trois listes couvertes par le secret de la défense nationale :

- Une liste des entreprises stratégiques pour l'économie française, constituée en 2019. Il s'agit d'une liste ad hoc fondée sur des critères de sécurité économique.

- Une liste des technologies critiques pour l'économie française.

- Une liste des laboratoires publics de recherche, économiquement sensibles.

Le SISSE accomplit ses missions dans un cadre interministériel et en lien étroit avec les services de renseignement pour ce qui relève du renseignement de sécurité économique strico sensu (et non du renseignement économique en général). Le Service est ainsi destinataire des notes de renseignement économique ***** produites par les services de renseignement. Sur cette base, il va définir ce qui est prioritaire et qui nécessite une intervention de sa part. *****

Le SISSE, par son rôle de détection des phénomènes d'ingérence, est en capacité d'orienter ses capteurs vers tel ou tel mode opératoire et telle ou telle origine géographique et solliciter les services de renseignement pour les surveiller. La fonction du SISSE est à ce jour essentiellement défensive ; or au vu des enjeux croissants de souveraineté liés à la sécurité économique, il serait opportun d'envisager une évolution du périmètre d'action et des moyens humains alloués à ce service. (Recommandation n° 9)

3. Une dimension interministérielle renforcée

Compte tenu de la multiplicité des tentatives d'ingérence et de la grande diversité des champs dans lesquels elles se manifestent, l'action de l'État en la matière est par nature interministérielle. L'enjeu de la coordination interministérielle en matière d'influence est rappelé en ces termes par la Revue Nationale Stratégique de 2022 : « l'influence, dans toutes ses dimensions - diplomatique, militaire, économique, culturelle, sportive, linguistique, informationnelle - est un domaine de contestation, qui nous impose une réponse coordonnée ». Ainsi, « la bonne articulation des différentes actions d'influence doit servir une approche intégrée visant à répondre à l'évolution du continuum de menaces que font peser nos adversaires sur nos intérêts et nos valeurs ainsi que ceux de nos plus proches partenaires ».

Cette dimension interministérielle de la contre-ingérence a été renforcée ces dernières années, tant au niveau stratégique qu'opérationnel dans le cadre de groupes de travail (thématiques et géographiques) réunissant des entités relevant de différents portefeuilles ministériels (Intérieur, Armées, Affaires étrangères, Économie...) sous la coprésidence du SGDSN et de la CNRLT.

Le contexte de la guerre en Ukraine a conforté cette approche. ***** La lutte contre les ingérences étrangères n'est toutefois pas l'affaire des

seuls services de renseignement. Ainsi, hors de la communauté du

renseignement, la DGSI s'appuie dans sa manoeuvre dans le domaine de la contre-ingérence, sur la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'Intérieur au titre des entraves administratives pouvant être conduites. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères constitue également un partenaire majeur dans les différentes thématiques suivies par la sous-direction du contre-espionnage. Une relation spécifique a été nouée avec la direction Europe continentale depuis la guerre en Ukraine, notamment dans le cadre de la politique restrictive sur les visas.

Les priorités que sont la sécurité économique, la cyberdéfense et la lutte contre les ingérences informationnelles illustrent également cette évolution.

En matière de sécurité économique, le commissaire à l'information stratégique et de la sécurité économique (CISSE), secondé par le SISSE, exerce, aux côtés du SGDSN, un rôle de coordination interministérielle en matière d'ingérences économiques ; dans ce domaine, la direction générale du Trésor joue également un rôle important en sa qualité de pilote de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France.

Depuis 2017, un conseil de sécurité et de défense en format « sécurité économique » se tient régulièrement autour du Président de la République. Le décret du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la sécurité économique en renforce la collégialité en organisant les travaux des administrations ***** présidé par le SGDSN, et en favorisant le partage de l'information stratégique entre les différents acteurs concernés, pour garantir l'efficacité du dispositif dans son ensemble.

Il consacre le rôle-pivot joué par le SISSE dans l'animation et la mise en oeuvre de la politique de sécurité économique. Le commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique ***** et contribue à orienter l'action des services de renseignement vers les priorités identifiées en matière de sécurité économique. Le décret instaure une continuité entre les compétences du commissaire et les missions du SISSE, qui sont regroupées de façon plus lisible autour de trois grands blocs (gestion de l'information stratégique, mise en oeuvre des instruments de sécurité économique, promotion des intérêts économiques de la Nation). Parmi les principales nouveautés, le décret confie au SISSE la responsabilité d'organiser la diffusion de l'information stratégique vers les entreprises, et consolide le rôle du SISSE en amont et en aval du régime de contrôle des investissements étrangers en France.

*****

La cyberdéfense illustre également cette montée en puissance de la dimension interministérielle dans notre modèle de gouvernance qui, conformément à la revue stratégique de cyberdéfense établie en 2018, distingue un volet offensif et un volet défensif. Dans ce domaine, les services de renseignement interagissent les uns avec les autres et travaillent en lien avec leurs partenaires aux niveaux territorial, national, européen et mondial.

Au niveau stratégique, le Conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le Président de la République, définit les grandes orientations qu'il appartient au Comité de direction (CODIR) cyber (qui réunit le chef d'État- major particulier du Président de la République, le CNRLT et le directeur de cabinet du Premier ministre) de mettre en oeuvre. Les membres permanents du CODIR Cyber, dont le secrétariat est assuré par le SGDSN, sont les cabinets du ministère de l'Intérieur et du ministère des Armées, ainsi que les représentants des directions et services directement impliqués dans le domaine de la cyberdéfense.

