi votée, et avant même une éventuelle décision du Conseil constitutionnel, et la promulgation de la loi, nous reprenons le texte issu du Parlement et procédons à une lecture, article par article, pour identifier les renvois à un décret ou un décret en Conseil d'État. Chacun de ces renvois est numéroté et identifié en fonction de l'objet de la mesure demandée. Puis, une réunion interministérielle est organisée, au cours de laquelle le ministère et, en son sein, la direction centrale compétente pour élaborer chaque mesure sont déterminés. Un échéancier est élaboré avec pour objectif la prise de l'ensemble des mesures dans un délai de six mois. Une première réunion interministérielle a lieu deux mois après cette répartition des mesures, puis une est organisée chaque mois. Pour vous donner un exemple, nous avons tenu hier une réunion interministérielle sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Une prochaine réunion est prévue dans 15 jours, et une autre dans un mois, afin de veiller à ce que l'ensemble des mesures soient prises pour fin juin. En outre, nous avons pris contact avec le Conseil d'État afin de réserver des séances en juin pour pouvoir présenter les décrets d'application. En résumé, il s'agit d'un travail fastidieux, mais c'est la méthode la plus efficace que nous ayons trouvée.

La session 2016-2017 est particulière, car elle est à cheval sur deux législatures. Pour la XIVème législature, nous avions fait un premier bilan en mai 2017 - qui excluait les lois votées moins de 6 mois avant cette date. Ainsi, les lois adoptées début 2017 n'entraient pas dans ce calcul. Le taux d'application des lois au 11 mai 2017 était alors de 95%. Si on comptabilise les mesures, chiffre beaucoup plus parlant, nous en avions pris 2680 sur les 2827 attendues. Les autorités publiques de l'ancien gouvernement ont veillé à ce que le maximum de décrets soit publié avant la fin du quinquennat. Du mois de mars au 10 mai 2017, ce sont 233 décrets qui ont été publiés, portant 397 mesures. À titre de comparaison, en mars et avril 2016, 67 décrets appliquant 147 mesures avaient été pris. Depuis le bilan de l'année dernière, pour la XIVème législature, 394 mesures supplémentaires étaient attendues, et 329 ont été prises. Aujourd'hui, le taux d'application de la XIVème législature est de 93%, avec 3009 mesures prises sur 3221 mesures attendues. Ces chiffres ne varieront quasiment plus, à l'exception de décrets dont la date d'entrée en vigueur est différée.

En ce qui concerne le début de la XVème législature, peu de lois ont plus de six mois. Il s'agit principalement des deux lois du 15 septembre 2017 relative à la confiance dans la vie politique et de la loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. La quasi-totalité des mesures ont été prises. Ainsi, pour les deux lois relatives à la confiance dans la vie publique, tous les décrets ont été pris, à l'exception d'un décret prévu par la loi organique et relatif à l'élection présidentielle - pour lequel nous avons un peu plus de temps. Nous sommes en train de procéder aux consultations, notamment celles de la Haute autorité pour la transparence dans la vie publique et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017 a, quant à elle, un taux d'application de 85%. Il reste une mesure à prendre qui sera très prochainement examinée par le Conseil d'État.

Nous travaillons actuellement sur les lois adoptées fin 2017 : la loi mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, la loi de finances rectificative, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Nous devons également nous occuper de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2017-717 du 3 mai 2017 portant création de l'établissement public Paris la Défense ; mais elle prévoit peu de mesures d'application.

En ce qui concerne la loi sur les hydrocarbures, nous aurons pris 5 des 6 décrets prévus avant la fin du mois de mai et espérons pouvoir faire examiner le dernier par le Conseil d'Etat d'ici fin juin. Pour la loi de financement de la sécurité sociale, nous avons pris 20 mesures et il en reste 17 à prendre.

