D. LA QUESTION TOUJOURS EN SUSPENS DU PROJET CABRI DOIT ÊTRE RÉGLÉE

Comme cela a été indiqué plus haut, le réacteur Cabri a absorbé une part importante des fonds de l'IRSN au cours de la dernière décennie.

Le CEA a lancé en 2000 le programme international Cabri (Cabri International Program ou CIP), devant être piloté et financé par l'IRSN alors en cours de création. Le réacteur expérimental Cabri est cependant bien plus ancien que le programme CIP et date de la fin des années 1950, lors de sa conception par le CEA. Il a connu d'importantes modifications, en particulier la transformation du réacteur à sodium en réacteur à eau pressurisée.

Le réacteur Cabri dispose d'un statut spécifique, car l'IRSN n'est pas autorisé par les textes à être exploitant d'une installation nucléaire, dans la mesure où il assure l'expertise du contrôle de ces mêmes installations. Le réacteur Cabri est donc, en pratique, sous la responsabilité du CEA qui en assure l'exploitation avec ses propres personnels et facture le coût de fonctionnement de l'installation à l'IRSN.

Les objectifs du réacteur Cabri

Dans sa configuration actuelle¹, le réacteur de recherche CABRI permet de simuler une augmentation importante et très rapide de puissance -aussi appelée transitoire de puissance- représentative des accidents de réactivité.

Il permet plus précisément d'étudier le comportement de crayons combustibles et leur rupture éventuelle au cours de ces accidents. L'IRSN spécifie avec ses partenaires les essais qui reproduisent au mieux des conditions de tels accidents pour tester des combustibles choisis.

Source : IRSN

Le programme CIP devait initialement se terminer en 2008, pour un coût de 109 millions d'euros, dont 40 % à la charge de l'IRSN. Après des années de difficultés et un premier essai en 2018, le projet devrait in fine se clôturer en 2024, pour un coût total de 430 millions d'euros dont 300 millions d'euros de surcoût supportés par l'Institut (soit la quasi-totalité des surcoûts mise à part une hausse d'une dizaine de millions d'euros à la charge d'EDF). La Cour des comptes a été très critique devant la « dérive financière » à l'oeuvre, qui, comme indiqué plus haut, a largement obéré les capacités d'investissement de l'IRSN.

Le programme CIP devait comporter une douzaine d'essais. Devant les problèmes techniques et les incertitudes, y compris celles liées à la réparation du réacteur, l'IRSN a réduit son programme à 6 essais qui se termineront en 2024, ce qui a cependant eu peu d'incidence sur les flux financiers. La réalisation des deux essais prévus en 2022 et début 2023 a apporté un certain soulagement, exprimé notamment par le ministère de la recherche : « les derniers essais du programme international CIP réalisés avec succès sur le réacteur depuis un an traduisent la résolution des déboires passés liés à une remise en configuration du réacteur et non à des problématiques d'organisation »46(*).

L'enjeu essentiel est désormais de déterminer le futur du réacteur Cabri une fois les essais du programme CIP terminés en 2024. La question, au coeur des discussions depuis plusieurs années, n'a jamais été tranchée, en dépit des engagements pris par le Gouvernement. Dans sa réponse au référé de la Cour des comptes de 2021, le Premier ministre indiquait ainsi partager la position de la Cour sur la nécessité de prendre la décision de poursuivre ou non l'exploitation du réacteur et s'y engageait d'ici la fin 2021 : « toutes les options seront examinées en vue d'une décision au plus tard à la fin de cette année »47(*) . Force est de constater mi-2023 que cela n'en a rien été et que, si la décision a finalement été prise de poursuivre les essais, rien n'a été anticipé sur la suite de l'exploitation de Cabri.

Un groupe de travail interministériel a cependant récemment commencé ses travaux sous l'égide de la DGPR. Celle-ci ne semble pas pour l'heure avoir tranché le débat et indique que « se posera ensuite la question de démanteler Cabri ou de lui prévoir d'autres usages ».

Les arguments avancés par les acteurs entendus par le rapporteur spécial semblent aller davantage dans le sens du maintien de Cabri post-2024. D'une part, le coût marginal du maintien du réacteur est décroissant une fois la jouvence de l'installation effectuée au cours des dernières années, et sans aucune commune mesure avec le coût de la construction d'un nouveau réacteur expérimental au cours des dix ou vingt prochaines années. D'autre part, il n'existe plus de réacteur de recherche comparable en Europe, le réacteur Jules Horowitz (RJH) ayant potentiellement des facultés complémentaires mais non substituables. En conséquence, les possibilités offertes par Cabri pourraient être valorisées à l'international et constituer un atout de souveraineté en matière de recherche.

Le CEA a été chargé d'établir une cartographie des besoins d'ici 2040. Il semble toutefois que le contexte global tende plutôt vers la nécessité de maintenir les capacités en matière de recherche nucléaire et de sûreté.

Quelle que soit la décision qui ressortira de l'analyse technique des besoins, le rapporteur spécial attire l'attention sur le fait que le coût de l'entretien de Cabri post-CIP ne peut continuer à être assuré en quasi-totalité par l'IRSN. Si les exploitants d'INB sont les principaux bénéficiaires des travaux menés au travers de Cabri, ils doivent accepter de contribuer financièrement aux structures expérimentales. L'ASN l'indique plus directement : « si un sujet de sûreté majeur est identifié, c'est aux exploitants qu'il revient en premier lieu de mener ou d'être à l'initiative de la recherche et développement associée ». Le développement du co-financement de Cabri doit constituer une condition nécessaire de la poursuite de l'exploitation du réacteur d'une part, et de l'équilibre budgétaire de l'IRSN d'autre part.


* 46 Réponses du cabinet de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche au questionnaire du rapporteur spécial.

* 47 Réponse du Gouvernement au référé de la Cour des comptes, octobre 2021.

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