F. LA CONSTRUCTION PAR LA LOI D'UNE MEILLEURE GOUVERNANCE DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE PREND PROGRESSIVEMENT FORME

1. Le manque de recul empêche encore de dresser le bilan de la réforme de la gouvernance nationale

Bien qu'il ait maintenu certaines des instances existantes, le législateur de 2022 a décidé d'une importante réorganisation de la gouvernance nationale de la protection de l'enfance sous l'égide d'un nouveau GIP France enfance protégée (voir tableau ci-après). Après une édification plus lente - car peut-être plus complexe - que prévu, le GIP a été mis en service effectif en janvier 202387(*). La secrétaire d'État Charlotte Caubel a eu l'occasion de rappeler l'ampleur du chantier à la commission : « J'ai consacré beaucoup d'énergie au baptême du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée. [...] Il fallait donc mettre au monde ce GIP et établir son budget ; cet exercice m'a pris une bonne partie de l'été 2022. »88(*)

Si le GIP dispose désormais d'une convention constitutive approuvée, d'un bureau depuis l'assemblée générale constitutive du 5 janvier 2023, d'un budget de 11,2 millions d'euros, ainsi que d'un site internet et d'un logo, depuis le 9 juin 2023, il ne paraît pas encore pleinement opérationnel dès lors que les 120 postes, qui constitueront à terme son administration, ne sont pas encore tous pourvus. Son programme de travail pour 2023 est surtout tourné vers la structuration de son activité, y compris dans ses aspects les plus pratiques (aménagement des locaux du GIP, réorganisation des systèmes d'information, du budget et de la comptabilité, etc.).

Groupement d'intérêt public « France enfance protégée »

Composition : État, départements et collectivités territoriales à statut particulier compétentes sur ces questions. Possibilité pour d'autres personnes morales publiques ou privées d'y adhérer.

Financement conjoint par l'État, les départements et les collectivités à statut particulier.

Assure le secrétariat général des instances suivantes :

· Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP) demeurant inchangé ;

· Conseil supérieur de l'adoption (CSA) devenant le Conseil national de l'adoption (CNA) ;

· Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) comportant un collège des enfants et des jeunes protégés ou sortant de la protection de l'enfance

Assure les missions précédemment exercées par l'Agence française de l'adoption (AFA) dont l'existence en tant que GIP disparaît.

Absorbe les missions du Groupement d'intérêt public pour l'enfance en danger (Giped) qui disparaît :

· Gestion du Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger
- Snated (plateforme téléphonique « 119 ») ;

· Gestion de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE)

Met en oeuvre de nouvelles missions :

· Gestion du fichier national des agréments des assistants familiaux et maternels ;

· Gestion d'un centre national de ressources répertoriant les bonnes pratiques et des référentiels ;

· Promotion de la recherche et de l'évaluation dans ces domaines de compétences.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Les instances dont le GIP assure le secrétariat général sont également en cours de création. Après la désignation des nouveaux membres (cf. partie I supra), la secrétaire d'État Charlotte Caubel a pu installer officiellement le CNPE le 23 juin 2023. L'installation du nouveau CNA devrait intervenir en 2023 également.

Dans ce contexte, il est encore trop tôt pour tirer les enseignements de la réforme induite par l'article 36 de la loi du 7 février 2022. Le rapporteur ne peut que constater que l'architecture prévue sur le papier prend forme sans présager de la réussite concrète de la rationalisation prévue par la loi. Ainsi que l'écrit la présidente Florence Dabin, « ce schéma théorique est en cours d'ajustement dans la pratique, avec la nouvelle formation du CNPE, l'installation du CNA, et un début de travail commun entre les conseils ».

