- RÉUNION CONSTITUTIVE
- ÉCHANGE DE VUES SUR LES TRAVAUX
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
- COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
- Audition de MM. Laurent Cohen-Tanugi, avocat, et
François Ecalle, président de l'association « Finances
publiques et économie » (Fipeco)
- Audition de Mme Bernadette Malgorn, ancienne
préfète et secrétaire générale du
ministère de l'intérieur, MM. Jean-Ludovic Silicani, ancien
commissaire à la réforme de l'État, et Sébastien
Soriano, directeur général de l'Institut national de
l'information géographique et forestière (IGN)
- Audition de M. Laurent Dejoie, représentant
des Régions de France, vice-président du conseil régional
des Pays de la Loire et Mme Véronique Pouzadoux, vice-présidente
de l'Association des maires de France et des présidents
d'intercommunalité, maire de Gannat
- Audition de Mme Isabelle Dugelet,
représentante de l'Association des maires ruraux de France, maire de La
Gresle, MM. François de Mazières, trésorier de France
urbaine, maire de Versailles et Sébastien Miossec, président
délégué d'Intercommunalités de France, maire de
Riec-sur-Bélon
- Audition de représentants de l'Association du
corps préfectoral et de hauts fonctionnaires du ministère de
l'intérieur
- Audition de M. Samuel Tual, vice-président du
Mouvement des entreprises de France (Medef)
- Audition de Mme Rose-Marie Abel, directrice
générale par intérim d'Atout France, MM. Jean-Yves
Caminade, directeur financier, Paul-François Fournier, directeur
exécutif innovation, et Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des
relations institutionnelles de Bpifrance, et Benoît Trivulce, directeur
général par intérim de Business France
- Organisations syndicales représentatives de
fonctionnaires de l'État - Audition de Mmes Marie-Christine Caraty,
vice-présidente fédérale, et Valérie Boye,
déléguée fédérale, de la
Confédération française de l'encadrement -
Confédération générale des cadres (CFE-CGC),
Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale
Solidaires, un représentant de l'Union fédérale des
syndicats de l'État - Confédération générale
du travail (UFSE-CGT) et un représentant de la Fédération
syndicale unitaire (FSU)
- Audition de Mme Claire Landais, secrétaire
générale du Gouvernement
- Audition conjointe de MM. Grégory Emery,
directeur général de la santé (DGS), et Denis Robin,
président du collège des directeurs généraux
d'agences régionales de santé (ARS)
- Audition de M. Pascal Berteaud, directeur
général du Centre d'études et d'expertise sur les risques,
l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
- Audition de MM. Christophe Bouillon,
président du conseil d'administration, et Stanislas Bourron, directeur
général de l'Agence nationale de la cohésion des
territoires (ANCT)
- Audition de Mme Caroline Semaille, directrice
générale de l'Agence nationale de santé publique
(Santé Publique France)
- Audition de MM. Lionel Collet, président de
la Haute Autorité de santé (HAS), Jean Lessi, directeur
général, et Mme Catherine Paugam Burtz, directrice
générale de l'Agence nationale de sécurité du
médicament et des produits de santé (ANSM)
- Audition de M. Sylvain Waserman, président
et Mme Patricia Blanc, directrice générale
déléguée de l'Agence de la transition écologique
(Ademe)
- Audition de M. Olivier Thibault, directeur
général de l'Office français de la biodiversité
(OFB)
- Audition de M. Christophe Leblanc, directeur
général adjoint de l'agence de l'eau Rhin-Meuse, Mme Isabelle
Matykowski, directrice générale de l'agence de l'eau
Artois-Picardie, MM. Nicolas Mourlon, directeur général de
l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Loïc
Obled, directeur général de l'agence de l'eau Loire-Bretagne,
Mmes Sandrine Rocard, directrice générale de l'agence de l'eau
Seine-Normandie et Aude Witten, directrice générale adjointe de
l'agence de l'eau Adour-Garonne
- Audition de M. Martin Gutton, directeur
général de FranceAgriMer
- Audition de M. Sylvain Maestracci,
président-directeur général de l'Agence de services et de
paiement (ASP)
- Audition de représentants de syndicats
agricoles - MM. Stéphane Galais, Thomas Gilbert, secrétaires
nationaux de la Confédération paysanne et Mme Amélie
Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale
- Audition de représentants de syndicats
agricoles - MM. Yannick Fialip, membre du bureau de la Fédération
nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Quentin Le Guillous,
secrétaire général des Jeunes Agriculteurs
- Audition de M. Thierry Repentin, président,
et Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de
l'Agence nationale de l'habitat (Anah)
- Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien
ministre
- Audition de M. Patrice Vergriete (en
visioconférence), président, et Mme Anne-Claire Mialot,
directrice générale de l'Agence nationale pour la
rénovation urbaine (ANRU)
- Audition de MM. Marc Chappuis (en
visioconférence), préfet des Alpes-de-Haute-Provence, et Philippe
Court, préfet du Val d'Oise
- Audition de M. Thibaut Guilluy, directeur
général de France Travail
- Audition de M. Stéphane Lardy, directeur
général de France compétences
- Audition de Mme Frédérique
Alexandre-Bailly, directrice générale de l'Office national
d'information sur les enseignements et les professions (Onisep)
- Audition de Mme Claire Giry,
présidente-directrice générale, MM. Vincent Cottet et
Thibault Cantat, directeurs généraux
délégués de l'Agence nationale de la recherche
(ANR)
- Audition de MM. Jérôme Fournier, chef
de service et adjoint à la directrice, Franck Laudillay, sous-directeur
du pilotage et de l'animation des réseaux du sport, Omar Mokeddem, chef
de la mission financière, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet,
adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale
du sport, et M. Joris Rivière, adjoint au chef du bureau des
établissements du sport
- Audition de M. Frédéric Sanaur,
directeur général
de l'Agence nationale du sport
- La démarche de fusion d'opérateurs -
Audition de MM. Christophe Aubel, directeur général
délégué de l'Office français de la
biodiversité, ancien directeur général de l'Agence
française de la biodiversité (en visioconférence),
Christian Charpy, président de chambre à la Cour des comptes,
ancien directeur général de Pôle Emploi,
délégué général de l'instance nationale
provisoire chargée de sa mise en place,
et Roch-Olivier Maistre, président de chambre à la Cour
des comptes, ancien président de l'Autorité de régulation
de la communication audiovisuelle (Arcom) et du Conseil supérieur de
l'audiovisuel
- Audition de représentants d'organismes de
sécurité sociale - MM. Thomas Fatôme, directeur
général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM),
Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des
allocations familiales (CNAF), et Damien Ientile, directeur de l'Agence
centrale des organismes de sécurité sociale
(ACOSS - Urssaf Caisse nationale)
- Audition de M. Clément Beaune,
Haut-Commissaire au plan et commissaire général à la
stratégie et à la prospective
- Audition de M. Bruno Bonnell, secrétaire
général pour l'investissement
- Audition de M. Laurent Marcangeli, ministre de
l'action publique, de la fonction publique et de la simplification
- Structures intervenant en matière de
développement d'infrastructures de transport - Audition de MM. Rodolphe
Gintz, directeur général des infrastructures, des transports et
des mobilités (DGITM), Franck Leroy, président du conseil
d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de
France (AFITF), Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire
générale de l'Agence de financement des infrastructures de
transport de France, et M. David Valence, président du conseil
d'orientation des infrastructures (COI)
- Audition de Mme Amélie de Montchalin,
ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique, chargée des
comptes publics
- Audition de MM. Boris Ravignon, maire de
Charleville-Mézières,
et Éric Woerth, député
- Audition de M. Jean Verdier, président de
l'Agence française pour le développement et la promotion de
l'agriculture biologique (Agence Bio), de Mme Laure Verdeau, directrice, de Mme
Laurence Foret Hohn, directrice adjointe, et de M. Philippe Henry, ancien
président
- Audition de M. François Rebsamen, ministre
de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
- Audition de MM. Laurent Cohen-Tanugi, avocat, et
François Ecalle, président de l'association « Finances
publiques et économie » (Fipeco)
N° 807
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025
Rapport remis à M. le Président du Sénat le 1er juillet 2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1er juillet 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête (1) sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État,
Président
M. Pierre BARROS,
Rapporteur
Mme Christine
LAVARDE,
Sénateurs
Tome II - Comptes rendus
(1) Cette commission est composée de : M. Pierre Barros, président ; Mme Christine Lavarde, rapporteur ; Mme Pauline Martin, MM. Cédric Vial, Pierre-Alain Roiron, Michaël Weber, Ludovic Haye, Hervé Maurey, Emmanuel Capus, Mme Solanges Nadille, M. Christian Bilhac, Mme Ghislaine Senée, vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Di Folco, MM. Sébastien Fagnen, Pierre-Antoine Levi, Alain Milon, Mme Anne-Sophie Patru, MM. Hervé Reynaud, Bruno Rojouan, Jean-Marc Vayssouze-Faure.
RÉUNION CONSTITUTIVE
M. Bruno Rojouan, président. - Mes chers collègues, l'absence de deux de nos collègues, Alain Milon et Christian Bilhac, me donnant la qualité de président d'âge, il me revient d'ouvrir la première réunion de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État.
Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. La Conférence des présidents en a pris acte le 29 janvier 2025 et les vingt-trois membres ont été nommés, sur proposition des groupes politiques, lors de la séance publique du 5 février.
De plus, je vous rappelle que, en application du deuxième alinéa de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, le groupe à l'origine de la création de la commission a demandé à exercer la fonction de rapporteur et que cette demande est de droit.
Nous devons donc procéder à la désignation du président de la commission d'enquête qui, en application du même article, doit appartenir à un groupe minoritaire ou d'opposition.
J'ai reçu la candidature de notre collègue Pierre Barros, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K).
La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Pierre Barros.
- Présidence de Pierre Barros, président -
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir confié la présidence de cette commission d'enquête. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous rappeler brièvement les règles spécifiques qui s'appliquent au fonctionnement des commissions d'enquête.
Nous sommes tout d'abord tenus à un délai impératif de six mois pour rendre nos travaux. La prise d'effet de la création de la commission d'enquête étant fixée, au jour de nomination de ses membres, c'est-à-dire le 5 février, elle prendra fin par la publication de son rapport et au plus tard le 4 août.
Nous disposons de pouvoirs de contrôle renforcés, tels que celui d'auditionner toute personne dont nous souhaiterions recueillir le témoignage ou d'obtenir la communication de tout document que nous jugerions utile.
Les auditions seront publiques, sauf si nous devions en décider autrement. Toutes les personnes appelées à témoigner le feront sous serment.
En revanche, tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du Bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de vingt-cinq ans. J'appelle donc chacun d'entre nous à la plus grande discrétion sur ceux de nos travaux qui ne seront pas rendus publics.
Pour mémoire, je me dois de vous indiquer que le non-respect du secret est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. En outre, l'article 8 ter du Règlement du Sénat prévoit que tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas cette obligation de secret « peut être exclu de cette commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu » et que cette exclusion « entraîne l'incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d'enquête ».
Ce rappel étant fait, je vous propose de poursuivre la constitution du Bureau de la commission d'enquête, à commencer par la désignation du rapporteur.
Le groupe Les Républicains a proposé le nom de notre collègue Mme Christine Lavarde pour la fonction de rapporteur.
La commission d'enquête procède à la désignation de son rapporteur, Mme Christine Lavarde.
M. Pierre Barros, président. - Compte tenu des désignations du président et du rapporteur qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-présidents est la suivante : pour le groupe Les Républicains, deux vice-présidents ; pour les groupes Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) et Union Centriste (UC), deux vice-présidents chacun ; pour chacun des autres groupes, un vice-président, à l'exception bien sûr du groupe CRCE-K, que je représenterai au Bureau en tant que président.
J'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, Mme Pauline Martin et M. Cédric Vial ; pour le groupe SER, M. Pierre-Alain Roiron et M. Michaël Weber ; pour le groupe UC, M. Ludovic Haye et M. Hervé Maurey ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires (LIRT), M. Emmanuel Capus ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), Mme Solanges Nadille ; pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), M. Christian Bilhac ; enfin, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST), Mme Ghislaine Senée.
La commission d'enquête procède à la désignation des autres membres de son Bureau : Mme Pauline Martin, M. Cédric Vial, M. Pierre-Alain Roiron, M. Michaël Weber, M. Ludovic Haye, M. Hervé Maurey, M. Emmanuel Capus, Mme Solanges Nadille, M. Christian Bilhac et Mme Ghislaine Senée, vice-présidents.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie de votre confiance. Nous venons d'élire un Bureau, en précisant que nous comptons bien associer l'ensemble des membres de la commission d'enquête au cadrage des travaux, au choix des auditions et aux éventuels déplacements, de manière que nous puissions bénéficier des différentes expertises.
Cette commission d'enquête pourrait en effet donner l'impression d'être une émanation de la commission des finances compte tenu de sa composition, mais il nous sera très utile de croiser les connaissances des membres de chacune des commissions représentées.
Le groupe Les Républicains a demandé la constitution de cette commission d'enquête afin de faire le point sur le foisonnement des « démembrements » de l'État, si l'on peut désigner ainsi un ensemble d'agences, d'opérateurs, d'organismes consultatifs qui ont été créés de manière progressive, en particulier au cours des années 1990 et 2000.
Le premier problème qui se pose est celui de la délimitation de l'objet de notre commission d'enquête, qui pourrait devenir très vaste si l'on n'y prend pas garde. Dans un premier temps, on peut différencier ces organismes en considérant que les agences bénéficient d'une réelle autonomie et d'une responsabilité qui leur permet de structurer la mise en oeuvre d'une politique publique : le Conseil d'État dénombrait 103 agences dans un rapport paru en 2012.
Les opérateurs, quant à eux, sont placés sous un contrôle plus direct de l'État et exercent pour son compte des missions d'intérêt général. Le « jaune » budgétaire annexé au projet de loi de finances dénombre 434 opérateurs actuellement, mais un certain nombre d'entre eux sont classés comme des agences par le Conseil d'État.
Par ailleurs, la catégorie recoupe également assez largement celle des organismes divers d'administration centrale (Odac) qui est établie par l'Insee. Enfin, il y aurait plus de 300 organismes consultatifs, auxquels s'est intéressée la proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée de notre collègue Nathalie Goulet, examinée en séance le 30 janvier dernier.
Il nous sera nécessaire de disposer d'un éclairage général sur les conditions et les motivations de création de ces organismes. Comme a pu le relever le Conseil d'État, les agences ont été créées au coup par coup, sans qu'une véritable philosophie guide cette déconstruction de l'État.
Nous sommes à la recherche de personnes qualifiées pour aborder ces sujets et nous permettre de centrer nos travaux. Je crois d'ailleurs qu'il est préférable de ne pas inclure dans le champ de nos investigations certains types d'organismes qui constituent un sujet en soi, même si certains d'entre eux peuvent être classés parmi les agences ou les opérateurs.
Le recensement de ces organismes constituera à l'évidence un premier pas important, les ministres étant les premiers à reconnaître qu'ils ignorent leur nombre exact.
