N° 723


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

N° 211


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 17 décembre 2024

 

Enregistré à la Présidence du Sénat
le 17 décembre 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la délégation parlementaire au renseignement

relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2023-2024

PAR

M. Cédric PERRIN, Sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Michel JACQUES,

Premier vice-président de la délégation

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Cédric PERRIN,

Président de la délégation

INFORMATION DU LECTEUR

La délégation parlementaire au renseignement, commune au Sénat et à l'Assemblée nationale, a été instituée par la loi n° 2007 1443 du 9 octobre 2007.

La délégation comprend huit membres, quatre députés et quatre sénateurs, et a pour mission d'exercer le contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement en matière de renseignement et d'évaluer la politique publique en ce domaine.

Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement sont couverts par le secret de la défense nationale.

Nonobstant leur souci de répondre à une légitime attente de transparence des citoyens, les membres de la Délégation parlementaire au renseignement sont soumis au respect du secret de la défense nationale.

C'est pour parvenir à concilier ces deux impératifs antagonistes qu'il a été décidé de produire un rapport public dans lequel les contenus classifiés sont masqués au moyen d'un signe typographique (*****) invariable quelle que soit l'ampleur des informations rendues ainsi illisibles.

*

* *

POUR EN SAVOIR +

• Consulter les activités de la délégation sur le site du Sénat :

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-parlementaire-au-renseignement.html

• Consulter les activités de la délégation sur le site de l'Assemblée nationale :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/delegations-comites-offices/delegation-renseignement

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La session 2023-2024 de la délégation a débuté au lendemain de l'attaque terroriste du Hamas perpétré le 7 octobre 2023 contre Israël. Cet embrasement sans précédent du conflit israélo-palestinien a entraîné le Moyen-Orient dans une crise durable et cruelle pour les civils, avec des morts et des otages français, mais aussi des conséquences indirectes sur le territoire national, les attentats d'Arras et de Bir Hakeim.

A cet état de tension et de volatilité géopolitique se sont ajoutés les développements nouveaux de la guerre en Ukraine, avec l'apparition de nouvelles alliances d'intérêt entre Russie, Iran et Corée du Nord, pays proliférateurs et proliférants, mais aussi d'une nouvelle posture de dissuasion nucléaire russe, présentée comme plus agressive.

Dans le même temps la succession des coups d'Etat au Mali, au Burkina Faso, puis au Niger, a conduit au retrait des forces françaises, avec pour conséquence une nécessaire adaptation des services de renseignement français.

Les crises internationales ne se succèdent plus. Elles sont multiples, concomitantes et surgissent par surprise. Derniers événements en date1(*), la dénonciation par le Tchad de l'accord de coopération de défense avec la France au lendemain d'une visite du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, mais aussi en Syrie le renversement en quelques jours du régime de Bachar al Assad en place depuis 24 ans, et après 13 années de guerre civile.

La question de la surprise se posait déjà en 2021 lorsque, sans prévenir, l'Australie dénonçait le contrat de fourniture par la France et Naval Group de 12 sous-marins pour rejoindre l'alliance AUKUS avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Que savions-nous ? Le message officiel était : « on ne s'espionne pas entre alliés »...

Que savions-nous des putschs en Afrique ? Que savions-nous de la décision de Poutine d'envahir l'Ukraine ?

Fin 2023, à l'entame des travaux de la délégation, ces questions sur la fonction de recueil de renseignement et d'appui aux autorités politiques des services se posaient avec d'autant plus d'acuité que la France s'engageait dans une année 2024 très fortement exposée avec en perspective une élection européenne et l'organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024 (JOP 2024), dans un contexte de montée en puissance des attaques cyber, des opérations de manipulation de l'information contre la réputation de la France et de la résurgence du risque d'attentat terroriste.

C'est pourquoi, il a paru important en termes de politique publique du renseignement de s'intéresser aux leçons de l'Ukraine et du Sahel. Non pour alimenter le « bashing » sur les services, mais au contraire pour comprendre et, le cas échéant, contribuer à améliorer les dispositifs : une bonne politique publique repose sur une bonne orientation des services de renseignement.

Autre sujet d'intérêt au coeur de la doctrine de défense française : le renseignement de contre-prolifération. Cette capacité est le pendant de la dissuasion car pour que le Président de la République puisse donner l'ordre nucléaire, les services doivent disposer d'un recueil de renseignement autonome et souverain. Par ailleurs, la question de la prolifération des armes légères a également été soulevée pour, là encore, se servir des leçons de la guerre en ex-Yougoslavie afin d'empêcher un afflux d'armes en provenance d'Ukraine.

Le fil rouge du suivi des enjeux d'actualité du renseignement a été la préparation, l'organisation et le retour d'expérience des JOP 2024, avec ce qui peut être qualifié de réussite des services français, sous réserve toutefois d'un axe d'amélioration à souligner en matière de lutte anti drone.

Enfin, l'actualité intérieure française a été marquée par la multiplication d'actes d'une extrême violence perpétrés par des organisations criminelles en lien avec le narcotrafic. La criminalité organisée était le thème principal du rapport d'activité pour l'année 2021-2022 sous la présidence de François-Noël Buffet. Une commission d'enquête sénatoriale conduite par Jérôme Durain, président, et Etienne Blanc, rapporteur, a mis en évidence les ramifications du narcotrafic dans tous les territoires, avec un risque de corruption au sein des institutions publiques que la délégation avait signalé. Il s'agit d'un enjeu crucial et urgent de politique publique du renseignement, à l'aune de l'examen prochain d'un projet de loi de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Ce rapport propose 28 recommandations réparties en 9 thématiques couvrant des champs aussi divers que la sincérité budgétaire des fonds spéciaux, la mutation du renseignement en Afrique, la bascule d'effort des services vers le flanc Est de l'Europe et l'Indopacifique, le renseignement de contre-prolifération, la pérennisation du retour d'expérience positif des JOP 2024, l'amélioration de la lutte anti-drone et contre les menaces hybrides (cf. infa tableau récapitulatif des principales recommandations).

Cédric PERRIN

Sénateur du Territoire de Belfort

Président de la délégation parlementaire
au renseignement (2023-2024)

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Réunie le mardi 17 décembre 2024 sous la présidence de M. Cédric Perrin, la délégation a procédé à l'examen de son rapport annuel d'activité.

Après une présentation par son président et un échange de vues, la délégation a adopté son rapport pour 2023-2024, en application de l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958.

Par ailleurs, elle a entendu, en application du VI de l'article 154 de la loi n°2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002 :

- le 15 mai 2024, la présentation par Mme Agnès Canayer du rapport de la Commission de vérification des fonds spéciaux sur les comptes de l'exercice 2022, adopté le 20 décembre 2023 ;

- le 23 janvier 2025, la présentation par M. Aurélien Rousseau du rapport de la Commission de vérification des fonds spéciaux sur les comptes de l'exercice 2023, adopté le 18 décembre 2024.

Les conclusions générales de ces deux rapports de la CVFS sont présentées en annexe du rapport de la délégation2(*).

* * *

Le présent rapport est composé de 3 chapitres et 4 annexes :

- le bilan d'activité de la délégation d'octobre 2023 à décembre 2024 dont l'objet retrace les réunions, auditions et déplacements de la délégation (Chapitre 1) ;

- les enjeux d'actualité liés à la politique publique du renseignement, avec des bilans synthétiques sur l'activité des services, sur la loi n° 2024-850 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, et sur la mise en oeuvre des traitements automatisés (Chapitre 2) ;

- le focus 2023-2024 de la délégation : la bascule d'effort des services de renseignement, le renseignement de contre-prolifération, le renseignement face au défi des JO 2024 (Chapitre 3) ;

- les rapports de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) portant sur l'exercice budgétaire 2022 (Annexe 1), et sur l'exercice budgétaire 2023 (Annexe 2) ;

- un compte rendu de la réunion des commissions parlementaires de contrôle et d'évaluation des services de renseignement organisée à Rome (28 et 29 novembre 2024) dans le cadre de la présidence italienne du G7 à laquelle se sont rendus MM. Cédric Perrin et Aurélien Rousseau (Annexe 3) ;

- un entretien sur les coulisses du renseignement de M. Cédric Perrin paru dans la revue des Cahiers français de juillet 2024 (Annexe 4)3(*).

RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
AU RENSEIGNEMENT

Recommandation sur la budgétisation des fonds spéciaux :

1. Appliquer la recommandation de la CVFS tendant à la présentation d'une estimation de dépense sincère du budget alloué aux fonds spéciaux lors du prochain projet de loi de finances.

Recommandations relatives à l'évaluation et à la prévention :

2. Instaurer une injonction de soin thérapeutique pour les individus souffrant de troubles psychologique ou psychiatrique.

3. Sensibiliser les maires à la possibilité de communiquer des informations ou des signalements au groupement d'évaluation départemental de leur ressort.

Recommandation relative au contrôle de la technique de recueil des données informatiques par la CNCTR :

4. Encadrer par la loi le futur dispositif de contrôle à distance par la CNCTR de l'exploitation des données issues du recueil de données informatiques par les services.

Recommandations relatives à la mutation du renseignement en Afrique :

5. Se doter d'une nouvelle doctrine pour maintenir les connaissances, savoirs et savoirs faire du renseignement français en Afrique.

6. *****

7. *****

8. *****

9. Bien que non encore documenté comme un foyer exogène de terrorisme, l'affaiblissement des pays du Sahel au profit d'une menace incarnée par le JNIM (affilié à Al-Qaïda) et l'Etat islamique (wilaya Sahel ; wilaya Afrique de l'Ouest) doit constituer un point de vigilance dans la mesure où la présence d'éléments francophones pourrait constituer une menace portée vers le territoire national.

Recommandations relatives à la bascule d'effort des services intégrant la Russie, l'Asie et le Moyen-Orient :

10. Développer de nouvelles barrières et entraves à la fourniture de la BITD russe.

11. *****

12. Bien que la prolifération d'armes légères en provenance d'Ukraine ne soit pas encore constatée, c'est un point de vigilance à considérer dès maintenant dans l'optique de la fin du conflit, pour prévenir la réapparition d'un phénomène analogue à la fin de la guerre en ex-Yougoslavie.

13. *****

14. *****

15. *****

16. *****

17. *****

Recommandations relatives au renseignement de contre-prolifération :

18. *****

19. *****

20. Améliorer le statut et les conditions de fidélisation des personnels ingénieurs et doctorants *****

Recommandations visant à doter la France de structures pérennes pour l'organisation des futurs événements internationaux, inspirées du retour d'expérience des JOP 2024 :

21. Pérenniser la méthodologie de cartographie de l'analyse des risques (ANR) élaborée à l'occasion des JOP 2024.

22. Capitaliser l'expérience acquise par le CNSJ et le CRO pour la coordination de la sécurité des grands événements en organisant la réactivation de telles structures, à adapter à chaque événement, sous la forme d'un Centre d'analyse des risques (CAR).

Recommandations relatives à améliorer la lutte anti drone :

23. *****

24. Mieux anticiper les commandes publiques à venir, via des retro-plannings intégrant des délais réalistes pour la rédaction des marchés, leur passation, ainsi que pour les phases de conception et de test des matériels commandés, prenant mieux en compte la complexité du sujet.

25. Envisager une pénalisation des vols de drones non autorisés dans les zones interdites sur le modèle de l'article 322-14 du code pénal relatif à la communication ou la divulgation d'une fausse information faisant croire à un sinistre et de nature à provoquer l'intervention inutile des secours.

26. *****

Recommandation dans le domaine des menaces hybrides :

27. Mettre en oeuvre les recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères (rapport n°739 (2023-2024)).

28. Renforcer le budget de l'Agence VIGINUM afin de lui assurer les effectifs nécessaires à son indispensable montée en puissance.

RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES DE LA COMMISSION DE VÉRIFICATION DES FONDS SPÉCIAUX

Recommandation pour l'exercice budgétaire 2022 :

Recommandation générale n° 22-01 (à l'attention de la Première ministre) : Rétablir une programmation budgétaire sincère et annuelle de la dotation en fonds spéciaux du programme 129 à compter du projet de loi de finances pour 2025, tenant compte des besoins de « resoclage » de la dotation de chacun des services.

Recommandation générale n° 22-02 : Établir pour chaque service un plan pluriannuel, au minimum triennal, d'expression des besoins en fonds spéciaux et de régulation des soldes annuels de trésorerie sur la base d'une estimation de fonds de roulement minimum.

Recommandation pour l'exercice budgétaire 2023 :

Recommandation générale n° 23-01 : Définir un niveau minimum de ***** pour chaque structure bénéficiaire de fonds spéciaux afin de garantir *****.

CHAPITRE IER
BILAN D'ACTIVITÉ
DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT
D'OCTOBRE 2023 À DECEMBRE 2024

I. UNE COMPOSITION PARTIELLEMENT RENOUVELÉE PAR DEUX FOIS

Au cours de l'année écoulée, la composition de la délégation parlementaire au renseignement s'est vue partiellement modifiée à deux reprises, à la suite du renouvellement sénatorial de septembre 2023, puis de celui de l'Assemblée nationale en juin 2024 suivi en septembre 2024 par l'installation du Gouvernement Barnier, qui a privé la délégation de deux de ses sénateurs membres.

Ø Conformément à l'article 6 nonies de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958, les présidents des commissions chargées des affaires de sécurité et de défense des deux chambres sont membres de droit de la Délégation. La présidence de la délégation est assurée, alternativement, pour un an, par un député ou un sénateur membre de droit.

En conséquence, à l'issue du renouvellement sénatorial, M. Cédric PERRIN, sénateur (LR) du Territoire de Belfort, a succédé, à la présidence de la Délégation, à M. Sacha HOULIE, député (Renaissance) de la Vienne.

Mme Gisèle JOURDA, sénatrice (SER) de l'Aude, a été désignée par le Président du Sénat pour siéger à la DPR en remplacement de M. Yannick VAUGRENARD, ancien sénateur.

La Délégation parlementaire au Renseignement était constituée, à compter du 26 octobre 2023, comme suit :

o M. Cédric Perrin, Sénateur LR, Président, membre de droit

o M. Thomas Gassilloud, Député Renaissance, Premier Vice-président, membre de droit

o Mme Gisèle Jourda, Sénatrice SER, Vice-présidente

o M. François-Noël Buffet, Sénateur LR, membre de droit

o Mme Agnès Canayer, Sénatrice LR

o Mme Caroline Colombier, Députée RN

o M. Sacha Houlié, Député Renaissance, membre de droit

o Mme Constance Le Grip, Députée Renaissance

La « représentation pluraliste » imposée par l'ordonnance susvisée est autant que possible respectée, compte tenu de la composition politique des deux chambres. La parité homme-femme est également équilibrée.

Ø Le renouvellement de l'Assemblée nationale, suite à sa dissolution le 9 juin 2024, a entraîné les modifications suivantes :

M. Jean-Michel JACQUES, député (EPR) du Morbihan, Président de la Commission de la défense et des forces armées, et M. Florent BOUDIE, député (EPR) de la Gironde, Président de la Commission des lois, sont devenus membres de droit de la Délégation pour l'Assemblée nationale, en remplacement de MM. Thomas GASSILLOUD et Sacha HOULIE.

La Présidente de l'Assemblée nationale a désigné comme membres de la Délégation, le 5 novembre 2024, Mme Caroline COLOMBIER, députée RN de la Charente, renouvelée dans ses fonctions, et M. Aurélien ROUSSEAU, député socialiste des Yvelines.

