B. LA RÉPONSE EUROPÉENNE A ATTENUÉ L'IMPACT DES DISTORTIONS COMMERCIALES SUR L'INDUSTRIE SIDÉRURGIQUE, MAIS SON EFFICACITÉ À MOYEN-TERME EST INCERTAINE

1. La défense commerciale de l'Union a permis de modérer l'impact des mesures protectionnistes sur le secteur sidérurgique européen

Face au dumping chinois et à l'instauration de barrières douanières par les États-Unis, la Commission européenne a répondu aux sollicitations des producteurs d'acier et réagi en renforçant les mesures de défense commerciale. Chargée de la conduite de la politique commerciale de l'Union, la Commission européenne dispose de plusieurs leviers d'action.

a) Les mesures anti-dumping

D'une part, le droit de l'Union européenne autorise la Commission à instaurer des mesures spécifiques de compensation en cas de dumping avéré, c'est-à-dire lorsqu'un exportateur écoule sa production sur un marché à l'export à un prix inférieur au prix de son marché intérieur, et lorsque ce dumping a causé un préjudice important pour une entreprise de l'Union vendant un produit similaire. Ces conditions sont établies dans le règlement dit « règlement anti- dumping de base », issu de la dernière révision des outils anti- dumping 106 ( * ) , qui permet à la Commission, à la demande de producteurs affectés, d'appliquer un droit de douane supplémentaire et provisoire à ces produits importés, qui est réexaminé tous les cinq ans.

L'instauration de mesures anti- dumping est strictement encadrée par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), et notamment l'Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994.

Entre 2014 et 2019, la Commission européenne a imposé 25 nouvelles mesures anti- dumping ciblant les importations d'acier, dont six nouvelles mesures en 2018 uniquement : plus des trois quarts des mesures anti- dumping instaurées durant cette période pour tous les produits ont concerné le secteur sidérurgique. D'ailleurs, la Commission a estimé qu'il « n'y a probablement jamais eu de période plus difficile » au cours des soixante ans d'existence des outils européens de défense commerciale. 107 ( * )

En 2017, pour la première fois depuis 1995, le règlement européen anti- dumping de base a fait l'objet d'une modification conséquente, dans l'objectif de mieux répondre au dumping provenant de pays aux prix intérieurs faussés par l'intervention étatique, y compris lorsque ceux-ci sont membres de l'OMC, tels que la Chine ou la Russie.

Cette révision, lancée en avril 2013, adoptée le 5 décembre 2017 et entrée en vigueur le 8 juin 2018, met à disposition une nouvelle méthode de calcul de la valeur normale des produits, « lorsqu'il est jugé inapproprié [...] de se fonder sur les prix et les coûts sur le marché intérieur du pays exportateur du fait de l'existence, dans ce pays, de distorsions significatives » . 108 ( * ) La compensation du différentiel de prix peut alors être calculée sur la base des coûts de production et de vente « non faussés » . Parmi les distorsions significatives sont inclus :

- « Un marché constitué dans une mesure importante par des entreprises qui appartiennent aux autorités du pays exportateur ou qui opèrent sous leur contrôle, supervision stratégique ou autorité » ;

- « Une présence de l'État dans des entreprises qui permet aux autorités d`influer sur la formation des prix ou sur les coûts » ;

- « Des mesures ou politiques publiques discriminatoires qui favorisent les fournisseurs nationaux ou influencent de toute autre manière le libre jeu des forces du marché » ;

- « L'absence, l'application discriminatoire ou l'exécution inadéquate de lois sur la faillite, les entreprises ou la propriété » ;

- « Une distorsion des coûts salariaux » ;

- « Un accès au financement accordé par des institutions mettant en oeuvre des objectifs de politique publique ou n'agissant pas de manière indépendante de l'État à tout autre égard ». 109 ( * )

Par ailleurs, la révision a également amélioré l'application de la règle dite « du moindre droit » . Celle-ci prévoit que la compensation collectée via le droit de douane est calculée sur la base de la plus faible des deux valeurs entre le différentiel de prix (marge de dumping ) ou le différentiel d'impact sur l'industrie (marge de préjudice). 110 ( * ) La modification vise à mieux prendre en compte le préjudice subi par l'industrie de l'Union, les distorsions de prix portant sur les matières premières, ainsi que les différentes exigences sociales et environnementales.