Nous procédons également au travail d'identification des mesures à prendre pour les lois votées début 2018 : la loi créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap, la loi relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants. Pour cette dernière loi, promulguée le 8 mars 2018, nous espérons avoir très prochainement un taux d'application de 100%. Il ne nous reste plus qu'un décret à prendre, ce qui nous permettrait d'avoir pris l'ensemble des décrets d'application en moins de 4 mois. Enfin, nous avons pris 3 des 5 décrets de la loi organique relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

J'ai noté dans les communications des commissions un balancement entre une satisfaction, que l'on peut qualifier de globale pour la prise des mesures réglementaires, et une critique sur le taux de remise des rapports. La situation sur ce point n'est en effet pas bonne.

Tout d'abord, en ce qui concerne le rapport prévu par l'article 67 de la loi de simplification de 2004, à partir du moment où l'administration a fait le travail de publier les décrets, il me semble que l'effort de remise de ce rapport est pour elle marginal. À l'issue de cette réunion, je vais rappeler aux directions centrales des ministères que ce rapport doit être déposé dans un délai de six mois. Vous m'avez alerté sur le cas de rapports non transmis au Parlement alors qu'ils ont été rendus publics. Cette situation n'est pas normale.

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - L'année dernière, je vous avais alerté sur le calendrier des mesures d'application de la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), grande loi culturelle du quinquennat, largement co-construite avec le Sénat et adoptée en juillet 2016.

La plupart de ses dispositions sont désormais applicables, ce dont je me réjouis. Quelques textes d'application prévus par la loi manquent encore ; je pense en particulier au décret d'application de l'article 30 de la loi (droits des photographes, disposition adoptée à l'initiative du Sénat).

D'autres textes ne seront sans doute jamais pris, soit parce qu'ils sont devenus inutiles, les professionnels des secteurs de la musique et du cinéma étant parvenus à un accord sur les rémunérations minimales, soit parce que le nouveau gouvernement a décidé de mettre en oeuvre d'autres priorités. Au cas d'espèce, alors que la loi avait créé un « permis de faire » en matière d'urbanisme permettant aux collectivités de déroger à certaines normes en matière d'urbanisme, et avant même que soient précisées par décret les conditions de cette expérimentation, le gouvernement a étendu - au sein du projet de loi ELAN - ce qui n'avait été conçu que comme un dispositif limité dans le temps.

Pour terminer sur la LCAP, j'appelle votre attention sur les dispositions relatives aux services publics d'archives. Le décret d'application a été pris le 2 mai 2017. Cependant, il laisse entière la question de la définition du service public des archives, renvoyée au décret lors des débats parlementaires. D'une certaine manière, la volonté du législateur a été méconnue et je le regrette.

J'en viens maintenant aux lois adoptées lors de la session 2016-2017. Trois sur cinq relevant de la compétence de la commission de la culture étaient issues de propositions de loi sénatoriales et vous comprendrez donc que je sois particulièrement attentive à leur application.

À ce jour, il manque plusieurs décrets pour l'application de l'ensemble de la loi relative à l'éthique du sport, due à notre ancien collègue Dominique Bailly. Après une période d'hésitation, je crois que le décret relatif au droit à l'image des sportifs est désormais sur les rails mais peut être pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet.

L'application complète de la loi portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur, dite loi « sélection en master » suppose qu'un décret fixe la liste des formations dans lesquelles l'admission en seconde année du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master peut dépendre des capacités d'accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat. Chacune comprendra qu'il s'agit d'une question très sensible, surtout dans le contexte de la mise en place d'un nouveau système d'orientation. Je serais néanmoins heureuse de disposer d'indications sur l'état d'avancement de ce décret.

Toujours en matière d'enseignement supérieur, je note qu'aucun rapport n'est aujourd'hui paru sur deux dispositions importantes de la loi de juillet 2013, celle relative à l'utilisation des langues autres que le français, car si le dernier rapport de la délégation générale à la langue française contient quelques éléments à ce sujet, aucun rapport d'ensemble n'y a été consacré. Un mot, enfin, sur l'absence de rapport sur les dispositions facilitant l'intégration des docteurs dans les corps des fonctionnaires de catégorie A. Aucune n'ayant été prise en raison des fortes oppositions rencontrées sur le terrain, le rapport est resté sans objet, sa non-parution ne faisant que sanctionner l'absence de mise en oeuvre d'une disposition générale voulue par le législateur.

