C. LE RISQUE DE POROSITÉ : LE « PANTOUFLAGE » DES RESPONSABLES PUBLICS DANS LES CABINETS DE CONSEIL

1. Moins de 1 % des effectifs des cabinets de conseil

De manière unanime, les cabinets de conseil interrogés ont assuré qu'il n'existait aucune stratégie délibérée de leur part pour le recrutement d'anciens responsables publics .

Responsables publics : le périmètre retenu par la commission d'enquête

Cette notion comprend les membres du Gouvernement, les députés, les sénateurs, les députés européens, les membres d'une autorité administrative indépendante, les agents publics, les collaborateurs de cabinet ministériel et les collaborateurs parlementaires.

À partir de cette définition, la commission d'enquête a interrogé une trentaine de cabinets de conseil sur les responsables publics présents dans leurs équipes.

De fait, les anciens responsables publics représentent une petite minorité des consultants des cabinets de conseil, et en tout état de cause une part inférieure à 1 % de leurs effectifs .

Certains cabinets, comme Eurogroup, ne disposent d'ailleurs d'aucun responsable public dans leurs rangs.

Recrutement d'anciens responsables publics : une part minoritaire dans les effectifs des cabinets de conseil

- BCG 334 ( * )

« Nous avons aujourd'hui moins d' une vingtaine de nos collaborateurs qui sont issus du secteur public, sur un millier d'employés sur le marché français . C'est donc très peu. Pour la plupart d'entre eux, ils ne sont pas directement arrivés chez nous après la fonction publique, mais parfois après une activité dans le privé avant de nous rejoindre . »

« À l'heure actuelle, nous avons zéro énarque parmi nos employés . Nous avons pu en avoir à certains moments » mais plus aujourd'hui.

- Eurogroup 335 ( * )

« Nous n'avons pas de doctrine de recrutement de hauts fonctionnaires et nous n'avons pas de hauts fonctionnaires dans les effectifs d'Eurogroup . Nous n'en avons pas et nous n'en avons jamais eu . »

- McKinsey 336 ( * )

« Parmi nos 600 collaborateurs, seuls sept, soit environ 1 %, ont une expérience préalable dans le secteur public de plus de deux ans . Sur ce 1 %, la moitié n'a pas effectué, au sein de notre cabinet, de projet dans le secteur public.

Nos processus d'entretien se basent strictement sur les compétences, avec une candidature en ligne et entre 5 à 10 entretiens par candidat retenu. [...] Nos consultants nous quittent souvent après trois à cinq ans, et certains vont dans le secteur public, ce qui n'a rien d'exceptionnel. Parmi nos anciens collaborateurs, au 31 décembre 2021, environ 1 % travaille dans le secteur public . »

- Roland Berger 337 ( * )

« Concernant le recrutement de hauts fonctionnaires, nous n'avons pas de doctrine particulière . J'ai moi-même été fonctionnaire pendant quelques années, mais enfin il y a 20 ans. Nous sommes trois dans la structure [...]. C'est un peu le fruit du hasard. Il n'y a pas de projet derrière cela. Ce sont les individus qui, à un instant donné, semblent vouloir effectivement apporter leur valeur au sein du cabinet. Il n'y a pas d'objectifs quantifiés de recrutement . »

- Sopra Steria 338 ( * )

« Est-ce que l'on emploie des collaborateurs qui ont été hauts fonctionnaires, élus, ministres ou collaborateurs politiques ? Oui.

[Mais] je précise que nous n'avons pas de stratégie de recrutement d'anciens fonctionnaires [...]. Il se trouve nous avons 14 personnes qui répondent à ces critères au sein de l'effectif, c'est donc moins de 1 %. Nous n'excluons pas ces personnes par principe. Mais nous sommes très rigoureux et nous ne prenons aucun risque : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est évidemment consultée ; nous disposons d'un code de conduite particulier en interne. »

L'État ne dispose pas de statistiques centralisées sur les départs de / vers les cabinets de conseil. Seuls la HATVP et, pour les militaires, le ministère des Armées disposent de données .