Enfin, le délai d'adoption de mesures provisoires a été raccourci de neuf à sept mois, dans l'objectif d'une plus grande réactivité. La Commission a également souhaité faciliter l'accès des PME à l'ouverture d'enquêtes anti- dumping .

Comme le prévoit ce nouveau règlement, la Commission européenne peut préparer des rapports spécifiques sur certains pays, après une enquête sur les distorsions constatées. En 2017, le premier rapport de la Commission a été consacré à la Chine, le prochain rapport devant se pencher sur la Russie . 111 ( * )

b) Les mesures antisubventions

D'autre part, l'Union européenne a modernisé son dispositif antisubventions. 112 ( * ) En particulier, la Commission est désormais capable d'inclure dans le champ de ses enquêtes toute nouvelle subvention découverte au cours de l'instruction, afin d'englober toutes les distorsions existantes dans le calcul de la compensation. Cette révision vise à répondre aux problèmes de transparence et d'accès aux informations, les États tiers ayant recours au dumping étant de plus en plus réticents à fournir des informations sur leurs pratiques, bien que les règles de l'OMC exigent la notification de toute subvention. Entre 2014 et 2019, 25 nouvelles enquêtes antisubventions ont été ouvertes par la Commission, et 12 mesures existantes ont été prolongées. Des taux de subventionnement très élevés ont notamment été mis en évidence en Chine, les produits plats laminés à chaud par exemple se voyant imposer des droits de douane de 35,9 %.

c) Les mesures de sauvegarde

Enfin, pour la première fois depuis 2002, la Commission européenne a fait usage de mesures de sauvegarde. En réponse à l'instauration par les États-Unis de droits de douane additionnels en mars 2018, la Commission européenne a lancé une enquête concernant 28 produits sidérurgiques, afin notamment de déterminer si les barrières tarifaires américaines présentaient un risque de redirection de flux commerciaux vers le marché européen. Ces produits incluent ceux directement visés par les droits de douane américains, mais aussi les produits transformés qui leur sont directement liés, dans l'objectif de limiter les contournements. Selon son évaluation, la tendance à la baisse des importations par l'industrie américaine se confirme, tout comme la hausse parallèle des importations européennes.

Importations mensuelles d'acier de l'Union européenne en 2017 et 2018

Importations mensuelles d'acier des États-Unis en 2017 et 2018

Source : Règlement d'exécution (UE) 2019/159 du 31 janvier 2019

Sur les 28 types de produits considérés, 23 ont finalement été retenus (les volumes importés de ces aciers ayant augmenté de 68 % entre 2013 et 2017, représentant respectivement 12,1 et 17,8 % du marché). La Commission européenne a estimé qu'au vu de plusieurs facteurs, tels qu' « une surcapacité de production d'acier sans précédent, qui persiste en dépit du grand nombre de mesures adoptées à l'échelle mondiale pour la réduire, accentuée par des subventions et des mesures de soutien des pouvoirs publics génératrices de distorsions, ce qui a conduit à une baisse des prix, en un recours accru aux pratiques commerciales restrictives et aux instruments de défense commerciale et en l'adoption, en mars 2018, des mesures prises par les États-Unis au titre de la section 232 » , « l'industrie de l'Union est toujours dans une situation fragile et vulnérable à une hausse continue des importations, en particulier si les importations provenant de pays soumis à des mesures de défense commerciale sont remplacés par d'autres importations détournées du marché américain » . 113 ( * )

Les mesures de sauvegarde erga omnes mises en oeuvre par la Commission européenne le 17 juillet 2018 consistent en des quotas à l'importation pour chaque catégorie de produits, calculés sur la base de la moyenne des importations entre 2015 et 2017 et remplis sur la base du « premier arrivé, premier servi », au-delà desquels s'applique un droit de douane additionnel de 25 %. 114 ( * ) Ces mesures provisoires ont été rendues définitives le 2 février 2019, et ont été élargies à trois autres catégories de produits. Une première enquête de réexamen périodique devait être ouverte le 1er juillet 2019. 115 ( * )

