D. POUR UNE « CIVS AUGMENTÉE »

L'échec rencontré par la CIVS dans la mission de restitution des oeuvres d'art traduit un problème plus global auquel il convient de remédier.

Sans dissimuler les obstacles rencontrés par la commission dans son oeuvre propre, force est pourtant de souligner que, ses missions et les moyens afférents, demeurés globalement inchangés depuis sa création, ne l'arment pas assez pour être l'instrument d'une réparation pleinement satisfaisante, dans un contexte marqué par un engagement insuffisant pour surmonter les nombreuses difficultés de la tâche.

La CIVS ne réunit pas les conditions adéquates pour une résolution pleinement performante d'une dette de réparation dont la résorption appelle des conditions plus développées que celles actuellement réunies.

Tant les avancées des connaissances sur l'ampleur de cette dette, qui renforcent l'acuité de la perception d'une mission inachevée, que les engagements internationaux de la France doivent être aujourd'hui mieux pris en compte.

Ils convainquent de l'urgence de se doter d'une infrastructure adaptée à une pleine réparation des spoliations.

À cette infrastructure, la CIVS peut fournir un point d'ancrage utile, à condition de la rénover et d'instaurer un contexte plus favorable au plein accomplissement d'une mission d'apurement de la dette rémanente de réparation.

Les conditions à réunir sont d'ordre interne, mais elles supposent également que la France porte, en domaine, une ambition forte sur la scène internationale.

1. Une réaction tardive aux résultats encore incomplets, mais dont l'esprit doit être salué, le Groupe de travail sur les MNR, une préfiguration pour une « CIVS augmentée »

L'analyse de la contribution de la CIVS à la réparation des spoliations d'objets d'art et de culture, pour pouvoir être inscrite dans des perspectives différenciées, selon l'étendue de la dette de réparation prise comme référence, a débouché sur la constitution d'un groupe de travail chargé de réduire le hiatus entre un bilan médiocre et l'existence certaine d'un vivier d'objets d'art et de culture résistant manifestement à l'action de réparation des spoliations artistiques.

Il s'agit de la constitution, en 2013, à l'initiative de la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, d'une « équipe projet » dédiée à la recherche de provenance de quelques oeuvres (163) confiées à la garde des musées nationaux, décision directement inspirée du rapport de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux 75 ( * ) .

La pérennisation de ce « groupe de travail », dont le dernier rapport a été publié en mars 2017, illustre le maintien d'un mouvement destiné à installer une politique de restitution plus « proactive » que celle accessible à la CIVS.

Les résultats obtenus peuvent être considérés comme encourageants, dans le cadre, toutefois, de limites restées trop étroites et accompagnées de résultats encore insuffisants.

Ces limites, qui tiennent notamment à la focalisation sur une partie minime du « musée disparu », ainsi que l'étroitesse des progrès accomplis sur le front des restituions ne sont pas insurmontables.

En toute hypothèse, l'essentiel a été démontré, une démarche plus volontariste est susceptible d'améliorer significativement le bilan des réparations.

a) Les progrès accomplis dans l'appréciation de la dette de réparation demeurant à acquitter ont conduit à une prise de conscience des limites de l'action de la CIVS dans son format actuel

Les travaux des historiens sur les spoliations et leur réparation, pour avoir été insuffisamment soutenus jusqu'à présent par les pouvoirs publics, ont permis depuis la création de la CIVS de renouveler le regard sur ces problématiques de spoliation des objets d'art et de culture.

Votre rapporteur spécial a été particulièrement sensible aux analyses très éclairantes qui lui ont été communiquées sur ce point par notre ancienne collègue Corinne Bouchoux et par Emmanuelle Polack, historienne, notamment sur la complexité des circuits empruntés par la spoliation.

Par ailleurs, il convient de tenir compte des nombreux événements intervenus ces dernières années, qu'il s'agisse d'incidents, comme la découverte d'un nombre considérable d'oeuvres d'art dissimulées chez un parent d'un des agents commis par le régime nazi pour écluser le patrimoine artistique parisien pendant l'Occupation 76 ( * ) , ou de conférences internationales consacrées à la réparation de ces spoliations (voir ci-après).

Ils ont amplifié l'effet d'apprentissage auquel la CIVS elle-même a pu apporter une contribution précieuse en confirmant l'ampleur de la dette de réparation à solder et la diversité de ses formes.

Il ressort de tout ceci que le champ des réparations non satisfaites dans le domaine des objets d'art et de culture peut être dessiné à travers trois cercles concentriques de plus ou moins vastes périmètres:

- le plus petit est le cercle des MNR, qui, jusqu'à aujourd'hui paraît pourtant mobiliser le plus d'attention ;

- un cercle intermédiaire est celui des oeuvres récupérées après la Libération mais non restituées et inclut les objets vendus par le service des Domaines au début des années 1950 ;

- enfin il existe un cercle plus large avec les oeuvres spoliées en France et dont le devenir, pour la plupart, n'a jamais été identifié.

L'ampleur précise de chacun des périmètres peut être débattu, comme on l'a exposé, mais il existe une certitude après l'approfondissement des travaux historiques réalisé depuis la création de la CIVS : la superposition des cercles évoqués accrédite l'image d'un vaste « musée disparu » entre les années 1930 et 1945 et qui demeure tel.

Face à cette situation, force a été d'observer que, même rapportées à la seule partie émergée de l'iceberg des spoliations non réparées, constituée par les MNR, les restitutions effectuées sous l'égide de la CIVS sont loin d'avoir épuisé un stock qui comporte plus de 2 000 objets.

Autant dire que le bilan des restitutions apprécié du point de vue d'autres indicateurs comprenant des oeuvres spoliées et ni restituées ni indemnisées, ressort comme encore plus marginal.

Les résultats engrangés ont pu pâtir de certaines difficultés ponctuelles, mais récurrentes, rencontrées par la CIVS dans l'accomplissement de sa mission de réparation dans le champ sous revue. Mais, l'essentiel est bien que les contours des responsabilités et des moyens confiés à la CIVS jouent un rôle particulièrement limitant pour l'oeuvre de réparation des spoliations d'objets d'art et de culture au regard de l'évolution de cette problématique.

