EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur spécial, sur les établissements publics fonciers (EPF) et les établissements publics d'aménagement (EPA).

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin une communication de M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (logement et urbanisme), sur les établissements publics fonciers (EPF) et les établissements publics d'aménagement (EPA).

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - J'ai souhaité, cette année, m'intéresser aux établissements publics fonciers (EPF) et aux établissements publics d'aménagement (EPA), car chacun de nous connaît bien ces établissements dans son territoire, mais peu de travaux ont été réalisés pour en donner une vision d'ensemble.

Ils jouent pourtant un rôle très important, souvent méconnu, en appui aux politiques de l'État mais aussi, voire surtout, des collectivités locales. Je vous rappelle que les EPF agissent en amont : institués sur l'ensemble d'un territoire, ils acquièrent des terrains et les conservent pendant quelques années, le temps de finaliser le montage d'une opération et de faire éventuellement des travaux de pré-aménagement. Les EPA, pour leur part, sont installés en général dans le cadre d'une opération d'intérêt national, donc pour un projet unique mais de grande envergure, où ils procèdent à des opérations d'aménagement avant de céder les terrains à des opérateurs.

L'accès au foncier a toujours été un enjeu majeur et difficile des politiques locales. Il devient un enjeu politique de tout premier ordre dans les territoires avec la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais aussi face à la multiplication des risques et des normes afférentes : incendie, inondation, compensations environnementales et tant d'autres sujets. Multiples sont les contraintes qui doivent être prises en compte par les collectivités lorsqu'elles veulent développer le logement ou les activités économiques.

Les EPF et EPA, je l'ai bien constaté au cours des auditions et des déplacements que j'ai réalisés, constituent des outils irremplaçables avec deux grandes qualités au moins : d'une part, ils réunissent des compétences techniques, juridiques, financières dont la plupart des collectivités pourraient difficilement disposer toutes seules ; d'autre part, leur gouvernance donne toute leur voix aux collectivités, ce qui en fait des modèles d'établissements au service des projets locaux.

En un mot, ils mettent en oeuvre une véritable intelligence foncière, qui n'est pas une intelligence artificielle, mais une intelligence collective, au service du développement du logement et de l'activité locale.

C'est pourquoi je crois qu'ils peuvent constituer le coeur d'un pôle de conseil et d'action sur les questions foncières, au service des collectivités locales. C'est l'objet de la recommandation n° 1, qui résume en fait l'esprit de l'ensemble du rapport.

L'efficacité de ces établissements, en tant que force de conseil comme force d'action, repose sur leur capacité à atteindre une « masse critique » qui leur permet de réunir l'ensemble des métiers de l'action foncière ou de l'aménagement : les mutualisations entre établissements doivent être favorisées (recommandation n° 2).

Il est toutefois regrettable que des zones entières du territoire ne soient toujours pas couvertes par des EPF. Toutes les collectivités devraient avoir accès à un établissement public foncier, que celui-ci soit de niveau régional ou plus local. C'est l'objet de ma recommandation n° 3.

Si je n'ai pas évoqué jusqu'ici les différences entre les EPF d'État et les EPF locaux, c'est que leur fonction est très similaire, ainsi que les services qu'ils apportent aux collectivités. Même leur gouvernance est proche, car les collectivités locales sont très majoritaires non seulement dans leurs propres EPF, mais aussi dans les EPF d'État. La principale différence réside dans le fait que les EPF d'État, ainsi que les EPA, sont soumis à la tutelle ministérielle, qui nomme par exemple les directeurs généraux et les soumet à de nombreuses demandes parfois mal coordonnées : on pourrait certainement réduire le poids de cette tutelle, non pas en supprimant ce contrôle qui est nécessaire, mais en le rationalisant afin de libérer des ressources pour l'action de fond.

Après ces considérations d'ensemble sur le rôle même et l'organisation des EPF et EPA, j'en viens de manière plus détaillée aux compétences exercées par ces établissements. La multiplication des contraintes pesant sur l'action foncière, au premier rang desquelles se trouve le « ZAN », oblige à repenser leurs modes d'action.

Il faut penser à long terme, plus encore qu'autrefois : les collectivités doivent d'ores et déjà constituer des réserves foncières qui seront à l'abri de l'augmentation des coûts qui résultera probablement de la raréfaction progressive du foncier, tandis que l'augmentation des taux d'intérêt renchérit le coût des emprunts contractés pour acquérir ces terrains.