Au niveau opérationnel, la dimension interministérielle s'incarne à travers le C4 (Centre de coordination des crises cyber), *****

Le volet influence de la lutte informatique repose également, autour de VIGINUM, sur une gouvernance interministérielle renforcée. Plusieurs

réseaux de coopération ont en effet été mis en place pour assurer un échange fluide et réactif d'informations, une coordination au niveau technique ainsi qu'une approche cohérente face à la menace informationnelle. Au niveau technique, le réseau Veille, Détection, Caractérisation et Proposition (VDC-P) rassemble les administrations dotées des capacités techniques en matière de lutte contre les manipulations de l'information. Les échanges sont d'ordre opérationnels, techniques ou méthodologiques.

Au niveau opérationnel, le Comité opérationnel de lutte contre les manipulations de l'information (COLMI), présidé par le SGDSN, réunit la direction des services disposant de capacités opérationnelles ainsi que leurs autorités de rattachement et les représentants des cabinets ministériels concernés. Le comité est notamment chargé de formuler des orientations de travail en matière de lutte contre les manipulations de l'information ainsi que des propositions de réponse face à d'éventuelles ingérences numériques étrangères caractérisées. Au-delà de ces réseaux interministériels techniques et opérationnels, VIGINUM entretient des partenariats avec d'autres administrations. L'agence a ainsi signé en mai 2022 une convention avec le Pôle d'expertise de la régulation numérique (PEReN), service à compétence nationale mettant son expertise en science des données à disposition de l'ensemble des administrations d'État sur les sujets de régulation des plateformes numériques.

C. DES MOYENS DE DETECTION ET D'ENTRAVE MULTIPLES MAIS ENCORE INSUFFISANTS

Pour empêcher les tentatives d'ingérences étrangères, les services de renseignement et, au-delà, la puissance publique, peuvent activer différents dispositifs d'entrave. Bien qu'efficaces, ces outils d'entrave n'en demeurent pas moins parfois insuffisants au regard de l'intensification de la menace que font peser les ingérences étrangères sur l'exercice de la souveraineté nationale et européenne.

1. Une « boîte à outils » pour contrecarrer les ingérences étrangères

La « boîte à outils » des services de renseignement leur permet d'agir de multiples façons pour entraver les tentatives d'ingérences étrangères. Dans le respect du cadre légal et réglementaire, ils peuvent recourir à tout un arsenal juridique pour neutraliser ces actions hostiles qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

a. Le recours aux techniques de renseignement

Les services recueillent du renseignement par le biais de sources humaines ou techniques, capteurs privilégiés dans le cadre d'enquêtes spécifiques sur les auteurs d'actes d'ingérence.

La « prévention de toute forme d'ingérence étrangère » correspond à la finalité 2 mentionnée à l'article L.811-3 du Code de la sécurité intérieure (CSI) qui autorise les services de renseignement à recourir aux techniques de renseignement (TR) pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. En matière de contre- ingérence économique, les services de renseignement exploitent également la finalité 3 mentionnée à l'article L. 811-3 du CSI relative à la « promotion et prévention des atteintes aux intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».

Les techniques de renseignement autorisées au titre de la finalité 2 sont :

- L'accès aux données de connexion (art. L.851-1 CSI).

- La géolocalisation en temps réel d'un téléphone portable (art. L.851-4 CSI).

- La localisation en temps réel des personnes, véhicules ou objets par le biais d'une balise (art. L.851-5 CSI).

- Le recueil de données par Imsi-Catcher (art. L. 851-6 CSI).

- L'interception de certaines communications hertziennes (art. L.852-2

CSI).

- L'interception des communications satellitaires (art. L.852-3 CSI).

- L'interception de correspondance avec dispositif de type "Imsi-

catcher" (art. L. 852-1 CSI).

- La captation, l'enregistrement et la transmission de paroles et d'images

(art. L.853-1 CSI).

- La captation et le recueil de données informatiques (art. L.853-3 CSI).

Le recours aux techniques de renseignement au titre de la finalité 2 est en augmentation significative ces dernières années, surtout depuis 2020. Selon les chiffres communiqués par la CNCTR, le nombre de demandes de TR au titre de cette finalité s'établissait à 17 900 en 2022 contre 13 137 en 2020 et 11 973 en 2017. En proportion de l'ensemble des demandes, la finalité 2 est passée de

16,5 % en 2020 à 20 % en 2022. En revanche, le nombre de personnes surveillées au titre de cette finalité est quasi-stable sur la période, passant de 3 885 à 4 191 entre 2020 et 2022, ce qui signifie que la surveillance est plus intense sur les personnes faisant l'objet d'une technique de renseignement.

LE RECOURS AUX TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT FONDÉ SUR LA FINALITÉ 2

 

2018

2019

2020

2021

2022

Nombre de demandes de techniques de

renseignement

12 460

11 031

13 137

15 327

17 900

En proportion de l'ensemble des demandes

17 %

15 %

16,5 %

17,5 %

20 %

*****

*****

*****

*****

*****

*****

Source : CNCTR.

Au titre de la finalité 2, le recours aux techniques de renseignement peut concerner des personnes dites protégées en raison de la fonction qu'elles exercent (journalistes, avocats, magistrats, parlementaires). Dans ce cas, une procédure assortie de garanties spécifiques est mise en oeuvre par la CNCTR qui s'assure en particulier que la demande est proportionnée et détachable de la profession. L'appréciation du caractère détachable de l'exercice d'une profession protégée se révèle parfois complexe en matière de lutte contre les ingérences étrangères, ladite profession servant parfois de couverture à une action d'ingérence.

*****

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page