Il conviendra également de s'intéresser au financement de ces organismes, en précisant que les financements publics qui leur sont consacrés ont augmenté de 30 % entre 2015 et aujourd'hui. Je précise - point auquel le président et moi-même sommes très attachés - qu'il importe de distinguer les dépenses de fonctionnement des agences de leurs dépenses d'intervention, qui devraient être reprises par le ministère de tutelle si la structure venait à disparaître. Ainsi, supprimer l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ne conduirait en aucun cas à supprimer les crédits considérables alloués au dispositif MaPrimeRénov'.
En ce qui concerne nos futures préconisations, je rappelle que les fusions d'établissements entraînent toujours à court terme un surcoût, comme l'a récemment illustré le rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : le coût de cette fusion est en effet supérieur à la simple addition des budgets des deux structures.
Dans la pratique, nous vous proposons que nos travaux s'articulent autour d'auditions qui auront lieu le mardi après-midi ou le jeudi, en fin de matinée ou en début d'après-midi. Nous aimerions aussi organiser un ou deux déplacements en région et vous pourrez nous aider à identifier les lieux où il serait le plus pertinent d'aller. Enfin, nous allons demander une étude de législation comparée pour mieux comprendre l'organisation retenue par nos principaux partenaires européens, dont la Suède, le Royaume-Uni ou encore les Pays-Bas.
M. Pierre Barros, président. - Nous sommes bien conscients de l'immensité de la tâche et de la nécessité de circonscrire le périmètre de cette commission d'enquête. Compte tenu des contraintes de temps, nous devrons progresser chaque semaine, en commençant par auditionner des personnes qui ont contribué à la constitution de ces agences et à la décentralisation, ces premiers échanges devant nous permettre de bâtir un socle d'analyse commun.
Cette démarche s'impose d'autant plus qu'une forte pression politique s'exerce actuellement sur ces sujets. Aussi, cette commission d'enquête servira à absorber cette pression - tout à fait légitime - afin de prendre du recul et de formuler des préconisations pour améliorer la situation, tout en prenant garde à préserver ce qui doit l'être parmi les agences et opérateurs de l'État, parfois constitués pour répondre à des besoins territoriaux ou pour atteindre des objectifs de service public.
Je vous propose d'ores et déjà de nous retrouver pour un échange de vues plus approfondi mardi 11 février, à 16 h 30.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À cette occasion, chacun des membres pourra proposer les sujets qui lui paraissent essentiels. Les moyens du Sénat nous permettent de traiter un grand nombre de données et d'envisager des consultations citoyennes participatives, mais il nous faudra alors bien cibler nos questions et les personnes à qui elles sont adressées. Parallèlement, nous enverrons des convocations aux personnes susceptibles d'être auditionnées dès la semaine du 17 février.
M. Pierre Barros, président. - J'insiste sur le caractère participatif et collaboratif du travail de cette commission d'enquête, car je souhaite éviter un mode de fonctionnement trop rigide qui a pu caractériser d'autres structures temporaires. N'hésitez pas, en tout cas, à formuler des propositions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je réitère, pour ma part, mon appel à nous signaler tous les sujets qui vous semblent dignes d'intérêt : le prisme budgétaire des membres de la commission des finances peut les conduire à méconnaître des organismes dont les ressources sont très modestes au regard du budget global de l'État, alors que les membres des autres commissions peuvent être plus au fait d'organismes redondants et d'autres dysfonctionnements. Dans le domaine culturel par exemple, l'extrême fragmentation des comités et des structures génère à la fois de la complexité et des dépenses cumulées importantes.
Mme Agnès Canayer. - Il me semble que notre premier objectif consiste à mieux définir le périmètre de nos travaux, ma récente expérience ministérielle m'ayant permis de dialoguer tant avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), opérateur d'ampleur des politiques publiques, qu'avec divers comités consultatifs, qui sont loin d'avoir le même impact.
Si le sujet dont s'empare la commission d'enquête est passionnant, il est extrêmement large, d'autant qu'il existe une série d'organismes déconcentrés : prenons donc garde à bien délimiter notre champ d'étude.
Outre l'enjeu budgétaire, nous devrons évaluer l'utilité et l'efficacité de ces structures.
Mme Pauline Martin. - L'avis des élus locaux est primordial en la matière, car ils interagissent avec les agences quotidiennement : la consultation devra s'adresser prioritairement à eux.
Nous constatons également que les autorités de référence des agences se superposent souvent, ce qui est source de confusion et de blocages.
Du reste, il me semble que notre travail gagnerait à englober les agences régionales de santé (ARS), qui sont source de nombreux questionnements dans les territoires.
M. Michaël Weber. - Le sujet est aussi vaste que complexe et nous devons en effet définir nos priorités : il me semble que nous devons avant tout évaluer l'efficacité de ces organismes.
Il est par ailleurs exact de dire que les élus locaux connaissent les agences et les opérateurs, mais je note que le fait qu'ils les évoquent prouve au moins leur existence. A contrario, d'autres organismes demeurent dans l'ombre - peut-être à dessein, d'ailleurs - et peut-être qu'il faudrait commencer par les identifier, car ils négocient et consomment chaque année des fonds.
Sur le plan de la méthode, il est sans doute intéressant que chacun des membres de la commission essaye de repérer des organismes qui posent question, en fonction de sa spécialité : je pourrais ainsi citer des structures qui ont vocation à formuler des prescriptions techniques et dont l'efficacité semble douteuse.
Mme Solanges Nadille. - Je souhaiterais que nous ayons aussi une vision ultramarine de ce sujet, les territoires d'outre-mer présentant des particularités.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette dimension sera bien sûr abordée.
Mme Ghislaine Senée. - Quels sont nos attendus de fond ? Souhaitons-nous établir une liste des agences en les triant en fonction de leur efficacité ? Comment évalue-t-on, d'ailleurs, celle-ci ? Des critères devront donc être établis, en tenant compte des externalités et des impacts que pourrait entraîner la suppression de ces organismes.
Mme Anne-Sophie Patru. - Les conclusions de cette commission d'enquête sont attendues par les élus locaux, qu'il faudra effectivement consulter. Les agences de l'État ayant récemment été au centre de l'attention, nous devrons être en mesure de leur en expliquer le fonctionnement et de leur rappeler qu'elles ne résument pas l'intervention des pouvoirs publics.
Mme Agnès Canayer. - Précisons aussi que toute structure est coûteuse : les organismes consultatifs, s'ils ne disposent pas d'un budget propre, bénéficient ainsi de la mise à disposition d'agents.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Madame Senée, l'un de nos objectifs consiste à apporter des réponses au discours très populiste selon lequel la suppression de l'ensemble des agences permettrait de combler le déficit de l'État, perspective tout à fait irréaliste compte tenu des missions qu'elles remplissent.
Dans la perspective du prochain projet de loi de finances (PLF), il est bien question d'apporter une vision éclairée et aussi exhaustive que possible, en distinguant les structures à sanctuariser des doublons éventuels.
Pour ce qui est de la décentralisation et du
fonctionnement de l'État, je ne peux pas entendre que les
ministères de tutelle n'aient aucun droit de regard sur le
fonctionnement de certaines agences. Certains
conseils
d'administration prennent ainsi des décisions en
toute autonomie et il faudra s'assurer que les commissaires du gouvernement et
les élus présents dans ces conseils soient en mesure d'exercer un
contrôle effectif.
J'ai en tête une agence qui objectait que la présence d'un député et d'un sénateur dans son conseil d'administration garantissait un suivi, mais l'argument n'était pas valable puisque les réunions se tenaient le mercredi matin et que les documents étaient envoyés la veille pour le lendemain.
De surcroît, les agents publics présents dans ces établissements perçoivent des primes diverses et variées, ce qui peut contrevenir à leur reclassement éventuel dans la fonction publique d'État, ce qui soulève là aussi une problématique d'efficacité.
Mme Agnès Canayer. - Pourrions-nous avoir une note récapitulant les différentes formes juridiques de ces structures ?
M. Pierre Barros, président. - Une synthèse de ce type est bien sûr nécessaire. À une époque, les préfets et sous-préfets bataillaient pour simplifier le maquis des syndicats intercommunaux, qui avaient été créés pour un projet spécifique, mais qui avaient ensuite été maintenus.
Notre démarche peut s'apparenter à un « ménage » de ce type, qui confortera dans le même temps l'utilité d'autres structures. L'objectif de cette commission d'enquête consiste bien à adopter un regard objectif sur la situation de ces agences et opérateurs. Peut-être faudra-t-il même envisager de proposer la création de structures supplémentaires si cette solution présente un intérêt dans des domaines où les collectivités présentent des fragilités.
Mme Ghislaine Senée. - Nous convenons tous de la nécessité d'aller vers davantage de simplification, ne serait-ce qu'au niveau de la diversité des formes juridiques de ces établissements.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il nous faudra agir très rapidement si nous retenons l'hypothèse d'une consultation des élus.
Mme Agnès Canayer. - Nous devrons aussi nous pencher sur l'enjeu du pouvoir des responsables politiques sur ces divers opérateurs : une absence de contrôle sur les structures chargées de mettre en oeuvre les politiques publiques poserait une question de fond sur le fonctionnement démocratique de nos institutions.
S'agissant de la perspective d'une consultation, nous ne partirons pas de rien dans la mesure où des rapports d'information se sont déjà appuyés sur ce mode de consultation, notamment par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Il ne faudra d'ailleurs pas nous limiter aux élus locaux, qui ne sont que l'un des points d'entrée dans le sujet : nous sommes globalement confrontés à un manque de visibilité sur l'ensemble des acteurs.
M. Pierre Barros, président. - La lisibilité de l'action de l'État sur le terrain peut aussi s'effacer derrière des opérateurs et des agences qu'il finance pourtant très largement.
ÉCHANGE DE
VUES SUR LES TRAVAUX
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour un échange de vues dans la continuité de la réunion constitutive qui s'est tenue la semaine dernière. Lors de cette précédente réunion, nous avons entamé un tour de table afin de mieux définir le périmètre de cette commission d'enquête face à la diversité des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Nous soumettons donc aujourd'hui à votre attention une liste de propositions d'auditions, ouvertes à vos commentaires.
La commission d'enquête est réglementairement mandatée jusqu'au mois d'août ; toutefois, nous nous fixons pour objectif de remettre notre rapport dès le début juillet. Nos travaux pourront ainsi s'inscrire dans le cadre du calendrier budgétaire et apporter une contribution à l'élaboration du projet de loi de finances pour 2026.
La présente réunion constitue ainsi un moment d'échange sur l'organisation des travaux de la commission d'enquête, de manière à définir des auditions qui viendront enrichir notre analyse et nos recommandations.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Une note méthodologique est en cours de rédaction et sera prochainement transmise à l'ensemble des membres. Cette note vise à clarifier les définitions et statuts des entités concernées, à savoir les agences, les opérateurs et les organismes consultatifs.
Lors de notre dernière réunion, nous avons décidé d'exclure du champ de notre enquête les universités. Toutefois, la question des organismes de recherche et d'innovation demeure en suspens et devra être tranchée par la commission. Ces organismes regroupent des entités variées telles que le Centre national d'études spatiales (Cnes), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Agence nationale de la recherche (ANR), Campus France, Oséo. Il nous appartient de déterminer si cette catégorie spécifique doit être incluse dans nos travaux.
M. Hervé Maurey. - J'aimerais formuler deux observations liminaires. Tout d'abord, il est essentiel de rappeler que cette commission d'enquête, très médiatisée, suscite une forte attente. Nous devons ainsi être en mesure de formuler des propositions claires et concrètes, en identifiant les agences à supprimer, celles à fusionner et en évaluant les éventuels gains économiques associés.
Ensuite, nous devons nous attacher à différencier les structures concernées. Certaines, comme l'Autorité de régulation des transports (ART), jouent un rôle indispensable de régulation. À l'inverse, d'autres, telles que l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), pourraient être fusionnées avec une entité existante.
Concernant l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), sa création répondait précisément à l'objectif de regrouper plusieurs organismes. Pour autant, l'ANCT a été instituée sans que les fusions prévues aient été mises en oeuvre, en témoigne le maintien du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) fait également l'objet de nombreuses critiques, parfois injustifiées. Le véritable enjeu concernant cette structure tient finalement moins à son coût proprement dit qu'à la question plus large qu'elle pose en matière de démembrement de l'État.
La diversité des situations rend donc l'exercice particulièrement complexe. Pour ma part, je serais enclin à exclure les universités de cette réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais poursuivre sur le périmètre.
Par exemple, s'agissant des autorités administratives indépendantes, certaines sont une déclinaison de la législation européenne relative au marché et à leur régulation. C'est le cas pour les transports, mais aussi pour l'énergie. Ces autorités doivent, dès lors, être exclues du périmètre de la commission d'enquête. Rien ne nous empêche toutefois de nous interroger sur celles découlant de notre propre législation, par exemple l'Acnusa.
D'autres entités sont exclues. La remarque d'Agnès Canayer, était à ce sujet très judicieuse et consistait à rappeler que, par définition, l'État n'a pas la main sur les organismes paritaires, qui ont pourtant la mainmise sur un grand champ de la politique nationale. Il pourrait ainsi être intéressant de rappeler cet état de fait.
M. Hervé Maurey. - Même s'ils gèrent de l'argent public...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce sont certes les organismes paritaires qui décident de l'attribution des sommes, mais nous ne pouvons aborder leur fonctionnement ou leur droit de tutelle.
Dans le même esprit, les éco-organismes, qui gèrent de grandes sommes d'argent collecté sur les citoyens, s'inscrivent dans un statut de droit privé. Même s'ils ont été institués par la loi, leur fonctionnement échappe complètement à la sphère publique. Ils sont gérés uniquement par les entreprises qui sont parties prenantes de la responsabilité élargie des producteurs (REP). Nous ne pourrons donc pas non plus l'intégrer au périmètre de la commission d'enquête.
Afin de nous éclairer sur le périmètre de notre commission, nous allons demander à chacun des ministères de nous adresser la liste des agences opérateurs, commissions, comités sur lesquels ils ont un contrôle, que ce soit par le biais du contrôle mené par leur contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM), de la présence d'un commissaire du Gouvernement dans leur conseil administration ou de soutiens financiers. La liste ainsi retournée nous permettra d'avoir un état des lieux objectif sur lesquels nous pourrons réfléchir.
J'en reviens à ma question initiale, qui était celle des établissements liés au domaine de la recherche. Nous pourrions peut-être différencier, afin de n'en conserver qu'une partie, les centres de recherche tels que le CNRS ou le Cnes d'une part, et les établissements tels que Campus France et Oséo d'autre part. Conserve-t-on toutes ces entités ?
Mme Pauline Martin. - L'analyse des établissements de recherche nous prendrait un temps conséquent. Cela pourrait, au demeurant, faire l'objet d'une mission ou d'une étude à part. Des entités comme le CNRS ne sont, en effet, pas l'objet premier de notre commission.
Mme Ghislaine Sénée. - Si les organismes effectuant des travaux de recherche s'inscrivent dans le long cours, ce qui rend leur évaluation complexe, ceux ayant un rôle de financement ou de promotion de la recherche répondent à une logique différente. La distinction doit être clairement établie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous excluons donc le Cnes et le CNRS du périmètre de notre commission, mais conservons des structures comme l'ANR, Campus France et Oséo.
