B. PROMOUVOIR UNE NOUVELLE GOUVERNANCE

La nouvelle donne spatiale appelle à penser une nouvelle gouvernance, à tous les niveaux : national, européen et international.

1. Au niveau national : la création d'un Commandement de l'espace

À nouvelles ambitions, nouvelle gouvernance.

Le 13 juillet 2019, le Président de la République a annoncé la création d'un Commandement de l'espace (CDE) au sein de l'armée de l'air, renommée pour l'occasion « Armée de l'air et de l'espace ».

Cette décision répond à la volonté de remédier à la fragmentation qui caractérise depuis longtemps le paysage spatial français et qui nuit à notre capacité d'action. De très nombreux organismes sont en effet utilisateurs de satellites militaires. On peut notamment citer :

- la direction du renseignement militaire (DRM) pour ce qui est des satellites d'observation et d'écoute ;

- la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) s'agissant du contrôle opéré sur les satellites de télécommunications ;

- l'armée de l'air, à travers le COSMOS (centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux) et sa mission de surveillance de l'espace ;

- la DGA (direction générale de l'armement) pour la conduite des programmes spatiaux d'armement ;

- le CNES, à travers son statut d'opérateur pour les satellites militaires et son activité de suivi des débris spatiaux et des retombées atmosphériques à risque.

Face à cette multiplicité d'acteurs, qui répondent à des stratégies diverses et à des chaînes hiérarchiques distinctes, le Livre blanc sur la Défense et la sécurité de 2008 avait préconisé la création d'un commandement interarmées de l'espace (CIE), lequel a vu le jour en 2010. Il s'agissait alors, pour reprendre les termes employés par le général Michel Friedling à la tête du Commandement, lors de son audition parlementaire le 13 février 2019 par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat « de positionner le spatial au bon niveau dans les chaînes de décisions politico-militaires et de rassembler les diverses responsabilités du secteur dans un organisme unique afin de redonner une cohérence au domaine spatial militaire ».

Le CIE s'est ainsi vu confier l'identification des besoins militaires en matière de capacités spatiale et la mise en oeuvre des orientations définies au plus haut niveau de l'État. Néanmoins, en neuf années d'existence, le CIE n'a mis fin ni au morcellement des responsabilités, ni à la dispersion géographique et fonctionnelle des implantations et des acteurs, ni à l'absence de chaîne de commandement unifiée pour les opérations spatiales. Le fonctionnement de ce commandement a atteint ses limites face aux bouleversements à l'oeuvre dans le champ spatial et à la définition de nouvelles priorités stratégiques. Avec des moyens humains très modestes - une quarantaine de personnes -, et sans finalement disposer de véritables prérogatives de commandement, le CIE devait soit disparaître, soit évoluer. C'est cette seconde option qui a été retenue avec à la clé une réorganisation tant hiérarchique que stratégique.

Dans leur rapport d'information consacré au secteur spatial de défense 149 ( * ) , les députés Olivier Becht et Stéphane Trompille préconisaient ainsi de donner une « incarnation organique » à la Défense spatiale en créant, au sein d'une armée de l'air et de l'espace, un « grand commandement » des forces spatiales, du niveau « quatre étoiles ». Ils proposaient également d'ériger ce commandement en « gestionnaire unique du milieu » spatial et d'améliorer sa coordination avec les services compétents du CNES.

Le rapport du groupe de travail « Espace » du ministère des Armées, a lui aussi appelé à adapter la gouvernance du spatial militaires au niveau d'ambition de de notre pays, considérant que « la nouvelle ambition du ministère des armées impose de revoir l'organisation actuelle selon des principes d'efficacité opérationnelle interarmées, de cohérence, de visibilité et de simplicité ». Dans son discours prononcé le 25 juillet 2019 sur la base aérienne 942 de Lyon, la ministre des Armées a ainsi précisé que « à terme », le CDE conduira « l'ensemble de nos opérations spatiales, sous les ordres du chef d'état-major des armées, en lien avec le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à l'instar de l'ensemble de nos opérations ».

