II. LA PARITÉ EN POLITIQUE : LES TERMES DU DÉBAT EN 2018

Par rapport aux doutes, voire à l'hostilité suscités par la parité lors de la révision constitutionnelle de 1999, le contexte de 2018 semble largement apaisé et plus personne ne conteste, semble-t-il, la féminisation de nos assemblées politiques .

Celle-ci semble toutefois demeurer, malgré ce changement d'attitude, subordonnée au maintien de la contrainte juridique .

Quant au débat sur le parcours politique des femmes, il s'est aujourd'hui déplacé de l'accès aux mandats , rendu moins difficile par les lois de parité, vers l'accès aux responsabilités , qui paraît désormais en retrait comparé aux avancées constatées en matière d'élection.

A. UNE PARITÉ ENTRÉE DANS LES MoeURS

1. Des lieux de pouvoir féminisés

Le Parlement aborde la présente révision constitutionnelle dans des dispositions très différentes du contexte des précédentes révisions de 1999 et 2008, notamment parce que les lieux de pouvoir, désormais largement féminisés, montrent que la parité a fait ses preuves .

Rappelons qu'au moment où la révision constitutionnelle de 1999 a été débattue, la place des femmes dans la vie politique était plus que modeste :

- 10,9 % de députées ;

- 5,9 % de sénatrices ;

- 24 % de conseillères régionales ;

- 21 % de conseillères municipales ;

- 7,6 % de femmes maires ;

- 7,9 % de conseillères générales.

Comme le faisait observer le rapport de la commission des lois du Sénat 63 ( * ) sur le projet de loi constitutionnelle :

- la France se situait en-deçà de la moyenne mondiale (établie à l'époque à 13 %) pour la féminisation de ses assemblées parlementaires ;

- elle était, avec l'Italie et la Grèce, le pays européen le plus mal classé au regard de la féminisation de son Parlement, à une date où l'on comptait déjà plus de 40 % de Suédoises députées, un tiers de femmes parlementaires au Danemark, aux Pays-Bas et en Finlande et un quart en Allemagne, en Autriche et en Espagne.

Comparée à la proportion élevée de femmes parmi les électeurs (53 %) , ces faibles pourcentages constituaient un paradoxe et une anomalie .

Par ailleurs, le rapport de la commission des lois du Sénat notait que l'on ne comptait alors dans notre pays qu'une présidente de conseil général et deux présidentes de conseil régional : à cet égard, la situation s'est améliorée, comme on le verra ci-après, mais dans des proportions qui demeurent insuffisantes.

Le contexte de 1999 explique que le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle de 1999, présenté par Catherine Tasca 64 ( * ) , ait qualifié la démocratie française d' « hémiplégique » en raison de ce que l'on pouvait percevoir à l'époque comme une exclusion des femmes de la représentation politique . On comprend aussi que la rapporteure se soit référée à la longue opposition du Parlement français au droit de vote des femmes, à l'époque de la III e République, et au difficile combat des militantes françaises du droit de vote des femmes, pour expliquer la persistance de préjugés tenaces à l'encontre de l'engagement des femmes en politique.

Depuis le débat de 1999, les progrès réalisés en France en matière d'accès aux mandats sont donc indéniables.

La contrainte législative a en effet montré sa capacité à féminiser les assemblées politiques ainsi que certaines responsabilités : le débat porte aujourd'hui davantage sur l'amélioration d'un dispositif qui a fait ses preuves que sur le dispositif lui-même . On mesure le chemin parcouru par rapport aux nombreuses contestations qui se sont exprimées à l'occasion des débats constitutionnels et législatifs successifs sur la parité.

En dépit de l'opposition qu'elle avait suscitée à l'origine, personne ne semble en effet désormais remettre en cause, par exemple, la parité des conseils départementaux et régionaux , comme l'ont montré les échanges auxquels a donné lieu la rencontre avec des élues locales organisée au Sénat, le 8 mars 2018, par la délégation 65 ( * ) .

Ainsi que l'a alors fait observer notre collègue Marta de Cidrac, élue en 2017, « Mesdames, ne vous excusez jamais d'être là parce que cette loi vous l'aurait permis. Au contraire, grâce à la parité, certains de nos talents se sont révélés ».