Ne pouvant intervenir qu'en réponse à des demandes individuelles, la commission, qui ne dispose que de faibles moyens en personnel, et n'est pas dotée des prérogatives juridiques qui lui permettraient d'explorer les différents cercles de la dette de réparation, ne réunit pas, en l'état, les conditions d'une réparation satisfaisante des spoliations d'objets d'art et de culture.

Avec la création d'un groupe de travail consacré aux MNR, il s'est agi de sublimer l'action de la CIVS, en adoptant une démarche plus « proactive ».

Destinée à apporter une réponse au problème né de la confrontation entre les résultats de la CIVS et les constats et soupçons d'une dette beaucoup plus vaste de réparation non soldée 77 ( * ) , la création de ce groupe de travail peut être considérée comme une préfiguration, encore trop timide mais allant dans le bon sens, d'une nouvelle étape à franchir dans l'oeuvre de réparation : l'instauration d'une infrastructure mieux à même de répondre au sentiment d'inachèvement et aux critiques de plus en plus fermes qu'il suscite.

b) Un fonds à apurer au plus vite, la création d'un groupe de travail sur les MNR, malgré des résultats trop limités, un premier pas vers une infrastructure de résorption de la dette de réparation
(1) Les MNR, un problème emblématique

L'origine des oeuvres dites MNR est à trouver dans les sélections opérées par la commission des choix évoquée plus haut.

Ces oeuvres, sous la responsabilité juridique du ministère des Affaires Étrangères, sont confiées à la garde des musées nationaux dans l'attente de leur restitution.

Cette attente est restée durablement déçue.

Au demeurant, les suites données aux informations qu'a souhaité réunir votre rapporteur spécial témoignent de l'accumulation de difficultés auxquelles on ne se serait pas attendu s'agissant d'un fonds si sensible.

Ainsi, votre rapporteur spécial ayant souhaité disposer d'un inventaire détaillé des « MNR » avec l'indication des institutions dépositaires des oeuvres, la réponse fournie présente de réels motifs d'inquiétude.

Elle a consisté essentiellement dans la transmission d'une liste (voir ci-dessous) comportant des informations très limitées avec l'avertissement liminaire suivant: « Le sigle MNR désigne l'ensemble des 2 181 oeuvres, mais constitue également le préfixe des numéros d'inventaire des seules peintures anciennes confiées au département des Peintures du Louvre, soit 1025. Chaque type de collection possède un préfixe spécifique, il y en 13 en tout. Dans la liste suivante le chiffre entre parenthèses indique le nombre d'oeuvres portant le sigle » .

Inventaire des « MNR » transmis à votre rapporteur spécial

SIGLE MUSEE RESPONSABLE TYPE DES COLLECTIONS

ER (8)

Louvre, département des Antiquités égyptiennes

Antiquités égyptiennes

AGRR (14)

Louvre, département des Antiquités grecques et romaines

Antiquités gréco-romaines

AOR (29)

Louvre, département des Antiquités orientales

Antiquités orientales

REC (180)

Louvre, département des Arts graphiques

Arts graphiques anciens

OAR (647)

Louvre, département des Objets d'art

Objets d'art anciens

MNR (1025)

Louvre, département des Peintures

Peintures anciennes et XIX e siècle

RFR (69)

Louvre, département des Sculptures

Sculptures anciennes

MM (1)

Musée du château de Malmaison

Souvenirs napoléoniens

R x P* (28)

Musée national d'Art moderne

Peintures modernes

R x OA* (1)

Musée national d'Art moderne

Objets d'art modernes

R x D* (11)

Musée national d'Art moderne

Dessins modernes

R x S* (14)

Musée national d'Art moderne

Sculptures modernes

MCSR (154)

Sèvres, musée national de la Céramique

Céramiques

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Les détails d'inventaire sollicités par votre rapporteur spécial sur ces oeuvres ne lui pas été fournis au motif, pour le moins étonnant que le service des Musées de France indique qu'il n'existe pas d'inventaire détaillé des MNR dans la mesure où chaque conservation a ouvert un registre d'inventaire propre, MNR, RFR, REC, OAR, etc.

Outre qu'on se serait attendu que l'attention que méritent les MNR se soit traduite par une rationalisation des inventaires, il est déconcertant d'observer que le service des Musées de France, qui semble parfaitement conscient des enjeux, puisse se déclarer bloqué par la dispersion des choix des conservations.

Au demeurant, après quelque insistance, il est apparu qu'au fil d'opérations d'inventaires, un nombre non négligeable de MNR étaient tout simplement portées disparues (voir l'annexe n°3). Cette situation appelle des enquêtes systématiques.

Recommandation n°14 : réaliser les enquêtes systématiques qu'appelle la disparition non élucidée d'un certain nombre de MNR. En particulier, confier, en ce sens, une mission commune à l'inspection générale des affaires étrangères et à l'inspection générale des affaires culturelles dans la perspective d'établir un rapport remis au Parlement sur ces disparitions.

Dans ces conditions, si l'on peut prendre acte des progrès allégués dans la présentation des oeuvres, à travers le site Rose-Valland Musées Nationaux Récupération, l'exhaustivité des présentations peut être l'objet d'interrogations.

En outre, la visibilité des oeuvres MNR, qui, du fait de ses enjeux pour les restitutions, a fait l'objet d'instructions ministérielles, parfois excellente, comme c'est les cas au musée d'Angers par exemple, doit être considérée comme très perfectible.

S'agissant du site mentionné, les notices d'oeuvres devraient toutes présenter les informations nécessaires (photographies de face et de revers, historique détaillé), ce qui est très loin d'être le cas.

Il en va de même pour les cartels accompagnant l'exposition des oeuvres censés exposer la situation de ces oeuvres. Même améliorés, ils ne pourraient, en toute hypothèse, compter que des informations insuffisantes, d'emblée handicapées par l'absence de tout effort significatif de recherche de provenance pendant une trop longue durée.

