EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 juin 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur le programme 146 « Équipement des forces », dans la perspective de la loi de programmation militaire (M. Cédric Perrin et Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteurs).

M. Christian Cambon, président. - Trois rapports d'information sont présentés ce matin dans la perspective de la loi de programmation militaire. Nous commençons par celui sur le programme 146 « équipement des forces ». La parole est aux rapporteurs, Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 prévoit une augmentation conséquente des budgets de la défense. L'agrégat consacré aux équipements augmentera de 56 %. Les crédits consacrés aux programmes à effet majeur (PEM) représenteront au total 100 milliards d'euros, soit une augmentation de 70 % par rapport à la LPM actuelle.

Compte tenu de l'inflation, et du coût accru des technologies, cet effort ne permet toutefois pas de répondre à l'ensemble des enjeux.

Le financement de l'effort militaire paraît confronté à un problème de synchronisation : en reportant des programmes, année après année, le bon séquencement a été perdu. Il faut donc aujourd'hui enclencher en même temps le renouvellement de la dissuasion nucléaire et du porte-avions, tout en modernisant et en accroissant les volumes dans le domaine conventionnel. Ce pari est difficilement tenable en l'état actuel des finances publiques, alors que le montant des intérêts de la dette publique dépassera, au cours de la période qui vient, le montant du budget de la mission défense.

Hélène Conway-Mouret va d'abord vous présenter le cadrage de cette LPM. Puis je reviendrai sur les incertitudes et les paris proposés dans ce texte qui laisse de nombreux enjeux capacitaires en suspens.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Cette LPM présente le défaut majeur de donner l'impression d'avoir été élaborée dans l'urgence, sans priorisation des enjeux stratégiques.

Pourquoi une telle précipitation, alors que la LPM actuelle courait encore jusqu'en 2025 ? Pourquoi se lancer dans cet exercice complexe et structurant pour les décennies à avenir, sans tirer tous les enseignements de la guerre en Ukraine, ou de la fin de l'opération Barkhane, et de la restructuration en cours des bases françaises en Afrique et des nouvelles missions qui leur seront assignées, et donc de l'incidence sur les besoins capacitaires tout autant qu'en ressources humaines ? C'est ce que ce texte ne fait pas.

Il n'est, en outre, plus question d' « Ambition 2030 », ni de vision « à hauteur d'homme et de femme » : l'élan de la LPM 2019-2025 semble s'être perdu.

Le projet modifie des curseurs entre programmes, sans socle conceptuel bien défini. Budgétairement, pour ce qui est des deux prochaines années, cette programmation ne fait pas mieux que la loi actuellement en vigueur. Elle fait même moins bien, si l'on considère l'impact de l'inflation.

Nous sommes donc perplexes tant sur la méthode que sur le calendrier du gouvernement.

Nos partenaires européens ont, eux aussi, du mal à saisir notre vision et nos objectifs. Cette LPM engage notre crédibilité diplomatique, alors que la France promeut une défense européenne et qu'elle porte toujours la notion d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne qui commence à être adoptée par nos partenaires.

Le projet que nous propose le gouvernement est assez paradoxal.

Il prolonge la LPM précédente et confirme notre modèle d'armée, sans inflexion majeure, à un moment où le continent européen connaît pourtant un tournant stratégique tel qu'il n'en a pas connu depuis la fin de la guerre froide. Le retour d'expérience de la guerre en Ukraine n'est pas complètement ignoré, mais il est marginal dans le texte. Il est par ailleurs notable que le mot « terrorisme » ne figure qu'une seule fois dans le rapport annexé, alors que ce phénomène demeure la menace majeure à laquelle la France est confrontée. Ces constats révèlent un manque de profondeur et de perspective.

En plus des auditions de la commission, nous avons réalisé, avec Cédric Perrin, une dizaine d'auditions et un déplacement. Nous avons questionné les industriels et les chercheurs. Il est apparu, à chaque fois, que la méthode d'élaboration de la nouvelle programmation capacitaire était source d'interrogations.

Les capacités se déduisent, normalement, d'une analyse approfondie de la menace. La définition d'objectifs capacitaires pour la prochaine décennie nécessite donc au préalable une solide analyse des enjeux. En découlent d'abord des scénarios d'engagement, puis des besoins opérationnels et enfin, une ambition capacitaire.

