ANNEXE DE LA PARTIE III

Qui sont les classes moyennes ?

« Ceux qui, trop riches pour être pauvres, sont trop pauvres pour être riches ».

Nicolas Sarkozy 186 ( * )

Les définitions « scientifiques » de la notion de « classe moyenne » ou de « classes moyennes », plus appropriée, reposent sur deux méthodes : le regroupement de catégories socioprofessionnelles dont les places dans les hiérarchies professionnelles sont proches, ou qui ont un niveau de revenu comparable selon des regroupements très variables : la population dont le revenu est situé entre 70 % et 150 % du revenu médian, ou 75 % et 200 % du revenu médian ; les 20 % ou 25 % de la population de part et d'autre du revenu médian ou les 30 % au-dessous et 20 % au-dessus du revenu médian.

Dans sa contribution à l'ouvrage collectif Le fond de l'air est jaune (Seuil, 2019), Louis Chauvel définit les classes moyennes comme un « ensemble social dont le revenu net avoisine les 30 000 à 40 000 euros pour une famille complète ».

On aura compris que selon le choix méthodologique, indépendamment des aléas liés à la détermination des revenus de certaines catégories professionnelles, les effectifs des classes moyennes varieront, ainsi que les résultats de l'étude.

D'une manière générale, du fait du nombre de personnes concernées, de l'inertie des conditions de rétribution, sauf en période faste en matière d'emploi ou de politique de redistribution active, les variations de revenus sur une période pour une classe moyenne ainsi définie sont forcément atténuées, ce qui peut donner une impression de relative stabilité alors que l'essentiel est ailleurs : la patrimonialisation des fortunes par la captation de l'essentiel de la richesse nouvellement créée et de celle représentée par les biens anciens de plus en plus rares, par une petite minorité dans les grandes agglomérations.

C'est l'étude de Branko Milanovic ( Inégalités mondiales ) qui, analysant l'évolution des revenus des classes moyennes des pays occidentaux et non occidentaux au cours des vingt années précédant 2008 est, sur ce point, la plus parlante.

Ceci dit, taux de croissance significatif ne signifie pas forcément gain important en valeur absolue. Ainsi, que les revenus des classes populaires occidentales progressent plus vite que ceux des classes moyennes occidentales n'empêche pas ces classes populaires de régresser sur l'échelle des fortunes au niveau mondial. Les 25 % du bas de l'échelle occidentale détenaient 15 % de la fortune mondiale en 2000.

Depuis ils ont perdu 5 points 187 ( * ) .

Mais la limite de ces méthodes, lorsqu'elles sont utilisées seules, c'est de tenir insuffisamment compte de l'évolution du statut social des classes moyennes, de leurs espérances de promotion au cours du dernier demi-siècle.

Le statut social des catégories socioprofessionnelles change et ne préjuge pas des revenus, notamment du fait des évolutions technologiques et du chômage de masse.

La place dans la hiérarchie des revenus dépend du niveau du revenu médian qui varie avec celui du revenu des plus pauvres (baisse ou hausse du niveau du chômage, de l'aide sociale, paupérisation) ou des plus riches. Or le sentiment de déclassement ou de promotion pour les membres des classes moyennes dépend largement de la position de chacun par rapport à ces frontières, de l'impression de progresser avec le temps, par rapport au passé ou d'autres catégories.

Surtout, le niveau de revenu ne suffit pas à caractériser ce que recouvre la notion de « classes moyennes », encore plus aujourd'hui que dans la période où la notion est apparue.

Tout aussi importants sont les modes de vie et les rapports nés de la proximité comme l'observait Georges Orwell, déjà en 1941, donc avant les Trente glorieuses. Celui-ci relevait que dans certaines parties des grandes banlieues, par-delà leur niveau de vie, les habitants avaient « le même genre de vie dans les appartements en accession à la propriété, que dans les lotissements municipaux, le long des routes cimentées, dans la démocratie dénudée des piscines. Un mode de vie sans repos, sans culture, centré sur la nourriture en boite, les magazines, la radio et le moteur à explosion... ». Ces gens constituent, écrit-il « la strate indéterminée pour laquelle les anciennes descriptions de classes commencent à se briser ». Une assez bonne description des évolutions qui explique pourquoi s'est imposée la notion de la classe moyenne, même si elle ne correspond pas à l'ensemble des classes moyennes.

Cinquante ans plus tard, au terme de ce grand moment de « moyennisation » des conditions, Henri Mendras 188 ( * ) représentera cette « strate indéterminée » remettant en cause la notion classique de « classe » dont Orwell avait pressenti l'avènement, sous la forme d'une toupie appelée à devenir célèbre.

Selon Mendras, « l'élite » se limiterait à 3 % et les « pauvres » à 7 % de la population, 90 % se regroupant au sein d'une vaste constellation centrale.

Il propose un schéma en forme de toupie (ci-dessus) dans lequel, hormis une petite élite (3 % de la population) et une frange d'« exclus » (7 %), la société française se regrouperait au sein d'un vaste centre, non plus stratifié mais composé de « constellations » pas totalement disjointes : « constellation populaire » (50 % de la population), « constellation centrale » composée essentiellement de cadres (25 %) jouant le rôle de moteur de l'innovation et de modèle de vie auquel aspirer pour les autres. Même s'il n'est pas certain qu'un tel modèle ait existé aussi clairement que le dit Mendras, il n'en demeure pas moins que c'est ce type de distribution des statuts sociaux que la Grande Transformation néolibérale va mettre à mal.

Et l'on aura compris que tout autant que le revenu en soi et le mode de vie, c'est le « statut social », la position sociale relative, les efforts faits pour la conserver ou l'améliorer qui caractérisent les classes moyennes.


* 186 Cité par Louis Chauvel (Figaro.fr - 15 février 2019)

* 187 Louis Chauvel : La spirale du déclassement, Seuil (2016)

* 188 Henri Mendras : La Seconde Révolution française , Gallimard (1988)

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