Si ces données restent lacunaires, elles font état d' au moins 18 départs de responsables publics vers les cabinets de conseil depuis 2018 . S'agissant des fonctionnaires, les principaux cabinets « d'accueil » sont « Deloitte, BCG - que l'on retrouve souvent - Capgemini et Accenture » 339 ( * ) .

Une tendance de fond se dégage : dans la plupart des cas, les responsables publics créent leur propre activité de conseil , sous la forme d'une société ou d'une entreprise individuelle. Cela s'est produit à 73 reprises depuis 2018, dont 19 fois pour des responsables civils et 54 fois pour des officiers généraux de l'armée .

S'ils ne rejoignent pas les grands cabinets de conseil, ces anciens responsables publics peuvent intervenir à leurs côtés, en tant que sous-traitants.

Mobilités des responsables publics vers et depuis l'activité de conseil : les chiffres de la HATVP et du ministère des Armées

Ministres, membres d'AAI et exécutifs locaux

Agents publics

Officiers généraux

Total

Nombre de départs vers un cabinet de conseil

5

7

6

18

Nombre de créations d'activités de conseil

19

NC

54

73

Nombre d'arrivées depuis le secteur de conseil (« rétropantouflage »)

NC

8

NC

8

Période concernée

2018-2021

Fév. 2020 - janv. 2022

2018-2021

-

Exhaustivité de la donnée

Oui

Non (la HATVP n'est pas saisie de tous les dossiers)

Non (officiers généraux uniquement)

Non

Source : commission d'enquête, à partir des auditions de M. Didier Migaud, président de la HATVP, et de Mme Florence Parly, ministre des Armées

Précisions concernant le tableau des mobilités vers et depuis l'activité de conseil

1° Les ministres, membres d'autorité administrative indépendante (AAI) et les présidents d'exécutifs locaux 340 ( * )

La reconversion professionnelle de ces responsables publics fait l'objet d'un avis systématique de la HATVP 341 ( * ) , les statistiques portant sur les années 2018 à 2021 incluses.

- Sur les 66 avis rendus par la Haute Autorité, deux ont concerné des départs vers de grands cabinets de conseil : une ancienne secrétaire d'État (Mme Axelle Lemaire) qui a rejoint Roland Berger en janvier 2018 et un membre d'AAI qui a rejoint BearingPoint en 2019. La HATVP a prononcé un avis de compatibilité avec réserves sur ces deux dossiers ;

- La HATVP a également recensé trois départs vers des cabinets d'avocats susceptibles de délivrer des prestations de conseil : en 2019, un ancien ministre est devenu senior advisor chez Franklin et un ancien membre d'AAI est devenu consultant of counsel chez Fidal ; en 2021, un ancien membre d'AAI est devenu counsel chez Dentons ;

- Enfin, la HATVP a examiné 19 cas dans lesquels ces anciens responsables publics ont créé leur propre activité de conseil .

2° Les agents publics

La HATVP contrôle les reconversions des agents publics depuis le 1 er février 2020.

Elle est systématiquement saisie pour les postes les plus sensibles, donnant lieu à une déclaration d'intérêts (directeurs d'administration centrale, préfets, membres de cabinets ministériels, etc .). Dans les autres cas, la saisine de la HATVP reste facultative : elle peut être consultée par l'autorité hiérarchique ou l'agent, mais uniquement en cas de doute 342 ( * ) .

Il en est de même pour le contrôle des prénominations (« retropantouflage »), lorsqu'un salarié du secteur privé rejoint l'administration.

Les statistiques suivantes, qui portent sur la période février 2020 - janvier 2022, ne sont donc pas exhaustives :

- sur 264 dossiers de reconversion soumis à la HATVP, sept concernaient des départs vers les cabinets de conseil ;

- sur 573 avis de prénomination (« rétropantouflage »), huit portaient sur des arrivées depuis les cabinets .

Ces dossiers ont donné lieu à des avis de compatibilité avec réserves, à l'exception d'un dossier de reconversion et d'un dossier de prénomination pour lesquels la HATVP a prononcé un avis de compatibilité simple.