Mme Agnès Canayer - Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est-il également exclu ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il fait, en effet, partie de la même catégorie que le CNRS et le Cnes.
M. Pierre Barros, président. - Une analyse plus fine doit également avoir lieu concernant les autorités administratives ou publiques indépendantes. Bien que l'exclusion générale de certaines catégories de structures de notre périmètre d'enquête soit envisagée, cela ne nous empêche pas d'examiner de manière ciblée deux ou trois entités qui suscitent notre attention.
M. Hervé Maurey. - Toutes les autorités de régulation sont-elles prévues par le droit européen ? Je suis plutôt un défenseur de celles-ci, mais, dans certains cas, nous pouvons nous interroger.
Mme Ghislaine Sénée. - Je tiens à signaler que l'Acnusa joue parfois son rôle ! Il serait délicat de remettre systématiquement en cause les organismes de régulation de défense des intérêts de nos concitoyens.
M. Hervé Maurey. - Nous pourrions néanmoins nous interroger sur l'opportunité de rattacher ses missions, par exemple, à l'Autorité de régulation des transports (ART) ou de les réintégrer au sein d'une direction générale, comme celle de l'aviation civile. Ce ne sont que des pistes de réflexion.
Mme Pauline Martin. - Nous devons, en effet, nous interroger sur la plus-value apportée par l'existence de ces structures détachées.
M. Cédric Vial. - Le site gouvernemental servicepublic.fr recense vingt-quatre autorités indépendantes. Parmi ces autorités, certaines revêtent un intérêt particulier, notamment l'Acnusa, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), l'Agence française de lutte contre le dopage, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou encore la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada). La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), la Haute Autorité de Santé (HAS) ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) figurent également parmi les instances les plus notables.
Ces vingt-quatre structures doivent être replacées dans un ensemble plus large d'environ 1 200 organismes. Dès lors, se pose la question du fondement de leur éventuelle exclusion de notre périmètre d'étude. Existe-t-il un principe établissant que leur indépendance justifie qu'elles ne fassent pas l'objet d'un examen approfondi ? Si tel n'est pas le cas, leur prise en compte apparaît légitime.
Il est certes possible d'exclure certaines de ces instances, au même titre que d'autres parmi les 1 200 organismes existants. Toutefois, cette décision devra être rigoureusement motivée afin de répondre aux interrogations qui pourraient être soulevées, notamment quant aux raisons pour lesquelles, par exemple, l'Arcom ne ferait pas l'objet d'une analyse spécifique.
M. Pierre Barros, président. - Je rejoins les propos d'Hervé Maurey : des attentes existent, et certains noms circulent déjà. Toutefois, il convient de rappeler - comme nous l'avons souligné la semaine dernière - que le fait d'examiner une structure ne signifie pas nécessairement adopter une approche critique ou chercher à la remettre en cause.
Notre analyse pourrait tout aussi bien aboutir à la reconnaissance de l'indispensabilité d'un opérateur ou d'une structure donnée. Dans ce cas, nous pourrions non seulement confirmer la pertinence de son action, mais également recommander un renforcement des moyens qui lui sont alloués afin de consolider son rôle sur le territoire.
Mme Agnès Canayer - Serait-il envisageable de classer ces établissements en fonction de la nature de leurs missions ? Il pourrait ainsi être pertinent de distinguer plusieurs catégories : celles qui garantissent les droits et les libertés, celles chargées de la mise en oeuvre des politiques publiques, celles ayant une mission de contrôle, ainsi que celles assurant la valorisation de certaines politiques publiques. En somme, il s'agirait d'établir une classification fondée sur leurs objectifs, leurs rôles et leurs missions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour les vingt-quatre autorités mentionnées, une telle démarche est envisageable. Toutefois, l'appliquer aux 1 200 structures poserait une difficulté matérielle.
M. Pierre Barros, président. - Nous pouvons considérer qu'un consensus existe sur le périmètre proposé initialement par le rapporteur, avec une discussion sur la question des organismes relevant du domaine de la recherche.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En résumé, nous excluons les chercheurs et les professeurs d'université, tout en maintenant dans le périmètre les structures dédiées à la valorisation et à l'organisation de la recherche.
M. Pierre Barros, président. - Concernant les organismes paritaires, un consensus semble avoir été trouvé. En revanche, pour les éco-organismes et les éco-certifications, certaines interrogations subsistent parmi nos collègues. Il conviendra donc de déterminer si nous les examinons dans leur ensemble ou si un tri doit être opéré.
S'agissant des autorités administratives indépendantes, leur nombre limité à vingt-quatre devrait nous permettre d'en mener l'analyse, quitte à écarter éventuellement celles qui paraissent les moins pertinentes.
Nous avançons donc sur cette base, sous réserve que cela convienne à l'ensemble des membres.
M. Hervé Reynaud. - La raison d'être de cette commission d'enquête repose sur trois objectifs principaux : la recherche de simplification, le contrôle de la bonne utilisation des deniers publics et, le cas échéant, l'identification de pistes d'économies. L'examen par le Sénat de la proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée a déjà mis en évidence la nécessité de s'interroger sur ces questions. Toutefois, je crains qu'en restreignant excessivement notre périmètre, nous risquions de nous éloigner de ces objectifs.
Si je peux comprendre la volonté d'exclure les organismes paritaires, je ne vois pas en revanche pourquoi nous devrions nous dispenser d'examiner les éco-organismes ou les autorités administratives indépendantes.
Enfin, j'aimerais soulever une question supplémentaire. Nous avons été contactés par plusieurs présidents de Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), qui perçoivent notre commission comme une menace potentielle. Bien qu'ils ne figurent pas dans la première liste qui nous a été soumise, il me semblerait opportun de recueillir vos avis sur leur place, ainsi que sur celle du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans notre réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agissant du CESE, il est clair que le sujet n'est pas de traiter les organismes constitutionnels.
M. Christian Bilhac. - Depuis trois ans, je dépose systématiquement les mêmes amendements lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) visant à supprimer certaines agences.
À mon sens, il est essentiel d'inclure dans notre périmètre toutes les agences nationales qui formulent des recommandations ou délivrent des autorisations lorsque des agences européennes remplissent déjà ces mêmes fonctions. Prenons l'exemple du secteur pharmaceutique : pourquoi avons-nous besoin d'une agence française pour l'autorisation des médicaments alors qu'une agence européenne s'acquitte déjà de cette mission ? Faut-il considérer que nos homologues européens sont incompétents au point d'autoriser la mise sur le marché de médicaments dangereux ? Ce système de double autorisation relève d'un excès de précaution qui pourrait être rationalisé.
Au-delà de ces redondances entre échelons français et européen, nous observons également des doublons, des triplons, voire des quadruplons au niveau national. Un exemple frappant est celui des agences de l'eau. Sans remettre en cause leur utilité, il est légitime de s'interroger sur leur fonctionnement. Lorsqu'une commune souhaite rénover sa station d'épuration, elle doit solliciter une subvention auprès de la préfecture, une autre auprès de l'Agence de l'eau et une troisième auprès du département. Résultat : trois services différents instruisent le même dossier. Une simplification de ces procédures s'impose.
Enfin, je rappelle que, selon les chiffres à ma disposition, le budget des agences s'élève à quelque 80 milliards d'euros, soit davantage que celui de l'Éducation nationale, qui oscille entre 60 et 65 milliards d'euros. Ce montant est considérable, d'autant plus dans le contexte d'une dette publique considérable. Notre priorité devrait donc être de supprimer les agences redondantes afin d'optimiser la gestion des deniers publics.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sur le plan budgétaire, la commission d'enquête devra veiller, au gré des auditions, à distinguer les coûts d'une politique publique de ceux engendrés par l'établissement dédié à sa mise en oeuvre. Par exemple, la suppression de l'Ademe n'entraînerait pas la disparition des politiques publiques qu'elle soutient, telles que le fonds chaleur ou le fonds d'économie circulaire. Pour autant, nous pouvons nous interroger sur les méthodes de travail de l'agence, en particulier sur ses initiatives en matière de communication. Comment peut-on avoir, à une même échelle, des directions régionales de multiples agences qui interviennent sur le même sujet alors que, autrefois, on avait seulement un ou deux interlocuteurs administratifs ?
Afin d'éclairer nos travaux, nous souhaitons organiser, dès la semaine prochaine, des auditions portant sur les thématiques générales de la réforme de l'État et du phénomène d'agencification. Ces auditions permettront d'entendre des chercheurs ainsi que des hauts fonctionnaires ayant contribué à ce processus ou, à tout le moins, ayant été directement témoins de cette transformation.
Dans le cadre de cette réflexion conceptuelle, nous proposons également d'examiner la situation des agences aux États-Unis en auditionnant des chercheurs ayant mené des travaux sur ce sujet.
Souhaitez-vous nous suggérer d'autres personnes à auditionner pour ce premier cycle de travaux ? Par ailleurs, nous pouvons également discuter de l'organisation de la seconde phase, notamment de la pertinence d'une approche par politique publique.
Sur un plan organisationnel, nous tenterons de mener ces auditions plénières le mardi après-midi à partir de 16 heures, ainsi que le jeudi matin après les travaux des délégations.
M. Guillaume Chevrollier. - Les élus locaux ont de grandes attentes concernant cette commission d'enquête. Avez-vous prévu un dispositif de consultation en ligne afin de recueillir des retours de terrain sur d'éventuels doublons administratifs ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un consensus s'est dégagé lors de la réunion constitutive quant à la nécessité de mener une consultation. Toutefois, il est impératif de définir rapidement les questions qui seront posées afin d'éviter un questionnaire trop généraliste. Nous devons également nous interroger sur le public visé par cette consultation.
M. Pierre Barros, président. - Pauline Martin a soulevé la question de la consultation des élus locaux. Ce sujet mérite d'être abordé avec attention, en veillant à la formulation des questions afin d'éviter tout biais susceptible d'influencer les réponses sur des thématiques clivantes. Plusieurs membres de la commission pourraient travailler aux côtés du rapporteur pour proposer un tel questionnaire, qui pourra être validé lors d'une prochaine réunion plénière.
M. Christophe Chaillou. - Il serait également pertinent de recueillir le point de vue des porteurs emblématiques de ce système d'agences, telles que Jean-Louis Borloo. Par ailleurs, s'agissant de la comparaison internationale, bien que les États-Unis soient souvent cités en exemple, il serait opportun d'examiner également la situation des pays européens. Certains États, bien que dotés de nombreuses agences, parviennent à en assurer un fonctionnement efficace. Une étude comparative en Europe permettrait d'enrichir notre réflexion. Il conviendrait donc d'échanger avec des fédérations d'élus locaux européens afin d'obtenir une vision plus large.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comme mentionné lors de la réunion constitutive, nous nous appuierons sur la division de la législation comparée du Sénat pour analyser les cas de la Suède, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, ainsi que celui de l'Union européenne. Une fois cette étude finalisée, nous pourrions organiser des auditions avec les services compétents ou des experts de ces pays.
M. Christophe Chaillou. - L'exemple du Royaume-Uni est, à ce titre, particulièrement intéressant, notamment en raison du transfert massif de compétences des élus locaux vers d'autres entités. Il serait utile d'obtenir un témoignage de l'association britannique des collectivités locales sur cette situation.
M. Michaël Weber. - La question du périmètre d'étude est cruciale pour garantir une analyse pertinente. Vous posez la question de savoir quels sont les organismes qui pourraient être exclus en raison de leur spécificité. Nous avions distingué, au cours de la réunion constitutive, une première catégorie regroupant les agences et organes qui posent question, ainsi qu'une deuxième catégorie rassemblant des structures qui passent sous les radars. J'évoquerai également la spécificité des organismes de validation technique. L'efficacité de ces structures doit être évaluée au-delà de leur simple coût financier. À titre d'exemple, la validation technique des matériaux prend deux à trois ans en France, alors qu'en Allemagne, elle est réalisée en six mois. Un État pourtant fédéral comme l'Allemagne dispose ainsi d'un système moins émietté et plus efficace. Je m'interroge ainsi sur la possibilité d'intégrer aux travaux de la commission d'enquête ce type de sujet, qui, bien que technique, soulève des enjeux d'efficacité administrative.
Par ailleurs, le temps dont nous disposons pour recenser l'ensemble des agences à analyser est limité. Il nous faudra donc adopter une approche méthodique et efficace pour mener à bien ce travail.
M. Pierre Barros, président. - Ça n'est pas parce que c'est difficile que nous n'allons pas y arriver !
M. Cédric Vial. - Je me souviens notamment d'une audition menée avec la commission de la culture, au cours de laquelle un entraîneur français nous a expliqué que, sans l'Agence nationale du sport (ANS), il n'aurait pas pu réaliser la même préparation. Un argument financier intéressant a notamment été avancé : le cadre salarial de la fonction publique ne permet pas d'attirer certaines personnalités du monde sportif.
Concernant les CESER, en tant qu'organismes rattachés aux régions et relevant d'une loi organique, je considère qu'ils ne doivent pas être inclus dans notre champ d'étude. En revanche, d'autres structures suscitent des interrogations. Atout France, par exemple, est un groupement d'intérêt économique (GIE). Devons-nous considérer les GIE comme faisant partie de notre périmètre ? Il serait pertinent d'établir une définition claire permettant de déterminer les formes juridiques qui entrent ou non dans le cadre de notre mission.
M. Hervé Maurey. - L'ensemble des sujets évoqués présente un réel intérêt et mériterait une analyse approfondie. Toutefois, il est essentiel de reconnaître que nous ne pourrons pas tout examiner de manière exhaustive. Il me semble donc pertinent de concentrer notre étude sur les structures relevant directement de l'État, conformément à l'intitulé de notre commission.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille s'attacher strictement au statut juridique des organismes concernés. L'exclusion d'une entité au seul motif qu'il s'agit d'un groupement d'intérêt économique (GIE), par exemple, ne me paraît pas justifiée. Certains retours sur Business France laissent penser qu'un examen approfondi serait opportun.
En somme, deux principes doivent guider notre approche : d'une part, il est nécessaire de recentrer notre périmètre d'analyse, et d'autre part, il ne faut pas exclure des structures sur la seule base de leur forme juridique, mais bien en fonction de leur rôle au sein de l'action publique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous abordez les différentes structures en fonction de leur domaine d'intervention : Atout France et Business France relèvent de la promotion de l'économie française, tandis que l'Ademe, les Agences de l'eau et l'Office français de la biodiversité (OFB) sont rattachés aux enjeux environnementaux.
Dans cette logique, ne pourrions-nous pas envisager, dans une seconde phase de nos travaux, d'organiser des après-midi d'auditions thématiques, en réunissant les acteurs que nous aurons préalablement identifiés ? Si cette approche vous semble pertinente, quelles seraient, selon vous, les thématiques essentielles à traiter ? Le secteur du sport a notamment été mentionné.
M. Christian Bilhac. - Je m'interroge sur le budget alloué à ces opérateurs. À ce jour, je peine à obtenir ces informations, qui semblent être mieux protégées qu'un secret d'État.