M. Alain Milon , président de la commission des affaires sociales . - La période sur laquelle porte le rapport sur l'application des lois est marquée, pour ce qui concerne la commission des affaires sociales, par la part prépondérante de la loi de financement de la sécurité sociale, qui connaît traditionnellement un bon taux de mise en application.

Je voudrais vous interroger sur un point plus spécifique qui a trait aux grossistes répartiteurs. La commission est régulièrement saisie de la situation de cette profession, dont le modèle économique même soulève des difficultés.

La loi n° 2017-220 du 23 février 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification des procédures mises en oeuvre par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé demeure partiellement applicable, faute de mesure réglementaire d'application de son article 2. Celui-ci impose à titre expérimental, pour trois ans, aux grossistes répartiteurs de déclarer, auprès d'un tiers de confiance, leurs volumes d'exportations de médicaments.

Tout en comprenant les objectifs, la commission des affaires sociales avait fait part d'une certaine perplexité quant à la mise en oeuvre de ce dispositif.

Pouvez-vous me dire quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?

Enfin la commission des affaires sociales n'est pas très favorable à la demande de rapports. Il s'agit parfois d'excuses pour poser des questions quand on ne peut pas faire autrement. Ainsi, dans le cadre de l'examen de la loi « Santé », le Sénat a voté la suppression de 50 articles demandant autant de rapports.

M. Vincent Éblé , président de la commission des finances . - Pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois promulguées durant la session 2016-2017 atteint 83 %. Il est supérieur à celui de la session précédente (76 %) mais pour un nombre de mesures attendues inférieur (82 mesures contre 114 mesures pour la session 2015-2016).

Point positif, les délais se sont améliorés : alors que l'an passé moins de 30 % des mesures d'application avaient été prises dans le délai de six mois prescrit par une circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, cette année ce taux atteint plus de 65 %. Il est en très nette progression mais il n'est cependant pas exceptionnel, puisqu'il était par exemple de 75  % en 2012-2013.

Dans l'ensemble, les textes réglementaires attendus ont été publiés et sont conformes à leur objet.

Toutefois, ma commission a plusieurs questions. Seules trois mesures de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin 2 ») entrant dans le champ de compétence de la commission des finances n'ont pas été prises, dont l'une concernant la faculté pour les détenteurs de livret A et de livret de développement durable d'affecter une partie des intérêts sous forme de don à une entreprise solidaire. Envisagée en décembre 2016, la publication de ce décret n'est pas intervenue, ce qui rend inapplicable cette disposition et confirme l'analyse du rapporteur de notre commission, Albéric de Montgolfier, qui soulignait le manque de précision du dispositif proposé. Le Gouvernement entend-il prendre des mesures d'application ou cette disposition doit-elle être abrogée ?

En outre, cette année, nous avons contrôlé la publication des ordonnances prévues par la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 ». Au total, sur les 13 ordonnances attendues, 12 ont été signées. La seule ordonnance qui n'a pas été prise concerne l'habilitation donnée au Gouvernement en vue de créer un code monétaire et financier spécifique pour l'outre-mer. Cette demande d'habilitation semble n'avoir pas été suffisamment réfléchie puisque la commission supérieure de la codification, dans un avis de juin 2017, a émis des réserves, souhaitant notamment que l'ordonnance soit circonscrite aux collectivités du Pacifique, ce qui ne correspond pas à l'habilitation. Depuis, le dossier semble ne pas avoir avancé. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'avancée de ce « code monétaire et financier spécifique à l'outre-mer » qui, à l'époque de la demande d'habilitation, nous avait paru présenter une certaine originalité ?

Concernant la remise des rapports au Parlement, au cours de la période, quinze rapports ont été demandés et seulement sept ont été remis dont deux de manière non officielle. Même si notre commission s'était montrée défavorable à plusieurs demandes de rapports, notamment lorsque les informations étaient disponibles dans des documents budgétaires, il est regrettable de ne pas appliquer des dispositions votées définitivement. Le Gouvernement entend-il, par exemple, remettre le rapport relatif à la suppression des taxes à faible rendement prévu par l'article 83 de la loi de finances pour 2017 ? Ce sujet est un point de préoccupation récurrent.

