LES 10 RECOMMANDATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La conditionnalité des aides doit être renforcée et aboutir à une véritable contractualisation entre l'État et les groupes de presse concernés par les aides, prenant notamment en compte la taille de ceux-ci pour éviter les effets d'aubaine.

2. L'évolution des habitudes de lecture de la presse écrite doit coïncider avec un soutien plus affirmé aux services de presse en ligne, le régime actuel des aides à la presse pouvant être assimilé à un régime de soutien, à fonds perdus, de la filière papier.

3. La réforme de l'aide à la distribution (révision de la grille tarifaire du transport postal, soutien au portage et régulation de cette activité) proposée par la mission Giannesini doit, en dépit de son coût lors des premiers exercices et d'une interrogation sur la réelle ouverture des réseaux de portage, être rapidement mise en oeuvre si elle permet un désengagement progressif de l'État dans le soutien au transport postal et au postage au profit d'un appui à la modernisation du secteur.

4. L'inscription du soutien au transport postal de la presse au sein du programme 134 de la mission « Économie » ne permet pas de disposer d'une vision globale des aides au secteur. Il apparaît indispensable de produire un document budgétaire unique visant à évaluer l'ensemble des transferts réalisés au bénéfice du secteur de la presse écrite.

5. Procéder d'ici à 2026 à une révision profonde du régime des aides à la presse écrite en vue de la mise en place d'une aide unique au titre, évolutive en fonction de son niveau de son accessibilité en ligne, de sa participation à la connaissance et au savoir et de son degré d'indépendance. Son versement donnerait lieu à la publication d'un document détaillant, par titre et par groupe, le montant de l'aide accordée.

6. Supprimer les aides à l'exportation qui peuvent apparaître obsolètes eu égard au soutien accordé par ailleurs à la transition numérique des titres.

7. Élargir la catégorie IPG aux publications de la connaissance et du savoir. Cet élargissement s'effectuerait à coût constant pour l'État, dans le cadre de la vaste révision du régime des aides prévue par ailleurs.

8. Clarifier le rôle du fonds à la transition écologique afin d'éviter les doublons avec les structures déjà existantes, à l'image du FSDP, et le risque concomitant d'effet d'aubaine.

9. Cibler l'aide à la digitalisation en tenant compte des stratégies déjà menées par les titres et en favorisant les publications ne disposant pas encore des infrastructures ou des revenus publicitaires nécessaires.

10. Favoriser la transition numérique en dépassant la simple logique budgétaire via la mise en place d'autres instruments juridiques destinés à améliorer les ressources des titres (kiosques numériques, publicité numériques, droits voisins).

I. DES AIDES BUDGÉTAIRES DÉDIÉES À L'ENSEMBLE DE LA FILIÈRE...

A. PLUSIEURS DISPOSITIFS D'AIDES SONT DÉDIÉS À LA PRESSE SANS QU'ILS NE RELÈVENT EXCLUSIVEMENT DE LA MISSION « MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES »

1. Le régime d'aides prévu par le programme 180 « Presse et Médias »

Profondément révisé à partir de 2012, le régime des aides à la presse est désormais structuré autour de trois types de subvention :

- les aides à la diffusion ;

- les aides au pluralisme ;

- les aides à la modernisation.

Le dispositif est censé couvrir l'ensemble de la filière, de l'éditeur au point de vente.

Le circuit de distribution de la presse papier

Hors portage et transport postal, le circuit de distribution de la presse est organisé par la loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, révisée en 2011.

La loi Bichet repose sur quatre principes :

- tout éditeur est libre de diffuser ;

- les éditeurs doivent adhérer à une coopérative qui permet une mutualisation des coûts et organise les moyens de distribution. La participation au capital de ces coopérative est réservée aux personnes physiques et morales propriétaires de périodiques, qui ont pris l'engagement de conclure un contrat de transport, de de groupage ou de distribution ;

- les coopératives peuvent confier l'exécution de certaines opérations matérielles à des sociétés commerciales de messagerie, au sein desquelles elles doivent détenir une participation majoritaire ;

- les éditeurs ne peuvent vendre qu'au sein d'un réseau agréé de marchands de journaux.

La distribution est, de fait, organisée autour de trois niveaux :

- niveau 1 : sociétés coopératives (Coopérative de distribution des quotidiens, coopérative de distribution des magazines, Messageries lyonnaises de presse - MLP) et sociétés commerciales de messagerie de presse (Presstalis puis France Messagerie et MLP). Les messageries réalisent pour le compte des éditeurs des missions logistiques (réception, répartition, traitement, livraison), commerciales (conseil et assistance à la distribution de titres, suivi du réseau des agents de la vente, collecte des données de ventes) et financières (récupération et remontée des produits des ventes, mission ducroire). Jusqu'à sa liquidation en juillet 2020, Presstalis assurait 74 % de la vente au numéro (331 éditeurs) et les MLP 26 % de la vente au numéro (550 éditeurs environ) ;