2. Les effets sont toutefois limités et le risque de contournement est réel

L'évaluation de l'impact des mesures récentes de défense commerciale est difficile au vu de l'évolution rapide du contexte commercial et des nombreux facteurs entrant en jeu. Votre rapporteure estime que trois principaux aspects doivent être pris en compte pour estimer l'efficacité des mesures mises en place par l'Union européenne : l'impact sur les importations d'acier et sur la santé économique du secteur sidérurgique ; les conséquences sur l'approvisionnement et la compétitivité des filières situés en aval ; et les possibles stratégies de contournement mises en place par les producteurs visés par les sanctions.

Au vu des auditions menées par la mission, les mesures de défense commerciale adoptées par l'Union européenne, si elles représentent un pas dans le bon sens pour la protection des producteurs d'acier, restent néanmoins insuffisantes. Elles doivent être renforcées pour couvrir tous les types de produits sidérurgiques les plus exposés, et ne pas laisser la porte ouverte à l'inondation du marché européen par des importations dopées par des pratiques déloyales.

Une telle protection est nécessaire pour donner à l'acier européen les armes pour défendre sa compétitivité sur le marché mondial.

a) Une fragile amélioration de la situation pour la filière européenne
(1) La crise du secteur sidérurgique s'est atténuée à partir de 2017

Selon les données disponibles, il semble que la crise subie par le secteur sidérurgique jusqu'à 2015 environ se soit atténuée en 2017, les prix de l'acier sur le marché européen étant remontés et la rentabilité des entreprises ayant quelque peu remonté. Ainsi, les prix de vente unitaires des produits longs et plats en 2017 sont revenus, voire ont dépassé, les prix de l'année 2013. Ce constat ne se retrouve pas dans le secteur des tubes, dont le prix est toujours 13 % inférieur à celui de 2013. De même, la rentabilité des entreprises produisant des produits plats et longs est passée de 0,5 et 1,7 % en 2015 à 7,7 % et 3,1 % en 2017 respectivement. La rentabilité des producteurs de tubes reste toutefois négative, à - 1,7 % en 2017. Tandis que les flux de liquidité des producteurs de produits plats et longs sont élevés (+ 124 % et + 41 % respectivement), ceux des producteurs de tubes sont négatifs, passant de 592 millions d'euros en 2013 à - 135 millions d'euros en 2017. Ces chiffres témoignent de la difficile situation du secteur des tubes, les mesures de défense commerciale n'ayant pour l'instant pas permis aux producteurs de retrouver des indicateurs positifs. 116 ( * )

En ce qui concerne plus spécifiquement les mesures anti- dumping instaurées par l'Union, la Commission européenne estime dans son 37 e rapport annuel au Conseil et au Parlement européen 117 ( * ) que les mesures anti- dumping instaurées entre 2014 et 2019 sur l'acier ont permis de diminuer de près de 89 % le volume des importations ciblées et ont ainsi contribué à la sauvegarde de plus de 86 000 emplois dans l'industrie sidérurgique européenne. Les droits de douane additionnels ont donc réussi à couper certains canaux d'importation à des prix non concurrentiels et de contrer la pression à la baisse exercée sur les prix de l'Union.

En effet, après avoir atteint leur plus haut niveau jamais enregistré en 2015, les exportations chinoises ont marqué le pas dès 2016 et surtout en 2017, passant de 115 à 70 millions de tonnes environ. Cette baisse est surtout due à la forte baisse des exportations en tiges et barres d'acier. En 2018, les premiers chiffres témoigneraient d'une baisse de plus de 27,3 % des exportations chinoises sur les trois premiers trimestres, en comparaison avec l'année 2017. 118 ( * )

Exportations chinoises par type de produit sidérurgique
entre 2006 et 2017

Source : « China's steel sector supply reform », Sector briefing n° 41, DBS Asian insights.