Je ne doute pas que ce travail ait été réalisé par les états-majors. Mais il est passé sous silence, tant dans la Revue nationale stratégique (RNS) que dans le rapport annexé à la LPM.

La RNS s'est concentrée sur les modalités d'action par fonctions stratégiques. Elle développe en particulier les principes d'autonomie stratégique, de souveraineté européenne ainsi que la nécessité d'être un allié exemplaire au sein de l'OTAN. Mais les finalités recherchées, c'est-à-dire les menaces à traiter, sont au second plan.

Toutes nos auditions montrent que la France est confrontée à trois problématiques principales :

- l'accroissement de l'instabilité en Afrique ;

- le retour de l'affrontement entre États puissances en Europe ;

- et le basculement géopolitique vers l'Indopacifique.

Pour analyser les conséquences de ce constat en termes capacitaires, il nous manque un cadrage global de type « Livre blanc », définissant précisément les contrats opérationnels des armées en fonction de différents scénarios et les besoins capacitaires qui en découlent.

Dans ce contexte, la LPM qui nous est proposée est une LPM de continuation plutôt que de transformation. Elle renouvelle un modèle complet d'armée, fondamentalement centré sur la dissuasion nucléaire et sur la fonction expéditionnaire. Depuis la fin de la guerre froide, en effet, nos forces armées sont formatées d'une part, pour protéger le territoire national et, d'autre part, pour être capable de se projeter rapidement à l'étranger dans des opérations en situation de supériorité aérienne.

Les équipements sont renouvelés sur un plan qualitatif. L'effort financier est réel. Il permettra le renouvellement de capacités essentielles dont les deux composantes de la dissuasion, l'ensemble des flottes de la marine, ou encore les capacités de combat de l'armée de terre. Mais la contrainte financière ne permet pas d'aller plus loin en traitant le problème de la masse.

Le projet de LPM s'accompagne d'un chantier de modernisation de l'économie de défense. Le slogan d' « économie de guerre » est en décalage avec la réalité de l'effort capacitaire. La démarche recouvre néanmoins un effort bienvenu de simplification et d'accélération des procédures d'acquisition et des processus de production.

Mais il s'agit en réalité moins d'entrer dans une économie de guerre que de sortir des routines du temps de paix, dans lesquelles les questions de délais sont parfois secondaires.

Deux points de blocage majeurs restent à traiter :

- Il s'agit, d'une part, de la question récurrente du financement de l'industrie de défense, dont nous avons souvent parlé ici en commission ;

- Il s'agit, d'autre part, de la problématique cruciale des compétences.

Ces deux volets nécessitent une mobilisation interministérielle et, au-delà, une prise de conscience sociétale. C'est le moins que l'on puisse faire pour justifier l'expression désormais communément admise d' « économie de guerre ».

Mon dernier point porte sur le renouvellement de la dissuasion nucléaire, qui constitue probablement le volet le plus solide de cette LPM. L'information du Parlement reste limitée sur ce sujet pourtant capital, qui constitue l'assurance-vie de la nation.

Dans la LPM précédente, l'effort au profit de la dissuasion était évalué à environ 25 milliards d'euros sur la période 2019-2023 soit 12,6 % du budget de la mission défense. Le projet de LPM 2024-2030 n'apporte aucune précision de cet ordre. Il semble néanmoins établi que la future LPM consacrera, elle aussi, 12 % à 13 % de son enveloppe à la dissuasion, soit près de 50 milliards d'euros, ce qui représenterait 7 milliards d'euros par an environ.

Il s'agit, concrètement :

- Pour la composante océanique, de préparer la prochaine génération de sous-marins SNLE 3G, à horizon 2035, et de poursuivre les évolutions du missile M51 ;

- Pour la composante aéroportée, de mettre en place les missiles ASMP-A rénovés et de préparer la génération suivante de missiles hypervéloces ASN4G.