Par ailleurs, comme l'an passé, en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la commission des finances regrette que la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), qui doit en principe être actualisée chaque année, ne l'ait pas été depuis avril 2016 et l'affaire dite des « Panama Papers ». Quelles sont les intentions du Gouvernement en matière d'actualisation de cette liste des ETNC ?

Enfin, nous venons seulement de recevoir le « jaune » qui devrait être annexé au projet de loi de finances de chaque année sur l'échange d'informations fiscales entre la France et ses partenaires...pour les années 2015 et 2016. C'est un premier pas de combler le retard accumulé, mais le Gouvernement entend-il respecter désormais sa publication annuelle ?

M. François-Noël Buffet , vice-président de la commission des lois . - Le taux d'application des lois suivies par la commission des lois est de 72%. Il est ainsi identique à celui de l'année précédente. Toutefois, le délai de prise des mesures est parfois plus long que le délai d'adoption. Ainsi, un tiers des mesures ont été prises plus de six mois après la promulgation de la loi. On peut dès lors de se demander si la procédure accélérée est réellement nécessaire dans tous les cas.

Par ailleurs, l'inflation législative, déjà constatée par le passé, continue. Pour prendre quelques exemples, la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle en outre-mer est passée de 15 articles dans le texte initial à 148 dans la loi votée. Pour la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, le texte est passé de 54 à 115 articles, dont 55 articles ajoutés à l'Assemblée nationale. Il ne s'agit pas ici d'une critique, mais d'un constat.

Enfin, l'habilitation de l'ordonnance tendant à créer une "banque de la démocratie", prévue par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, ne sera probablement pas publiée dans le délai d'habilitation prévu par la loi et qui expire le 15 juin 2018. Lors de l'examen de ce texte, le Sénat avait soulevé qu'elle risquait d'être confrontée à des difficultés au regard de la neutralité que l'État doit respecter en matière de compétition électorale. Où en est-on de la publication ?

M. Claude Bérit-Débat , vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Je me félicite des bons résultats confirmés de la législature. Il faudrait que cela continue. 4 des lois votées lors de la session 2016-2017 concernaient la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Sur ces 4 textes, un était d'application directe. Pour les trois autres lois, seul un tiers des mesures ont été prises, soit 13 sur 39, dont seulement 23% dans les 6 mois. Par ailleurs, au cours de cette période, trois lois anciennes sont devenues totalement applicables.

Je ne peux que constater la lenteur de la remise de différents rapports : 29 ont été remis sur les 57 demandés, soit à peine plus de la moitié. Pour la loi sur la biodiversité d'août 2016, 5 des 6 rapports n'ont toujours pas été remis. Dans le même temps, je salue le bon avancement de l'application de cette loi lors de la dernière session, qui est désormais applicable à plus de 90 % en ce qui concerne les décrets.

Cette loi a prévu l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, des dérogations pouvant être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté, sur la base d'un bilan établi par l'ANSES sur la disponibilité des produits de substitution et une comparaison de leurs avantages et de leurs risques par rapport aux produits contenant des néonicotinoides. L'ANSES a publié un rapport intermédiaire sur les alternatives à ces produits le 5 mars dernier où elle recommande de réduire au maximum l'utilisation du thiaclopride compte tenu des dangers de cette substance. Nous espérons que nous retrouverons dans les textes d'application la volonté du législateur.

Je souhaite également signaler deux décisions récentes du Conseil d'État relatives à la carence de l'exécutif dans la prise des textes d'application. Le Conseil d'État enjoint au gouvernement de prendre deux décrets, sous astreinte. Cette formule nous semble intéressante, notamment dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle.

Pour conclure, le bilan de l'application de lois de cette session incite aux mêmes remarques que les années précédentes : selon les types de lois, des décrets plus ou moins pris ; une faible remise des rapports ; une faiblesse des circulaires, dont certaines sont éloignées de la volonté du législateur.

M. Cyril Pellevat , vice-président de la commission des affaires européennes . - Laissez-moi d'abord, au nom du Président Bizet, que j'ai l'honneur et le plaisir de représenter aujourd'hui, vous remercier d'associer la commission des affaires européennes à cet exercice important qu'est le bilan de l'application des lois. Notre commission, comme le Sénat tout entier, est effectivement très attachée à connaître et évaluer les suites données à ses travaux.

