AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

À l'automne 2018, la situation critique de l'aciérie d'Ascoval dans les Hauts-de-France a conduit le groupe de l'Union centriste à solliciter, le 20 décembre 2018, en application du droit de tirage prévu par l'article 6 bis du règlement du Sénat, la création d'une mission d'information sur « les enjeux de la filière sidérurgique de la France du XXI ème siècle : opportunité de croissance et de développement ». Dans sa séance du 30 janvier 2019, le Sénat a ratifié la liste des 27 membres qui l'ont composée et a donné six mois à la mission d'information pour réaliser ses investigations. La réunion constitutive de la mission d'information s'est tenue le 5 février et la première audition a été organisée dès le 11 février.

La mission d'information a entendu en audition 55 personnes et plusieurs dizaines d'autres lors de ses déplacements. Elle s'est rendue sur plusieurs sites industriels : ArcelorMittal et Dillinger France à Dunkerque, Ascoval Saint-Saulve et Laminé Marchands Européen à Valenciennes les 14 et 15 mars ; ArcelorMittal Maizieres Research SA à Maizières-lès-Metz et MetaFensch à Uckange le 5 avril ; Energy Pool au Bourget, à Savoie Technolac, premier cluster français spécialisé dans l'énergie, Ugitech à Ugine, Trimet et Ferropem à Saint-Jean de Maurienne le 27 mai ; Saint-Gobain PAM à Pont-à-Mousson le 24 mai. Elle a entendu les représentants de Metal'Valley de Montbard le 19 juin.

Elle a organisé trois tables rondes : le 22 mai sur la filière aval, en présence de la Fédération Française du Bâtiment, de la Fédération des Industries Ferroviaires et de Siemens Gamesa ; le 4 juin, sur les politiques publiques en présence du Délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, du Secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle et du Délégué aux Territoires d'industrie ; le 18 juin, avec les représentants de grandes centrales syndicales.

En outre, elle s'est rendue le 25 mars à la Commission européenne pour s'entretenir avec des représentants des directions générales « Action pour le climat » et « Marché intérieur, entreprenariat et PME » ainsi qu'avec les cabinets de Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce et de de Mme Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence.

En effet, comme l'a affirmé le manifeste franco-allemand du 19 février 2019 pour une politique industrielle européenne adaptée au XXI ème siècle, « le pouvoir économique de l'Europe dans les décennies à venir dépendra fortement de notre capacité à rester une puissance industrielle et manufacturière mondiale ». Pour rester une puissance industrielle, l'Europe a besoin d'une véritable politique industrielle.

C'est ce précepte de bon sens que le rapport a entendu décliner pour la France.

Après les rapports du 5 avril 2011 sur la désindustrialisation des territoires 1 ( * ) et le rapport du 6 juin 2018 sur la France dans la compétition industrielle mondiale 2 ( * ) , ce dernier ayant été élaboré par la mission commune d'information sur Alstom, le Sénat poursuit sa réflexion et approfondit ses propositions pour encourager la renaissance d'une politique industrielle capable de préserver et de développer un secteur secondaire dont la part dans le PIB a régressé en quinze ans, passant de 20 % à 12 % du produit intérieur brut (PIB) en France, contre 23 % en Allemagne mais seulement 8,7 % au Royaume-Uni. La part de l'industrie dans l'économie est l'une des plus faibles en Europe . La production industrielle reste encore inférieure de 11 % en volume de son niveau d'avant la crise de 2008.

Ce décrochage industriel est particulièrement significatif dans les industries lourdes. La filière sidérurgique n'a pas échappé à ce déclin. Elle en est même devenue le symbole.

En vingt ans, la France est passée du neuvième au quinzième rang mondial en matière de production d'acier. Il ne reste plus que 8 hauts-fourneaux actifs en France, contre 152 en 1954. La France ne compte plus que pour 1 % de la production mondiale, soit quinze millions de tonnes d'acier brut. Son principal producteur, ArcelorMittal, en produit les deux tiers. Il appartient à un groupe sidérurgiste indien.

L'acier demeure pourtant essentiel à l'industrie . Il commande l'approvisionnement de nombreuses filières aval, principalement le BTP et l'automobile mais aussi l'aéronautique, et se situe au début de la chaîne de valeur. Tout comme les terres rares, dont l'approvisionnement constitue un enjeu stratégique comme l'a souligné un rapport du 19 mai 2016 de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'acier constitue un enjeu de souveraineté .

« La sidérurgie fait non seulement partie de notre histoire industrielle et du patrimoine industriel de plusieurs régions françaises mais également de l'avenir industriel de notre pays » proclamait le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, alors M. Emmanuel Macron, lors du débat organisé à l'Assemblée nationale le 13 janvier 2016, estimant que « la situation exige d'abord une mobilisation d'urgence aux niveaux mondial, européen et français », impératif volontariste dont votre mission d'information a pu constater, trois ans après, les limites.

Forte de ces propos, votre mission d'information n'a pas souhaité investiguer le passé, avec son cortège d'erreurs et d'errements, de démantèlements, de liquidations d'entreprises (parfois modernes, compétitives ou rentables) et de restructurations, au prix de grands dégâts sociaux, collectifs pour les territoires comme pour les salariés ; et individuels, traumatiques, avec des pertes irrémédiables de compétences, d'expérience et de savoir-faire.

Elle s'est concentrée sur les mutations présentes, pour imaginer un futur à l'industrie sidérurgique en France .

Votre mission d'information s'est posé trois questions essentielles.