Cette « originalité administrative », selon les mots de Charlotte Caubel, devra réussir à faire vivre les différentes instances qu'il a la charge de chapeauter. Le défi reste de taille pour France enfance protégée et est bien identifié par Florence Dabin : « Ce “mécano” institutionnel devra cependant faire l'objet d'une attention particulière afin que soient lisibles les fonctions des instances consultatives que sont les conseils, et les instances propres du GIP qui est un opérateur appelé à produire directement une partie de la politique nationale en termes de services (avec le 119, pour l'adoption, pour l'accès aux origines), mais aussi à être l'institution ressource de référence pour l'ensemble des acteurs (avec l'ONPE centre de ressource notamment). Afin de disposer d'une gouvernance lisible, il faut garantir le périmètre de chaque instance [...]» La présidente insiste ainsi sur l'indépendance dont bénéficient les trois conseils dans leurs travaux, lesquels peuvent s'appuyer sur les fonctions support du GIP et ses ressources (statistiques, communicationnelles...) mis à leur disposition. En revanche, « les conseils sont des enceintes de réflexion et d'expression et ne doivent pas se substituer au GIP au plan opérationnel ».

La méthode instiguée par Florence Dabin s'appuie sur des échanges réguliers formalisés, d'une part, avec les associations, représentées au sein du troisième collège, qui souhaitaient être intégrées à la gouvernance ; d'autre part, avec les présidences des trois conseils nationaux. Le règlement intérieur du GIP, adopté le 13 juin 2023, prévoit ainsi une rencontre trimestrielle avec les présidences des trois conseils « afin de mieux les impliquer dans le fonctionnement de France enfance protégée ».

2. Jusqu'en 2022, une coordination des acteurs locaux hétérogène selon les départements

Tant en 2007 qu'en 2016, le législateur a souhaité favoriser une bonne coordination de la multitude d'acteurs intervenant en protection de l'enfance au niveau territorial. La loi de 2007 a ainsi créé les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). La loi de 2016 a obligé le directeur de l'enseignement scolaire à informer le conseil départemental en cas d'absentéisme ou de décrochage scolaire. Elle a prévu les protocoles établis « dans chaque département par le président du conseil départemental avec les différents responsables institutionnels et associatifs amenés à mettre en place des actions de prévention en direction de l'enfant et de sa famille » et a créé les protocoles pour l'accès à l'autonomie des jeunes dont il a déjà été fait mention. Enfin, la loi de 2016 a créé les commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec).

Le pilotage de la protection de l'enfance ne ressort pas nécessairement amélioré de ces innovations législatives et se trouve dans des situations très disparates selon les départements, ainsi que les différents rapports institutionnels ont su le mettre en exergue. La Cour des comptes a ainsi pointé que les ODPE n'ont pas su remplir leurs rôles de coordination des acteurs, non seulement parce que leur mise en place a été tardive et reste incomplète, mais aussi parce que « ces observatoires disposent généralement de faibles moyens humains, ce qui ne leur permet pas d'exercer leurs missions en conformité avec les dispositions du CASF et un fonctionnement pluri-institutionnel peine parfois à s'organiser ». Selon la Cour, les Cessec ont également été mises en oeuvre de manière très hétérogène et, lorsqu'elles existent, ne se réunissent pas aussi souvent que la loi l'a entendu.

Les mêmes constats de mise en place inégale s'appliquent aux différents protocoles prévus par les lois pour articuler l'action des services du département et de l'État déconcentrés - ainsi qu'il a été exposé plus en amont en ce qui concerne les protocoles d'accès à l'autonomie. Les difficultés de coordonner les services de l'éducation nationale avec les services de l'ASE ont par exemple été mentionnées en audition. De même, le CNPR souligne au rapporteur que la faible « coordination des services PJJ/ASE pour un mineur suivi au pénal et en assistance éducative est assez récurrente et la capacité de ces deux services à travailler ensemble et en bonne intelligence n'est pas une réalité ».

Enfin, si certains territoires ont su organiser une bonne coordination grâce à des instances quadripartites efficaces (département, tribunal judiciaire, parquets, service de la PJJ), les rapports entre les conseils départementaux et l'autorité judiciaire sont globalement insatisfaisants. Aux difficultés de nouer des relations pour traiter des cas délicats de manière concertée, que l'Igas et l'inspection générale de la justice (IGJ) exposent dans un rapport de 201989(*), s'ajoute une complexité liée aux juridictions des tribunaux judiciaires et des parquets qui ne correspondent pas nécessairement au ressort du département. Bien entendu, il ne faut toutefois pas négliger la présence de coordination informelle et pragmatique au quotidien.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes recommandait ainsi de « renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l'enfance en désignant le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et comme coordonnateur des services de l'État sur le territoire en matière de protection de l'enfance, en lien avec les autorités judiciaires ».