Ø Enfin, la nomination au Gouvernement de M. François-Noël BUFFET et de Mme Agnès CANAYER, le 21 septembre 2024, a entraîné leur démission du Sénat le 21 octobre 2024.

Mme Muriel JOURDA, sénateur LR du Morbihan, a succédé, le 23 octobre 2024 à M. François-Noël BUFFET à la tête de la Commission des lois du Sénat, devenant par là-même membre de droit de la DPR.

Le Président du Sénat a complété la Délégation en désignant, le 24 octobre 2024, Mme Catherine di FOLCO, sénatrice LR du Rhône.

Suite à la nomination de M. Jean-Michel JACQUES, député, comme Premier Vice-président (en remplacement de M. Thomas GASSILLOUD), la Délégation parlementaire au Renseignement était constituée, à compter du 13 novembre 2024, comme suit :

o M. Cédric Perrin, Sénateur LR, Président, membre de droit

o M. Jean-Michel Jacques, Député EPR, Premier Vice-président, membre de droit

o Mme Gisèle Jourda, Sénatrice SER, Vice-présidente

o Mme Catherine di Folco, Sénatrice LR

o Mme Muriel Jourda, Sénateur LR, membre de droit

o M. Florent Boudié, Député EPR, membre de droit

o Mme Caroline Colombier, Députée RN

o M. Aurélien Rousseau, Député socialiste

Cette nouvelle composition reflète l'évolution de la composition politique de l'Assemblée nationale en accordant un siège au groupe Socialistes et apparentés.

II. LA PERMANENCE DU CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DU RENSEIGNEMENT, MALGRÉ LES CONTRAINTES LIÉES AU RENOUVELLEMENT DES DEUX ASSEMBLÉES

Malgré les aléas du calendrier parlementaire occasionnées par le renouvellement du Sénat, en septembre 2023, la dissolution de l'Assemblée nationale, en juin 2024, et le départ d'un quart de ses membres pour participer au Gouvernement Barnier en septembre 2024, la délégation parlementaire au renseignement a maintenu une activité soutenue au cours de l'année écoulée, avec 25 réunions, dont 22 auditions ou entretiens au Sénat et six visites hors les murs en région parisienne, ainsi que deux déplacements à l'étranger.

Réunions de la DPR d'octobre 2023 à décembre 2024

Jeudi 26 octobre 2023 :

Reconstitution du Bureau de la DPR

Reconstitution de la CVFS

Echange de vues sur le programme de travail

Audition du général Philippe SUSNJARA, Directeur du renseignement et de la sécurité de la défense

Mardi 14 novembre 2023 :

Audition de M. Pascal MAILHOS, Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Jeudi 18 janvier 2024 :

Audition de Mme Céline BERTHON, Directrice générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Jeudi 25 janvier 2024 :

Déplacement à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en présence de M. Nicolas LERNER, directeur général

Jeudi 15 février 2024 :

Déplacement à la Direction du renseignement militaire (DRM) en présence du Général Jacques LANGLADE DE MONTGROS, directeur

Jeudi 29 février 2024 :

Déplacement au Centre du renseignement olympique (CRO) et à la Coordination nationale pour la sécurité des jeux olympiques et paralympiques (CNSJ) en présence du Préfet Thierry MOSIMANN et de M. Olivier METIVET

Jeudi 7 mars 2024 :

Déplacement au Commissariat à l'énergie atomique - Direction des applications militaires (CEA-DAM) en présence de M. Vincenzo SALVETTI, directeur

Mardi 12 mars 2024 :

Audition de M. Alban GENAIS, Directeur par intérim de TRACFIN

Jeudi 14 mars 2024 :

Visite de M. Cédric PERRIN, Président, et de Mme Gisèle JOURDA au Groupement interministériel de contrôle (GIC)

Mercredi 20 mars 2024 :

Entretien de M. Cédric PERRIN avec M. Hugues BRICQ, Directeur du renseignement à la Préfecture de police

Jeudi 21 mars 2024 :

Audition de M. Christian CHARPY, Président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, et de M. Emmanuel GLIMET, Conseiller-maître et Président de section

Jeudi 4 avril 2024 :

Audition de M. Sébastien TIRAN, Directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

Audition de M. Gérald DARMANIN, Ministre de l'intérieur et des outre-mer

Mercredi 15 mai 2024 :

Audition de M. Stéphane BOUILLON, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN)

Audition de M. Serge LASVIGNES, président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)

Présentation du rapport 2023 (sur les comptes de l'exercice 2022) de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS)

Mardi 21 mai 2024 :

Audition de M. Alexandre VULIC, Directeur adjoint des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Mercredi 22 mai 2024 :

Audition de M. Antoine MAGNANT, Directeur de TRACFIN

Mardi 11 juin 2024 :

Audition de M. Jean-François GAYRAUD, Directeur de l'Académie du Renseignement

Audition de Mme Camille HENNETIER, Cheffe du Service national de renseignement pénitentiaire (SNRP)

Mercredi 25 septembre 2024 :

Entretiens du Président de la DPR avec M. Pascal CHAUVE, Directeur du Groupement interministériel de contrôle (GIC) et avec des représentants de la DGSE4(*).

Mardi 22 octobre 2024 :

Entretien du Président de la DPR avec M. Thierry MOSIMANN, Coordinateur national pour la sécurité des jeux olympiques et paralympiques, et M. Olivier METIVET, responsable du Centre de renseignement Olympique (CRO)5(*).

Mercredi 23 octobre 2024 :

Accueil par M. Cédric PERRIN de la promotion 2024 des auditeurs du cycle supérieur de l'Académie du Renseignement.

Mardi 12 novembre 2024 :

Visite de M. Cédric PERRIN et de Mme Gisèle JOURDA au groupement d'évaluation départemental de la Préfecture de police (GED75).

Mercredi 13 novembre 2024 :

Reconstitution du Bureau de la DPR

Reconstitution de la CVFS

Audition de M. Serge LASVIGNES, Président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)

Audition de M. Nicolas LERNER, Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE)

Mercredi 20 novembre 2024 :

Audition de M. Stéphane BOUILLON, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de M. Marc-Antoine BRILLANT, chef de VIGINUM

Mardi 26 novembre 2024 :

Audition de M. Pascal MAILHOS, Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Jeudi 5 décembre 2024 :

Audition de M Thierry MATTA, directeur général adjoint de la sécurité intérieure

Mardi 17 décembre 2024 :

Examen du rapport 2023-2024 de la Délégation parlementaire au renseignement

La délégation a par ailleurs effectué :

- Un déplacement au Qatar et en Jordanie, du 17 au 22 avril 2024 de M. Cédric Perrin, Mmes Gisèle Jourda, Agnes Canayer et Caroline Colombier ;

- Un déplacement à Rome, les 28 et 29 novembre 2024 de M. Cédric Perrin et M. Aurélien Rousseau, à la réunion des commissions parlementaires sur le renseignement6(*).

III. LES THÈMES DE TRAVAIL DE L'ANNÉE ÉCOULÉE

La Délégation s'était fixé les thèmes de travail suivants :

· Les leçons de l'Ukraine et du Sahel pour la politique publique du renseignement : Ce sujet résulte d'une demande exprimée par le Président du Sénat, à la suite de l'attaque terroriste du Hamas, pour engager une « vraie réflexion [...] avec la délégation parlementaire au renseignement » sur le rôle des services de renseignement en Ukraine et en Afrique7(*). Ce thème a ainsi permis de revenir sur la chronologie des événements, les éventuels défauts d'analyse et, à partir d'un retour d'expérience partagé avec les services (notamment la DGSE et la DRM), d'aborder leurs projets de réorganisation et leurs objectifs d'amélioration des outils humains et techniques d'anticipation et de préservation de la capacité autonome de décision de la France. Un tel travail analytique mais aussi prospectif peut ainsi contribuer à prévenir de futures situations de crise en Afrique, au Moyen-Orient et en Indopacifique (Taïwan notamment), et nourrir la réflexion sur un repositionnement stratégique des services de renseignement.

· Le sujet de la contre-prolifération, qui n'avait encore jamais été traité par la délégation, lui a permis de s'intéresser au renseignement relatif à la prolifération et à la dissémination des armes nucléaires et conventionnelles8(*). Sur le plan extérieur, il s'agissait de s'assurer des moyens mis en oeuvre en matière de surveillance des menaces nucléaires actuelles ou à venir de pays dotés, détenteurs ou en passe de l'être (Russie, Chine, Pakistan, Corée du Nord et Iran) par la DGSE, la DRM et le CEA-DAM. Sur le plan intérieur, la guerre en Ukraine apparaît en passe de devenir une source de trafic d'armes plus importante que dans la période post-Yougoslavie, la DGSI étant en charge de la lutte contre la prolifération des armes.

· La DPR a accordé une attention toute particulière au défi de sécurité nationale représenté par les JO 2024.

· Enfin, la DPR a entendu plusieurs autorités de contrôle dont la Cour des comptes et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

IV. LES DOCUMENTS TRANSMIS À LA DÉLÉGATION

En application de la loi, la délégation est chaque année destinataire du rapport annuel d'activité des services spécialisés de renseignement et des services mentionnés à l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, ainsi que du rapport annuel de synthèse exhaustif des crédits consacrés au renseignement.

Une synthèse intermédiaire du rapport annuel d'activité des services a été transmise à la Délégation parlementaire au renseignement en juin 2024. Ce rapport était assorti de fiches de suivi des recommandations de la DPR, synthétisées au V ci-après. La version finale du rapport, analysée au chapitre 2, I ci-après, a été remise à la délégation le 5 décembre 2024

Le 14 novembre 2024 a été communiquée au président de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) la note annuelle sur la gestion des fonds spéciaux et le suivi des recommandations de la CVFS.

Le CRO a transmis le 24 octobre 2024 le document « Retour d'expérience du centre de renseignement olympique (CRO) et du Centre de coopération internationale (CCI) ».

La Délégation a été destinataire, en septembre 2024, du bilan de la mise en oeuvre, sur les réseaux des opérateurs, des traitements automatisés, dits « algorithmes », aux fins de détection des menaces terroristes, autorisés par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure9(*). Ce rapport, dont la DPR s'est félicité de la transmission et de la qualité compte tenu du sujet particulièrement sensible, fait l'objet d'un développement au Chapitre 3, IV ci-après.

Par un courrier du 2 août 2024, le vice-président du Conseil d'Etat, M. Didier-Roland TABUTEAU, a transmis au Président de la DPR des éléments statistiques sur l'activité de la formation de la section du Conseil spécialisée en matière de contentieux des techniques de renseignement et de fichiers intéressant la sûreté de l'Etat.

Le 18 décembre 2023, le CNRLT a transmis la liste des rapports de l'Inspection des services de renseignement (ISR) publiés au second semestre 2023 :

- Evaluation du rôle et du fonctionnement des dispositifs d'inspection et d'audit interne des services de renseignement (17 juillet 2023)

- Evaluation de la préparation des services de renseignement et de la coopération inter-services dans la perspective des JOP 2024 (4 septembre 2023).

En outre, durant l'année 2024, deux rapports ont été établis par l'ISR :

- Enquête administrative sur les difficultés de fonctionnement rencontrées par Tracfin ;

- Le renseignement d'origine sources ouvertes.

Par ailleurs, la Cour des comptes a effectué une communication au Gouvernement sur son rapport relatif à la fonction renseignement de la DNRED.

Enfin, le CNRLT a informé la délégation que la validation de la nouvelle stratégie nationale du renseignement interviendrait au premier trimestre 2025.

V. LE SUIVI DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT ÉMISES SUR LA PÉRIODE 2020-2023

Ø Recommandations figurant au rapport 2020-2021

Complètement prise en compte

13

17

Partiellement prise en compte

1

En cours de prise en compte

3

Non prise en compte

2

2

Non cotée

1

1

TOTAL

20

20

Ø Recommandations figurant au rapport 2021-2022

Complètement prise en compte

7

9

Partiellement prise en compte

2

En cours de prise en compte

0

Non prise en compte

0

0

Non cotée

1

1

TOTAL

10

10

Ø Recommandations figurant au rapport 2022-2023

Complètement prise en compte

7

16

Partiellement prise en compte

2

En cours de prise en compte

7

Non prise en compte

4

4

Non cotée

2

2

TOTAL

22

22

*

* *

CHAPITRE 2 : LES ENJEUX D'ACTUALITÉ LIÉS À LA POLITIQUE PUBLIQUE DU RENSEIGNEMENT

I. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS SUR LE RAPPORT ANNUEL D'ACTIVITÉ DES SERVICES

A. LES MOYENS DES SERVICES

Le rapport annuel d'activité des services de renseignement de l'exercice 2023 a été élaboré par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et remis à la délégation lors de l'audition du CNRLT le 5 décembre 2024.

Celui-ci présente les chiffres clés de l'activité des services à commencer par les moyens consacrés au renseignement. Ils se décomposent en deux catégories de crédits :

- les fonds normaux votés en loi de finances au sein de 14 programmes budgétaires10(*) concourant à la politique publique du renseignement dont le total des dépenses s'est établi à 3,1 Mds€ en 2023 contre 3 Mds€ en 2022 et 2,77 Mds€ en 2021. Cette hausse, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, devrait être appelée à croitre encore plus si la trajectoire de la LPM 2024-2030 est respectée (+ 5Mds€ sur la période) et, de manière plus certaine, en vue des opérations de changement de siège de la DGSE et de la DGSI ;

- les fonds spéciaux, issus des crédits du programme 129, dont les dépenses ont également augmenté depuis l'année 2022 où elles ont atteint *****. Depuis, l'usage de ces fonds ne cesse de progresser : *****. Dans le même temps la dotation initiale est restée invariablement la même (75,9 M€) depuis 2021. La CVFS regrette chaque année que la budgétisation en loi de finances soit insincère puisque les abondements en cours d'exercice sont récurrents et prévisibles.

En données publiques figurant dans les annexes aux lois de finances et aux lois de règlement, la sous-budgétisation constatée en 2022 et 2023 entre la prévision et l'exécution des crédits est accentuée dans le projet de loi de finances pour 2025 en s'établissant à 71,9 M€ (cf. tableau ci-après).

Évolution de la dotation et de l'exécution des crédits de fonds spéciaux

2022

2023

2024

2025

LFI*

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

75 976 462

101 259 770

75 976 462

102 126 462

75 976 462

/

71 924 802

/

* Loi de finances initiale

Source : DPR d'après les annexes aux lois de finances pour 2022, 2023, 2024, 2025 et aux lois de règlement pour 2022 et 2023

Compte tenu de la persistance constatée par la CVFS d'une estimation de besoins de l'ordre de ***** annuel pour les années *****, la délégation réitère sa recommandation tendant à réévaluer l'enveloppe des crédits en fonds spéciaux du programme 129 à un niveau conforme au principe de sincérité de la prévision budgétaire.

Recommandation sur la budgétisation des fonds spéciaux :

1. Appliquer la recommandation de la CVFS tendant à la présentation d'une estimation de dépense sincère du budget alloué aux fonds spéciaux lors du prochain projet de loi de finances.

B. L'ACTUALITÉ DU RENSEIGNEMENT

Les sujets d'intérêt portés par les services au cours de l'année 2023 ont principalement porté sur leur capacité d'adaptation à la multiplication des crises internationales en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. L'impact et les enseignements pour les services est que cette situation de forte sollicitation des ressources (imagerie, capacités techniques, ressources en analyste, etc.) est appelée à durer.