Le statut des EPF ne se prête pas toujours à une action de long terme, en particulier s'agissant des EPF d'État qui sont soumis à une demande de rotation plus rapide des terrains de la part de leur tutelle : en effet, plus ils portent un terrain longtemps, plus ils mettent du temps à rembourser leurs emprunts, qui sont comptés dans la dette publique.

Il faut donc favoriser un portage plus long, qui peut passer par la constitution de foncières : il y a des exemples très intéressants, par exemple à Genève où les terrains industriels sont en quelque sorte « distribués » par une fondation établie il y a plus de 60 ans, permettant de concilier la rareté des terrains avec un développement économique maîtrisé garantissant la prise en compte des priorités de politique publique.

Des évolutions ponctuelles des compétences seraient également utiles : Grand Paris Aménagement a des idées pour le renouvellement de zones pavillonnaires, où les outils juridiques sont insuffisants ; en Occitanie, c'est plutôt dans les zones rurales que l'EPF pourrait aller au-delà de ses compétences de base pour une action limitée d'aménagement, lorsque l'initiative privée fait défaut. Dans les deux cas, cela aurait du sens de s'appuyer sur un outil existant, en adaptant à la marge son cadre d'action en fonction des besoins des territoires.

Enfin, les EPF ont tout leur rôle à jouer sur les sites entourant les grandes gares nouvellement créées. La question des plus-values foncières autour de ces gares, qui échappent aux collectivités pour constituer des effets d'aubaine, a été évoquée hier lors de notre réunion sur les autorités organisatrices de la mobilité : l'une des clés réside dans une action résolue de maîtrise foncière, longtemps en avance, autour de ces sites, afin de favoriser la réalisation de logements ou de zones d'activité à des coûts raisonnables.

Toutefois, lorsqu'on parle d'action foncière, rien n'est possible sans un accès à des données fiables, exhaustives et récentes. J'ai trois recommandations qui vont dans ce sens. :

Il faut d'abord construire et consolider une carte de France des stocks fonciers. L'une des raisons de cette proposition est que le « ZAN », mais aussi les risques d'incendie ou d'inondation, risquent de rendre inconstructibles certaines parcelles, remettant en cause l'équilibre d'opérations pour lesquelles les établissements ont déjà acquis des terrains. Il me semble important d'avoir une vision d'ensemble et consolidée des stocks fonciers avec leur durée de portage.

Il faudrait aussi ouvrir plus largement aux EPF certaines bases de données, notamment sur les logements et les locaux d'activité vacants. Ces bases sont ouvertes à certains acteurs publics, mais un accès direct pour les EPF les aiderait à mieux identifier les vacances en termes de logements ou de commerces, sachant qu'une action rapide et donc un accès immédiat à l'information sont parfois nécessaires.

Enfin, pour la même raison de réactivité, certaines bases de données devraient être mises à jour plus rapidement. Des EPF m'ont ainsi fait état de la nécessité de bénéficier de versions plus récentes de la base D3VF, qui est une base améliorée par rapport à la base des demandes de valeur foncière publiée en open data.

Après avoir étudié ce que les EPF et les EPA font, et ce qu'ils devraient faire, il faut se demander avec quels moyens financiers ils peuvent y parvenir.

Le modèle économique des EPF est celui d'une montée en charge progressive, opération après opération : la cession d'un terrain aide en principe à financer l'acquisition d'un autre terrain. En réalité, la ressource fiscale, c'est-à-dire la taxe spéciale d'équipement ou TSE, demeure toujours nécessaire.

Quant aux EPA, c'est très différent car ils ne reçoivent pas la TSE, mais des subventions ponctuelles de l'État sur le programme 135 et de la part d'autres autorités. Leur objectif est l'équilibre sur l'ensemble de l'opération, grâce aux cessions de terrain à la fin.

Or la sobriété foncière bouleverse le modèle économique des établissements : les coûts de la construction et de la reconstruction en milieu déjà urbanisé sont beaucoup plus élevés que la construction sur des terrains naturels ou agricoles, surtout avec la multiplication des normes.