- Enfin, la modernisation des transmissions nucléaires est le dernier volet de cette modernisation. Elle passe, par exemple, par un travail sur la cryptographie quantique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Toutes les armées technologiquement avancées sont confrontées au dilemme entre la technologie et la masse, du fait de l'augmentation du coût des programmes. D'après une étude de l'IFRI, la progression moyenne de ce coût est estimée entre 3 et 5 % au-dessus de l'inflation. Un ancien industriel américain résumait ainsi la situation : « si les méthodes du Pentagone et l'évolution des coûts ne changent pas, le budget du Pentagone autour de 2050 servira à acheter un seul avion tactique ».

Par ailleurs, un budget sous contrainte conduit à un biais en faveur de la modernisation de l'existant, au détriment de l'acquisition de capacités nouvelles destinées à prendre en compte les menaces émergentes.

Or, si la modernisation, en particulier de la dissuasion nucléaire, est évidemment vitale, elle ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance de la masse dans le domaine conventionnel. Les deux approches sont évidemment complémentaires, et nous l'avons mesuré dans un certain nombre de nos auditions.

Dans ce contexte, le projet de LPM comporte des incertitudes et quelques paris.

Des incertitudes, tout d'abord.

Les « patchs » d'efforts prioritaires sont des regroupements parfois contestables de crédits. De très gros objets masquent la place réelle des plus petits : par exemple, s'agissant des « drones et robots », quelle est la place de l'Eurodrone, dont le coût en phase de réalisation est estimé à 3 milliards d'euros ? Que restera-t-il réellement pour les munitions télé-opérées, les véhicules sous-marins autonomes ou encore les robots terrestres, et dans quels délais ? Je rappelle que la masse budgétaire consacrée aux drones dans cette LPM est de 5 milliards d'euros, mais nous ne savons absolument pas comment elle est ventilée.

Les effets d'optique sont importants : ainsi, les munitions téléopérées (MTO) dont le coût sera probablement marginal à l'échelle du budget, sont comptées deux fois : d'une part, au titre des « drones et robots » et, d'autre part, au titre des « munitions ». Cela donne l'impression que les MTO sont très présentes, mais en fait, chacun de ces patchs comporte des objets beaucoup plus significatifs.

Un socle de 1800 MTO avait été évoqué l'an dernier. Il ne figure pas dans la LPM. Les programmes Colibri et Larinae, qui avaient pourtant bien démarré, sont déjà en train de prendre du retard, pour ce qui est du passage à l'échelle. Or l'objectif initial était de mener rapidement ces appels d'offre.

S'agissant des petits drones de surveillance, il faudrait pouvoir labelliser un certains nombres d'appareils offrant les garanties nécessaires. Ceux-ci pourraient alors être acquis rapidement sur catalogue en fonction des besoins. Dans le domaine de la défense surface-air, la lutte anti-drones (LAD) est également l'objet de grandes incertitudes. La LPM prévoit l'équipement de 12 véhicules Serval avec des systèmes de LAD en 2030. C'est un horizon lointain. 15 systèmes Parade et 20 systèmes de LAD navale sont programmée. Mais il y a urgence compte tenu de la proximité de grands événements.

La guerre en Ukraine illustre l'importance des feux dans la profondeur. La LPM programme, à ce titre, l'acquisition de 13 lanceurs pour assurer le remplacement des LRU d'ici à 2030 (et 26 peut-être à l'horizon 2035). Nous sommes évidemment favorables à une solution souveraine, qui puisse être développée rapidement étant donné l'insuffisance du parc actuel. Je rappelle qu'il y avait 13 unités au départ. Un certain nombre a été donné à l'Ukraine. La LPM est très floue sur les spécifications et le calendrier d'acquisition de cette capacité.

Notre rapport signale d'autres points d'attention tels que les infrastructures, ou encore les autres opérations d'armement (AOA), nécessaires à la cohérence d'ensemble.

Outre les incertitudes, la LPM comporte aussi quelques paris.

Plusieurs programmes voient leurs cibles reportées à 2035. Mais qui saurait anticiper l'évolution du contexte stratégique à cet horizon ?

