IV. PLUTÔT QUE D'ENTAMER UNE RÉFLEXION SUR LES RÉFORMES QUI PERMETTRAIENT DE MAÎTRISER LA DÉPENSE INTELLIGEMMENT EN SORTIE DE CRISE, LE GOUVERNEMENT S'OBSTINE À IMAGINER UN TRAITEMENT SPÉCIFIQUE POUR LA « DETTE COVID »

A. LE CANTONNEMENT DE LA « DETTE COVID » PORTÉE PAR L'ÉTAT CONSTITUE UN « TOUR DE PASSE-PASSE » COMPLEXE ET SANS INTÉRÊT SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE

Dès l'été 2020, la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a organisé le cantonnement de la dette de la sécurité sociale liée à la crise sanitaire au sein de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Celle-ci sera amortie par la prolongation de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 2025 à 2033.

En complément, le Gouvernement a annoncé son souhait de cantonner le reste de la « dette Covid », porté par l'État 26 ( * ) .

Notamment missionnée pour explorer cette piste, la commission sur l'avenir des finances publiques a toutefois considéré cette solution comme inopportune 27 ( * ) .

Elle ne présente tout d'abord aucun intérêt sur le plan budgétaire : les recettes affectées au remboursement de la dette cantonnée manquent ailleurs, si bien que la disparition progressive de la dette cantonnée s'accompagne en parallèle de la reconstitution d'une dette « classique » d'un montant équivalent. Le cantonnement n'améliore donc pas la soutenabilité de la dette publique, voire la dégrade puisque les programmes d'émission classiques sont généralement réalisés par l'État à un coût légèrement inférieur.

Si le cantonnement a historiquement été mis en place pour la dette sociale, en dépit de la complexité qu'il induit en gestion, c'est pour une raison politique : dès lors qu'il revient à chaque génération de financer ses dépenses de protection sociale sans en reporter le coût sur les générations suivantes, il a été jugé important d'isoler la dette sociale, perçue comme une « mauvaise dette ».

Cette raison ne paraît toutefois pas transposable au cas de la « dette Covid ». En effet, il est compréhensible de s'endetter pour soutenir l'économie en période de crise et d'amortir ensuite le coût d'un choc aussi exceptionnel qu'une épidémie sur une longue période.

B. LE MÉCANISME D'ISOLEMENT PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT SOULÈVE DE FORTES INTERROGATIONS

Compte tenu de l'opposition suscitée par ce mode de gestion, qui s'étend désormais à la dette sociale elle-même 28 ( * ) , le Gouvernement indique dans le cadre du programme de stabilité son souhait d' opter pour un mécanisme d'isolement, qui n'impliquerait pas l'affectation de recettes publiques à une caisse d'amortissement dédiée .

Selon les indications du programme de stabilité, cet isolement serait assuré par la création, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, d'un programme budgétaire ouvert sur la mission « Engagements financiers de l'État » et doté de 140 milliards d'euros d'autorisations d'engagement , en vue d'un abondement de la Caisse de la dette publique dans les années à venir. Les crédits de paiement seraient décidés année après année, en fonction de la « dynamique de la croissance ».

Établissement public administratif mis en place par la loi de finances pour 2003 29 ( * ) , la Caisse de la dette publique constitue un vecteur qui a déjà été utilisé pour amortir des titres émis par l'État ou repris à un tiers . Elle a notamment été alimentée, dans le passé, par des recettes issues des privatisations.

En pratique, l'activité de la Caisse est toutefois restée marginale : depuis sa création, elle a procédé à des rachats d'un montant total de seulement 10 milliards d'euros 30 ( * ) .

En l'espèce, la création d'un programme doté uniquement d'autorisations d'engagement telle que proposée par le Gouvernement constituerait une pratique inhabituelle, qui soulève des interrogations fortes.

L'ouverture d'autorisations d'engagement pour amortir la « dette Covid » introduirait une confusion problématique entre l'engagement juridique à l'égard des créanciers, qui a déjà en grande partie été pris à travers les émissions réalisées depuis mars 2020 et ne sera en rien affecté par le mécanisme proposé, et la volonté de « rembourser » la « dette Covid », engagement politique que souhaite prendre le Gouvernement à l'égard des citoyens, du Parlement et de la communauté internationale.

Elle serait en outre source de complexité - la règle d'indexation sur la croissance n'est d'ailleurs pas précisée et ferait à n'en pas douter l'objet d'incessants débats - et rendrait le budget de l'État difficilement lisible , puisque la mission « Engagements financiers de l'État » pourrait devenir du fait de ce choix la première mission du budget général l'an prochain en termes d'autorisations d'engagement.

Au total, il est très difficile de comprendre l'insistance du Gouvernement à vouloir réserver un traitement spécifique à la « dette Covid » en gestion, alors même que l'inventivité de Bercy pourrait être mise au service de projets présentant un véritable intérêt pour nos finances publiques, ainsi que cela a déjà été souligné.


* 26 Isabelle Couet, « Bercy prône toujours un cantonnement de la dette Covid », Les Échos, 3 mars 2021.

* 27 Rapport de la commission pour l'avenir des finances publiques, p. 39 et suivantes.

* 28 Le Haut conseil du financement de la protection sociale a ainsi invité le Gouvernement à « prioriser, pour les années à venir, le retour à l'équilibre des comptes courants plutôt que le remboursement rapide de la dette » dans sa « note d'étape sur les finances sociales après la crise Covid-19 », remise le 23 mars 2021.

* 29 La Caisse de la dette publique a succédé à la Caisse d'amortissement de la dette publique, créée par l'article 32 de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 de finances rectificative pour 1986.

* 30 « La dette publique de la France : un poids du passé, un défi pour l'avenir », rapport d'information n° 566 (2016-2017) d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances du Sénat et déposé le 31 mai 2017, p. 90.

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