Prenons l'exemple des Agences de l'eau : il est possible de connaître le montant des aides distribuées, mais les autres éléments budgétaires demeurent inaccessibles. Aucune donnée précise n'est disponible sur les rémunérations. Cette opacité financière est préoccupante.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un tel diagnostic est prévu dans le courrier qui sera adressé à l'ensemble des secrétariats généraux des ministères. Nous leur demanderons, pour chaque structure concernée, de nous fournir des informations détaillées sur les dépenses de personnel, les dépenses d'intervention et les coûts de fonctionnement. L'objectif est de distinguer ce qui relève de l'intervention publique, qui existerait indépendamment de la structure, de ce qui correspond aux coûts spécifiques engendrés par son existence.
Par ailleurs, nous avons tous en mémoire plusieurs fusions récentes, telles que celles du Cerema, de l'OFB ou encore de l'ANCT. À cet égard, nous pourrons nous appuyer sur les travaux de la Cour des comptes, qui a fréquemment analysé ces fusions sous l'angle des coûts et de leur efficacité budgétaire.
M. Pierre-Alain Roiron. - Il me semble que trois questions essentielles doivent être posées.
La première concerne la nécessité même de ces structures : répondent-elles à un besoin indispensable que l'État ne pourrait pas assurer directement de manière efficace ?
La deuxième question porte sur les surcoûts qu'elles engendrent. La Cour des comptes a mené des analyses à ce sujet.
Enfin, la troisième interrogation concerne la nécessité de savoir si les fusions permettent réellement de réaliser des économies.
Je suis d'accord pour ne pas intégrer les CESER dans le périmètre, ni ceux qui dérivent du droit européen.
M. Cédric Vial. - Je partage l'analyse qui vient d'être formulée et souhaiterais y ajouter une question complémentaire : une autre entité pourrait-elle accomplir plus efficacement les missions de la structure concernée ? Cette alternative pourrait prendre différentes formes : une réinternalisation au sein du ministère compétent, un transfert aux collectivités locales afin de renforcer le rôle des élus territoriaux, ou encore une fusion avec une autre agence.
Mme Pauline Martin. - La question de l'organisation thématique est essentielle. Prenons l'exemple de l'environnement, où les compétences sont souvent réparties entre plusieurs structures, générant ainsi des chevauchements. Il ne s'agit pas de multiplier les auditions de manière exhaustive, mais d'adopter une approche structurée, en procédant par thématiques, afin de garantir une analyse pertinente et ciblée.
Mme Agnès Canayer - Si notre objectif principal est d'identifier des sources d'économies potentielles, ne serait-il pas opportun d'écarter du périmètre d'analyse les instances à vocation consultative ? Ces commissions génèrent des coûts relativement limités, et leur exclusion nous permettrait de recentrer notre travail sur les structures opérationnelles, dont l'impact budgétaire est plus significatif.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, ces instances consultatives n'entraînent pas de coûts financiers élevés, mais elles contribuent à alourdir les processus décisionnels. Je pense, par exemple, au Conseil supérieur de l'énergie (CSE), dont j'ai pu observer le fonctionnement. Nous passions des après-midi entiers à auditionner différents interlocuteurs, qui tenaient souvent des discours similaires et rendaient un avis qui n'était contraignant pour personne. Tout cela a un coût d'entropie du système.
M. Pierre Barros, président. - En matière de volume, nous recensons 434 opérateurs, 417 commissions consultatives, ainsi qu'un ensemble d'agences, d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), d'établissements publics administratifs (EPA) et de groupements d'intérêt public (GIP). Les commissions consultatives font bien partie du périmètre de travail défini pour cette mission.
J'aimerais également soulever une autre question. Le corps préfectoral apporte un éclairage particulièrement intéressant sur le rôle des agences. Dans certains cas, la gestion de projets complexes a été confiée à des structures externes, sous prétexte qu'elles étaient mieux adaptées que l'administration traditionnelle pour mener à bien ces missions. Ce choix pouvait se justifier, mais il a eu pour conséquence une réduction du nombre de postes dans les préfectures, entraînant une perte de compétences au sein de l'État.
À terme, cette externalisation a conduit à la création de nouveaux postes publics, non plus pour mener directement les projets, mais pour assurer une interface entre les services de l'État et ces agences. Des agents consacrent une part significative de leur temps à des tâches de coordination entre différentes structures. En conséquence, même si ces entités ne représentent pas, en apparence, un coût budgétaire majeur, elles contribuent à une charge administrative accrue.
Il pourrait donc être pertinent d'auditionner des fonctionnaires, notamment à travers leurs associations professionnelles, afin de recueillir leur retour d'expérience sur ces évolutions.
M. Cédric Vial. - Je souhaite revenir sur la question de la définition du périmètre, qui me semble être un élément essentiel pour structurer notre travail. Les organismes consultatifs de l'État, tels qu'évoqués précédemment, sont bien inclus dans le champ de cette mission. Toutefois, il convient de préciser que ces commissions sont de niveau national.
Or, l'action de l'État peut également être déconcentrée. À ce titre, les instances locales, telles que les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNAF) ou les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC), auxquelles nous sommes régulièrement confrontés en tant qu'élus locaux, entrent-elles dans le périmètre de notre enquête ?
M. Pierre Barros, président. - Elles ne font pas partie des instances recensées par le « jaune » budgétaire consacré à ces commissions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au regard de ces éléments, ne conviendrait-il pas, dans un premier temps, d'examiner différents projets portés par les collectivités territoriales, afin de faire un état des lieux des démarches administratives nécessaires et de la pluralité des organes qu'ils doivent saisir ? Dans le domaine médical, par exemple, les procédures impliquant l'agence régionale de santé (ARS) et la HAS entraînent d'importants délais pour l'ouverture d'une maison médicale. Il serait pertinent d'analyser ces redondances et d'évaluer la place de l'État central dans ces processus.
M. Pierre Barros, président. - Il est, en effet, essentiel d'examiner comment cette archipélisation de l'État a engendré des surcoûts ainsi qu'une complexification des processus. Cette situation impose désormais un travail préparatoire conséquent pour le montage de tout projet, mobilisant de nombreux interlocuteurs disposant de différents pouvoirs et de crédits pour abonder ce projet. Notre mission est donc de proposer des simplifications, sans pour autant oublier les raisons pour lesquelles ces structures ont été mises en place.
M. Hervé Reynaud. - J'aimerais également soulever la question de la finalité de cette commission d'enquête. Il serait réducteur de limiter notre travail à une simple évaluation des structures à conserver ou à supprimer. Certains élus suggèrent, par exemple, une démarche de départementalisation des agences de l'eau, qui permettrait aux élus locaux de retrouver une certaine maîtrise des décisions. La commission pourrait ainsi formuler des recommandations visant à améliorer l'efficacité administrative. En tant que rapporteur de la proposition de loi visant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité n'est pas avérée, je considère qu'il ne s'agit pas uniquement de dresser une liste d'agences à supprimer ou à maintenir. L'attente est bien plus large.
M. Pierre Barros, président. - Forts de notre expérience en tant qu'élus locaux et sénateurs, nous sommes à même de lister de nombreuses procédures administratives ubuesques. Toutefois, nous devons garder le sens de l'État et ne pas nous arrêter à ces exemples. Les auditions nous permettront d'identifier les leviers d'amélioration, afin de renforcer la présence de l'État sur les territoires. La finalité de notre travail réside donc dans la recherche d'une meilleure lisibilité de l'action publique, avec une dimension financière sous-jacente.
La réduction des structures administratives devra être calibrée. Nous devons nous concentrer, dans un premier temps, sur l'identification des doublons et des économies illusoires. Si la fusion d'entités peut sembler une solution, elle ne garantit pas nécessairement des gains budgétaires.
Mme Ghislaine Senée. - D'un point de vue historique, les agences ont émergé au fil de l'eau pour répondre à divers besoins : impulser de nouvelles politiques publiques, gérer des crises, assurer la coordination des politiques déconcentrées ou encore moderniser l'administration. Il est important d'analyser l'évolution historique de ces structures afin de mieux comprendre leur multiplication.
J'ajouterai que la perception de leur utilité varie en fonction des interlocuteurs. Si certains élus ont rencontré des difficultés avec l'ANCT, d'autres saluent le programme « Action coeur de ville ».
J'apprécie la proposition d'une approche opérationnelle qui examine la manière dont ces établissements répondent aux besoins concrets des collectivités. Il ne s'agit pas d'une chasse aux sorcières, mais d'une évaluation objective des politiques publiques. Nous devons, en ce sens, éviter de débuter nos travaux en ciblant immédiatement les établissements médiatisés et critiqués, tels que l'Ademe, l'ANCT ou les agences de l'eau, au risque d'introduire un biais dès le départ. Une approche territoriale ancrée dans les réalités locales renforcerait l'utilité de notre rapport, au-delà des considérations budgétaires.
M. Pierre Barros, président. - Il convient effectivement d'élargir la liste des auditions au fil des travaux afin d'éviter toute stigmatisation de certains établissements.
Solanges Nadille, qui ne peut être présente à cette réunion, propose à la commission d'enquête d'auditionner la Direction générale des Outre-mer (DGOM). Cela souligne la nécessité d'adopter une approche non exclusivement parisienne. Il est important de suggérer des intervenants issus de l'ensemble du territoire afin de prendre en compte la diversité des réalités locales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous pourrions, à cet égard, organiser un ou deux déplacements en région. Si certains ont identifié des situations particulièrement révélatrices d'inefficacités du fait de l'intervention de multiples organes de l'État, il serait pertinent de les observer sur le terrain. Ces déplacements pourraient également concerner des territoires où la présence d'agences de l'État est particulièrement dense, qui peuvent être rencontrés dans la journée.
M. Christian Bilhac. - Il est, en effet, essentiel de recueillir des témoignages concrets sur le terrain. Prenons deux exemples simples : autrefois, pour un problème d'urbanisme ou d'aménagement, il suffisait de consulter la subdivision de l'Équipement au chef-lieu du canton, et la situation était rapidement réglée. Aujourd'hui, il est nécessaire de réunir une quinzaine d'intervenants. De même, pour l'électricité, le chef de district départemental apportait une solution immédiate. Lors de mon dernier projet communal, j'ai dû mobiliser huit interlocuteurs : c'est de la folie ! Cela est source d'exaspération pour les élus locaux, car, outre son coût, cette complexité administrative paralyse la conception des projets.
M. Guillaume Chevrollier. - Il me semble également important de recueillir l'avis des entrepreneurs et des représentants des chefs d'entreprise, notamment le Mouvement des entreprises de France (Medef) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Par ailleurs, je m'interroge sur l'absence de l'Agence française de développement (AFD) dans la liste des autorités à auditionner.
M. Pierre Barros, président. - Cette structure dépasse le périmètre défini par la commission d'enquête.
Nous retenons vos suggestions. Nous allons commencer les auditions la semaine prochaine avec des interlocuteurs permettant d'avoir une vue générale, puis construire un calendrier progressivement, en retenant tout particulièrement les créneaux du mardi après-midi et du jeudi matin.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il serait effectivement opportun d'organiser, dans le cadre du premier cycle d'auditions, une table ronde avec les représentants des entreprises afin qu'ils puissent partager leur expérience sur leur relation avec ces structures et les contraintes normatives auxquelles elles font face. Une seconde table ronde avec les associations représentants les élus locaux apporterait également une vision générale, avant d'adopter, dans le cadre d'un deuxième cycle d'auditions, une approche plus sectorielle des établissements à étudier.
M. Christian Bilhac. - Il serait également intéressant d'entendre les agences agricoles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant l'agriculture, il y a à la fois FranceAgriMer et l'Agence de services et de paiement (ASP). Certains coûts associés à ces agences sont préoccupants : par exemple, l'ASP prévoit des coûts de gestion très élevés pour la mise en place d'une nouvelle méthode de distribution du chèque énergie.
M. Pierre Barros, président. - L'Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV) mérite également d'être examinée. Cela souligne l'importance du travail préalable de ciblage des structures. L'élaboration de fiches analytiques détaillées pour chaque structure - incluant leur budget, le nombre d'équivalents temps plein (ETP) et l'utilisation faite des crédits - permettra d'identifier les organismes nécessitant effectivement une analyse approfondie.
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
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Audition de MM. Laurent Cohen-Tanugi, avocat, et François Ecalle, président de l'association « Finances publiques et économie » (Fipeco)
M. Pierre Barros, président. - Nous commençons nos auditions cette semaine en recevant plusieurs hauts fonctionnaires et experts, pour un aperçu général de la manière dont, au cours des dernières décennies, un nombre croissant de fonctions ont été confiées à des agences ou opérateurs.
Le périmètre de notre commission d'enquête peut effrayer par son étendue : 434 opérateurs, 317 commissions consultatives, 103 agences identifiées par le Conseil d'État en 2012, 1244 par l'Inspection générale des finances la même année... La première tâche est celle de faire le tri entre ce qui est important du point de vue de l'exécution des politiques publiques et ce qui l'est moins.
Avant de recevoir, après-demain, trois hauts fonctionnaires qui ont joué un rôle, ou le jouent encore, dans les réformes de l'État et la réflexion sur sa place, nous bénéficierons lors de notre première audition de deux points de vue différents et complémentaires.
Monsieur François Ecalle, vous avez été, il y a une dizaine d'années, le rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, après une carrière à la direction de la prévision du ministère des finances. On vous connaît aujourd'hui comme président de l'association « Finances publiques et économie » (Fipeco) et vous intervenez régulièrement sur les sujets liés aux finances publiques. Vous pourrez nous présenter le poids des agences dans l'ensemble des administrations et avancer des pistes de réforme. Dans un article publié il y a quelques mois, vous estimiez qu'agir sur la masse salariale des agences ne permettrait d'atteindre que moins de 10 % du besoin de réduction du déficit public. Sur quoi fondez-vous cette estimation ? Et faut-il se poser la question par l'angle des économies budgétaires, ou ne faut-il pas plutôt se demander d'abord quelle est la manière la plus efficace de mettre en oeuvre les politiques publiques au service des citoyens ? Vous pourrez aussi donner votre regard sur l'évaluation de ces agences, sujet que vous également abordé lors d'un entretien radiophonique.
M. Laurent Cohen-Tanugi, vous êtes avocat au barreau de Paris, mais aussi à celui de New York, et vous développez une réflexion sur plusieurs problématiques politico-économiques du monde contemporain, traduite dans des essais consacrés aux rapports entre droit et démocratie et aux questions d'organisation institutionnelle et administrative. Merci de nous apporter une approche comparative entre la France et les États-Unis. Vous avez écrit Le droit sans l'État. Sur la démocratie en France et en Amérique et La métamorphose de la démocratie française. De l'État jacobin à l'État de droit. Nous avons demandé la réalisation d'une étude de législation comparée sur la question des agences et des opérateurs dans les pays européens ; vous pourrez nous présenter votre analyse des évolutions de l'organisation administrative française au cours des dernières décennies, à la lumière de la comparaison avec les États-Unis, où le pouvoir exécutif est depuis plus longtemps partagé entre de nombreuses agences administratives fédérales. Au-delà du seul cas américain et selon votre expérience, le développement des agences, y compris les autorités administratives indépendantes (AAI), représente-t-il une évolution positive pour les entreprises, en garantissant spécialisation et neutralité de l'action administrative ? Par ailleurs, la forte autonomie des agences vis-à-vis du pouvoir exécutif aux États-Unis va-t-il de pair avec un important contrôle de la part du pouvoir législatif et que pensez-vous de la suppression des agences entamée dans ce pays ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'environ dix minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ». Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Ecalle et Laurent Cohen-Tanugi prêtent serment.