L'arrêté du 3 septembre 2019 portant création et organisation du commandement de l'espace opère la traduction juridique de ces orientations politiques, son article 1 er énonçant que le commandant de l'espace reçoit des directives fonctionnelles du CEMA et que le chef d'état-major de l'armée de l'air en exerce le commandement organique.

Le rattachement à l'armée de l'air est cohérent : outre que cette armée fournit 70 % des effectifs affectés aux activités spatiales, il existe des similitudes entre les deux milieux spatiaux et aériens. Loin d'être seulement utilisatrice de services spatiaux, l'armée de l'air considère ce milieu sous l'angle d'une certaine continuité entre les milieux spatial et aérien.

Il convient à présent de construire dans la durée ce nouveau commandement en le dotant des moyens humains, financiers et capacitaires dont il aura besoin pour remplir pleinement ses missions. En déplacement à Toulouse le 21 février 2020, la ministre des Armées a donné des indications sur le calendrier de montée en puissance du CDE. Actuellement composé de 220 agents répartis sur quatre sites (Paris-Balard, Toulouse, Lyon et Creil), le CDE dont le siège a été fixé à Toulouse, a vocation à concentrer toute l'expertise du domaine spatial dans un bâtiment dédié, implanté au plus près du CNES. Ce regroupement sur un même site doit permettre de rapprocher le coeur militaire du coeur industriel et permettra aux armées de devenir les opérateurs directs de leurs satellites. Le CDE abritera ainsi des fonctions multiples comme la formation, l'innovation, ou encore le coeur de la conduite des opérations spatiales ; ses effectifs vont doubler à moyen terme puisqu'il accueillera près de 500 experts à l'horizon 2025. La clarification de la relation avec le CNES sera un élément décisif pour le succès du CDE.

Il conviendra également de définir le cadre des relations entre le CDE et la communauté du renseignement, pour les trois services qui relèvent du ministère des Armées, à savoir la DRM, le DRSD et la DGSE. Au vu du large périmètre des missions assignées au CDE, une composante « renseignement » pourrait utilement être constituée au sein du commandement.

Recommandation n° 51 : Clarifier le positionnement du commandement de l'espace en matière de renseignement et constituer en son sein une formation spécialisée « renseignement ». Celle-ci pourrait produire du renseignement d'intérêt spatial au niveau opératif et tactique pour appuyer la planification et la conduite des opérations spatiales militaires.

2. Au niveau européen : pas d'ambition commune sans confiance mutuelle

Avec 9 milliards d'euros investis en 2019, l'Europe est la deuxième puissance spatiale au monde. Elle est pourtant confrontée à un défi majeur : ne pas se laisser distancer et rester dans la course. Car la concurrence internationale est rude : en 2019, l'Europe a réalisé 9 lancements de satellites via Arianespace, contre 34 pour la Chine, 27 pour les États-Unis et 22 pour la Russie.

Indépendance stratégique, leadership technologique, positionnement géopolitique : le sujet de la coopération spatiale interroge sur la finalité même du projet européen, au sens où il renvoie à une réflexion sur la souveraineté, son périmètre et ses modalités d'exercice. En effet, plus la politique spatiale devient un enjeu de souveraineté pour les États, plus la coopération européenne revêt un caractère sensible. Rétrospectivement, la politique spatiale européenne ne s'est jamais aussi bien portée que lorsque les États membres considéraient soit que l'Europe était pour eux une façon d'accéder à un domaine qu'ils n'avaient pas les moyens d'investir seuls, soit qu'elle était un outil de déploiement et de rayonnement de leur souveraineté nationale. Or le développement du « New Space », en démocratisant l'accès à l'espace, a pour effet induit de renationaliser, au moins en partie, la politique spatiale des États membres.