Aussi bien EUROFER qu'A3M ou le SIFTA, tous trois entendus par votre rapporteure, ont défendu la mise en place et le maintien de ces mesures anti- dumping et antisubventions, nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité de l'industrie sidérurgique européenne, en attendant le rétablissement de pratiques loyales et de réciprocité dans les relations commerciales de l'Union européenne.

(2) Mais la tendance à l'augmentation des importations se maintient

Toutefois, la tendance globale à l'augmentation de la part des produits importés dans la consommation européenne se maintient. Les volumes d'importations de produits plats, longs et de tubes ont augmenté respectivement de 64 %, de 97 % et de 60 % entre 2013 et 2017. Plus de 20,9 %, 14,0 % et 25,7 % de la demande en produits respectifs est désormais satisfaite par des importations, contre 14,2 %, 8,6 % et 20,4 % en 2013. 119 ( * ) Le taux d'utilisation des capacités de production européennes est ainsi resté remarquablement stable sur cette période, autour de 75 % , alors même que la demande se rétablissait. L'industrie sidérurgique européenne, dont le potentiel productif n'est pourtant pas entièrement exploité, se tourne de façon croissante vers l'importation d'acier. En 2018, l'Union européenne est la seule zone géographique ou une hausse des importations se conjugue à une baisse des exportations.

Évolution du volume des importations de l'Union européenne
et part de marché des importations par type de produit

Source : Commission européenne, 2018.

Il reste cependant à estimer l'impact des mesures de sauvegarde adoptées en juillet 2018 sur le volume d'importations. À moins d'un an de leur instauration, votre rapporteure n'a pu se procurer de chiffres fiables et représentatifs.

Selon des chiffres partiels fournis par l'Union des Industries Minière et Métallurgiques (UIMM) et relatifs aux 26 catégories de produits visés par les mesures de sauvegarde, tandis que les importations américaines auraient décliné de 3,4 millions de tonnes entre janvier et décembre 2018 - un déclin marqué des importations auparavant positives ayant lieu à partir de mai 2018 -, les importations européennes auraient, elles, augmenté de près de 3,2 millions de tonnes dans le même temps. Il est estimé que les mesures de sauvegarde adoptées par l'Union européenne ont permis de détourner 71 % des flux d'importations qui se seraient dirigés vers le marché européen en l'absence de protection. 120 ( * ) Il s'agit toutefois de chiffres récents qui n'offrent pas un recul suffisant pour tirer des conclusions définitives.

La situation du marché américain, également récemment protégé par des droits de douane additionnels peut également apporter certains enseignements. Les producteurs américains semblent avoir bénéficié des mesures de protection. Le nombre de faillites d'entreprises sidérurgiques a baissé, celles-ci profitant d'une hausse des prix locaux de l'acier de près de 30 %. 121 ( * ) Le taux d'utilisation des capacités est au plus haut depuis 2008 à 82 % contre 70 % en 2017 (la production domestique devant prendre le relais des importations en baisse de 3 % et devenues moins compétitives). 122 ( * ) Les capacités augmenteraient également grâce au lancement de nouveaux investissements, à l'ouverture de nombreux fourneaux et au rallumage de fourneaux mise en sommeil en 2015. 123 ( * ) Toutefois, le déclin de l'emploi sidérurgique aux États-Unis se poursuit.

Les enseignements du marché américain ne sont toutefois pas directement transposables à la situation de l'Union européenne. D'une part, la Chine y joue un rôle bien moindre d'exportateur, ne représentant qu'un peu plus d'1 % des importations américaines. D'autre part, malgré l'imposition des mesures de sauvegarde, les droits de douane moyens appliqués par l'Union européenne restent sensiblement inférieurs à ceux imposés par les États-Unis : leur taux s'étale entre 29 et 45 % du prix des importations, contre 54 à 87 % aux États-Unis. Ce différentiel serait en partie dû aux contraintes de la règle « du moindre droit », qui limite le calcul de la compensation. 124 ( * ) Les effets des mesures de défense commerciale devraient en conséquence être plus faibles sur le marché européen.

b) Un accès compliqué à l'acier pour les filières aval

Si les barrières douanières ont pour objet de renchérir les importations et de maintenir les prix du marché intérieur, elles peuvent avoir un impact non négligeable sur l'approvisionnement et la compétitivité des filières situées en aval et utilisatrices d'acier.