M. François Ecalle, président fondateur de l'association « Finances publiques et économie » (Fipeco). - Merci pour votre invitation. Fipeco est une toute petite association où je suis seul à travailler, les autres membres ayant les fonctions d'un comité de lecture. Je suis un généraliste des finances publiques et pas un spécialiste des agences. Je ne pourrai donc sans doute pas répondre à toutes vos questions.
En 2012, le Conseil d'État et l'Inspection générale des finances (IGF) ont publié, chacun de son côté, un rapport sur les agences. Le premier en recensait 103 et la deuxième 1 244, ce qui illustre l'imprécision de ce concept.
Il existe une liste des autorités indépendantes qui en répertorie 24, dont les moyens budgétaires sont, au total, inférieurs à 500 millions d'euros. Cette liste pose des questions : par exemple, je me demande pourquoi le Haut Conseil des finances publiques, comité budgétaire indépendant au sens de la réglementation européenne dont j'ai été membre, n'y figure pas.
Un rapport annexé au projet de loi de finances (PLF) présente chaque année les commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres ; elles sont au nombre de 317 et les dépenses de chacune d'elles dépassent rarement le million d'euros.
Je parlerai par la suite des deux catégories d'agences dont la liste est régulièrement mise à jour et pour lesquelles les enjeux budgétaires sont importants et des informations intéressantes sont disponibles : les opérateurs de la comptabilité budgétaire et les organismes divers d'administration centrale de la comptabilité nationale (ODAC). Les services à compétence nationale, qui figuraient sur la liste de l'IGF de 2012, présentent aussi de forts enjeux budgétaires mais les données agrégées relatives à cette catégorie d'agences, si on peut les appeler ainsi, sont très rares à ma connaissance.
Les opérateurs font chaque année l'objet d'un rapport annexé au PLF ; dans celui pour 2025, ils sont 434 et les crédits budgétaires et les taxes qui leur sont affectés atteignent 77 milliards d'euros. En 2023, leurs ressources propres étaient par ailleurs de 14 milliards d'euros et leur masse salariale s'élevait à 33 milliards d'euros. Il n'existe pas de compte agrégé complet de l'ensemble des opérateurs qui permette de compléter ces données. Cette année, les opérateurs pourraient employer près de 492 000 personnes en équivalent temps plein dont 402 000 sous le plafond des emplois autorisés inscrit dans le PLF.
Le nombre d'opérateurs a diminué depuis 2008, où ils étaient 649, pour revenir à 434, mais les financements qui leur sont accordés par l'État ont augmenté puisqu'ils sont passés de 1,4 % du PIB en 2007 à 2,7 % en 2023, ce qui résulte pour partie d'un transfert de moyens et de compétences aux universités devenues autonomes.
En comptabilité nationale, les ODAC sont des organismes de statut juridique varié en général dotés de la personnalité juridique auxquels l'État a confié, sous son contrôle, une compétence fonctionnelle au niveau national. Ils sont principalement financés par des subventions de l'État ou des impôts affectés. L'Insee en recense environ 700 et publie chaque année leur liste. Les définitions des opérateurs et des ODAC sont proches et leur liste est largement commune, mais certains opérateurs ne sont pas des ODAC et réciproquement.
L'Insee publie un compte agrégé des ODAC. En 2023, leurs dépenses de fonctionnement étaient de 105 milliards d'euros dont 29 milliards d'euros de rémunérations, 25 milliards d'euros d'achats de biens et services courants et 35 milliards d'euros d'aides et subventions. Leurs investissements étaient de 32 milliards d'euros.
De 1990 à 2005, les dépenses de fonctionnement et d'investissement des ODAC représentaient environ 17 % de celles des administrations publiques centrales, qui regroupent l'État et les ODAC. Cette part a ensuite augmenté pour approcher 20 % au début des années 2010 puis atteindre 21 % en 2023.
Les agences, opérateurs ou ODAC, existent depuis longtemps en France et dans les autres pays avancés. Elles permettent de rassembler dans un même service, plus ou moins autonome, les agents et les moyens matériels nécessaires à la production d'un service public en les spécialisant et en dégageant des économies d'échelle. La création d'agences autonomes peut aussi faciliter la concertation avec les parties prenantes d'une politique économique en les faisant participer à leurs conseils d'administration. Elle peut aussi permettre de prendre des décisions impartiales quand l'État risque d'être à la fois juge et partie - je pense aux autorités de régulation sectorielle.
Enfin, l'expérience des pays anglo-saxons et scandinaves a inspiré, à la fin du siècle dernier, le développement d'un modèle administratif dans lequel les ministres définissent les politiques publiques et chargent des agences autonomes de les mettre en oeuvre en leur fixant des objectifs et les moyens nécessaires à un horizon de moyen terme. Ce modèle a inspiré la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 et le développement des agences dans les années 2000. Il fonctionne correctement dans d'autres pays mais pas en France, en particulier parce que l'État a rarement su formuler des objectifs opérationnels pertinents et s'engager à moyen terme sur des moyens budgétaires. Un rapport de 2021 de la Cour des comptes sur les opérateurs montrait que seulement 22 % d'entre eux faisaient l'objet d'un contrat d'objectifs et de moyens. S'agissant des services de l'État, le volet performances de la LOLF est aussi un échec.
Ce n'est pas tant l'organisation administrative, agences ou services de l'État, qui pose un problème en France, à mon avis, que l'accumulation des missions de l'État dans le temps sans remise en cause de leurs justifications.
Des économies sur les dépenses des opérateurs sont néanmoins possibles et souhaitables. Ils ont déjà été soumis, depuis longtemps, à des contraintes budgétaires renforcées avec notamment le plafonnement du produit des taxes qui leur sont affectées et des emplois qui sont autorisés, mais il faut certainement aller plus loin.
La moitié des opérateurs comptent moins de 250 salariés et 17 % en comptent moins de 50. Or l'efficacité de cette forme d'organisation repose pour beaucoup sur des économies d'échelle, car les coûts fixes associés à la création d'un organisme public indépendant de l'État peuvent être importants. La liquidation de certains d'entre eux, avec réintégration dans les services de l'État ou fusion avec d'autres opérateurs, peut donc permettre de réaliser des économies, mais elles seront limitées du fait même de la faible taille de ces structures.
Des économies sont également envisageables sur les aides et subventions versées par les ODAC, mais il faudrait revoir les dispositifs concernés, ce qui renvoie à des politiques diverses : emploi, agriculture, environnement, etc.
Il faut aussi noter que les universités et les trois principaux centres de recherche (Centre national de la recherche scientifique, Commissariat à l'énergie atomique et Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) emploient la moitié des effectifs des opérateurs. Des économies sont envisageables dans ces organismes, mais les dépenses publiques affectées en France à la recherche et à l'enseignement supérieur, des dépenses d'avenir par excellence, ne sont pas particulièrement élevées par rapport aux autres pays. Ces économies devraient donc rester limitées.
Dans une perspective de plus court terme, les opérateurs avaient accumulé une importante trésorerie à la fin de 2023, que l'État semble vouloir récupérer. Elle pourrait résulter d'une incapacité de ces organismes à consommer tous les crédits dont ils disposent, ce qui justifierait cette ponction, ou d'un report du paiement d'investissements déjà engagés et cette ponction aggraverait alors leur situation financière. Selon un rapport de l'IGF de septembre 2024, l'excédent de trésorerie mobilisable par l'État serait de 2,5 milliards d'euros.
M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat. - Merci pour votre invitation. Je regarde votre objet d'étude avec un prisme juridico-politique et je vais me concentrer sur les autorités administratives indépendantes (AAI), que je préfère dénommer autorités de régulation indépendante. J'en suis un praticien en droit économique international et j'ai réfléchi à leur émergence, c'est l'objet de mes livres Le droit sans l'État - il date de 1985 - et La métamorphose de la démocratie, ainsi que d'un numéro de la revue Le Débat, de novembre-décembre 1988. Ces autorités de régulation ont été l'innovation la plus importante de notre organisation administrative au cours des dernières décennies. Elles apparaissent en France à la fin des années 1970, la première étant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en 1978, puis il y a eu la Commission des opérations boursières (COB), devenue l'Autorité des marchés financiers (AMF), puis l'Autorité de la concurrence, parmi bien d'autres.
Leur apparition n'est pas allée sans une certaine confusion, ni sans contestation - c'était une nouveauté d'instituer des collèges d'experts, de sages, de régulateurs : des autorités publiques, indépendantes, spécialisées, et dotées d'un pouvoir de régulation du marché, dans un pays comme la France habitué à ce que seule une administration centralisée prenne les décisions. Ces autorités indépendantes de régulation sont apparues d'ailleurs concomitamment avec la libéralisation économique, la fin des monopoles, les privatisations, on a vu alors monter en puissance un nouveau droit des régulations économiques, par opposition à l'économie administrée. Ces nouvelles autorités indépendantes ont rencontré une résistance, parce qu'elles s'opposaient à la théorie de l'État unitaire, à la subordination de l'administration au pouvoir exécutif, mais aussi parce qu'elles apparaissaient contraires à la séparation des pouvoirs, dès lors qu'elles cumulaient des fonctions d'édiction de normes, des fonctions juridictionnelles et parfois des fonctions exécutives - des critiques sont venues du Parlement et de l'autorité judiciaire, qui pensaient que leurs prérogatives étaient diminuées.
Les justifications de ces autorités de régulation indépendantes ne manquent pas. Il y a le souhait d'assurer une distance par rapport au pouvoir politique sur des sujets intéressant les libertés publiques, c'est le cas pour l'informatique et les libertés, ou pour d'autres domaines sensibles. Il y a la technicité de certaines matières : la régulation de l'audiovisuel, de l'énergie ou des télécoms, par exemple, exige un niveau d'expertise qu'on trouve surtout chez les professionnels du secteur - donc des entreprises, dès lors que le secteur a été privatisé - mais elle demande aussi une réactivité et une agilité au quotidien, qui ne sont pas le fort des administrations traditionnelles. Il y a, enfin, l'idée de faire participer des acteurs économiques et sociaux à la production des normes sectorielles, techniques, pour une meilleure efficacité. A l'expérience, je peux témoigner que la greffe a pris, malgré des débuts confus et une certaine résistance. Comme praticien, je pense que l'AMF, l'Autorité de la concurrence, la CNIL, par exemple, sont respectées par les agents économiques, c'est une réussite.
Ces autorités de régulation indépendantes, telles que nous les connaissons en France, ont pris modèle sur les agences fédérales américaines, qui sont bien plus anciennes et qui ont prospéré sous le New Deal, donc dans les années 1930 ; nous sommes arrivés en France à un ensemble assez proche de ce qui existe aux États-Unis. Or, nous assistons à la remise en cause brutale de cet ensemble par l'administration Trump, qui vient tout juste de déposer son premier recours devant la Cour Suprême pour maintenir son limogeage du directeur du Special Counsel, un limogeage qui a été bloqué par une juridiction de niveau intermédiaire. Le Congrès américain avait édicté des règles protectrices des dirigeants, pour assurer leur indépendance par rapport au pouvoir exécutif, ce sont ces protections que le Gouvernement américain remet aujourd'hui en cause, avec son recours devant la Cour Suprême. L'indépendance par rapport au pouvoir politique n'avait jamais posé de véritable problème jusqu'ici aux États-Unis, alors que cela avait été le cas en France, mais on voit que les choses changent et il faut s'attendre à des batailles juridiques importantes outre-Atlantique sur cette question.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aurai deux blocs de questions, d'abord sur la situation française, puis sur la comparaison internationale. Pour la situation française, je parle sous le contrôle d'Hervé Reynaud, rapporteur de la proposition de loi tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée. M. Ecalle, vous laissez entendre que s'intéresser à ces comités n'aurait pas beaucoup de sens, dès lors qu'ils n'ont pas ou peu de budget ; pour autant, ils embolisent l'administration, il faut les convoquer, les réunir, tout cela ajoute des délais... Pensez-vous vraiment que nous devrions les exclure de notre périmètre d'investigation ?
Vous évoquez la baisse du nombre des opérateurs, de 600 à 430 environ : cette diminution répond-t-elle à une stratégie, l'État a-t-il une feuille de route en la matière ?
Vous soulignez que certains établissements n'ont pas de contrat d'objectifs et de moyens. Je vous pose la question en tant qu'ancien membre de la Cour des comptes : êtes-vous convaincu que ce type de contrat permette d'établir qu'une politique publique, telle qu'elle est définie, est effectivement mise en oeuvre ? Ces contrats regorgent d'indicateurs, qui permettent une approche matricielle, mais est-ce suffisant pour évaluer la concordance entre l'action et l'intention politique ?
M. Cohen-Tanugi, je comprends à vos propos que le recours aux AAI apporterait un meilleur service aux acteurs économiques, aux entreprises : est-ce le cas ? J'ai entendu aussi dans vos propos une remise en cause du cadre d'emploi de la fonction publique et de la façon dont l'État forme les fonctionnaires. Vous dites que certains secteurs ont besoin de personnels qui maitrisent des sujets très techniques, mais l'État dispose de corps techniques : pourquoi les agents des corps techniques de l'État ne pourraient-ils pas accomplir dans leur ministère d'attache les missions requises, pourquoi faut-il recourir à des agences et des opérateurs ?
M. François Ecalle. - Les comités « Théodule » ont des budgets très limités et s'ils ont parfois un rôle normatif, sur lequel je ne me prononce pas, ils prennent du temps, qui n'est pas comptabilisé dans leur coût de fonctionnement et ils allongent des délais - d'expérience, je peux dire que beaucoup ne servent pas à grand-chose, mais je n'ai pas d'inventaire et je ne suis pas en mesure d'évaluer les économies liées à leur suppression.
La diminution du nombre d'opérateurs, ensuite, ne résulte pas d'une stratégie de l'État. La notion d'opérateur est venue après la LOLF - on parlait alors de subventions aux organismes chargés de service public - et le « jaune » budgétaire ne date pas de la première année. Lorsque j'étais à la Cour des comptes, on disait déjà que l'État n'avait pas de stratégie en la matière - à ma connaissance, il n'y en a toujours pas... La diminution du nombre d'opérateurs est parfois purement « optique », c'est le cas par exemple pour la suppression des chancelleries d'université : en réalité, ces chancelleries ont été intégrées aux universités, et on a supprimé par la même occasion quelques dizaines d'opérateurs...
Les contrats d'objectifs et de moyens échouent comme les indicateurs et objectifs de performance de la LOLF, la problématique est la même. Dans les deux cas, on définit des batteries d'objectifs et d'indicateurs dont on dit que les responsables d'agences se serviront pour piloter l'action, puis le ministère pour évaluer l'action et donc juger les responsables d'agences sur des résultats. C'est la « nouvelle gestion publique », ou New Public Management, telle qu'elle a été formalisée par les théoriciens de la gestion publique, sur la base des expériences scandinaves et américaines à la fin des années 1990. Le constat, c'est que cela ne fonctionne pas en France. La LOLF est un échec : qui suit ses objectifs et ses indicateurs - que faites-vous, au Parlement, des quelque vingt mille pages que l'administration vous transmet chaque année à ce titre ?