S'agissant de la TSE, en outre, une partie de son assiette a disparu avec la réforme de la fiscalité locale : elle a été remplacée par une dotation budgétaire d'un montant annuel de 175 millions d'euros, mais ce n'est guère satisfaisant. Le principe d'annualité budgétaire fait craindre en effet chaque année la remise en cause de la ressource, d'autant que le montant de celle-ci est fixe et ne s'adapte pas à l'accroissement du périmètre de l'établissement ou à l'extension du nombre des opérations. Je propose donc d'étudier les possibilités de remplacer la dotation budgétaire par une ressource fiscale dynamique et adaptée à l'évolution de l'action des EPF : c'était le cas jusqu'en 2020.

La TSE, comme nous l'avons vu en début d'année lors de l'examen d'une proposition de loi de M. Dantec sur la taxation des résidences secondaires, est en fait une surtaxe aux quatre taxes locales. Après la réforme de la fiscalité locale, elle pèse plus qu'auparavant, en proportion de son produit, sur les entreprises et beaucoup moins sur les résidents ; si l'EPF fixe le montant global du produit de la taxe, il serait utile que, au niveau local, il y ait un mécanisme, sous l'égide des collectivités, pour moduler la répartition de la TSE entre les différentes catégories de contribuables, en fonction des situations locales.

Enfin, un dernier point concerne certains dispositifs fiscaux dont bénéficient les EPF, sur lesquels ils m'ont alerté. D'une part, les particuliers bénéficient d'une exonération sur les plus-values lorsqu'ils cèdent un terrain à un EPF en vue de la construction de logements sociaux, mais les EPF doivent ensuite céder le terrain dans un délai de trois ans : ce délai trop bref rend le dispositif à peu près inopérant. Un autre sujet est celui de la TVA sur marge : selon une récente jurisprudence, la vente d'un terrain par un EPF à une collectivité risque d'être soumise à la TVA sur le prix total, et pas seulement sur les travaux d'amélioration que l'EPF a apportés, ce qui représenterait un coût en trésorerie pour la collectivité. Dans les deux cas, c'est le recours à l'EPF qui risque d'être remis en cause à cause d'imperfections du dispositif fiscal ; il faudrait que le prochain projet de loi de finances apporte des corrections.

Voilà le très bref résumé d'un travail de plusieurs mois et d'échanges très riches avec différents organismes, avec l'administration mais aussi avec l'ensemble des EPF et des EPA à travers des questionnaires.

Vous connaissez mon engagement autour de la mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette », qui devient le combat d'une vie ; les aspects réglementaires seront, je l'espère, améliorés par la proposition de loi sur le sujet qui pourrait être adoptée définitivement la semaine prochaine en fonction des résultats de la commission mixte paritaire en cours. Nous devons aussi travailler aux aspects financiers, sur lesquels j'attends, là aussi, des propositions du Gouvernement dans le prochain projet de loi de finances.

Après les règles et les financements, il faut des acteurs de terrain : les établissements publics fonciers et les établissements publics d'aménagement en sont des piliers essentiels et je suis à votre disposition pour échanger sur les analyses et les propositions que je viens de vous présenter.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapporteur spécial a indiqué que le ZAN était « le combat d'une vie », combat qui semble pourtant sans fin. Je souhaite que son savoir-faire et sa pugnacité nous permettent d'aboutir à un compromis acceptable.

Un élu de l'intercommunalité du Grand Nancy, dont je suis issu, me disait que celui qui détenait le foncier tenait l'avenir. Nous disposons de bons outils qui ont pour intérêt de mettre autour de la table État et acteurs locaux. Toutefois, les EPF ont été les outils de certains territoires principalement urbains, parfois pendant un temps au-delà du raisonnable, ce qui permettait d'avoir des réserves foncières protégées et sous maîtrise publique. Les recommandations du rapporteur spécial, auxquelles je souscris, ont le mérite d'aller dans le sens d'une clarification pour assurer une maîtrise collective.

Comment ces outils et notamment l'EPF, parviennent-ils à s'articuler avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ? Il existe de plus en plus de conflits d'usage pour la maîtrise du foncier entre la profession agricole et les besoins de développement et d'aménagement.

Le deuxième sujet me semble être celui de la maîtrise foncière de la transformation urbaine, soit de friches, soit de terrains bâtis délaissés. Quel est le regard du rapporteur spécial sur cet aspect ?

Ces outils sont là pour maîtriser le temps long. Or on reproche aujourd'hui aux projets d'être trop longs et d'entraîner des contraintes trop importantes et qui se multiplient. Comment mieux concilier la nécessité d'avoir d'une part un cadre d'action sur une temporalité étendue, suivant une vision prospective, et d'autre part d'améliorer la réponse aux projets qui doivent être conduits à un rythme plus rapide que celui auquel les opérateurs sont aujourd'hui soumis ?

