B. ÉLEVER LE NIVEAU DE RÉPONSE FACE À UNE CRIMINALITÉ ORGANISÉE TOUJOURS PLUS TECHNIQUE ET INTERNATIONALE

Plutôt que la capacité de collaboration et de mutualisation des moyens, *****, de surveillance et de renseignement humain, ce sont les mutations opérées par les organisations criminelles elles-mêmes qui imposent de rehausser le niveau des moyens techniques et humains des offices comme des services spécialisés.

1. Des enjeux techniques, dark web et cryptomonnaies

La question des outils est cruciale. La présentation par la DNRED des nouveaux moyens de « commercialisation » des produits de la criminalité organisée sur le dark web (vente de stupéfiants, de véhicules et de produits de vols ou de trafics en tous genres) en faisant appel aux cryptomonnaies comme moyens de paiement, a démontré la nécessité d'obtenir de nouveaux moyens techniques d'enquête et d'investigation. Ainsi, l'identification des trafiquants opérant sous des profils cachés peut mobiliser sur une longue période des moyens et des compétences techniques pendant plusieurs mois.

L'enjeu pour la DNRED est de pérenniser une « cyberdouane » dotée de moyens matériels et humains adéquats pour permettre la poursuite des démantèlements de plateformes de vente, ces dernières pouvant fournir plusieurs milliers de « clients » en stupéfiants, armes et faux papiers.

2. Des enjeux humains

À l'enjeu technique se greffe l'enjeu en ressources humaines pour exploiter les systèmes d'information, mais aussi pour continuer à assurer un renseignement humain qui demeure indispensable pour débusquer les réseaux de trafic de stupéfiants.

Les deux principales difficultés rencontrées par les services ont trait, d'une part, au niveau de recrutement des opérateurs, et d'autre part, à leur environnement juridique, toujours plus complexe :

- tous les services font part de la difficulté à recruter et fidéliser des personnels qualifiés dans la cybercriminalité. ***** ;

- s'agissant plus particulièrement des services et offices à compétence judiciaire, *****.

Recommandation n° 9 : Renforcer les moyens de lutte cyber face au développement des nouveaux modes d'action de la criminalité organisée.

Les moyens financiers dont disposent les réseaux de criminalité organisée et les méthodes d'intimidation qu'ils sont susceptibles de mettre en oeuvre à l'encontre des agents des services de sécurité intérieure, de renseignement et des autorités publiques, imposent un suivi, voire un renforcement, des mesures de lutte contre la corruption. L'ensemble des services entendus par la délégation a fait part du risque aigu existant en la matière et qui correspond à la nature même du crime organisé.

C'est d'ailleurs au titre de la lutte contre les menaces transversales et de la criminalité organisée que la corruption figure dans les enjeux prioritaires du renseignement : « Suivant une logique de prédation et de pouvoir, la criminalité organisée tend à substituer son ordre crapuleux à la souveraineté des États par l'intimidation, la violence et la corruption [...] » 19 ( * ) . La corruption est également citée, au même titre que la prolifération, l'espionnage industriel et scientifique, le chantage cyber et la subversion, parmi les menaces justifiant la mise en oeuvre de la mission d'entrave du renseignement 20 ( * ) .

Lors de son audition, M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, a considéré que la corruption constituait un « vrai sujet qui n'est pas anecdotique » tant elle se ramifie dans la sphère publique et privée comme un prérequis nécessaire au trafic de stupéfiants. La corruption de fonctionnaires est mentionnée dans le domaine des douanes mais aussi de l'administration fiscale. *****

Tant la DCPJ que la DNRED, dans le cadre de la visite de terrain effectuée au port du Havre, soulignent l'importance des sommes en jeu et la vulnérabilité des agents potentiellement visés. *****

Pour ne pas risquer d'atteindre la situation de « narco-État » observée dans certains pays du Nord de l'Europe où l'emprise des organisations criminelles vise le plus haut sommet de l'État, la DCPJ alerte sur le traitement insuffisamment frontal de la corruption. À ce titre, elle préconise trois axes de lutte :

- faire de la corruption un véritable item des politiques publiques économiques de lutte contre la fraude ;

- renforcer la prévention en s'inspirant de l'expérience anti-mafia qu'a menée l'Italie dans l'opération mani pulite ;

- élargir le champ d'application des déclarations d'intérêts aux agents en charge de la lutte contre la criminalité organisée.

Dans le secteur privé, notamment celui des dockers, la DNRED décrit l'échelle des montants corruptifs comme allant de quelques milliers d'euros à plus de 100 000 euros pour des opérations pouvant apparaître anodines telles que le prêt d'un badge d'accès ou le déplacement d'un container. Dès l'acceptation d'une somme d'argent par un agent public ou privé, l'organisation « verrouille » les agents corrompus. Ceux-ci peuvent par ailleurs faire l'objet de chantage, voire d'assassinat 21 ( * ) , de la part d'autres individus ou organisations les soupçonnant d'avoir perçu une forte somme d'argent. Le trafic de drogue apparaît comme un puissant générateur de déstabilisation des institutions publiques - à commencer par l'échelon local -et doit, par conséquent, être également abordé sous l'angle de la lutte contre la fraude et la corruption.

Il s'agit donc, avant tout, de garantir la sécurité des agents, des élus et de leur entourage, par la mise en oeuvre rigoureuse de protocoles permettant de séparer leur vie personnelle de leur activité professionnelle liée à la lutte contre le crime organisé.

Mais, face à l'ampleur croissante des réseaux, il appartient également aux services d'assurer un contrôle accru des agents et des autorités face au risque de corruption. Cette mission nécessairement délicate doit faire l'objet d'une coordination entre les services concernés par la lutte contre la criminalité organisée.

Recommandation n° 10 : Développer les mesures de prévention de la corruption des agents et des autorités publiques.


* 19 Stratégie nationale du renseignement (page 7).

* 20 Stratégie nationale du renseignement (page 9).

* 21 La pression qu'exercent les trafiquants de drogue sur les dockers est apparue au grand jour lorsqu'en juin 2020, un docker, délégué CGT, avait été enlevé puis retrouvé mort sur un parking de l'agglomération havraise.

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