Ce déficit de recherche, malgré les claires recommandations de la mission Mattéoli, doit être particulièrement déploré, compte tenu des exigences de justice auxquelles celles-ci répondaient. Il faut ajouter qu'il témoigne d'une grave négligence envers le respect de nos engagements internationaux à laquelle il convient de remédier dans les meilleurs délais.

Recommandation n° 15 : confier à l'inspection générale des affaires culturelles une mission visant à analyser les recherches de provenance réalisées sur les MNR, leurs résultats et les limites sur lesquelles elles ont pu buter, et à identifier les moyens d'une recherche de provenance systématique des oeuvres des collections publiques.

(2) Le groupe de travail sur les MNR, malgré des résultats très perfectibles, une utile préfiguration pour une CIVS rénovée

Face au faible bilan des restitutions de MNR, dont c'est pourtant la vocation, la création par la ministre de la culture d'alors, Mme Aurélie Filippetti d'un groupe de travail devant approfondir la connaissance de la provenance de ces oeuvres a prolongé les travaux déjà cités du Sénat.

La consultation des rapports de ce groupe de travail présidé par une rapporteure auprès de la CIVS, France Legueltel, que votre rapporteur spécial a auditionnée avec un grand profit, et composé de conservateurs, de membres des musées de France, de membres de la CIVS, des Archives nationales ou du ministère des Affaires étrangères sous le contrôle d'un comité de pilotage, également pluridisciplinaire, conduit à mettre en évidence l'utilité de la démarche, mais également ses limites.

Observation n° 40 : la création du groupe de travail sur les MNR, pour avoir abouti à des résultats encore trop limités, a apporté la démonstration de l'utilité d'une démarche de réparation plus active.

Certains progrès ont pu intervenir : 46 oeuvres ont été analysées comme ne provenant pas de spoliations, tandis que pour 52 oeuvres le propriétaire spolié a été identifié.

Néanmoins, le rythme des identifications est faible si l'on considère l'ampleur du stock, d'assez nombreuses recherches étant restées infructueuses.

Les moyens consacrés à ces recherches sont manifestement insuffisants.

En ce qui concerne le service des musées de France, il indique mobiliser 3 emplois à temps plein à cette tâche.

Votre rapporteur spécial s'est rendu au musée du Louvre afin de mesurer l'action du département des peintures de ce musée de premier plan dans la mesure où il est dépositaire de 296 peintures MNR.

Il a pu constater que les moyens et les actions entreprises étaient très loin d'être en adéquation avec l'ampleur des enjeux. Malgré sa haute qualité professionnelle, il est plus que douteux que le seul conservateur chargé d'étudier la provenance des MNR gérés par le musée soit réellement à même dans le temps très partiel consacré à cette tâche de progresser comme il faudrait.

Enfin, il existe une distance entre l'aboutissement de recherches de provenance et les restitutions. Or, il n'entre pas dans les attributions du groupe de travail d'assurer la recherche effective des ayants-droit.

Ainsi, plutôt qu'une solution aux problèmes persistants de réparation des spoliations artistiques, le groupe de travail sur les MNR semble davantage offrir une préfiguration vers une infrastructure plus satisfaisante au service de la réparation des spoliations artistiques, mission dont l'ampleur dépasse très largement les seules oeuvres MNR.

En particulier, l'introduction d'une démarche réellement active semble en mesure de contribuer à des progrès significatifs qui seraient sans doute démultipliés par l'instauration d`un contexte facilitant, tant au plan interne qu'à l'échelon international.

2. Pour une « CIVS augmentée » et l'instauration d'un contexte facilitant la mission d'apurement de la dette de réparation rémanente

L'actualité montre assez que les spoliations suscitent un besoin inextinguible de réparation.

Ce besoin accède au rang de devoir lorsque les spoliations envisagées, comme c'est le cas de celles prises en charge par la CIVS, ont été l'une des manifestations d'une entreprise génocidaire inscrite parmi les plus graves crimes contre l'humanité reconnus comme tels par la communauté des Nations.

Alors, l'inaction est interdite.

À l'heure du proche anniversaire de la déclaration regroupant les « principes de Washington applicables aux oeuvres d'art confisquées par les nazis » , il faut fortement recommander que la France s'attache à ce que les États signataires, rejoints par d'autres États, réactualise au sein de la communauté internationale, un devoir de restitution qui reste à satisfaire.

Sur ce dernier point, votre rapporteur spécial relève qu'alors qu'il s'apprêtait à présenter son rapport à la commission des finances du Sénat, le Président des États-Unis a signé une loi adoptée par le Congrès des États-Unis consacrant la responsabilité des 47 États européens signataires de la Déclaration de Terezin (voir ci-dessous) et chargeant le département d'État de faire rapport sur les résultats obtenus par ces États.

Le bilan de la CIVS et des difficultés auxquelles se heurte son indispensable et précieuse mission dessinent un plan de rénovation devant conduire une « CIVS augmentée » à bénéficier d'un environnement facilitant l'accomplissement de sa mission.

a) Conforter institutionnellement la CIVS

Malgré la qualité du travail accompli, la CIVS se trouve freinée au regard des enjeux de réparation tels qu'ils ont été mis à jour par les progrès de la connaissance sur la dette de réparation, par les conditions de sa saisine.

(1) Étendre la mission de la CIVS

Si la réparation individuelle a été au coeur des problématiques de réparation et mérite une place primordiale, la perception du problème a changé dans le sens de la consécration d'un devoir plus général de réparation, qui ne peut admettre la persistance de situations troubles et que les engagements internationaux pris par la France traduisent largement.

Cette prise de conscience doit être accompagnée de la définition d'une mission élargie à l'apurement de la dette rémanente de réparation.

(2) Diversifier les saisines

Il faut donc désormais créer les moyens d'une recherche plus autonome des voies et moyens de la résorption de la dette de réparation, qui, sans négliger en rien la perspective de réparations individuelles, puissent précéder toute saisine par leurs bénéficiaires finaux.

Il convient dans cette perspective d'ouvrir à la CIVS une faculté d'autosaisine, assortie de l'ouverture de sa saisine aux associations, qui d'ores et déjà, peuvent assister les demandeurs lors de leurs démarches auprès de la commission.