L'avenir de la coopération européenne est soumis à deux prérequis que sont d'une part la confiance, et d'autre part l'ambition commune.

a) La confiance

Compte tenu de ses enjeux à la fois politique, militaire, économique et industriel, l'espace constitue un milieu fédérateur propice à l'affirmation d'une identité européenne de défense et de sécurité. Ainsi, au-delà du renforcement de son autonomie stratégique nationale, la France a toujours privilégié la coopération européenne dans le domaine spatial, en particulier pour les systèmes d'observation optique. La première génération de satellites HELIOS I a été conduite en coopération multilatérale avec l'Italie et l'Espagne ; la deuxième génération HELIOS II l'a été dans le cadre d'une coopération avec, outre l'Italie, trois autres pays que sont la Belgique, l'Espagne et la Grèce. De même, la troisième génération de satellites, CSO, est accessibles aux partenaires européens par des accords bilatéraux avec la France.

L'accord de Schwerin de 2002 avait fixé une répartition / spécialisation des rôles entre la France, l'Allemagne et l'Italie fondée sur l'échange d'images d'observation spatiale radars (fournies par l'Allemagne et l'Italie) et optiques (fournie par la France). Un équilibre reposant sur une dépendance mutuelle s'était instauré que le gouvernement allemand vient toutefois de rompre unilatéralement en autorisant le BND à développer un système autonome d'imagerie optique. Il en résulte une asymétrie franco-allemande, dès lors que la France se trouve de facto dans une situation de dépendance à l'égard de son partenaire allemand, s'agissant de l'imagerie radar.

Force est de constater qu'un climat de défiance est en train de s'installer au coeur même du couple franco-allemand s'agissant de la coopération spatiale. Or sans stratégie commune entre Français et Allemands, aucun progrès européen substantiel ne pourra avoir lieu.

Un indicateur supplémentaire de cette rivalité est apparu lors de la dernière conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, en novembre 2019. La France y a en effet perdu sa place de leader spatial historique en Europe avec 2,66 milliards d'euros de contribution (18,5 % du budget de l'ESA). Elle a été très largement distancée par l'Allemagne (3,29 milliards d'euros, soit 22,9 % du budget de l'ESA) sur un total de 14,38 milliards d'euros pour la période 2020-2025. Paris reproche à Berlin de lui avoir fait une mauvaise manière en cachant l'intention du gouvernement allemand. Avec 22,9 %, l'Allemagne est désormais le premier contributeur de l'ESA, suivie de la France (18,5 %, 2,66 milliards d'euros), de l'Italie (15,9 %, 2,28 milliards d'euros) et du Royaume-Uni (11,5 %, 1,65 milliard d'euros).

Mais la rivalité n'est pas seulement franco-allemande. La France se trouve aussi talonnée par l'Italie qui contribue à hauteur de 15,9 % au budget de l'ESA. En conséquence, l'ambition de la France sera forcément en recul par rapport à la stratégie de ses deux voisins européens. L'Allemagne et l'Italie, à la fois rivaux et partenaires de la France ont fait le choix d'investir des sommes importantes sur des programmes, d'avenir. L'Italie s'est également positionnée sur le marché des lanceurs, avec Vega V, aujourd'hui complémentaire d'Ariane 6, mais qui porte aussi en lui les germes d'une concurrence future.

Au final, il s'agit à présent de fixer le bon point d'équilibre entre une concurrence vertueuse à l'échelle européenne, car source d'innovation, et la définition d'intérêts stratégiques communs qui sous-tendent une approche partenariale pérenne au service d'une autonomie stratégique. Ce qui est certain c'est que face aux Américains et aux Chinois, aucun des grands pays européens (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni) ne peut rester une puissance spatiale sans s'allier plus étroitement aux autres, y compris au plan industriel. Mais il est nécessaire pour cela, de s'accorder sur une réelle ambition européenne, qui pourrait utilement s'appuyer sur une initiative franco-allemande de nature à restaurer un climat de confiance entre nos deux pays.

Recommandation n° 52 : Restaurer un climat de confiance franco-allemand en élaborant une feuille de route commune au service d'une ambition spatiale commune européenne.

b) L'ambition

Il existe aujourd'hui trois niveaux de décision à l'échelle européenne : celui de l'agence spatiale européenne intergouvernementale, celui des agences nationales comme le CNES français ou le DLR allemand et le niveau communautaire qui se développe depuis les années 2000.

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, l'espace est devenu un domaine de compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres. Sur cette base, la Commission européenne a adopté en 2011 une communication intitulée « Vers une stratégie spatiale de l'Union européenne au service du citoyen » qui constitue le cadre des actions de l'Union.

