N° 637

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mai 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur « Renseignement et prospective : garder un temps d'avance, conserver une industrie de défense solide et innovante »,

Par MM. Pascal ALLIZARD et Yannick VAUGRENARD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

Dans le cadre de la préparation de l'examen de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, le groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » a examiné les priorités qui devront figurer dans ce texte en matière d'innovation de défense et de renseignement et les difficultés d'accès aux financements privés rencontrées par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Sur la base de ces travaux, Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, rapporteurs, estiment, en premier lieu, que pour conserver une autonomie de décision, les moyens consacrés au renseignement devront croître dans les années à venir. Ils prennent ainsi acte de l'augmentation des crédits inscrite dans le projet de LPM (60 % par rapport à la programmation précédente, lesquels devraient atteindre 5,4 milliards d'euros sur la période 2024-2030). La hausse prévue des effectifs, bien que nécessaire, ne permettra en revanche pas d'atteindre les niveaux de nos voisins allemand et britannique et reste inférieure aux ambitions exprimées par les services.

Par ailleurs, des points de vigilance demeurent, qu'il s'agisse de l'opération de déménagement de la DGSE qui, outre sa dimension immobilière, se traduira par une réforme profonde de ses services, du développement des programmes techniques mutualisés, de la diversification des sources techniques et humaines de renseignement, ou encore du renouvellement des moyens aériens de surveillance et de renseignement, et des télécommunications spatiales.

En deuxième lieu, les rapporteurs considèrent que l'innovation de défense doit demeurer une priorité de la future programmation. Elle joue un rôle déterminant pour garantir la supériorité opérationnelle et l'autonomie stratégique de la France. À cet égard, l'augmentation de plus de 10 % des crédits consacrés aux études amont va dans le bon sens. L'innovation devra en outre passer par une transformation des organisations visant à trouver un juste équilibre entre sophistication technologique et masse, et à favoriser le « passage à l'échelle » (développement du recours aux démonstrateurs, recours à l'ensemble des possibilités offertes par le code de la commande publique et évolution de celui-ci).

Enfin, en troisième lieu, les rapporteurs constatent une persistance des difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la BITD, même si la guerre en Ukraine a pu atténuer ce phénomène. Pour lever ces freins, ils formulent 18 recommandations articulées autour de 4 axes :

- établir un diagnostic partagé et objectif des difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la BITD,

- encourager les banques à s'engager davantage aux côtés des entreprises du secteur de la défense,

- adopter une attitude plus volontariste au niveau européen,

- renforcer l'accompagnement public des entreprises de la BITD.

I. RENSEIGNEMENT : UNE CROISSANCE NÉCESSAIRE POUR CONSERVER UNE AUTONOMIE DE DÉCISION

Le rapport annexé à la LPM consacre 5 milliards d'euros au domaine du renseignement en application de l'annonce présidentielle d'une augmentation de 60 % des crédits de renseignement au total, dont un doublement des budgets de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). C'est donc plus que la précédente LPM qui prévoyait 3,5 milliards d'euros.

Les rapporteurs émettent plusieurs constats et formulent une recommandation sur la politique des ressources humaines spécifique au renseignement :

· les métiers du renseignement ne devraient plus être en tension dans les 3 à 5 ans à venir, les filières les plus tendues devant rester le cyber et le nucléaire ;

· pour pallier la fuite des contractuels, la direction des ressources humaines des armées propose d'instituer des parcours croisés entre services du premier cercle tout en évitant la concurrence interservices de l'État.

· Il faut ériger en priorité du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) la mise en application du décret du 4 juillet 2022 lui confiant la coordination interministérielle des politiques de ressources humaines des services de renseignement. Sans empiéter sur les politiques de gestion des ressources humaines propres à chaque service, le CNRLT serait pleinement légitime pour élaborer une politique de ressources humaines interministérielle, en appui de la politique publique du renseignement, afin d'homogénéiser les rémunérations, de construire des parcours professionnels et de mutualiser les formations.

II. L'INNOVATION DE DÉFENSE DOIT DEMEURER UNE PRIORITÉ DE LA PROCHAINE LPM

A. UN RÔLE CLÉ POUR GARANTIR LA SUPÉRIORITÉ OPÉRATIONNELLE ET L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE

L'innovation de défense revêt un caractère crucial pour nos forces, nos industries de défense et, par conséquent, notre autonomie stratégique en ce qu'elle permet, d'une part, de garantir la supériorité opérationnelle de nos armées, et, d'autre part, de s'appuyer sur une base industrielle et technologique de défense nationale disposant de compétences et de savoir-faire de pointe et donc de maintenir la compétitivité de notre tissu industriel.

Le conflit ukrainien a par ailleurs bien démontré l'omniprésence de l'innovation sur le champ de bataille et son rôle déterminant dans l'effort de guerre, tous les milieux et tous les champs de confrontation (information, espace, cyberespace, etc.) étant exploités et décuplés par les nouvelles technologies.

B. UN EFFORT FINANCIER QUI DEVRAIT ÊTRE PROLONGÉ DANS LES ANNÉES À VENIR

La LPM pour les années 2019-2025 fixait une trajectoire d'augmentation des crédits consacrés au financement des études amont lesquels devaient passer de 732 millions d'euros en 2018 à plus d'un milliard d'euros à l'horizon 2023. Cette trajectoire a été respectée et les engagements tenus.

Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit de porter les crédits consacrés à l'innovation à 10 milliards d'euros sur la durée de la programmation1(*).

Les moyens alloués aux seules études amont s'élèveront quant à eux à 7,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 700 millions d'euros par rapport à la période précédente (+ 10,3 %).

Les priorités devant figurer dans la future programmation

L'innovation d'usage, émanant des forces elles-mêmes, devra également être soutenue. En effet, celle-ci a été présentée comme pouvant être un « quick win » (gain rapide) dont l'effet opérationnel est important.

C. UNE INNOVATION QUI DOIT ÉGALEMENT PASSER PAR UNE TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS

Si l'innovation est essentielle pour conserver une supériorité opérationnelle et, en cela, pour « gagner la guerre avant la guerre », il convient toutefois de trouver le juste équilibre entre sophistication technologique, qui implique des coûts plus élevés, et prise en compte de l'importance de la masse, comme l'a mis en lumière le retour d'expérience (RETEX) du conflit ukrainien.

Par ailleurs, différentes mesures destinées à favoriser le passage à l'échelle devraient être prises telles que le développement du recours aux démonstrateurs et une utilisation accrue de l'ensemble des possibilités offertes par la règlementation en matière de marchés publics.

III. GARANTIR L'ACCÈS AU FINANCEMENT DES ENTREPRISES DE LA BITD : UN ENJEU DE SOUVERAINETÉ

A. UNE « FRILOSITÉ » BANCAIRE DIFFICILE À QUANTIFIER, DES DIFFICULTÉS AFFECTANT PRINCIPALEMENT LES PME ET LES OPÉRATIONS D'EXPORT

Pourquoi les difficultés rencontrées par les entreprises du secteur de la défense en matière d'accès au financement bancaire sont difficilement quantifiables

Pour autant, des cas de refus explicites en raison d'une appartenance au secteur de la défense existent bien, même si ceux-ci peuvent être présentés oralement.

De fait, certains groupes bancaires, à l'instar de la banque HSBC, ont fait le choix d'exclure purement et simplement les entreprises du secteur de la défense de leur politique d'investissement.

De manière plus contestable, la Banque européenne d'investissement (BEI), institution publique, a également exclu de son champ de financement les munitions et armes ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers. Or cette doctrine interne ne découle ni de dispositions du droit primaire ni du droit dérivé, ni même des statuts de la BEI.

Les difficultés constatées concernent pour l'essentiel les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ainsi que les projets d'exportation vers certains marchés considérés comme sensibles par les établissements financiers.

A. UN PHÉNOMÈNE QUI S'ÉTEND PROGRESSIVEMENT À D'AUTRES SECTEURS : FONDS D'INVESTISSEMENT, ASSUREURS, BAILLEURS IMMOBILIERS, VOIRE HÉBERGEURS WEB

Plusieurs fonds norvégiens ont purement et simplement exclu de leurs investissements des groupes actifs dans le secteur de la défense, en raison notamment de leurs activités liées à la dissuasion nucléaire.

De manière inquiétante, cette « frilosité », qui se limitait jusqu'à présent aux organismes financiers, semble avoir gagné d'autres secteurs. En particulier, des cas de refus d'assureurs de couvrir des entreprises, d'hébergeurs ou de développeurs refusant d'accueillir ou d'assurer la maintenance de sites internet de ces entreprises ou encore de bailleurs immobiliers refusant la location de bureaux ont été mentionnés.

Si ces situations semblent encore marginales, elles révèlent cependant une tendance de fond inquiétante, tendant à assimiler les industries de défense à des activités controversées.

B. DES DIFFICULTÉS RÉSULTANT DE LA PRISE EN COMPTE DE DEUX RISQUES : RISQUE DE CONFORMITÉ ET RISQUE D'IMAGE

C. FACE À L'IMPORTANCE DE L'ENJEU, DES MESURES ONT ÉTÉ PRISES ALLANT DANS LE BON SENS MAIS QUI DOIVENT ÊTRE PROLONGÉES

Au-delà de l'aspect financier, cette exclusion est en outre susceptible de signaler négativement les activités de défense aux yeux de l'opinion publique et, par conséquent, de réduire l'attractivité du secteur pour les jeunes talents et pour les entreprises sous-traitantes et fragiliserait, au niveau européen et national, le consensus sur l'utilité sociale d'une politique de défense fondée notamment sur une base industrielle et technologique solide et autonome.

La guerre en Ukraine semble avoir levé certains freins, mais il est à craindre que ce phénomène ne soit que temporaire.

Les principales recommandations des rapporteurs concernant l'accès au financement des entreprises de la BITD

Axe 1

Établir un diagnostic partagé et objectif des difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la BITD

- Afin de parvenir à un diagnostic partagé et objectif, prévoir un bilan à un an de l'activité de la médiatrice et des référents défense.

Axe 2

Encourager les banques à s'engager davantage aux côtés des entreprises du secteur de la défense

- Obtenir l'engagement des principales banques de justifier les refus de financement lorsque ceux-ci concernent des entreprises de la BITD.

- Inciter les banques à ne plus recourir à la terminologie « armes controversées » au profit d'« armes interdites au titre des conventions internationales », cette liste pouvant, le cas échéant, être complétée d'armements exclus au titre de la politique d'investissement propre à chaque banque et limitativement énumérés.

- Inciter les banques à organiser des campagnes de communication interne précisant les politiques d'investissement interne et rappelant, le cas échéant, que le secteur de la défense ne doit pas faire l'objet d'une exclusion a priori.

- Établir un recueil des bonnes pratiques mises en oeuvre par les banques ayant vocation à être diffusé par la Fédération bancaire française ou la DGA à l'ensemble des établissements bancaires.

- Publier la liste des vérifications menées par la CIEEMG afin de permettre aux établissements bancaires de s'y référer et d'alléger ainsi leurs propres procédures de vérification.

- Travailler à la création d'un label à destination des entreprises de défense, en partenariat avec les principaux groupes bancaires et/ou la Fédération bancaire française.

Axe 3

Adopter une attitude plus volontariste au niveau européen

- Obtenir une révision de la « doctrine » de la Banque européenne d'investissement lui permettant d'investir dans le secteur de la défense.

- Établir une cartographie des ONG et lobbies actifs aux niveaux national et européen en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

- Sensibiliser au niveau interministériel à la nécessité de conserver un très haut niveau de vigilance sur les projets de textes, notamment européens, qui pourraient avoir pour effet un durcissement des conditions d'accès des entreprises de la BITD aux financements et investissements.

- Inciter les industriels français à s'impliquer davantage dans les travaux des groupes d'experts sur lesquels s'appuie la commission pour l'établissement d'actes délégués en matière ESG.

Axe 4

Renforcer l'accompagnement public des entreprises de la BITD

- Engager une réflexion avec la Fédération bancaire française, le ministère des Armées et le ministère chargé de l'Économie pour identifier les « surtranspositions » de textes européens et les interprétations émanant des régulateurs allant dans un sens pouvant être défavorable aux entreprises de la défense.

- Prévoir un accompagnement financier renforcé pour les opérations à destination de certains marchés posant des difficultés particulières.

- Encourager, par la création ou l'élargissement d'incitations fiscales, la constitution de fonds d'investissement privés dans le secteur de la défense.

- Envisager la création d'un livret réglementé destiné au financement des entreprises de la BITD.

- Prévoir que les études d'impact des projets de loi comprennent, le cas échéant, une analyse des éventuelles conséquences sur le secteur de la défense.

- Envisager la mise en place de référents défense au sein de chaque direction régionale de Bpifrance afin de faire le lien entre les entreprises de défense locales et les dispositifs adaptés à leur caractère stratégique, et à éclairer les collaborateurs de la banque publique lors de l'instruction de certains dossiers touchant à une entreprise de la BITD ;

- Envisager la mise en place par Bpifrance d'un fonds de garantie de prêts distribués par les grands réseaux bancaires.

PREMIÈRE PARTIE
L'INNOVATION DE DÉFENSE DOIT DEMEURER UNE PRIORITÉ DE LA PROCHAINE PROGRAMMATION

I. L'INNOVATION DE DÉFENSE EST INDISPENSABLE POUR GARANTIR LA SUPÉRIORITÉ OPÉRATIONNELLE ET L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE

A. LE RÔLE CLÉ DE L'INNOVATION, RAPPELÉ DANS LA REVUE STRATÉGIQUE DE 2017 ET LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 2019-2025, A ÉTÉ CLAIREMENT DÉMONTRÉ PAR LE CONFLIT UKRAINIEN

L'innovation de défense peut être définie comme l'ensemble des études et des activités de recherche et développement de technologies ayant ou pouvant avoir des usages militaires.

De manière schématique, l'innovation peut être segmentée en 9 niveaux correspondant à différents degrés de maturité technologique appelés « Technology Readiness Level » (TRL). Cette échelle a été inventée par la Nasa en vue de gérer le risque technologique de ses programmes. L'échelle des TRL a depuis été adoptée par de nombreux domaines, dont celui de la défense (moyennant quelques adaptations telles que le remplacement de la notion d'espace par la notion d'environnement opérationnel), dans le même objectif de gestion du risque technologique dans les programmes. Le spectre de l'innovation s'étend ainsi de la recherche fondamentale (TRL 1 à 3) jusqu'à des technologies matures et qualifiées (TRL 6 à 9), le niveau 7 correspondant, dans le domaine de la défense, à une maturité suffisante pour une prise en compte éventuelle dans un programme d'armement.

L'échelle des TRL (technology readiness level)

Source : https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/ directions_services/ politique-et-enjeux/innovation/tc2015/
technologies-cles-2015-annexes.pdf

L'innovation de défense revêt un caractère crucial pour nos forces, nos industries de défense et, partant, notre autonomie stratégique en ce qu'elle permet, d'une part, de garantir la supériorité opérationnelle de nos armées - avoir un temps d'avance permet d'emporter plus facilement la décision - et, d'autre part, de s'appuyer sur une base industrielle et technologique de défense nationale disposant de compétences et de savoir-faire de pointe et donc de maintenir la compétitivité de notre tissu industriel.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 décrivait ainsi très justement le rôle de l'innovation de défense, relevant que « la préparation de l'avenir est un facteur clé du maintien de l'excellence de notre BITD, garante de la supériorité technologique et de l'autonomie stratégique de la France. En effet, consentir des financements importants aux travaux amont garantit la capacité de notre industrie à maintenir son positionnement sur la scène internationale et à maîtriser les technologies dont les forces auront besoin face à l'évolution des menaces. Cette maîtrise technique est par ailleurs nécessaire à la construction de coopérations équilibrées où la France peut légitimement influer, voire revendiquer un leadership » (point 230).

Dans le prolongement de la revue stratégique de 2017, la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 20252(*) accorde une place importante à l'innovation qui en constitue l'un des quatre piliers. Elle prévoit ainsi une politique d'innovation s'articulant autour de 3 axes : i) des moyens renforcés (cf. infra), ii) des outils et des processus permettant d'accélérer la diffusion des innovations, de mieux intégrer l'innovation issue du secteur civil et de mieux prendre en compte l'innovation de rupture, et iii) un champ d'application élargi à l'ensemble des activités du ministère et intégrant les innovations d'usage.