En l'espèce, que sont devenues les dix-huit résolutions européennes que le Sénat a adoptées entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2017 ? Le rapport que nous a soumis le Président Bizet le 20 février dernier démontre que le Sénat est influent dans les négociations à Bruxelles.

En effet, les positions exprimées par le Sénat dans nos résolutions européennes sont très largement prises en compte au cours des négociations. Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte, par exemple sur le plan d'investissement pour l'Europe, la réforme d'Europol et la coopération policière européenne, les perturbateurs endocriniens ou encore le paquet énergie propre. Dans plus de 25 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, la politique commerciale, la simplification du droit européen ou encore l'avenir de la PAC à l'horizon 2020.

Il faut se féliciter de cette situation car nos résolutions européennes ont ainsi une véritable influence sur le contenu des directives et règlements adoptés et donc, au final, sur la législation française qui en résulte. À cet égard, je voudrais également rappeler la grande attention que porte notre commission à la surtransposition.

Je voudrais souligner la très bonne coopération du Secrétariat général des affaires européennes qui nous apporte une information de grande qualité sur l'état des négociations au sein du Conseil à Bruxelles. Nous souhaitons que, l'année prochaine, le SGAE nous transmette ses fiches de suivi de façon plus régulière, et plus seulement sur demande, afin que la procédure devienne véritablement banalisée et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent. Je vous serais reconnaissant, M. le Secrétaire général, de bien vouloir lui transmettre à la fois ces remerciements et cette demande car je sais que le SGG et le SGAE travaillent en étroite relation.

Enfin, je rappelle le grand intérêt qu'attache notre commission à l'audition annuelle de la ministre en charge des affaires européennes sur le suivi de nos résolutions. Cet exercice constitue désormais un moment incontournable du contrôle parlementaire de l'action gouvernementale en matière européenne.

Mme Valérie Létard , présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle - En tant que membre du Bureau de la commission des affaires économiques, et en raison de l'absence de Mme Sophie Primas, en déplacement, je souhaiterais vous poser quelques questions directement en lien avec le bilan établi cette année par la commission.

Je voudrais tout d'abord vous faire part d'interrogations concernant la remise des rapports dits « de l'article 67 » et des rapports demandés par le Parlement. Sur les quinze lois qui ne sont pas considérées comme étant d'application directe parmi celles étudiées cette année par la commission des affaires économiques, aucune n'a fait l'objet de la remise d'un rapport en application de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit depuis le bilan établi l'année dernière. Pourtant, nous attendons encore des rapports pour des lois promulguées début 2017, en 2016, en 2015... Comment expliquez-vous de tels retards ?

Je signale au passage le cas un peu particulier de la loi « Transition énergétique », pour laquelle le Gouvernement considère que la transmission, en janvier 2017, d'un courrier de la ministre qui comportait en annexe la liste des ordonnances et des décrets publiés vaudrait remise de ce rapport « article 67 ». C'est, nous semble-t-il, très contestable, dès lors en particulier que n'y figurent pas, comme la loi de 2004 l'exige pourtant, les dispositions «  qui n'ont pas fait l'objet des textes d'application nécessaires » et les « motifs » de l'absence de ces textes.

Concernant les rapports demandés par le Parlement, je souhaiterais pointer deux dysfonctionnements. Certains, au motif qu'ils sont rendus publics, ne sont pas officiellement transmis au Parlement. C'est notamment le cas de rapports émanant du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Or, une procédure de transmission a été établie afin que le lien avec les attentes du législateur soit plus rapidement établi. Pourquoi cette procédure n'est-elle pas respectée ?

D'autres rapports restent quant à eux sur le bureau des ministres. C'est par exemple le cas du rapport demandé par l'article 32 de la loi « ALUR » sur la mise en oeuvre d'un statut unique pour les établissements et services de la veille sociale, de l'hébergement et de l'accompagnement. Ce rapport est depuis le début de l'année 2017 sur le bureau du ministre chargé du logement en vue de sa transmission au Parlement. Malheureusement, nous attendons toujours... Pouvez-vous au moins nous dire quand ce rapport sera remis au Parlement ?