Aux États-Unis par exemple, ArcelorMittal, qui importe notamment 26 % de ses besoins d'acier depuis la France, devrait mobiliser plus de 120 millions de dollars supplémentaires en raison du renchérissement de ses importations depuis l'Europe. 125 ( * ) Si les entreprises de la filière sidérurgique peuvent compenser ces surcoûts par l'augmentation du prix de vente de la production locale, ce n'est pas le cas des filières automobile ou de la construction, qui doivent absorber entièrement le renchérissement de l'acier sous peine de voir leur compétitivité dégradée. L'impact à moyen-terme de la hausse des coûts ne peut pas encore être estimé dans sa totalité. Dans le cas de certains produits très spécifiques ou fabriqués uniquement dans les pays visés par les droits de douane additionnels, une relative pénurie d'offre pourrait même être constatée.

En ce qui concerne les filières aval en France, les fédérations et entreprises auditionnées par votre rapporteure ont déclaré ne pas rencontrer pour l'instant de difficultés particulières d'approvisionnement ou de compétitivité. Il est vrai que la Commission européenne à mis en place plusieurs mécanismes visant à minimiser les distorsions résultant des mesures de sauvegarde, notamment l'actualisation tous les ans des quotas à hauteur de 5 % afin d'accompagner l'évolution éventuelle de la demande, la mise en place d'un contingent réservé pour les fournisseurs traditionnels (c'est-à-dire les pays fournissant plus de 5 % des importations de l'Union), et la division du quota global par trimestre pour garantir une offre également répartie. Enfin, un mécanisme limite l'impact cumulé sur certains produits des mesures de sauvegarde, anti- dumping et antisubventions. 126 ( * )

c) Des stratégies de contournement semblent se mettre en place

Votre rapporteure a été alertée sur l'existence de stratégies de contournement des mesures anti- dumping et antisubventions.

En particulier, il semble que la Chine encourage activement l'implantation d'établissements chinois hors du pays, afin de les soustraire aux mesures déjà en place. Celle-ci investit fortement dans les pays d'Afrique du Nord, comme l'Égypte ou l'Algérie (7,4 millions de tonnes), et en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie (14,8 millions de tonnes) et en Malaisie (11,3 millions de tonnes), compensant ainsi ses engagements de réduction des capacités nationales et échappant aux droits de douane additionnels. M. Dominique Richardot, président du Syndicat de l'industrie française du tube d'acier (SIFTA), a également indiqué à votre rapporteure que la Chine utilisait des usines de tubes sans soudure implantées en Inde pour contourner les mesures anti- dumping instaurées par l'Union. 127 ( * )

Investissements transfrontaliers dans les capacités sidérurgiques

Source : « Steel markets development, Q4 2018 », OCDE, 2019.

L'OCDE s'est intéressée à ce phénomène et collecte désormais les données relatives à l'investissement transfrontalier en matière de capacités sidérurgiques. 128 ( * ) La Commission européenne dispose également du pouvoir d'étendre les droits additionnels à un pays tiers lorsqu'il est établi qu'un changement significatif des flux commerciaux a eu lieu et qu'il n'est imputable qu'à une volonté de contournement de barrières douanières applicables au pays initialement visé. Deux telles enquêtes ont récemment été initiées visant les échanges de tubes d'acier à l'encontre de la Chine et de l'Inde, mais n'ont pas abouti. 129 ( * )

Votre rapporteure s'interroge sur l'adéquation des outils actuels pour lutter contre ces contournements, qui semblent de nature à limiter l'efficacité des mesures de défense commerciale et des efforts de réduction de capacités.

Proposition n° 7 : Doter la Commission européenne de nouveaux moyens d'action et d'investigation, afin d'empêcher le contournement par des États tiers des mesures antisubventions et anti dumping imposées sur l'acier.

