B. VEILLER À CE QUE LE FONCTIONNEMENT TERRITORIAL DE L'ANS RESPECTE LES RÉALITÉS LOCALES

Les dispositions prévues par la loi du 1er août 2019 n'ont pas permis de répondre pleinement aux interrogations des acteurs sur le fonctionnement de l'Agence nationale du sport au niveau local. Une majorité d'acteurs ayant souhaité que la loi se limite à fixer un cadre souple, le détail de l'organisation a été renvoyé aux décrets d'application qui sont en cours de rédaction.

Vos rapporteurs ont souhaité formulé plusieurs recommandations afin que ces décrets d'application ne contreviennent pas à l'esprit de la loi telle qu'elle a été enrichie lors de son examen au Sénat .

1. Des inquiétudes sur le rôle de la région

Si les acteurs locaux sont satisfaits des avancées initiées par le Sénat concernant la conférence régionale du sport et les conférences des financeurs, des craintes subsistent concernant le caractère partenarial de la nouvelle gouvernance . L'AMF, par exemple, remarque que l'échelon de référence de la politique du sport a été régionalisé mais que l'implication des conseils régionaux varie beaucoup comme les moyens humains consacrés aux politiques sportives. Il y a donc, selon David Lazarus, le vice-président du groupe de travail sport de l'AMF « des risques d'inégalités territoriales » . Par ailleurs, il constate aussi que l'implication des régions dépend beaucoup d'engagements individuels or, selon lui : « un système ne peut reposer sur des enthousiasmes individuels » .

Les inquiétudes exprimées par l'AMF comme par l'Assemblée des départements de France (ADF) concernant le rôle de la région font implicitement référence à l'expérience menée dans la région Grand Est sous l'impulsion de Jean-Paul Omeyer sur le modèle de la convention interrégionale du massif des Vosges. Transposée au sport, l'architecture retenue revient à distinguer trois niveaux distincts :

- une assemblée plénière chargée de développer la stratégie, de définir le projet sportif territorial (PST) et de préciser les mesures à mettre en place et d'examiner les projets fédéraux ;

- des commissions thématiques chargées d'examiner les dossiers, de faire le lien avec le PST, de recueillir les avis techniques des services et d'émettre des recommandations ;

- les collèges des financeurs chargés de valider l'attribution des aides et d'identifier les bonnes pratiques.

Dans le schéma envisagé par Jean-Paul Omeyer, le collège des collectivités au sein de la conférence régionale du sport serait composé de 48 élus (5 pour la région, 1 par département, 2 pour chaque assemblée départementale des maires, 1 par métropole ou communauté urbaine et 7 pour les communes de plus de 30 000 habitants).

Le schéma prévoit par ailleurs 5 commissions thématiques :

- Haut niveau, haute performance et sport professionnel ;

- Attractivité des territoires et sports de nature ;

- Développement des pratiques et pratiques émergentes ;

- Investissements et équipements sportifs ;

- Grands événements sportifs internationaux et JO de Paris 2024.

Le projet d'organisation porté par la région Grand Est n'aurait pas vocation à être transposé dans les autres régions selon Jean-Paul Omeyer puisque la loi permet à chaque territoire de développer son propre projet. L'ADF estime également que ce projet très intégré n'est pas transposable en dehors de la région Grand Est.

Cette absence de « modèle unique » doit être réaffirmée à l'heure où, en l'absence de décrets d'application, une expérimentation très spécifique se dessine qui ne fait pas l'unanimité compte tenu de ses conditions de réalisations sous l'impulsion de la région Grand-Est.

Préconisation n° 6 : préserver l'esprit de la loi du 1 er août 2019 qui ouvre la voie à une forte différenciation territoriale afin de permettre un degré d'intégration variable selon les territoires.

Au-delà du cas de la région Grand-Est, c'est aussi une éventuelle prééminence de la région qui ne fait pas consensus . Si un binôme État-région semble s'être constitué pour animer la haute performance, c'est le binôme département-bloc communal qui conserve la main pour la pratique sportive et le sport pour tous .