3° Les officiers généraux

Les statistiques du ministère des Armées portent sur le pantouflage des officiers généraux entre 2018 et 2021, soumis à un avis de la commission de déontologie des militaires (CDM) 343 ( * ) . Elles ne concernent pas les autres grades.

- Six officiers généraux ont rejoint un cabinet de conseil ;

- 54 ont créé leur propre structure de conseil .

Lorsqu'elle est saisie de la mobilité d'un responsable public vers ou depuis un cabinet de conseil, la HATVP peut formuler :

- un avis de compatibilité , attestant que le projet de mobilité ne soulève aucune difficulté ;

- un avis d'incompatibilité , qui rend impossible la mobilité envisagée ;

- un avis de compatibilité avec réserves , qui précise les précautions que le responsable public devra respecter pendant les trois prochaines années.

En pratique, la HATVP rend généralement des avis de compatibilité avec réserves .

Une décision d'incompatibilité est en effet « extrêmement difficile à prendre », comme l'a souligné le président Didier Migaud : « eu égard à la jurisprudence du Conseil d'État [...], nous ne pouvons pas interdire à une personne de travailler » 344 ( * ) .

Les réserves formulées par la HATVP : quelques exemples

1° Un conseiller du ministre de l'Intérieur, ayant précédemment occupé un poste à l'Anssi, intègre un cabinet de conseil dans le domaine de la gestion des risques numériques 345 ( * )

Pendant trois ans, il doit s'abstenir de :

- toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, auprès de l'Anssi ;

- toute prestation de conseil à des entreprises sur lesquelles il a travaillé dans le cadre de l'exercice par l'Anssi de ses missions d'inspection et d'agrément et de ses missions de protection des systèmes d'information ;

- toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, auprès du ministre de l'Intérieur et des personnes qui étaient membres du cabinet ministériel en même temps que lui et qui occupent encore des fonctions publiques.

2° Une directrice du domaine « secteur public » d'un cabinet de conseil est pressentie pour intégrer un cabinet ministériel (« rétro-pantouflage ») 346 ( * )

Pendant trois ans, cette personne doit :

- se déporter de toute discussion ou de toute décision portant sur les différentes entités du cabinet de conseil ;

- s'abstenir d'intervenir de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, dans toute décision relative à une mission ou à une prestation au profit de l'État pour laquelle l'une de ces entités serait candidate ;

- se déporter des rendez-vous et échanges organisés avec les entités du cabinet de conseil et se faire systématiquement accompagner lors de rencontres plus larges auxquelles participerait l'une de ces entités.

2. Des enjeux déontologiques qui demeurent et appellent de nouvelles précautions

Si leur nombre reste limité, les recrutements de responsables publics participent pleinement à la stratégie d'influence des cabinets de conseil .

D'une part, les profils recrutés par les cabinets correspondent souvent à des responsables publics de haut niveau . Comme l'a souligné le sénateur Jérôme Bascher lors de l'audition des représentants de McKinsey, « seul 1 % de vos effectifs proviendrait du secteur public. Certes, c'est assez peu, mais tout dépend de quel pourcent il s'agit ».

Mobilités des responsables publics vers les cabinets de conseil : quelques exemples concrets

- Mme Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d'État chargée du numérique et de l'innovation, a été partner de Roland Berger entre janvier 2018 et le début de l'année 2022 ;

- M. Pierre de Villiers, ancien chef d'état-major des armées entre 2014 et 2017, a travaillé pour le BCG entre 2018 et 2021 et a créé sa propre société de conseil en parallèle ;

- Un polytechnicien, ingénieur des Mines, alors sous-directeur des assurances à la direction générale du Trésor, ancien secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), a été nommé partner du BCG en janvier 2022, rattaché au centre d'expertise « services financiers et restructurations ».