Le conflit ukrainien a par ailleurs bien démontré l'omniprésence de l'innovation sur le champ de bataille et son rôle déterminant dans l'effort de guerre, tous les milieux et tous les champs de confrontation (information, espace, cyberespace, etc.) étant exploités et décuplés par les nouvelles technologies.

B. LA REVUE NATIONALE STATÉGIQUE DE 2022 ET LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LES ANNÉES 2024 À 2030 SONT CEPENDANT PEU DISERTS SUR LA QUESTION DE L'INNOVATION

Contrairement à la version de 2017, la revue nationale stratégique de 2022 fait peu de place à l'innovation de défense, celle-ci n'étant mentionnée qu'au paragraphe 130 : « Le recours croissant et volontariste à l'innovation et à l'analyse de la valeur dans les travaux entre la DGA et les armées doit permettre d'équiper les forces des solutions les plus adéquates dans une prise de risque acceptable dans l'emploi et le meilleur équilibre entre gains opérationnels, gains financiers et gains calendaires ».

Le projet LPM pour les années 2024 à 2030 est également peu disert sur les questions d'innovation de défense. Son rapport annexé se contente ainsi :

- de déterminer les moyens qui y seront consacrés : 10 milliards d'euros sur la durée de la programmation ;

- d'énoncer les priorités poursuivies dans des termes très généraux : « Cette loi de programmation militaire prévoit également d'anticiper certains besoins capacitaires par des innovations de rupture. Plutôt que simplement chercher à " rattraper un retard ", les armées et la direction générale de l'armement (DGA) assumeront des paris technologiques pour anticiper la génération future, dès lors que le contexte et les menaces le permettent », précisant que l'innovation de défense vise à « offrir aux armées la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds marins, champ informationnel, cyber) à l'horizon 2030, que ce soit en captant des technologies civiles ou en explorant des nouvelles technologies de rupture. Cette maîtrise s'appuiera sur le développement de démonstrateurs ambitieux, ainsi que sur l'accélération du déploiement de ces innovations dans les armées » ;

- d'annoncer une transformation de la DGA et de ses modes d'action : « la DGA se transformera pour mieux appréhender les enjeux de production, au coeur du chantier " économie de guerre ", dans sa relation avec l'industrie de défense et évoluera pour aider les armées à saisir tout le potentiel de l'innovation et des avancées technologiques. A cette fin, une analyse systématique du besoin et des solutions techniques disponibles sera réalisée lors des phases amont des programmes pour optimiser les coûts et les performances des systèmes ».

La place relativement faible accordée à l'innovation de défense tant dans la revue nationale stratégique de 2022 que dans le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 ainsi que le caractère imprécis des orientations et objectifs poursuivis en la matière ne peuvent qu'interroger alors que celle-ci est présentée comme l'un des 9 domaines nécessitant des efforts prioritaires dans les années à venir.

II. UNE ENTRÉE DANS LA NOUVELLE PROGRAMMATION QUI NE DEVRAIT PAS ÊTRE OBÉRÉE PAR LES CHOIX BUDGÉTAIRES PASSÉS

À la suite d'un amendement issu de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la LPM pour les années 2019-2025 fixait une trajectoire d'augmentation des crédits consacrés au financement des études amont (portés par la sous-action 07.03 « Études amont » du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense »), lesquels devaient ainsi passer de 732 millions d'euros en 2018 à plus d'un milliard d'euros à l'horizon 2023.

Or, comme le montre le graphique ci-après, cette trajectoire a été respectée et les engagements tenus.

Crédits d'études amont inscrits en loi de finances par rapport à la trajectoire prévue en loi de programmation militaire

En millions d'euros

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d'après les documents budgétaires

Au-delà du niveau de crédits inscrits en loi de finances initiale, l'exécution sur les années 2019 à 2022 a été globalement proche des prévisions en autorisation d'engagements comme en crédits de paiement, la sous-consommation constatée en 2019 et 2020 ayant été compensée en 2021.

En autorisations d'engagement

(En euros)

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, d'après les documents budgétaires

En crédits de paiement

(En euros)

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, d'après les documents budgétaires

D'une manière générale, selon l'Agence de l'innovation de défense (AID), en dépit de mesures de régulation budgétaire et s'il a pu être procédé à des rééquilibrages entre opérations budgétaires en fonction de l'avancement ou du retard de certains contrats en exécution ou du fait de la passation des actes dans une temporalité différente de celle envisagée à l'origine, aucun programme n'a été mis en retard dans sa réalisation par des études qui auraient été lancées avec un décalage.

Au total, aucun « passif » ne semble donc avoir été constitué au cours de la précédente programmation, ce qui permettra un financement des priorités à venir par la trajectoire budgétaire haussière prévue dans le projet de LPM pour les années 2024 à 2030.

III. UN EFFORT FINANCIER QUI DEVRAIT ÊTRE PROLONGÉ DANS LES ANNÉES À VENIR

A. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'INNOVATION PRÉVUE DANS LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 2024-2030 BIENVENUE

Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit de porter les crédits consacrés à l'innovation à 10 milliards d'euros sur la durée de la programmation.

Cette enveloppe recouvre les études amont, le financement des opérateurs sous tutelle et les études opérationnelles et technico-opérationnelles ainsi que les études prospectives et stratégiques.

Les moyens alloués aux seules études amont s'élèveront quant à eux à 7,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 700 millions d'euros par rapport à la période précédente (+ 10,3 %).

Si le montant de crédits ouverts au titre des études amont pour chaque année couverte par la future LPM n'est pas connu à ce stade, l'augmentation des crédits de l'ordre de 15 % en moyenne annuelle devrait permettre, selon le directeur de l'AID3(*), de maintenir un haut niveau d'ambition en matière d'innovation.

En audition, le directeur de l'AID a indiqué que cette enveloppe financière constitue un point d'équilibre entre trois impératifs : i) préparer les futurs grands programmes d'armement, ii) accélérer l'innovation ouverte et iii) « faire autrement » en se concentrant sur l'effet recherché plutôt que sur les spécifications.

Le directeur de l'AID a en outre précisé que cette programmation ne se traduirait par aucun renoncement, même si des ajustements de calendrier ont été actés. Ainsi, l'accélération du projet de satellite d'action dans l'espace en orbite basse complémentaire au démonstrateur en orbite géostationnaire Yoda (Yeux en Orbite pour un Démonstrateur Agile), qui devrait être lancé en 2025, afin de permettre au commandant de l'espace d'avoir une double capacité à l'horizon 2025, a nécessité de reporter d'autres projets.

B. DES THÉMATIQUES IDENTIFIÉES PAR L'AGENCE DE L'INNOVATION DE DÉFENSE RÉPONDANT AUX BESOINS EXPRIMÉS PAR LES FORCES

Depuis 2021, les études amont sont segmentées en « domaines d'innovation » pour accroître la lisibilité de l'action du ministère et assurer une cohérence en termes d'objectifs capacitaires, industriels et technologiques. Les orientations pour les travaux d'innovation de défense pour la période 2023-2028 sont décrites dans un « document de référence pour l'orientation de l'innovation de défense » (DROID).

L'édition 2022 du DROID prend ainsi en compte les nouveaux sujets capacitaires (maîtrise des fonds marins, systèmes autonomes), tout en maintenant les priorités des éditions précédentes (l'espace et l'hypervélocité en particulier). Elle intègre en outre la problématique de l'énergie ainsi que les thématiques mises en avant dans le cadre de l'actualisation de la LPM : cyberdéfense, lutte anti-drones et défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Les principaux projets d'innovation figurant dans la dernière édition du DROID sont rappelés dans le tableau ci-après.

Principaux projets d'innovation figurant dans l'édition 2022 du DROID

Domaine d'innovation

Projets emblématiques

Aéromobilité

Autonomie des drones
Coopération drones-hélicoptères
Survivabilité passive
Démonstration d'autoprotection par laser
Démonstrateur de casque pilote tout numérique
Aide au pilotage

Armes non cinétiques

Démonstrateur système laser pour la lutte anti-drone
Maturation des sources laser à sécurité oculaire

Combat aérien et frappe air-sol

Démonstrateur d'un nouveau coeur inertiel
Briques technologiques pour le moteur nouvelle génération
Démonstrateur de survivabilité
Système de combat aérien du futur
Préparation du pod de désignation laser et de reconnaissance

Combat naval et lutte sous la mer

Briques de futur avion de patrouille maritime
Drones sous-marins
Démonstrateur de système anti-torpilles

Combat terrestre

Démonstrateur robotique multifonction autonome
Désignateur laser ultra compact
Briques pour le combattant débarqué
Démonstrateur de char futur MGCS

Cyberdéfense et Navwar

Sécurisation cyber des plateformes militaires
Développement d'antennes GNSS résistantes au brouillage et au leurrage

Défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et santé

Démonstrateur décontamination approfondie des véhicules
Démonstration de chaîne d'identification biologique complète

Espace

Briques technologiques pour les programmes SYRACUSE 4C, IRIS, CELESTE
Démonstrateur d'une capacité d'opération de proximité dans l'espace
Démonstrateur satellite à capacité d'imagerie hyperspectrale

Frappe dans la profondeur

Essais en vol d'un démonstrateur de planeur hypersonique
Briques technologiques pour futur missile antinavire et futur missile de
croisière

Protection et surveillance

Démonstrateur de radar passif pour la surveillance aérienne
Charge utile post-AWACS
Démonstrateur de moyens de caractérisation des menaces spatiales

Socle de technologies émergentes de défense

Plan NANO 2022 de soutien à l'industrie de la micro/nanoélectronique
Technologies quantiques
Énergie

Soutien/Maintien en condition opérationnelle

Jumeau numérique
Fabrication additive
Maintenance prévisionnelle

Supériorité informationnelle

Préparation des réseaux et communications tactiques du futur
Démonstrateur de liaisons de données discrètes

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire

Au-delà des projets emblématiques rappelés supra, les auditions qui se sont tenues dans le cadre du présent groupe de travail ont permis aux différentes personnes entendues de présenter les priorités qu'elles identifiaient en matière d'innovation de défense pour les années à venir. Sans établir un catalogue exhaustif reprenant l'ensemble des propositions faites en auditions, vos rapporteurs peuvent dresser plusieurs axes :

- dans le domaine terrestre, l'accent devra être mis sur la maîtrise du spectre électromagnétique, l'autonomisation de la robotique terrestre, la géolocalisation sans recours à un système satellitaire, l'allongement des portées et les munitions guidées ou encore la coopération homme-machine ;

- dans le domaine naval, les études devront notamment porter sur les drones navals (sous-marins et de surface), le maintien en condition opérationnelle prédictif, la furtivité et la connectivité ;

- dans le domaine aérien, des projets en matière dans les domaines de l'hybridité ou encore des munitions téléopérées devront être lancés ou poursuivis ;

- enfin, des études transversales en matière de combat collaboratif, d'hypervélocité, de quantique, d'armes à énergie dirigée, de drones et de lutte anti drones, d'intelligence artificielle et de systèmes autonomes, et de furtivité devront être financées.

Vos rapporteurs seront par conséquent attentifs à ce que les moyens inscrits dans la future LPM puis, chaque année, en loi de finances permettent le financement de ces domaines prioritaires.

L'innovation d'usage, émanant des forces elles-mêmes, devra également être soutenue. En effet, celle-ci a été présentée comme pouvant être un « quick win » (gain rapide) dont l'effet opérationnel est important.

À cet égard, l'attention des rapporteurs a été appelée sur la nécessité de mieux valoriser les innovateurs internes. Une révision des textes actuels a été entreprise afin d'élargir la liste des statuts éligibles à la prime d'intéressement et à la prime au brevet. Vos rapporteurs considèrent que cette modification des textes doit aboutir le plus rapidement possible afin d'encourager cette forme d'innovation participative particulièrement utile pour nos forces.

IV. L'INNOVATION DOIT ÉGALEMENT PASSER PAR UNE TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS

A. LE DÉFI DE LA MASSE DOIT ÊTRE PRIS EN COMPTE DÈS LE STADE DES ÉTUDES AMONT

Si l'innovation est essentielle pour conserver une supériorité opérationnelle et, en cela, pour « gagner la guerre avant la guerre », il convient toutefois de trouver le juste équilibre entre sophistication technologique, qui implique des coûts plus élevés, et prise en compte de l'importance de la masse, comme l'a mis en lumière le retour d'expérience (RETEX) du conflit ukrainien.

En audition, il a ainsi été indiqué que, dès le stade des études amont, plusieurs versions d'une même technologie pouvaient être envisagées : une version de « haute technologie », permettant l'entrée en premier, et une version moins sophistiquée mais pouvant être produite en plus grande quantité, permettant un volume d'attrition plus important et dont l'exportation serait facilitée.

Ces différentes versions, correspondant à des usages et des besoins différents, doivent être pensées dès le départ, une évolution a posteriori étant généralement coûteuse ou impossible à développer.

Interrogée sur ce point par vos rapporteurs, l'AID a indiqué que les différentes formes d'innovation soutenues par l'Agence devraient permettre d'envisager deux versions différentes en matière de sophistication et de coût.

La nécessité de retrouver de la masse doit également inviter à interroger certaines exigences en matière de qualification et de spécification, qui peuvent conduire à fixer des cahiers des charges très ambitieux au regard de l'utilisation qui sera effectivement faite de l'équipement ou du matériel en question.

B. DIFFÉRENTES MESURES DESTINÉES À FAVORISER LE PASSAGE À L'ÉCHELLE DEVRAIENT ÊTRE PRISES

Le passage à l'échelle consiste en la prise en compte de l'innovation par les programmes d'équipement, de préparation et d'emploi, ou de soutien des forces, en vue d'un déploiement auprès des utilisateurs finaux. Cette étape cruciale se heurte pourtant à plusieurs types de contrainte :

- une contrainte budgétaire : la France travaillant avec des ressources limitées, il est difficile de généraliser le lancement de démonstrateurs ou de micro séries destinées à tester une innovation ou un concept ;

- une contrainte calendaire des programmes d'équipements dont la durée n'est pas compatible avec le rythme de vie des PME et des start up ;

- une contrainte liée à la nécessaire homogénéité des parcs, pour des questions d'entraînement et de maintenance.

1. Une enveloppe destinée aux projets d'accélération d'innovation matures utile mais limitée

Depuis janvier 2021, une enveloppe de 20 millions d'euros (10 millions d'euros au titre du programme 146 « Équipement des forces » et 10 millions d'euros au titre du programme 178 « Préparation et emploi des forces ») est réservée en amont des arbitrages afin de soutenir le début du passage à l'échelle des projets d'accélération d'innovation matures au plan technologique et répondants aux besoins exprimés par les forces. Un comité de gouvernance du passage à l'échelle (CGPAE) évalue les projets qui lui sont présentés par le Comité permanent d'accélération de l'innovation (CPAI) présidé par l'AID.

14 projets ont ainsi fait l'objet d'un passage à l'échelle en 2022 et 10 projets ont déjà été validés au titre de l'année 2023.

Si ce dispositif a été salué par l'ensemble des personnes entendues par le groupe de travail, toutes ont rappelé le caractère limité des moyens qui y sont consacrés. Par ailleurs, si ce mécanisme assure un flux financier pour le passage à l'échelle, il ne règle pas la question contractuelle, qui nécessite d'intégrer le passage à l'échelle au plus tôt dans le démarche d'innovation.

2. Un recours aux démonstrateurs qui doit être développé

Comme il a été rappelé au cours des auditions, une technologie non intégrée de façon réaliste dans son environnement d'utilisation pour l'application prévue ne peut pas dépasser le TRL 4, d'où l'importance de mener des expérimentations de mise en situation.

À cet égard, les démonstrateurs revêtent une importance cruciale en permettant de confirmer le besoin et de procéder aux ajustements nécessaires.

Ces démonstrateurs de technologies doivent en outre être réalisés en grand nombre, pour tester plusieurs concepts/options en parallèle plutôt qu'en série, et sur davantage de domaines technologiques.

La volonté affichée de s'appuyer sur des démonstrateurs d'envergure dans le cadre de la prochaine programmation constitue à cet égard une orientation bienvenue.

Il conviendra en outre que ces démonstrateurs puissent être soumis aux opérationnels à un stade relativement précoce afin de leur permettre de confirmer le cas d'usage et de proposer les incréments nécessaires, dont la prise en compte à un stade plus avancé serait plus coûteuse voire inenvisageable.