Dans ces conditions, il convient de rappeler que le législateur n'a pas retenu l'idée d'instaurer un quelconque chef de filât dans le domaine de la politique territoriale du sport et l'attribution d'une telle responsabilité au conseil régional constituerait en réalité une remise en cause de la démarche partenariale qui est au coeur de la réforme de la gouvernance territoriale du sport qui a été initiée. Vos rapporteurs tiennent à souligner que le représentant de l'Association des régions de France (ARF) auditionné n'a pas revendiqué de chef de filât et qu'il a insisté sur la nécessité d'adapter la gouvernance au cas par cas.

Préconisation n° 7 : reconnaître que l'absence de chef de filât d'une collectivité dans le sport constitue une des conditions du succès de la nouvelle politique territoriale du sport fondée sur une démarche pleinement partenariale .

2. Une préférence pour un guichet « commun » plutôt qu'« unique »

Une autre inquiétude concerne l'organisation des cofinancements dans le cadre des conférences des financeurs. Est-ce qu'une collectivité pourrait être obligée de participer à un projet qui n'entrerait pas dans ses priorités ? Vos rapporteurs estiment que ce risque n'existe pas puisque la loi n'a aucunement prévu de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités dans leurs choix d'investissements. Pour autant, on peut comprendre les élus qui craignent de se retrouver, de fait, obligés d'apporter leur contribution dans le cadre de structures trop rigides.

L'ADF a ainsi rappelé qu'on ne pourra pas contraindre un département à financer un projet alors même qu'on constate une baisse du montant des investissements.

C'est la raison pour laquelle il conviendrait de préférer l'appellation guichet « commun » à celle de guichet « unique » . L'idée est moins de solliciter toutes les collectivités sur tous les projets que de permettre à celles qui sont intéressées d'unir leurs moyens en réduisant le nombre des formalités et en permettant d'avoir une vision globale de l'investissement considéré.

L'AMF insiste également sur l'inquiétude suscitée par les modalités futures d'organisation des cofinancements. Pour David Lazarus, « il faudrait un système commun pour réduire les contraintes mais la conférence des financeurs doit être un lieu de consensus ».

Préconisation n° 8 : instaurer un guichet « commun » au sein de chaque conférence des financeurs respectueux des choix des collectivités territoriales de préférence à un guichet « unique » qui pourrait créer de fait une obligation de participation au financement.

3. Le périmètre des conférences des financeurs continue à faire débat

La loi du 1 er août 2019 a prévu au premier alinéa de l'article L. 112-15 du code du sport que « Chaque conférence régionale du sport institue, dans le respect des spécificités territoriales, une ou plusieurs conférences des financeurs du sport comprenant des représentants » de l'État, des collectivités territoriales, du mouvement sportif ainsi que des personnalités qualifiées. Cette rédaction qui a été introduite lors du débat au Sénat ne fixe pas le périmètre de la conférence des financeurs . Tout au plus précise-t-elle qu'il peut y avoir une ou plusieurs conférences sur le territoire régional sans exclure que ces périmètres se chevauchent.

Si le législateur a souhaité expressément préserver une telle souplesse c'est d'abord pour tenir compte du souhait des collectivités territoriales de ne pas opter pour une structure uniforme qui aurait pour effet de fragiliser la démarche partenariale. Par ailleurs, la grande diversité des situations exclut d'imaginer un cadre unique qui pourrait ne pas correspondre à certains projets.

Pour l'ADF, il faut organiser les conférences des financeurs autour des bassins de vie et le projet sportif territorial doit avoir des déclinaisons territoriales. L'association des départements rappelle par ailleurs qu'avec la réforme de la carte des régions, ces dernières ont souvent perdu leur proximité alors que le département demeure le cadre de la transversalité. Les conseils départementaux sont, en effet, compétents pour le haut niveau (à travers le handisport), le sport pour tous (sport nature) et les jeunes (collèges) 25 ( * ) . La contribution des départements à la politique du sport s'élevait ainsi à 600 M€ en 2015 avec un prisme fort en terme de sociabilisation.

Interrogée par vos rapporteurs sur le périmètre des conférences des financeurs, l'ADF a indiqué qu'elle « ne demande pas des conférences des financeurs départementales et que sa préférence aurait été de choisir un niveau inter départemental » . Les réponses des départements au questionnaire de vos rapporteurs traduisent pourtant une nette préférence pour le choix du périmètre départemental pour la conférence des financeurs.

