III. UN RAPPROCHEMENT INSTITUTIONNEL POUR FACILITER LA COOPÉRATION ENTRE DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS ?

A. POSITION DU PROBLÈME

1. Un besoin d'articulation entre échelons territoriaux qui se traduit aujourd'hui par un empilement institutionnel

On a montré, dans la troisième partie de ce rapport, les impasses auxquelles conduit la spécialisation à outrance des compétences des différentes catégories de collectivités territoriales, et le besoin de trouver de nouvelles articulations entre les échelons régional et départemental d'administration : plutôt que d'assigner à chacun un domaine réservé, il conviendrait de réfléchir plus finement au moyen d'appliquer le principe de subsidiarité dans chaque secteur de l'action publique .

Dès lors, une réflexion s'impose pour savoir si, au-delà de l'assouplissement déjà évoqué de la répartition des compétences et des mécanismes contractuels liant entre elles ces collectivités, des réformes d'ordre institutionnel pourraient améliorer la coordination de l'action des conseils régionaux et départementaux . Elle s'impose d'autant plus que l'on assiste aujourd'hui à une forme de superposition des structures institutionnelles , liée notamment à la déconcentration de l'action régionale.

Comme il a été rappelé précédemment, les régions métropolitaines ont, surtout depuis la fusion de 2016, éprouvé le besoin de déconcentrer leur action afin de conserver un degré de proximité avec le terrain suffisant pour garantir l'efficacité des politiques régionales. La plupart d'entre elles disposent désormais de « maisons de la région » ou autres antennes locales, chargées du service de premier accueil et parfois de la gestion de certains services publics 255 ( * ) . Leur implantation correspond souvent à la carte des départements de la région .

Par ailleurs, depuis la loi du 11 avril 2003, les départements constituent un périmètre territorial de référence pour l'élection des conseillers régionaux , puisque ces derniers, s'ils restent élus dans le cadre d'une circonscription unique, le sont sur des listes composées d'autant de sections qu'il existe de départements dans la région, le nombre de candidats par section étant fonction de la population de chaque département 256 ( * ) .

Cet ancrage départemental des conseillers régionaux a des conséquences directes sur la manière dont les régions envisagent leur territoire et les périmètres infrarégionaux de leur action.

En Auvergne-Rhône-Alpes comme dans le Grand Est, où la rapporteure s'est rendue, elle a pu constater la place qu'occupent désormais, en tant que relais locaux de l'action du conseil régional, les « conseillers régionaux du département », et plus particulièrement ceux de la majorité régionale . Dans le Grand Est, ils semblent même assurer une forme de pilotage politique des services régionaux déconcentrés au sein des « maisons de la région ».

Pour la proximité de l'action publique, la territorialisation de l'action des conseils régionaux est certainement bienvenue. Néanmoins, la coexistence des conseils départementaux et de leurs services, d'un côté, des services déconcentrés des régions et des conseillers régionaux locaux, de l'autre, se mue parfois en concurrence , notamment dans des domaines de compétence partagée - par exemple l'assistance au bloc communal, où les départements disposent en principe d'une compétence plus large mais, dans les faits, de moyens souvent plus limités. Il n'est pas non plus certain que nos concitoyens s'y retrouvent...

2. Trois modèles de simplification institutionnelle

Plutôt que d'assister au développement parallèle d'administrations régionales et départementales oeuvrant dans les mêmes périmètres géographiques, et à la montée de la concurrence entre élus, il pourrait sembler intéressant de procéder à un rapprochement institutionnel entre ces deux catégories de collectivités territoriales.

Trois modèles peuvent être envisagés en théorie.

a) Le département comme échelon déconcentré de la région

Le premier modèle consisterait à supprimer le département en tant que collectivité territoriale pour en faire une circonscription d'administration régionale déconcentrée . S'il est rarement défendu publiquement, ce modèle n'en apparaît pas moins en filigrane dans certaines réflexions, et il pourrait constituer l'aboutissement logique du processus de déconcentration de l'action régionale qui a été décrit. Cela dit, l'hypothèse soulève de nombreuses questions :

- quelle serait la consistance institutionnelle de cette circonscription déconcentrée de la région ? Serait-elle dotée d'un budget propre ? De la personnalité morale (auquel cas on ne pourrait plus parler à proprement parler de déconcentration) ? Les compétences exercées à cet échelon seraient-elles définies par la loi ou laissées à l'appréciation du conseil régional ?

- quel serait l'organe chargé d'exercer les compétences régionales au niveau départemental ? Un agent de la région, à la tête de services et placé sous l'autorité du président du conseil régional ? Ce serait la consécration d'un centralisme régional. Une assemblée constituée des conseillers régionaux du département ? Rien ne garantirait alors la cohérence politique de cette assemblée avec le conseil régional.

Selon les modalités retenues, l'opération pourrait donc constituer un bouleversement ou s'apparenter au statu quo .

b) La région comme établissement interdépartemental

Un deuxième modèle, expressément défendu par certains auteurs, consisterait à transformer les régions en établissements publics interdépartementaux - voire en structures non personnalisées de coopération interdépartementale.

Là encore, le diable est dans les détails. En supposant que la région soit maintenue en tant qu'établissement public, cette configuration s'éloignerait plus ou moins de la situation actuelle en fonction du mode d'élection de son organe délibérant, de la répartition des sièges en son sein entre les départements membres, ainsi que de la nature et des modalités de détermination des compétences de l'établissement régional. L'évolution de l'intercommunalité en France montre que, des collectivités et de leurs groupements, les plus puissants ne sont pas toujours ceux qu'on croit...

c) Un rapprochement organique

Le troisième modèle consisterait à maintenir le département et la région en tant que collectivités territoriales de plein exercice, n'exerçant aucune tutelle l'une sur l'autre, mais à établir entre elles un lien organique, tenant au fait qu'elles seraient administrées par des élus communs . C'est l'hypothèse du « conseiller territorial » qui, malgré l'échec de la réforme de 2010, continue d'animer les débats, en partie sans doute parce que ses effets sont très incertains.


* 255 Pour de plus amples développements, voir la troisième partie.

* 256 En revanche, il n'est pas obligatoire d'être domicilié dans un département pour figurer sur la section correspondante d'une liste régionale. Il est intéressant de constater que, tandis que les circonscriptions électorales correspondent en règle générale aux circonscriptions administratives de l'État, la séparation de la collectivité départementale du Rhône et de la métropole de Lyon a conduit le législateur à créer deux sections distinctes sur les listes de candidats aux élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes.

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