Par ailleurs, des initiatives du type Perseus, démarche engagée par la marine nationale et la DGA, qui vise à rapprocher les industriels, la DGA et les unités, et qui permet de tester en conditions réelles des innovations prometteuses lors d'exercices ou de déploiements, devraient être encouragées, dans la mesure où celles-ci contribuent à favoriser l'innovation continue et à en accélérer le déploiement.

3. Une utilisation de l'ensemble des possibilités offertes par la règlementation en matière de marchés publics qui doit être favorisée

Dans leur rapport de 2019 consacré à l'innovation de défense, nos collègues Cédric Perrin et Jean-Noël Guérini4(*) relevaient que « l'un des principaux obstacles à l'innovation de défense est la complexité et le délai d'achat public qui rend obsolète l'innovation au terme du long processus d'achat, voire décourage les acteurs du ministère de tenter d'intégrer l'innovation ». Or, force est de constater que la situation a peu évolué depuis.

L'instruction n° 546/ARM/CAB/CM31 relative à la politique d'achat du ministère des Armées du 28 janvier 2019 appelle les acheteurs ministériels à « développer leur connaissance de la réglementation pour mieux identifier leurs domaines de liberté d'action afin d'être plus agiles, plus innovants et mener ainsi de meilleurs achats ».

Elle rappelle en outre « les principaux outils de la commande publique permettant de procéder à une contractualisation performante » (cf. annexe). À cette liste pourrait être ajouté le dispositif prévu par l'article 1er du décret n° 2018-1225 du 24 décembre 20185(*) permettant à l'acheteur public de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables portant sur des travaux, fournitures ou services innovants et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes et non 25 000 euros comme le prévoit le droit commun. Ce mécanisme, prévu initialement pour une durée de 3 ans, a été pérennisé6(*) et figure désormais à l'article R. 2122-9-1 du code de la commande publique.

Pour autant, ainsi qu'il a été indiqué en audition, ces différents dispositifs ne sont pas suffisamment utilisés par les acheteurs du ministère en raison notamment des risques de recours, alors qu'une analyse bénéfice/risque serait souvent à l'avantage du choix d'une procédure simplifiée.

Certains dispositifs spécifiques prévus au sein du code de la commande publique, s'ils simplifient la phase initiale de recherche et développement, s'avèrent néanmoins également source de complexité s'agissant de la phase d'acquisition. Cela est notamment le cas des marchés soumis à l'exclusion « recherche et développement » au titre du 2° de l'article L. 2512-5 du code de la commande publique, qui doivent faire l'objet d'une mise en concurrence à l'issue de la phase de recherche et développement (cf. graphique ci-après).

Source : direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers

Ainsi, comme le relève la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, les entreprises peuvent être réticentes à participer à ces marchés dans la mesure où elles n'ont aucune assurance de se voir attribuer le marché d'acquisition de la solution. Par ailleurs, à l'occasion de cette phase de remise en concurrence, l'acheteur doit se garder de révéler les solutions techniques issues de la phase de recherche et de développement, ce qui se traduit par « des définitions du besoin qui ne permettent pas de donner tout leur poids aux éléments " qualité " et " caractère innovant " au sein du critère de l'offre économiquement la plus avantageuse ».

Cette situation sous-optimale aboutit in fine par un ralentissement important du cycle de développement des matériels militaires.

Une solution à cette difficulté consisterait à faciliter le recours au « partenariat d'innovation ». Ce dispositif, qui figure à l'article L. 2172-3 du code de la commande publique, permet à l'acheteur public de mettre en place un partenariat structuré de long terme couvrant à la fois la phase de recherche et de développement ainsi que l'achat ultérieur des produits, services ou travaux en résultant, sans remise en concurrence, sous réserve que ces derniers répondent à un besoin ne pouvant pas être satisfait en ayant recours à l'offre disponible sur le marché.

Néanmoins, comme l'a indiqué le directeur de l'AID en audition, ce dispositif est peu utilisé à l'heure actuelle en raison notamment de la charge qu'il représente pour les équipes achat. Un travail est actuellement mené pour en simplifier la mise en oeuvre, ce qui passe par l'amélioration de la connaissance préalable des quantités à acquérir ou encore une meilleure identification des critères de sélection.

Par ailleurs, les marchés de défense et de sécurité, qui permettent de ne pas avoir recours à la procédure formalisée pour les marchés de fournitures et de services dont le montant est inférieur à 431 000 euros hors taxes, sont actuellement limités à l'acquisition de produits fabriqués uniquement à des fins de recherche et de développement à l'exception de la production en quantités7(*). Selon le directeur de l'AID, l'extension du champ d'application de ce dispositif ne se heurterait pourtant à aucune disposition européenne. Aussi, vos rapporteurs appellent à une modification rapide de la réglementation nationale afin de permettre un recours plus étendu à ce dispositif par le ministère des Armées.

DEUXIÈME PARTIE
GARANTIR L'ACCÈS AU FINANCEMENT DES ENTREPRISES DE LA BITD : UN ENJEU DE SOUVERAINETÉ

Si la question de l'accès au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) excède le seul cadre du programme 144, innovation et BITD sont cependant intimement liées. Les crédits relatifs aux études amont poursuivent ainsi deux objectifs principaux : i) financer des projets de recherche et ii) maintenir une BITD apte à répondre, technologiquement et industriellement, aux besoins exprimés par les forces.

Par ailleurs, le passage à ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'« économie de guerre », conséquence du conflit ukrainien, rend cette question d'autant plus prégnante que sa mise en oeuvre nécessite une industrie de défense toujours plus robuste et réactive.

I. DES FINANCEMENTS PUBLICS NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS

L'AID met en oeuvre plusieurs dispositifs de subvention de projets d'innovation, rappelés dans le tableau ci-après. Si l'utilité de ces instruments est indiscutable, comme le rappelaient vos rapporteurs dans leur avis sur le projet de loi de finances pour 2023, leur portée demeure limitée tant en termes de nombre d'entreprises ou de projets soutenus que de montants en jeu. Ainsi, à l'exception du régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID) qui, depuis sa création, a soutenu 700 projets pour un montant d'environ 500 millions d'euros, les financements totaux apportés par les autres dispositifs sont en règle générale inférieurs à 100 millions d'euros.

Dispositif

Date de création

Objet

Nombre de projets/entreprises soutenus

Montant cumulé des financements

Régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID)

2009

Soutenir des projets d'innovation d'intérêt dual portés par des PME ou, depuis 2011, des ETI de moins de 2 000 personnes, seules ou en consortium avec un ou deux partenaires.

700

500 M€

Accompagnement Spécifique des Travaux de Recherche et d'Innovation Défense (ASTRID)

2011

Soutenir des projets de recherche exploratoire et d'innovation de haut niveau (niveau de maturité technologique de 1 à 4), de type mixte entre les organismes de recherche et les entreprises, qui traitent des problématiques de recherche d'intérêt défense.

347

97 M€

ASTRID Maturation

2013

Valorisation duale de travaux scientifiques financés par la défense et permet de valoriser des projets ASTRID déjà accomplis avec succès et leur accompagnement, dans le cadre d'un partenariat entre un organisme de recherche et une entreprise, jusqu'à un niveau de maturité technologique supérieur ou égal à 5.

59

29 M€

DEFINVEST

2017

Fonds d'investissement visant à soutenir le développement des PME stratégiques pour la défense, via des prises de participations au capital des pépites technologiques du secteur de la défense, aux côtés d'investisseurs financiers et industriels. L'objectif est de permettre à ces entreprises de se développer en toute autonomie grâce à l'augmentation de leurs fonds propres.

13

Doté de 100 M€

Fonds innovation défense

2021

Répondre au besoin de financement des entreprises innovantes en phase de croissance, disposant de technologies transverses susceptibles d'intéresser la défense

2

Doté de 200 M€ pouvant être complété jusqu'à 400 M€ par des crédits institutionnels ou du secteur privé

S'agissant du fonds européen de défense (FED), si le nombre de projets soutenus dans ce cadre est également limité, les montants attribués apparaissent significativement plus élevés. Ainsi, en 2021, le fonds était doté de 322 millions d'euros pour son volet « Recherche » et de 845 millions d'euros pour son volet « Développement ». La Commission européenne a retenu 61 projets sur 142 projets proposés. L'industrie française est présente dans 47 de ces projets et en coordonne 18.

II. DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES D'ACCÈS AUX FINANCEMENTS PRIVÉS

A. UNE « FRILOSITÉ » BANCAIRE DIFFICILE À QUANTIFIER, DES DIFFICULTÉS AFFECTANT PRINCIPALEMENT LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES

Votre commission a, dès le mois de juillet 2020, alerté sur les difficultés croissantes de financement rencontrées par les entreprises du secteur de la défense8(*). L'ancien délégué général pour l'armement, Joël Barre, a employé l'expression de « frilosité bancaire »9(*) pour qualifier l'aversion de certains établissements à financer les entreprises de la BITD, expression qui a, depuis lors, fait florès.

Parce qu'elle est peu documentée, cette situation ne fait pas l'objet d'un consensus entre industriels et établissements bancaires, voire entre administrations de l'État, le ministère des Armées et le ministère de l'Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne partageant pas strictement la même analyse sur ce sujet. Lors d'une table-ronde organisée dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 202310(*), la Fédération bancaire française a ainsi indiqué n'avoir connaissance d'aucun dossier rejeté sur le seul motif de l'appartenance au secteur de la défense, cette analyse rejoignant dans une large mesure le constat fait à l'époque par la direction générale du Trésor.

Au moins deux facteurs peuvent expliquer que les difficultés rencontrées par les entreprises du secteur de la défense sont difficilement quantifiables.

En premier lieu, il n'y a aucune obligation pour les établissements bancaires de motiver leur refus de financement. Lorsqu'une justification est apportée, celle-ci repose le plus souvent sur des arguments financiers (structure bilancielle de l'entreprise, viabilité ou rentabilité du projet, etc.). Si vos rapporteurs n'entendent pas remettre en cause la liberté des banques à choisir les dossiers qu'elles souhaitent accompagner, il serait utile, afin de disposer d'un état des lieux plus précis sur les difficultés rencontrées, que les principales banques s'engagent à justifier les refus de financement lorsque ceux-ci concernent les entreprises de la BITD.

Recommandation : obtenir l'engagement des principales banques de justifier les refus de financement lorsque ceux-ci concernent des entreprises de la BITD.

En second lieu, les entreprises qui se voient opposer un refus de financement sont peu enclines à communiquer sur les difficultés rencontrées du fait des conséquences commerciales face à leurs concurrents ou leur donneur d'ordre et pour ne pas nuire à leur relation avec leur banque.

Pour autant, il ressort des auditions du groupe de travail que des cas de refus explicites en raison d'une appartenance au secteur de la défense existent bien, même si ceux-ci peuvent être présentés oralement, comme vos rapporteurs en ont eu connaissance.

Ce constat est d'ailleurs partagé par l'actuel délégué général pour l'armement, Emmanuel Chiva, qui, en réponse à une question de vos rapporteurs, a indiqué lors de son audition devant votre commission11(*) : « en ce qui concerne la frilosité bancaire, elle existe toujours. Nous avons eu récemment des interactions avec le comité Richelieu, dont des membres m'ont dit que certaines banques, avaient totalement refusé de financer des activités sous prétexte qu'elles étaient connexes à des activités de défense ».

De fait, certains groupes bancaires, à l'instar de la banque HSBC, ont fait le choix d'exclure purement et simplement les entreprises du secteur de la défense de leur politique d'investissement. Dans un document établi en décembre 2022, la banque indique ainsi : « HSBC ne fournit pas de services financiers aux clients qui fabriquent ou vendent exclusivement ou principalement d'autres armes. Les autres armes sont définies comme suit : les armes clairement identifiables, telles que les canons ou les missiles ; les plates-formes d'armement, telles que les chars et les avions de combat ; et les parties matérielles d'une arme ou d'une plate-forme d'armement sans usage non militaire généralement acceptée, telles que la tourelle d'un char » (traduction)12(*). Si une telle exclusion de principe est évidemment regrettable, elle a cependant le mérite de la clarté et relève du choix assumé d'un acteur privé.

De manière plus contestable, la Banque européenne d'investissement (BEI), institution publique, a également exclu de son champ de financement les munitions et armes ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers.

Activités exclues des financements de la Banque européenne d'investissement

Source : https://www.eib.org/fr/projects/cycle/index.htm

Or cette doctrine interne ne découle ni de dispositions du droit primaire ni du droit dérivé, ni même des statuts de la BEI13(*).

Dans le prolongement des conclusions du Conseil européen de mars 2022, qui demandait que soient prises des mesures « pour promouvoir et faciliter l'accès de l'industrie de la défense aux financements privés, notamment en utilisant au mieux les possibilités offertes par la Banque européenne d'investissement », vos rapporteurs appellent par conséquent à une révision de la doctrine de la BEI, ce qui constituerait un signal important à destination des institutions financières.

Recommandation : obtenir une révision de la « doctrine » de la Banque européenne d'investissement lui permettant d'investir dans le secteur de la défense.

Les établissements bancaires qui n'excluent pas, par principe, les entreprises ayant une activité dans le secteur de la défense, n'ont pas pour autant une attitude proactive en faveur de ces dernières, mais se situent plutôt dans ce que l'on pourrait qualifier de « zone grise », les financements étant accordés au cas par cas, en fonction des entreprises, des établissements, de la localisation du partenaire bancaire (succursale en région ou siège) ou encore du type d'opérations financées (cf. infra).

Les difficultés constatées concernent ainsi pour l'essentiel les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). De fait, les grands industriels entendus en audition n'ont pas soulevé de difficulté particulière d'accès au financement bancaire, tout en reconnaissant que la situation différait selon la taille de l'entreprise, les grands groupes disposant, selon les termes d'un représentant d'une entreprise entendu en audition, de chargés d'affaires « suffisamment aguerris ou ayant une bonne connaissance du secteur et de la politique de la banque » et rencontrant, de ce fait, moins de difficulté qu'une petite entreprise située en zone rurale par exemple.

Les groupes bancaires interrogés dans le cadre du présent groupe de travail ont admis que les TPE, PME et ETI, souvent moins facilement identifiables comme appartenant au secteur de la défense et donc ne bénéficiant souvent pas des dispositifs spécifiques qui ont pu être mis en place au sein des banques au cours des dernières années en faveur des industriels de l'armement, étaient plus susceptibles de se voir opposer un refus de financement.

Par ailleurs, si les grands groupes sont moins confrontés aux difficultés d'accès aux services bancaires que les TPE, PME et ETI, ils font face à des réticences croissantes de la part des investisseurs financiers, ce phénomène se propageant progressivement à d'autres secteurs (cf. infra). En outre, les entreprises concourant directement ou indirectement à la dissuasion nucléaire semblent particulièrement exposées à cette frilosité.

B. DES DIFFICULTÉS CONCERNANT EN PARTICULIER LES PROJETS D'EXPORTATION

1. Alors que les exportations d'armes sont soumises à un contrôle spécifique...

Le principe d'interdiction des exportations d'armes, sauf autorisation préalable, est posé à l'article L. 2335-2 du code de la défense, qui dispose que « l'exportation sans autorisation préalable de matériels de guerre et matériels assimilés vers des États non membres de l'Union européenne est prohibée. L'autorité administrative définit la liste de ces matériels de guerre et matériels assimilés soumis à autorisation préalable ainsi que les dérogations à cette autorisation ».

Concrètement, seuls les matériels disposant d'une licence accordée par une instance spécifique, la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), peuvent faire l'objet d'une exportation (cf. encadré ci-après).

Le contrôle des exportations d'armes

Le dispositif réglementaire a fait l'objet d'une évolution majeure avec la mise en place, depuis le 4 juin 2014, d'une autorisation unique : la licence. L'opérateur, qui souhaite exporter (hors UE) ou transférer (intra UE) des matériels de guerre et matériels assimilés, doit désormais effectuer une demande de licence auprès de l'administration par l'intermédiaire du nouveau système informatique SIGALE. La licence doit être obtenue avant la signature de tout contrat. Outre la signature des actes, elle permet également l'exportation physique des produits de défense. La licence peut prendre une forme individuelle ou globale en fonction de la sensibilité du produit exporté et du destinataire. Des licences générales, publiées par arrêté, dédiées au transfert et à l'exportation de certains produits vers des ensembles de destinations, ainsi que des dérogations à l'obligation de licence pour des cas identifiés, complètent ce dispositif.

