B. L'EXEMPLE NÉERLANDAIS : LE CONTRÔLE DE LA QUALITÉ DES ÉTUDES D'IMPACT

Les Pays-Bas sont souvent présentés comme les pionniers de la simplification du droit en Europe. L'objectif d'une « dérégulation » a progressivement été remplacé au début des années 2000 par celui d'une meilleure réglementation (« better regulation ») afin de réduire les coûts induits, comme l'avait exposé la délégation aux entreprises du Sénat dans son rapport de 2017 rendant compte d'une précédente mission198(*).

Trois enseignements principaux avaient été tirés de l'expérience hollandaise en matière de simplification par le Conseil d'État en 2016199(*) :

1. L'existence d'un consensus social et politique sur l'objectif du processus de simplification qui est de réduire les coûts et les délais d'adaptation des entreprises induits par les nouvelles normes afin de favoriser l'emploi et la croissance dans le cadre d'une économie de marché en compétition sur le marché mondial.

2. Un programme chiffré de simplification législative, sur lequel la coalition parlementaire au pouvoir s'engage en début de législature et dont le sérieux et l'exécution sont régulièrement débattus dans les médias. Ceci crée une émulation vertueuse entre les ministres qui doivent se justifier si leurs projets créent de la complexité administrative et réglementaire.

3. Une méthode pour mesurer de façon homogène et objective les coûts induits par l'adoption de toute nouvelle norme pour les entreprises. L'évaluation faite par l'administration est contrôlée par une autorité indépendante qui jouit d'une réelle autorité morale, le comité consultatif pour l'évaluation de la charge réglementaire (ATR).

L'objectif de meilleure réglementation a été réaffirmé dans par le gouvernement Rutte IV de janvier 2022, qui accorde la priorité au soutien du développement et de l'innovation des PME, s'engage pour ce faire à déployer une nouvelle approche mesurable de la charge réglementaire, en systématisant le recours aux « tests PME » (mkb-toets) pour vérifier, dans le cadre des procédures législatives, l'applicabilité des règles pour les PME.

À l'été 2022, la ministre de l'Économie, Mme Micky Adriaansens, a présenté son nouveau programme pluriannuel de réduction de la pression réglementaire sur les entreprises et entrepreneurs, conformément à un engagement pris devant la Chambre basse en février 2022. Ce programme - reposant sur une approche plus qualitative et sectorielle pour identifier plus facilement les difficultés et élaborer des programmes sectoriels de réduction - répond également à de nombreuses sollicitations et motions déposées par certains parlementaires, dont celle du député Van Haga du 13 avril 2022200(*) qui invitait le gouvernement à déployer une approche mesurable de la charge réglementaire assortie d'objectifs de réduction pour 5 secteurs activités conformément à la proposition de l'association néerlandaise des PME (MKB-NL), préconisant notamment le recours aux « PME-types » (MKB-Indicatorbredijven) comme instrument d'analyse.

a) Un « test PME » systématique

Vos rapporteurs se sont donc rendus à la Haye le 17 mars 2023 afin de rencontrer Mme Ramona van den Bosch, attachée pour les PME, entrepreneurs, financements, pression normative et délais de paiements au VNO-NCW, organisation du patronat néerlandais, puis avec M. Rudy van Zijp, directeur de l'ATR et enfin avec M. Marco Commandeur, Conseiller senior du département pour l'entrepreneuriat du Ministère de l'économie et du climat (EZK). Ce déplacement s'est effectué le lendemain d'élections provinciales et donc au Sénat néerlandais, qui ont vu le succès inattendu du BBB (BoerBurgerBeweging, mouvement agriculteur-citoyen), un nouveau parti créé en 2019 en réaction aux réglementations européennes sur l'azote, jugées excessivement contraignantes et pour contester les plans de réduction des émissions d'azote du gouvernement néerlandais qui comprennent une réduction du cheptel et envisagent des expropriations à proximité de zones naturelles protégées.

Le « test-PME », dispositif déployé en mai 2019, permet de garantir pour les nouvelles lois et réglementations (dont des charges réglementaires substantielles pour les PME sont escomptées), que les petites entreprises sont impliquées à un stade précoce dans les travaux législatifs et réglementaires. Dans la pratique, ce « test PME » permet une discussion avec des entrepreneurs de PME, pour s'assurer que les nouvelles lois et réglementations sont réalisables et praticables / applicables pour les PME et qu'elles impliquent la charge réglementaire la plus faible possible.

Le « test-PME » peut aussi s'appliquer aux réglementations existantes, grâce au « livre noir de la pression réglementaire » (zwartboek Regeldruk), créé et présenté en 2021 par l'association des PME. L'objectif est de réaliser un contrôle un an après l'entrée en vigueur de règles, pour procéder à des ajustements rapides de la mise en oeuvre ou de la supervision sur la base des plaintes des entrepreneurs.

Ce test utilise des « PME-types » (MKB-indicatorbedrijven), proposées par l'association professionnelle des PME, sorte de portrait-robot de la PME type par 6 secteurs d'activité201(*), construit à partir 5 entreprises réelles par secteur. Pour cette « PME-type », toutes les obligations applicables sont identifiées, les goulets d'étranglement recensés et le coût annuel total du respect des obligations évalué. Cela permet d'obtenir une image qualitative et quantitative complète de la charge réglementaire à laquelle les PME peuvent être confrontées dans un secteur donné. Sur cette base, des programmes de réduction sont ensuite élaborés pour chaque secteur. Cette approche théorique est complétée par une consultation concrète d'un panel de 5 à 10 chefs d'entreprises par secteur dix à vingt fois par an.

