B. CES ÉTABLISSEMENTS PEUVENT CONSTITUER LE CoeUR D'UN PÔLE RÉGIONAL DE CONSEIL ET D'ACTION AU SERVICE DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Compte tenu des avantages apportés par leur gouvernance, les EPF et EPA, et plus particulièrement les EPF en raison de leur vocation à couvrir l'intégralité d'un territoire, présentent toutes les caractéristiques leur permettant de devenir le coeur d'un dispositif de conseil et d'action, au service des collectivités territoriales, sur les enjeux de la maîtrise foncière. Ce rôle sera de plus en plus essentiel avec la mise en oeuvre des objectifs de sobriété foncière prévus par la loi Climat-Résilience.

S'ils interviennent en matière d'action foncière (acquisition, portage et cession) sur sollicitation des communes et des intercommunalités, ces établissements exercent également une offre de services complémentaire en appui aux collectivités (aide technique et financière), surtout celles insuffisamment pourvues en ingénierie :

- en amont : aide à l'élaboration de stratégies foncières par les EPCI ou collectivités, recherche de gisements fonciers, veille foncière (avec par exemple la mise en place d'un observatoire local des friches), aide à l'élaboration du volet foncier des documents d'urbanisme : schéma de cohérence territoriale (SCOT), plan local d'urbanisme (PLU), programme local de l'habitat (PLH) ;

- en phase opérationnelle ou pré-opérationnelle : études de programmation, études sur la vocation d'une friche, étude de faisabilité technique et économique, maîtrise d'ouvrage de travaux de pré-aménagement24(*), gestion de l'occupation transitoire d'un site ;

- en aval : accompagnement des collectivités dans les appels à projets pour trouver des opérateurs, si elles le souhaitent.

Dans certains EPF locaux de petite taille, les moyens d'étude sont en fait mutualisés avec ceux de l'intercommunalité.

En fonction des spécificités des territoires, certains établissements peuvent exercer des missions particulières : ainsi l'établissement public foncier et d'aménagement (EPFA) de Guyane, comme l'EPFL de Guadeloupe, exerce-t-il des missions de régularisation foncière.

L'histoire des EPF, qui s'inscrit dans la longue durée, illustre leur capacité d'adaptation.

À titre d'exemple, l'établissement public foncier de Lorraine, créé en 1973 sur deux départements afin de constituer des réserves foncières vierges et d'éviter ainsi la spéculation foncière, a su prendre en charge dans les années 1980 le recyclage des espaces délaissés par les industries sidérurgiques, minières et textiles. Puis ses interventions se sont étendues à tous les espaces dégradés tant urbains que ruraux et son périmètre s'est récemment étendu à l'ensemble de la région Grand Est, hors Alsace25(*).

Les EPF disposent généralement de l'ensemble des compétences nécessaires, qui ne pourraient pas être réunies par une commune donnée. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) oppose ainsi l'approche « par le projet » des EPF, qui correspond selon lui aux besoins des collectivités territoriales, à l'approche « par la procédure » des services déconcentrés, qui assurent plus la gestion des procédures que l'accompagnement des projets locaux26(*).

Les communes, détentrices de la compétence en urbanisme et donc de la maîtrise du sol, traversent pour leur part une période où les contraintes se multiplient : des plans de protection contre les risques (risque incendie, risque d'inondation...) menacent de réduire le potentiel de terrains constructibles, mais surtout l'objectif de sobriété foncière ou « zéro artificialisation nette » s'impose désormais comme un paramètre structurel majeur de l'action locale.

L'objectif « Zéro artificialisation nette »

La loi Climat-Résilience du 22 août 2021 a fixé deux étapes :

- au cours de la période 2021-2031, la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) dans chaque région ne peut dépasser la moitié de la consommation réelle de ces espaces observée au cours des dix années précédentes ;

- en 2050, l'artificialisation nette doit être nulle (« zéro artificialisation nette »), c'est-à-dire que la surface désartificialisée (ou renaturée) doit être au moins égale à la surface artificialisée.

Source : commission des finances, à partir de la loi Climat-Résilience27(*)

Face à ces enjeux, déclarer la fin du pavillon et la généralisation de la barre d'immeuble serait une fausse solution, inacceptable pour la population, alors que d'autres solutions existent.