Cette réforme s'accompagne d'un transfert partiel de la responsabilité du contrôle vers l'exportateur, qui se traduit par la tenue de registres et la remise d'un compte rendu semestriel d'activité. L'activité des sociétés peut désormais faire l'objet d'un contrôle a posteriori effectué par la DGA.

Les demandes de licence, individuelle ou globale, d'exportation ou de transfert, sont instruites par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Cette commission, présidée par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), réunit des représentants du ministre chargé de la défense, du ministre chargé des affaires étrangères, du ministre chargé de l'économie.

Elle apprécie les projets d'exportation sous tous leurs aspects, en tenant compte notamment des conséquences de l'exportation en question pour la paix et la sécurité régionales, de la situation intérieure du pays de destination finale et de ses pratiques en matière de respect des droits de l'homme, du risque de détournement au profit d'utilisateurs finaux non autorisés, de la nécessité de protéger la sécurité de nos forces et celles de nos alliés ou encore de maîtriser le transfert des technologies les plus sensibles.

Les licences délivrées peuvent être soumises à conditions. Elles sont le plus souvent assorties de l'obligation faite à l'industriel d'obtenir de son client - qu'il s'agisse d'un État, d'une société ou d'un particulier - des engagements en matière de destination finale et de non-réexportation des matériels livrés, qui ne peuvent être cédés à un tiers qu'après accord préalable des autorités françaises.

Afin de vérifier que les opérations réalisées sont bien conformes aux autorisations accordées, un contrôle a posteriori a été mis en place en juin 2012. Il s'agit d'un contrôle sur pièces et sur place effectué par des agents du ministère des Armées dans les locaux des entreprises exportatrices. Depuis le 30 juin 2012, les entreprises sont également tenues de faire parvenir au ministère des Armées des comptes rendus semestriels récapitulant leurs commandes et leurs expéditions de matériels. Le cas échéant, les avis favorables de la CIEEMG peuvent être assortis de conditions, ainsi que l'exigence d'une clause de non-réexportation (CNR) et de certificat d'utilisation finale (CUF). La décision prise par le Premier ministre après avis de la CIEEMG est ensuite notifiée aux douanes (DGDDI) qui délivrent, en cas d'acceptation, la licence.

Source : Ministère des Armées

2. ... ces opérations, vitales pour les entreprises de la BITD, sont les plus susceptibles de se voir opposer des refus de financement...

Si la licence accordée par la CIEEMG est une condition nécessaire pour l'obtention d'un financement export, elle n'est en revanche pas suffisante. En effet, selon les termes employés par plusieurs groupes bancaires entendus par vos rapporteurs, « la licence ne constitue pas un droit au crédit », dans la mesure où elle ne couvre pas l'ensemble des obligations qui s'imposent aux établissements bancaires. Ainsi, la décision de la CIEEMG ne se fonde pas sur la prise en compte de critères liés à la lutte contre la corruption et au respect de la réglementation internationale et nationale afférente.

Une analyse de sécurité financière reste donc nécessaire et exigée par le régulateur. Par ailleurs, il existe des pays considérés comme « sensibles » envers lesquels les banques ont une politique de risque fermée à tous secteurs et ne feront aucune opération export quel que soit le sous-jacent. Pour les autres pays « sensibles », résultant d'une combinaison de facteurs de risques (tels que le niveau élevé de corruption, risque de répression interne, le risque de prolifération, la violation des droits humains faisant l'objet de rapports de l'ONU), les banques prennent en compte la sensibilité du sous-jacent et le pays d'exportation. L'autorisation de la CIEEMG constitue ainsi un élément de « confort », les seules transactions acceptées dans le secteur de la défense vers ces pays sensibles étant en tout état de cause celles disposant d'une licence.

À cet égard, il pourrait être envisagé que la liste des critères vérifiés par la CIEEMG, qui recoupent dans une large mesure ceux utilisés par les banques dans leur analyse de risque, fasse l'objet d'une publication afin de permettre aux établissements bancaires de s'y référer et d'alléger ainsi leurs propres procédures de vérification.

Recommandation : publier la liste des vérifications menées par la CIEEMG afin de permettre aux établissements bancaires de s'y référer et d'alléger ainsi leurs propres procédures de vérification.

Dans ses réponses au questionnaire budgétaire, le ministère des Armées relève ainsi que « les financements de projets d'exportation vers certains marchés considérés comme sensibles par les établissements financiers restent le principal vecteur d'aversion au risque de la part du secteur bancaire ». Ce constat rejoint très largement l'analyse des acteurs du secteur entendus en audition. En effet, si, selon les industriels rencontrés, l'ensemble du spectre des opérations bancaires peut être concerné par cette aversion - de l'ouverture du compte aux activités d'exportation - ces dernières rencontrent des difficultés particulières, notamment lorsque des pays situés dans des zones géographiques considérées comme étant à « risque » sont concernés (Afrique et Moyen-Orient en particulier).

Cette situation est d'autant plus dommageable que les exportations revêtent une importance vitale pour les entreprises de la BITD et, par conséquent, pour le maintien de notre autonomie stratégique.

Ainsi, selon le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), l'export représente historiquement 50 % du chiffre d'affaires de ses adhérents. Sur ces 50 %, jusque très récemment, près de la moitié allait au Moyen-Orient/Maghreb, zones géographiques pouvant être considérées comme présentant un risque par les établissements bancaires. Selon le groupement, cette situation résulte du fait que les pays concernés ont les capacités financières de répondre à leurs besoins importants, ce que ne leur permet pas encore leur BITD, et se tournent donc vers les pays occidentaux, dont la France.

Par ailleurs, comme le relève le ministère des armées dans son rapport au Parlement 2022 sur les exportations d'armement de la France, celles-ci sont cruciales dans la mesure où elles permettent de :

1) répondre à la nécessité d'assurer la continuité des productions qui ne peut pas toujours reposer de manière exclusive sur les programmes nationaux. Ainsi, dans le cas du Rafale, la chaîne de production ne peut être viable qu'avec un minimum d'avions produits par an que les seuls besoins de l'armée de l'air et de l'espace et de la marine nationale ne pourraient pas permettre d'atteindre ;

2) diminuer les coûts unitaires grâce à l'augmentation des séries, entraînant une diminution du coût d'acquisition pour l'État ;

3) maintenir des compétences et des savoir-faire critiques tout en conservant des coûts compétitifs pour rester au niveau de la concurrence mondiale via la réalisation de variantes voire de produits spécifiques pour l'export.

3. ...que ne peuvent pallier les seuls dispositifs de soutien publics

Les entreprises de la BITD ont accès, comme l'ensemble des entreprises françaises, aux dispositifs publics de soutien à l'export. Le ministre chargé de l'économie est ainsi autorisé à accorder des prêts directs et des garanties publiques (assurance-crédit) contribuant au développement du commerce extérieur de la France par l'octroi d'une offre financière complémentaire de l'offre technique portée par l'entreprise.

L'assurance-crédit, qui permet de couvrir les opérations financées par un crédit d'une durée supérieure à deux ans, constitue le principal instrument de soutien public à l'export. En pratique, Bpifrance Assurance Export (Bpi AE) octroie au nom et pour le compte de l'État plusieurs types de garanties :

celles destinées à couvrir les banques émettrices contre le risque de non-paiement, pour des faits politiques et/ou commerciaux ;

celles destinées à protéger l'exportateur français contre le risque d'interruption de son contrat commercial et le non-paiement.

Les dispositifs de garantie proposés par l'État

• La garantie des engagements de cautions permet de couvrir la banque émettrice de la caution en cas d'appel abusif de la caution par le client ou de risque politique ;

• La garantie d'interruption du contrat commercial permet de couvrir l'exportateur des pertes consécutives à une interruption de marché ;

• La garantie du crédit acheteur permet de couvrir la banque prêteuse du risque de non remboursement du crédit octroyé au client étranger d'un exportateur français ;

• La garantie de créances permet de couvrir l'exportateur contre le risque de non- paiement des factures réglées au comptant ;

• La garantie du crédit fournisseur permet de couvrir l'exportateur contre le risque de non-remboursement du crédit qu'il a octroyé à son client étranger ;

• La garantie du crédit fournisseur avec cession permet de couvrir la banque du risque non remboursement des créances cédées par l'exportateur français dans le cadre du crédit fournisseur.

Source : direction générale du Trésor, réponses au questionnaire de vos rapporteurs

Sur l'année 2022, 168 promesses ont été accordées en assurance-crédit, 1 502 en assurance-prospection, 161 en assurance change et 514 en assurance cautions et préfinancements. 45 % des demandes de garantie acceptées l'ont été au bénéfice de PME, 16 % d'ETI et 39 % de grandes entreprises.

Encours sur les produits de soutien financier depuis 2017

(en millions d'euros)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Assurance-crédit

69 155

65 078

59 174

59 635

60 413

66 415

Assurance prospection

1 907

1 797

1 838

1 870

1 849

1 719

Assurance des cautions et

préfinancements

1 622

1 457

1 422

1 656

2 227

2 408

Assurance change

456

465

335

417

403

259

Assurance investissement

259

188

172

156

157

151

Réassurance court-terme

(CAP Francexport, CAP Francexport+)

s.o.

s.o.

s.o.

305

1 303

1 676

Source : Bpifrance AE, repris dans le rapport de la Cour des comptes sur les dispositifs de soutien à l'exportation entre 2017 et 2021 (octobre 2022)

Par ailleurs, à la fin de l'exercice 2022, la part du militaire sans le stock de crédits garantis atteignait près de 40 %.

Outre les garanties de l'État apportées par Bpifrance, les entreprises de la BITD peuvent avoir accès à d'autres instruments tels que les prêts directs du Trésor. Selon les informations communiquées par la direction générale du Trésor à vos rapporteurs, la part du militaire dans le stock de ces prêts 2022 est cependant très réduite dans la mesure où l'utilisation des prêts directs dans le secteur militaire est très récente.

Les entreprises du secteur de la défense sont également éligibles à l'assurance prospection, destinée à couvrir les dépenses de prospection engagées par les entreprises à hauteur de 65 % du budget programmé, moyennant une prime de 3 % de cette somme, ainsi qu'au dispositif dit « Article 90 », dont la gestion a été confiée à Bpi AE au 1er janvier 2023. Ce dispositif vise à réduire le risque que supportent les entreprises de défense lors de la phase d'industrialisation (fabrication ou adaptation d'un matériel) et permet d'octroyer des avances remboursables portant intérêts aux entreprises du secteur pour financer jusqu'à 60 % des dépenses d'industrialisation de certains produits en vue de leur exportation.

Les outils de soutien financier public à l'export sont régis par des règles multilatérales, dites de « l'Arrangement OCDE », reprises dans le droit de l'Union européenne ainsi que par la politique annuelle de financement export (PFE), qui fixe chaque année la doctrine d'intervention et les seuils d'alerte par pays. Ainsi, dans le cadre de la politique de financement export 2022, 10 pays étaient fermés, 55 étaient ouverts sous condition et 30 étaient ouverts avec vigilance.

Source : Bpifrance

Les dossiers sont instruits par la commission des garanties et du crédit au commerce extérieur, instance interministérielle où sont représentés, pour ce qui concerne les affaires militaires, la direction générale du Trésor, la direction générale du budget, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère chargé de l'écologie, Bpifrance AE et la DGA. La commission des garanties conduit également les diligences nécessaires en matière de conformité et peut saisir la Banque de France pour les enquêtes sur les sociétés demandant une garantie contre un risque d'exportateur.

La décision revient au ministre chargé de l'économie, l'octroi d'une garantie étant toujours conditionnée à l'obtention d'une licence d'exportation.

Si ces dispositifs publics de soutien à l'export sont indispensables et les montants en jeu importants, leur mise en oeuvre est cependant dépendante de la bonne volonté des établissements bancaires. En effet, l'octroi de garanties destinées à couvrir les banques émettrices est, par définition, conditionné à l'obtention d'un financement bancaire. De même, compte tenu du niveau de dépenses couvert par les dispositifs d'avances remboursables, ces derniers doivent être complétés, soit par des ressources propres soit par des financements extérieurs.

Par ailleurs, comme le relève la Cour des comptes dans un rapport consacré au soutien aux exportations de matériel militaire14(*), les garanties sont très fortement concentrées sur des pays classés de 1 à 3 sur une échelle de risque 7. En d'autres termes, à l'instar du secteur bancaire, l'État privilégie également les opérations à destination de pays jugés moins risqués.

Vos rapporteurs estiment par conséquent nécessaire d'envisager un accompagnement renforcé pour les opérations à destination de certains marchés posant des difficultés particulières.

Recommandation : prévoir un accompagnement financier renforcé pour les opérations à destination de certains marchés posant des difficultés particulières.

C. UN PHÉNOMÈNE QUI S'ÉTEND PROGRESSIVEMENT À D'AUTRES SECTEURS : FONDS D'INVESTISSEMENT, ASSUREURS, BAILLEURS IMMOBILIERS, VOIRE HÉBERGEURS WEB

Les fonds d'investissements représentent une source importante de financement des entreprises du secteur de la défense. Dans une étude de 202215(*), le cabinet Xerfi relève ainsi que 80 % des groupes de défense mondiaux16(*) comptaient des fonds parmi leurs actionnaires. Ces fonds se répartissent en deux catégories : les fonds de capital-investissement, qui réalisent des opérations d'investissement en fonds propres ou quasi-fonds propres et qui peuvent souhaiter orienter les orientations stratégiques des entreprises dans le capital desquelles elles ont pris des participations, et les fonds de gestion d'actifs, qui acquièrent des participations minoritaires dans des entreprises cotées, pour des durées généralement courtes, et peuvent exercer une influence via un vote en assemblée générale.

Dans son étude précitée, Xerfi relève ainsi que « Selon le rapport 2020 de la GSIA (Global Sustainable Investment Alliance), les investissements responsables au niveau mondial étaient évalués à 35 300 Md$ en 2020, soit 36 % des actifs sous gestion totaux. Dans cet ensemble, les actifs sous gestion relevant de politiques d'exclusion s'élevaient à 15 000 Md$ en 2020. L'exclusion était la 2e stratégie employée pour l'investissement durable, derrière l'intégration de critères ESG, et était principalement mise en oeuvre en Europe (en lien avec le contexte réglementaire). L'armement (y compris conventionnel) est l'un des principaux secteurs exclus, avec le tabac et les énergies fossiles ».

À titre d'exemple, plusieurs fonds norvégiens (Government Pension Fund Global17(*) et KLP18(*)) ont purement et simplement exclu de leurs investissements des groupes actifs dans le secteur de la défense, en raison notamment de leurs activités liées à la dissuasion nucléaire.

Ce phénomène semble s'être étendu à l'ensemble de l'Europe continentale, comme le soulignait Patrice Caine, Président-directeur général de Thales, dans une tribune publiée dans les Échos le 28 septembre 2022. Il relevait ainsi que l'accès aux marchés de capitaux est plus difficile. La part de l'actionnariat flottant d'Europe continentale (hors France) du groupe Thales est ainsi passée de 20 % à 8 % entre 2017 et 2021.

Par ailleurs, à terme, selon Xerfi, il existe un risque de pression de la part des investisseurs pour séparer activités civiles, susceptibles d'investissement, des activités militaires devant être exclues des stratégies d'investissement, à l'instar du mouvement en cours dans le secteur des hydrocarbures : « le fonds activiste américain Third Point a ainsi appelé à une scission des activités de Shell pour séparer les métiers historiques dans le pétrole et le gaz des énergies alternatives, tandis que le fonds activiste britannique Bluebell exhorte Glencore à isoler ses activités liées au charbon dans une entité séparée ».

Un second risque réside dans l'acquisition des entreprises de la BITD par des fonds non-européens, ou des groupes industriels, notamment américains, qui sont à l'heure actuelle moins soumis aux pressions en matière ESG, alors que de nombreux analystes considèrent le secteur de la défense en Europe comme particulièrement porteur sur le long terme19(*). Plusieurs exemples doivent ainsi alerter, qu'il s'agisse de Photonis que le groupe américain Teledyne Technologies souhaitait acquérir, ou encore d'Exxelia récemment rachetée par l'américain Heico.

Pour pallier les carences des investisseurs privés et éviter la survenance de ces risques, plusieurs solutions pourraient être étudiées telles que des mesures en faveur de la constitution de fonds d'investissement privés pour épauler le volet « amorçage » du financement de la BITD ou encore orienter l'épargne des Français vers le soutien aux entreprises de défense via la création d'un livret réglementé, alors que l'encours total sur le livret A et le livret de développement durable et solidaire atteignait un montant record de 520,9 milliards d'euros fin janvier 2023.