Je pense qu'un problème majeur vient de ce que dans les objectifs, on mêle des objectifs socio-économiques, des objectifs d'efficience, et des objectifs de qualité de service. Voyez, par exemple, le programme 203 « Infrastructures et services de transports » : il comprend des objectifs socio-économiques, comme l'augmentation de la part modale des transports non routiers - fluvial, ferroviaire -, sur lesquels le responsable du programme n'a pas de prise puisqu'un tel objectif dépend de bien des facteurs extérieurs à son action. C'est la même chose quand on prend pour indicateur le taux d'insertion dans l'emploi pour tel ou tel programme relevant du ministère du travail et de l'emploi : ce taux d'insertion dépend aussi de la conjoncture économique, qui échappe parfaitement au responsable du programme... Je comprends bien l'objectif politique pour le ministre et pour le Parlement, mais ce n'est pas un critère pour juger le gestionnaire. Autre chose est d'examiner son action au regard, - toujours sur le programme 203 -, du coût d'entretien des routes au kilomètre, c'est un objectif de performance, ou de l'état des routes, c'est un objectif de qualité de service - on peut demander au gestionnaire de réduire ce coût ou d'améliorer cette qualité, puis examiner ce qu'il en est. Je crois - et je le dis depuis longtemps - qu'on devrait supprimer les indicateurs socio-économiques, qui relèvent en fait de l'évaluation des politiques publiques, mais pas de leur gestion à proprement parler, donc pas du suivi de l'action des gestionnaires que sont les responsables d'agences. Et à cette confusion entre les objectifs de nature différente, s'ajoute une confusion des responsabilités entre les ministres et les fonctionnaires, c'est aussi pourquoi la LOLF ne fonctionne pas.
M. Laurent Cohen-Tanugi. - Je le dis sans esprit de polémique, ni de critique, mais les fonctions de régulation du marché sont mieux assurées par une autorité spécialisée, dédiée, indépendante, réactive, que par une administration traditionnelle. Quant à la formation, le problème ne tient pas à ce que les corps techniques de l'État n'auraient pas la capacité, mais qu'il y a besoin d'agents ayant exercé dans le secteur, donc dans le privé, des économistes, des comptables, des juristes, qui connaissent de l'intérieur le fonctionnement du secteur ; l'une des forces du modèle américain, ce sont les allers-retours entre le privé et le public, par exemple quand des avocats deviennent juges, il est plus efficace que le régulateur comprenne de l'intérieur les acteurs qu'il régule. De notre côté, en France, nous avons rencontré des problèmes du fait du caractère cloisonné des professions - et c'est ici que les autorités de régulation indépendantes ont permis une certaine fluidité, en tout cas celles que je connais, même si je pense que nous ne sommes pas allés assez loin dans ce sens.
Mme Pauline Martin. - Si les objectifs de la LOLF ont été dévoyés, quels seraient les bons critères d'évaluation ? Les opérateurs, ensuite, justifient leur action en disant qu'un euro investi en rapporte deux, trois, ou quatre fois plus : qu'en pensez-vous ?
M. Christian Bilhac. - On entend les arguments avancés pour justifier les agences : l'efficacité, la réactivité, la rationalisation des coûts - autant de motifs nobles, mais il faut aussi dire la vérité : les agences, c'est le bon recyclage face aux aléas de la vie politique, pour recaser les victimes du suffrage universel et des remaniements ministériels, et pour la haute administration, c'est une sortie de la grille indiciaire par le haut, une façon de ramasser quelques billets supplémentaires à la fin du mois... Nous ne sommes pas des perdreaux de l'année... Vous dites que 434 opérateurs dépensent 33 milliards d'euros en masse salariale, mais j'ai entendu un ministre dire que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) - je n'ai rien de particulier contre cette agence... - n'aurait que 8 % de frais de fonctionnement : cela mériterait peut-être un examen plus approfondi, parce que la masse salariale paraît très supérieure, sans compter les véhicules, les loyers, les fluides... Ensuite, est-on bien sûr que ces agences ne font pas doublon avec des collectivités territoriales, ou avec d'autres structures ? Il faut voir cela de près, parce que c'est aussi en supprimant les doublons qu'on fera des économies et qu'on pourra redresser nos finances publiques.
M. Hervé Reynaud. - Vous dites possible de rationaliser la prolifération de ces agences et opérateurs : quelles pistes, tout en restant efficace ?
Dans vos ouvrages, Monsieur Cohen-Tanugi, vous décrivez un modèle étatique français centralisé, rigide, face à un modèle américain pluraliste, vous dites que l'État doit réduire sa présence et laisser plus de place à la société civile et au droit. Dans quelle mesure la prolifération des agences et opérateurs de l'État représente-t-elle une tentative d'adopter ce pluralisme institutionnel ? Quelles conséquences pour la cohérence et l'efficacité de l'action publique ?
M. Ludovic Haye. - On peut aborder le sujet sur la forme ou sur le fond. Sur la forme, vous le dites clairement : la France a vu proliférer les agences et opérateurs, il y en a trop, mais ce n'est pas forcément une bonne idée de les supprimer sans discernement, surtout si c'est pour diminuer les moyens par exemple de la recherche, vous le dites et j'en suis bien d'accord. Cependant, pensez-vous que nous travaillons sur le bon périmètre dans notre commission d'enquête - ou bien pensez-vous que nous manquerions tel ou tel niveau ? Je pense aux nombreux observatoires, aux instances rattachées qui peuvent allonger les circuits de décision... Sur le fond, ensuite, notre objectif est de rationaliser, d'optimiser : le temps, c'est de l'argent - à votre avis, où peut-on en gagner, quels sont les bons échelons ? Je pense par exemple aux liens entre l'État, ses agences et les collectivités territoriales : comment simplifier cet ensemble, sans nécessairement supprimer telle ou telle agence qui peut avoir son utilité ?
Enfin, quelle répartition thématique ? Nous raisonnons sur l'ensemble, mais n'y a-t-il pas des domaines, comme l'environnement, où il y a beaucoup d'agences, et d'autres domaines, comme la santé, ou le « dernier kilomètre » est laissé aux collectivités territoriales ?
M. Michaël Weber. - Depuis la publication de votre livre Le droit sans l'État, en 1985, le monde a considérablement changé : quelle vision avez-vous aujourd'hui des questions que vous abordiez dans cet ouvrage, Monsieur Cohen-Tanugi ? Vous proposiez alors de contribuer à la recherche d'un mode alternatif de régulation sociale en France en remplacement de la régulation étatique centralisée. Votre analyse donnait la part belle au système juridique libéral transatlantique, davantage fondé que le nôtre sur la société civile et la libre évolution du marché. Une telle vision est-elle toujours d'actualité au regard des enjeux que sont les nôtres ? Qu'en pensez-vous, par exemple, des enjeux de la biodiversité ou du changement climatique, qui n'étaient pas des sujets considérés comme importants en 1985 ?
Enfin, le Premier ministre a dit son ambition de réaliser 3 milliards d'euros d'économies sur les agences et opérateurs. Or, ils distribuent des moyens aux territoires, aux acteurs - quelles conséquences pour les acteurs et les territoires, si les moyens diminuent ? Quelle efficacité ? On parle aussi de fraudes, ce qui pose la question du contrôle, donc des moyens accordés au contrôle... Enfin, il y a eu des fusions, quand on parlait de suppression : est-ce une solution, ou faut-il s'en méfier ?
M. Laurent Cohen-Tanugi. - Un mot sur les nominations aux agences de régulation indépendantes : les dirigeants de celles que je connais ne sont pas des responsables politiques, d'anciens élus qu'il s'agirait de recaser, mais des experts - voyez l'AMF ou l'Autorité de la concurrence, par exemple. Il faut distinguer parmi les agences et opérateurs, faire une typologie, parce qu'il y a de très grandes différences - et l'on ne saurait définir une recette qui vaille pour toutes les agences, pour tous les opérateurs.
Les agences de régulation indépendantes sont-elles un progrès ? Les quatre dernières décennies ont confirmé la montée en puissance du droit dans notre économie, dans la politique, c'est lié à un ensemble large de phénomènes - l'internationalisation de notre économie, la construction européenne, la libéralisation économique, mais aussi les aspirations de la société - cela s'est traduit par le renforcement du Conseil constitutionnel, des autorités de régulation, des règles européennes. Cela ne veut pas dire que l'État n'ait pas son rôle dans les grandes politiques publiques à mettre en oeuvre, par exemple en matière de défense, surtout quand les rapports de force reviennent sur le devant de la scène. L'État doit donc pouvoir agir, tout en respectant le droit, en respectant des valeurs - je crois que la montée des régulations juridiques est incontestablement un progrès et que nous avons finalement assez bien épousé ce mouvement.
M. François Ecalle. - La question des critères d'évaluation est très importante, quoique difficile. Une fois qu'on a créé une agence et qu'on lui a confié une politique, il faut juger les dirigeants uniquement sur des objectifs opérationnels.
Il n'est pas nécessaire que votre commission s'interroge sur la justification même des politiques mises en place. En outre, il n'est pas facile de déterminer s'il convient de les confier directement à un service de l'État ou bien à une ou plusieurs agences. Sur ce point, je n'ai pas de réponse générale à vous donner ; il faut regarder les choses au cas par cas. Il conviendrait d'analyser le coût de chaque structure pour déterminer le mode de gestion le plus efficace. Or ce diagnostic est souvent très complexe à poser.
La gestion des retraites des fonctionnaires de l'État et des agents des collectivités locales et des hôpitaux est répartie entre deux services : le service des retraites de l'État, dont les compétences sont nationales, et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui délègue ses missions à la Caisse des dépôts et consignations. Il n'y a aucune raison que deux régimes coexistent. La démographie et les taux de cotisation sont certes différents, mais le calcul des prestations est exactement le même.
La Cour des comptes avait envisagé de fusionner ces services, mais elle avait eu beaucoup de mal à déterminer lequel d'entre eux était le meilleur, faute pour l'État de disposer d'une comptabilité analytique. La Caisse des dépôts et consignations possède bien une telle comptabilité, mais celle-ci est obscure, ce qui ne permet guère d'y voir plus clair. La Cour des comptes a fini par conclure que le service des retraites de l'État était un peu plus efficace. Néanmoins, quinze ans plus tard, ces deux régimes de retraite continuent de coexister, sans que le problème soit réglé.
J'ai écrit plusieurs rapports au nom de la Cour des comptes dans lesquels je proposais de supprimer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui gère des dizaines de milliards d'euros avec une demi-douzaine d'agents, ce qui est un peu paradoxal. Il se trouve que cette agence ne sert qu'à complexifier les circuits financiers et à faire des manipulations budgétaires auxquelles personne ne comprend rien. Le poste de président de AFITF a parfois eu quelque intérêt... Il n'en demeure pas moins qu'elle mériterait d'être supprimée, d'autant que le calcul du rapport coût-avantages est très simple à faire.
Au sujet des relations entre l'État, ses agences et les collectivités locales concernant les circuits financiers, je n'ai pas de réponse générale à vous faire, car cela dépend de chaque politique. Une chose est sûre, cela fait des décennies que nous ne parvenons pas à concilier l'organisation verticale de l'État, ordonnée par la LOLF - des ministres formulent des objectifs et donnent des moyens à des gestionnaires de programme, qui eux-mêmes délèguent à des gestionnaires de budgets opérationnels de programme (BOP) -, avec la nécessaire coordination horizontale sur le terrain.
Les préfets sont supposés assurer cette coordination, mais ils n'y parviennent pas, car l'organisation administrative et budgétaire demeure verticale. On a tenté de remédier à ce problème en permettant aux préfets de transférer quelque 10 % des effectifs d'un BOP à un autre.
Les entreprises s'en sortent mieux, car elles profitent d'une organisation matricielle. Les structures par produit ou par métier coexistent avec des structures horizontales par géographie. À mes yeux, l'État est beaucoup trop rigide pour qu'une organisation matricielle fonctionne correctement. Ainsi, cela fait plusieurs décennies que des conflits opposent les préfets et les administrations centrales pour savoir qui décide ou coordonne.
La décentralisation apparaît comme la seule porte de sortie, même si elle soulève de nombreux problèmes. Je m'y suis pourtant opposé pendant des années. Comme tous les hauts fonctionnaires de Bercy et de la Cour des comptes, j'ai toujours considéré que les collectivités locales étaient exagérément dépensières. En effet, on ne pourra pas s'en sortir tant que l'on ne soumet pas les collectivités à des contraintes budgétaires.
Du reste, vous m'interrogiez sur le périmètre d'investigation de votre commission d'enquête. Je ne connais que deux listes qui soient mises à jour chaque année : celle des opérateurs et celle des organismes divers d'administration centrale (ODAC). Ces listes ne sont pas tout à fait pareilles et des problèmes de définition peuvent se poser. Il arrive parfois que certains observatoires ne se trouvent ni dans l'une ni dans l'autre. Quoi qu'il en soit, je vous conseille de vous appuyer sur ces listes, qui ont au moins le mérite d'exister.
Concernant la fusion et la rationalisation des opérateurs, il faut, encore une fois, regarder les choses au cas par cas. Il est très difficile de permettre des évolutions dans ce domaine, car l'État ne dispose pas d'informations, notamment en matière de comptabilité des coûts.
M. Pierre Barros, président. - Nous recevrons des membres du corps préfectoral pour creuser cette question.
Mme Ghislaine Senée. - Le conseil d'administration de l'AFITF est composé d'un sénateur, d'un député, de trois élus locaux et de tous les directeurs généraux des administrations concernées par les questions de mobilité.
Cette agence a une vocation transversale ; elle engage notamment les grands investissements et gère les fonds de concours pour les territoires. En supprimant l'AFITF, comme le suggère M. Ecalle, on transférerait directement ses missions au ministère des transports, qui ne dispose pas de cette transversalité. En outre, cette agence, comme toutes les autres, apporte de la souplesse et a de meilleures capacités de réaction. Bref, si nous évinçons l'AFITF, que devons-nous proposer très concrètement ?
M. François Ecalle. - Les crédits qui transitent par l'AFITF pourraient être inscrits dans le budget de l'État. Ils le sont d'ailleurs en grande partie au travers des fonds de concours. Ces derniers permettent de réaliser des opérations financières, telles que des dotations en capital.
Il y a environ cinq ans, l'État avait versé près de 5 milliards d'euros à la SNCF. Toutefois, il ne voulait pas que cette dernière consomme ces crédits tout de suite, afin qu'elle n'aggrave pas comptablement le déficit budgétaire de l'État. L'État a donc demandé à la SNCF de lui rendre cette somme afin qu'il puisse la lui reverser ultérieurement via un fonds de concours géré par l'AFITF. C'est à n'y rien comprendre !
Il y a toujours eu des commissions diverses et variées pour réfléchir à des schémas multimodaux et à la planification des moyens de transport. La concertation avec l'ensemble des parties prenantes peut se faire sans recourir à une agence autonome telle que l'AFITF, d'autant que ce n'est pas elle qui assure la programmation des transports, mais la direction des transports du ministère.