D'ailleurs, lors des auditions, votre rapporteure a été alertée sur l'accroissement de l'investissement chinois dans des capacités de production situées en Europe. Ainsi, l'aciérie de Smederevo en Serbie, première exportatrice du pays, a récemment été rachetée par le géant chinois Hebei Iron and Steel . Le groupe a déclaré vouloir faire de l'aciérie un fournisseur important des secteurs de l'automobile et du bâtiment européens. Ce type d'investissement est source d'inquiétude, d'une part car il ouvre la porte à d'éventuelles subventions de l'État chinois à des entreprises disposant d'un plein accès au marché intérieur européen, de l'autre car il témoigne de l'intérêt croissant de la Chine pour les technologies et les sites européens.

Dans ce contexte, votre rapporteure rappelle que l'Union européenne a récemment adopté un cadre commun pour le filtrage des investissements étrangers, tandis que la France a modernisé sa procédure de contrôle dans le cadre de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE ». Il faut aussi rappeler que, contrairement au principe de réciprocité, les investissements dans les usines chinoises ont très longtemps fait l'objet d'un contrôle très strict du gouvernement chinois. Toutefois, le Gouvernement ne considère pas la sidérurgie comme un secteur stratégique qui pourrait justifier l'interdiction de rachats par des puissances étrangères.

d) Certains produits sont insuffisamment protégés et l'évolution des quotas réduira l'efficacité des mesures

Si la réaction de la Commission européenne doit être saluée et représente un signal encourageant, les mesures adoptées ne répondent que partiellement aux problèmes soulevés par les politiques commerciales chinoise et américaine.

D'une part, la révision annuelle à la hausse des quotas de sauvegarde semble problématique. La période de référence utilisée pour l'établissement du niveau des quotas tend à gonfler les volumes échangés : la tendance à l'augmentation rapide des importations dans les dernières années ne reflète pas leur niveau historique. Les sidérurgistes, par le biais d'EUROFER, considèrent que ces quotas sont d'ores et déjà très généreux, au bénéfice des exportateurs étrangers et des industries européennes utilisatrices. Les hausses annuelles de 5 %, à commencer par celle prévue en juillet 2019, représentent un assouplissement excessif, alors même que la demande d'acier devrait diminuer en 2019 et 2020. Comme l'a déclaré devant les membres de la mission M. Philippe Darmayan, président de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) et président d'ArcelorMittal France : « Si l'on recommence bientôt [à relâcher les quotas], le système européen deviendra complètement inefficace. » 130 ( * )

D'autre part , les produits laminés à chaud n'ont pas fait l'objet des mêmes protections : les quotas instaurés sont globaux, et non basés sur les volumes des pays exportateurs historiques. Les gains de part de marchés de nouveaux exportateurs sont donc conséquents, à commencer par la Turquie, dont les exportations à destination de l'UE ont bondi de 65 % entre 2017 et 2018. Selon les éléments fournis par A3M et par l'UIMM à votre rapporteure, ce sont ces développements qui ont conduit ArcelorMittal à annoncer la récente réduction de sa production française et européenne, en raison de prix écrasés par l'afflux d'acier importé. 131 ( * )

Mme Christelle Touzelet, représentante syndicale de la CFDT chez ArcelorMittal a abondé dans ce sens, estimant que : « Les mesures anti- dumping demeurent insuffisantes. Ainsi, les semi produits plats, les brames, qui représentent 40 % des importations, échappent aux mesures de défense commerciale européennes. Concernant la mesure anti- dumping du 5 octobre 2017, appliquées aux coils à chaud en provenance de quatre pays exportateurs - dont l'Inde, la Russie et l'Ukraine - la formule du prix minimum été retenue, mais l'augmentation du prix des matières premières a rendu inefficace le prix minimum de 472 euros/tonne : même le prix actuel de 500 euros/tonne n'assure plus une marge suffisante aux sidérurgistes européens. Il est donc urgent que l'Union européenne renforce ses mesures anti- dumping sur ces deux catégories de produits sidérurgiques. » 132 ( * )

Par ailleurs, il semble que l'existence d'une « shipping clause » autorisant les exportateurs tombant sous le couperet des mesures de sauvegarde à écouler leur stock avant l'application des quotas ait diminué de manière conséquente leur efficacité : selon M. Axel Eggert, directeur général d'EUROFER, le délai laissé pour vendre les stocks était bien trop long et a renforcé la hausse des importations. 133 ( * )