- niveau 2 : dépositaires de presse (66 dépôts sont répartis sur le territoire). La distribution de la presse sur le territoire métropolitain est organisée autour de 59 zones de desserte exclusives. 41 ont été attribuées à des dépositaires de presse Presstalis disposait jusqu'à sa liquidation des dépôts de la société d'agence et de diffusion - SAD (Paris, Ajaccio, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Rennes, Toulouse et Tours) et de la SOPROCOM (Avignon, Bastia, Crépy-en-Valois, Fréjus, Le Mans et Nancy). Les MLP possède une filiale, Forum Diffusion Presse , qui détient des participations majoritaires dans le capital de deux dépôts situés à Croissy-Beaubourg et à Poitiers, et est membre du groupement « Alliance Distribution », auquel sont affiliés 22 dépôts de province ;

- niveau 3 : diffuseurs , à savoir les marchands de journaux.

La France compte environ 900 éditeurs regroupés au sein de trois coopératives, chargées d'organiser la distribution de 4 700 titres.

Source : commission des finances du Sénat

L'action 02 du programme 180 « Médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » concentre les crédits dédiés au financement de ces dispositifs. 118,1 millions d'euros (AE=CP) sont ainsi prévus en loi de finances pour 2021.

Répartition des crédits de paiement par sous-action
au sein de l'action 02 « Aides à la presse » en loi de finances pour 2021

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Montant des aides à la presse à la presse écrite prévues en 2021
au sein du programme 180

(en euros)

Action

Montant

Sous-action 01 « Aides à la diffusion »

39 387 903

Aide au portage de la presse

26 500 000

Exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse

12 887 903

Sous-action 02 « Aides au pluralisme »

23 225 000

Aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires

14 355 000

Aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces

1 400 000

Aide au pluralisme des titres ultramarins

2 000 000

Aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale

1 470 000

Aide aux services de presse en ligne

4 000 000

Sous-action 03 « Aides à la modernisation »

55 473 422

Aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale

150 000

Aide à la modernisation de la distribution de la presse

27 850 000

Aide à la modernisation des diffuseurs de presse

6 000 000

Fonds stratégique pour le développement de la presse

16 473 422

Fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse

5 000 000

Total

118 086 025

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La loi de finances pour 2021 prévoit une progression des crédits en faveur des aides à la presse de 7,2 millions d'euros (+ 6,46 %).

Ces nouveaux crédits sont fléchés vers les aides au pluralisme :

- 1,2 million d'euros affectés à l'aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources ;

- 2 millions d'euros dédiés à une nouvelle sous-action consacrée à l'aide au pluralisme des titres ultramarins. Celle-ci prend le relais d'une aide mise en place en 2020 par décret. Une aide spécifique de 1,3 million d'euros est ainsi accordée à une quinzaine de titres de la presse ultramarine. Par ailleurs, la loi de finances prévoit l'extension aux territoires ultramarins de l'aide prévue pour la diffusion des quotidiens et des hebdomadaires d'information politique et générale (IPG) à l'étranger. 0,7 million d'euros est ainsi attribué afin de prendre en compte le coût du transport des titres. Il convient de rappeler à ce stade que la perte des investissements publicitaires au sein des titres ultramarins serait, en 2020, de l'ordre de 55 %, soit environ 20 millions d'euros. Les campagnes de Santé publique France, estimées à 0,5 million d'euros, n'ont pas compensé ces pertes.

- 4 millions d'euros dédiés à une nouvelle sous-action instituée en faveur de l'aide aux services de presse en ligne. Cette nouvelle enveloppe permet de rompre avec la priorité accordée à l'imprimé pour le versement des aides à la presse.

Les exercices 2021 et 2022 sont, par ailleurs, marqués par une aide complémentaire conséquente via la mission « Plan de relance » ( cf infra ).

415 entités ont bénéficié en 2019 du régime des aides à la presse, qu'il s'agisse d'aides directes ou à des tiers 2 ( * ) , pour un montant de 77,4 millions d'euros.

Nombre de bénéficiaires des aides à la presse et montants versés
entre 2011 et 2019

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. Des dispositifs répartis au sein d'autres programmes

Le montant inscrit au sein du programme 180 ne résume pas, pour autant, les crédits budgétaires dédiés au secteur de la presse écrite. Le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » vient, en effet, compléter le programme 180 en intégrant la compensation versée à La Poste pour sa mission de distribution de la presse (87,8 millions d'euros prévus en AE et en CP en loi de finances pour 2021), considérée comme une aide indirecte à la presse.

L'inscription du soutien au transport postal de la presse au sein du programme 134 de la mission « Économie » ne permet pas de disposer d'une vision globale des aides au secteur. La Cour des comptes avait également souligné, en février 2018, la nécessité de produire un document budgétaire unique visant à évaluer l'ensemble des transferts réalisés au bénéfice de ce secteur 3 ( * ) . Dans une réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial, le Gouvernement indique que ce rattachement pourrait intervenir à compter du projet de loi de finances pour 2022. Le rapporteur spécial sera vigilant quant à cette mise en oeuvre nécessaire en vue de renforcer la lisibilité de la dépense publique en faveur de la presse écrite.