C'est le cas, notablement, pour le programme Scorpion même si l'Assemblée nationale a revu plusieurs cibles à la hausse : la baisse est désormais de 21 % pour le Griffon et le Jaguar ; elle est inchangée (30 %) pour le Serval. Le calendrier des livraisons du Jaguar, en compensation du don de véhicules AMX10-RC à l'Ukraine, est incertain. Quant à la cible des chars Leclerc rénovés, elle passe de 200 à 160. Je rappelle que la Russie a déjà perdu environ 2000 chars dans la guerre en Ukraine. Quelles sont les hypothèses d'emploi des 200 chars français, qui vont constituer une capacité marginale en Europe en l'absence de « club Leclerc » ? Par ailleurs, la LPM n'évoque pas la transition entre le char Leclerc et le programme franco-allemand MGCS, qui peine lui-aussi à démarrer.

Le programme Rafale est lui aussi en recul, à 137. Or 225 appareils seraient probablement nécessaires pour permettre à l'armée de l'air d'assurer sereinement ses multiples missions.

Dans le domaine aérien également, le recul de la cible des A400M (de 50 à 35) implique un pari à l'export puisque cette cible suppose 11 livraisons à l'étranger.

La marine n'est pas épargnée : La LPM n'assure pas le remplacement des Rafale marine alors qu'une partie des appareils seront immobilisés pour des rétrofits.

Si la cible de 15 frégates de premier rang est inchangée, deux frégates de défense et d'intervention (FDI) sont décalées, également dans l'espoir d'un export. C'est un risque sur le financement de la LPM. Si l'export espéré n'a pas lieu, les frégates devront être rachetées sur l'enveloppe de la programmation.

Je mentionnerai aussi quelques programmes oubliés par LPM : c'est le cas du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), qui doit succéder au véhicule blindé léger (VBL), ou encore de l'engin du génie de combat (EGC). Le remplacement des poids lourds de l'armée de terre n'est pas non plus évoqué alors que la question de la logistique est fondamentale. C'est aussi une question de cohérence.

En conclusion, nous avons souvent entendu, lors de nos auditions, que « le retour d'expérience de la guerre en Ukraine n'est qu'un élément de la réflexion parmi d'autres ». C'est une évidence. Nous l'avons souligné dans le rapport que nous avons présenté avec Jean-Marc Todeschini il y a quelques mois. Mais cet argument ne doit pas servir à minimiser les enjeux stratégiques et capacitaires du contexte géopolitique actuel. Alors que la France renouvelle et modernise ses capacités, sans modifier fondamentalement ses formats, certains de nos partenaires européens ont engagé un effort de réarmement conventionnel beaucoup plus conséquent, avec l'aide de fournisseurs américains ou de pays particulièrement réactifs et compétitifs tels que la Corée du sud. Le risque est d'aboutir, dans ce contexte, à une certaine marginalisation diplomatique et économique de notre pays. Sur un an, la France se place au huitième rang des pays donateurs d'aide militaire à l'Ukraine, après les Pays-Bas, le Canada et l'Italie. Qu'il s'agisse du canon CAESAR, du LRU, ou des systèmes de défense sol-air, notre aide trouve vite ses limites dans la faiblesse de nos propres stocks.

Or la Méditerranée ou l'Indopacifique, dont la France est riveraine, pourraient revenir rapidement au-devant de la scène internationale, sans que la situation en Ukraine et à l'est de l'Europe ne soit pour autant stabilisée. Serons-nous alors prêt ?

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce rapport qui constitue un éclairage très utile dans le contexte de l'examen de la LPM.

M. Rachid Temal. - Je salue le travail des rapporteurs. La modernisation de la dissuasion nucléaire, qui est la clef de voûte de notre défense, vous paraît-elle suffisamment financée ? Quel est l'impact réel des décalages subis par certains programmes sur nos capacités de défense ?

M. François Patriat. - Les rapporteurs estiment que cette LPM n'est pas une loi de transformation. Or c'est une loi sans précédent, qui fait suite à une autre loi sans précédent. Je souhaitais marquer mon désaccord sur ce point.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Nous avons, historiquement, peu d'information sur la dissuasion, en raison de la sensibilité du sujet. Mais il est évident que la dissuasion reste la clef de voûte de notre défense. J'ai récemment déclaré qu'elle ne devait pas devenir une nouvelle « ligne Maginot », eu égard au fait que le conventionnel devait aussi être mis en avant. Je pense, à titre personnel, que ce serait une erreur de considérer que le territoire français ne sera jamais attaqué. Négliger le domaine conventionnel ne risque-t-il pas d'abaisser le seuil nucléaire ? C'est un sujet essentiel au coeur de nos réflexions.