Le chef de filât de la DGSI en matière anti-terroriste est rappelé par la CNRLT avec une attention plus particulière, et nouvelle, accordée à l'échelon territorial avec une information régulière du procureur de la République et du préfet, ce dernier pouvant réunir à sa demande les représentants locaux de la DNRT, de la DRPP et de la DGSI.

A cet égard, le président de la délégation souligne qu'il s'est rendu à une réunion du groupe d'évaluation départemental (GED) de la Préfecture de police. Plusieurs constats ont pu être faits quant au taux important (15 à 20 %) d'individus radicalisés en situation de trouble psychiatrique, sans suivi thérapeutique. Plusieurs recommandations sont remontées de ces échanges.

Recommandations relatives à l'évaluation et à la prévention :

2. Instaurer une injonction de soin thérapeutique pour les individus souffrant de troubles psychologique ou psychiatrique.

3. Sensibiliser les maires à la possibilité de communiquer des informations ou des signalements au groupement d'évaluation départemental de leur ressort.

Par ailleurs, plusieurs enjeux juridiques sont en chantier sous l'égide de la CNRLT :

- le déploiement d'une stratégie d'influence européenne et internationale ;

- la réflexion sur la problématique du chiffrement généralisé des communications ;

- la définition d'un calendrier et d'une méthode pour instaurer une capacité de contrôle à distance par la CNCTR de l'exploitation des données issues de la mise en oeuvre de la technique de recueil des données informatiques et une simplification pour les services de renseignement de l'exploitation des interceptions de sécurité. A cet égard, la délégation rappelle qu'elle soutient cette demande de la CNCTR, qu'elle avait proposé d'encadrer par la loi lors de la discussion de la LPM 2024-2030. Elle appelle de ses voeux une traduction législative de ces évolutions dans le cadre d'un prochain projet de loi sur le renseignement en tenant compte du calendrier de développement du projet par les acteurs concernés : le GIC et, à le stade, la DGSI et la DGSE ;

- enfin, les services du second cercle ont été autorisés par un arrêté du Premier ministre à recourir à une identité d'emprunt dans l'exercice de leurs missions dans les conditions prévues par l'article L.861-2 du code de la sécurité intérieure qui n'avait jusque-là été mis en application que pour les services du premier cercle.

Recommandation relative au contrôle de la technique de recueil des données informatiques par la CNCTR :

4. Encadrer par la loi le futur dispositif de contrôle à distance par la CNCTR de l'exploitation des données issues du recueil de données informatiques par les services.

II. LA LOI N° 2024-850 DU 25 JUILLET 2024 VISANT À PRÉVENIR LES INGÉRENCES ÉTRANGÈRES EN FRANCE

La loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France entend renforcer le dispositif de lutte contre une menace avérée et potentiellement déstabilisatrice pour notre pays : l'action hostile d'États destinée à peser sur les décisions publiques ou l'opinion publique française au service de leurs propres intérêts. Elle est directement issue des travaux de la délégation parlementaire au renseignement et de son rapport d'octobre 2023 dont les principales conclusions ont été reprise dans la proposition de loi déposée par Sacha Houlié en février 2024. Adoptée définitivement le 5 juin, la loi n'a été publiée que le 26 juillet11(*) en raison de l'examen de deux saisines successives du Conseil constitutionnel, celles-ci ayant été jugée irrecevables car déposées après la dissolution de l'Assemblée nationale.

Comme le soulignait le rapport de la délégation parlementaire au renseignement d'octobre 2023, si les ingérences étrangères ont toujours existé, la menace qu'elles représentent « est devenue protéiforme, omniprésente et durable »12(*). Plurielles, les ingérences étrangères peuvent prendre trois formes distinctes :

· classiques : relevant de l'espionnage - y compris économique, ces opérations d'ingérence sont généralement conduites par les services de renseignement extérieur des États concernés « et visent principalement à la captation d'informations stratégiques ou sensibles »13(*) ;

· modernes : l'espace cyber ou le domaine spatial constituent à cet égard de nouveaux domaines dans lesquels des États étrangers particulièrement offensifs dans leur stratégie d'ingérence peuvent conduire des opérations ;

· hybrides : des opérations d'influence - ou de « sharp power » - et de manipulation de l'information peuvent viser à terme l'affaiblissement des institutions démocratiques des États victimes, en particulier en période électorale, dont la France fait partie, comme l'ont montré les Macron leaks en 2017.

À cadre juridique constant, la capacité de résistance de la France aux mutations de cette menace ne paraît aujourd'hui plus garantie. En particulier, la conduite d'opérations hybrides sur notre sol exploitant les failles d'un cadre juridique libéral, pensé pour nos concitoyens et non pour des tentatives de déstabilisation concertées conduites par des puissances étrangères, doit nous amener à renforcer ce dernier.

À cet égard, le chemin du législateur n'est pas dépourvu d'obstacles : si l'influence ne peut être assimilée à l'ingérence étrangère, les deux notions ne paraissent pas imperméables. Comme le rappelle le rapport de la délégation parlementaire au renseignement précité, « bien que leurs finalités ne soient pas comparables, il existe néanmoins des porosités entre influence et ingérence, une zone grise voire un continuum en ce sens que l'influence peut aussi préparer le terrain à des actions d'ingérence. » L'inaction étant exclue, l'on ne peut néanmoins que se féliciter que le législateur s'engage sur ce chemin de crête.

La loi complète notre cadre juridique à trois égards.

Elle vise d'abord à garantir une meilleure transparence sur les agissements de certains acteurs susceptibles d'agir pour le compte d'une puissance étrangère dans le cadre d'une opération d'ingérence. Cette transparence serait mieux garantie à trois niveaux.

En premier lieu, l'article 1er rend plus transparentes les activités d'influence réalisées pour le compte d'un mandant étranger. Il prévoit à cette fin la constitution d'un répertoire, tenu et rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), des représentants d'intérêts qui, pour le compte d'un mandant étranger, influencent la décision publique, réalisent toute action de communication à destination du public ou collectent des fonds sans contrepartie. Le fait pour un tel représentant d'intérêts de ne pas se soumettre à l'inscription obligatoire à ce registre sera puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. L'article 2 complète le contrôle de la HATVP pour les reconversions professionnelles.

En deuxième lieu, l'article 3 tend à mieux garantir la transparence du financement des laboratoires d'idées ou think tanks « qui réalisent des analyses ou des expertises sur tout sujet en lien avec une politique publique nationale ou en matière de politique étrangère » et des organismes éducatifs publics travaillant avec un partenaire étranger pour l'enseignement d'une langue étrangère ou la promotion des échanges culturels, qui sont désormais tenus de transmettre à la HATVP la liste des dons et versements reçus de la part de toute puissance ou personne morale étrangère.

Enfin, afin de compléter l'information du Parlement sur l'état d'une menace par nature mouvante, l'article 4 prévoit la remise bisannuelle au Parlement d'un rapport du Gouvernement sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, notamment s'agissant des « menaces résultant d'ingérences étrangères ».

Le cadre ainsi posé s'accompagne de nouveaux moyens pour l'administration et la justice de lutter contre les ingérences.

L'article 6 tend à étendre aux cas d'ingérences étrangères, pendant un délai de quatre ans à compter de la promulgation de la loi, l'usage par les services de renseignement de la technique dite de « l'algorithme ».

L'article 7 tend à ouvrir la possibilité de geler les avoirs des personnes physiques ou morales pratiquant des actes d'ingérences étrangères. En droit positif, l'administration a en effet la possibilité de geler les avoirs de personnes physiques ou morales « qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent »14(*). Cet article étend ainsi cette faculté aux personnes pratiquant des actes relevant de l'ingérence étrangère, dont il tend au surplus à donner une définition.

Enfin l'article 8, inséré à l'initiative de la rapporteure du Sénat, Agnès Canayer, prévoit une circonstance aggravante en cas d'infraction commise pour le compte d'une entité étrangère et autorise le recours aux techniques spéciales d'enquête.

Cette loi est applicable à l'ensemble du territoire du la République.

III. BILAN DE LA MISE EN oeUVRE DES TRAITEMENTS AUTOMATISÉS (ALGORITHMES)

La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement a pérennisé le recours à la technique de l'algorithme dans la lutte antiterroriste et prévu la remise d'un rapport au Parlement, au plus tard le 31 juillet 2024, sur le bilan de la mise en oeuvre, sur les réseaux des opérateurs, des traitements automatisés (algorithmes) aux fins de détection des menaces terroristes permis par l'article L. 851 du code de la sécurité intérieure.

Ce rapport a été transmis à la DPR et donné lieu à l'audition du GIC et de la DGSE le 24 septembre 2024. Depuis 2017 cinq algorithmes ont été autorisés dont *****. Le rapport montre la capacité de ces instruments à mettre en évidence, sous réserve de la capacité à déterminer des événements normés caractéristiques d'un comportement porteur de risque, des situations parfois difficilement détectables.

Rappel du cadre juridique de la technique des algorithmes et éléments de bilan

Créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement (article L.851-3 du code de la sécurité intérieure), la technique dite de l'algorithme vise à détecter, sur les réseaux des opérateurs, des comportements, téléphoniques ou numériques, caractéristiques d'organisations et de cellule terroristes (déplacements, relations entre des identifiants inconnus et des identifiants susceptibles de porter un menace).

o Le dispositif a été mis en oeuvre en fin d'année 2017, après deux années de développement technique ;

o Depuis, 5 algorithmes ont été autorisés après avoir fait l'objet d'un avis favorable de la CNCTR ;

o ***** ;

o ***** ;

o La loi précitée du 30 juillet 2021 a pérennisé le dispositif ;

o Le périmètre des données concernées, ***** ;

o Le traitement des données relève du GIC et celui-ci est chargé d'effectuer les tests préalables au contrôle et à la validation par la CNCTR ;

La loi du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France a étendu les finalités de l'algorithme à la prévention des ingérences étrangères et des cybermenaces.

Les auditions conduites ont *****. Par ailleurs *****.

S'agissant de ***** :

- pour ***** ;

- pour *****.

Ces résultats *****.

La DPR note la maîtrise du GIC sur l'élaboration et la précision croissante des algorithmes. Elle relève que cette précision pourra être accrue par le recours au périmètre de données élargi par la loi de 2021 et la CNCTR. Elle se félicite par ailleurs de la robustesse du processus de contrôle mis en place, lequel pourrait être allégé sur un point pour rationaliser la procédure actuelle qui impose un double avis de la CNCTR, d'abord sur l'autorisation initiale de l'algorithme, puis sur chaque autorisation individuelle de levée de l'anonymat.

L'extension de l'algorithme pour prévenir les ingérences étrangères et les menaces pour la défense nationale, permise par la loi du 25 juillet 2024, appellera un nouvel examen de l'efficacité de ce dispositif dans le cadre d'un dialogue avec les parties prenantes.

CHAPITRE 3 : LES FOCUS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT SUR L'ÉVALUATION DE LA POLITIQUE PUBLIQUE DU RENSEIGNEMENT

I. QUEL REPOSITIONNEMENT STRATÉGIQUE POUR LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT À LA LUMIÈRE DES LEÇONS DE L'UKRAINE ET DU SAHEL ?

A. LE RENSEIGNEMENT UTILE À L'ANTICIPATION DIPLOMATIQUE ET POLITIQUE D'ÉVÉNEMENTS STRATÉGIQUES : UN EXERCICE DIFFICILE

Lorsque le 15 septembre 2021, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie annoncent la conclusion d'un pacte de sécurité AUKUS qui a pour conséquence l'éviction du contrat de fourniture par la France de 12 sous-marins d'attaque à propulsion conventionnelle de Naval Group, la surprise semblait totale pour les autorités françaises. La question se reposait le 24 février 2022 alors que la Russie attaquait l'Ukraine : disposions-nous de renseignements pour anticiper ces événements stratégiques ? Autre question : dans quelle mesure la France est-elle en mesure de conserver un pouvoir de décision autonome ?

L'attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 appelle à l'humilité. Comme l'a rappelé le Directeur du renseignement militaire, le renseignement est une mission infinie avec des moyens finis. Le rôle des services est de « diminuer le niveau d'incertitude » par des sources, des recoupements et des analyses.

1. L'attaque de l'Ukraine : que savions-nous ?

C'est en cela que, pour tordre le cou au « bashing » sur le renseignement, la délégation s'est intéressée aux leçons de l'Ukraine et des coups d'Etat successifs au Sahel qui ont abouti à la rupture des relations entre la France et le Mali, le Burkina Faso et le Niger. En termes de politique publique, l'enjeu d'une bonne compréhension de ces événements et de ce que nos services pouvaient « faire remonter » est riche d'enseignement pour orienter ou réorienter le travail des services.

Le cas des prémices et du déclenchement de la guerre en Ukraine est symptomatique de la complexité du recueil, de l'analyse, du recoupement et de la coopération avec les alliés, ceux-ci ayant leurs propres intérêts à défendre. Aussi, dire que les Américains et les Britanniques « savaient », et pas la France, est réducteur. La chronologie que la délégation a reconstituée ci-dessous illustre la complexité de l'exploitation du renseignement au regard des choix politiques.

Chronologie du déclenchement de la guerre en Ukraine
sous l'angle du renseignement

- Printemps 2021 : montée des tensions suite à la rupture des accords de Minsk, consécutive à la reconnaissance par le président russe Vladimir Poutine, le 21 février 2022, de l'indépendance des territoires séparatistes prorusses ;

- Été 2021 : la DGSE renforce ses moyens par une bascule d'effort sur la Russie et l'organisation Wagner ;

- Septembre-octobre 2021 : des mouvements militaires sont caractérisés dans le cadre de l'exercice militaire Zapad avec en première analyse la recherche d'une pression diplomatique pour préparer l'intégration des territoires séparatistes, sans toutefois de renseignement sur une opération massive ;

- Novembre 2021 : les Etats-Unis et le Royaume-Uni évoquent publiquement la perspective d'une attaque ;

- Janvier 2022 : le renseignement français documente la possibilité d'une attaque mais ne dispose pas d'éléments avérés sur une intention. Des plans sont connus mais sans éléments de décision. L'évaluation de la DGSE est qu'à ce stade une attaque massive russe serait « extrêmement risquée » compte tenu des capacités ukrainiennes et des faiblesses russes que le commandement a dissimulées au Président russe ;

- 20 Février 2022 : la DGSE envisage la possibilité du passage à l'acte, sans disposer de partage des renseignements que détiendraient les américains et britanniques. Ces derniers, à l'avant-veille de l'attaque, ne disposaient encore ni de la décision, ni de la date ;

- postérieurement, on comprend qu'un accès technique américain a pu mettre au jour la présentation de la planification de l'attaque qui s'est faite dans un cercle très restreint autour de Poutine, sans que ni le ministre des affaires étrangères Lavrov, ni les commandants militaires n'en soit informés.

Source : auditions de la DPR

Que retenir de cette chronologie :

- d'abord que la France disposait par la DRM et la DGSE d'une connaissance de la situation tactique autonome de nos alliés américains et britanniques, tant sur les manoeuvres russes que sur les moyens ukrainiens ;

- en deuxième lieu, que les services disposaient d'éléments sur la potentialité d'une attaque russe, mais contrebalancée par une analyse de risque en défaveur de l'attaque ;

- ensuite les Américains et les Britanniques ont choisi de communiquer sur l'imminence d'une attaque très tôt, vraisemblablement avant de disposer d'éléments de recoupement, dans le cadre d'une posture politique différente de celle de la France, laquelle privilégiait alors la diplomatie ;

- enfin la part d'irrationalité dans la prise de décision par le Président Poutine et le cercle très restreint de la prise de décision illustre la difficulté de disposer de sources humaines et techniques en pareil cas.