Le 2 février 2022, la direction générale du Trésor a même publié un tweet pour le féliciter de sa nomination ;

- Le directeur général adjoint de l'Anssi a rejoint Deloitte en janvier 2021 ;

- Un associé de PWC, nommé au début de l'année 2020, a été conseiller « industrie et énergie » à la Présidence de la République et délégué aux territoires d'industrie auprès du ministre de l'économie et des finances ;

- Un directeur de Sopra Steria, nommé au début de l'année 2019, est un ancien membre du cabinet du ministre du budget et un ancien chef de bureau de la direction du budget ;

- Un jeune polytechnicien, membre du corps des ingénieurs de l'armement, est associé au BCG depuis novembre 2021 ;

- Un général de corps d'armée, alors directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, ancien conseiller du ministre de l'Intérieur, a créé sa propre société de conseil au début de l'année 2022 ;

- Le directeur exécutif « secteur public » de Capgemini est énarque, inspecteur général des affaires sociales (IGAS) et ancien directeur de cabinet d'un ministre ;

- Un directeur senior de Capgemini est issu de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et a été le conseiller d'un ministre des sports ;

- Un manager d'Accenture a été le directeur de cabinet d'un ministre de l'Éducation nationale, après avoir été directeur adjoint et chef de ce même cabinet.

D'autre part, les recrutements de responsables publics permettent aux cabinets de conseil de renforcer leur légitimité auprès de leurs clients .

Pour le sociologue Frédéric Pierru, « ce qui est remarquable avec les cabinets de conseil, c'est qu' ils se fabriquent une légitimité composite en s'efforçant d'enrôler des professionnels . Par exemple, s'il faut rationaliser un bloc opératoire, un chirurgien, un cadre de santé, un infirmier sont embauchés . La légitimité d'un consultant pour intervenir dans un milieu qui ne lui est pas favorable consiste à fabriquer des équipes composites en agrégeant des professionnels . » 347 ( * )

M. Matthieu Courtecuisse, président de l'organisation professionnelle Syntec Conseil, le reconnaît lui-même : « dans le secteur de la santé, nous comptons effectivement parmi nos effectifs un certain nombre de médecins. Pour des prestations dans le secteur de la défense, il nous arrive d'avoir d'anciens militaires haut gradés dans nos équipes. »

Il indique également : « nous avions un contrat-cadre d'accompagnement des généraux en vue de les aider à réfléchir à ce qu'ils pourraient faire après leur carrière militaire. Dans 80 % des cas, ils souhaitent faire du conseil. Cela correspond à un parcours de carrière pour certains hauts fonctionnaires. » 348 ( * )

Encore plus préoccupant, le recrutement de responsables publics peut devenir un argument de vente pour les cabinets de conseil , comme la commission d'enquête a pu le constater dans deux exemples concrets.

La présence d'anciens responsables publics comme argument de vente : deux exemples concrets

- La réponse du BCG et d'EY à l'appel d'offres de la DITP à la fin de l'année 2017

Lorsqu'ils répondent à l'accord-cadre de la DITP, les deux cabinets mettent en avant leur capacité à mobiliser d'anciens fonctionnaires :

« Au sein de chacun des deux membres du consortium, de nombreux anciens fonctionnaires [...] connaissent bien les contraintes spécifiques du secteur public pour avoir été eux-mêmes agents de l'État ou des collectivités .

Nous disposons aussi d'un réseau international dense qui permettra de mobiliser des données, expériences et expertises internationales, ou de mettre en relation les hauts fonctionnaires français avec leurs homologues étrangers . »

Parmi les 22 profils proposés par le BCG et EY, 6 sont d'anciens responsables publics de haut niveau : un premier énarque (« 10 ans d'expérience au ministère de l'industrie », « ancien conseiller du secrétaire d'État à l'industrie »), un second énarque (« directeur adjoint du cabinet du ministre de l'économie et des finances »), un ingénieur des Mines (« ancien conseiller économique à l'Élysée »), un polytechnicien (ancien agent de direction générale de la modernisation de l'État - DGME - et « directeur du transport de l'Autorité de sûreté nucléaire ») et deux « anciens hauts fonctionnaires » de la direction du budget et de la direction générale du Trésor 349 ( * ) .