L'Union européenne a jusqu'à présent développé des programmes spatiaux exclusivement civils mais pour certains avec des volets « sécurité ». Il en est ainsi du programme européen « EU Space Surveillance & Tracking » qui souligne la valeur ajoutée peut apporter une coordination renforcée entre plusieurs États membres. Face aux risques de collisions et de fragmentations, aux rentrées atmosphériques non contrôlées et aux manoeuvres des satellites actifs, l'Union européenne a en effet établi en 2014 un cadre de soutien à la surveillance de l'espace et au suivi des décisions en orbite 150 ( * ) (SST). Ce cadre a conduit à la création d'un consortium d'États membres (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni) représentés par leurs agences spatiales, rejoints en 2019 par la Pologne, le Portugal et la Roumanie. Ce consortium EU-SST fournit depuis le 1 er juillet 2016 des services d'analyse des risques de collision, de suivi des rentrées et de caractérisation des fragmentations dans l'espace, permettant aux opérateurs et utilisateurs des satellites nationaux et européens de disposer d'un service européen de haute qualité dans ce domaine crucial. La France assure, à travers le CNES, la présidence du consortium depuis juillet 2017 et l'exercera jusqu'à la fin 2020, à la suite d'une décision à l'unanimité des États partenaires.

L'Europe spatiale se déploie également autour de trois autres programmes majeurs :

- le programme GOVSATCOM, lancé fin 2013, qui vise à permettre les communications gouvernementales par satellite et garantir la sécurité des services de communication aux organisations et opérateurs jugés stratégiques pour l'Union européenne. On voit à travers la crise sanitaire liée à la Covid-19 combien la sécurisation des communications électroniques est un impératif de premier plan ;

- le programme GALILEO de positionnement par satellite, opérationnel depuis 2018 et qui compte à ce jour plus d'un milliard d'utilisateurs dans le monde. GALILEO qui fait écho au GPS américain, est décisif pour l'indépendance européenne ;

- le programme COPERNICUS, système d'observation de la terre, avec des implications importantes en termes d'étude du changement climatique. Grâce à ce programme, l'Union européenne possède l'un des plus grands fournisseurs de données au monde avec plus de 12 Téra octets de données complètes, gratuites et ouvertes de haute qualité chaque jour. COPERNICUS conforte l'Union européenne dans le jeu politique internationale, comme a pu en témoigner la couverture des incendies qui ont ravagé la Sibérie et l'Amazonie au cours de l'été 2019.

En conclusion de la 12 e Conférence annuelle sur la politique spatiale européenne qui s'est tenue à Bruxelles les 21 et 22 janvier 2020, le Commissaire européen Thierry Breton a prononcé un discours particulièrement volontariste appelant les Européens à prendre leurs responsabilités. Une politique spatiale ambitieuse est en effet indispensable pour assurer l'autonomie stratégique et la sécurité de l'Europe, et à terme son indépendance et sa souveraineté même.

L'ambition de l'Europe spatiale doit se décliner à plusieurs niveaux :

- garantir un budget suffisant : la Commission a proposé un programme spatial européen de 16 milliards d'euros pour la période 2021-2027, soit une augmentation de près de 5 milliards d'euros par rapport au précédent cadre financier pluriannuel ;

- assurer la continuité des programmes spatiaux existants et prendre en compte les nouveaux enjeux, ce qui implique un effort important en matière de recherche et d'innovation ;

- s'adapter aux nouvelles réalités géopolitiques, stratégiques, industrielles et technologiques. Ceci suppose de faire tomber un certain nombre de tabous qui concernent la dimension de défense et de sécurité des programmes européens comme Galileo ou Copernicus. C'est également tout l'enjeu de la mise au point d'un système européen de connaissance de la situation spatiale (SSA) afin de ne plus dépendre des seules informations que les Américains veulent bien nous transmettre. C'est enfin le développement d'une approche innovante pour la commande publique en matière spatiale autour d'une préférence européenne ;

- conserver un accès indépendant à l'espace, ce qui nécessite de maintenir l'excellence européenne en matière de lanceurs.