Recommandations :

- encourager, par la création ou l'élargissement d'incitations fiscales, la constitution de fonds d'investissement privés dans le secteur de la défense ;

- envisager la création d'un livret réglementé destiné au financement des entreprises de la BITD.

De manière inquiétante, cette « frilosité », qui se limitait jusqu'à présent aux organismes financiers, semble avoir gagné d'autres secteurs. En particuliers, des cas de refus d'assureurs de couvrir des entreprises, d'hébergeurs ou de développeurs refusant d'accueillir ou d'assurer la maintenance de sites internet de ces entreprises ou encore de bailleurs immobiliers refusant la location de bureaux ont été portés à la connaissance de vos rapporteurs.

Si ces situations semblent encore marginales, elles révèlent cependant une tendance de fond inquiétante, tendant à assimiler les industries de défense à des activités controversées.

D. DES DIFFICULTÉS RÉSULTANT DE LA PRISE EN COMPTE DE DEUX RISQUES : RISQUE DE CONFORMITÉ ET RISQUE D'IMAGE

Les établissements bancaires et, plus généralement, les investisseurs privés, font face à deux risques principaux, dont l'évaluation relève de deux catégories de services, chacun poursuivant une logique de limitation du risque :

un risque juridique : la responsabilisation de la finance depuis le milieu des années 2000 s'étant accompagnée de l'édiction de règles en matière de conformité de plus en plus strictes. L'analyse de ce risque relève de la conformité (ou compliance) ;

un risque d'image lié au respect de critères en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) notamment portés par des organisations non-gouvernementales (ONG) dont l'analyse peut être confiée au service chargé de la responsabilité sociale des entreprises.

1. Des exigences en matière de conformité découlant de règles s'imposant aux banques

Selon la Fédération bancaire française, les refus opposés aux demandes de financement émanant des entreprises de la défense sont uniquement motivés par des motifs tenant à la situation financière des entreprises concernées ou à l'application de normes qui s'imposent aux banques.

Cette analyse de la Fédération bancaire française rejoint dans une large mesure celle de la direction générale du Trésor, qui a indiqué, lors d'une table-ronde qui s'est tenue le 16 novembre 2022, que les difficultés d'accès au financement bancaire rencontrées par les entreprises de la BITD étaient liées soit, s'agissant des PME en particulier, à une situation bilancielle fragile, soit à des questions de conformité.

Vos rapporteurs ne peuvent que constater le poids croissant des contraintes normatives pesant sur les établissements bancaires, qu'il s'agisse par exemple de la loi dite Sapin 220(*), dont l'article 17 impose aux sociétés employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins 500 salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros, de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence, ou encore de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre21(*), qui prévoit i) l'obligation pour les grandes entreprises et les grands groupes d'établir, publier, respecter et évaluer un Plan de vigilance qui vise à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement dans toute leur sphère d'influence, les filiales comme les sous-traitants et ii) l'engagement de leur responsabilité en cas de manquement à leurs obligations, y compris lorsqu'ils sont le fait de leurs filiales directes ou indirectes, en France et dans le reste du monde.

Au-delà des contraintes législatives, les établissements bancaires se doivent en outre de respecter les régimes de sanctions et d'embargo décidés au niveau national ou international.

Ces risques juridiques ne sont pas théoriques. Ainsi, le non-respect de décisions américaines peut se traduire par d'importantes amendes, comme ce fut le cas pour BNP Paribas, qui a dû s'acquitter d'une amende de 8,9 milliards d'euros pour avoir contourné les embargos décidés par les États-Unis envers Cuba, l'Iran et le Soudan au début des années 2000.

Dans une logique de limitation des risques juridiques, les groupes bancaires sont par conséquent incités à appliquer les règles les plus strictes, qu'elles soient nationales, européennes, internationales voire strictement américaines.

Recommandation : prévoir que les études d'impact des projets de loi comprennent, le cas échéant, une analyse des éventuelles conséquences sur le secteur de la défense.

Par ailleurs, plusieurs groupes bancaires entendus en audition ont rappelé que leurs exigences en matière de conformité pouvaient être accrues du fait d'une « surtransposition » des règles européennes en droit national22(*) ou à une surinterprétation de ces règles par les régulateurs. Si aucune disposition n'a été précisément citée, il conviendrait qu'un travail soit mené pour identifier celles soulevant des difficultés particulières ainsi que les interprétations émanant des régulateurs qui s'éloigneraient des textes dont ils sont censés garantir l'application.

Recommandation : engager une réflexion avec la Fédération bancaire française, le ministère des Armées et le ministère chargé de l'Économie pour identifier les « surtranspositions » de textes européens et les interprétations émanant des régulateurs allant dans un sens pouvant être défavorable aux entreprises de la défense.

2. La montée en puissance de critères en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) se traduit par un risque d'image en partie alimenté par certaines organisations non-gouvernementales (ONG)

Au-delà du risque juridique, les établissements financiers font également face à un risque d'image, ou de réputation, lequel, nécessairement moins objectivable, est alimenté par certaines organisations non-gouvernementales (ONG). Comme le note l'IFRI dans une note de septembre 202223(*) : « La réticence des acteurs financiers du fait de leur perception d'un risque à l'image est en partie alimentée par les actions d'organisations non gouvernementales (ONG) qui pratiquent le naming and shaming, destiné à entacher la réputation d'acteurs engagés dans des activités qu'ils jugent nuisibles. Le rapport annuel « Don't Bank on the Bomb », publié depuis 2012 par l'ONG PAX, ciblant la production et le financement des armes nucléaires, est emblématique de ces campagnes de dénigrement que redoutent les banques ».

Plusieurs personnes entendues en audition se sont par ailleurs interrogées sur les objectifs poursuivis in fine par certains de ces organismes, leur action, notamment au niveau européen, pouvant consister dans la promotion de mesures allant dans un sens favorable à nos compétiteurs.

Recommandation : établir une cartographie des ONG et lobbies actifs aux niveaux national et européen en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

Afin de se prémunir contre ce type de risques, des « référentiels » en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont été établis à destination des établissements financiers. L'Observatoire sur la RSE (ORSE) - qui rassemble des grandes entreprises du monde de l'industrie, des services et de la finance, des sociétés de gestion de portefeuille et des investisseurs, des organismes professionnels et sociaux et des ONG - a ainsi édicté en 2010 des lignes directrices générales pour le secteur financier et l'industrie de l'armement comprenant notamment une grille d'analyse croisant type d'armements classés en trois catégories (armes « controversées », armes non-conventionnelles et armes conventionnelles) et service financier pouvant être proposé pour chacune de ces catégories.

Comme le montre le tableau ci-après, en dehors des armes prohibées, pour lesquelles aucun service financier ne peut être proposé, pour les autres catégories d'armement une importante marge d'appréciation est laissée aux établissements.

Grille d'analyse de l'Observatoire sur la RSE croisant catégorie d'armement et service financier pouvant être proposé

Source : ORSE, Lignes directrices pour les services financiers à destination de l'industrie de l'Armement, 25 novembre 2010

De même, les principaux groupes bancaires se sont dotés de politiques sectorielles d'investissement, documents établis en interne retraçant les stratégies d'investissement secteur par secteur. La plupart de ces documents internes reprennent la terminologie d'« armes controversées », laquelle est pourtant dépourvue de tout fondement juridique, le droit ne distinguant que les armes interdites au titre de différentes conventions ratifiées par la France24(*), qui ne sont, en tout état de cause, pas produites par les industriels français, et, a contrario, les armes autorisées.

Plusieurs groupes bancaires interrogés dans le cadre du présent groupe de travail ont justifié l'utilisation de cette terminologie par la possibilité d'inclure d'autres armements que les seules armes interdites dans la liste des exclusions, telles que les munitions en uranium appauvri. Vos rapporteurs ne contestent pas le droit pour une banque d'édicter sa propre doctrine en matière d'investissement, ils considèrent cependant que l'utilisation de la terminologie « armes controversées » peut créer une confusion chez les chargés d'affaires et estiment qu'il serait préférable de recourir à celle d' « armes interdites au titre des conventions internationales », reposant sur une liste claire d'exclusion.

Recommandation : inciter les banques à ne plus recourir à la terminologie « armes controversées » au profit d'« armes interdites au titre des conventions internationales », cette liste pouvant, le cas échéant, être complétée d'armements exclus au titre de la politique d'investissement propre à chaque banque et limitativement énumérés.

Les critères figurant dans ces documents peuvent en outre fluctuer en fonction de l'actualité, ce qui est source d'insécurité pour les industriels, une décision favorable de financement pouvant être remise en cause du jour au lendemain. Ainsi, un certain nombre de critères en matière de respect des droits de l'Homme par exemple, imprécis dans la mesure où, outre la prise en compte de la situation actuelle des États acheteurs, risques de dégradation à court ou moyen terme sont pris en compte.

Par ailleurs, comme le relève l'IFRI dans sa note précitée, ces politiques sectorielles sont source de délais et de lourdeurs administratives qui pénalisent plus particulièrement les PME et les ETI, moins bien armées pour répondre aux demandes de pièces justificatives.

Les banques ont ainsi mis en place des procédures spécifiques appelées « know your customer » (KYC) pour l'examen des dossiers présentés par les entreprises de défense. Les clients sont ainsi tenus de communiquer des informations concernant les acheteurs et tous les intermédiaires. Pour ce faire, les banques s'appuient sur des bases de données externes fournissant des listes d'entreprises impliquées dans la fabrication, la distribution, la vente, le stockage ou la maintenance d'armes.

Les précautions prises par les banques peuvent être justifiées par le fait que les garanties qu'elles proposent sont le plus souvent irrévocables et prorogeables et appellent par conséquent de leur part une vigilance particulière lorsque les contrats couvrent une période étendue, ce qui est généralement le cas pour les contrats d'armement.

3. Les projets européens de taxonomie et d'écolabel : une épée de Damoclès pour la BITD, des signaux faibles négatifs envoyés aux investisseurs privés

Le règlement 2020/852 du Parlement et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables, dit règlement sur la taxonomie, met en place une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l'environnement afin d'orienter les investissements vers les activités considérées comme « vertes ».

Même si le secteur de la défense ne fait pas partie des activités directement couvertes par ce texte, un raisonnement a contrario peut conduire des investisseurs à privilégier le financement d'activités considérées comme bénéfiques pour l'environnement ou comme participant « à la durabilité sociale ».

Ainsi, comme le rappelait Emmanuel Levacher, président d'Arquus, lors de son audition par votre commission25(*), « la taxonomie est une réalité de plus en plus pressante. Le léger assouplissement lié au choc de l'invasion russe n'a pas empêché un retour à la tendance : on continue à pointer du doigt l'industrie de défense comme non durable. Cela touche le financement mais aussi, plus largement, l'ensemble des acteurs susceptibles de participer à l'industrie de défense ».

De même, dans le cadre de la réflexion autour du projet de label écologique de l'Union européenne pour les produits financiers, qui vise à étendre l'écolabel prévu par le règlement 66/2010/UE, actuellement applicable à des produits de consommation, aux produits financiers mis à disposition des particuliers, afin de les inciter à investir dans des activités économiques durables sur le plan environnemental, le Centre commun de recherche, service de la Commission européenne chargé de la science et de la connaissance, préconisait, dans un rapport de mars 2021, d'exclure du bénéfice de l'écolabel les entreprises dont la part des activités de production et de vente d'armes conventionnelles et d'équipements militaires « utilisés pour le combat » dépassait 5 % de leur chiffre d'affaires.

Par ailleurs, le projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité actuellement en discussion au Parlement Européen pourrait également présenter des difficultés. Ce texte propose la création d'une obligation de vigilance devant s'exercer en amont pour les entreprises sur les comportements de leurs sous-traitants mais aussi en aval aval, sur l'utilisation qui sera faite, par leurs clients, des produits fournis. Or cette responsabilité en aval n'est pas réaliste dans le secteur de la défense où les clients sont des États sur lesquels les entreprises n'ont, par définition, aucun levier. Si la version du texte votée au Conseil européen excluait la partie « aval », les amendements proposés au Parlement européen réintroduisent l'ensemble de la chaîne de valeur, de manière plus contraignante que le texte initial de la Commission européenne.

Enfin, le règlement Polluants Organiques Persistants (POP) traitant des « polluants éternels » ne prévoit pas d'exception pour le secteur de la défense, contrairement au règlement REACH (article 2.3).

Ces différents textes constituent une épée de Damoclès pour le secteur de la défense et les modifications qui pourront y être apportées nécessitent par conséquent une vigilance de la part du ministère des Armées ainsi que des ministères chargés des Affaires européennes et de l'Économie.

Recommandation : sensibiliser au niveau interministériel à la nécessité de conserver un très haut niveau de vigilance sur les projets de textes, notamment européens, qui pourraient avoir pour effet un durcissement des conditions d'accès des entreprises de la BITD aux financements et investissements.

III. FACE À L'IMPORTANCE DE L'ENJEU, DES MESURES ONT ÉTÉ PRISES ALLANT DANS LE BON SENS MAIS QUI DOIVENT ÊTRE PROLONGÉES

A. GARANTIR L'ACCÈS AU FINANCEMENT DES ENTREPRISES DE LA BITD CONSTITUE UN ENJEU DE SOUVERAINETÉ

Les difficultés d'accès au financement rencontrées par les industriels de la défense représentent une menace directe pour notre souveraineté. En effet, celles-ci se traduisent par :

- une augmentation globale du coût du financement entraînant potentiellement un désavantage vis-à-vis des compétiteurs non européens ;

- une fragilisation de la chaîne de sous-traitance des grands maitres d'oeuvre par les refus ou les retards de financement des PME/TPE de défense la constituant majoritairement ;

- une réduction de la capitalisation boursière des entreprises du secteur qui les rendrait plus vulnérables à une prise de contrôle par des investisseurs étrangers ;

- une dépendance accrue du secteur industriel de la défense à l'égard du financement public avec notamment pour conséquence une charge budgétaire supplémentaire pour les États concernés et, possiblement, une moindre disposition concurrentielle des entreprises concernées.

Au-delà de l'aspect financier, cette exclusion est susceptible de signaler négativement les activités de défense aux yeux de l'opinion publique, et partant de réduire l'attractivité du secteur pour les jeunes talents et pour les entreprises sous-traitantes et fragiliserait, au niveau européen et national, le consensus sur l'utilité sociale d'une politique de défense fondée notamment sur une base industrielle et technologique solide et autonome.

B. LA GUERRE EN UKRAINE SEMBLE AVOIR LEVÉ CERTAINS FREINS, MAIS IL EST À CRAINDRE QUE CE PHÉNOMÈNE NE SOIT QUE TEMPORAIRE

Dans ses réponses au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs, le Ministère des armées indique « avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'importance des notions de sécurité, de souveraineté, d'autonomie stratégique et de résilience est apparue de façon manifeste. Des projets normatifs ont été suspendus et le secteur de la défense a connu un regain d'intérêt de la part de certains fonds d'investissement ».

Ce constat a été partagé par la plupart des personnes entendues en auditions et par le délégué général pour l'armement qui a indiqué, lors de son audition devant votre commission : « Je ne sais pas s'il y a un retour du patriotisme économique de nos acteurs financiers. Je constate en revanche que certains dossiers se débloquent, parce qu'il y a un marché ».

Pour autant, comme le relevait le DGA, la vigilance demeure de mise en la matière : « Nous verrons si, quand la guerre en Ukraine sera terminée, nous reviendrons aux habitudes que vous citez et que je déplore ».

C. DES MESURES ONT ÉTÉ PRISES QUI DOIVENT DÉSORMAIS ÊTRE ÉVALUÉES ET ÉTENDUES

Depuis le rapport de 2020 de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur ce sujet26(*), d'autres travaux ont été menés par l'Assemblée nationale27(*) ou encore le Conseil général de l'économie et le Conseil général de l'armement.

Au cours des auditions, vos rapporteurs ont pu constater que, depuis 2020, une prise de conscience sur l'importance de cette problématique s'est opérée, tant au sein des groupes bancaires que de l'administration.