Le ministre des armées invoque la notion de cohérence : s'il est utile d'accroître les volumes de matériels, encore faut-il que ces matériels soient convenablement entretenus. C'est un fait. Mais ce raisonnement devrait conduire à une augmentation des crédits du programme 178, qui ne se vérifie pas.

Le dilemme entre la technologie et la masse demeure. C'est un débat philosophique qu'il faut avoir.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour revenir sur la dissuasion nucléaire, l'effort est bien là. Les seuls éléments dont nous disposons concrètement sont ceux que j'ai évoqués. Cette LPM présente, de façon générale, des blocs financiers sans préciser les priorités ni le cadencement chronologique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - La LPM 2018-2025 se terminait par une bosse budgétaire, dont une partie devait être consacrée à la modernisation de la dissuasion. Or, la guerre en Ukraine a généré une inflation importante qui a réduit les moyens réels. Un effort important devra donc encore être réalisé sur la durée de la prochaine LPM. Le budget de la défense progresse de manière considérable. Mais tout le défi de cette LPM est d'expliquer qu'avec une augmentation de 40 % du budget, nous avons une baisse de 30 % de certaines cibles capacitaires.

Compte tenu du contexte géopolitique, cette réduction des cibles est problématique. Nous avons bien conscience que, depuis 30 ans, des investissements ont été reportés. Ces reports risquent d'avoir un effet d'éviction sur les petits programmes.

M. François Patriat. - En audition, le chef d'état-major des armées a jugé le texte équilibré. Je suis étonné d'entendre le contraire aujourd'hui.

M. Olivier Cadic. - La situation actuelle est le résultat de trente ans de diminution du budget de la défense. Il faudrait insister aussi sur la direction que nous prenons : où voulons-nous aller ? Notre pays doit faire des choix. Il est important de faire des projections pour l'avenir.

M. Bruno Sido. - J'approuve les conclusions des rapporteurs. Contrairement aux parlementaires des États-Unis, nous disposons d'une information très parcellaire. Le secret de la défense plane en permanence sur nos débats.

Les évolutions des technologies entraînent des changements majeurs. La discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins pourrait, par exemple, être remise en cause. La défense anti-missile progresse. L'aviation est contestée par les défenses anti-aériennes. Nous manquons d'information sur ces questions.

M. Christian Cambon, président. - Nous déposerons des amendements à la LPM pour renforcer le contrôle parlementaire. Personne n'est capable de dire quel sera l'état du monde en 2030. La LPM prendra corps, chaque année, en loi de finances. C'est alors que nous devrons veiller à sa mise en oeuvre, dans un monde qui évolue très rapidement.

M. Pierre Laurent. - Les crédits de dissuasion nucléaire sont peu documentés. Le Ministre des armées nous dit qu'ils correspondront à 13 % de la LPM, soit 54 milliards d'euros, ce qui correspond à en moyenne 7,7 milliards d'euros par an, alors que nous sommes à 5,6 milliards d'euros aujourd'hui. Ce saut important mérite un débat politique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - La LPM actuelle consacre en effet, annuellement, 5,6 milliards d'euros de crédits à la dissuasion nucléaire, dont 4,6 milliards d'euros au titre du programme 146. Ce sont des chiffres sur lesquels nous sommes peu renseignés mais il nous a été dit que cette enveloppe continuerait à être de l'ordre de 13 % de l'effort total dans la prochaine LPM.

M. Jean-Marc Todeschini. - Je remercie les rapporteurs. Comme l'a indiqué le Président Christian Cambon, nous sommes dans une loi de programmation, qui est, par nature, une loi d'intention. Les analyses passées ont amené tous les gouvernements à réduire les formats. Il s'agit aujourd'hui de rehausser l'effort pour se mettre à niveau de la menace, se projeter vers l'avenir.

Les chefs d'état-major ne peuvent pas tout dire. Nous ne sommes pas dans un régime où les pouvoirs s'équilibrent comme aux États-Unis. Nous sommes dans un régime devenu présidentiel, où le secret de la défense prédomine.