Pour mener à bien ces objectifs, une nouvelle gouvernance européenne est nécessaire qui prenne en compte la dimension stratégique et de sécurité de la politique spatiale. Le nouveau règlement sur la politique spatiale européenne permet d'organiser un système de gouvernance unifié et simplifié.

Mais au-delà de ce qui est prévu par le règlement, et sans interférer sur les compétences régaliennes des États membres, un réseau européen des commandants de l'espaces créés dans plusieurs États pourrait utilement se constituer, et donner corps, le moment venu, à un CDE européen doté de capacités significatives d'opérations spatiales, qui permettrait à l'Union européenne et à ses États membres de reprendre à leur charge et en pleine souveraineté la sécurité de leur composante spatiale civile ou militaire.

3. Au niveau international : s'accorder a minima sur un code de bonne conduite

Coopération v/ confrontation : le droit peut-il être un rempart à l'arsenalisation annoncée de l'espace ? À l'époque de la guerre foire, le petit club des pays spatiaux s'était facilement mis d'accord sur leur intérêt commun à sanctuariser l'espace autour d'un principe simple selon laquelle la liberté des uns s'arrête où commence celle d'autrui.

Il existe ainsi bien un socle de droit international régissant le droit de l'espace, l'équivalent d'une « constitution » de l'espace à travers le traité « sur les principes régissant l'activité des États en matière d'exploration de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes », conclu en 1967, dix ans après l'envoi par l'URSS de son premier Spoutnik.

Ce traité a été ratifié par une centaine d'États dans le monde. Il consacre deux principes essentiels :

- d'une part, l'usage pacifique de l'espace, dont l'exploration doit être réservée à des fins pacifiques, conformément au droit international et donc à la Charte des Nations-Unies, et où il est proscrit d'introduire des armes nucléaires et autres armes de destruction massive ;

- d'autre part, sa non-appropriation, ce qui exclu toute proclamation de souveraineté.

D'autres accords internationaux sont venus compléter le traité de 1967, comme la convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux ou encore la convention de 1976 sur l'immatriculation des objets lancés dans l'espace extra-atmosphérique.

Mais ces principes suffisent-ils à constituer des garde-fous à la militarisation croissante de l'espace ? Peut-on et comment réguler les activités humaines dans le contexte de commercialisation croissante de l'espace ?

Plusieurs décennies ont passé et le secteur spatial demeure toujours soumis, pour l'essentiel, à sa réglementation originaire, contrairement à la plupart des domaines d'activité dont le corpus légal a profondément évolué au gré des transformations sectorielles.

Or force est de constater que l'espace extra-atmosphérique est déjà devenu un nouveau milieu de confrontations où les principales entités physiquement présentes sont les satellites. On considère généralement que la première occurrence de guerre dans l'espace a eu lieu en 1991 pendant la Guerre du Golfe. C'était en effet la première fois qu'une armée se servait de satellites en vue de soutenir ses activités militaires offensives. Une course à l'armement spatial commence à prendre de l'ampleur : Le Président américain Donald Trump a ordonné la création d'une Space Force 151 ( * ) tandis que l'Inde a réussi à détruire un satellite en trois minutes par un tir de missile. La Chine et la Russie ont également investi dans le développement de telles armes.

Le droit de l'espace en vigueur est-il encore adapté à cette nouvelle donne géopolitique et aux enjeux actuels du « New Space » ? S'il est généralement admis que non, aucune approche commune ne se dégage pour autant au sein de la communauté internationale sur les modalités d'une future régulation. Et si la France reste attachée aux conventions internationales sur l'espace extra-atmosphérique, nombre de puissances spatiales, actuelles ou en devenir, n'y ont pas adhéré, ce qui conduit de facto à faire de l'espace en un enjeu de pouvoir et de conquête. L'arrivée de nouveaux États menace de faire éclater le « club » des quelques happy few spatiaux, au point de conduire les principaux pays à se pencher sur l'élaboration de nouvelles règles internationales pour l'utilisation de l'espace. Une course aux armements dans l'espace rendrait, en effet, une guerre potentielle probablement encore plus destructrice que les deux guerres mondiales, même si à ce stade, le sujet concerne avant tout la multiplication des attaques à l'encontre des satellites.