1. Par les pouvoirs publics, en particulier la DGA

Plusieurs travaux ont été entrepris au niveau interministériel au sein d'un groupe de travail présidé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). L'objectif poursuivi est double : renforcer les positions françaises lors des négociations européennes qui pourraient avoir des conséquences sur la BITD et lancer des initiatives et outils facilitant l'accès des entreprises de la BITD à des financements. Il s'agit en particulier de :

- l'organisation d'un dialogue spécifique et régulier entre les parties, avec ou sans l'intermédiation des acteurs publics ;

- l'identification et la mise en oeuvre d'un dispositif d'accompagnement des entreprises à la prise en compte des exigences de la conformité ;

- l'organisation de visites des acteurs du secteur financier sur des salons d'armement ;

- la création en cours d'un canal de communication privilégié avec le ministère des Affaires étrangères et la direction générale du Trésor afin d'identifier les difficultés soulevées par certains textes et proposer des solutions ;

- sous l'impulsion de la France, la création au sein de l'Agence européenne de défense (AED), d'un groupe d'expert ESG afin de sensibiliser et mobiliser les autres ministères de la défense européens sur ces sujets ;

- toujours sous l'impulsion de la France, le groupe de travail « Industrie de défense » créé en 2022 au sein du Conseil de l'Union européenne pourrait, à terme, en lien étroit avec la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace de la Commission européenne (DG DEFIS), proposer des initiatives européennes incitatives d'accès aux financements privés pour les industriels de la BITDE ;

- la mise en place d'une « médiatrice des banques » assurant le lien entre les entreprises qui se sont vu opposer un refus de financement et les établissements bancaires.

Dans le prolongement des recommandations formulées dans le cadre de leur rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2021, vos rapporteurs appellent à quantifier la réalité de la difficulté et à identifier i) les décisions qui sont prises pour des raisons économiques (parce que le projet apparaît économiquement trop risqué à la banque), ii) celles prises pour des raisons de conformité aux règles prudentielles (parce que la banque analyse, peut-être aussi parfois à raison, que certains projets peuvent porter un risque de sanction internationale, voire un risque pénal) et iii) celles prises dans une forme de sur-conformité, à rebours de la solidité économique du projet et de sa conformité au droit national et international.

Recommandation : afin de parvenir à un diagnostic partagé et objectif, prévoir un bilan à un an de l'activité de la médiatrice et des référents défense.

Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que la création d'un label intégrant des critères ESG adaptés au secteur de la défense et pouvant bénéficier à l'ensemble des industriels de la défense devrait être envisagée. Attribué par un organisme indépendant, ce label devrait constituer une garantie vis-à-vis des banques qui devraient s'engager à ne pas refuser les dossiers de financement présentés par les entreprises labellisées pour des motifs liés à l'application de critères ESG.

Recommandation : travailler à la création d'un label à destination des entreprises de défense, en partenariat avec les principaux groupes bancaires et/ou la Fédération bancaire française.

Enfin, plusieurs mesures concernant Bpifrance pourraient être envisagées.

Ainsi, la mise en place de référents défense au sein de chaque direction régionale de la banque publique destinés à faire le lien entre les entreprises de défense locales et les dispositifs adaptés à leur caractère stratégique, et à éclairer les collaborateurs Bpifrance lors de l'instruction de certains dossiers touchant à une entreprise de la BITD, pourrait s'avérer opportune. Ces référents défense pourraient être également en lien direct avec l'échelon régional de la nouvelle direction de l'industrie de défense de la DGA, sur lequel ils pourraient d'appuyer.

Dans le cadre de l' « économie de guerre », une augmentation des besoins en financement court-terme (soutien à la trésorerie) peut en outre être observée pour des sous-traitants auxquels il est demandé de se préparer à de potentielles augmentations de cadences, notamment par la constitution de stocks d'intrants industriels. Pour ces entreprises, le renforcement de trésorerie par la dette devient primordial. La mise en place d'un fonds de garantie de prêts distribués par les grands réseaux bancaires pourrait à cet égard être pertinente. Cet instrument pourrait être adossé à l'expertise du ministère des Armées, afin de valider notamment la crédibilité des perspectives de commande qui sous-tend les demandes de prêts.

Recommandations :

- envisager la mise en place de référents défense au sein de chaque direction régionale de Bpifrance afin de faire le lien entre les entreprises de défense locales et les dispositifs adaptés à leur caractère stratégique, et à éclairer les collaborateurs de la banque publique lors de l'instruction de certains dossiers touchant à une entreprise de la BITD ;

- envisager la mise en place par Bpifrance d'un fonds de garantie de prêts distribués par les grands réseaux bancaires.

2. Par les banques

Les alertes répétées ont permis, selon la Fédération bancaire française, de sensibiliser les banques sur ce sujet. Pour autant, les obstacles rencontrés étant peu documentés, ce sujet n'a fait l'objet d'aucune communication interne particulière au sein des groupes bancaires.

Recommandation : inciter les banques à organiser des campagnes de communication interne précisant les politiques d'investissement interne et rappelant, le cas échéant, que le secteur de la défense ne doit pas faire l'objet d'une exclusion a priori.

Les principales banques françaises ont cependant mis en place des « référents défense » en leur sein. Ce réseau est opérationnel depuis février 2023. Les entreprises n'ont pas accès directement au référent mais via la DGA, qui constitue un « filtre » : lorsque le dossier soulève une difficulté, des explications peuvent être demandées à l'établissement bancaire concerné.

Par ailleurs, certaines banques, à l'instar de BNP Paribas, ont mis en place une organisation spécifique à destination des entreprises de la défense comprenant un pôle d'expertise spécifique assurant le suivi des clients ayant des besoins « complexes » (grands contrats, pays d'exportation sensibles, etc.), une équipe dédiée au sein de la direction de la conformité, ou encore une procédure de contre-expertise sur les dossiers sensibles.

Enfin, il pourrait être envisagé d'établir un recueil des bonnes pratiques ayant vocation à être diffusé par la Fédération bancaire française ou la DGA à l'ensemble des établissements bancaires.

Recommandation : établir un recueil des bonnes pratiques mises en oeuvre par les banques ayant vocation à être diffusé par la Fédération bancaire française ou la DGA à l'ensemble des établissements bancaires.

3. Par les industriels

Dans leur rapport pour avis sur le projet de budget pour 2021, vos rapporteurs appelaient à ce que la BITD et, plus largement la communauté de défense, procède à un aggiornamento de sa culture de discrétion pour se tourner vers l'opinion publique.

Des efforts ont certes été entrepris dans ce sens par les industriels - à titre d'exemple, un séminaire « Banque & BITD », impliquant des acteurs bancaires et industriels, a été organisé par l'IHEDN le 11 mai 2023 pour faciliter la compréhension mutuelle des écosystèmes ainsi que les règles de compliance - pour autant, de l'aveu même de certains groupements, ceux-ci demeurent insuffisants. Il conviendrait par conséquent que les industriels fassent preuve de davantage de pédagogie et de transparence sur leurs activités auprès des banquiers et des investisseurs et communiquent plus et mieux sur la valorisation de leur secteur et leur contribution à la souveraineté nationale.

Par ailleurs, les procédures suivies par la Commission européenne pour aboutir aux réglementations en matière ESG découlent souvent de critères techniques proposés par des groupes d'experts supposément indépendants. Les propositions faites par ces groupes d'experts sont ensuite publiées sur le site de la Commission européenne et soumises à consultation publique. Les propositions de modifications sont, le cas échéant, intégrées dans le rapport final et une proposition de texte est remise à la Commission, laquelle établit sur cette base un projet d'acte délégué transmis au Parlement et au Conseil. Ce projet de texte est considéré comme adopté à l'issue d'une période de 4 mois si ni le Parlement ni le Conseil n'émettent d'objections.

L'adoption des actes délégués sous le régime du « silence vaut accord » reporte ainsi le débat et les enjeux dans les discussions des groupes d'experts. Il conviendrait par conséquent que les industriels français s'impliquent plus massivement dans les travaux des groupes sur lesquels s'appuie la Commission.

Recommandation : inciter les industriels français à s'impliquer davantage dans les travaux des groupes d'experts sur lesquels s'appuie la commission pour l'établissement d'actes délégués en matière ESG.

TROISIÈME PARTIE
RENSEIGNEMENT : UNE CROISSANCE NÉCESSAIRE POUR CONSERVER UNE AUTONOMIE DE DÉCISION

Le rapport annexé à la LPM consacre 5 milliards d'euros au domaine du renseignement en application de l'annonce présidentielle d'une augmentation de 60 % des crédits de renseignement au total, dont un doublement des budgets de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). C'est donc plus que la précédente LPM qui prévoyait 3,5 milliards d'euros.

A. LES CONSTATS RELATIFS AUX MOYENS BUDGÉTAIRES, AUX EFFECTIFS ET À LA TECHNOLOGIE

Trois constats s'agissant des moyens budgétaires de fonctionnement et d'investissement, puis des moyens en personnels et enfin des moyens technologiques :

- Concernant les dépenses de fonctionnement et d'investissement sur la période 2024-2030, la DGSE serait dotée de 4,6 milliards d'euros, la DRM de 600 millions d'euros et la DSRD de 233 millions d'euros, soit un total de 5,4 milliards d'euros, supérieur donc au montant du « patch » renseignement (cf. tableau ci-dessous).

Marches budgétaires prévues pour la LPM hors T2

Source : réponse du Minarm au questionnaire de la commission

- Les dépenses de personnels relèvent du programme 212 et ne suivent pas la même trajectoire de hausse. Ainsi, la cible d'effectifs supplémentaires pour la DGSE s'établit à 728 équivalents temps plein (ETP), ce qui porterait le service d'environ 6 000 postes aujourd'hui aux alentours de 7 000 en 2030, ce qui reste plus modeste que les effectifs de nos voisins britannique et même allemand. Avec une hausse des d'effectifs de la DRSD (+49) et de la DRM (+335), l'augmentation totale pour les trois services serait de 1 112 ETP. Mais selon les réponses apportées au questionnaire de la commission, seule une partie de ces effectifs, c'est-à-dire 778 ETP, relèverait de la fonction renseignement (cf. tableau ci-après) Cet objectif demeure donc moins ambitieux que celui de la LPM 2019-2025 qui prévoyait 1 500 postes supplémentaires. Il semble également inférieur aux ambitions exprimées par les services. Si l'on considère les besoins de recrutement de la DGSE et de la DRSD, qui passeraient de 1 600 actuellement à environ 1 750 en 2030, soit +150, et de la DRM, dont les effectifs actuels de 1 900 personnes pourraient augmenter de 500 emplois, la cible de recrutement s'établirait à plus de 1 400 emplois.

Répartition de l'augmentation d'effectifs pour le renseignement sur 2024-2030 et leur ventilation pour les trois services concernés DGSE, DRM et DRSD

Renseignement

En ETPE

GE CEMA dont DRM

407 dont 335

DGSE

728

(dont 342 spécifiquement dédiés au renseignement)

DRSD

49

(dont 29 spécifiquement dédiés au renseignement)

TOTAL GÉNÉRAL

778

Source : réponse du Minarm au questionnaire de la commission

- Des points de vigilance concernant les moyens technologiques :

· l'opération de déménagement de la DGSE, qui ne se limite pas à une opération immobilière mais combine une réforme profonde de ses services avec des objectifs d'intégration des méthodes de travail ;

· un montant de 1,1 milliard d'euros a d'ores et déjà été prévu ;

· le développement des programmes techniques mutualisés ;

· la diversification des sources techniques et humaines de renseignement.

Ces sujets appellent à la même vigilance pour la DRSD et la DRM, avec un enjeu tout particulier de renouvellement des moyens aériens de surveillance et de renseignement, mais aussi de télécommunications spatiales (avions légers de surveillance et de reconnaissance, système Archange, drones, projet de constellation de satellites en orbite basse en remplacement du 3ème satellite Syracuse IV).

B. LES RECOMMANDATIONS

Outre ces points de vigilance quant aux moyens budgétaires et technologiques, les rapporteurs émettent plusieurs constats et formulent une recommandation sur la politique des ressources humaines spécifique au renseignement :

- les métiers du renseignement ne devraient plus être en tension dans les 3 à 5 ans à venir, les filières les plus tendues devant rester le cyber et le nucléaire ;

- pour pallier la fuite des contractuels, la direction des ressources humaines des armées propose d'instituer des parcours croisés entre services du premier cercle tout en évitant la concurrence interservices de l'État.

- Il faut ériger en priorité du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) la mise en application le décret du 4 juillet 2022 lui confiant la coordination interministérielle des politiques de ressources humaines des services de renseignement. Sans empiéter sur les politiques de gestion des ressources humaines propres à chaque service, le CNRLT serait pleinement légitime pour élaborer une politique de ressources humaines interministérielle, en appui de la politique publique du renseignement, afin d'homogénéiser les rémunérations, de construire des parcours professionnels et de mutualiser les formations.

ANNEXE

Annexe à l'instruction n° 596/ARM/CAB/CM31 du 28 janvier 2019 relative à la politique d'achat du ministère des armées présentant les principaux outils de la commande publique permettant de procéder à une contractualisation performante

La présente liste, non exhaustive, vise à présenter certains outils de la commande publique dont l'utilisation adéquate par les services du ministère des armées peut être de nature à améliorer la performance en matière d'achat et à réduire les délais de contractualisation. Il convient néanmoins de rappeler que le choix de la procédure doit systématiquement être le résultat du dialogue entre acheteur et prescripteur et ne jamais être une décision automatique.

1. PRINCIPAUX CAS DE MARCHÉS EXCLUS.

Cas dans lesquels l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 modifiée, relative aux marchés publics n'est pas applicable (marchés soumis au livre 5 de la deuxième partie du code de la commande publique), qui nécessitent une démonstration dûment circonstanciée de la satisfaction des conditions de recours à ces exclusions :

- l'exclusion « recherche et développement » (article 14-3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2512-5 (2°) du code de la commande publique) : elle couvre les marchés de service dans lesquels le ministère n'est pas l'unique propriétaire ou financeur des travaux de recherche et développement (R&D) ;

- l'exclusion « renseignement » (article 16-7° de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2515-1 (7°) du code de la commande publique) : elle concerne les marchés publics de défense ou de sécurité destinés aux activités de renseignement. Cette exclusion se réfère aux activités de renseignement, et non aux agences et services de renseignement. Sont ainsi fondés à se prévaloir de l'exclusion « renseignement », non seulement les services spécialisés de renseignement [la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD)], mais également les autres services du ministère (notamment la DGA et les services de soutien pour le compte des armées) qui sont amenés à acquérir des équipements ayant vocation à être utilisés pour une activité de renseignement. Certaines unités des forces spéciales mènent à titre principal de telles activités de sorte que leurs acquisitions peuvent plus fréquemment bénéficier de cette exception. Si d'autres unités ont besoin de matériels spécifiques pour conduire de telles activités, ils peuvent également en bénéficier à cet effet ;

- l'exclusion « organisation internationale » (article 16-5° de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2515-1 (5°) du code de la commande publique) : elle concerne les marchés publics de défense ou de sécurité conclus en vertu de la procédure propre à une organisation internationale et dans le cadre des missions de celle-ci ou qui doivent être attribués conformément à cette procédure. Sont notamment visées par cette exclusion certaines des acquisitions réalisées par la NATO Support and Procurement Agency (NSPA) au profit des forces des États membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ;

- l'exclusion « article 346 TFUE » (article 16-3° et 16-4° de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2515-1 (3° et 4°) du code de la commande publique) : elle concerne « les marchés publics de défense ou de sécurité portant sur des armes, munitions ou matériel de guerre lorsque, au sens de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la protection des intérêts essentiels de sécurité de l'État l'exige » et « les marchés publics pour lesquels l'application de l'ordonnance obligerait à une divulgation d'informations contraire aux intérêts essentiels de sécurité de l'État » ;

L'utilisation de cette exclusion doit être justifiée, au cas par cas, en démontrant notamment qu'aucun autre moyen moins dérogatoire aux règles de la commande publique n'aurait permis d'atteindre le même résultat (il s'agit en particulier d'être en mesure de prouver que les dispositions de la directive n° 2009/81/CE du 13 juillet 2009 (Journal officiel de l'Union européenne du 20 août 2009, p. 76) en matière de sécurité d'approvisionnement ou la faculté d'exiger une habilitation de sécurité au stade des candidatures n'offrent pas de garanties suffisantes pour l'acquisition en cause).