2. Pouvions-nous prévenir le renversement des régimes au Mali, au Burkina Faso et au Niger ?

Des échanges avec la DGSE et la DRM, il ressort que le contexte et l'enchaînement des coups d'Etat successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger relève d'une toute autre analyse que celle précédemment faite sur le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine.

Avec près de 220 coups d'Etat en Afrique en 70 ans, les services constatent d'abord une faiblesse structurelle des régimes considérés, avec ensuite une part importante d'initiative personnelle dans les putschs, dont les auteurs sont parfois inconnus ou extérieurs à la haute hiérarchie militaire ou politique.

Les pouvoirs en place jouissent d'une faible légitimité mais toute la difficulté est de savoir à quel moment ceux-ci sont susceptibles d'être renversés. La chronologie ci-dessous décrit le niveau de connaissance et d'appréciation des événements.

Un autre exemple est la répétition des coups d'Etats dans les pays du Sahel partenaires de la France dans l'opération Barkhane, où l'on a pu se demander si ces renversements de régimes auraient pu être prévus et évités.

La chronologie de ces putschs est instructive quant à la volatilité des régimes face à des renversements de situation parfois improvisées.

Chronologie des coups d'État successifs au Mali, Burkina Faso et Niger

1) Mali : deux coups d'Etat successifs en 2020 et 2021

Trois coups d'État ont déjà eu lieu depuis l'indépendance du pays (1968, 1991 et 2012) lorsqu'en 2020 la situation politique se détériore après une séquence électorale contestée sur fond de crise sécuritaire pérenne et érode la légitimité du président Ibrahim Boubacar Keïta et sa capacité à résoudre cette crise aux yeux de certains cadres militaires. Deux putschs auront lieu en moins d'un an en 2020 puis en 2021 :

- 18 août 2020 : le Colonel Assimi Goïta dépose le président Keïta. Les services posaient une analyse établissant la vraisemblance théorique de la survenance d'une tentative de renversement du régime au regard, notamment, de la déliquescence du régime et disposaient de renseignements sur une intention de putsch mais non recoupée par un complot. L'analyse était que le coup d'Etat était peu structuré, peu préparé et que le pouvoir est tombé de sa propre faiblesse.

- 24 mai 2021 : le Colonel Assimi Goïta, vice-président, renverse le président de transition Bah N'Daw. Pour ce second putsch, la DGSE dispose de renseignements sur l'intention putschiste en amont des événements, *****.

2) Burkina Faso : le putsch d'un capitaine en 2022

- 10 janvier 2022 : le régime annonce avoir déjoué un projet de coup d'Etat contre le président Kaboré après l'arrestation d'un putschiste potentiel. Le renseignement a connaissance d'intentions putschistes dans un contexte permanent de volontés évanescentes de renversement du pouvoir ;

- 24 janvier 2022 : le putsch commence la veille par une mutinerie pour demander le remplacement du chef d'Etat-major des armées, laquelle aboutit le lendemain à l'arrestation et la démission du président Kaboré. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba devient président du Burkina Faso ;

- 30 septembre 2022 : également à l'issue d'une mutinerie et en réponse à plusieurs revers militaires, le capitaine Ibrahim Traoré évince le président Damiba après plusieurs jours de pourparlers et prend le pouvoir. De l'aveu des services, la spontanéité des évènements, au-delà d'un climat pré-insurrectionnel permanent, et le niveau de plus en plus bas des protagonistes dans la hiérarchie font qu'il faudrait descendre de plus en plus bas dans le système pour recueillir du renseignement : « le capitaine Traoré, on ne l'a pas détecté ».

3) Niger : le coup d'Etat à l'improviste de 2023

- La fragilité de la position du président Mohammed Bazoum et le risque de renversement étaient connus des services. Une tentative de coup d'Etat avait déjà eu lieu deux jours avant l'investiture du président Bazoum en 2021 et des projets non aboutis avaient également été détectés et déjoués aux prémices de son mandat.

26 juillet 2023 : lorsque le général Tiani, commandant la garde présidentielle, se rend la veille dans le bureau du président Bazoum, le différend portait sur un évènement prosaïque lié aux orientations du président Bazoum en matière de lutte anti-terroriste ainsi que sur des questions d'ordre personnel ou de rémunération, sans l'intention putschiste qui se réalisera le lendemain. Cette tension interpersonnelle et la nuit de négociation qui a abouti au renversement du président Bazoum n'ont pas pu être précisément anticipées, d'autant que le général Tiani n'était pas apparu le leader d'un quelconque groupe de conjurés portant un projet putschiste longuement mûri, une junte d'agrégats se formant a posteriori de la prise en otage du président Bazoum.

Source : auditions de la DPR

Les enseignements de ces trois années d'instabilité politique au Sahel qui ont conduit à des régimes défavorables à la France, tout comme le contexte de désinformation et d'ingérences étrangères hostiles à la France, montrent que le travail d'anticipation n'est un exercice ni facile, ni anodin. En effet, quand bien même un renseignement permettrait de prévenir un événement, la question du respect de la souveraineté d'un État auquel la France est liée par un accord reste intangible.

La délégation a en effet entendu ce dilemme qui au final, l'exemple nigérien étant typique, relève de la souveraineté de l'État en question. La dernière évolution en date concerne la dénonciation, le 28 novembre 2024, par le Tchad, de l'accord de coopération de défense signé avec la France.

Cependant, après un large débat, la délégation a tenu à exprimer sa préoccupation sur l'occurrence répétée de renversements de régime non anticipés, révélant une faille dans le renseignement humain sur le commandement intermédiaire et subalterne des forces armées partenaires. Le constat d'échec - pour les cas avérés susmentionnés - appelle, selon la délégation, les services à une remise en question sur la détection des signaux faibles.

Le retrait des forces françaises de l'ensemble de la zone sahélienne entraîne de facto une nécessaire réarticulation des services de renseignement, notamment de la DGSE, de la DRM et de la DRSD.

B. UNE NÉCESSAIRE MUTATION DU RENSEIGNEMENT SUR LE CONTINENT AFRICAIN

Avec le retrait des forces françaises, d'autres événements tels que les interdictions de survol, la fermeture de l'ambassade de France au Niger et les expulsions de diplomates français par les autorités burkinabés constituent des préoccupations majeures.

Il convient à cet égard de déplorer la détention par le Burkina Faso de quatre techniciens de la DGSE pendant plus d'un an. Leur libération a constitué une priorité15(*).

*****.

À la question des moyens en termes de renseignement technique, s'ajoutent les risques liés au recrutement de nouvelles sources humaines alors que de plus en plus de pays hostiles pratiquent la politique d'otages d'État (l'Azerbaïdjan, la Russie, l'Iran, etc.).

*****.

La carte ci-après matérialise, à partir du dispositif de la force Barkhane antérieur à la succession des coups d'Etats au Mali, Burkina Faso et Niger, la zone géographique concernée par le retrait de la présence militaire française, y compris le Tchad suite à la rupture des accords de défense franco-tchadien annoncée le 28 novembre 2024.

Cartographie des coups d'Etat et des retraits de la présence militaire française

Source : infographie DPR sur une carte du Minarm

La situation nouvelle du renseignement en Afrique, ainsi que plus largement les leçons de l'Ukraine et du Sahel, conduisent la délégation à émettre des recommandations généralisables à d'autres zones géographiques.

Recommandations relatives à la mutation du renseignement en Afrique :

5. Se doter d'une nouvelle doctrine pour maintenir les connaissances, savoirs et savoirs faire du renseignement français en Afrique.

6. *****.

7. *****.

8. *****.

9. Bien que non encore documenté comme un foyer exogène de terrorisme, l'affaiblissement des pays du Sahel au profit d'une menace incarnée par le JNIM (affilié à Al-Qaïda) et l'Etat islamique (wilaya Sahel ; wilaya Afrique de l'Ouest) doit constituer un point de vigilance dans la mesure où la présence d'éléments francophones pourrait constituer une menace portée vers le territoire national.

C. UNE BASCULE D'EFFORT VERS LE FLANC ORIENTAL DE L'EUROPE ET L'INDOPACIFIQUE...

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les moyens en fonds normaux comme en fonds spéciaux des services ont connu une hausse sensible. *****.

*****. Dans le cadre de leurs réformes respectives, la première a renforcé ses effectifs et ses moyens sur cette thématique et la seconde a mis en place un « plateau » Eurasie *****.

De fait, les services sont confrontés à une multiplication des crises mais aussi à leur concomitance, ce qui nécessite de solliciter les services, les capteurs et les partenariats.

Cette bascule d'effort est justifiée :

- par la guerre en Ukraine, *****. Le renseignement ainsi obtenu est particulièrement critique sur l'efficacité des sanctions infligées à l'industrie de l'armement puisque 60 % des composants technologiques retrouvés sur des matériels russes sont d'origine américaine. Les composants des drones iraniens Shahed sont quant à eux à 80 % américains, le reste étant d'origine chinoise ;

- par la tension entre la Chine et Taïwan, et plus largement la stratégie indopacifique de la France, *****.

Plus largement, la dissémination d'armements conventionnels dans des régions en crise, au bénéfice de mouvements rebelles, de groupes terroristes ou d'entités criminelles, constitue un facteur d'instabilité contre lequel les services sont également engagés. En outre, certains de ces trafics sont également susceptibles d'alimenter les milieux criminels nationaux.

Enfin, la plaque eurasienne abrite en Afghanistan une branche de Daech très active dénommée l'Etat islamique au Khorassan (EI-K), capable d'activer des réseaux en Europe16(*), et désignée par le renseignement français comme étant à l'origine de l'attentat du Crocus City Hall près de Moscou le 22 mars 2024 qui a fait 145 morts et plus de 500 blessés. En outre, l'EI-K dispose de capacité de projection transfrontalière avec des attaques revendiquées dans les pays voisins, Pakistan et Iran, donc vers le Moyen-Orient.

Recomposition de la menace terroriste islamiste, par zone et par flux

Sources : infographie DPR sur une carte du MEAE

La description par les services des zones d'établissement des organisations terroristes islamistes ainsi que des flux d'individus met en évidence une ligne allant du Khorassan au Moyen-Orient et jusqu'au Sahel. La menace sur l'Europe occidentale et orientale - également comme zone de transit - est attribuée à l'Etat islamique dans le Khorassan en ce qui concerne l'attentat du Crocus city hall de Moscou, tandis que plusieurs voies de pénétration convergent vers l'Europe via la Turquie, le Caucase et l'Algérie.

D. ... TOUT EN CONSERVANT UN DISPOSITIF ROBUSTE AU MOYEN ORIENT...

La DPR a choisi de se déplacer au Qatar et en Jordanie afin de comprendre les défis auxquels font face les services français dans une région marquée par les attaques terroristes en Israël du 7 octobre 2023 et la guerre, depuis, avec le Hamas.

La situation des deux pays choisis est profondément différente. L'un, le Qatar, a réussi depuis 2021 et la fin du blocus qui lui était imposé par l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et plusieurs autres Etats, à apaiser les tensions susceptibles de le menacer dans son environnement immédiat. Il oeuvre aujourd'hui pour une paix régionale et entend jouer un rôle de premier plan en tant que médiateur sur la scène internationale.

L'autre, la Jordanie, se trouve, prisonnier de sa géographie, au premier rang des conflits régionaux qui sont susceptibles à tout moment de s'étendre sur son sol et de menacer sa stabilité voire sa survie. Parmi les nombreux facteurs de risque menaçant le pays, la DPR a noté l'attention portée par les services au narcotrafic en provenance du Liban, de la Syrie, mais aussi d'Iran, pays dans lesquels il lui a été indiqué que les trafiquants exercent une influence sur les autorités locales voire l'Etat.

Le Qatar est un Etat prospère, ayant su transformer la rente issue de ses ressources en hydrocarbures en des investissements internationaux recherchés qui marquent son assise sur le plan international. La chaine Al Jazeera, diffusée en continu dans la plupart des lieux de réunion, a été décrite à la DPR comme étant la « voix de la rue arabe ». Elle offre au Qatar un vecteur de présence voire d'influence dans l'ensemble du monde.

La Jordanie pour sa part est l'une des plus petites économies de la région et souffre d'une crise économique majeure liée à l'effondrement du tourisme et à l'impossibilité de tirer profit de ses ressources naturelles et historiques immenses.

La structure des deux Etats est profondément différente. La tentative de putsch de 2021 en Jordanie a renforcé le rôle des services de renseignement, les Mukhabarat, et de l'appareil policier. Leur vocation première est de prémunir le monarque contre toute tentative de déstabilisation et de contrôler les nombreux réfugiés des conflits les plus récents, Irak et Syrie, et surtout l'importante population d'origine palestinienne qui constitue plus de la moitié des 11,3 millions d'habitants. Néanmoins comme le notait le rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat de 2019, « la comparaison avec les pays voisins reste très favorable à la Jordanie » en matière de libertés publiques. L'absence d'intervention des services de renseignement lors des élections législatives du 10 septembre a été l'un des facteurs permettant aux Frères musulmans, soutien du Hamas et porteurs de projets de réformes populaires, de remporter 31 des 138 sièges, à la suite des élections législatives du 10 septembre.

Le Qatar doit pour sa part sa stabilité à la répartition de ses revenus entre le petit nombre de nationaux qatariens (300 000 environ soit 10 à 15% de la population) et surtout à l'équilibre maintenu par la famille régnante entre les différentes tribus qui constituent le socle de la société et du pouvoir.

La relation de la France avec ces deux pays est importante à plusieurs niveaux, au regard de leur situation dans le conflit entre Israël et le Hamas bien sûr, mais également, pour la Jordanie, en tant qu'ilot de relative stabilité au coeur du Moyen-Orient et, s'agissant du Qatar, de son rôle en tant que puissance financière17(*) ayant des ambitions d'influence sur le plan mondial.

*****.

Les différents services représentés dans ces deux pays ont des rôles qui leur sont propres. L'antenne de la DGSI en Jordanie est ainsi chargée du suivi dans le pays des enquêtes qui concernent la sécurité intérieure. Elle n'intervient pas de sa propre initiative et agit en étroite coopération avec les services de police ou ses homologues sur place. Les services du renseignement militaire, au premier rang desquels la DRM, interviennent pour leur part en appui des forces française engagées dans le cadre des accords de coopération. Leurs objectifs sont donc identiques à ceux des forces militaires nationales sur place et des autres membres de la coalition, principalement américains. Des relations peuvent ainsi se nouer avec les autorités locales et il a été indiqué à la DPR que la DRM jouit d'une grande crédibilité et écoute auprès de l'état-major jordanien.

Ces relations de travail et de confiance sont essentielles pour la « para-diplomatie » qu'exercent les services français à l'étranger. Elles sont le fondement des échanges d'informations opérationnelles souvent même indépendamment des aléas de la diplomatie « officielle ».

Le premier enjeu auquel font face les services *****.

*****.

*****.

*****.

*****.

La DPR considère que *****.

*****.

*****.

*****.

La DPR considère néanmoins que *****.

La DPR a en effet été particulièrement intéressée par *****.

*****.

LA DPR a noté avec intérêt que *****.

La DPR a par ailleurs relevé *****.