Par ailleurs, à la suite du succès de l'appel à projets « médias de proximité » lancé en 2015, un fonds pérenne de soutien aux médias d'information sociale de proximité a été créé l'année suivante 4 ( * ) . Doté de 1,58 million d'euros en 2021, il soutient plusieurs types de médias : publications de presse, sites internet de presse, radios, télévisions, web-télévisions et web-radios. Sur les 224 médias candidats en 2019, 141 ont été soutenus en 2020 pour des subventions dont le montant maximum était de 18 045 euros. Une majorité d'entre eux sont des sites de presse en ligne.

Évolution du fonds pérenne de soutien aux médias d'information de proximité
entre 2015 et 2020

Montants versés (en euros)

Nombre de bénéficiaires

2016

1 498 098

108

2017

1 581 200

132

2018

1 581 540

126

2019

1 581 650

130

2020

1 526 702 5 ( * )

141

Total

7 769 190

637

Source : direction générale des médias et des industries culturelles

Le ministère de la culture a, par ailleurs, lancé en mars 2018 un plan de soutien des actions d'éducation aux médias. 6 millions d'euros par an sont fléchés vers ce plan. Un fonds de 4,5 millions d'euros est dédié au soutien des acteurs de l'éducation aux médias et à l'information - EMI (associations ou de médias locaux). Ce fonds finance les appels à projet présentés par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Les projets éligibles sont en priorité à destination des 11-13 ans qu'ils soient scolarisés ou accueillis dans d'autres structures (instituts médico-éducatifs, protection judiciaire de la jeunesse, établissements de soins, école de la seconde chance ou établissements pour décrocheurs scolaires). Le ministère a, en outre, lancé, en 2019, un appel à projets national doté d'une enveloppe de 1,5 million d'euros en vue notamment de développer des modules d'EMI dans le cadre du service national universel (SNU), d'intensifier la participation des bibliothèques et de faire émerger des projets innovants et créatifs.

Le Pass Culture intègre, par ailleurs, un volet presse, permettant aux jeunes éligibles de pouvoir s'abonner à un périodique. .

3. Le rôle de l'IFCIC

Le fonds de garantie de l'Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) est ouvert aux diffuseurs de presse, aux éditeurs ayant obtenu le certificat d'inscription délivré par la CPPAP et bénéficiant de la qualification d'information politique et générale ou éligible au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) ainsi qu'aux éditeurs de presse culturelle. Il permet d'apporter une garantie de l'État aux emprunts contractés par ces entreprises.

Cette garantie est en général de 50 % du montant du crédit, dans la limite d'une part en risque de l'IFCIC de 1 million d'euros. Le taux de garantie peut être porté au maximum à 70 % du concours bancaire obtenu par l'entreprise pour un crédit d'un montant maximum de 150 000 euros , ou en faveur des entreprises de presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale, dans la limite d'une part en risque de 1 million d'euros. Peuvent bénéficier de la garantie les concours bancaires tels que les crédits confirmés, les crédits à moyen et long terme, les crédits-bails, les contrats de location financière et les engagements par signature. Le dispositif a été bonifié en 2020 pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et de la liquidation judiciaire de Presstalis ( cf infra ).

L'IFCIC avait également mis en place, sur crédits publics, un fonds d'avances remboursables participatives aux entreprises de presse (FAREP). Ce fonds était initialement ouvert aux PME (au sens du droit de l'Union européenne) de moins de 3 ans, avant que l'objet du financement ne soit élargi aux dépenses de développement de ces entreprises en 2016. En premier lieu dédié aux sites de presse tout en ligne d'information politique et générale, le dispositif a été étendu en 2016 à l'ensemble des éditeurs de presse et SPEL répondant aux critères d'éligibilité du FSDP, presse IPG mais également presse en ligne professionnelle, scientifique et culturelle. Le fonds a été fusionné en 2017 avec les autres dispositifs sectoriels de prêt de l'IFCIC. Les prêts sont remboursables sur une durée comprise entre 12 et 84 mois incluant une éventuelle période de franchise en capital (jusqu'à 24 mois).


* 2 Sont qualifiées d'aides directes, les aides lorsqu'elles sont versées directement aux titres. Elles regroupent les dispositifs d'aides suivants :

- le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) ;

- les aides au pluralisme (aides aux publications à faibles ressources publicitaires, aides à la presse périodique régionale et locale) ;

- l'aide au portage de la presse ;

- le fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse qui s'appuie sur trois dispositifs d'intervention (FSEIP).

Sont qualifiées d'aides à des tiers les aides à la distribution et les aides à la modernisation.

* 3 Les aides à la presse écrite : des choix nécessaires, Rapport public annuel, février 2018.

* 4 Décret n° 2016-511 du 26 avril 2016.

* 5 Le montant total des aides notifiées en 2020 s'élève à 1 581 665 euros, le solde correspondant au non-versement d'aides sur l'exercice qui fera l'objet d'un report sur 2021.

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