- L'intervention de Roland Berger sur l'aide publique à une entreprise

Appelé à intervenir en 2021 sur la notification à l'Union européenne d'une aide publique pour une entreprise industrielle, Roland Berger propose à Bercy de mobiliser une ancienne secrétaire d'État « pour apporter son regard expert, car elle a porté à titre personnel des demandes équivalentes à la Commission Européenne par le passé ». Sans plus de précisions.

En pratique, les mobilités des responsables publics vers et depuis les cabinets de conseil soulèvent des difficultés concrètes .

Comme l'a rappelé M. Didier Migaud, président de la HATVP, elles accroissent « la perméabilité entre le secteur public et le secteur privé , et exposent les agents publics qui rejoignent des sociétés de conseil ou des cabinets d'avocats au risque d'une condamnation pénale pour prise illégale d'intérêts s'ils ont entretenu des relations d'ordre professionnel avec ces cabinets dans le cadre de leurs fonctions publiques » 350 ( * ) .

Les questions soulevées par l'intervention de Capgemini au service des correspondances de l'Élysée

En mars 2020, la Présidence de la République fait appel à l'UGAP pour la modernisation de son service des correspondances.

Cette prestation est réalisée par le cabinet Capgemini , titulaire du lot n° 2 de l'accord-cadre de conseil informatique de l'UGAP (« Assistance à la maîtrise d'ouvrage », AMOA).

Il s'agit de créer un dispositif informatique pour automatiser la lecture des courriers adressés au Président de la République.

La presse s'est toutefois fait l'écho d'interrogations concernant le rôle dans cette prestation du chef du service « Communication directe » de l'Élysée, un sous-préfet ayant travaillé pour Capgemini entre 2017 à 2020 .

Ces interrogations subsistent à l'issue des auditions de la commission d'enquête .

M. Didier Migaud a confirmé que la HATVP n'avait pas été saisie sur ce cas d'espèce, malgré les questions déontologiques qu'il soulève : « cet emploi n'entre pas dans le champ du contrôle de la HATVP des prénominations, ni à titre obligatoire ni à titre subsidiaire. En revanche, une mobilité de ce type appelle normalement un contrôle par l'autorité de nomination, qui pourrait, en cas de doute, nous solliciter pour un avis. [En l'espèce], nous n'avons pas été saisis. » 351 ( * )

M. Mathieu Dougados, directeur exécutif France de Capgemini, a répondu ainsi à la commission d'enquête : « je vous invite à poser des questions à l'Élysée parce que, pour le coup, ce n'est pas notre responsabilité du tout » ; « nous avons répondu à une sollicitation, nous l'avons finie, il y a eu une analyse qualité de ce que nous avons fait et nos livrables ont été validés. »

Et M. Étienne Grass, directeur exécutif « secteur public » de Capgemini, d'ajouter : « nous ne sommes pas en mesure de vous dire qui est le client dans le service courrier de l'Élysée . Ce n'est pas notre responsabilité ». Il a simplement ajouté que, lorsque ce chef du service de l'Élysée travaillait pour Capgemini, il n'était pas salarié « issu du conseil » et qu'il y avait un « assez fort hermétisme entre des activités de conseil et celles qui [ont été] réalisées » 352 ( * ) .

Si l'organisation de l'Élysée ne relève pas de Capgemini, il peut paraître surprenant que le cabinet n'ait pas mis en oeuvre ses règles de déontologie internes pour s'assurer de l'absence de tout conflit d'intérêts.

Au regard de la sensibilité du sujet, la commission d'enquête propose que la HATVP soit systématiquement saisie en cas de départ d'un responsable public vers un cabinet de conseil ou en cas de recrutement d'un consultant par l'administration .

Cette proposition est plus exigeante que le droit vigueur : aujourd'hui, la saisine automatique de la HATVP ne concerne que les postes les plus sensibles (ministres, directeurs d'administration centrale, préfets, membres de cabinets ministériels, etc .). Dans les autres cas, l'examen déontologique est laissé à l'appréciation du supérieur hiérarchique, qui peut consulter un référent déontologue. La HATVP n'intervient donc pas systématiquement : elle n'est saisie qu'en cas de doute du supérieur hiérarchique, ce qui peut laisser des « trous dans la raquette ».