M. Jean-François Rapin. - L'EPF est un outil à destination des collectivités qui est largement bien utilisé, en tout cas dans certains départements. Le rapporteur spécial a évoqué la question de la difficulté pour l'EPF, l'intercommunalité ou les communes d'assumer pleinement leurs transactions immobilières à partir du moment où le ZAN sera complètement en vigueur. Quelles seront les conséquences budgétaires ? Si l'EPF s'est rendu acquéreur d'un terrain pour le portage d'une intercommunalité ou d'une commune pour un projet de développement immobilier qui serait largement remis en cause, à quel prix l'EPF revend-il à la collectivité le terrain ? S'agit-il du prix d'achat du terrain ou du prix dévalorisé ? Le montant n'est évidemment pas le même lors de l'achat d'un terrain constructible sur lequel on veut réaliser un projet et pour la revente d'un terrain sur lequel on ne peut plus mener de projet et qui n'a donc plus la même valeur. S'il s'agit du prix d'achat, cela grève les finances des collectivités, s'il s'agit d'un prix inférieur cela grèvera le budget de l'EPF.

Mme Christine Lavarde. - Lors d'un contrôle budgétaire que j'avais réalisé, le Conservatoire du littoral, qui avait une position d'achat des terres assez similaire à celle d'un EPF, avait mis en avant son extrême difficulté à pouvoir disposer de la ressource financière lorsque se présente, très rarement, une opportunité d'achat de terrain. Les EPF font-ils face aux mêmes difficultés ?

M. Christian Bilhac. - Entre le ZAN, les aléas climatiques et les zones de protection, il y a de nombreuses difficultés quant au foncier ! Et il y a des inégalités importantes à ce sujet. Il y a des communes et des EPCI riches qui peuvent mener eux-mêmes une politique foncière car ils ont les moyens de la développer, tandis qu'il y en a d'autres qui le souhaitent, mais qui n'en ont pas ces moyens.

Dans la recommandation n° 3, vous dîtes qu'il faut supprimer les zones blanches. Je suis d'accord, mais j'ai une question sur les zones denses. On a dans certains endroits des superpositions entre plusieurs établissements publics fonciers. Quel est votre avis concernant cette superposition d'établissements fonciers sur un territoire ? Il y a beaucoup plus de facilités pour les établissements fonciers dans les zones métropolitaines, où il y a beaucoup d'activité et où l'on peut mener les projets rapidement, que dans les zones rurales où l'on est souvent ralenti, notamment par les procédures.

Je pense que le rôle des établissements fonciers n'est pas de prévoir l'avenir, car comme disait Antoine de Saint-Exupéry, il ne s'agit pas de prévoir l'avenir, mais de le permettre. Nous devons avoir l'humilité de reconnaître que nous ne savons pas quels seront les besoins fonciers, quels seront les équipements requis dans 20 ou 30 ans. Maîtriser le foncier, même sans projet immédiat, me semble donc quelque chose d'important. Couvrir toutes les zones blanches, c'est nécessaire, mais qu'en est-il des zones denses ?

M. Christian Klinger. - En tant qu'élus, on entend souvent que les EPF veulent acheter du foncier pour construire. Mais est-ce que les EPF peuvent acheter, par exemple un terrain maraicher, pour préserver une zone naturelle, et donc pour ne pas construire ?

M. Claude Raynal, président. - Le rapport est intéressant. Sur ces sujets-là, la formulation des recommandations est toujours compliquée. Prenons la recommandation n°7, par exemple, « mener une action foncière beaucoup plus volontariste dans les sites environnant les grandes gares nouvellement créées ». Le problème est qu'en réalité, dès que l'information qu'une gare va être créée à un endroit se diffuse, on constate aussitôt une augmentation des prix. Le pire est que lorsqu'un EPF veut acheter, l'évaluation des domaines tient compte de ces anticipations. Il n'utilise plus la référence des prix de marché dans le secteur, comme cela est le cas habituellement, mais les prix futurs. C'est compliqué, car il faut se positionner « avant l'information », et préempter immédiatement.