M. Christophe Chaillou. - Selon vous, monsieur Ecalle, la décentralisation pourrait être une solution. Néanmoins, dans un rapport sur l'état des finances publiques que vous avez coécrit, vous préconisez de réaliser 150 milliards d'euros d'économies, notamment en réduisant de 25 milliards d'euros les dotations versées aux collectivités.
Dans ces conditions, comment les collectivités pourraient-elles financer les responsabilités que vous proposez de leur confier, au nom de l'efficacité ?
M. François Ecalle. - Il y a deux mois, j'ai signé avec Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), une tribune dans le journal Le Point où nous expliquions comment stabiliser la dette publique à son niveau actuel, non pas en euros, mais en pourcentage du PIB. Pour ce faire, l'effort de redressement devait s'élever à 4 points de PIB, c'est-à-dire à 120 milliards d'euros, ce qui supposait soit de procéder à des hausses d'impôts, soit de faire des économies sur les dépenses.
Pour augmenter parallèlement les dépenses en faveur de la transition climatique et de la défense, nous préconisions de réaliser des économies d'au moins 150 milliards d'euros.
Conformément au budget de l'État et de la sécurité sociale que vous venez de voter, l'effort de redressement s'élève seulement à 30 milliards d'euros, ce que ne manque pas de souligner le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), et cet effort repose quasi exclusivement sur des hausses d'impôts, dont certaines sont temporaires.
Pour atteindre 150 milliards d'euros, l'effort de redressement devrait être cinq fois plus important. Le document auquel se réfère M. Chaillou est une note que j'ai coécrite pour l'Institut Montaigne, dans laquelle je m'efforçais de montrer ce que représente un effort budgétaire aussi gigantesque. J'ai donc dressé un catalogue des horreurs, dans lequel figurait, entre autres, la proposition de réduire de 25 milliards d'euros le montant des dotations versées aux collectivités.
Une telle mesure n'est pas incompatible avec le fait de donner plus de pouvoir aux collectivités. En France, les administrations publiques locales payent 20 % des dépenses, alors que la moyenne européenne s'élève à plus de 30 % et la moyenne allemande à plus de 40 %. Il faut donc leur permettre d'en payer davantage, tout en réduisant le montant de leurs dotations et ressources affectées.
Le fait pour les collectivités d'avoir plus de pouvoir et de compétences doit les pousser à faire des choix : elles ne peuvent pas à la fois construire des routes, maintenir la sûreté et protéger l'environnement !
Mme Christine Lavarde, rapporteure. - Pourquoi estimez-vous que les pays du Nord et le Royaume-Uni devraient être un modèle pour la France ? Que font-ils mieux que nous ? En quoi seraient-ils plus efficaces ?
Par ailleurs, les agences américaines sont-elles de nature diverse, à l'instar des agences françaises, ou sont-elles homogènes à la fois dans leur rapport à l'État fédéral et dans leur mode de financement et de gouvernance ?
Plusieurs réformes de simplification ont été entreprises depuis très longtemps, notamment aux États-Unis. En témoigne un rapport d'une commission présidentielle de 1937, affirmant que l'organisation administrative américaine était devenue un « quatrième pouvoir sans tête dans l'État, composé d'une collection hétéroclite d'agences irresponsables et de pouvoirs incontrôlés ».
En 2011, le président Obama avait souhaité lutter contre la bureaucratisation des procédures. Par ailleurs, un programme de mutualisation des fonctions support avait été mis en place. Cette année, Donald Trump a créé le fameux DOGE, ou Department of Government Efficiency. Pensez-vous que le DOGE permettra d'atteindre les objectifs affichés en matière de maîtrise de la dépense publique ? Plus globalement, quelles conséquences pourrait avoir cette réorganisation des agences américaines sur l'action publique en tant que telle ?
M. François Ecalle. - Dans la littérature des années 1990 relative à la gestion publique - c'est d'ailleurs elle qui a inspiré la LOLF et le développement des agences -, on évoquait beaucoup les modèles scandinave et anglo-saxon. Force est de constater que l'organisation administrative et la gestion des finances publiques fonctionnent relativement bien dans les pays du Nord.
Dans les années 1990, les dépenses publiques excédaient 60 % du PIB en Suède. Cette dernière a fini par connaître une crise financière très grave et c'est la raison pour laquelle elle a profondément réformé son administration et son modèle de protection sociale. Cela a contribué, pour partie, à réduire les dépenses publiques de près de 10 points de PIB en dix ans. Aujourd'hui, la Suède est quasiment en excédent et sa dette publique atteint 40 points de PIB.
Dans l'ensemble des pays scandinaves, les ministères sont relativement légers. Ils assignent des missions à des agences qui les exécutent avec des moyens déterminés, dans le cadre d'objectifs opérationnels et d'obligations de résultat. C'est bien ce genre de système que nous avons tenté de mettre en place en France avec la LOLF.
M. Laurent Cohen-Tanugi. - Aux États-Unis, les agences fédérales indépendantes présentent une certaine homogénéité dans la mesure où elles sont créées par le Congrès avec une mission précise et que leur dirigeant est nommé par le président des États-Unis, parfois avec une confirmation par le Sénat. En outre, elles sont soumises à un contrôle juridictionnel important : en effet, les acteurs qui sont régulés par ces agences ne se privent pas d'attaquer leurs décisions en justice. Du reste, l'exécutif américain est scindé en grands départements.
Il semble y avoir beaucoup moins de comités Théodule aux États-Unis qu'en France, sans doute en raison des sunset laws. Ce sont des lois qui, lorsqu'elles créent une nouvelle institution, lui assignent aussi un terme. Une agence est donc amenée à disparaître automatiquement, sans qu'il soit besoin de la dissoudre.
Voilà un mode d'organisation qu'on pourrait tenter de généraliser. En ce qui concerne le DOGE, je n'ai pas le sentiment que le président Trump cherche à faire des économies budgétaires. Il tente plutôt d'opérer une reprise en main idéologique, au nom de laquelle on démantèle des pans entiers des politiques publiques en place depuis des décennies, avec des méthodes extrêmement brutales qui donneront lieu à des batailles juridiques.
Des licenciements massifs sont ordonnés et certaines agences vont disparaître purement et simplement. Il a aussi été décidé de conserver quelques institutions mais d'en remplacer les dirigeants, afin qu'ils puissent appliquer une politique nouvelle. Celle-ci peut s'avérer incohérente avec le mandat qui a présidé à la naissance de l'institution.
M. Pierre Barros, président. - Nous sommes nombreux, ici, à avoir été élus des collectivités territoriales ; nous savons combien le contrôle de légalité est extrêmement pointu. Lorsqu'on parle des agences, on est frappé par l'absence de critères et de dynamique de contrôle. On n'aborde pas non plus la question des coûts inhérents à la coordination des agences sur le terrain. En effet, on a parfois recréé des postes sur le territoire pour aider à décomplexifier les agences nouvellement créées.
Quelquefois, les agences jouent un rôle de boîte aux lettres en réalisant des transferts d'argent, entre autres. Cela engendre des coûts pour les collectivités, la fonction publique et les ministères. Cette situation n'est-elle pas le résultat d'une forme de liberté qu'on aurait laissée à certaines agences, du moins lors de leur déploiement sur le territoire ?
M. François Ecalle. - Vous avez sûrement raison. La complexité que vous évoquez est le reflet de la complexité des missions qu'on donne à ces agences. On leur assigne parfois des objectifs qui sont difficiles à atteindre.
À la Cour des comptes, je me suis penché sur l'encadrement de la distribution des aides agricoles nationales. Je me suis aperçu que l'instruction des dossiers n'était contrôlée ni par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea) ni par les offices, mais par les associations de développement, d'aménagement et de services en environnement et en agriculture (Adasea), dont les responsables étaient issus soit des syndicats, soit des chambres d'agriculture.
Les Adasea commençaient par donner des conseils aux agriculteurs sur la façon de remplir leur dossier, puis instruisaient les demandes pour le compte du Cnasea, mais celui-ci ne faisait rien.
L'État n'assurerait-il pas un meilleur contrôle via les directions départementales de l'agriculture (DDA) ? Compte tenu de ce que j'ai observé, je ne le pense pas.
Le problème réside dans la complexité même des politiques publiques et dans la façon dont elles sont gérées. De toute évidence, des problèmes de coordination se posent sur le terrain entre les préfets et les DDA. On peut comprendre, en effet, que ces dernières n'aient pas envie de recevoir la moindre instruction de la part des préfets. Ainsi, elles distribuent des aides en fonction des circulaires qui leur sont adressées par le ministre de l'agriculture.
Vous entendez remédier à la multiplication des agences. Je ne voudrais pas nuire à la cohérence de votre commission d'enquête, mais le problème se trouve sans doute ailleurs. Il est clair qu'il faut regrouper, voire supprimer certaines agences. Néanmoins, il existe un problème beaucoup plus fondamental, celui des missions et des dispositifs, dont les agences ne sont que les gestionnaires.
Mme Christine Lavarde, rapporteure. - Si vous étiez à notre place, que proposeriez-vous comme modalité de rationalisation, notamment pour simplifier la vie des entreprises et des collectivités dans la mise en oeuvre de leurs projets ?
M. Laurent Cohen-Tanugi. - Il faudrait commencer par dresser une typologie et, à ce titre, répartir les agences en grandes catégories. Il sera ainsi beaucoup plus facile de sabrer les organismes qui n'ont plus aucune raison d'être. Ensuite, il conviendrait de revoir les missions des organismes que l'on souhaite conserver. Enfin, il faudrait se pencher sur la question du contrôle parlementaire. À cet égard, il serait opportun de remettre au goût du jour les sunset laws que j'évoquais tout à l'heure.
Mme Christine Lavarde, rapporteure. - Vous avez plaidé et travaillé avec des entreprises des deux côtés de l'Atlantique. Y a-t-il quelque chose qui vous a semblé plus complexe en France qu'aux États-Unis ?
M. Laurent Cohen-Tanugi. - Soyons clairs, le poids de la bureaucratie est tout aussi considérable aux États-Unis, sans doute dans des domaines différents.
Près de vingt ans après la signature de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II, a introduit un contrôle de la corruption en France en créant l'Agence française anticorruption (AFA). Une telle évolution était parfaitement légitime puisqu'il était nécessaire d'acculturer les entreprises françaises à cette question - pour rappel, jusqu'en 2000, les entreprises pouvaient se rendre à Bercy pour faire avaliser les pots-de-vin versés à l'étranger et obtenir ainsi une déduction fiscale. En parallèle, le parquet national financier (PNF) sanctionne les faits de corruption.
Il y a quelques années, on avait envisagé de fusionner la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avec l'AFA, ce qui me paraissait curieux, car ces institutions interviennent dans des domaines très différents. Néanmoins, on pourrait s'interroger sur la pertinence de maintenir l'AFA aujourd'hui, maintenant que la lutte contre la corruption et les systèmes de compliance sont entre les mains des entreprises. Ses missions et sa relation avec le PNF doivent sans doute évoluer.
Bref, il y a des cas où la création de certaines institutions paraît pleinement justifiée, ce qui n'empêche pas de s'interroger sur leur pérennité.
M. Alain Milon. - Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de regrouper les directions départementales de l'action sanitaire et sociale (Dass), les directions régionales des affaires sanitaires (Dras), les caisses régionales d'assurance maladie (Cram) et les agences régionales d'hospitalisation (ARH). Ainsi, les ARS apparaissent davantage comme des services déconcentrés de l'État que comme un instrument de décentralisation. Cela dit, a-t-on vraiment intérêt à aller jusqu'à la décentralisation ?
Pour des raisons budgétaires, nous avons supprimé l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), pour les remplacer par une seule agence, Santé publique France.
Or la crise du covid est survenue et, à ce moment-là, on n'avait ni veille sanitaire, ni vaccins, ni masques, ni prévention. Est-il bien utile de supprimer des agences pour en créer d'autres qui, au bout du compte, ne se révèlent pas aussi efficaces que celles qu'on a supprimées ?
Par ailleurs, il y a quelques semaines, devant la commission des affaires sociales du Sénat, des représentants de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont recommandé de retirer une molécule spécifique du marché français, contrairement à ce que préconise l'Agence européenne des médicaments (EMA). Dans ces conditions, qui doit-on suivre ?
M. François Ecalle. - Une bonne partie de la politique de la santé pourrait être décentralisée, notamment l'organisation des hôpitaux, comme c'est le cas dans d'autres pays.
En effet, il y a eu des couacs au moment de la crise covid, mais découlent-ils d'une mauvaise fusion des instituts de santé ou sont-ils liés au fait que la création de Santé publique France est intervenue au même moment que la pandémie ?
Concernant la mise sur le marché des médicaments, une question beaucoup plus large se pose, celle de la coexistence entre les agences nationales et les agences européennes. Il y a des domaines où des économies d'échelle peuvent être réalisées. En principe, il est plus efficace de tester et d'autoriser des médicaments à l'échelon européen que d'avoir vingt-sept agences nationales qui exécutent chacune la même tâche.
M. Pierre Barros, président. - Je remercie MM. Cohen-Tanugi et Ecalle pour leur présence aujourd'hui.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Bernadette Malgorn, ancienne préfète et secrétaire générale du ministère de l'intérieur, MM. Jean-Ludovic Silicani, ancien commissaire à la réforme de l'État, et Sébastien Soriano, directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui Madame Bernadette Malgorn et Messieurs Jean-Ludovic Silicani et Sébastien Soriano afin qu'ils nous fassent part de leur expérience et de leurs réflexions sur l'objet de notre commission d'enquête. Madame, Messieurs, chacun d'entre vous a joué un rôle important au sein de l'administration centrale et des agences. Votre regard sur le développement des agences, des opérateurs et des organismes consultatifs, particulièrement depuis les années 1990, nous sera précieux.
Nous ne vous demanderons pas de dresser une liste exhaustive de ces entités ; il s'agit d'un travail difficile, que nous essayons de réaliser. Des courriers ont été adressés aux différents ministères dans cet objectif, sachant que la photographie est bien différente selon le filtre qu'on lui applique, qu'il s'agisse du montant total du budget, des frais de fonctionnement ou des effectifs.
Nous cherchons à mieux comprendre la manière dont ces agences et opérateurs se sont développés, quel que soit leur statut juridique. Ces entités s'acquittent d'un nombre croissant de missions, qui étaient auparavant assumées par l'administration centrale ou qui sont apparues récemment, comme dans le cas de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), que Jean-Ludovic Silicani et Sébastien Soriano ont tous les deux dirigée. Cependant, il s'agit d'une coïncidence et c'est davantage au titre de votre compétence générale sur l'organisation de l'État que nous vous avons invités.
Monsieur Silicani, vous êtes conseiller d'État. Vous avez été commissaire à la réforme de l'État de 1995 à 1998, après avoir été le rapporteur général du comité présidé par Jean Picq, qui a remis en 1994 un important rapport intitulé « L'État en France ». La première phrase du rapport peut encore guider nos réflexions : « Que doit faire l'État ? Et comment doit-il le faire ? ». Par la suite, vous avez acquis une expérience pratique des structures distinctes de l'administration centrale. Vous avez été directeur de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), directeur général de la Bibliothèque de France, mais aussi président de l'Arcep, entre 2009 et 2015.