3. Une gouvernance locale que les comités départementaux de la protection de l'enfance doit revivifier

À l'initiative de l'auteur du présent rapport, l'article 37 de la loi du 7 février 2022 prévoit, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et le préfet. La loi a détaillé la composition des comités que les textes d'application ont complétée. Les CDPE ont pour ambition de coordonner les actions menées pour la protection de l'enfance dans le département, de définir des orientations communes et de prendre des initiatives, notamment en matière de prévention. Cette instance peut en outre se réunir pour traiter de situations individuelles complexes ou pour répondre de façon coordonnée à des incidents graves. À cette fin, le décret a prévu une formation restreinte.

Les dix premiers départements expérimentateurs ont été désignés en mars 2023 par décret et leur installation par la secrétaire d'État Charlotte Caubel a été inaugurée par la première réunion d'un CDPE dans le Pas-de-Calais, le 2 février 2023. Il ressort des travaux du rapporteur que la qualité de la coordination des acteurs a déterminé l'engagement des conseils départementaux dans l'expérimentation. Dans les départements volontaires, les instances préexistantes étaient généralement mises en sommeil et le CDPE a été perçu, à raison, comme une opportunité de faire (re)venir les acteurs autour de la table. Au contraire, le département des Hauts-de-Seine, n'ayant pas souhaité s'engager dans ce dispositif, a expliqué au rapporteur être satisfait de l'instance de coordination active déjà en place.

Le rapporteur constate qu'après un certain retard à l'allumage, l'expérimentation suit désormais son cours et fait l'objet d'une réelle appropriation par les départements volontaires qui y placent un vrai espoir d'améliorer le pilotage local de la protection de l'enfance. Les CDPE définissent de premiers sujets de travaux (voir encadré ci-après).

Le comité dans le département de la Somme

Mis en place le 17 avril 2023, le CDPE a défini les thèmes prioritaires sur lesquels il envisageait d'axer ses premiers travaux : le développement de prises en charge adaptées pour les enfants à besoins particuliers, le développement des solutions alternatives au placement à l'ASE, la structuration de l'offre sportive et culturelle, le renforcement de la lutte contre le décrochage scolaire, la promotion de l'accès aux droits et à la citoyenneté, le développement de l'axe santé, la réaffirmation des obligations éducatives parentales au sens pénal.

Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation. Ces comités devront éviter toute redondance avec d'autres instances actives (Cessec, commission d'accès à l'autonomie, ODPE, etc.). La DGCS a ainsi indiqué au rapporteur que les préfets des départements concernés ont reçu une instruction pour leur indiquer les thématiques à privilégier et pour leur enjoindre d'éviter les redondances avec d'autres structures. Le portage politique par le Gouvernement de cette expérimentation ne peut qu'être salué par le rapporteur, qui a bien noté la dimension prioritaire qu'elle revêt pour la secrétaire d'État90(*). La DGCS annonce également qu'un suivi poussé aura lieu sous la forme de remontées d'informations dès la fin 2023, ce que le rapporteur ne peut qu'encourager. Il est essentiel de mener des évaluations régulières du CDPE afin de constater si, à l'échéance des cinq ans d'expérimentation, sa généralisation est envisageable. Si tel est le cas, il conviendra aussi d'évaluer si le CDPE peut se substituer utilement à d'autres instances locales qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Proposition n° 2 : Conduire des évaluations récurrentes des comités départementaux de la protection de l'enfance pour déterminer si, au terme de l'expérimentation, les conditions de remplacement des instances existantes par ces comités seront réunies.

(GouvernementDGCS, DPJJ, préfets - et départements)


* 87 Cf. Partie I pour voir les publications de textes réglementaires.

* 88 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 89 Igas, IGJ, Délais d'exécution des décisions de justice en matière de protection de l'enfance, septembre 2019.

* 90 Voir le compte rendu de l'audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

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