(3) Instaurer un collège de sages

L'instauration en son sein d'un collège regroupant des personnes qualifiées par leurs fonctions et par leur autorité morale auprès du Président de la commission et de son rapporteur général permettrait de conforter la commission dans l'exercice d'une mission élargie.

Recommandation n° 16 : étendre la mission de la CIVS à la recherche active des éléments de la dette de réparation rémanente, diversifier ses saisines et l'accompagner par l'instauration d'un collège de sages.

b) Créer un contexte facilitant

Une « CIVS augmentée » devrait également pouvoir compter sur l'instauration d'un contexte favorisant le bon accomplissement de ses missions.

Il faut créer les conditions d'une intensification de l'action d'identification des spoliations non réparées, en améliorant la portée des devoirs de vigilance des intervenants et en élargissant les possibilités et les réalisations des indispensables travaux historiques.

(1) Renforcer les procédures susceptibles de favoriser l'identification des spoliations non réparées

En premier lieu, les grandes parties prenantes, musées publics ou non, grandes collections privées, marchands d'art, commissaires-priseurs, maisons de vente, devraient faire les efforts nécessaires pour mieux connaître leurs oeuvres au regard d'une éventuelle origine spoliatrice.

Ce devoir serait étendu à tous les professionnels et apparentés susceptibles de se trouver à la tête d'un patrimoine ayant pu faire l'objet de spoliations.

Il s'agirait tout simplement d'appliquer aux professionnels, en incluant les personnes privées, qui, par l'importance de leur patrimoine artistique peuvent leur être apparentées, le principe qui prévaut dans le secteur financier d'une connaissance du client (« Know your customer »), en l'adaptant à la nature des biens pouvant être soupçonnés de spoliation rémanentes. Dans le domaine des objets d'art et de culture, cette règle pourrait s'énoncer sous la forme d'un principe de « Know your art » appliqué aux personnes pouvant être considérées comme des professionnels.

Ce principe serait décliné par l'adoption d'une obligation de vigilance à l'égard de l'éventuelle origine spoliatrice des actifs détenus par des personnes supposées du fait de leur qualité être en mesure d'assumer cette responsabilité.

Recommandation n° 17 : mettre à la charge des personnes au profil professionnel ou quasi-professionnel une obligation de vigilance portant sur les actifs acquis ou détenus par eux au regard d'une éventuelle origine spoliatrice de ces actifs.

Une déclinaison pratique de ce principe consisterait d'abord en la mise en oeuvre d'un travail de détection systématique des objets d'art et de culture, incluant les livres, susceptibles d'avoir été intégrés aux collections publiques. Cette analyse, qui étendrait le travail en cours sur les MNR à l'ensemble des oeuvres susceptibles d'avoir connu une spoliation antisémite n'a jamais été réalisée alors même que la probabilité que des oeuvres alors spoliées soient entrées dans les collections publiques semble forte voire totale, pour les certaines oeuvres (les livres, en particulier).

Recommandation n° 18 : procéder aux vérifications qu'impose la probabilité que des objets d'art et de culture d'origine spoliatrice figurent dans les collections publiques.

Incidemment, c'est l'occasion de souhaiter également que les dispositions pouvant faire obstacle à la sortie du patrimoine public d'objets intégrés aux collections publiques puissent être assouplies dans le sens d'une réparation adéquate, qu'il s'agisse d'une restitution ou de toute autre destination.

Recommandation n° 19 : assouplir les règles s'opposant à la sortie du patrimoine public des objets spoliés quelle que soit leur destination.

Une deuxième déclinaison du principe consisterait à inscrire dans notre droit une obligation de signalement correspondant à des soupçons d'origine spoliatrice relatifs à des situations pouvant impliquer tout actif, sur le modèle des obligations prévues dans le cadre de régulations existantes (voir ci-dessous). L'élaboration d'une telle obligation devra envisager l'ensemble des champs de la spoliation rémanente.

Recommandation n° 20 : instituer une obligation de signalement dans le cadre d'une procédure de déclaration de soupçon adaptée aux problèmes particuliers posés par l'identification des biens spoliés susceptibles d'entrer dans le champ de la dette de réparation subsistante. Désigner la CIVS comme destinataire de ces déclarations de soupçon.

Des obligations analogues sont prévues afin de favoriser le travail de certains régulateurs ou de services de détection. Elles diffèrent de l'obligation générale posée par l'article du code de procédure pénale dans la mesure où ce dernier est plus limitatif. Le dispositif proposé serait, pour l'essentiel, décalqué du dispositif TRACFIN 78 ( * ) .

On relève, cependant, que les opérateurs de ventes volontaires sont, d'ores et déjà, astreints à vérifier la provenance des biens reçus en mandat. Cette obligation fait partie des règles au respect desquelles le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV) doit veiller, les manquements pouvant faire l'objet de sanctions disciplinaires.

Le Conseil a d'ailleurs élaboré en coopération avec la CIVS un livret rappelant et précisant les obligations déontologiques des intervenants 79 ( * ) . Cependant, l'action du Conseil paraît limitée par le peu de prise dont il dispose sur les activités des professionnels lorsque celles-ci s'exercent en dehors des ventes publiques, sur le marché du gré à gré qui leur a été ouvert par la loi n° 2011-850 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques du 20 juillet 2011.

Par ailleurs, celle-ci qui a conforté l'obligation faite à tout vendeur de tenir un livre de police recensant les objets pris en charge et leur provenance, semble n'avoir pas encore été suivie des textes réglementaires appelés à préciser cette dernière obligation. Dans ces conditions, cet instrument de traçabilité peut n'avoir pas la portée pratique souhaitable. Les services de police chargés de la lutte contre les trafics illicites d'oeuvres d'art et de culture paraissent relever des défaillances et leur mission n'est pas facilitée par l'état de registres qui ne présentent pas nécessairement de photographies des oeuvres.

En outre, les moyens du CVV sont particulièrement comptés puisque celui-ci ne dispose que d'un effectif de 11 personnes.

