D. LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

Auditionnée le 2 mars 2023 par la délégation dans le cadre de la table ronde sur la santé sexuelle et reproductive au travail, Brigitte Letombe, gynécologue, membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (Gemvi), s'est ainsi exprimé : « on parle aujourd'hui plus facilement d'endométriose, de règles ou d'infertilité, mais le dernier des tabous féminins, c'est la ménopause. Il faut bien avouer que celle-ci, tout à fait physiologique, qui survient vers 51 ans, s'avère être une inégalité majeure entre les femmes et les hommes ».

 
 
 

femmes entrent en ménopause chaque année en France

de femmes concernées

des femmes de 55  ans ou plus

Aujourd'hui, 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total en France, dont 100 % des femmes de 55 ans ou plus. Alors que plus de la moitié de la population française sera donc concernée à un moment de sa vie par cette étape physiologique naturelle, la ménopause reste un sujet largement absent des politiques de santé publique, et notamment des politiques de santé au travail, quand bien même la majorité des femmes ménopausées ou souffrant de symptômes péri-ménopausiques exercent une activité professionnelle. En outre, compte tenu de l'espérance de vie actuelle des femmes françaises, on peut estimer qu'une femme vivra en moyenne un tiers de sa vie en période ménopausique.

1. Une symptomatologie ménopausique qui touche essentiellement les femmes en âge de travailler

La ménopause correspond non seulement à un arrêt de la fertilité mais aussi à un arrêt total de la sécrétion des hormones féminines que sont l'estradiol et la progestérone par les ovaires. C'est cette carence hormonale qui peut, dès la péri-ménopause, et donc avant même l'arrêt définitif des règles, avoir des répercussions.

a) Des symptômes nombreux et insuffisamment pris en charge

La carence hormonale provoquée par la ménopause, voire la péri-ménopause, est responsable de symptômes climatériques très variés, dont on connaît essentiellement le signe majeur que sont les bouffées de chaleur. Toutefois, ainsi que le rappelait Brigitte Letombe, gynécologue et membre du Gemvi, lors de son audition par la délégation, ces symptômes peuvent également aggraver la « santé cardiovasculaire et le risque osseux, donc le risque métabolique, de diabète, d'hypertension, d'hypercholestérolémie ou de fracture ostéoporotique ».

Une étude du Gemvi, menée en 2013, a notamment souligné le grand nombre de symptômes ressentis et le pourcentage de femmes touchées :

94 % des femmes de 45 à 50 ans sont touchées par au moins un symptôme de la ménopause ;

73 % d'entre elles le sont encore entre 61 et 65 ans.

Les symptômes les plus fréquents sont les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes, une prise de poids, les troubles du sommeil, les changements de l'humeur, les maux de tête et migraines, les troubles de la mémoire et les troubles urinaires.

En outre, cette symptomatologie climatérique est aujourd'hui très insuffisamment prise en charge.

Une nouvelle étude du Gemvi, réalisée au cours de l'année 2020 sur 5 000 femmes, et publiée en 2022 dans le Maturitas, journal de la société européenne de ménopause, montre que 87 % des femmes sont affectées par au moins un symptôme de la ménopause et que les symptômes génito-urinaires en touchent 67 %. Or seuls 6 % des 5 000 femmes de 50 à 65 ans étudiées, sont traités pour une symptomatologie par un traitement hormonal de ménopause.

Avant la publication en 2002 d'une étude américaine, dans le cadre de la WHI (Women's Health Initiative), ayant déstabilisé les professionnels et les femmes par une balance bénéfices-risques négative vis-à-vis du traitement hormonal, environ 35 % des femmes recevaient, en France, un traitement hormonal de ménopause. Aujourd'hui, seuls 6 % des femmes sont traitées alors que la symptomatologie majeure touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post-ménopause immédiate. Au moins une femme sur quatre devrait donc avoir accès à une thérapeutique efficace, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas. Tandis que trois femmes sur quatre présenteront des symptômes, plus ou moins lourds.