Recommandations relatives à la bascule d'effort des services concernant la Russie, l'Asie et le Moyen-Orient :

10. Développer de nouvelles barrières et entraves à la fourniture de la BITD russe.

11. *****.

12. Bien que la prolifération d'armes légères en provenance d'Ukraine ne soit pas encore constatée, c'est un point de vigilance à considérer dès maintenant dans l'optique de la fin du conflit, pour prévenir la réapparition d'un phénomène analogue à la fin de la guerre en ex-Yougoslavie.

13. *****.

14. *****.

15. *****.

16. *****.

17. *****.

La délégation n'a pu rencontrer *****.

*****.

II. LA RÉSURGENCE D'UNE POSTURE NUCLÉAIRE AGRESSIVE MET EN LUMIÈRE DE NOUVEAUX RISQUES DE PROLIFÉRATION

La guerre en Ukraine a changé la donne quant à la circulation d'armements et de technologies entre la Russie et l'Iran, mais aussi entre la Russie et la Corée du Nord.

Déjà focalisée sur l'Iran et la Corée du Nord, deux États proliférants, le renseignement de contre-prolifération doit également faire face aux nouvelles postures, plus agressives, de deux États « proliférateurs », la Russie et la Chine, qui sont en mesure de fournir des technologies relatives aux armes de destruction massive (nucléaire, bactériologique et chimique).

A. LA DGSE : CHEF DE FILE DE L'ÉCOSYSTÈME NATIONAL DE RENSEIGNEMENT DE CONTRE-PROLIFÉRATION

L'évolution de la posture russe vers un discours coercitif de la dissuasion nucléaire et l'emploi d'un missile dit de portée intermédiaire, non porteur de charge, contre l'Ukraine constitue un défi supplémentaire pour le renseignement d'intérêt militaire et d'appui à la dissuasion française, ***** (cf. cartographie ci-après).

Cartographie des puissances dotées et des pays poursuivant un programme nucléaire

Sources : infographie DPR sur une carte du MEAE

Jusqu'à présent, et malgré la guerre en Ukraine, il est intéressant de souligner que la Russie s'acquitte « scrupuleusement » de ses engagements internationaux en matière de notification de ses exercices et tirs de ses trois composantes nucléaires terrestre, aérienne et maritime. Selon l'usage de la « grammaire nucléaire » entre Etats dotés, les vols de bombardiers stratégiques et les tirs de missiles intercontinentaux sont ainsi déclarés et suivis par les puissances occidentales dont la France.

Il existe un écosystème national autour du renseignement de contre prolifération dont la DGSE est cheffe de file au sein d'une cellule dite « Sekhmet » qui réunit les services du premier cercle (dont la DGSI, la DNRED et Tracfin pour lutter contre la prolifération de technologies) auxquels s'ajoutent le CEA-DAM, la DGA et le SGDSN.

Toutefois, *****.

B. CONSERVER DES CAPACITÉS SOUVERAINES D'ANALYSE : UN SOUTIEN INDISPENSABLE À LA DISSUASION FRANCAISE

À côté des services de renseignement, le CEA-DAM assure pour sa part une mission de contrôle du respect du traité de non-prolifération nucléaire. ***** le logiciel d'analyse d'images par IA, développé par la société Preligens *****, risquait d'être racheté par une entreprise américaine. Au final, Preligens est restée dans le giron de la BITD française en rejoignant en septembre dernier le groupe Safran.

*****.

Enfin, l'attention de la délégation a été attiré sur des besoins techniques - ***** - et sur des problématiques de ressources humaines pour fidéliser les ingénieurs et doctorants *****.

Recommandations relatives au renseignement de contre-prolifération :

18. *****.

19. *****.

20. Améliorer le statut et les conditions de fidélisation des personnels ingénieurs et doctorants *****.

III. LE RENSEIGNEMENT FACE AU DÉFI DES JOP 2024

Avec un événement rassemblant plus de 10 000 athlètes, attirant plus de 11 millions de touristes, et offrant une visibilité mondiale, l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris et sur une quarantaine de sites en Ile de France, en province et outre-mer, représentait un défi hors norme, notamment pour les services de renseignement mobilisés pour cette occasion.

A. L' « ECOSYSTÈME » DU RENSEIGNEMENT MIS EN PLACE AUTOUR DES JEUX 

Au niveau stratégique, la coordination a été assurée par la CNRLT, au cours de réunions mensuelles dédiées aux JOP entre les services du premier et du second cercles.

Au niveau opérationnel, la coordination a été confiée aux différents chefs de file thématiques :

o La DGSI pour la lutte contre le terrorisme ;

o L'ANSSI pour la lutte contre les attaques cyber ;

o VIGINUM pour la lutte contre la manipulation de l'information ;

o La DNRT pour la lutte contre les extrémismes violents.

En tant que chef de file « LAT », la DGSI a notamment organisé le renforcement de la coordination interservices, en s'appuyant sur les outils déjà existants que sont le comité de pilotage opérationnel (CPO) et son état-major permanent (EMaP) et en créant une cellule dédiée temporaire chargée d'orienter et de suivre les signalements au niveau du ministère de l'Intérieur.

A ce dispositif s'est ajouté un niveau de coordination ad hoc, pour les sujets non opérationnels :

o La coordination des travaux de préparation, ainsi que la synthèse en phase conduite au sein d'un centre de commandement, a été assurée par une structure spécifique, la Coordination nationale pour la Sécurité des Jeux olympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ), rattachée au cabinet du Ministre de l'Intérieur ;

o Le CRO, organe spécifique et original appartenant à la CNSJ, était dédié à la synthèse des évaluations de la menace transmises par les services chefs de file, ainsi qu'à l'anticipation, l'analyse et la gestion des risques18(*). Il a joué un rôle-clé, en élaborant des scenarii de menaces et de dispositifs de réponse. Tout au long de la période de veille, il a notamment exercé une vigilance toute particulière sur les menaces de basse intensité pouvant constituer des « angles morts » de la surveillance et échapper de ce fait à la vigilance des acteurs traditionnels. Le CRO fut opérationnel 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, pendant la durée des jeux olympiques et paralympiques.

L'ensemble de la communauté du renseignement s'est trouvée mobilisée pour l'occasion, ainsi que la CNCTR, qui, pendant toute la durée des Jeux, a exercé sa mission de contrôle des techniques de renseignement et instruit les demandes des services dans les délais habituels. Le respect du cadre légal des actions conduites par les services de renseignement a ainsi pu être garanti, dans les mêmes conditions qu'en période « normale ».

Par ailleurs, le Centre de coopération internationale (CCI) des JOP a été mis en place le 22 juillet 2024, accueillant quelques ***** (notamment anglais, allemands, israéliens, américains...). La DGSE, en appui de la DGSI, a assuré le pilotage de la division Renseignement de ce centre, à laquelle ont participé quotidiennement, pendant les JOP, *****. Globalement, les services français ont ainsi pu conduire une coopération efficace avec leurs homologues étrangers, tant au niveau bilatéral que dans le cadre du CCI.

B. UNE JUSTE APPRÉCIATION DES MENACES...

A l'occasion des diverses auditions conduites en amont des Jeux, les services français ont fait preuve globalement d'une très bonne capacité d'appréciation des menaces potentielles, qu'il convient de saluer.

Tant le contexte international, qui a vu se multiplier les pôles de tensions majeures (Ukraine, Moyen-Orient, Indo-pacifique, Arménie...), que la polarisation de la situation politique française, ont alimenté des menaces endogènes et exogènes très diverses, qui ont été appréhendées avec justesse par les services.

Ø Le danger d'attentat islamiste se trouvait exacerbé par l'actualité du conflit israëlo-palestinien.

Les services interrogés estimaient que les grandes organisations terroristes telles l'Etat islamique (EI) ou Al Qaida, qui demeurent fondamentalement très hostiles à la France, se trouvaient conjoncturellement affaiblies ; la menace d'origine exogène apparaissait ainsi moins probable tout en demeurant possible. En effet, les attentats du 3 janvier 2024 à Kerman en Iran (une centaine de morts) et du 22 mars 2024 au Crocus City Hall dans la banlieue de Moscou (plus de 140 morts) avaient démontré que l'EI, bien qu'affaibli par la perte de son « Califat », et l'attrition de son commandement syrien, avait regagné une capacité d'exportation de la menace.

La principale crainte provenait toutefois d'individus isolés, parfois inconnus des services de police et de renseignement, parfois radicalisés depuis peu à la faveur du contexte moyen-oriental, souvent sans lien direct avec la mouvance radicale traditionnelle. Ces nouveaux profils peuvent être jeunes, voire très jeunes, présentant souvent des troubles psychosociaux ou des pathologies psychiatriques ; leur mode opératoire est généralement sommaire (attaque à l'arme blanche, ciblée ou non, ne réclamant pas de logistique particulière). Ces différentes caractéristiques les rendent difficilement détectables pour le Renseignement et leur passage à l'acte peut s'avérer difficile à anticiper. Dans le périmètre des sites de compétition à proprement parler, un « périple meurtrier » apparaissait a priori peu probable en raison de l'important dispositif de contrôle d'accès mis en place ; cependant des sites non olympiques pouvaient être ciblés.

Focus sur l'action de la DGSE

Concernant la DGSE, il faut distinguer deux aspects : la prévention de la menace immédiate sur le territoire national et l'entrave des capacités des groupes terroristes en amont du territoire national, dans le temps comme dans l'espace.

Sur le premier volet, la protection du territoire, la DGSE intervient en appui de la DGSI, qui occupe le rôle de chef de file. Pour ce faire, la DGSE transmet à la DGSI les renseignements qu'elle obtient sur des théâtres extérieurs ou dans l'espace numérique, depuis lesquels des individus tentent d'organiser des attentats en France. Il faut noter une évolution importante dans les modes opératoires. Bien souvent, il ne s'agit plus d'une logique d'envoi de combattants étrangers ou bien de Français revenant d'une zone de jihad, mais plutôt d'activation à distance de velléitaires souvent déjà présents sur le territoire.

Sur le deuxième volet, la réduction de la menace en amont, à l'extérieur du territoire, la DGSE est pleinement responsable. Pour cela, elle suit les groupes terroristes les plus dangereux du moment, comme les filières russophones liées à l'ISKP, ainsi que ceux qui visent particulièrement la France, notamment depuis la Syrie. La DGSE a renforcé son travail habituel d'identification et de suivi des principaux porteurs de menace en priorisant ceux qui souhaitaient agir pendant les JOP ou qui étaient particulièrement en capacité d'animer des actions en France. Dans le même temps, la DGSE a animé un effort de mobilisation de la communauté internationale, le contre-terrorisme demeurant un rare sujet de relatif consensus dans un monde fracturé.

Ø Le risque de sabotage physique avait clairement été identifié comme la menace la plus précise, notamment en provenance de l'ultra-gauche. Cette mouvance, très active, comptait plus de 300 collectifs « anti-JO », agitant des thèmes de contestation très divers : l'hostilité aux Jeux olympiques et la critique notamment de leur impact environnemental ou logistique, l'hostilité au Président de la République, l'hostilité à la Maire de Paris... Leurs activistes présentent souvent un profil plus éduqué que la catégorie précédente, et sont capables d'éviter les erreurs susceptibles de permettre aux services de repérer facilement la menace.

Des actions d'origine russe, ou indirectement pilotées par la Russie, étaient également à craindre ; certaines intrusions détectées au cours des mois précédant les Jeux pouvaient à cet égard être interprétées comme des tests, annonciateurs d'actions de plus grande ampleur.

L'ultra-droite était jugée peu active sur la thématique des JOP 2024.

Si le sabotage ne cible d'ordinaire pas les vies humaines, sa capacité de nuisance en termes logistique peut être aussi importante qu'imprévisible ; en outre, la désorganisation pouvant résulter de ce type d'action a potentiellement un grave impact réputationnel.

Ø Le risque cyber était identifié comme un enjeu majeur de la sécurité des Jeux ; à cet égard, les équipes cyber de la DGSE avaient défini en amont de l'événement 5 « axes d'effort » :

- La cybercriminalité,

- Les groupes hacktivistes, notamment ceux liés à la Russie,

- La menace étatique russe, *****,

- La Victim focused discovery (VFD), afin de détecter le plus en amont possible les menaces,

- Les menaces chinoises et iraniennes.

Au cours de mois précédant l'arrivée de la Flamme olympique, des attaques, de faible intensité mais récurrentes, créaient un « bruit de fond » annonciateur d'offensives de plus grande ampleur.

Ø L'espace aérien méritait une vigilance toute particulière. Le contexte du conflit ukrainien et la montée en puissance de la guerre dite « électronique » ont imposé comme une priorité la nécessité de se doter d'un dispositif étanche de lutte anti-drone, afin d'être en mesure de neutraliser des appareils de plus en plus sophistiqués. Notamment, combiné au risque cyber évoqué supra, le risque d'origine aérienne pouvait constituer une menace majeure (par exemple en perturbant l'identification de drones comme « ennemis »).

Ø La menace réputationnelle ciblant les Jeux était présente de longue date, et les agresseurs potentiels, d'origines diverses, ne se limitent pas aux compétiteurs traditionnels de la France.

L'audience record prévisible pour les Jeux - arrivée de la Flamme, cérémonies d'ouverture, compétitions sportives en elles-mêmes et cérémonies de clôture - ne pouvait que susciter un volume d'engagement sans précédent sur les réseaux sociaux, constituant potentiellement une immense caisse de résonnance pour des campagnes malveillantes : les conditions pour des offensives réputationnelles majeures se trouvaient ainsi réunies. Des campagnes de « bashing » autour des Jeux étaient d'ores et déjà conduites depuis plusieurs mois, préparant un terrain inconfortable pour l'image de l'événement. Les thématiques récurrentes prophétisaient une mauvaise organisation des Jeux, une incapacité des services français à en assurer la sécurité, une insuffisante capacité d'hébergement ou de transport en commun ; elles pointaient également de supposés problèmes d'hygiène (punaises de lit, qualité de l'eau)...

Les attaques informationnelles se nourrissant volontiers d'opportunités, les acteurs étrangers hostiles apparaissaient ainsi « dans les starting blocks », prêts à déclencher une attaque d'ampleur si un événement exploitable se présentait.

Ø En termes d'effectifs, le défi représenté par la nécessité de redéployer les forces de l'ordre ainsi que de recruter en nombre suffisant les personnels de sécurité et les bénévoles indispensables au bon déroulement des Jeux était identifié comme un risque organisationnel « très important ».

Or, l'impératif d'assurer la sécurité des sites olympiques ne pouvait avoir pour effet de compromettre celle du reste du territoire en le privant des effectifs nécessaires pour y maintenir l'ordre.

Ø Enfin, divers autres risques identifiés méritaient vigilance : risque nautique, mouvement de foule, trafic de billetterie, vols, exploitation sexuelle, aléas météorologiques, grèves...

L'ensemble de ces risques, analysé et cartographié par le CRO, a permis une vision panoramique exhaustive de la menace, avec pour principaux risques identifiés :

Source : CRO

C. ... ET DES BESOINS

Ø Un pilotage global efficient

La sécurisation des Jeux a su mettre à profit la « prévisibilité » de l'événement, programmé et anticipé de longue date.