En somme, il lui est difficile d'accomplir sa mission si bien qu'en l'état le CVV, ainsi que les forces de police, dont les moyens sont également très réduits, ne peuvent évidemment pas garantir que les professionnels exercent toutes les diligences qu'il conviendrait.

L'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) dispose d'un effectif de 26 personnes, éventuellement relayés sur le territoire par les SRPJ, pour répondre aux sollicitations des services judiciaires et accomplir l'indispensable mission de détection. C'est fort peu alors que ce service est susceptible d'apporter une contribution importante à la moralisation de certaines pratiques, et pourrait présenter une forte utilité pour apurer la dette de spoliations antisémites qui demeure.

En particulier, l'office tient une base de données photographiques réunissant 100 000 objets volés (base de données TREIMA) accessible aux services des douanes et du ministère de la culture. Les liens avec la CIVS mériteraient d'être renforcés puisqu'apparemment hors des contacts informels avec le service de documentation, un seul dossier, porté devant la justice, a fait l'objet d'un contact approfondi.

Recommandation n° 21 : veiller à la complète application de la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et réunir les conditions d'une action pleinement efficace du Conseil des ventes volontaires (CVV). Renforcer les moyens de détection des services de l'Office Central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) et mieux formaliser les relations entre ces organismes. Faire une analyse de la base de données TREIMA au regard de la problématique des spoliations antisémites.

Or, les conditions dans lesquelles ceux-ci satisfont à l'obligation de signalement qui leur est faite dans le cadre de la procédure TRACFIN, qui, bien que spécialisée dans son objet, vient redoubler, du moins en théorie, la portée pratique des règles visant à purger les oeuvres dont ils sont saisis de tout soupçon de provenance, ou de destination, illicites ne suggèrent pas l'application d'un zèle excessif de leur part.

Dans ces conditions, la recommandation tendant à instaurer une obligation de signalement à la CIVS des objets d'art et de culture pouvant au terme de l'application de règles de vigilance renforcées et élargies à d'autres intervenants qu'à ceux actuellement visés, devra profiter de la nécessaire mise à niveau des moyens confiés aux régulateurs de s'assurer du respect des vigilances ainsi imposées.

(2) Renforcer les analyses historiques et les favoriser en ouvrant l'accès aux archives

Sans que les objets d'art et de culture soient l'objet exclusif de cette recommandation, qui pourrait utilement concerner les domaines encore insuffisamment explorés de la spoliation rémanente mentionnés dans le présent rapport, il conviendrait d'amplifier drastiquement les études de recherche de provenance.

Cette recommandation a plusieurs implications.

Il convient, en premier lieu, de favoriser une bonne exploitation des archives.

Le rapport d'activité de l'année 2015 de la CIVS comporte un dossier consacré aux enjeux que représentent les archives pour l'activité de la commission.

Sa lecture se révèle instructive non seulement par les informations factuelles qu'il contient mais encore, en creux, du fait du point de vue qui y prédomine.

Sur le premier point, le panorama d'une très grande dispersion des fonds d'archives pertinents s'impose, les différentes composantes de la spoliation se retrouvant éclatées en un très grand nombre de sources d'archives, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de fonds publics ou privés. Cette absence d'unité au niveau national ne favorise pas l'accessibilité à des archives dont la seule identification du contenu peut parfois demeurer très insuffisante (les archives ne sont pas toujours classées) et dont l'état de numérisation est plus ou moins avancé.

Il conviendrait de créer un fonds d'archives consacré à la spoliation.

Recommandation n° 22 : créer un fonds d'archives spécialement dédié aux spoliations antisémites.

À l'évidence, un problème de qualité des archives se pose et avec lui une limite à l'efficacité de la CIVS.

À ce sujet, on relève, avec un certain étonnement, que la CIVS a dû financer des travaux de numérisation intéressant, qui plus est des archives étrangères.

« En accord avec le centre des Archives du Land de Berlin, la CIVS a pris l'initiative, à l'automne 2015, de financer sur ses crédits propres la numérisation du " fichier France80 ( * ) "... ».

Il est juste d'indiquer que cette initiative fut motivée par la préoccupation de pouvoir consulter ledit fichier à distance. Néanmoins, outre que, techniquement, la seule consultation de ce fichier n'est pas suffisante au vu de ses spécificités et doit être complétée par celle du « fichier général » des Archives de Berlin, circonstance qui justifie l'existence d'une antenne de la CIVS dans la capitale allemande, il demeure étonnant que les autorités de ce pays n'aient pas cru bon de financer sur leurs ressources la numérisation d'un fonds d'archives dont le contenu leur est historiquement imputable.

La réponse apportée au questionnaire de votre rapporteur spécial offre une synthèse éclairante de difficultés ici relevées.

« Dans la mesure où, comme énoncé plus haut, les documents d'archives sont essentiels pour l'instruction des dossiers, la dispersion des ressources documentaires peut constituer un autre obstacle. En effet, dans certains cas les fonds d'archives ne sont pas consultables (en cours de numérisation par exemple), ou non encore classés..." .

L'état des archives françaises mériterait de solides investissements pour qu'elles puissent satisfaire à l'oeuvre de réparation et de mémoire.

La mise en état des archives est un élément fondamental de la réparation. Le groupe de travail sur les MNR dans son premier rapport a ainsi pu recommander l'extension du travail archivistique tandis que dans son rapport de 2017 il a particulièrement salué saluer le travail entrepris à l'institut national de l'histoire de l'art (INHA) pour numériser et océriser la copie de 22 760 catalogues de ventes couvrant la période de 1914 à 1950.

Ce travail doit être prolongé.

Recommandation n° 23 : améliorer drastiquement l'état des archives portant sur les spoliations et les différentes étapes de l'action de réparation.

L'amélioration des archives pourrait permettre de résorber les délais pris par certains services d'archives pour apporter des réponses utiles aux demandes de la CIVS. Le rapport de la commission prolonge le sentiment d'une très grande variabilité des réponses reçues par la commission de la part des différents services qui, au fil des rapports d'activité annuels de celle-ci, était apparue avec netteté.