Comment avez-vous travaillé, pour élaborer ce rapport, alors que nous ne disposons pas d'un bilan précis de l'exécution de la LPM actuelle ?

M. Christian Cambon, président. - Le Parlement doit pouvoir continuer à jouer son rôle. Or un certain nombre de documents, auparavant accessibles, sont maintenant classifiés, ce qui soulève de réelles difficultés.

M. Pascal Allizard. - Le travail des rapporteurs apporte un éclairage utile sur ce texte paradoxal. Nous n'avons pas eu de Livre blanc mais une revue nationale stratégique a minima. Ce document ne nous permet pas de comprendre les arbitrages stratégiques du Gouvernement.

Nous avons récemment reçu un courrier du Ministre des armées qui nous explique que le besoin sera financé par des non-dépenses ! Ce genre de réponse ne concourt par à la confiance. C'est d'autant plus regrettable que l'effort budgétaire est réel.

Nous avons un travail à mener sur la question de la protection, voire de la classification des informations car la doctrine de l'administration varie.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons adressé un questionnaire au ministère des armées dans la perspective de la LPM. Certaines réponses sont en effet protégées. C'est un point sur lequel nous devons avancer.

M. Rachid Temal. - Sur le contrôle parlementaire, je rappelle qu'il y a eu, pendant la Première guerre mondiale, un contrôle parlementaire des commandes d'armes en comité secret. Il faut changer de dimension à ce sujet. Je serais favorable à ce que nous déposions collectivement un amendement pour avancer.

M. Christian Cambon, président. - Ce contrôle s'est alors mis en place sous un régime constitutionnel bien différent.

M. Olivier Cigolotti. - Nous avons besoin, en tant que parlementaires, d'avoir des indicateurs en matière de disponibilité technique et de disponibilité technique opérationnelle (DTO). La classification de ces informations serait motivée par la nécessité de la tenir à distance de nos compétiteurs. Sur la DTO, je ne vois pas ce qui justifie cette classification.

M. Christian Cambon, président. - Nous interrogerons le ministre à ce sujet. Je rappelle qu'en tant que parlementaires nous disposons de certaines prérogatives, notamment la possibilité de procéder à des contrôles sur pièces et sur place.

M. Jean-Pierre Grand. - La divulgation d'informations, tout comme la tenue de comités secrets, peuvent soulever certaines difficultés.

M. Mickaël Vallet. - Ne faudrait-il pas envisager la création d'un comité ad hoc en lui assignant un champ d'action précis ?

M. Christian Cambon, président. - Je ne suis pas très favorable, d'une manière générale, à ce genre de comité. Je me bats pour que nous puissions, tous, disposer, autant que possible, des informations dont nous avons besoin. Sur cette LPM, si une part de flou devait persister, alors nous pourrions déclencher un certain nombre de contrôles.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - L'opportunité nous est donnée, avec cette LPM, d'améliorer le contrôle parlementaire. Les points d'étape doivent obliger le Gouvernement à revenir devant le Parlement, contrairement à ce qui s'est passé en 2021.

M. Christian Cambon, président. - Le Sénat pourra améliorer le texte de la LPM à cet égard.

M. Rachid Temal. - J'entends vos remarques mais les clauses de revoyure ne me paraissent pas suffisantes pour assurer un contrôle parlementaire adéquat.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle que nous avons refusé de participer aux groupes de travail constitués par le Gouvernement, afin que le Parlement puisse jouer son rôle. Cette LPM a été l'occasion d'un travail approfondi de chacun de nos rapporteurs.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous nous félicitons tous de l'effort budgétaire programmé. Mais, derrière les chiffres annoncés par le Président de la République à Mont-de-Marsan, le texte de la LPM est parcellaire. Alors même que ce texte a été adopté à l'Assemblée nationale, nous continuons à chercher des réponses à des questions que le projet de loi initial aurait dû éclaircir. Cette LPM a été élaborée de façon trop précipitée, à partir d'une Revue nationale stratégique insuffisamment prospective. Il en résulte une reconduction du modèle d'armée que nous connaissons, alors qu'il aurait fallu fixer des priorités pour les vingt prochaines années. Le débat s'est malheureusement concentré sur des éléments budgétaires, alors que la priorité aurait dû être de se projeter vers l'avenir.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

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