 

des femmes en péri et post-ménopause immédiate touchées par une symptomatologie grave

En outre, ces symptômes peuvent également se poursuivre dans la durée puisqu'une étude multiethnique débutée en 1997 rapporte une moyenne du temps des « bouffées de chaleur » de sept ans et demi. Pour certaines femmes, cette période est beaucoup plus longue. Certaines souffrent encore d'une symptomatologie vasomotrice après quinze ou vingt ans.

Outre les troubles du climatère, la symptomatologie génito-urinaire et les difficultés urinaires, la pollakiurie, les cystites à urines claires, les petits problèmes de continence peuvent également toucher les femmes assez tôt.

Plus tardivement, si la carence oestrogénique due à la ménopause n'a pas été prise en charge, certaines femmes à risques pourraient être exposées à un risque d'ostéoporose avec des fractures graves ou un risque d'athérosclérose avec des accidents cardiovasculaires. Enfin, il est vraisemblable que cette carence oestrogénique soit liée à des troubles cognitifs et des problèmes de démence ultérieure.

b) Une symptomatologie qui peut avoir des conséquences sur la qualité de vie des femmes au travail

Dans la mesure où les symptômes péri-ménopausiques et ménopausiques touchent une très large majorité de femmes en âge de travailler, ils peuvent avoir des conséquences négatives sur la qualité de vie des femmes au travail.

D'une part, comme l'expliquait Brigitte Letombe devant la délégation, « les modalités de travail ne sont pas sans répercussions sur les symptômes de la ménopause ». Par exemple, parmi les symptômes fréquents figurent des douleurs articulaires marquées du fait de la carence oestrogénique. Ces symptômes peuvent être source de difficultés pour exercer un travail physique notamment et peuvent accentuer le risque de TMS.

D'autre part, « la ménopause peut également altérer le travail effectué » et la performance des travaux intellectuels. En effet, pour les femmes assurant des travaux essentiellement intellectuels, la fatigabilité, les troubles de la concentration et de mémorisation peuvent bien avoir des conséquences sur leur travail.

C'est pourquoi il apparaît essentiel de préparer les femmes, leur environnement et les employeurs à cette transition physiologique qui est parfois source d'angoisse. Comme l'a fait observer Brigitte Letombe à la délégation, la ménopause « survient souvent chez les femmes alors qu'elles sont au sommet de leur carrière. (...) Se sentant moins performantes, manquant de confiance en elles à cet âge, certaines femmes angoissées refusent les promotions et se tournent vers une retraite prématurée ou une reconversion ».

2. Les recommandations de la délégation pour une meilleure prise en charge de la ménopause dans l'environnement professionnel

La délégation estime que la ménopause constitue aujourd'hui un véritable enjeu d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qu'elle ne devrait plus constituer ni un tabou ni un « non-sujet » au sein de la sphère professionnelle. Se saisir de cette question doit aussi permettre aux employeurs de visibiliser les femmes de plus de 50 ans, dans l'entreprise notamment, sans qu'évoquer le sujet de la ménopause ou du vieillissement hormonal et de ses conséquences ne soit considéré comme un « repoussoir ».

Pour y parvenir, c'est, comme le soulignait Brigitte Letombe devant la délégation, une « véritable culture ouverte, inclusive et solidaire » à l'égard des symptômes de ménopause ressentis par les femmes, d'ailleurs la plupart du temps transitoires, que les employeurs doivent favoriser au sein de la sphère professionnelle, sans tabou et en ne tolérant aucune forme de discrimination, de rabaissement ou de harcèlement à l'égard des femmes en phase péri-ménopausique ou ménopausique.

a) Informer

Cette culture ouverte, inclusive et solidaire nécessite, dans un premier temps, de mettre des mots sur la réalité de la ménopause, d'identifier les possibles conséquences de ces symptômes sur le travail mais aussi l'éventuel impact du travail sur l'intensification des symptômes ressentis.