La recommandation n° 8, « Construire une carte de France des stocks fonciers ». Je pense qu'il s'agit d'une recommandation indiscutable, pour avoir une vue macro. Au-delà de ça, je me demande s'il ne serait pas opportun de formuler une recommandation qui dirait à tous les EPF de se préoccuper du ZAN, et de regarder comment protéger leurs acquisitions, car c'est un vrai sujet. Si vous ne pouvez plus valoriser votre foncier, vous vous retrouvez avec une perte dans l'EPF, qui revient vers les collectivités, car l'EPF ne fait que porter des missions pour le compte de collectivités. Il faudrait, me semble-t-il, encourager tous les EPF à se préoccuper de leur risque de portefeuille, par rapport au ZAN.

J'ai également une question sur la recommandation n°11, sur les quatre taxes locales. Quand on regarde comment doit être répartie la TSE, il y a deux masses en réalité, la taxe foncière et la cotisation foncière des entreprises, tandis que le reste est marginal. La taxe foncière sur le non bâti ne fait pratiquement pas de produit. Je m'interroge donc sur la répartition entre les quatre taxes locales. Est-ce que cela change vraiment quelque chose ? Il est néanmoins possible qu'il y ait des territoires où cela fait une vraie différence.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Le président Raynal se trompe rarement. En écho à une citation faite par le rapporteur général, cela me rappelle une phrase de Balzac : « qui terre a, guerre a ». Vous voyez que c'est d'une cruelle actualité.

Quelques éléments de réponse sur vos questions : le rapporteur général se demande comment des outils comme les EPF cohabitent avec d'autres outils comme les Safer. C'est un sujet important qui trouve des échos dans la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « ZAN ». Il y a dans ce texte un article permettant de préempter pour des raisons de ZAN et qui viendrait percuter le droit de préemption des SAFER. En conséquence, un amendement supprimant le droit de préemption ZAN a été adopté à l'Assemblée nationale. Je souhaiterais le voir rétabli, peut-être avec une écriture différente.

Pour des zones périphériques avec des problématiques de recyclage urbain, il peut y avoir un conflit de compétences, qui n'empêche pas une légitimité de part et d'autre. Il faut donc que nous trouvions un point d'équilibre permettant à chacun de conserver son droit de préemption. Il nous parait important de muscler d'autres outils, comme l'EPF, mais également de conserver le droit de préemption urbain pour la situation spécifique des zones périphériques et du recyclage foncier.

Un préfet va bientôt rendre un rapport sur les friches industrielles car il y en a 160 000 hectares et ces dernières font l'objet d'une forte spéculation. Il faut absolument accompagner les élus pour garder la maitrise des friches.

C'est l'un des points saillants : le ZAN appelle vraiment à un renforcement de tous nos outils. Cela n'est pas du tout lié à une mise en cause des SAFER ou de leurs prérogatives, même s'il peut y avoir des conflits d'usage sur certains fonciers périphériques à tendance agricole.

Notre rapporteur général se demande aussi comment maitriser le temps long. Effectivement, faut-il muscler les EPF pour porter les sujets ZAN et d'autres sujets plus complexes ? Ce foncier va devenir encore plus complexe, réglementé et cher et va avoir besoin d'être porté de manière plus conséquente. Il va falloir faire évoluer les règles. Actuellement les EPF doivent porter puis libérer les terrains rapidement, ce qui n'est pas adapté.

Cela renvoie également à la question sur la manière dont est appréhendé le stock de foncier : si dans les stocks il y a du foncier qui devient non constructible, comment cela est-il pris en compte ? M. Rapin, l'EPF revend en général à la collectivité au prix d'acquisition auquel s'ajoutent les frais. C'est la collectivité qui porte le risque financier en cas de déclassement. Il y a un vrai risque.

M. Jean-François Rapin. - Cela pose un problème en termes de projets. Aujourd'hui, qui va prendre un risque puisqu'il n'y a aucune certitude sur le futur ? Il y a là un sujet de fond.

Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Très juste.

La tutelle exercée sur les EPF leur pose de plus en plus de problèmes. Il leur est demandé de produire du volume sans qu'il leur soit permis de dégager du résultat. En conséquence, il faut que cela tourne en permanence.

Mme Lavarde, la similitude avec les opérations des conservatoires est réelle. Est-ce que les ressources pour les EPF sont trop faibles ? La question est posée. Les EPF servent justement à agir lorsqu'il y a une opportunité, par la voie de la TSE et de l'emprunt qui permettent d'agir vite s'ils ont une information. D'où la proposition du rapport de renforcer l'accès aux données.