Dans le même esprit, Laurence Rossignol, estimant que  « Sans la loi, rien ne progresse ! », a déclaré assumer devoir son élection à des mesures de parité : « Personnellement, je n'ai aucune honte à dire que j'ai bénéficié de la parité. Par la suite, j'ai pu faire la démonstration que j'avais toute légitimité à occuper cette place d'élue et que ce n'était pas la parité qui avait fait de moi une élue. C'était en effet l'exclusive réservation de la politique aux hommes qui m'empêchait d'être une élue » .

Les aspects positifs de la parité ont été soulignés par des collègues qui reconnaissent leurs réserves initiales, comme Frédérique Puissat : « Quant à moi, alors même que je n'étais pas adepte de la parité, je ne peux que constater à quel point les ambiances ont changé dans les conseils départementaux. Nous y sommes beaucoup plus humbles que nous ne l'étions dans les conseils généraux ». Lors du débat organisé au sein de la délégation le 1 er février 2018 en vue de l'organisation de la matinée du 8 mars, Frédérique Puissat a estimé que la parité avait apporté, dans l'assemblée départementale de l'Isère, un « éclairage nouveau » : « j'ai vraiment vu l'assemblée changer », a-t-elle relevé. Ce point a été confirmé par notre collègue Max Brisson.

Le débat sur la parité s'est en effet aujourd'hui déplacé vers l'accès à des exécutifs demeurés très masculins et, d'une manière générale, vers l'accès aux responsabilités. Par exemple, des voix s'élèvent pour suggérer d'étendre la contrainte législative aux bureaux des intercommunalités, si l'on se réfère aux échanges précités du 8 mars 2018 avec des élues locales.

2. La présence des femmes en politique : une question de justice

À une époque où l'engagement politique des femmes était encore une rareté, on peut comprendre qu'aient été mises en avant les qualités spécifiques des élues (leurs qualités d'organisatrices, leur sens du concret, leur courage, leur opiniâtreté, etc.) pour justifier leur participation à une activité longtemps demeurée presque exclusivement masculine.

La reconnaissance de la citoyenneté des femmes, en 1944, a procédé de cette démarche puisque cette réforme a été présentée dans une certaine mesure comme une marque de reconnaissance de la Nation envers les femmes pour leur rôle dans la Résistance . Cette raison a permis de rendre véritablement universel un suffrage réservé en France aux hommes depuis 1848.

Mais un droit essentiel pour la démocratie doit-il être « mérité » ?

Près de vingt ans après la révision constitutionnelle de 1999, cette approche n'est plus concevable et la délégation souhaite insister sur le fait que l'accès des femmes à la politique n'a pas - ou plus - à être conforté par des qualités ou compétences qui seraient propres aux femmes . Aujourd'hui, fort heureusement, les femmes n'ont plus à « mériter » leur participation à la vie politique, ni comme électrices, ni comme candidates, ni comme élues.

La délégation est favorable aux mesures qui encouragent la participation des femmes à la vie politique - « égal accès » ou parité - parce qu'il s'agit, tout simplement, de mesures de justice ; c'est une question d'égalité .

« Il n'est nullement question de faire gouverner la société par les femmes, mais bien de savoir si elle ne serait pas mieux gouvernée par les hommes et par les femmes que par les hommes seuls » : la délégation s'inscrit dans cette remarque de John Stuart Mill, extraite d'un échange de lettres avec Auguste Comte 66 ( * ) . Elle souhaite rappeler son attachement , comme l'a fait notre collègue Max Brisson lors de notre rencontre avec des élues locales, le 8 mars 2018 :

- à la mixité de la vie politique : « La parité, c'est rechercher un équilibre, pour faire en sorte que l'assemblée élue ressemble à la société » ;

- à l' égalité entre les femmes et les hommes , qui « doit être naturelle. Il s'agit tout simplement d'un combat pour la démocratie ».

Quelle meilleure conclusion apporter à cette réflexion ?


* 63 Rapport n° 156 (1998-1999), fait par Guy Cabanel au nom de la commission des lois.

* 64 Rapport n° 1240 (décembre 1998), Assemblée nationale, XI e législature.

* 65 Voir les actes de cette rencontre, publiés dans Le 8 mars 2018 au Sénat : honneur aux élues des territoires , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Annick Billon, n° 480 (2017-2018).

* 66 John Stuart Mill et Harriet Taylor, Écrits sur l'égalité des sexes , textes traduits et présentés par Françoise Orazi, Lyon, ÉNS Éditions, 2014. Passage extrait de la lettre à Auguste Comte du 30 août 1843, http://books.openedition.org/enseditions/5536?lang=fr

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