Une originalité du rôle assuré par le CRO fut le travail exhaustif de synthèse et d'analyse des scenarii des risques. Dès 2017, dans le dossier de candidature de Paris pour les JOP24, figurait l'engagement de « produire une analyse stratégique des risques et de l'actualiser de manière régulière » : cette analyse a pris la forme d'un document unique dit « ANR », partagé par les services concernés via une plateforme accessible sur le réseau sécurisé Isis, et qui a fait l'objet de 11 versions successives. La version finale, sur 413 pages, établit une cartographie complète des risques de l'événement, avec pour objectifs :

• L'identification aussi exhaustive que possible des risques susceptibles de peser sur l'événement et sa sécurité ;

• La hiérarchisation des risques en fonction de leur degré de criticité (faible, modéré, important, très important, critique) de façon à aider les autorités décisionnaires à déterminer le niveau de risque acceptable ;

• La détermination des priorités d'action, notamment pour atténuer les risques évalués aux niveaux les plus élevés ;

• La définition des types de réponse pour chacun des risques identifiés.

L'analyse a permis l'identification de 217 scenarii de risques19(*) complétés par une centaine de risques dits « spécifiques » (NRBC, etc...), qui ont été répertoriés, évalués (notamment du point de vue de leur vraisemblance, de leur criticité ...), ont fait l'objet d'une cotation, et se sont vu associer un panel de contre-mesures de remédiation ou de mitigation (2750 contre-mesures pour l'ensemble des risques).

Ø Une mobilisation des effectifs à la hauteur des enjeux

Les effectifs déployés pour assurer la sécurité des Jeux témoignent d'une mobilisation sans précédent : grâce à des mesures, annoncées de longue date, d'interdiction de congés durant la période des Jeux pour les forces de l'ordre, de mobilisation des réservistes et des écoles de police et de gendarmerie, et de suppression temporaire de la distinction entre zones de police et de gendarmerie, il a été possible de déployer 31 000 policiers et gendarmes sur les différents sites, essentiellement en Ile de France.

A cet égard, les émeutes néo-calédoniennes ont constitué un défi supplémentaire, puisqu'elles ont nécessité l'envoi, concomitant à la préparation des Jeux et non anticipé, de 1000 membres supplémentaires des forces de l'ordre, le 16 mai 2024, en sus des 1700 déjà mobilisés.

Les services de renseignement n'ont pas été épargnés, avec une mobilisation renforcée dès le premier semestre 2023, et la mise en place d'astreintes et de permanences de nuit, qui ont eu des incidences notamment sur les congés des agents.

Ø Le déploiement de mesures de protection tous azimuts

Diverses mesures ont été prises par ailleurs pour sécuriser les sites ; on citera notamment :

- Tout d'abord une surveillance accrue des individus potentiellement dangereux, avec notamment la mise en oeuvre de 54920(*) mesures individuelles de contrôle administratif (MICAS)21(*), la réalisation de 183 visites à domiciles22(*), complétés le cas échéant par des signalements au procureur de la République sur la base de l'article 40 (pour d'« autres délits ») ;

- L'instauration (du 26 juillet au 11 août, ainsi que du 28 août au 8 septembre pour les jeux paralympiques) de périmètres de sécurité, restreignant l'accès aux sites de compétition selon une cartographie strictement définie, et la mise en place de PASS pour les personnes autorisées à y pénétrer ;

- Afin de s'assurer qu'ils n'étaient pas de nature à présenter une menace, 1,2 M de personnes titulaires d'une accréditation pour au moins un site olympique ont fait l'objet d'enquêtes administratives de sécurité : sportifs, bénévoles, agents de sécurité, prestataires et organisateurs étrangers... Cela a nécessité de la part des services de l'Etat concernés un investissement hors normes, qui a débouché sur la délivrance de 15 000 visas olympiques mais aussi de 6000 « avis sécuritaires ». On citera notamment la mise en place d'un lien sécurisé ayant permis à la DGSE le traitement de plus de 550 000 demandes de criblage du SNEAS, *****.

- L'utilisation, autorisée par la loi du 19 mai 2023, de caméras de vidéo-protection dites « augmentées », c'est-à-dire couplées à des solutions algorithmiques, détectant des situations potentiellement dangereuses, mais sans reconnaissance faciale.

- Une vaste opération de déminage des sites de compétition et de leurs abords.

Ø Face au feu nourri des attaques cyber : anticipation et résilience

S'agissant de la cybersécurité, un dispositif exceptionnel pour la coordination interministérielle a été mis en place au sein du Centre national de commandement stratégique (CNCS), l'ANSSI demeurant le point d'entrée unique des signalements. Un dispositif renforcé de veille a été déployé au sein de l'Agence ; en complément, des kits d'exercice ont été mis à la disposition des acteurs de l'écosystème JOP. Plusieurs exercices de crise ont enfin été organisés en 2023 afin de sensibiliser et préparer collectivement les acteurs concernés par la menace.

Le cadre de traitement opérationnel des menaces cyber était le Centre de coordination des crises cyber (C4), qui travaillait notamment à détecter et caractériser les menaces. La DGSE assurait le pilotage du renseignement relatif à l'anticipation et l'imputation des attaques cyber-étatiques visant les Jeux.

Comme cela avait été anticipé, la menace cyber s'est avérée relativement dense, avec, entre le 8 mai et le 8 septembre 2024, 548 opérations hostiles à l'encontre d'entités en lien avec l'organisation des JOP 2024, dont 83 incidents sérieux ayant eu un impact sur le système d'information de la victime.

Les attaques les plus significatives furent une tentative de prise de contrôle à distance de panneaux d'affichage publicitaires afin de diffuser des messages hostiles à Israël23(*) ; ou un piratage de données (d'ordre médical) du CNO24(*).

Cependant, la cyberdéfense française a été chaque fois en mesure de détecter, bloquer et corriger très rapidement ces actions malveillantes, de sorte qu'aucun impact significatif n'est venu perturber les Jeux.

Ø Un projet de dispositif « multi-couches » pour l'espace aérien

Plusieurs systèmes de lutte anti-drones dits « lourds » avaient été précédemment développés afin de garantir la protection du ciel sur les sites pouvant être ciblés : le système MILAD, dont CSgroup est le maître d'oeuvre, est aujourd'hui utilisé par les forces pour surveiller nos bases de défense en Métropole et sur les théâtres d'opération. Le système RADIANT, opéré par la Préfecture de police de Paris, dispose d'un système similaire à celui du système MILAD (solution BOREADES développée par CSgroup). Le système BASSALT est la version militaire du système Holosafe développé par Hologarde. L'Armée de terre s'est également dotée de 18 systèmes mobiles ARLAD disposant d'effecteurs cinétiques de type grenades « Airbust ».

Ce dispositif devait être complété par deux systèmes supplémentaires, qui devaient être opérationnels avant le début des Jeux : le programme PARADE (appel d'offres remporté par le groupement Thales-CSgroup) et la solution SKYWARDEN, déployée par MBDA.

L'objectif était de mettre un oeuvre un dispositif de protection dit « multicouches » qui permettrait une parfaite étanchéité du ciel français face à d'éventuelles attaques de drones.

D. UN RETOUR D'EXPÉRIENCE TÉMOIGNANT DE LA REMARQUABLE EFFICACITÉ DU DISPOSITIF...

Ø Un écosystème exemplaire à plusieurs titres

L'organisation du G7 de Biarritz en 2019 et de la Coupe du monde de rugby en 2023 constituaient pour les JOP 2024 des précédents bienvenus qui ont permis de mettre au point, sur des événements complexes de moindre ampleur, une méthodologie d'organisation exemplaire.

Le retour d'expérience sur l'écosystème mis en place, les méthodes de travail utilisées et les résultats obtenus est très positif. Les JOP 2024 ont à cet égard constitué un incubateur et un accélérateur des savoir-faire élaborés précédemment, qui pourront avantageusement être pérennisés ou reproduits dans l'avenir.

La structure du CNSJ est d'ores et déjà appelée à être pérennisée, et sera amenée à gérer la sécurité des futurs grands événements organisés en France. La Délégation parlementaire au renseignement salue cette consécration qui dote la France d'une structure de coordination opérationnelle et expérimentée.

S'agissant du CRO, la structure en elle-même est mise en sommeil, prête à être réactivée, mutatis mutandis, à la faveur des futurs événements programmés. Cette pérennisation, parfaitement justifiée par les résultats obtenus, apparaît également une décision judicieuse : les principales clés de sa réussite furent en effet sa capacité d'anticipation et la constitution d'un réseau de contacts, étatiques et privés. Il serait particulièrement regrettable que cet écosystème, patiemment constitué, soit perdu.

Enfin, avec l'Analyse nationale des risques (ANR), c'est toute une « boite à outils » opérationnelle de prévention des menaces qui a été élaborée : ce savoir-faire précieux, qui apparaît maintenant parfaitement au point, pourrait utilement être généralisé et devenir le protocole de référence dès lors qu'un événement, même d'importance moindre, se présente.

Recommandations visant à doter la France de structures pérennes pour l'organisation des futurs événements internationaux, inspirées du retour d'expérience des JOP24 :

21. Pérenniser la méthodologie de cartographie de l'analyse des risques (ANR) élaborée à l'occasion des JOP 2024.

22. Capitaliser l'expérience acquise par le CNSJ et le CRO pour la coordination de la sécurité des grands événements en organisant la réactivation de telles structures, à adapter à chaque événement, sous la forme d'un Centre d'analyse des risques (CAR).

Ø Un « sans faute » pour la lutte contre la menace terroriste

La menace terroriste a pu être efficacement mise en échec grâce à une collaboration apparemment mature, qu'il convient de saluer, entre les services - et notamment la DGSE, disposant d'un important réseau de capteurs, sur les théâtres extérieurs comme dans l'espace numérique, et la DGSI, chef de file.

Concernant la prévention de la menace immédiate sur le territoire national, la DGSE a pu constater une évolution importante des modes opératoires : bien souvent, il ne s'agit plus d'une logique d'envoi de combattants étrangers ou de français de retour d'une zone de jihad, mais plutôt d'activation à distance de velléitaires souvent déjà présents sur le territoire. La DGSE a ainsi détecté, *****. Le partage systématique de renseignements entre les deux directions générales a ainsi permis la conduite de nombreuses opérations d'entrave, au travers de la rédaction d'un « article 40 », de la mise en oeuvre de poursuites judiciaires ou de mesures administratives.

La mobilisation des services de renseignements a permis de déjouer trois projets d'attentats, tous trois d'origine islamiste radical :

- Le premier, projeté par un jeune homme d'origine tchétchène radicalisé, visait le stade stéphanois Geoffroy Guichard et ses abords,

- Le deuxième ciblait des institutions et des représentants d'Israël à Paris,

- La cible du troisième, projeté par deux jeunes girondins, était indéterminée au moment de l'intervention des services.

Suite à l'interpellation de l'ensemble des terroristes, cinq mises en examen ont été réalisées.

S'agissant des capacités terroristes en amont du territoire national, une dizaine d'individus particulièrement menaçants pour la France ou l'Europe depuis le Moyen-Orient, l'Afrique sub-saharienne ou le sous-continent indien ont par ailleurs pu être arrêtés ou entravés, grâce à l'action de la DGSE.

Ø Un important incident de sabotage

Par ailleurs, une action de sabotages coordonnés a été conduite, a priori attribuée à des activistes d'ultra-gauche (mais non identifiés à ce jour), sur le réseau ferroviaire, au cours de la nuit du 25 au 26 juillet 2024, et a occasionné d'importantes perturbations sur trois lignes à grande vitesse (un sabotage sur une quatrième ligne a été déjoué par des cheminots) lors du « chassé-croisé » de fin de mois de juillet. Plus de 800 000 voyageurs, pour l'essentiel des vacanciers, auraient été concernés.

Une autre tentative de sabotage, ciblant un site ferroviaire de Seine Maritime, a été déjouée deux jours plus tard. Le suspect a été appréhendé.

Hormis ces actions, aucune agression notable n'a été recensée de la part de l'ultra-gauche.

Au final, le CRO a établi le 30 septembre 2024 un bilan global des Jeux olympiques et paralympiques d'été 2024 pour la période du 8 mai au 8 septembre 2024. Ce document remis à la délégation, dont un extrait est reproduit dans l'encadré ci-dessous, présente une synthèse par thématiques principales des menaces recensées par les services.

Bilan global des JOP 2024 établi par le centre de renseignement olympique pour la période du 8 mai au 8 septembre 2024

Menace terroriste

Trois projets d'action violente visant spécifiquement les JOP 2024 ont été détectés et entravés :

- interpellation à Saint-Etienne les 22 et 24 mai de deux individus soupçonnés de fomenter un attentat ciblant le stade Geoffroy-Guichard lors d'une rencontre de football ;

- interpellation d'un lycéen radicalisé à Ivry-sur-Seine et d'un second individu à Sartrouville soupçonnés de vouloir commettre un attentat ;

- interpellation les 23 et 25 juillet de deux lycéens à Mérignac et à Borgo sur la base de propos démontrant une velléité de commettre une action violente.

Menace cyber

548 événements de cybersécurité affectant des entités en lien avec l'organisation des JO ont donné lieu à un traitement par l'ANSSI dont 465 signalements (impact bas pour les systèmes d'information) et 83 incidents (actions malveillantes ayant atteint le système d'information de la victime).

Menace de la manipulation de l'information

Sur la période, Viginum a identifié 43 manoeuvres informationnelles ayant ciblé les Jeux. En outre deux campagne numériques planifiées et coordonnées ont impliqué des acteurs pro azerbaïdjanais. Au demeurant, les trois principaux axes narratifs hostiles n'ont pas remis en cause l'organisation des JO, ni trouvé de relais significatif :

- le récit selon lequel la France était incapable d'accueillir les JO 2024 dans de bonnes conditions ;

- l'instrumentalisation du niveau réel de la menace terroriste pesant sur les JO 2024 ;

- le ciblage et le dénigrement des instances d'organisation de l'événement.

Menace criminelle

Les JOP 2024 ont été perçus comme un vecteur d'opportunités criminelles en matière de faux billets et de contrefaçons :

- 371 sites et noms de domaines ont été détectés en lien avec la vente illicite de billets pour les JOP 2024 ;

- 580 000 articles de sport en lien direct avec les JOP 2024 ont été retirés du marché (notamment des « goodies » et des médailles contrefaites).

Menace contestataire

La période a engendré 474 événements ou incidents résultant d'opérations de communication ou d'actions de visibilité médiatique de basse et moyenne intensité :

- 347 actions de voie publique ou de visibilité détectées et/ou entravées ;

- 52 intrusions ou tentatives d'intrusion ;

- 6 actions ou tentatives d'action de perturbation (sabotage, dégradation, etc.) ;4

- 69 autres actions, événements ou incidents.

Source : CRO, ministère de l'Intérieur.

E. ...MAIS AVEC DE SÉRIEUSES RÉSERVES SUR LE VOLET « ANTI-DRONE »

Même si ce volet ne concerne pas strictement la communauté du renseignement, il apparaît que, compte tenu de son caractère sensible et encore problématique, le présent rapport constitue un support pertinent pour l'aborder.

En effet, à la suite d'alertes remontées par des industriels et des experts militaires sur les difficultés rencontrées notamment dans la mise au point du système de lutte anti-drone PARADE, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat avait décidé à la fin de l'année 2023 de réaliser une mission « flash » sur la lutte anti-drones25(*) dans la perspective des JOP 2024.

Compte tenu du caractère particulièrement sensible du contenu du rapport à quelques semaines du commencement des Jeux, le Bureau de la commission a décidé, en avril dernier, de ne pas publier ce document, mais de l'adresser à titre confidentiel aux principales autorités politiques de notre pays, soit le Président de la République, le Président du Sénat, le Premier Ministre, et le Ministre des Armées.