Si la commission souligne que, depuis sa création, les délais et la qualité des réponses transmises par la Préfecture de police de Paris lui ont offert pleine satisfaction, il n'en va pas de même en ce qui concerne les archives diplomatiques qui ne sont pas en mesure de « répondre dans des délais compatibles avec l'exigence de réparation rapide des préjudices subis par les victimes » .

Recommandation n ° 24 : sensibiliser par tout moyen pertinent les services d'archives à l'impératif d'un traitement prompt et complet des demandes de la CIVS.

Les développements consacrés par le rapport de la CIVS aux enjeux que représentent pour elles les fonds d'archives présentent, en outre, un témoignage intéressant sur les limites de l'action de la CIVS, et, finalement, sur le peu d'impact que celle-ci, sans que cela lui soit réellement imputable, a pu avoir sur l'exploitation des archives pertinentes.

Au-delà de la qualité des archives et du traitement des demandes de la CIVS par les services sollicités, la mobilisation des archives, leur exploitation ne sont pas à la hauteur de l'impératif de réparation et l'institution de la CIVS n'a pas débouché sur une amélioration suffisamment significative.

La réponse adressée à une question de votre rapporteur spécial sur la même thématique, très analogue au rapport cité, offre un résumé de la pratique des archives par la commission. Elle est largement reproduite dans l'encadré ci-dessous.

La pratique des archives par la CIVS

La CIVS dispose de trois antennes au sein de centres d'archives :

- la CIVS aux Archives de Paris : dès 2000, une antenne de la CIVS a été créée aux Archives de Paris. Les principaux fonds exploités sont ceux des dommages de guerre, des registres du commerce, des métiers, des statuts des sociétés et des ordonnances de restitution ;

- la CIVS aux Archives nationales : l'antenne de la CIVS aux Archives nationales a été mise en place en février 2000. L'antenne travaille principalement sur les fonds AJ38 (Commissariat général aux questions juives et Service de Restitution des biens des victimes des lois et mesures de spoliation). Le 15 décembre 2015, la CIVS et les Archives nationales ont passé une convention de coopération qui formalise le soutien apporté par les Archives nationales à l'antenne de la Commission. La convention passée avec les Archives nationales permet à l'antenne de la CIVS d'exploiter de nouveaux fonds : les archives des Musées Nationaux et les fonds AJ40 (archives allemandes), Z6 (cour de justice et épuration après-guerre) et F21 (archives du commerce et de l'industrie). L'antenne des Archives nationales est également chargée de coordonner les réponses des archives départementales. Depuis une circulaire de 2001 du ministère de la Culture aux préfets et aux conseils généraux, l'accès aux archives départementales est facilité pour la CIVS ;

- la CIVS à Berlin : la CIVS dispose d'une antenne à Berlin, mise en place dès le début des travaux de la Commission en 1999. Elle est principalement chargée d'identifier d'éventuelles demandes d'indemnisation déposées auprès des autorités allemandes au titre de la loi fédérale de restitution de 1957, la Bundesrückerstattungsgesetz , dite loi BRüG .

Elle interroge également plusieurs centres d'archives :

- les archives diplomatiques : pour l'instruction des requêtes qui lui sont adressées, la CIVS sollicite la direction des archives du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (ou « archives diplomatiques ») qui conserve notamment les fonds d'archives des services français de récupération artistique. Les fonds principalement consultés sont ceux de l'Office des biens et intérêts privés (OBIP) et de la Commission de récupération artistique (CRA). En avril 2016 , la CIVS et les archives diplomatiques ont signé une convention pour faire progresser les modalités de leur coopération ;

- la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) : la CDC apporte son concours aux travaux de la CIVS depuis sa création en 1999. Sous le régime de Vichy, la Caisse des dépôts et consignations a reçu une part importante des sommes provenant des spoliations des personnes juives ;

- le Service de la Mémoire et des Affaires culturelles (SMAC) de la Préfecture de Police. Les archives de la Préfecture de Police sont composées de dossiers produits par ses différents services dans le cadre de leurs attributions réglementaires. Les fonds de ce service sont particulièrement pertinents pour l'instruction des dossiers déposés à la Commission. Par exemple, le SMAC conserve les archives comptables du camp de Drancy. Des recherches sont aussi effectuées dans les archives du Cabinet du Préfet, ou dans celles des renseignements généraux ;

- le Service des Musées de France (SMF) : dès 2000, le service de recherches de la CIVS a travaillé en collaboration avec la direction des Musées de France. Ce n'est qu'en 2008 qu'une cellule dédiée à la question des oeuvres d'art spoliées a été créée au sein de la direction générale des patrimoines . Le service des musées de France s'est vu confier la gestion des collections des musées et la sous-direction des collections gère, entre autres, la question du devenir des oeuvres Musées Nationaux Récupération (MNR) et répond aux sollicitations du service des Biens culturels mobiliers de la CIVS ;

- le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) : le CDJC constitue la matrice du Mémorial de la Shoah. La volonté de documenter le génocide des Juifs d'Europe qui animait les fondateurs du CDJC pendant la guerre est aujourd'hui l'une des principales missions du Mémorial de la Shoah qui est à la fois un musée, un centre de documentation et un Mémorial ;

- l'institut hébraïque de Jérusalem : cette université a été ouverte en 1925. Elle conserve les archives du FSJU. La CIVS consulte une liste issue des archives Mattéoli qui recense tous les dossiers pour lesquels le FSJU a été mandaté dans le cadre de la loi Brüg ;

- les archives bancaires : s'agissant des recherches relatives aux spoliations bancaires, l'AFECEI, outre sa qualité de contributeur financier, a participé à la mise en place d'un réseau d'échange entre l'antenne bancaire de la CIVS et les services des Archives historiques des établissements bancaires couvrant les 160 banques en activité sous l'Occupation répertoriées par la mission Mattéoli. Ces services dédiés aux Archives historiques des établissements financiers - parmi lesquels il convient de citer les principaux : les services des groupes La Poste, Crédit Agricole S.A, Société Générale, BNP Paribas, CIC, HSBC et la Banque de France - recueillent une documentation qui éclaire sur le processus de mise en oeuvre des spoliations et qui donne à la Commission un éclairage complémentaire pour statuer sur la réparation.