Je voudrais également vous poser une question, une seule, sur la loi du 1er juin 2016 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures relevant du domaine de la loi pour réformer Action Logement, dont j'avais été la rapporteure. S'il n'est pas d'usage de contrôler que les mesures réglementaires rendues nécessaires par les dispositions des ordonnances ont été prises, l'inscription de la ratification des ordonnances prises en application de cette loi à l'article 31 du projet de loi ELAN m'a conduite à opérer un tel contrôle afin de mieux apprécier la mise en oeuvre de la réforme d'Action Logement. La nouvelle organisation d'Action Logement, simplifiée, a été mise en place rapidement - dès le 1er janvier 2017 -, mais le comité des partenaires, lui, n'a toujours pas été mis en place, plus d'un an après la mise en oeuvre de la réforme, et cela faute d'adoption des décrets relatifs à sa composition et à son fonctionnement. Or cette structure est fondamentale, car elle est censée jouer un rôle de vigie à l'égard des orientations et de la distribution de la participation des employeurs à l'effort de construction entre les organismes et entre les territoires. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages nous a indiqué que les dispositions relatives à ces décrets auraient fait l'objet d'une concertation avec l'ensemble des parties prenantes et que cette concertation aurait abouti fin 2017. Ma question est donc simple : quand le ou les décret(s) concernant le comité des partenaires vont-ils paraître ?

Enfin, je voudrais rapidement évoquer les mesures réglementaires non prévues prises par le Gouvernement. En effet, un grand nombre de lois font l'objet de textes d'application non prévus par le législateur. La façon dont vous procédez pour déterminer que telle ou telle disposition n'est pas assez explicite nous intéresse. Analysez-vous systématiquement les articles qui n'appellent pas de mesures spécifiques ? Quelles prescriptions éventuelles pouvez-vous en tirer pour améliorer la qualité de la loi ?

M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement. - Pour les questions portant sur un point précis d'une loi, je me permettrai de revenir vers vous ultérieurement, si je ne suis pas en mesure de vous fournir aujourd'hui la réponse.

Le Gouvernement ne fait aucune différence entre les mesures à prendre venant des propositions de loi et des projets de loi. Une fois que le texte est publié, nous n'avons aucune idée si la disposition en question est issue du gouvernement ou d'un amendement parlementaire. En outre, nous avons une obligation constitutionnelle de prendre les décrets. À 1% près, nous avons les mêmes taux d'application pour les projets et les propositions de loi.

Le changement de gouvernement et le changement des politiques qui en résulte, est la nature même des cycles démocratiques. Un nouveau gouvernement peut ainsi revenir sur ce qu'a fait voter un précédent gouvernement.

En ce qui concerne les habilitations à légiférer par ordonnance, elles doivent être distinguées des obligations que nous avons de prendre les décrets d'application. Le gouvernement peut ne pas faire usage d'une habilitation. Je prendrai l'exemple de la loi LCAP habilitant le gouvernement à prendre plusieurs mesures par ordonnance, notamment pour rapprocher le régime des biens inscrits de celui des biens classés. Cette ordonnance a été écrite et soumise aux autorités politiques. Mais, ces dernières ont estimé que cela allait ajouter de la complexité. L'alignement du régime des biens inscrits sur celui des biens classés allait conduire à des contraintes administratives supplémentaires. De même, l'habilitation à créer par ordonnance un code monétaire et financier d'outre-mer prévue par la loi « Sapin II » n'a pas été utilisée, en raison de l'avis de la commission supérieure de codification, peu convaincue par l'utilité de celui-ci.

Tout le monde constate l'inflation législative. Le multiplicateur s'est accéléré avec le temps. Vous avez cité la loi « égalité réelle pour les outre-mer » qui est emblématique. La loi Santé a été multipliée par 3,5 pour être votée, au final, avec plus de 220 articles. Il n'est pas de ma responsabilité de trouver les causes de cette inflation.