Ø Un risque majeur

Le risque « drone » (coté 104 « criticité très importante » par l'ANR) tel qu'il avait été anticipé présentait plusieurs facettes, avec différents degrés de gravité, allant des survols ludiques ou récréatifs sans intention hostile, aux utilisations à finalité contestataire, et aux attaques de type terroriste.

Les attaques de drones les plus sophistiquées, couplées avec des attaques cyber, sont notamment susceptibles de désorganiser les moyens de communication et de décision de la cible.

Aussi un dispositif de sûreté aérienne robuste était-il indispensable pour garantir pleinement la sécurité de l'événement.

Ø Une commande ***** déficiente

Malgré un appel des industriels de la défense, dès novembre 2019, à une mobilisation en vue de la création d'une « équipe de France de la sécurité »26(*), ce n'est qu'en 2021 que l'État a décidé de lancer un appel d'offres afin de créer un nouveau système de lutte anti-drones répondant aux besoins des armées et au défi représenté par les JOP.

*****.

Les rapporteurs de la mission sénatoriale ont établi le caractère irréaliste du calendrier retenu, compte tenu des objectifs poursuivis27(*). Non seulement les systèmes PARADE ont accusé plus d'un an de retard dans la livraison *****.

*****.

Le rapport sénatorial mettait ainsi en évidence que non seulement l'appel d'offres de 2021 avait été mal préparé, mais aussi qu'il a conduit à sélectionner un candidat qui n'était pas en mesure de donner pleinement satisfaction. *****.

Ø De l'impossible mise au point *****

Alors que des mises au point de systèmes complexes au regard du niveau des exigences demeuraient en cours, et après un retard de livraison d'une année, la persistance des problèmes techniques n'a pas permis au système PARADE d'être utilisé de manière opérationnelle lors de la Coupe du Monde de rugby à l'automne 2023, contrairement à l'objectif initial.

Les exercices successifs Coubertin LAD (lutte anti drone) de novembre 2023, janvier et mars 2024 n'ont fait que confirmer les inquiétudes sur l'état d'avancement du programme.

*****.

Un essai réalisé mi-mars lors de Coubertin LAD II sur le toit du ministère de la santé n'a, par ailleurs, pas non plus donné satisfaction alors même que ce déploiement était censé se rapprocher des conditions réelles : le système s'est en effet avéré peu performant *****.

Le bon déroulement des Jeux et l'absence d'incident d'origine aérienne pourrait, à première vue, permettre de supposer que les doutes et inquiétudes soulevés par la mission sénatoriale ont pu être levés à temps avant l'événement et que le dispositif déployé a été en mesure d'assurer pleinement sa sécurité aérienne.

La délégation parlementaire au renseignement considère cependant qu'il n'en est rien *****.

Enfin, dans un autre cadre relatif à la sécurité de la voie publique, le président de la délégation a constaté l'utilisation par les services de police de drones de conception et de fabrication chinoise (marques *****). En l'absence de garantie sur la sécurité des données de vol et de captation vidéo, il a préconisé d'en proscrire l'usage par les services de l'Etat, au profit de solutions souveraines ou sécurisées.

Recommandations relatives à l'amélioration de la lutte anti drone :

23. Mener à terme, dans les meilleurs délais, la mise au point d'un système de lutte anti-drone fiable et opérationnel ; tenir informée la DPR, a minima par une note semi-annuelle, des progrès réalisés, des difficultés persistantes, et de la mise en oeuvre des recommandations qui avaient été formulées par la mission sénatoriale28(*).

24. Mieux anticiper les commandes publiques à venir, via des retro-plannings intégrant des délais réalistes pour la rédaction des marchés, leur passation, ainsi que pour les phases de conception et de test des matériels commandés, prenant mieux en compte la complexité du sujet29(*).

25. Envisager une pénalisation des vols de drones non autorisés dans les zones interdites sur le modèle de l'article 322-14 du code pénal relatif à la communication ou la divulgation d'une fausse information faisant croire à un sinistre et de nature à provoquer l'intervention inutile des secours.

26. Proscrire l'utilisation par les services de l'Etat de drones de vidéosurveillance de conception et fabrication non souveraine.

F. QUEL TRAITEMENT DE L'ENJEU RÉPUTATIONNEL ?

Contrairement aux autres menaces, la menace réputationnelle a débuté bien en amont des Jeux, et a été sensible durant toute sa phase d'organisation. Aussi la veille mise en place par l'agence VIGINUM a-t-elle débuté dès avril 2023 afin de surveiller ce qui pourrait être assimilé à un potentiel travail de sape réputationnelle préalable. Cette période de veille « étendue » a permis la détection de 43 manoeuvres informationnelles agressives, de la part d'acteurs d'origine azerbaidjanais, russes, chinois, etc... L'ensemble du spectre des modes opératoires habituellement pratiqués par nos compétiteurs a été mobilisé pour ce faire, dans le but généralement de créer un « bruit de fond » hostile aux jeux : Ces attaques sont résumées dans le tableau ci-après.

L'action de VIGINUM est prolongée par la DGSE, qui, s'appuyant sur sa connaissance des caisses de résonnance des cyber-attaquants, est en mesure de remonter la chaine attaquante vers les auteurs des opérations de manipulation de l'information. *****.

Mode opératoire

Description

Impact

Origine

Création et diffusion de contenu sous fausse bannière

Ex : Novembre 2023 : vidéo de menace à l'encontre des athlètes israëliens, utilisant les codes de l'organisation ultra-nationaliste turque « Loups gris » ;

Juillet 2024 : vidéo montrant un prétendu membre du Hamas menaçant les JOP24 et dénonçant la participation d'athlètes israëliens.

Limité (Fact checking efficace)

Essentiellement sur les médias africains

Russie

Diffusion de contenus mensongers ou décontextualisés

Ex : 5 juin 2024 : Vidéo ciblant l'insalubrité de la Seine ;

26 juillet 2024 : appel au boycott de l'équipe israëlienne usurpant l'identité d'Amnesty International ou d'un politique espagnol ;

Narratifs selon lesquels la France ne serait pas en capacité d'organiser les JOP24 dans de bonnes conditions, usurpant l'identité de la Mairie de Paris, de la DGSI et de la CIA ;

Hashtags appelant au boycott des JOP24 ;

Vidéos montrant des images de violence et d'insécurité à Paris.

Impact limité

Chine, Russie, Iran, Azerbaïdjan, cercles conservateurs divers

Amplification d'actions préalablement menées dans le champ physique

Ex : affiches critiquant la participation d'athlètes israëliens, graffiti faisant référence aux jeux de Munich...

Essentiellement comptes pro-palestiniens

Azerbaïdjan, Russie

Amplifications de contenus mensongers via des « bots » ou « trolls »

Narratifs ciblant la cérémonie d`ouverture, affirmant que les produits dérivés étaient fabriqués en Chine et vantant l'industrie chinoise.

Impact limité

Chine, Azerbaïdjan, Russie

Recours à des influenceurs

Ex : critiques de la cérémonie d'ouverture mettant en valeur le modèle chinois au détriment du modèle français.

Plusieurs millions de vues

Chine

Divulgation de données individuelles (« Doxxing »)

Accusations de crimes de guerre visant des sportifs israëliens.

Polémiques hostiles à leur encontre

Iran

Ces éléments permettent de conclure à un impact relativement faible des attaques pourtant nombreuses dont les jeux ont été la cible. Globalement, il peut en être tiré un double enseignement :

Ø Des agressions tributaires de l'existence -ou non- d'opportunités

Les campagnes malveillantes se nourrissent volontiers d'opportunités - faits divers, incidents, dysfonctionnements, polémiques... qui sont pour elles autant d'angle d'attaques. Le tableau ci-dessus fait apparaître une relative pauvreté de ces angles d'attaques.

On identifie la récurrence notamment de deux thématiques : l'hostilité à Israël (appels au boycott, attaques ciblant la délégation israëlienne...) et la promotion de valeurs ultra-conservatrices (anti LGBT+, et plus généralement dénonciation d'une « décadence » occidentale, sensible notamment dans la critique de la cérémonie d'ouverture). Ainsi la situation au Moyen Orient et certaines scènes jugées provocatrices de la cérémonie d'ouverture ont-elles été exploitées par nos agresseurs, mais n'ont trouvé d'écho essentiellement qu'auprès des publics déjà sensibles à ces thématiques.

Cependant, l'absence de trouble majeur concernant directement des jeux et leur organisation n'a pas permis d'alimenter de matière crédible la thématique prophétisant une organisation dysfonctionnelle des jeux.

Ø Un faible impact des campagnes malveillantes, fruit d'un travail de pédagogie

L'impact de ces attaques sur le grand public est apparu limité, et la très bonne réactivité de l'Agence VIGINUM a largement contribué à ce bilan positif. Plus largement, l'éducation à la vigilance numérique, tant des citoyens que des médias, semble avoir atteint une forme de relative maturité en France, grâce notamment aux campagnes d'information nationales, aux rapports parlementaires30(*), et aux enquêtes de journalistes très bien relayées par les médias, et a rendu possible une prise de conscience d'une bonne partie de l'opinion publique vis-à-vis des influences étrangères et de l'hygiène numérique nécessaire face à elles.

Sans surprise cependant, certains milieux demeurent vulnérables aux campagnes malveillantes, et sont spécifiquement visées par elles : en France, selon les thématiques utilisées, les milieux pro-palestiniens, l'ultra-gauche, les cercles « complotistes », les milieux ultra-conservateurs notamment demeurent des cibles privilégiées, qui relaient spontanément certaines thématiques - mais sans atteindre généralement une large audience. Ces différents cercles ne sont pas toujours sensibles en revanche aux campagnes nationales préventives ou correctives de la désinformation, faisant montre paradoxalement d'un esprit critique à géométrie variable, caractérisé par une grande suspicion vis-à-vis des informations vérifiées et des sources fiables, qui n'a d'égal que leur crédulité par rapport aux « scoops » fantaisistes propagés par des sites hostiles.

Il est également plus difficile de contrer les attaques réputationnelles conduite à l'étranger (Afrique, Chine).

L'expérience de la couverture informationnelle de cet événement met ainsi en évidence :

- L'efficacité de la pédagogie, pierre angulaire de la résilience informationnelle : à la fois préventive, via l'éducation à l'information, et curative, via la dénonciation des attaques.

- La nécessité de poursuivre cet effort pédagogique, en direction des catégories du public les plus vulnérables à la désinformation.

A cette fin, une consolidation des politiques publiques demeure nécessaire dans la perspective de la probable montée en intensité de la guerre informationnelle.

Recommandation dans le domaine des menaces hybrides

27. Mettre en oeuvre les recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères (rapport n°739 (2023-2024) précité)

28. Renforcer le budget de l'Agence VIGINUM afin de lui assurer les effectifs nécessaires à son indispensable montée en puissance

*

* *

ANNEXE 1 :
RAPPORT GÉNÉRAL DE LA CVFS SUR LES CONDITIONS D'EMPLOI DES FONDS SPÉCIAUX AU COURS DE L'EXERCICE 2022

COMMISSION DE VÉRIFICATION

DES FONDS SPÉCIAUX

RAPPORT

sur

les conditions d'emploi des fonds spéciaux au cours de l'exercice 2022

fait

par la COMMISSION DE VÉRIFICATION DES FONDS SPÉCIAUX

le 20 décembre 2023

instituée par l'article 154 de la loi de finances

pour 2002 du 28 décembre 2001

et composée de

Mme Agnès Canayer, sénateur, président

Mme Caroline Colombier, députée

Mme Gisèle Jourda, sénatrice

Mme Constance Le Grip, députée

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs

À la suite des élections sénatoriales, la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) s'est reconstituée en octobre dernier. J'ai pris la relève de Yannick Vaugrenard pour ce court intermède puisque la présidence de la CVFS reviendra pour l'année 2024 à l'Assemblée nationale et donc à ma collègue Constance Le Grip.

Les contrôles sur place et sur pièces se sont déroulés à compter du mois de mai 2023 à cheval sur cette double présidence. Comme de coutume, nous nous sommes rendus aux sièges des 9 services bénéficiaires de fonds spéciaux afin d'échanger avec leurs responsables et de procéder à un contrôle des comptabilités par échantillonnage. Le secrétariat a ensuite approfondi ces contrôles et recueilli les informations utiles à la rédaction du présent rapport. Au total, 17 déplacements ont été effectués dans les services.

En outre, je tiens à signaler le déplacement en ***** que nous avons pu effectuer, M. Vaugrenard, Mme Colombier et moi-même, pour contrôler *****. Il y a un véritable intérêt réciproque, pour le service comme pour nous, d'effectuer ce type de déplacement au contact direct des agents en postes. A cet égard je salue leur travail et je n'ai pas d'observation notable à formuler sur la gestion des fonds spéciaux effectuée par ces postes.

J'en viens maintenant aux principales observations et recommandations d'ordre budgétaire.

Avant de détailler les dépenses et les recettes des ***** entités qui perçoivent et utilisent des fonds spéciaux, il faut constamment avoir en mémoire que l'irruption de la guerre en Ukraine a profondément modifié la physionomie de l'exercice 2022, *****.

Pour mémoire, après les exercices 2018 et 2019 dont les dépenses annuelles en fonds spéciaux *****.

Dans ce contexte, le ressaut à hauteur de 100 M€ (*****) des dépenses de l'exercice 2022 n'est donc pas lié à un simple retour à la période ante covid-19. La vraie raison est le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022. Voici quelques exemples : *****.

*****.

Comment cette hausse des dépenses a-t-elle été financée ?

Les fluctuations de dépenses observées depuis 2018 contrastent avec la stabilisation de la dotation budgétaire au niveau de 76 M€ en loi de finances initiale depuis 2020. Depuis lors, les crédits consacrés par le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « direction de l'action du gouvernement » s'établissent invariablement à 75,97 M€, y compris pour la loi de finances pour 2024, alors même que la prévision de dépense pour 2023 s'établit à près de ***** selon les chiffres communiqués par la CNRLT.

Les recettes budgétaires sont structurellement inférieures aux dépenses mais il y a plusieurs raisons à cela :

- D'abord, le plafonnement à 76 M€ de la dotation annuelle observé depuis 2020 a entraîné chaque année, un déficit de ressources budgétaires ***** ;

- Ensuite, *****.

Il en ressort que l'inscription en loi de finances d'une dotation invariable aux prévisions de dépenses s'apparente à une fiction de sincérité et d'annualité budgétaire.

En effet, il s'agit d'une dérive dont il convient de prendre garde car in fine, la dotation initiale votée en loi de finances au titre du programme 129 précité est rendue publique dans les documents budgétaires. Comme les parlementaires, même le grand public trouverait anormal que dans un monde en crise cette dépense stagne « sur le papier », alors qu'en réalité elle est 30 à 50 % supérieure ! Ce n'est pas un secret que de dire que la DGSE, la DGSI, les douanes et les forces spéciales sont depuis 2022 mobilisés tant par l'Ukraine, le Sahel que le Moyen-Orient (n'oublions pas que nous avons toujours des forces qui opèrent en Irak et en Syrie) mais aussi le narco trafic.

C'est pour ces raisons, que nous pourrions formuler la première recommandation suivante : rétablir une programmation budgétaire sincère et annuelle de la dotation en fonds spéciaux du programme 129 à compter du projet de loi de finances pour 2025 tenant compte des besoins de « resoclage » de la dotation de chacun des services. En d'autres termes, il faut que la programmation des dotations corresponde aux prévisions de dépenses. Cette recommandation serait adressée à l'attention de la Première ministre, de la CNRLT et du SGDSN.