Des ressources en ligne sont également consultées : le catalogue des oeuvres spoliées par l'ERR passées par le Jeu de Paume à Paris ( http://www.errproject.org/jeudepaume ) ; le Répertoire des Biens Spoliés ( http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-rbs.htm ) ; le site Rose-Valland - Musées Nationaux Récupération ( http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/pres.htm ) qui comporte le répertoire des MNR en dépôt dans les musées français ainsi qu'une documentation historique ; le site Lostart ( http://www.lostart.de/Webs/EN/Datenbank/SucheDetail.html ), base de recherches concernant les objets disparus en Allemagne (pour certaines rubriques, il fournit également des informations concernant l'Autriche, le Luxembourg, la Finlande et l'Ukraine) ; le site Fold3 ( https://www.fold3.com/browse/115/ ), constitué en partenariat avec les Archives Nationales américaines, il rassemble les dossiers importants concernant les biens spoliés, les camps de concentration et les procès de Nuremberg ; le site DHM LINZ ( http://www.dhm.de/datenbank/linzdb/indexe.html ) concernant le Führermuseum , projet de musée gigantesque situé à Linz (Autriche) et imaginé par Adolf Hitler pour accueillir les plus grandes oeuvres dites de l'art véritable, par opposition à l'art dégénéré de la modernité, cette base de données comprend de nombreuses photographies ; le site du Central Collecting Point de Munich - CCP MUNICH ( http://www.dhm.de/datenbank/ccp/dhm_ccp.php?seite =), dépôt utilisé par le Monuments, Fine Arts and Archives program après la fin de la Seconde guerre mondiale pour traiter, photographier et restituer aux pays d'origine les oeuvres d'art et objets culturels ayant été confisqués par les nazis et cachés à travers l'Allemagne et en Autriche. Cette base de données rassemble les property cards (fiches indiquant les mentions de provenance connues lors du passage au Collecting Point) et les photographies des oeuvres passées par le Collecting Point de Munich ; le site du Yad Vashem ( http://www.yadvashem.org ).

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Le statut des archives devrait également évoluer pour favoriser l'oeuvre de résorption de la dette de réparation. Lors des travaux de la mission Mattéoli, certaines archives privées ont été rendues accessibles aux chercheurs. Le résultat a pu être décevant dans la mesure où des archives avaient disparu, ou n'avaient pas été tenues. Le risque existe que cette situation ne se soit encore détériorée. Cependant, l'accès aux archives privées quand il a été possible a permis des avancées très appréciables dans le champ des connaissances sur les spoliations et les réparations. Au demeurant, le groupe de travail sur les provenances des oeuvres MNR avait souligné tout l'intérêt d'un accès étendu aux archives privées , « notamment de galeries et de marchands d'art actifs sous l'Occupation ou auteurs de catalogues raisonnés.. », regrettant qu'elles restent souvent inaccessibles .

Recommandation n° 25 : sensibiliser les organismes privés à la communication de leurs archives lorsqu'elle est jugée nécessaire à l'accomplissement de la mission de réparation des spoliations antisémites rémanentes et doter la CIVS d'un droit de communication de ces archives ainsi que des archives publiques

Ces recommandations dans leur esprit trouvent également à s'appliquer aux travaux historiques sur les circuits de la spoliation et des réparations.

Il convient de les encourager, en aidant, par exemple, les travaux sur le marché de l'art en ses liens avec la problématique sous revue, ou sur les opérations immobilières et les reliquats de l'aryanisation.

Recommandation n° 26 : favoriser les travaux historiques destinés à mieux appréhender les circuits de la spoliation et des réparations.

c) Un devoir de réparation à élever au niveau international qui est celui de la dette rémanente de réparation

Les spoliations commises dans la mouvance de la Seconde guerre mondiale l'ont été dans un cadre largement international, en particulier pour les objets mobiliers, parmi lesquels les objets d'art et de culture.

Les circuits de la spoliation ont traversé les frontières, pas ceux de la réparation, pour lesquels la dimension internationale a été épisodique (à la fin du conflit armée), tardif (à la fin des années 1990) et trop faiblement organisée (jusqu'à nos jours).

L'hypothèse, robuste, d'un « musée disparu » dispersé dans le monde suffît à justifier que le devoir de réparation trouve un meilleur ancrage dans une internationalisation plus intégrée de l'action de réparation, qui doit, au premier chef, être orientée vers la restitution des objets distraits, mais doit également envisager les autres dimensions des spoliations antisémites rémanentes.

La France devrait porter cette ambition sur la scène internationale dans le prolongement de la mise en oeuvre des mesures visant à renforcer nos dispositifs internes exposées ci-dessus.

(1) Un droit conventionnel international en développement, mais qui présente des limites

La Washington Conference on Holocaust-Era Assets , réunissant de novembre à décembre 1998 quarante-quatre pays (dont la France) et treize organisations non gouvernementales a posé le principe que tous les pays doivent s'efforcer d'ouvrir leurs archives et de simplifier les recherches, que les biens culturels confisqués par les nazis doivent être signalés, que l'exigence d'apport de preuves doit tenir compte des circonstances historiques, qu'une solution juste et équitable doit être trouvée rapidement lorsqu'une oeuvre d'art est reconnue comme spoliée.

En juin 2009, la Prague Holocaust Era Assets Conference aboutit à la Déclaration dite de Terezin au terme de laquelle les signataires s'engagent à poursuivre la réparation des spoliations 81 ( * ) .

(2) Des limites qu'il convient de surmonter

Le droit international développé dans le domaine des spoliations et des restitutions relève de la soft law , d'un droit souple ou mou, selon le point de vue privilégié, en tout cas d'un droit reposant davantage sur l'influence que susceptible de recourir à la force des sanctions , mais, plus encore, d'un droit dont la portée pratique se trouve suspendue à des décisions individuelles sur lesquelles il n'a pas de prise et qu'il doit se résoudre à ne faire qu'influencer.