Outre les acteurs publics, l'essor du « New Space » a également provoqué l'arrivée importante d'acteurs non étatiques avec des enjeux économiques et non plus seulement diplomatiques et géopolitiques. Se pose en effet désormais la question, pour les opérateurs privés opérant dans l'espace, de leur protection juridique contre les risques politiques.

Dans ces conditions, la régulation internationale de l'espace extra-atmosphérique prendra du temps, dans un contexte global où, partout, le multilatéralisme est en repli. Il semble néanmoins important que la France continue de porter, au sein de la communauté internationale, et en particulier des instances européennes et onusiennes, une approche coopérative.

La France vient ainsi de rejoindre, en février 2020, l'initiative de coopération spatiale interalliées CSpO ( Combined Space Operations ), véritable forum multilatéral de coordination, de réflexion et d'échanges, qui vise à coordonner les efforts dans le domaine de la défense spatiale, des sept nations participantes : États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Allemagne et France. Cette initiative poursuit plusieurs objectifs :

- coordonner les capacités alliées ;

- en augmenter la résilience pour assurer le soutien aux opérations multi-domaines ;

- garantir un libre accès à l'espace ;

- y protéger les moyens qui s'y trouvent, le cas échéant en coalition.

Par ailleurs, faute de consensus sur un nouveau cadre juridique international contraignant, il paraît nécessaire de s'accorder, à tout le moins, sur un code de conduite pour les activités humaines dans l'espace. L'Union européenne a soumis en 2015 152 ( * ) un projet à la communauté internationale que la France doit continuer à promouvoir sur la scène diplomatique.

Recommandation n° 53 : Promouvoir au sein de la communauté internationale l'adoption rapide du code de bonne conduite proposé par l'Union européenne pour les activités humaines dans l'espace.

Ce code de conduite propose de compléter le droit international de l'espace avec trois nouveaux principes selon lesquels :

- les États devraient s'engager à prendre les mesures nécessaires pour améliorer la sécurité des opérations spatiales et réduire les débris spatiaux. Sauf nécessité absolue, cela implique de ne pas essayer ou employer des méthodes de guerre pouvant générer des débris ;

- le droit à la légitime défense individuelle et collective dans l'espace serait explicitement énoncé. Le Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait donc exercer ses compétences dans l'espace pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationale. Tout État pourrait également y exercer son droit de légitime défense ;

- les États s'engageraient à instaurer un climat de confiance et de coopération. Ils devraient se conformer à leur obligation d'immatriculation de tous les objets spatiaux, notifier leurs manoeuvres spatiales, s'informer mutuellement sur leurs politiques spatiales respectives et se consulter le cas échéant.

*

* *

Le renseignement spatial évolue dans un univers en pleine révolution qui touche à l'exercice même de nos compétences régaliennes.

La crise sanitaire liée au coronavirus a mis en exergue les fragilités susceptibles de mettre en péril des pans entier de notre souveraineté si notre filière industrielle spatiale n'était pas suffisamment soutenue et protégée face à des intérêts hostiles.

L'espace est notre nouvelle frontière, pas seulement technique mais aussi démocratique. L'exploitation des données issues de l'espace représente le nerf de cette nouvelle guerre qui touche autant à notre vie quotidienne qu'à nos intérêts vitaux, comme en témoigne, pour prendre un exemple récent, le développement des applications de traçage dans la lutte contre la Covid-19.


* 149 Rapport d'information n° 1574 de la commission de la défense et des forces armées déposé en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le secteur spatial de défense, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 janvier 2019.

* 150 Décision 541/2014/EU.

* 151 Le Spacecom devient le 11 e commandement militaire du Pentagone.

* 152 Décision (PESC) 2015/203 du Conseil du 9 février 2015 visant à soutenir la proposition de code de conduite international pour les activités menées dans l'espace extra-atmosphérique, présentée par l'Union, afin de contribuer aux mesures de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales.

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