L'évaluation du caractère opérationnel et le coût permettra d'identifier les obligations, par secteur, qui sont les plus « urgentes » à réduire, permettant ainsi l'élaboration de programmes de réduction de la charge réglementaire en partenariat avec les associations professionnelles, les régulateurs et les administrations.

b) Un tableau de bord de la charge normative

La « mesure » de la charge réglementaire s'effectuera par la création d'un « tableau de bord sur la charge réglementaire » conçu en concertation avec le MKB-NL (association des PME) et l'ONL (association des entrepreneurs/indépendants). Il permettra de suivre les progrès de la politique du gouvernement sur l'amélioration de la réglementation et des services pour les entrepreneurs. Il devra suivre l'évolution de la charge réglementaire totale des nouvelles lois et réglementations et montrera les effets réels des mesures de réduction prises. A cet effet, il interroge les entrepreneurs, avant et après l'adoption d'une mesure, sur le temps ou les coûts qu'ils consacrent aux tâches administratives liées à cette mesure et sur l'évaluation qu'ils en font. « L'allègement de la charge ne se limite pas à l'importance du coût financier. Le ressenti, l'irritation et l'agacement sont également à prendre en considération. Cependant, identifier la source de l'irritation n'est pas toujours aisée pour l'administration » a ainsi estimé M. Mario Commandeur.

Par ailleurs, un « livre noir de la pression réglementaire » élaboré par l'association des PME en 2021 a été présenté à la commission de l'économie du Parlement néerlandais. Ce recueil de goulets d'étranglement rencontrés par les entrepreneurs dans les réglementations existantes de six secteurs202(*) relatifs à quatre thématiques203(*). Sur la base de ce recensement, les autorités ont recensé 84 goulets d'étranglement. La plupart des goulets d'étranglement (59) ont été traités ou résolus, les 25 résiduels étant considérés comme peu clairs ou incorrects, ou, si identifiés comme tels, ne peuvent ou ne veulent pas être traités pour diverses raisons.

À la suite de cette publication, le ministère de l'Économie doit commander une analyse annuelle de la pression réglementaire qui collectera les signalements et avis des entreprises sur les difficultés suscitées par le respect des réglementations, en étroite collaboration avec la MKB-NL et l'ONL.

Les Pays-Bas utilisent l'approche « life events » qui s'inspire de la méthodologie du « parcours client » et des moments clés de la vie de l'entreprise, pour réduire sensiblement la charge réglementaire perçue autour des changements majeurs dans le cycle de vie d'une entreprise, tels que l'embauche de personnel, les débuts à l'export ou en cas de faillite. Les deux premiers chantiers de cette approche concrète de la vie de l'entreprise sont « obtenir un financement » et « demander la reconnaissance des qualifications professionnelles ».

c) Une autorité indépendante donne son avis sur toutes les normes qui ont un impact sur les entreprises.

L'l'Autorité consultative de contrôle de la pression normative (Adviescollege toetsing regeldruck, ACTAL) a été remplacée depuis le 1er juin 2017 par l'ATR, comité mentionné dans les précédents développements, avec un mandat élargi. Elle comprend un collège de trois personnes qui sont d'anciens responsables des principales formations politiques, après appel public à candidature. Sans se prononcer sur l'opportunité des mesures, ses avis sont consultatifs mais ses recommandations sont reprises à hauteur de 60 à 70 %. Lorsqu'elle rejette une norme204(*), une nouvelle version lui est proposée et elle rend un nouvel avis. Elle utilise le modèle des coûts standards.

L'ATR peut également se prononcer sur des initiatives parlementaires et a rendu 4 avis en 2022 sur des propositions de lois. Ses membres sont auditionnés deux fois l'an par les commissions parlementaires. Elle demande au gouvernement néerlandais d'élargir son mandat à la règlementation européenne à compter du 1er janvier 2024.

Une enquête récente commandée par l'ATR a montré que 89 % de ses avis font l'objet d'une réponse dans l'exposé des motifs des propositions de règlement : dans 66 % des cas, les avis sont adoptés ou conduisent à des modifications, dans 23 % des cas, les avis ne sont pas adoptés mais sont bien argumentés. Dans environ 10 % des cas, l'avis de l'ATR n'est pas développé.

La ministre de l'économie et du climat s'est engagée devant la chambre basse en mars 2022 à pérenniser définitivement l'ATR.

Au total, la charge règlementaire pesant sur les entreprises a été réduite de 2,5 milliards d'euros entre 2012 et 2017.

Outre l'existence d'une autorité indépendante, la clé du succès néerlandais est le dialogue constant avec les entreprises.


* 198 Simplifier efficacement pour libérer les entreprises, Rapport d'information de Mme Élisabeth LAMURE et M. Olivier CADIC, fait au nom de la délégation aux entreprises n° 433 (2016-2017) du 20 février 2017.

* 199 Étude annuelle « Simplification et qualité du droit », 25 septembre 2016.

* 200 https://zoek.officielebekendmakingen.nl/kst-29515-468.pdf

* 201 Le secteur de la coiffure, de l'hôtellerie-restauration, de la métallurgique, de la production de denrées alimentaires, de la construction et de l'entretien, de la vente de vêtements.

* 202 Construction, commerce de détail, aide à la jeunesse, transport, garde d'enfants et industrie chimique.

* 203 Travail, environnement, protection de la vie privée et fiscalité.

* 204 Nationale, dès lors qu'elle a un impact significatif sur les entreprises.

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