N° 846

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « La France en Amérique du Sud, quelles relations avec ses voisins brésilien, surinamais et guyanien ? »,

Par Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. André VALLINI, Mme Catherine DUMAS, M. Philippe FOLLIOT et Mme Nicole DURANTON,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

Douze ans après la publication du dernier rapport consacré au Brésil par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées1(*), il était indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant ce dernier a connu d'importants bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d'extrême droite Jair Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus marquée de la société brésilienne, ont eu des répercussions importantes tant à l'intérieur des frontières du pays, en matières économique, sociale et environnementale, qu'en dehors, en raison de la place qu'il était parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux régional et international.

L'objectif de cette mission d'information était double :

- établir un bilan de la situation économique, sociale et politique du Brésil à l'amorce de la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes de possible renforcement de la relation bilatérale ;

- analyser les atouts et les défis que représente la présence de la France en Amérique du Sud, par l'intermédiaire du département de la Guyane, en mettant l'accent sur les relations qu'elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d'approfondissement de ces derniers.

I. BRÉSIL : LE RETOUR DE L' « IMPAVIDE COLOSSE »2(*) ?

A. LE BRÉSIL EST CONFRONTÉ À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1. Au plan économique, à la « décennie dorée » du début des années 2000 a succédé une « décennie perdue » des années 2010-2020

Au cours de la première décennie des années 2000, le Brésil a connu une amélioration significative de sa situation économique marquée notamment par un taux de croissance élevé (plus de 4 % en moyenne entre 2003 et 2011) et une baisse du taux de chômage de l'ordre de 30 %. Cette période s'est en outre caractérisée par une distribution plus équitable des revenus du travail.

À cette « décennie dorée » a toutefois succédé une « décennie perdue », avec une croissance annuelle de 0,6 % en moyenne au cours de la période. Celle-ci s'est également traduite par une dégradation des finances publiques brésiliennes : la dette publique devrait ainsi s'élever à 88 % du PIB en 2023, contre 61 % en 2011.

L'économie brésilienne est notamment pénalisée par une série de « handicaps » socio-économiques, communément appelés « coût Brésil » estimé à plus de 1 500 milliards de réaux.

2. Un pays fortement polarisé

Depuis la récession de 2015-2016, les inégalités et la pauvreté sont reparties à la hausse. Entre 2014 et 2021, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres a diminué de 8 %, tandis que celui des 10 % les plus riches a augmenté de 7,2 %. Par ailleurs, le Brésil compterait à l'heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la faim.

L'élection présidentielle des 2 et 30 octobre 2022, qui a vu le retour de Lula au pouvoir, a mis en lumière une société brésilienne profondément divisée entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste (travail, famille traditionnelle, religion, notamment évangélique) et celles portées par Lula et ses alliés (lutte contre les inégalités et les discriminations, dialogue, protection de l'environnement).

Une semaine après l'investiture du nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d'État militaire se sont ainsi introduits dans les bâtiments des trois pouvoirs (Congrès fédéral, Présidence et Tribunal suprême fédéral), se livrant à des actes de vandalisme.

3. La troisième présidence Lula entend tourner la page de l'ère Bolsonaro tout en s'inscrivant dans la continuité des deux premiers mandats

En rupture avec la politique menée par son prédécesseur, le Président Lula a fait de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités les priorités de son Gouvernement.

Ce volontarisme dans le domaine social s'est traduit par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats telles que les programmes « Bolsa Família » et « Minha Casa Minha Vida ».

Le nouvel exécutif a également annoncé la mise en oeuvre d'une importante réforme fiscale qui devra notamment permettre une réduction du « coût Brésil ».

Conformément aux promesses faites durant la campagne, le nouvel exécutif, qui s'est engagé à atteindre une déforestation nette nulle d'ici 2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la création d'un ministère de l'environnement ou encore la mobilisation de l'armée pour lutter contre l'orpaillage illégal.

Le Président Lula a également fait de la protection des peuples autochtones l'une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son discours d'investiture à révoquer « toutes les injustices commises à l'encontre des peuples autochtones ».

Le nouveau Gouvernement doit cependant composer avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité. L'unité nationale manifestée au lendemain du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition, devraient faciliter l'adoption de certaines réformes.

En matière environnementale cependant, le secteur de l'agro-négoce, bien représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel exécutif.


* 1 Rapport d'information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson, Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 22 juin 2011.

* 2 Expression figurant dans l'hymne national brésilien.