Cette limite a pu s'illustrer particulièrement dans le domaine de la restitution des objets d'art et de culture lorsque des États ont pu adopter des législations anti-saisies afin d'éviter que des oeuvres prêtées pour l'organisation d'expositions puissent se trouver bloquer à la suite de réclamations en revendication. Par ailleurs, les infractions permettant de rechercher des biens volés sont loin d'être définies avec homogénéité, ce qui peut faire obstacle à la mise en oeuvre effective du vecteur de la coopération judiciaire international. En particulier, alors que le recel semble être l'infraction par laquelle les recherches judiciaires concernant des biens spoliés peuvent passer préférentiellement, certains pays ne reconnaissent pas cette infraction.

La faible portée pratique du droit international se manifeste également par la faible coordination des engagements des États par un droit auquel manque la force de l'exécution, et, finalement, la portée de l'influence.

Aucune instrumentation systématique des objectifs partagés par les États liés par le droit international n'a été organisée.

À titre d'exemples, peuvent être mentionnées l'absence de toute instance d'évaluation des performances des engagements des États et la possibilité d'une absolue hétérogénéité des mesures prises pour respecter les engagements pris. On mentionnera, en particulier, que les mesures de contrôle adoptées par les États sur le fonctionnement du marché de l'art au regard du devoir de signalement des oeuvres de provenance douteuse ne font l'objet que d'un encadrement très précaire. C'est l'incoordination qui prévaut.

Plus empiriquement, il semble que, dans l'affaire Gurlitt, des retards importants dans l'information communiquée aux parties intéressées aient pu suivre la découverte des possessions, pourtant très suspectes, de plus de 1 250 oeuvres dissimulées à Munich.

Il convient de renforcer l'action coordonnée des États afin de résorber une dette de réparation dont la résorption se heurte à un défaut d'animation unifiée des actions visant à assurer le respect des principes adoptés par les Nations.

La loi bipartisane récemment adoptée par le Congrès des États-Unis, à l'initiative, notamment, de deux sénateurs, l'un démocrate, M. Tammy Baldwin du Wisconsin, l'autre républicain, M. Marco Rubio de Floride manie un instrument dont il apparaît nécessaire que la France se dote, l'évaluation systématique des efforts et des résultats entrepris pas les États signataires de la déclaration de Terezin pour mettre en oeuvre ses principes.

Votre rapporteur spécial ne doute pas que la France coopérera pleinement au rapport demandé au département d'État et il souhaite que la France puisse disposer d'un document analogue.

Recommandation n° 27 : le Gouvernement devrait présenter un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre par chaque signataire des principes adoptés par les États signataires de l'accord de Washington et des déclarations subséquentes.

Par ailleurs, d'ores et déjà, il convient de donner davantage de portée opérationnelle à l'édifice des engagements internationaux pris en ce domaine.

La communauté internationale dispose en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme d'un organe de coordination, le Groupe d'action financière (GAFI), qui pourrait servir de modèle à une institutionnalisation de la lutte contre les spoliations antisémites rémanentes.

Recommandation n° 28 : le Gouvernement devrait prendre l'initiative de la création d'un organe permanent de coopération internationale de résolution des spoliations antisémites permanentes sur le modèle du Groupe d'action international (GAFI) destiné à renforcer par une coopération effective les conditions d'une réparation complète des spoliations. Il pourrait être institué autour des États signataires des Principes de Washington et de la Déclaration de Terezin.

L'une des dimensions du GAFI est d'élaborer des normes de conformité dans le domaine qui est le sien, la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et de veiller à ce que les États mettent en oeuvre les dispositifs correspondants.

Nul doute que la réparation des spoliations rémanentes gagnerait à l'existence d'une organisation analogue, les principes affirmés par les États manquant à ce jour d'une déclinaison opérationnelle suffisante et des instruments visant à en garantir la pleine application.

Par ailleurs, il existe des organes de coopération policière et judiciaire (Europol, Interpol), qui peuvent, d'ailleurs, d'ores et déjà intervenir dans le domaine des objets d'art et de culture en favorisant les échanges d'informations et de renseignements, notamment par des bases de données appelées apparemment à être renforcées (Interpol) ou qui mériteraient de l'être (Europol). Plus généralement, comme toujours, il convient de s'assurer que la coopération internationale dans ces domaines fonctionne correctement et identifier les points de friction. À cet égard, l'institutionnalisation d'une coopération internationale fondée sur les principes du GAFI semble de nature à lever d'éventuels obstacles.

Recommandation n° 29 : s'assurer que la coopération judiciaire et policière internationale fonctionne correctement.

Enfin, l'action internationale gagnerait beaucoup à la contribution active des organisations non gouvernementales existantes.

Il convient tout particulièrement de mobiliser le conseil international des musées (ICOM) autour de la thématique des spoliations antisémites.

Recommandation n° 30 : associer les ONG représentatives aux missions mises en oeuvre au niveau international ; renouveler l'attention du Conseil international des musées (ICOM) aux problèmes de la spoliation rémanente.


* 75 Mission d'information sur les oeuvres d'art spoliées par les nazis ; Commission de la culture, de l'éducation et de la communication ; Sénat ; « OEuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives » ; Corinne Bouchoux.

* 76 Il s'agit de l'affaire Gurlitt.

* 77 Le rapport du groupe de travail daté de mars 2017 le reconnaît sans ambiguïtés en indiquant : « À cet égard, il rappelle que cette démarche active ne porte que sur un pan d'une spoliation par ailleurs beaucoup plus large (aryanisation des entreprises, spoliation financière).... »

* 78 Article L. 561-15 du code monétaire et financier.

* 79 On peut se référer utilement au Vademecum portant sur le traitement des biens culturels spoliés de juin 2017.

* 80 Le « fichier France » est l'un des deux fichiers tenus par le service des archives du Land de Berlin, à côté du « fichier général », utilisés pour réaliser des recherches sur les demandes d'indemnisation traitées dans le cadre de la loi BrüG, notamment dans la perspective d'identifier des indemnisations alors accordées par les autorités allemandes.

* 81 D'autres engagements internationaux ont pu être formalisés à l'occasion de sommets internationaux. Voir en particulier la Déclaration de Vilnius.

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