Enfin, M. Dominique Richardot, président du Syndicat de l'industrie française du tube d'acier (SIFTA), a remarqué que les protections contre l'importation massive de petits tubes soudés depuis la Turquie, dont les volumes ont doublé depuis 2013 (de 468 000 à 955 000 tonnes environ), de Russie et d'Inde, sont insuffisantes. Il a indiqué : « Les mesures de sauvegarde mises en place par l'Union européenne ont limité l'impact des importations sur la fin de l'année. Cependant, la situation n'est pas résorbée car les problématiques de dumping en tubes soudés ne sont pas réglées. » 134 ( * ) En 2018, les importations de tubes petits tubes soudés ont continué à augmenter de 10 % environ, malgré les mesures de sauvegarde mises en place.

Consommation apparente annuelle de petits tubes soudés
dans l'Union européenne

(en tonnes)

Source : SIFTA, 2019

En conséquence, alors que les mesures de défense commerciale mises en oeuvre par l'Union européenne ne sont pas suffisantes pour protéger adéquatement les producteurs d'acier de pratiques commerciales unilatérales et déloyales, votre rapporteure appelle à un réexamen rapide des mesures anti- dumping et de sauvegarde récemment adoptées par la Commission européenne. Celle-ci devra réviser le calibrage des droits de douane appliqués, le volume des quotas et le rythme de leur révision, les pays touchés, et les produits auxquels ils s'appliquent, afin de garantir une protection efficace.

Proposition n° 8 : Procéder rapidement à un réexamen de l'ensemble des mesures de défense commerciale mises en oeuvre par l'Union européenne, qui s'avèrent aujourd'hui insuffisantes pour assurer une protection efficace des sidérurgistes européens, et modifier en conséquence leur calibrage et leur ciblage.


* 106 Règlement 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 107 Document de travail de la Commission annexé au 37e rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les activités antidumping, antisubventions et de sauvegarde de l'Union européenne et sur l'utilisation des instruments de défense à l'encontre de l'Union européenne par des pays tiers en 2018, mars 2019.

* 108 Règlement 2017/2321 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 modifiant le règlement 2016/1036 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne et le règlement 2016/1037 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 109 Ibid.

* 110 Document de travail de la Commission annexé au 37e rapport de la Commission précité.

* 111 Ibid.

* 112 Règlement 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 113 Règlement d'exécution 2018/1013 de la Commission du 17 juillet 2018 instituant des mesures de sauvegarde provisoires concernant les importations de certains produits sidérurgiques.

* 114 Ibid.

* 115 Règlement d'exécution 2019/159 de la Commission du 31 janvier 2019 instituant des mesures de sauvegarde définitives à l'encontre des importations de certains produits sidérurgiques.

* 116 Ibid.

* 117 Document de travail de la Commission annexé au 37 e rapport de la Commission précité.

* 118 « Steel markets development, Q4 2018 », OCDE, 2019.

* 119 Règlement d'exécution 2019/159 précité.

* 120 Contribution de l'UIMM.

* 121 Contribution du Service économique régional (SER) à Washington.

* 122 Ibid.

* 123 Bien que l'American Iron and Steel Institute n'envisage pas d'augmentation nette significative de la capacité de production américaine.

* 124 Document de travail de la Commission annexé au 37 e rapport de la Commission précité.

* 125 Contribution du Service économique régional (SER) à Washington.

* 126 Règlement d'exécution 2019/159 du 31 janvier 2019 précité.

* 127 Audition du 28 mai 2019.

* 128 « Steel markets development, Q4 2018 », OCDE, 2019.

* 129 Document de travail de la Commission annexé au 36 e rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur les activités antidumping, antisubventions et de sauvegarde de l'Union européenne, juillet 2018.

* 130 Audition du 5 juin 2019.

* 131 Contributions écrites.

* 132 Audition du 18 juin 2019 par la mission d'information.

* 133 Audition du 21 mai 2019.

* 134 Contribution écrite.

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