- l'exclusion de quasi-régie (article 17 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2511-1 du code de la commande publique) : elle vise les situations dans lesquelles un marché public est attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services (sous réserve que la personne morale contrôlée réalise plus de 80 % de son activité dans le cadre des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d'autres personnes morales qu'il contrôle, et ne comporte pas de participation directe de capitaux privés). Sur ce fondement, les acheteurs du ministère des armées peuvent notamment s'adresser directement à l'Économat des armées pour la réalisation de prestations à leur profit.

2. PRINCIPAUX CAS DE MARCHÉS DE DÉFENSE OU DE SÉCURITÉ NÉGOCIÉS SANS PUBLICITÉ NI MISE EN CONCURRENCE.

L'urgence résultant d'une crise (article 23-3° du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 modifié, relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité/article R2322-3 du code de la commande publique) : les achats destinés à une urgence opérationnelle bénéficient déjà d'une procédure particulière, extrêmement souple et réactive, permettant de réaliser un achat de gré à gré et de matérialiser l'achat par un simple échange de lettres (le marché étant régularisé ultérieurement). Ce cas vise les situations dans lesquelles « les conditions de passation ne sont pas compatibles avec les délais minimaux d'urgence [...], parce qu'ils sont conclus pour faire face à une urgence résultant d'une crise en France ou à l'étranger, notamment avec des opérateurs ayant mis en place ou maintenu, en exécution d'un autre marché public, les capacités nécessaires pour faire face à une éventuelle augmentation des besoins. Une crise est un conflit armé ou une guerre ou toute situation dans laquelle ont été causés, ou bien sont imminents, des dommages dépassant clairement ceux de la vie courante et, qui compromettent substantiellement la vie et la santé de la population ou qui ont des effets substantiels sur la valeur des biens ou qui nécessitent des mesures concernant l'approvisionnement de la population en produits de première nécessité ». En complément, l'article 23-4° du décret du 25 mars 2016 précité et l'article R2322-4 du code de la commande publique traitent de l'urgence impérieuse.

Les raisons techniques (article 23-5° du décret du 25 mars 2016 précité/article R2322-5 du code de la commande publique) : il s'applique « lorsque le marché public ne peut être confié qu'à un opérateur économique déterminé, pour des raisons tenant à la protection de droits d'exclusivité, ou pour des raisons techniques comme, par exemple, des exigences spécifiques d'interopérabilité ou de sécurité qui doivent être satisfaites pour garantir le fonctionnement des forces armées ou de sécurité, ou la stricte impossibilité technique, pour un candidat autre que l'opérateur économique retenu, de réaliser les objectifs requis, ou la nécessité de recourir à un savoir-faire, un outillage ou des moyens spécifiques dont ne dispose qu'un seul opérateur, notamment en cas de modification ou de mise en conformité rétroactive d'un équipement particulièrement complexe ».

La recherche et développement lorsque l'exclusion prévue de l'article 14-3° de l'ordonnance du 23 juillet 2015 n'est pas applicable peut faire l'objet d'un marché négocié sans mise en concurrence (article 23-6° du décret du 25 mars 2016 précité/article R2322-6 du code de la commande publique) : il concerne l'hypothèse où le ministère est l'unique propriétaire et financeur des travaux de R&D.

3. PRISE EN COMPTE DE L'URGENCE DANS LES MARCHÉS PUBLICS.

L'article 30-I-1° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (article R2122-1 du code de la commande publique), permet aux acheteurs de conclure un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu'une urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour l'acheteur et n'étant pas de son fait ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. Pour les marchés de défense et de sécurité, les références réglementaires sont l'article 23-I-4° du décret n° 2016-361 précité et l'article R2322-4 du code de la commande publique.

En appel d'offres ouvert, lorsqu'une situation d'urgence, dûment justifiée, rend le délai minimal de réception des candidatures et des offres (trente-cinq jours à compter de la date de l'envoi de l'avis de marché) impossible à respecter, l'acheteur peut fixer un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la date d'envoi de l'avis de marché (article 67-III du décret n° 2016-360 précité/article R2161-3 du code de la commande publique).

En appel d'offres restreint, l'urgence permet de réduire le délai de réception des candidatures à un minimum de quinze jours (article 69 du décret n° 2016-360 précité/article R2161-6 du code de la commande publique) et le délai de réception des offres à un minimum de dix jours (article 69 (1°) du décret n° 2016-360 précité/article R2161-8 du code de la commande publique). Pour les marchés de défense et de sécurité, les références réglementaires sont les articles 62 et 63 du décret n° 2016-361 précité et les articles R2361-2 et R2361-6 du code de la commande publique).

En procédure (concurrentielle) avec négociation, l'urgence permet de réduire le délai de réception des candidatures à un minimum de quinze jours et le délai de réception des offres à un minimum de dix jours (article 72-I du décret n° 2016-360 précité/articles R2161-12 et R2161-15 du code de la commande publique). Pour les marchés de défense et de sécurité, les références réglementaires sont l'article 65 du décret n° 2016-361 précité et l'article R2361-8 du code de la commande publique, étant précisé que la date limite de réception des offres est, dans tous les cas, librement fixée par l'acheteur.

4. LE PARTENARIAT D'INNOVATION.

(Article 81 du décret n° 2016-361 précité/article L2172-3 du code de la commande publique).

L'avantage spécifique du partenariat d'innovation est d'inclure dans une même procédure et un contrat unique les phases de recherche et développement et d'acquisition, sans qu'il soit nécessaire de remettre en concurrence à l'issue de la phase de recherche. Ce mode de contractualisation complexe est également de nature à favoriser la participation des PME, dans la mesure où il offre des certitudes de rémunération aux entreprises se lançant dans une activité de R&D.

5. ACCORDS-CADRES.

Il est possible de contractualiser sous la forme d'un accord-cadre (article 78 du décret n° 2016-360 précité/article L2125-1 du code de la commande publique et article 70 du décret n° 2016-361 précité/article L2325-1 du code de la commande publique). Ce type de marché présente l'avantage de préserver les bienfaits de la mise en compétition (les accords-cadres pouvant être conclus avec plusieurs opérateurs économiques) tout en favorisant la réactivité des acquisitions (la remise en concurrence peut être réalisée dans des conditions simplifiées, sur la base d'un cahier des charges dont les grandes lignes ont été prédéfinies, et dans des délais restreints).

Les accords-cadres à bons de commande permettent également d'améliorer la réactivité des acquisitions, puisqu'ils permettent d'adresser directement au titulaire de l'accord-cadre des bons de commande au fur et à mesure de l'apparition des besoins.

6. RECOURS À DES CENTRALES D'ACHAT.

Une centrale d'achat est un acheteur qui a pour objet soit d'acquérir des fournitures ou services destinés à des acheteurs, soit de passer des marchés publics de travaux, de fournitures ou de services destinés à des acheteurs.

Les acheteurs qui recourent à une centrale d'achat, notamment l'union des groupements d'achat public (UGAP) ou l'Économat des armées, pour la réalisation de travaux ou l'acquisition de fournitures ou de services sont considérés comme ayant respecté leurs obligations de publicité et de mise en concurrence (article 26 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 précitée/article L2113-3 du code de la commande publique).

Le recours à une centrale d'achat, conformément aux stratégies d'achats, fait l'objet de retours d'expérience communiqués à la mission des achats par les armées, directions et services, afin d'en apprécier la performance.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 mai 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », dans la perspective de la loi de programmation militaire (MM. Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, rapporteurs).

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs du groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », dans la perspective de la loi de programmation militaire (LPM).

M. Pascal Allizard, rapporteur- Le groupe de travail, dont Yannick Vaugrenard et moi-même avons le plaisir de vous livrer les conclusions ce matin, était composé de nos collègues Vivette Lopez, Gisèle Jourda, Philippe Folliot, Jacques le Nay et André Gattolin, que nous remercions pour leur participation à nos travaux.

Dans le cadre de ce rapport, nous avons souhaité aborder trois thématiques : la place de l'innovation de défense dans la future loi de programmation militaire, les difficultés d'accès au financement privé rencontrées par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et les moyens qui devront être consacrés au renseignement dans le cadre de la programmation à venir.

Je me concentrerai sur les questions relatives à l'innovation et au financement de la BITD puis laisserai Yannick Vaugrenard vous présenter nos recommandations sur ce dernier sujet et aborder les questions relatives au renseignement.

L'innovation de défense revêt un caractère crucial pour nos forces, nos industries de défense et, par conséquent, notre autonomie stratégique en ce qu'elle permet, d'une part, de garantir la supériorité opérationnelle de nos armées et, d'autre part, de s'appuyer sur une BITD disposant de compétences et de savoir-faire de pointe et donc de maintenir la compétitivité de notre tissu industriel, comme l'a démontré l'audition précédente d'Éric Trappier.

Le conflit ukrainien a par ailleurs bien démontré l'omniprésence de l'innovation sur le champ de bataille et son rôle déterminant dans l'effort de guerre, tous les milieux et tous les champs de confrontation étant exploités et décuplés par les nouvelles technologies.

Si le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, que nous examinerons prochainement, est assez peu disert sur les questions d'innovation de défense, il présente cependant des motifs de satisfaction.

En particulier, l'effort financier qui a été consenti au cours des dernières années en faveur de l'innovation, qui s'est notamment traduit par une augmentation des crédits d'études amont de 730 millions d'euros à un milliard d'euros par an en cinq ans, devrait être poursuivi dans les années à venir.

Il est ainsi prévu que 10 milliards d'euros soient consacrés à l'innovation de défense sur la durée de la programmation. Au sein de cette enveloppe, 7,5 milliards d'euros sont inscrits dans le projet de LPM au titre des études amont. Cela représente une hausse significative, de plus de 10 %, par rapport à la période précédente.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons interrogé les armées et les industriels sur les priorités qui devront être financées sur ce budget. D'une manière générale, il ressort que les domaines prioritaires identifiés par l'Agence de l'innovation de défense (AID), retracés au sein du document de référence pour l'orientation de l'innovation de défense (Droid), correspondent bien aux attentes et aux besoins des forces.

Sans prétendre à l'exhaustivité, un effort devra ainsi être consenti dans les domaines tels que le combat collaboratif, l'hypervélocité, le quantique, les armes à énergie dirigée, les drones et la lutte anti drones, l'intelligence artificielle et les systèmes autonomes, et la furtivité.

Au-delà de la question des moyens, il nous semble important que l'innovation irrigue également les organisations et leur mode de fonctionnement. En particulier, il est ressorti des auditions que des efforts pourraient être entrepris pour faciliter ce que l'on appelle le « passage à l'échelle », c'est-à-dire la prise en compte de l'innovation en vue d'un déploiement auprès des utilisateurs finaux.

Plusieurs mesures nous semblent pouvoir être prises dans ce sens.

En premier lieu, tous nos interlocuteurs ont rappelé le rôle crucial des démonstrateurs technologiques. Un effort devrait ainsi être consenti en faveur du financement de démonstrateurs d'envergure dans le cadre de la prochaine programmation, ce qui nous semble aller dans le bon sens.

En deuxième lieu, le retour d'expérience ukrainien doit nous inviter à repenser l'équilibre entre sophistication et masse et interroger systémiquement la nécessité de disposer de deux versions d'un même matériel : une version de haute technologie permettant l'entrée en premier, et une version moins sophistiquée et moins coûteuse permettant, d'une part, de supporter une attrition plus importante et, d'autre part, de faciliter l'exportation du matériel en question. Cette nécessité doit en outre être prise en compte le plus en amont possible afin de limiter les coûts de développement ultérieurs.

Enfin, en troisième lieu, comme l'a rappelé le Délégué général pour l'armement (DGA) lors de son audition devant notre commission, des mesures de simplification des normes et procédures doivent être envisagées.

À titre d'exemple, et cela est d'ailleurs en lien avec ce que je viens d'évoquer, même si la tentation peut être grande de développer des équipements en mesure de répondre à toutes les éventualités, le mieux est parfois l'ennemi du bien, et toute « sur spécification » est source de délai et de coût supplémentaires.

Par ailleurs, notre attention a été appelée sur les difficultés liées à l'application du code de la commande publique. Des mécanismes existent ainsi pour faciliter l'acquisition de l'innovation, mais ils peuvent comporter des biais. C'est par exemple le cas des marchés soumis à l'exclusion « recherche et développement », qui doivent faire l'objet d'une mise en concurrence à l'issue de la phase de recherche et développement. Cela se traduit par une perte de temps et dissuade les entreprises de déposer un dossier lors du premier appel d'offres.

Certains dispositifs sont en outre trop peu utilisés, comme cela est le cas du « partenariat innovation ». Des mesures réglementaires devraient ainsi être prises afin de faciliter le recours à ces instruments.

J'en viens maintenant au deuxième sujet traité dans notre rapport qui concerne le financement des entreprises de la BITD.

Vous le savez, notre commission a été la première à alerter, dès l'été 2020, sur les difficultés croissantes rencontrées par les industriels de la défense et nous avons souhaité procéder à une actualisation de ces premiers travaux.

Cinq constats nous semblent pouvoir être établis.

Premièrement, s'il est difficile à quantifier, le phénomène de « frilosité » bancaire qui était dénoncé par l'ancien délégué général pour l'armement existe toujours, même si celui-ci s'est atténué au cours des derniers mois du fait de la guerre en Ukraine.

Deuxièmement, ces difficultés de financement concernent majoritairement les PME et les TPE, moins bien armées que les grands groupes, pour faire face aux exigences de certains établissements bancaires. Cette problématique touche en outre plus particulièrement les opérations d'exportation vers des pays jugés sensibles.

Troisièmement, si cette « frilosité » concernait à l'origine essentiellement les banques, elle s'est étendue depuis à d'autres secteurs : fonds d'investissement, assurances, voire bailleurs immobiliers et hébergeurs web. Ces situations semblent certes encore marginales mais elles révèlent une tendance de fond inquiétante.

Quatrièmement, ces difficultés d'accès aux financements privés résultent de la prise en compte par les acteurs concernés de deux risques : un risque juridique - et force est de constater que les investisseurs privés sont soumis à un nombre croissant de règles et normes contraignantes - et un risque d'image, « réputationnel », alimenté en partie par certaines organisations non-gouvernementales (ONG) et des lobbies. Cela nous a été très clairement expliqué lors de nos auditions : certaines ONG, qui n'en ont que le nom, sont financées par certains pays et ont pour seul objectif de nuire à la BITD européenne et française. À cet égard, les textes en matière environnementale, sociale et de gouvernance, tels que les projets de taxonomie ou d'écolabels, constituent de véritables épées de Damoclès pour la BITD.

Enfin, cinquième constat, pour faire face à cette situation, des mesures ont été prises par les pouvoirs publics, les banques et les industriels. Je citerai par exemple la mise en place d'une « médiatrice des banques » au sein de la Direction générale de l'armement (DGA) dont la mission consister à assurer le lien entre les entreprises qui se sont vu opposer un refus de financement et les établissements bancaires, la création d'un groupe d'expert sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) au sein de l'Agence européenne de défense (AED) afin de sensibiliser et mobiliser les autres ministères de la défense européens sur ces sujets ou encore la mise en place de « référents défense » au sein des principales banques françaises.

Pour autant, il nous semble que si ces mesures vont incontestablement dans le bon sens, elles doivent faire l'objet d'approfondissements.

Je laisse donc la parole à Yannick Vaugrenard pour vous présenter nos recommandations en la matière et évoquer la question des moyens qui devront être consacrés au renseignement dans le cadre de la future programmation.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Nos recommandations concernant l'accès au financement des entreprises de la défense s'articulent autour de quatre axes.

En premier lieu, il nous semble indispensable d'établir un diagnostic partagé et objectif des difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la BITD. Cela passe notamment par l'établissement d'un bilan, à un an, de l'activité de la médiatrice des banques mise en place au sein de la DGA et du réseau des référents bancaires.

En deuxième lieu, nous pensons que des mesures doivent être prises afin d'encourager les banques à s'engager davantage aux côtés des entreprises de la BITD. Nous proposons par exemple d'inciter les groupes bancaires à revoir leurs politiques internes d'investissement, dans lesquelles elles ont souvent recours à la terminologie d'« armes controversées », laquelle est dépourvue d'existence juridique, en privilégiant celle d'« armes interdites au titre des conventions internationales » afin de lever toute ambigüité. Il pourrait également être envisagé de publier la liste des vérifications menées par la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, qui recoupent pour partie celles menées par les banques dans le cadre de leurs contrôles de conformité, afin de leur permettre de s'appuyer sur cette première instruction réalisée et réduire ainsi la liste des pièces demandées aux entreprises. Dans le même objectif, un label à destination des entreprises de défense reprenant des critères ESG pourrait être créé en partenariat avec les principaux groupes bancaires ou la Fédération bancaire française.

