B. UN OUTIL AU SERVICE DE LA DIPLOMATIE

1. « 42 000 tonnes de diplomatie »

Le porte-avions permet à la France d'asseoir sa crédibilité militaire et stratégique. Il exerce une coercition directe mais aussi indirecte. Cette coercition indirecte est parfois suffisante. La simple présence du PA, par son effet dissuasif, peut suffire à obtenir l'effet recherché. La présence d'un groupe aéronaval est un signal de supériorité aéromaritime.

Cette coercition indirecte porte d'ailleurs un nom : c'est la diplomatie du porte-avions ou aircraft carrier diplomacy , qui est une forme de diplomatie coercitive pratiquée depuis longtemps par les États-Unis. Ainsi, il est d'usage de dire que le porte-avions Charles de Gaulle représente « 42 000 tonnes de diplomatie » ou qu'un porte-avions américain, c'est « 100 000 tonnes de diplomatie »... s'il peut sembler s'agir de l'expression d'un rapport de force, plutôt que de diplomatie, le positionnement d'un porte-avions fournit toutefois une possibilité de gradation de la réponse à une crise :

« Le porte-avions n'est pas un outil de l'ombre, il est visible, ce qui peut être un atout en cas de contrôle de l'escalade : depuis sa mise en alerte puis son appareillage jusqu'à son retour, chaque phase de son activité est un signal adressé à la communauté internationale. Il s'agit de marquer la volonté et la ligne politique du pays » 8 ( * ) .

Plus généralement, avec la dissuasion nucléaire, la détention d'un porte-avions est l'un des attributs qui permet à la France de tenir son rang de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Or ce rang est parfois remis en cause, non seulement par les pays émergents, qui souhaiteraient accéder à ce statut, mais aussi au sein de l'Union européenne, par les partisans d'un siège commun européen au Conseil de sécurité. En tant que membre du P5, la France est attendue ; elle doit être réactive et pouvoir intervenir dans les grandes crises internationales. Elle a besoin de pouvoir bénéficier, pour ce faire, d'un panel de réponses possibles.

2. Un effet d'entraînement pour les coopérations internationales

Paradoxalement peut-être, le porte-avions est simultanément un vecteur d'autonomie stratégique et un fédérateur de coopérations internationales . Nous en donnerons ici deux exemples.

a) Un élément de la stratégie indopacifique de la France

La détention d'un porte-avions est un facteur d'attractivité de la France dans les coopérations internationales et un atout pour bâtir des partenariats stratégiques .

L'Inde n'est ainsi, semble-t-il, pas insensible à l'appoint possible de moyens français dans l'océan Indien, dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine (de plus en plus présente à Djibouti). En 2019, dans le cadre de la mission Clemenceau, le porte-avions est passé très rapidement de Méditerranée dans l'océan Indien, pour participer au plus grand exercice naval franco-indien à ce jour (Varuna), impliquant des porte-avions, des sous-marins, des bâtiments de guerre des mines et des forces spéciales.

Dans le golfe du Bengale, le porte-avions a également conduit l'exercice La Pérouse , avec les marines japonaise, australienne et américaine, notamment, et c'était une première, avec un porte-hélicoptères que le Japon prévoit de transformer en porte-avions. Le Charles De Gaulle s'est ensuite rendu à Singapour au moment du Dialogue de Shangri-La, avant de participer à des exercices conjoints avec la Marine et l'Armée de l'air de Singapour. En outre, l'un de ses navires d'escorte, le Forbin, est allé naviguer en mer de Chine méridionale, faisant escale à Hô-Chi-Minh-Ville.

b) Un atout pour la défense européenne et pour l'OTAN

Le porte-avions est un atout pour la défense européenne . Avant l'entrée prochaine en service opérationnel des deux porte-avions britanniques, il était le seul bâtiment de ce type en Europe.

L'idée d'un porte-avions européen, lancée en 2019 en Allemagne par Annegret Kramp-Karrenbauer, alors présidente de la CDU, et reprise par la chancelière Angela Merkel, paraît peu opérationnelle. Selon l'une des personnes que nous avons auditionnées, « faire un porte-avions européen, ce serait comme avoir une Ferrari pour faire du karting sur le parking du supermarché » ... L'idée d'un porte-avions européen répond avant tout à une volonté d'affichage politique. Mais encore faudrait-il pouvoir se mettre d'accord sur ce qu'en seraient les finalités. Trouver un tel accord entre partenaires européens paraît pour le moment difficile, faute de culture stratégique commune .

Un partenariat avec le Royaume-Uni pour la construction d'un porte-avions a été envisagé (programme PA2), avant d'être abandonné en 2008, en raison d'un coût jugé trop élevé. Les Britanniques ont, en outre, fait des choix éloignés de ceux de la France, avec deux porte-avions à tremplin et atterrissage vertical, destinés au lancement de l'avion F35B. Ces porte-avions ont été très récemment mis en service : il y a donc maintenant un décalage de phase avec la France , qui fait qu'il sera très difficile de revenir, à l'avenir, à une coopération franco-britannique pour la conception et la construction d'un nouveau porte-avions . Dans vingt ans, les PA britanniques devraient atteindre leur optimum opérationnel, tandis que nous serons dans une phase de transition.

Avec la dissuasion nucléaire et les sous-marins, le porte-avions fait partie des équipements très difficilement mutualisables avec nos partenaires, leur utilisation étant au coeur de l'expression de la souveraineté nationale .

Le groupe aéronaval participe néanmoins à la construction d'une défense européenne.

De nombreuses frégates de pays européens ont ainsi rejoint le GAN pour des exercices, au cours des deux dernières missions de celui-ci. Dès son départ de Toulon pour la mission Foch (2020), le GAN était accompagné d'une frégate grecque. Il a ensuite effectué des exercices avec les marines allemande, belge, néerlandaise, portugaise, espagnole, danoise, suédoise... Lors du passage du GAN en mer du Nord, la FREMM Bretagne a été détachée pour conduire une patrouille en mer Baltique, permettant d'affirmer la présence française dans cette région.

Le porte-avions apporte ainsi une contribution très concrète à la défense européenne : ces exercices permettent d'améliorer l'interopérabilité entre les marines européennes et de travailler à des capacités d'intervention et de projection communes. Si un porte-avions européen ne paraît pas un objectif crédible pour le moment, un groupe aéronaval européen l'est. Il favoriserait l'émergence d'une culture stratégique commune européenne.

Par ailleurs, l'état-major du GAN est aussi celui de la force aéromaritime française de réaction rapide (FRMARFOR) . Certifié NRF ( NATO Response force ), l'état-major de FRMARFOR (130 personnes) est organisé et équipé pour déployer des états-majors embarqués de commandement taillés sur mesure. Cet état-major est organisé en cellules fonctionnelles selon les standards de l'OTAN. La détention d'un porte-avions est un déterminant essentiel du poids de la France à l'OTAN .


* 8 « Propulsion nucléaire et souveraineté nationale : la question du porte-avions », Amiral Édouard Guillaud, ancien chef d'état-major des armées, Fondation pour la recherche stratégique, Recherches et documents, n°7/2018 (mai 2018).

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