Le décret en Conseil d'État prévu par l'article 3 de la loi du 1 er août 2019 aura pour mission de clarifier le fonctionnement de ces conférences des financeurs du sport. L'alternative consiste soit à retenir une organisation « à la carte » en fonction des besoins soit à privilégier un cadre de référence avec des exceptions en fonction des projets.

L'organisation « à la carte » permettrait de préserver le besoin de souplesse mais elle pourrait présenter le risque de créer une réelle incertitude, notamment pour les plus petites collectivités, du fait de l'absence de cadre de référence pour envisager les investissements au niveau local en cohérence avec un projet de développement territorial.

L'adoption d'un cadre de référence, par exemple à travers la création d'une conférence permanente des financeurs au niveau départemental ainsi qu'au niveau de chaque métropole , auquel pourraient s'adjoindre des conférences supra départementales pour les très grands projets et des conférences infra départementales pour les projets métropolitains ou certains projets locaux, permettrait de conjuguer le besoin d'un cadre de référence avec une nécessaire souplesse.

Le représentant de l'AMF auditionné par vos rapporteurs ne disait pas autre chose en indiquant qu'il faudrait « des échelons adaptés aux projets au niveau départemental mais aussi infra départemental et supra départemental » . David Lazarus n'excluait pas la possibilité que des intercommunalités se retrouvent dans certaines conférences des financeurs, par exemple en zones de montagne, pour tenir compte des spécificités de certains territoires.

Les représentants de l'ANS auditionnés par vos rapporteurs partagent l'analyse selon laquelle il faut trouver « le bon niveau territorial » et que le département et la métropole constituent probablement les échelons de référence.

Préconisation n° 9 : prévoir l'existence d'une conférence des financeurs permanente au niveau départemental et au niveau de chaque métropole ainsi que la possibilité de créer des conférences supra départementales pour les grands équipements et infra départementales pour les projets très localisés.

4. Un fonctionnement des conférences nécessairement partenarial

La loi du 1 er août n'a pas précisé comment serait organisé le fonctionnement administratif des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs . Le nouvel article L. 112-12 du code du sport prévoit que « le représentant de l'État est le délégué territorial de l'agence dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Dans le cadre de ses missions, il veille au développement du sport pour toutes et tous dans les territoires les moins favorisés. Il peut ordonner les dépenses et mettre en oeuvre les concours financiers territoriaux de l'agence » . Mais à côté du préfet, la loi a également prévu que la conférence régionale du sport élise son président en son sein, tout comme la conférence des financeurs du sport . Dans les faits, cela signifie que dans la quasi-totalité des cas c'est un élu local qui sera chargé d'animer les travaux de ces instances.

La question des moyens humains et administratifs sur lesquels pourra s'appuyer la gouvernance territoriale est encore à préciser et, peut-être, à inventer. Les associations d'élus ne sont pas enthousiastes à ce que l'État assume cette responsabilité comme c'était le cas pour le CNDS. Mais l'attribution de cette responsabilité à la région pourrait ne pas faire non plus l'unanimité, compte tenu du refus exprimé de tout « chef de filât ». L'AMF, à travers David Lazarus, ne souhaite pas, en particulier passer « du tout État au tout région » . L'ADF rappelle pour sa part que le département est le premier partenaire des communes, notamment à travers les équipements scolaires.

Dans ces conditions, vos rapporteurs proposent que les décrets d'application de la loi du 1 er août 2019 prévoient que le pilotage des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs soit organisé à l'initiative des collectivités territoriales dans le cadre de leur compétence partagée. Une convention pourrait déterminer les modalités de fonctionnement de ces secrétariats ainsi que les moyens qui y seraient consacrés.

Préconisation n° 10 : prévoir que le secrétariat des conférences régionales du sport et celui des conférences des financeurs soient organisés par les collectivités territoriales par voie de convention dans le cadre de la compétence partagée.


* 25 Le handicap, le sport nature et les collèges ont été reconnus par la loi comme des compétences obligatoires des départements. La compétence facultative sport interagit alors avec la dimension transversale de ces compétences obligatoires.

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