En troisième lieu, nous estimons nécessaire que l'ensemble des parties adopte une attitude plus volontariste au niveau européen. En particulier, nous estimons indispensable de pousser la banque européenne d'investissement à revoir sa politique interne qui lui interdit actuellement de financer des investissements dans le secteur de la défense. Cette évolution constituerait un signal fort à l'égard des investisseurs privés. Nous appelons également à établir une cartographie précise des ONG et lobbies actifs en matière ESG et dont l'action peut avoir des conséquences sur notre industrie de défense. De même, nous appelons à une vigilance accrue sur les projets de textes européens dans ce domaine.

Enfin en quatrième lieu, nous pensons que l'accompagnement public des entreprises de la BITD doit être renforcé. Cela passe par un passage en revue des éventuelles « surtranspositions » normatives ou surinterprétations de la part des régulateurs. Cela peut aussi donner lieu à un accompagnement financier renforcé pour certaines opérations d'export considérées comme sensibles. Il pourrait également être envisagé de créer un livret d'épargne réglementé destiné au financement des entreprises de souveraineté.

Je vous renvoie à notre rapport pour une présentation exhaustive de nos recommandations.

J'en viens maintenant à la question des moyens qui devront être consacrés au renseignement. Je rappelle que les crédits alloués par la LPM s'élèvent à 5 milliards d'euros sur la période. C'est donc plus que la précédente LPM qui prévoyait 3,5 milliards d'euros. Le Président de la République avait annoncé lors du discours de Mont-de-Marsan sur la LPM une augmentation de 60 % des crédits de renseignement au total, dont un doublement des budgets de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Nous verrons que ces proportions d'augmentation se restreignent aux crédits de fonctionnement et d'investissement, mais pas aux crédits de personnel. Les effectifs ne vont donc pas doubler.

Il s'agit toutefois d'une progression importante qu'il faut analyser au regard de l'évolution de nos besoins face aux menaces extérieures mais aussi face à la capacité des services de renseignements d'autres pays, y compris alliés. Nos services, pour être performants doivent donc rester dans la course.

Aussi, je vous propose de structurer mon propos sur les trois points suivants : je commencerai par les moyens budgétaires de fonctionnement et d'investissement, puis les moyens en personnels et je terminerai par les moyens technologiques, ce qui fera le lien avec les questions de cyberdéfense que nos collègues Olivier Cadic et Mickaël Vallet suivent au titre du programme 129 qui finance le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) notamment.

Sur les moyens budgétaires, lorsque nous avons auditionné les trois services de renseignement dits du premier cercle qui dépendent du ministère des armées - la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) - les arbitrages relatifs à la répartition des 5 milliards d'euros de crédits n'étaient pas encore établis. L'audition du Ministre des armées a pu préciser quelques points en indiquant que, sur la période 2024-2030, la DGSE serait dotée de 4,6 milliards, la DRM de 600 millions d'euros et la DSRD de 233 millions d'euros. On observe d'ailleurs que l'addition de ces crédits atteint les 5,4 milliards d'euros. Il convient à ce sujet d'éclaircir la question des dépenses de personnel dans la trajectoire de la LPM.

En prenant pour exemple la dotation de la DGSE, les crédits de fonctionnement et d'investissement qui sont actuellement de 420 millions d'euros devraient atteindre près de 600 millions d'euros par an dès 2025. Il faut y ajouter les dépenses de personnels dont le montant pour 2023 est de 516 millions d'euros pour un effectif d'environ 5 800 équivalents temps plein travaillé (ETPT), lesquels sont comptabilisés dans le programme 212, et hors de ce que le ministre désigne comme le « patch » renseignement de 5 milliards d'euros.

Une clarification de la méthode de la prise en compte des dépenses de personnel a été demandée dans le questionnaire adressé au ministre. Comme les autres rapporteurs, nous attendons d'obtenir des réponses précises.

En premier lieu, sur la trajectoire des effectifs, la précédente LPM annonçait une augmentation de 1 500 postes supplémentaires sur la période. Pour la prochaine LPM, c'est beaucoup moins clair puisque le projet de loi ne s'engage ni sur la cible globale de 6 300 emplois, ni sur les domaines d'emplois dans lesquels ils seront répartis.

En second lieu, le ministre a formulée une cible de 728 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour la DGSE ce qui porterait ses effectifs d'environ 6 000 aujourd'hui aux alentours de 7 000 en 2030, ce qui reste plus modeste que les effectifs de nos voisins britannique et même allemand.

Enfin, si l'on prend en compte les augmentations d'effectifs de la DRSD, qui passeraient de 1 600 actuellement à environ 1 750 en 2030, soit + 150, et la DRM, dont les effectifs actuels de 1 900 personnes pourraient augmenter de 500 emplois, le total des augmentations d'effectifs s'établirait entre 1 300 et 1 400 emplois.

Au chapitre des moyens technologiques, il convient d'inclure également la réforme des services de la DGSE qui, pour ce qui peut être dit publiquement, va conserver le modèle d'intégration de la direction technique dans une nouvelle organisation non plus organisée en silos mais en centres de mission pour mieux mobiliser les ressources internes, mais aussi mieux mutualiser au profit de la communauté française du renseignement et de l'ANSSI en matière cyber. De même, le déménagement du boulevard Mortier vers le Fort Neuf de Vincennes à l'horizon 2030 pour la DGSE et la modernisation du siège de de la DRSD sont des projets qui visent un objectif d'efficacité opérationnelle plus qu'une simple opération immobilière.

Pour conclure, et à défaut d'une ventilation plus précise des crédits sur les programmes à effet majeur dans le domaine du renseignement, je propose de définir plusieurs points de vigilance pendant la réalisation de la LPM.

Il s'agit pour la DGSE, de suivre l'opération de déménagement, pour lequel un montant de 1,1 milliard d'euros a d'ores et déjà été prévu, ainsi que le développement des programmes techniques mutualisés et la diversification des sources techniques et humaines de renseignement. Ces sujets appellent à la même vigilance pour la DRSD et la DRM.

S'agissant des capacités de renseignement aérien et spatial, il faudra être attentif à la réduction de la cible d'avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) et à la suppression d'un satellite supplémentaire Syracuse IV qui pose la question des moyens alternatifs à mettre en oeuvre. Pour les ALSR, la DRM semble privilégier un recours plus fréquent à la location de ces matériels plutôt que leur acquisition. Cela pose la question de l'autonomie et de l'indépendance de nos moyens d'acquisition du renseignement. Par ailleurs, le système Archange d'avions de renseignement et de guerre électronique devant succéder aux Transall Gabriel retirés du service l'an dernier ne figure qu'à l'inventaire du parc pour 2030 !

Enfin, s'agissant des questions de ressources humaines et de fidélisation aucun des services n'a éludé les difficultés de recrutement aussi bien de personnels militaires, en raison des tensions dans le vivier des sous-officiers et officiers, que civils, le recours accru aux contractuels nécessitant une réflexion à la fois sur les rémunérations et leur fidélisation. En effet, les contractuels même qualifiés sont écartés des carrières longues puisque la transformation des contrats à durée déterminée (CDD) en contrats à durée indéterminée (CDI) reste exceptionnelle notamment à la DRM et la DRSD. La direction des ressources humaines (DRH) du ministère des armées estime toutefois que la tension sur les métiers du renseignement est en passe d'être réglée dans les 3 à 5 ans. Les métiers qui resteront en tension concerneront les filières du cyber et du nucléaire. Aussi, la DRH, en matière de renseignement, doit s'attacher à éviter la fuite des contractuels en instituant des parcours croisés entre services du premier cercle tout en évitant la concurrence interservices de l'État. On peut déplorer à cet égard le manque de transparence des services entre eux, et à l'égard de la DRH. Si une proposition devait être faite, ce serait de donner le temps au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) de mettre en application le décret du 4 juillet 2022 lui confiant la coordination interministérielle des politiques de ressources humaines de ces services. Sans empiéter sur les politiques de gestion des ressources humaines propres aux services de renseignement, avec la LPM à venir, le CNRLT serait pleinement légitime à dégager une politique de ressources humaines interministérielle, en appui de la politique publique du renseignement, en matière d'homogénéisation des rémunérations, de construction des parcours professionnels et de mutualisation des formations.

M. Cédric Perrin. - Je voudrais revenir sur les questions liées aux projets de taxonomies. Il faut en effet arrêter de croire que les conseils d'administration des banques décideraient spontanément, du jour au lendemain, d'arrêter de financer les entreprises de la défense. Il y a une pression exercée par certaines ONG qui, j'imagine, sont financées par des pays étrangers. Il me semble qu'il faut désormais mettre des noms sur ces organisations qui n'ont aucun intérêt à ce que notre BITD se développe. Le problème de financement touchait d'abord les PME puis les entreprises de taille intermédiaire (ETI), désormais même les grands groupes sont victimes de ces cabales contre la défense qui sont parfaitement orchestrées.

M. Christian Cambon, président. - C'est en effet un vrai sujet. Nous savons que des pays qui veulent nuire à nos industries se servent de certaines ONG. Même si la plupart d'entre elles sont évidemment respectables et font un travail essentiel, d'autres sont cependant instrumentalisées pour pousser ces projets de taxonomie dans un sens défavorable à notre BITD.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mardi 10 janvier 2023

- M. Bruno Giorgianni, directeur de cabinet de M. Eric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation ;

Mardi 17 janvier 2023

- MM. Fabien Menant, directeur des affaires publiques de Safran, Martin Sion, président de Safran Electronics & Defense, et Christophe Bruneau, directeur de la division des moteurs militaires de Safran Aircraft Engines ;

Mardi 24 janvier 2023

- M. Thierry Gaiffe, président de la commission défense du Comité Richelieu ;

Mardi 31 janvier 2023

- M. Eric Papin, directeur technique, et Mme Sylvia Skoric, directrice des affaires publiques, Naval Group ;

- M. Philippe Missoffe, délégué général, et Mme Apolline Chorand, déléguée aux affaires publiques, GICAN ;

Mercredi 8 février 2023

- M. Marc Darmon, président, Général de corps d'armée Jean-Marc Duquesne, délégué général, Mme Martine Poirmeur déléguée général adjointe à la défense, GICAT ;

Mardi 14 février 2023

- Général d'armée aérienne Laurent Rataud, sous-chef plans programmes, Colonel Hugues Pointfer, officier de cohérence d'armée, Colonel Richard Désumeur, chef de la cellule innovation, État-major de l'armée de l'air et de l'espace ;

Mercredi 15 février 2023

- MM. Guillaume Muesser, directeur défense et sécurité, et Jérôme Jean, directeur des affaires publiques, GIFAS ;

Mardi 28 février 2023

- MM. Yves Collombat, direction de l'engagement - Bbanque Commerciale en France, référent national pour la base industrielle et technologique de défense, et Laurent Bertonnaud, directeur des affaires publiques France, BNP Paribas ;

Mercredi 1er mars 2023

- MM. Emmanuel Michelin, directeur adjoint des affaires publiques, et Quentin Billard, responsable affaires publiques, groupe coopératif Banque Populaire / Caisse d'Épargne ;

Mardi 7 mars 2023

- Général de division Damien Tandeau de Marsac, sous-chef plan-Programme, Colonel Rémi Pellaboeuf, adjoint du bureau plans, Mme Éva Catrin, adjointe aux relations parlementaires, État-major de l'armée de terre ;

Mardi 14 mars 2023

- Général Cédric Gaudillière, chef de la division cohérence capacitaire, Colonel Marc Galan, division cohérence capacitaire, Capitaine de frégate Claude Barthélémy, division cohérence capacitaire, Colonel Emmanuel Durville, responsable des relations avec le Parlement, Mme Sixtine de Cenival, stagiaire, État-major des armées ;

Mardi 21 mars 2023

- Contre-amiral Éric Malbrunot, sous-chef plans programmes, et du capitaine de vaisseau David Desfougères, officier de cohérence d'armée, État-major de la marine ;

Mardi 11 avril 2023

- Général de corps d'armée Philippe Susnjara, Mme Valérie Porcherot, sous-directrice, Mme Claire Laget, direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ;

- M. Antoine Guérin, directeur de l'administration, direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;

- Général de corps d'armée Thibaut de Vanssay, directeur, Général de brigade Nicolas Chabut, sous-directeur stratégie et synthèse, Capitaine de corvette Caroline Ducret, chargée de mission auprès du directeur, direction des ressources humaines du ministère des armées ;

- Ingénieur général de l'armement Patrick Aufort, directeur de l'AID, Ingénieur général de l'armement Alexandre Lahousse, chef du service des affaires industrielles et de l'intelligence économique de la DGA ;

Jeudi 13 avril 2023

- Général de corps d'armée Jacques Langlade de Montgros, directeur, direction du renseignement militaire (DRM) ;

Contribution écrite de la Société générale


* 1 Cette enveloppe recouvre les études amont, le financement des opérateurs sous tutelle et les études opérationnelles et technico opérationnelles ainsi que les études prospectives et stratégiques.

* 2 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 3 Audition du 11 avril 2023.

* 4 Innovation de défense : dépasser l'effet de mode, rapport d'information de MM. Cédric PERRIN et Jean-Noël GUÉRINI, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 655 (2018-2019) - 10 juillet 2019.

* 5 Décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique.

* 6 Décret n° 2021-1634 du 13 décembre 2021 relatif aux achats innovants et portant diverses autres dispositions en matière de commande publique.

* 7 Article R. 2322-7 du code de la commande publique.

* 8 L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone, Rapport d'information de MM. Pascal ALLIZARD et Michel BOUTANT, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 605 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 9 Audition du 21 octobre 2020.

* 10 Table-ronde du 16 novembre 2022 réunissant des représentants de la Fédération bancaire française et de la direction générale du Trésor.

* 11 Audition du 30 novembre 2022.

* 12 HSBC Defence Equipment Sector Policy, Décembre 2022.

* 13 https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200515936.html.

* 14 Cour des comptes, Le soutien aux exportations de matériel militaire, rapport public thématique, janvier 2023.

* 15 Xerfi specific, Étude prospective et stratégique n° 2021-02, « Les fonds d'investissement et les entreprises de défense », mars 2022.

* 16 Sur un panel de 80 entreprises.

* 17 Airbus, BAE Systems, Boeing, Honeywell, Huntington Ingalls Industries, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Safran.

* 18 Babcock, China Shipbuilding Industry Co, Dassault Aviation, Elbit Systems, General Dynamics, KBR, L3Harris Technologies, Larsen & Toubro, Leidos Holdings, Leidos, Leonardo, Raytheon Technologies, Rolls-Royce et Thales.

* 19 Voir en ce sens l'article des Échos du 8 février 2023, Private equity : Weinberg Capital lance un fonds dans l'industrie de la défense.

* 20 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 21 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

* 22 Ce phénomène, qui ne concerne pas uniquement le secteur bancaire, a fait l'objet d'une critique sévère du Sénat (voir en ce sens le rapport de notre ancien collègue René Danesi : « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises », rapport d'information fait au nom de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises n° 614 (2017-2018) - 28 juin 2018).

* 23 IFRI, Centre des études de sécurité, « Don't bank on the bombs » L'industrie de défense face aux nouvelles normes européennes, Amélie FÉREY et Laure DE ROUCY-ROCHEGONDE, 22 septembre 2022.

* 24 - Les armes à sous-munitions telles que définies par la Convention d'Oslo de 2008 ;

- Les mines anti-personnel telles que définies par la Convention d'Ottawa de 1999 ;

- Les armes biologiques ou à toxines telles que définies par la convention de 1972 ;

- Les armes chimiques telles que définies par la convention de Paris de 1993 ;

- Les armes et programmes militaires nucléaires des États non dotés au titre du Traité de Non-Prolifération de 1970 ;

- Les munitions à uranium appauvri, telles qu'interdites par la loi Belge de 1999 ;

- Les équipements n'ayant « aucune autre utilisation pratique que celle d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », tels que définis par le règlement 1236/2005 du Conseil de l'Union Européenne.

* 25 Audition du 23 mars 2023.

* 26 L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone, rapport d'information de MM. Pascal Allizard et Michel Boutant, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 605 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 27 Mission Flash sur le financement de l'industrie de défense, Mme Françoise Ballet-Blu et M. Jean-Louis Thiériot, 17 février 2021.

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