Pour que ce retour à une sincérité budgétaire minimale soit possible, nous formulerions une seconde recommandation générale qui viserait à établir pour chaque service un plan pluriannuel, au minimum triennal, d'expression des besoins en fonds spéciaux et de régulation des soldes annuels de trésorerie sur la base d'une estimation de fonds de roulement minimum. *****.

Enfin, et j'en terminerais sur les aspects budgétaires, je voudrais souligner que plusieurs services (*****) se sont engagés dans la « fonds normalisation » de dépenses qui n'ont pas lieu d'être effectuées en fonds spéciaux (achats ne nécessitant pas d'anonymisation, dépenses courantes d'entretien ou de maintenance, prestations de services pouvant être fournies par des tiers habilités). *****. Aussi ces opérations de transfert de gestion des fonds spéciaux vers les fonds normaux doivent donner lieu à une réévaluation à due concurrence de ces derniers. Cette recommandation avait déjà été émise lors des précédents contrôles.

J'en arrive maintenant à quelques observations ayant trait à la gestion et à l'utilisation proprement dite des fonds spéciaux.

Le contrôle sur l'exercice 2022 a donné lieu à l'émission de 11 nouvelles recommandations spécifiques *****. Celles-ci peuvent porter sur des améliorations de gestion (*****) dont le détail figure dans les procès-verbaux relatifs à chaque entité.

*****.

Pour conclure, je voudrais faire un point sur la question du contrôle de la rémunération des sources.

*****. Les contrôles opérés au sein des services *****sont l'occasion de diffusion des bonnes pratiques en matière de recours aux fonds spéciaux et constituent un soutien utile et apprécié par les équipes. *****.

C'est l'expérience acquise au travers du contrôle qui permet à ***** la CVFS a formulé des recommandations *****.

*****.

Agnès CANAYER

Sénatrice de Seine-Maritime

Présidente de la Commission de vérification
des fonds spéciaux

ACTIVITE DE LA CVFS AU COURS DE L'ANNEE 2023

Le contrôle de l'utilisation des fonds spéciaux a été confié par le législateur (loi de finances pour 2002) à la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), dont la composition a été modifiée par la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 qui en a fait une formation spécialisée de la délégation parlementaire au renseignement (DPR).

La CVFS, composée de deux députés et deux sénateurs membres de la DPR est chargée de « s'assurer que les crédits [en fonds spéciaux] sont utilisés conformément à la destination qui leur a été assignée par la loi de finances ».

La Commission de vérification des fonds spéciaux a procédé en 2023 au contrôle sur les conditions d'emploi des fonds spéciaux au cours de l'exercice budgétaire 2022.

Au mois de janvier 2023, sa composition était la suivante :

- M. Yannick Vaugrenard, sénateur (Socialiste, Écologiste et Républicain) de la Loire-Atlantique, président ;

- Mme Agnès Canayer, sénateur (Les Républicains) de la Seine-Maritime ;

- Mme Caroline Colombier, députée (Rassemblement National) de la Charente ;

- Mme Constance Le Grip, députée (Renaissance) des Hauts-de-Seine.

À la suite des élections sénatoriales de septembre 2023, la CVFS a été partiellement renouvelée. À compter du mois d'octobre, la commission était composée comme suit :

- Mme Agnès Canayer, sénateur (Les Républicains) de la Seine-Maritime, président ;

- Mme Caroline Colombier, députée (Rassemblement National) de la Charente ;

- Mme Gisèle Jourda, sénatrice (Socialiste, Écologiste et Républicain) de l'Aude ;

- Mme Constance Le Grip, députée (Renaissance) des Hauts-de-Seine.

Pour mener sa mission et réaliser son rapport, la CVFS s'est déplacée au siège de chacune de structures bénéficiaires de fonds spéciaux pour y réaliser des contrôles sur place et sur pièces.

Elle s'est ainsi rendue :

- à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les 23 mai, 1er, 2, 8 et 23 juin, 7 juillet et 22 novembre 2023 ;

- à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les 6 juin et 21 novembre 2023 ;

- à la direction du renseignement militaire (DRM), les 9 mai et 28 novembre 2023 ;

- à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), le 21 juin 2023 ;

- à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), le 31 mai 2023 ;

- à Tracfin, le 30 mai 2023 ;

- au service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), le 30 mai 2023 ;

- au groupement interministériel de contrôle (GIC), les 20 juin et 12 décembre 2023.

Au cours de ces visites, la commission a auditionné les principaux responsables des services et a systématiquement procédé à un contrôle par échantillonnage des pièces comptables.

Elle a également effectué un déplacement *****, du mardi 12 au vendredi 15 septembre 2023, *****.

*

* *

I. LA PRESENTATION GENERALE DES FONDS SPECIAUX EN 2022

A. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS D'ORDRE BUDGÉTAIRE

1. La guerre en Ukraine : cause majeure de mobilisation accrue des fonds spéciaux en 2022

Après les exercices 2018 et 2019 dont les dépenses annuelles en fonds spéciaux *****, les deux années concernées par la pandémie de covid-19 se sont caractérisées par un net mouvement de retrait : *****.

Dans ce contexte, le ressaut à hauteur de 100 M€ des dépenses de l'exercice 2022 aurait pu s'apparenter à un simple retour à la période ante covid-19 si la vraie raison ne résidait dans le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, comme la cause majeure de mobilisation des fonds spéciaux. *****.

La mobilisation des dépenses, mais aussi de la ressource budgétaire, pour le soutien au partenaire ukrainien est également illustrée par *****.

Les fluctuations de dépenses observées depuis 2018 contrastent avec la stabilisation de la dotation budgétaire au niveau de 76 M€ en loi de finances initiale depuis 2020. Depuis lors, les crédits consacrés par le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » s'établissent invariablement à 75,97 M€, y compris pour la loi de finances pour 2024, alors même que la prévision de dépense pour 2023 s'établit à près de ***** selon les chiffres communiqués par la CNRLT.

2. Rétablir une programmation budgétaire sincère et annuelle de la dotation en fonds spéciaux

La décorrélation entre dépenses et dotations budgétaires appellent deux observations principales :

- le plafonnement à 76 M€ de la dotation annuelle observé depuis 2020 a entraîné chaque année, un déficit de ressources budgétaires, lesquelles ont été systématiquement inférieures aux dépenses dans le but de ponctionner le déficit de recettes sur des réserves de trésorerie (*****) jugées excessives tant par le Gouvernement que par la CVFS. ***** ;

- il s'agit d'une dérive dont il convient de prendre garde car in fine, la dotation initiale votée en loi de finances au titre du programme 129 précité est rendue publique dans les documents budgétaires tout comme son exécution globale ; seule la ventilation entre les différents services est couverte par le secret de la défense nationale. Et encore, le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2024 précise au sujet du financement des fonds spéciaux qu'ils « concernent principalement la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ». Aussi, pour citer les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, « si l'on considère que les services liés à la sécurité extérieure et intérieure de la Nation vont poursuivre leurs efforts en 2024 (guerre en Ukraine, reconfiguration des forces en Afrique, tensions en Indopacifique autour de la situation de Taïwan et résurgence d'une crise majeure au Proche et Moyen-Orient), il y aurait tout lieu de s'interroger sur la sincérité de la prévision budgétaire et donc sur le principe d'une hausse du socle de dotation des fonds spéciaux »31(*).

À ces observations tendant à un retour à l'orthodoxie budgétaire, il convient de prendre en considération ***** spécificités de gestion des fonds spéciaux :

- en premier lieu, la régulation des soldes de trésorerie et des fonds de roulement par le seul plafonnement de la dotation en loi de finances demeure inopérante. ***** ;

- deuxièmement, les services qui se sont engagés dans la « fonds normalisation » de dépenses qui n'ont pas lieu d'être effectuées en fonds spéciaux (achats ne nécessitant pas d'anonymisation, dépenses courantes d'entretien ou de maintenance, prestations de services pouvant être fournies par des tiers habilités) peuvent être freinés dans ces opérations de transfert de gestion si la dotation en fonds normaux n'est pas réévaluée à due concurrence ;

- enfin, certaines dépenses en fonds spéciaux *****.

Au bénéfice de ces observations, deux nouvelles recommandations générales d'ordre budgétaire sont émises au titre de l'exercice 2022.

Recommandation générale n° 22-01 (à l'attention de la Première ministre) : Rétablir une programmation budgétaire sincère et annuelle de la dotation en fonds spéciaux du programme 129 à compter du projet de loi de finances pour 2025, tenant compte des besoins de « resoclage » de la dotation de chacun des services.

Recommandation générale n° 22-02 : Établir pour chaque service un plan pluriannuel, au minimum triennal, d'expression des besoins en fonds spéciaux et de régulation des soldes annuels de trésorerie sur la base d'une estimation de fonds de roulement minimum.


* 1 A la date de l'adoption du rapport le 17 décembre 2024.

* 2 La publication concomitante de ces deux rapports de la CVFS est due au report à 2025 de la publication du rapport de la DPR en raison de la prolongation de la présidence de M. Cédric Perrin jusqu'au 31 décembre 2024.

* 3 Revue Cahiers français n° 440 juillet-août 2024 publiée par la Documentation française.

* 4 Pendant la période au cours de laquelle, dans l'attente de la désignation de plusieurs de ses membres par les présidents de chacune des assemblées, la DPR n'avait pu être formellement reconstituée suite à la dissolution de l'Assemblée nationale, le Président Cédric Perrin a conduit des entretiens, auxquels étaient à chaque fois conviés les sénateurs membres en exercice de la délégation.

* 5 Idem.

* 6 Organisée par la Chambre des députés italienne dans le cadre de la présidence italienne du G7.

* 7 Interview du 10 octobre 2023 sur la radio RCJ.

* 8 Sur un plan terminologique, la prolifération (développement de capacité propre) se distingue de la dissémination (transfert clé en main).

* 9 Au cours de l'année 2020, la délégation avait déjà été destinataire, en l'absence de toute obligation législative, d'un premier rapport classifié sur la mise en oeuvre expérimentale de la technique de l'algorithme, en complément du rapport d'évaluation transmis au Parlement en application de la loi de 2015.

* 10 Ces programmes sont répartis au sein des missions « Direction de l'action du Gouvernement », « Défense », « Sécurités », « Administration générale et territoriale de l'Etat », « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et « Justice ».

* 11 JORF n° 0177 du 26 juillet 2024.

* 12  Rapport n° 810 (2022-2023) relatif à l'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2022-2023.

* 13 Ibidem.

* 14 Article L. 562-2 du code monétaire et financier.

* 15 La libération des quatre agents est intervenue le 19 décembre 2024.

* 16 Démantèlement le 18 novembre 2022 à Strasbourg d'une cellule qui préparait un attentat puis le 6 juillet 2023 en Allemagne et au Pays Bas.

* 17 La Coface estime que le total des actifs de la Qatar Investment Authority (QIA) est estimé à environ 200 % du PIB du pays.

* 18 On soulignera la présence au sein du CRO d'un officier supérieur de la DGSE dès le mois de septembre 2023, en tant qu'adjoint au chef du Centre, qui a notamment permis une grande fluidité d'échanges, et la communication au CRO des analyses du Service : *****.

* 19 Risques transverses : risques de manipulation de l'information, risques cyber.

Risques intentionnels : risques terroristes, risques d'atteinte aux personnes, risques d'atteinte aux biens, risques d'atteinte aux chantiers et/ou phase de montage/ démontage, risques d'atteinte spécifique au bon déroulement des JOP 2024.

Risques non intentionnels : risques naturels, risques sanitaires, risques industriels, risques accidentels.

* 20 Dont 179 pour la seule DGSI. (Source : CNRLT)

* 21 Leur violation entraîne une action judiciaire (pour 45 cas parmi les MICAS issues de la DGSI).

* 22 Parmi lesquelles 8 ont entraîné une action judiciaire.

* 23 *****.

* 24 *****.

* 25 La lutte anti-drones : une première défaite aux JOP de Paris 2024 ?

M. Cédric Perrin, président ; MM. Loïc Hervé, Philippe Paul, Rachid Témal, rapporteurs.

* 26 Cf courrier adressé au Président de la République en date du 18 novembre 2019, dans lequel les dirigeants d'Airbus, Atos, Idemia, Orange et Thales demandaient « un engagement mutuel des parties prenantes ». Cet espoir a malheureusement été déçu comme en témoigne un second courrier adressé cette fois au ministre de l'Intérieur en date du 24 octobre 2023 dans lequel les représentants des industriels de la défense déploraient que « la mobilisation de la filière reste aujourd'hui sans réponse de l'État du fait de l'inertie des plans d'acquisitions et de modernisation, à quelques mois seulement des Jeux ».

* 27 Alors que les premiers systèmes PARADE auraient dû être livrés en janvier 2023, les trois premiers n'ont commencé à être reçus par les forces qu'en février 2024 tandis que les trois suivants, dont la réception était programmée en avril 2023, ont attendu le mois de juin 2024.

* 28 Les rapporteurs avaient émis les 6 recommandations suivantes :

1. Permettre en cas de nécessité de recourir à des procédures plus itératives et agiles que ne le sont les marchés publics, en particulier lorsque les délais sont contraints et/ou lorsqu'une rupture technologique crée une menace pour la sécurité nationale.

2. Limiter l'achat public de drones et de dispositifs de lutte anti-drones civils et militaires dotés d'une technologie extra-européenne et particulièrement chinoise en intégrant dans les appels d'offres un critère évaluant la maîtrise de la chaîne de valeur produite en France et en Europe.

3. Adapter le crédit d'impôt recherche (CIR) aux spécificités des industries de défense pour accompagner le développement des startups soumises au secret défense, qui ne peuvent de ce fait justifier de leur activité auprès de l'administration fiscale.

4. Commander d'ici le début des JOP de nouveaux systèmes de LAD légers et mobiles (fusils brouilleurs) et former les équipes pour les servir afin de préserver le caractère « multicouches » du dispositif mis en place.

5. Obtenir de nouveaux systèmes « lourds » en prêt ou à travers des coopérations pour pallier les défaillances du système PARADE et durcir notre dispositif compte tenu de l'évolution de la menace.

6. Déployer des systèmes « lourds » en régions sur les principaux sites qui accueilleront des compétitions et tout particulièrement autour des grands stades de Lille et Lyon, au besoin en sollicitant le concours de nos alliés européens.

* 29 Le cas échéant, pour les futures commandes publiques dans les cas où l'acheteur ne serait pas en mesure de définir seul à l'avance les moyens techniques permettant de répondre à ses besoins, d'envisager le recours à la procédure de dialogue compétitif, qui permet d'ouvrir un dialogue avec les candidats en vue de faire émerger les solutions techniques les mieux adaptées.

* 30 Voir notamment :

- le rapport n°1311 (Assemblée nationale) au nom de la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières -Etats, organisations, entreprises, groupes d'intérêt, personnes privées - visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des dirigeants ou des partis politiques français - M. Jean-Philippe Tanguy, président, Mme Constance Le Grip, rapporteure ;

- Et le rapport n°739 (Sénat, 2023-2024) au nom de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères - M. Dominique de Legge, Président, M. Rachid Témal, rapporteur.

* 31 Sénat, avis n° 130 (2023-2024), tome IX, déposé le 23 novembre 2023 par MM. Olivier Cadic et Mickaël Vallet au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2024.

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