Pour la deuxième question : est-ce que les dotations, la TSE et les emprunts suffisent ? La réponse est pour l'instant oui, mais jusqu'à quand ? Surtout dans un contexte de foncier plus rare et plus cher.

Se pose également une autre question, qui est celle de savoir si nos outils, que nous devons renforcer, n'ont pas vocation à intervenir sur d'autres sujets. Ce qui m'a beaucoup frappé lors de mes déplacements c'est de voir que certains EPF, comme celui d'Occitanie, étaient appelés à porter beaucoup d'opérations complexes, comme la dépollution ou la reconquête d'une friche, d'une copropriété ou d'espaces naturels, parfois en lien avec des conseils départementaux ou l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

Nous voyons au regard des déclarations récentes du Président de la République que la rénovation des copropriétés est une des pistes sérieusement envisagées, ce qui est heureux.

Est-ce que les EPF sont des bons outils ? Oui. Est-ce qu'ils sont adaptés à l'époque plus complexe ? Oui pour l'instant. Est-ce qu'ils sont adaptés pour porter des politiques qui ne sont pas dans leur périmètre historique ? Je le pense, mais à condition de faire évoluer certains points, dont leur fiscalité.

La question des zones blanches et de la superposition est un double sujet épineux et crucial. Le seul cas observé de superposition était en Occitanie, avec un EPF au niveau régional et un autre au niveau local, situé à Perpignan, dotés de périmètres distincts et superposés. Dès lors, l'efficacité d'avoir une enclave au sein d'un EPF pose question. S'il est certain qu'il faut adapter la réponse aux territoires, le tout est de voir dans chaque situation si la superposition n'est pas contreproductive. En l'espèce, en Occitanie, cela semblait ne pas être le cas puisque il y a une continuité de l'action.

A contrario, nous avons vu dans certains territoires des demandes de mise en place de micro-foncières, de sorte que l'EPF régional était perçu comme trop éloigné et pas assez adapté aux territoires locaux. Dans ces cas-là, il faudrait donc mieux ajuster la réponse aux territoires, tout en veillant bien à éviter les cas de superpositions contreproductives. Il faut donc raisonner au cas par cas.

S'agissant des zones blanches, le point est de savoir si certains territoires n'ont vraiment pas besoin d'accompagnement public pour porter le foncier. Cela me semble périlleux. Il faut couvrir la carte de France d'EPF.

J'insiste toutefois sur un point : les EPF ne doivent pas se substituer au privé lorsque celui-ci est en capacité d'agir. L'action publique doit intervenir en complémentarité avec le privé, et uniquement lorsqu'il existe des carences et des sujets à porter.

Sur la question de l'achat d'un terrain maraicher par un EPF, il faut voir le cas d'espèce mais l'hypothèse ne me choque pas en soi. Toutefois, et dès lors qu'il y a un lien avec le monde agricole, un conflit est possible avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). Cela dépend du cas précis.

En ce qui concerne les gares, il y a un énorme sujet, notamment en Île-de-France. Il y a en marge de ce sujet la question du logement, et plus particulièrement du besoin de se loger à proximité de son travail, ce qui est plus écologique. Les outils publics doivent donc être adaptés à ces problématiques dans le cadre d'un phénomène de spéculation dès qu'un projet de gare est annoncé. Certaines communes essaient d'être le plus volontariste possibles, avec les EPF à leurs côtés.

Ce que je propose dans mon rapport favorisera le portage long. La question se pose notamment de savoir si la taxe spéciale d'équipement (TSE) va suffire dans la mesure où elle est de plus en plus remplacée par des dotations.

Enfin la fiscalité locale pèse principalement sur deux catégories : les entreprises et les particuliers, dont l'importance varie selon les territoires.

Mme Sylvie Vermeillet. - Pouvez-vous revenir sur le risque lié à l'évolution de TVA sur marge ?

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - On s'interroge sur la portée d'une jurisprudence récente : la vente d'un terrain par un EPF risque d'être soumise à la TVA sur le prix total et non sur les seuls travaux d'amélioration apportés par l'EPF, ce qui pourrait poser des difficultés de trésorerie pour les collectivités. Il faudra avoir une expertise d'ici au prochain projet de loi de finances.

Mme Sylvie Vermeillet. - On pourrait comparer la fiscalité des EPF avec celle des SAFER : que la TVA porte sur les transformations, oui, mais pas sur le terrain en tant que tel.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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