1/ Comment l'État français peut-il développer une stratégie nationale particulière alors que les principaux paramètres économiques sont mondiaux, que les centres de décision des principaux acteurs de la filière sidérurgique sont désormais hors de l'Union européenne et que celle-ci dispose seule des principaux outils et leviers pour mener une politique commerciale et surveiller avec rigueur le respect de la concurrence sur le marché européen ?

L'État a-t-il encore les moyens de définir et mettre en oeuvre, en partenariat avec les régions compte-tenu de leurs responsabilités économiques, des actions d'intérêt national dans une vision d'équilibre des territoires ?

La stratégie de filières, relancée en 2013, est-elle adaptée et celle qui est affichée par le contrat du 18 janvier 2018 ne manque-t-elle pas d'ambition eu égard à l'implication minimale, notamment d'un point de vue financier, de l'État, qui semble en rester aux déclarations d'intentions ?

Le dialogue avec les filières aval ne doit-il pas être amélioré, comme les relations avec les PME sidérurgiques, la production d'acier étant fortement dépendante de leurs commandes ?

2 / Comment doter la sidérurgie de nouvelles armes pour préserver sa compétitivité dans la concurrence mondiale ?

Dans un contexte de dumping de la Chine, qui refuse désormais de participer à la résorption des surcapacités, et de guerre commerciale avec les États-Unis, de dépendance structurelle en approvisionnement, de forte intensité capitalistique et de fragilité des entreprises en raison d'une rentabilité négative, le protectionnisme commercial déployé par l'Union européenne depuis 2014 est-il efficient ?

L'un des enjeux est la réactivité de telles mesures aux évolutions des acteurs, qui développent des stratégies de contournement , et du marché, dont les cycles évoluent beaucoup plus rapidement que les processus de décision de l'Union européenne.

3/ Comment donner les moyens à la filière sidérurgique de s'adapter à la transition énergétique ?

La sidérurgie, dont les émissions carbone représentent 4 % du total national, bénéficie de quotas gratuits. Ce système n'est pas optimal et est en voie de réduction. Ne serait-il pas plus efficient d'élaborer un mécanisme d'inclusion carbone afin que la sidérurgie, qui réalise des efforts considérables pour émettre moins de carbone, ne « meure pas vertueuse » ?

La décarbonation des procédés est l'un des grands défis de la sidérurgie du XXI ème siècle. La recherche-développement est soutenue fiscalement par le crédit d'impôt-recherche, mais l'exemple de l'exploitation en Inde par Tata Steel d'une nouvelle technologie financée par l'Union européenne souligne que la filière n'est pas à l'abri de transferts de technologie susceptibles de lui nuire. Ne convient-il pas de prévoir qu'une recherche financée sur fonds publics doit être exploitée au sein de l'Union européenne ?

La forte consommation d'électricité par la filière n'appelle-t-elle pas un traitement particulier ? Le coût de l'énergie étant vital pour la pérennité de la filière, les mesures de la compensation du coût du carbone ne devraient-elles pas être maintenues afin de ne pas dégrader notre compétitivité avec l'Allemagne ? Des contrats d'approvisionnement de long terme et la valorisation de la flexibilité de la consommation électrique ne seraient-ils pas nécessaires ?

Le recyclage de la ferraille appelle le maintien d'une sidérurgie électrique dense. Il participe de l'économie circulaire, riche en emplois non délocalisables, et contribue à diminuer les émissions de CO 2 . N'est-il cependant pas temps de mettre en oeuvre l'écoconception, principe affirmé dès le Grenelle de l'environnement en 2009 mais qui peine à émerger, et de traiter la recyclabilité de manière transversale ?

Au vu des réponses apportées à ces questions essentielles, votre mission d'information a tiré trois conclusions :

- la nécessité d'une politique industrielle à l'échelle européenne , comme l'a affirmé le manifeste franco-allemand de février 2019, qui adapte le droit de la concurrence compte-tenu des pratiques commerciales déloyales, et d'une politique industrielle nationale qui ne doit pas cantonner l'État à la gestion des crises, mais lui donner les moyens humains et financiers de développer une stratégie centrée sur la reconstruction des chaînes de valeur qui sécurise les débouchés en aval. Cette ambition doit se traduire par la reconstitution d'un véritable ministère de l'Industrie en capacité de mettre en oeuvre, à travers Bpifrance, des investissements conséquents.

- la nécessité du partenariat entre l'État et les Régions , incontournables dans l'accompagnement de la transformation de la filière sidérurgique, très fortement ancrée dans des territoires dont elle a parfois construit l'identité régionale. Ce partenariat doit tirer pleinement les conséquences des compétences de développement économique reconnues aux Régions par la loi NOTRe de 2015.

- la nécessité de rendre la filière attractive , alors qu'elle souffre d'une image vieillie et abimée, non seulement en maintenant un haut niveau de recrutements de chercheurs, mais également en adaptant les recrutements à la numérisation de l'industrie 4.0. La sidérurgie doit se donner les moyens de devenir visible et moderne, de davantage communiquer, car l'acier, dont la transition énergétique aura autant besoin que les industries classiques du XX ème siècle, restera indispensable à notre quotidien et à la construction de l'économie de demain.

Un compte rendu de ces déplacements et le procès-verbal des auditions sont publiés dans le tome II de ce rapport.


* 1 Rapport d'information de M. Alain Chatillon, fait au nom de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires n° 403 tome I (2010-2011) - 5 avril 2011.

* 2 Rapport d'information de M. Martial Bourquin, fait au nom de la mission commune d'information sur Alstom n° 551 (2017-2018) - 6 juin 2018.

Page mise à jour le

Partager cette page