Ces solutions ne sont pas simples : la mise en oeuvre de la réduction de l'artificialisation doit être conciliée avec la nécessité de loger les populations et de permettre l'installation d'activités. Pour y parvenir, une connaissance très fine du territoire est nécessaire, d'où l'impérative nécessité de placer les élus locaux aux coeurs des décisions, et de disposer d'une maîtrise technique approfondie.

Car, comme l'ont souligné la plupart des personnes auditionnées, les métiers de l'aménagement et de la construction font face à un changement de perspective : il ne s'agit plus de construire des logements ou des centres commerciaux sur des terrains vierges, naturels ou agricoles, mais d'étudier les terrains déjà urbanisés, de déterminer si une dépollution est nécessaire, d'identifier des opportunités de transformation de bâtiments ou, si nécessaire, de démolition. L'objectif de non-artificialisation nette pousse même les collectivités à rechercher des potentiels non pas de construction, mais de renaturation afin de restituer un sol pourvu de toutes ses fonctions naturelles là où se trouvait un local qui n'a pas de possibilité de reconversion.

Toutes ces activités demandent des compétences de veille foncière, de montage juridique et financier de dossiers, de pré-aménagement dont ne disposent pas la plupart des communes.

Les établissements publics fonciers possèdent ces compétences, outre leur capacité à acquérir et porter les terrains.

En s'appuyant sur une gouvernance qui permet de bien appréhender et prendre en compte les enjeux de chaque territoire, tout en assurant une cohérence à l'échelle régionale ou (pour les plus petits EPFL) au moins intercommunale, les EPF constituent donc un outil irremplaçable.

Recommandation

Construire dans chaque région, autour de l'établissement public foncier et, le cas échéant, des établissements publics d'aménagement, un pôle de conseil aux collectivités territoriales sur les enjeux de la maîtrise foncière et notamment de la sobriété foncière. Ce pôle de conseil doit aussi avoir une fonction de remontée des informations vers le niveau national ; il doit en particulier être consulté par l'administration centrale lors de l'établissement des normes relatives à l'utilisation du foncier.

L'établissement d'un pôle de conseil et d'action repose sur la dimension critique des établissements, qui leur permet d'être des forces de conseil effectives sur l'ensemble de leurs métiers. Il est donc important de favoriser la mutualisation la plus large possible des fonctions : si les associations représentatives ou structures plus informelles exercent efficacement le partage d'information28(*), certains établissements peuvent gagner à se rapprocher les uns des autres.

Le rapporteur spécial a pu ainsi constater l'utilité de cette mutualisation dans le cas de Grand Paris Aménagement. Une convention de fédération entre cet établissement et celui d'Orly-Rungis Seine-Amont (ORSA) permet à ce dernier établissement, de taille relativement réduite et confronté à des enjeux difficiles de requalification de quartiers dégradés, de bénéficier de l'expertise de Grand Paris Aménagement, qui par sa masse critique dispose d'experts pour chaque domaine de la politique foncière et d'aménagement. L'ensemble des personnels de l'EPA ORSA ont ainsi été transférés à Grand Paris Aménagement29(*).

De même, lorsqu'une région est partagée entre plusieurs EPF, il serait utile, même sans remettre en cause leurs périmètres d'intervention, de favoriser les rapprochements entre établissements au moins pour les activités d'études afin de tirer profit des relations privilégiées entre la collectivité de niveau régional et l'EPF.

Recommandation

Favoriser la mutualisation entre les établissements, afin de faire bénéficier les territoires peu dotés en ingénierie de l'expertise des établissements les plus importants.


* 24 Les travaux de pré-aménagement d'un terrain comprennent notamment, en fonction des nécessités, la sécurisation du site, la décontamination, le désamiantage, la dépollution, la déconstruction...

* 25 Voir notamment le fascicule «  Catalogue des 35 ans : EPF Lorraine d'hier à aujourd'hui », juin 2008.

* 26 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, rapport CGEDD n° 010379-01, établi par Philippe Grand et Jérôme Peyrat.

* 27 Articles 191 et 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 28 Association nationale des EPF locaux, réseau national des EPF d'État, réseau national des aménageurs.

* 29 Décret n° 2017-1508 du 27 octobre 2017 relatif au transfert à l'établissement public Grand Paris Aménagement de droits et obligations de l'établissement public d'aménagement Orly-Rungis-Seine amont.

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