Sous la XIIème et XIIIème législature, environ 31 000 à 32 000 amendements ont été adoptés. Ce nombre est passé à 58 000 sous la XIVème législature, dont seulement 12% d'origine gouvernementale. Je ne nie pas que certains amendements parlementaires peuvent être inspirés par le Gouvernement, mais la statistique est là.

Cela a des conséquences importantes pour nos administrations. Autrefois, nous essayions de préparer les décrets en même temps que le vote de la loi. Je pense notamment à la loi sur la faillite personnelle de 2005, où, avec le président Hyest, nous avions travaillé ensemble, et en même temps que l'examen de la loi, sur les décrets d'application. Aujourd'hui, ce n'est plus possible, d'autant plus avec une inflation d'une telle ampleur. En outre, le nombre de mesures réglementaires à prendre est sans commune mesure.

Le Sénat avait appelé notre attention dans deux bilans précédents sur les circulaires. Il s'interrogeait pour savoir si l'effort de suivi du travail parlementaire n'était pas parfois obscurci par un nombre de circulaires trop important. Le Premier ministre a demandé aux ministres de revoir tout le stock de circulaires. À partir de juillet 2018, ne seront opposables que celles redéposées sur le site circulaire.gouv.fr. Nous espérons obtenir une diminution très significative du nombre de circulaires. Nous avons réalisé ce travail pour les 150 circulaires dépendant du Premier ministre, ce qui a conduit à supprimer 67% d'entre elles. Nous sommes ainsi en train de réaliser un effort important de toilettage, suite aux préoccupations que vous aviez exprimées. Nous vous rendrons compte des résultats de cette opération dans le deuxième semestre 2018.

Un travail nouveau est mené en matière de surtransposition. À la fin de l'année 2017, le Premier ministre a demandé à six inspections générales d'examiner la totalité des lois de transposition des directives du marché unique. Cela concerne environ 1100 textes. Pour l'instant, 110 à 120 mesures de surtransposition ont été détectées. Le Premier ministre a donné l'instruction à tous les ministères de réexaminer, une à une, ces mesures de surtransposition. Au final le nombre de ces mesures est certes raisonnable - un des rapports le qualifie de « non marginal » -, mais elles existent. Il s'agit, pour les ministères, de vérifier si ces mesures peuvent être conservées ou si elles sont inutiles.

En ce qui concerne la loi LCAP, 2 mesures sur 54 n'ont pas été prises - ce qui met d'ailleurs cette loi dans la moyenne du taux d'application constaté. Nous effectuons actuellement un travail sur le droit à l'image.

Pour les rapports, il faut distinguer ceux de l'article 67 et les autres rapports. Les parlementaires ne sont d'ailleurs pas toujours favorables à ces derniers, car ils ne respectent pas à la normativité de la loi, et parce qu'ils vont charger les administrations. Je souscris à ce constat. En revanche, certains rapports demandés doivent être remis. Vous avez évoqué l'évaluation de la suppression des taxes à faible revenu. Nous allons faire le nécessaire pour qu'il vous soit transmis.

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. - Le Sénat vous avait sollicité il y a quelques temps sur le nombre de lois en vigueur. Disposez-vous d'éléments à nous communiquer à ce sujet ?

M. Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement. - Faisant suite à cette question du Sénat, nous avons voulu avoir une vision de l'état du droit. Un travail statistique a été mené afin d'avoir le maximum d'informations. Il en est résulté des éléments statistiques publiés sur le site Légifrance début mars 2018, intitulés « indicateurs de suivi de l'activité normative ». À cette occasion, nous avons constaté qu'il est très difficile d'évaluer le nombre de lois et de décrets en vigueur. En effet, dès lors qu'une loi porte un article relatif à l'entrée en vigueur, et alors même que les autres dispositions ont été codifiées, cette loi compte comme 1. Peut-être que le bon indicateur est l'article car, souvent, une loi modifie des articles codifiés  ou codifie des articles ? L'augmentation spectaculaire du code du travail ces dernières années est principalement due à une recodification. Au total, on comptabilise 51 061 articles législatifs codifiés et 29 206 articles non codifiés. À mon sens, ces chiffres sont plus significatifs que le nombre de lois en vigueur, car plus de la moitié de notre droit est codifiée.

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