Proposition n° 16 : Prévoir un contrôle déontologique systématique de la HATVP :

- lorsqu'un responsable public part exercer une activité de consultant (« pantouflage ») ;

- ou lorsqu'un consultant rejoint l'administration (« rétropantouflage ») .

Enfin, la commission d'enquête propose de se donner davantage de moyens pour contrôler les réserves prononcées par la HATVP , dont la durée resterait fixée à 3 ans.

Il faut en effet s'assurer du respect des précautions formulées par la Haute Autorité , par exemple pour que l'agent qui « pantoufle » se déporte de toute relation avec son ancienne administration.

Comme l'a souligné le président Didier Migaud, la HATVP essaie « d'assurer ce suivi des réserves. Régulièrement, à partir d'un tableau d'analyse de risques, nous sollicitons les personnes concernées et essayons de recouper les informations qu'elles nous donnent avec plusieurs sources ouvertes, que nous pouvons consulter. Je leur envoie régulièrement des courriers pour faire le point . »

Néanmoins, les moyens de la HATVP n'apparaissent pas suffisants pour assurer le suivi des réserves qu'elle formule : l'effectif total de sa direction du contrôle et de sa direction juridique s'élève à 28 agents , qui exercent d'autres missions par ailleurs (contrôle des déclarations de situation patrimoniale et d'intérêts, contrôle des autres mobilités vers le secteur privé, etc .). M. Didier Migaud a lui-même reconnu qu'il ne disposait pas de « moyens abondants » pour remplir ses missions 353 ( * ) .

Outre la nécessité d'accorder plus de moyens à la HATVP, les responsables publics devenus consultants auraient l'obligation de rendre des comptes à la HATVP, à intervalles réguliers (tous les 6 mois) et sur une période de 3 ans .

Ils devraient notamment dresser la liste de leurs clients, pour que la HATVP puisse plus facilement s'assurer de l'absence de conflit d'intérêts.

Proposition n° 17 : Lorsqu'un responsable public devient consultant, l'obliger à rendre compte de son activité à la HATVP, à intervalles réguliers (tous les 6 mois) et sur une période de 3 ans.

Dispositif déontologique proposé par la commission d'enquête

Source : commission d'enquête


* 334 Intervention de M. Jean-Christophe Gard, directeur associé du BCG, lors de la table ronde des cabinets de conseil du 19 janvier 2022.

* 335 Intervention de Mme Claudia Montero, directrice générale d'Eurogroup Consulting, lors de la table ronde des cabinets de conseil du 19 janvier 2022.

* 336 Audition des représentants du cabinet McKinsey du 18 janvier 2022.

* 337 Intervention de M. Laurent Benarousse, associé chez Roland Berger, lors de la table ronde des cabinets de conseil du 19 janvier 2022.

* 338 Intervention de M. Vincent Paris, directeur général de Sopra Steria, lors de la table ronde des cabinets de conseil du 16 février 2022.

* 339 Audition de M. Didier Migaud, président de la HATVP, du 26 janvier 2022.

* 340 Les exécutifs concernés sont les présidents de région et de département ainsi que les maires et les présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants.

* 341 Article 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 342 Articles L. 124-4 et L. 124-5 du code général de la fonction publique.

* 343 Articles R. 4122-14 et suivants du code de la défense.

* 344 Audition de M. Didier Migaud, président de la HATVP, du 26 janvier 2022.

* 345 Délibération n° 2022-3 de la HATVP du 11 janvier 2022.

* 346 Exemple concret cité par M. Didier Migaud au cours de son audition du 26 janvier 2022.

* 347 Audition de M. Frédéric Pierru du 2 décembre 2021.

* 348 Audition de M. Matthieu Courtecuisse du 5 janvier 2022

* 349 Source : document transmis par la DITP.

* 350 Audition de M. Didier Migaud du 26 janvier 2022.

* 351 Audition de M. Didier Migaud du 26 janvier 2022.

* 352 Interventions des représentants de Capgemini lors de la table ronde des cabinets de conseil du 16 février 2022.

* 353 Audition de M. Didier Migaud du 26 janvier 2022.

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