À cet égard, les femmes comme les hommes devraient, dans la sphère professionnelle, recevoir le même niveau d'information sur ces sujets, par le biais d'une communication interne de l'employeur qui pourrait se matérialiser par de courts modules de formation au sein de l'entreprise par exemple ou par une journée dédiée chaque année à cette thématique, qui pourrait avoir lieu le 18 octobre qui correspond à la Journée mondiale de la ménopause. En outre, l'ensemble de la hiérarchie professionnelle devrait être informé de la même façon : employeurs, cadres, employés.

Par ailleurs, les femmes doivent, toutes, avoir accès à un professionnel de la santé formé à cette problématique.

Les femmes, elles-mêmes, ignorent parfois les symptômes de la ménopause et mésinterprètent certaines manifestations de ce changement hormonal. Elles peuvent ainsi assimiler certains des symptômes ressentis et parfaitement habituels en période ménopausique à un épisode dépressif alors même que mieux informées, elles pourraient surmonter ces symptômes, grâce à un traitement adéquat.

Comme le soulignait Brigitte Letombe devant la délégation, « il est important que tout professionnel de santé quel qu'il soit, médecin généraliste, dermatologue, gynécologue, cardiologue, puisse parler à une femme de son éventuelle symptomatologie ménopausique. Il faut pouvoir créer un dialogue serein à l'issue de chaque consultation, pour que chaque femme de plus de 45 ans sache à peu près ce qu'elle peut ressentir et comment le gérer. Il est essentiel de pouvoir identifier toute cette symptomatologie ».

Les médecins du travail ou les psychologues du travail pourraient également être formés à cette problématique afin de pouvoir aborder, avec les femmes qui les consultent, cette symptomatologie et ses conséquences sur le travail.

Tout professionnel de santé devrait donc avoir suivi une formation requise sur la ménopause et savoir que ces symptômes climatériques peuvent affecter le bien-être et les capacités au travail avec, en conséquence, parfois la nécessité d'une adaptation transitoire des conditions de travail.

b) Adapter

Lorsque les symptômes de la ménopause sont ressentis, l'environnement professionnel doit pouvoir être adapté pour permettre une forme de soulagement de la symptomatologie la plus handicapante au travail.

Une réflexion quant à l'adaptation des conditions de travail doit être menée qui peut prendre diverses formes en fonction du type d'activité professionnelle exercée, telles que :

- la flexibilité des codes vestimentaires et des uniformes en utilisant des tissues thermiquement confortables ;

- la flexibilité horaire et le possible recours au télétravail ;

- un contrôle de la température et une ventilation adaptée sur le lieu de travail ;

- un accès facilité à de l'eau fraîche en toutes circonstances ;

-  un accès à des vestiaires et sanitaires privatifs ;

- un accès facilité et permanent à des toilettes en cas de symptômes génito-urinaires ;

- pour les activités axés sur le client ou orienté vers le public, la possibilité de pauses pour gérer des symptômes vasomoteurs intenses.

Recommandation n° 22 : Mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence.

c) Faciliter l'accès au traitement hormonal des symptômes ménopausiques

Il est aujourd'hui nécessaire d'actualiser le niveau d'information publique disponible sur la ménopause et le traitement de ses symptômes.

Sur le sujet du temps de traitement hormonal des symptômes ménopausiques, en France, les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) remontent à 2014 et n'ont pas évolué depuis, alors que beaucoup de choses ont changé. Ces recommandations mentionnent ainsi toujours la nécessité de « doses minimales » et d'une « durée limitée ». Or les recommandations pour la pratique clinique (RPC) sur la ménopause et le traitement hormonal de la ménopause ont elles-mêmes évolué en 2021 et ne mentionnent plus de durée maximale de traitement.

Il apparaît donc nécessaire aujourd'hui d'actualiser les recommandations de la HAS d'autant plus que toutes les recommandations internationales et notamment celles du 18e congrès mondial sur la ménopause qui s'est tenu à Lisbonne en octobre 2022 rappellent que le traitement hormonal de substitution de la ménopause présente une balance bénéfices-risques positive, entre 50 et 60 ans, dans les dix premières années.

Recommandation n° 23 : Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

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