Diriez-vous, comme il est écrit dans le rapport Picq, qu'il convient de « faire des établissements publics un outil de la modernisation de l'État » ? Ou seriez-vous plutôt en accord avec l'idée, exprimée par François Ecalle lors de son audition, selon laquelle le modèle scandinave et britannique des agences ne fonctionne malheureusement pas en France ?
Madame Malgorn, après une carrière dans l'administration préfectorale, vous avez été secrétaire générale du ministère de l'intérieur entre 2006 et 2009. Vous avez alors été au coeur des réformes de l'administration de l'État : la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate). Vous pourrez nous indiquer l'état d'esprit dans lequel ces deux réformes ont été conduites et le rôle qu'elles devaient jouer.
Le regroupement des directions de l'administration départementale et régionale, réalisé à la fin des années 2000, devrait-il inspirer un mouvement de recomposition comparable dans les agences ? L'approche tendant à séparer un État central stratège, d'opérateurs chargés de mettre en oeuvre les politiques publiques reste-t-elle valable ?
Enfin, monsieur Soriano, vous êtes ingénieur des mines et avez fait une grande partie de votre carrière au sein d'autorités de régulation et d'opérateurs de l'État. Vous dirigez aujourd'hui l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).
Vous avez écrit Un avenir pour le service public, en 2020, et co-écrit pour Terra Nova l'étude Services publics et transitions : réformer la réforme de l'État, en 2022, dans laquelle vous estimez que c'est dans les agences, les autorités indépendantes et les entreprises publiques, que l'État a le mieux réussi à se réformer. Tout de même, la multiplication de ces structures ne crée-t-elle pas un problème de lisibilité pour les citoyens et un risque de perte de compétence pour l'administration centrale ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Ludovic Silicani, Mme Bernadette Malgorn et M. Sébastien Soriano (à distance) prêtent serment.
M. Jean-Ludovic Silicani, ancien commissaire à la réforme de l'État. - Le sujet que vous traitez est considérable, tant par sa complexité que par ses dimensions. Je commencerai par rappeler quelques éléments historiques.
À la fin du XIXe siècle, un débat assez animé a eu lieu entre des juristes et des responsables politiques, sur ce que certains ont appelé le « démantèlement » de l'État. Il a eu lieu au moment où a été créé le concept d'établissement public, d'abord par le Conseil d'État, puis par des textes précis qui l'ont défini. Certains juristes et responsables estimaient que ces structures n'étaient pas nécessaires et qu'elles venaient démanteler l'appareil classique, constitué par l'État et les collectivités locales.
De la fin du XIXe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, ce démantèlement concernait principalement les collectivités territoriales : aujourd'hui, on compte plus de 100 000 structures - des établissements publics en général - ayant été créées par ces collectivités. Le phénomène touchait surtout le domaine social et celui de l'économie. Il était lié au « socialisme municipal » et correspondait donc plutôt à un mouvement de gauche.
Après la guerre, le débat a concerné un sujet majeur : la création de la sécurité sociale. Devait-elle constituer un morceau de l'État ou fonctionner dans le cadre d'une structure autonome ? Le Royaume-Uni a fait le choix d'une gestion directe et la France, après des débats homériques, a choisi de créer une organisation d'intérêt général et quasi-publique, mais clairement distincte de l'État.
Dans les années 1960 et 1970, quelques structures ont été créées, appelées « offices » ou « agences », notamment l'Agence nationale pour l'emploi et l'Office national des forêts (ONF). Le phénomène restait encore limité.
Dans les années 1980 et 1990, un grand mouvement, venant des États-Unis, du Royaume-Uni et des pays scandinaves, « l'agencification », a gagné la France. Il s'est développé depuis lors de façon presque continue.
Ce phénomène venait d'un diagnostic, dont il faudrait vérifier l'exactitude, selon lequel l'État n'était plus à même d'assurer à la fois ses fonctions fondamentales d'État stratège, régulateur et évaluateur d'une part, et la mise en oeuvre de politiques publiques de plus en plus nombreuses et complexes d'autre part. Face à ce constat, une voie classique existe depuis la Révolution et l'Empire : la délégation par l'État central réseau préfectoral de la mise en oeuvre de certaines actions ; il s'agit de la déconcentration territoriale.
Lorsque j'étais commissaire à la réforme de l'État, nous avons mené une grande opération. Nous avons annoncé aux ministres qu'ils avaient un an pour déconcentrer toutes les procédures de décisions administratives individuelles. Sur les 4 000 procédures existantes, 1 000 étaient déjà entre les mains des préfets et, après cette opération, 1 000 procédures supplémentaires ont été déconcentrées. L'opération a été complexe et nous avons buté sur les dernières 2 000 procédures, qu'il était quasiment impossible de déconcentrer par cette voie classique, compte tenu de leur complexité, de leurs enjeux et du caractère national de l'expertise requise. Le processus a été limité, mais il était déjà assez considérable.
Aujourd'hui, il s'agit de savoir si le mouvement d'agencification a produit les résultats attendus. Le paysage des agences peut-il être amélioré ? Sûrement. Nous pourrions notamment généraliser, pour les agences ayant des établissements au niveau local, la possibilité pour le préfet ou une personne spécialisée auprès de lui d'assurer une partie de la tutelle de la partie déconcentrée. Cela existe déjà dans certains domaines. Le transfert de fonctions à un établissement public implique que l'État en assure la tutelle, que ce soit au niveau national ou au niveau territorial.
J'en viens à la structure spécifique des services à compétence nationale (SCN), créés par un décret de 1997. Pour éviter un nombre excessif d'agences structurées et lourdes, il s'agissait alors de créer une structure administrative simple, restant sous l'autorité d'un ministre ou d'un directeur d'administration centrale, oeuvrant dans un domaine bien déterminé, exerçant des fonctions au niveau national, mais n'ayant pas de personnalité morale.
Ces structures ont connu beaucoup de succès et plus de 200 SCN ont été créés, dans tous les domaines, surtout régaliens. Certaines agences ayant le statut d'établissement public pourraient être conservées sous la forme de structures plus souples, dans lesquelles le ministre concerné garderait un pouvoir d'autorité. Si de nouvelles structures devaient être créées, il serait bon de choisir le SCN plutôt que l'établissement public.
Mme Bernadette Malgorn, ancienne préfète et secrétaire générale du ministère de l'intérieur. - Au moment où des interrogations s'élèvent concernant l'utilité et le coût de ces organismes, le flux de création de nouvelles entités ne s'arrête pas. Dernièrement, la création d'une foncière devant assurer la gestion de l'immobilier de l'État, sans étude d'impact, a été censurée comme cavalier budgétaire par le Conseil constitutionnel.
Dans la période récente, des établissements publics ont été créés pour répondre à des circonstances exceptionnelles. Ainsi, à la suite de l'incendie de Notre-Dame, un établissement public sui generis a été créée par la loi, malgré l'existence de l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) et du Centre des monuments nationaux. En effet, il fallait associer la Ville de Paris et le diocèse. Il fallait aussi pouvoir recueillir la souscription nationale dans un cadre spécifique.
De la même manière, après le passage du cyclone à Mayotte, on a souhaité avoir recours à la loi pour permettre des dérogations ou des adaptations en matière d'urbanisme, de construction, de règles de la commande publique et de réception des dons. Il s'agissait aussi d'associer l'État et les collectivités.
Au-delà des circonstances exceptionnelles, ces deux exemples montrent bien quels éléments expliquent la création continue d'agences : la débudgétisation, la possibilité d'affecter des ressources, le recours à des compétences rares ou n'entrant pas dans le cadre des grilles de rémunération de la fonction publique, ainsi que le contournement des règles de la commande publique et d'autres contraintes de procédure, applicables aux administrations ordinaires de l'État.
De plus, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) a mis un coup d'arrêt à ce qui aurait pu constituer une évolution intéressante. En effet, la rigidité de l'architecture de cette loi se prête difficilement au portage de politiques interministérielles.
Il faut mentionner aussi la cogestion, notamment avec les partenaires sociaux.
Mentionnons également les modes managériales, qui sont nées dans le secteur privé et dissocient la stratégie, la conception et la mise en oeuvre. Elles se sont traduites dans le secteur productif par le modèle de l'industrie sans usine, replié sur un coeur de métier et pratiquant l'externalisation au maximum. Ce modèle intégratif a tari des sources de créativité et entraîné une perte de maîtrise. Il est aujourd'hui critiqué s'agissant de l'industrie, mais sert toujours de source d'inspiration dans l'organisation de l'État.
Certes, la création d'un organisme est liée à une impulsion et à une volonté politiques. Au début, une véritable tutelle s'exerce, mais, au fil du temps, la compétence se perd chez le donneur d'ordre et l'opérateur en vient à définir lui-même sa mission telle que définie par le contrat d'objectif et de compétences, lorsqu'il existe. On pourrait déceler dans cette création une volonté de faire perdurer une politique non consensuelle de l'État, au-delà des alternances. On observe donc des risques d'autonomisation et de pérennisation de politiques publiques qui ne seraient plus justifiées.
Sur les territoires, le préfet, représentant de l'État et de chacun des ministres, découvre parfois par hasard les initiatives prises par ces organismes. Il est empêché de jouer son rôle de coordination et de mise en cohérence de l'action de l'État, ce qui nuit à la lisibilité des politiques publiques.
Dans mon exercice préfectoral, j'ai souvent dû aller chercher, auprès de multiples organismes d'État, des informations sur leurs possibilités d'appui aux politiques publiques dont j'avais la charge et la responsabilité, y compris pénale, sans avoir la maîtrise des budgets ni des effectifs.
Je prendrai l'exemple de l'application de la directive « Nitrates » en Bretagne. En 2003, j'ai été chargée par les ministres de l'agriculture et de l'environnement de mettre en oeuvre un plan d'action, élaboré dans le cadre d'une vaste concertation régionale, pour assurer la reconquête de la qualité de l'eau et le maintien du potentiel agricole et agroalimentaire breton.
La maîtrise des épandages de lisier et la limitation du recours aux engrais minéraux constituaient des points importants du plan. Les préfets ont organisé des concertations pour aboutir à un plan de contrôle. Pour ce faire, il fallait mobiliser les directions départementales de l'agriculture (DDA), les directions des services vétérinaires, mais aussi beaucoup de moyens dépendant des offices, notamment l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (Ofival), aujourd'hui intégré dans FranceAgriMer, le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea), aujourd'hui intégré dans l'Agence de services et de paiement (ASP), le Conseil supérieur de la pêche, devenu Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) et finalement intégré à l'Office français de la biodiversité (OFB), ainsi que des moyens financiers venant des agences de l'eau. Les processus de décision de chacun de ces organismes rendaient très difficile l'établissement d'un calendrier cohérent et l'atteinte des objectifs.
Ensuite, je suis devenue secrétaire générale du ministère de l'intérieur, alors que l'architecture de la Lolf se dessinait de façon très verticale. J'ai milité pour la mise en place du programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (Pite), qui nous a aidés. Cependant, l'essentiel des crédits restait dans les agences.
À ce poste, j'ai été amenée à participer à la création de diverses nouvelles agences, dont l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), devenue France Titres. En effet, l'investissement technique était très important et nous avions un objectif interministériel. Le ministère s'est aussi senti concerné par la création de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus), qui était sous tutelle du ministère de la santé, mais touchait aux domaines de la sécurité civile et des secours. Nous avions obtenu une direction en binôme, qui associait un préfet et un médecin ou un pharmacien. Cet établissement a bien fonctionné jusqu'à la fusion dans Santé publique France. De petite taille, logistique et opérationnel, il n'a toutefois pas été très entendu dans ce grand ensemble.
J'ai aussi participé aux instances de préfiguration de Pôle emploi et des agences régionales de santé (ARS). Dans le cas de Pôle emploi, j'ai beaucoup milité pour que la dimension territoriale soit prise en considération, mais c'était difficile, les partenaires sociaux souhaitant que toutes les décisions soient prises au niveau national.
Pour les ARS, l'objectif était de mieux piloter le système de soins en intégrant l'assurance maladie, face à laquelle l'État se trouvait trop faible. Il fallait élargir le périmètre des agences régionales d'hospitalisation à la médecine de ville et au médico-social. En revanche, il ne semblait pas judicieux que ce qui relevait de la santé publique et de la gestion des crises sorte du périmètre préfectoral. J'ai été très surprise que le plan pandémie n'ait pas été déclenché lors de la covid et que l'on se contente d'une Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan).
En conclusion, alors que les agences sont exonérées de beaucoup de lourdeurs de gestion, on peut se demander pourquoi on en maintient le poids sur les administrations ordinaires.
M. Sébastien Soriano, directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). - (M. Sébastien Soriano projette une présentation PowerPoint en complément de son propos.) Le sujet des agences est revenu dans le débat public de manière pertinente. Cependant, il est important de rappeler qu'il ne s'agit pas essentiellement d'un enjeu financier. En effet, dans le rapport que la Cour des comptes a produit il y a quelques années sur le sujet, on observe une diminution de la progression des emplois. La trajectoire de contraction n'est pas aussi nette dans les administrations centrales. De plus, la progression de la masse salariale est beaucoup plus limitée dans les agences que pour l'État. Par ailleurs, le nombre d'opérateurs connaît plutôt une diminution. Quelques créations ont eu lieu, mais aussi des fusions et des disparitions.
L'externalisation - la délégation de l'exécution de certaines tâches par la puissance publique - se fait vers les opérateurs, mais aussi vers le secteur privé. En 2021, un rapport du collectif Nos services publics a évalué le coût de l'externalisation à 160 milliards d'euros, pour l'ensemble de l'action publique, y compris les hôpitaux et les collectivités locales. Or le budget des opérateurs s'élevait à environ 60 milliards d'euros en 2021 et il atteint 77 milliards d'euros aujourd'hui. Il faut noter en outre que son périmètre est plus étroit que celui du coût de l'externalisation, puisqu'il ne comprend que les opérateurs de l'État.
Ce rapport montre aussi qu'externaliser vers le privé peut coûter plus cher que de faire les choses au sein de la puissance publique, que ce soit dans une administration ou par l'intermédiaire d'une agence. Les exemples sont frappants, notamment dans les domaines du conseil en stratégie et de l'appui informatique, où le recours aux fonctionnaires coûte moins cher que le recours à des prestataires extérieurs.
Par ailleurs, l'argent finançant les opérateurs ne leur est pas uniquement destiné et de nombreux transferts ont lieu. À titre d'exemple, l'Agence de services et de paiement (ASP) voit transiter dans ses comptes des aides importantes, qui sont versées aux agriculteurs, et l'Agence nationale de la recherche (ANR) soutient différents programmes de recherche. Par ailleurs, les taxes affectées, comme celles des agences de l'eau ou du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), sont immédiatement reversées. Il serait intéressant de chiffrer avec précision ces reversements.
Le problème n'est donc pas le coût des agences, mais le foisonnement administratif. Plusieurs rapports récents l'ont exprimé avec force, comme celui de Boris Ravignon, qui évalue le coût de l'enchevêtrement des responsabilités, des compétences et des financements entre les différents niveaux de collectivités et l'État (hors opérateurs) à 7,5 milliards d'euros.
J'ai aussi été sensible à L'Alarme de Jean-Louis Borloo, qui a paru en 2022. Ce foisonnement crée de la désorganisation et un problème de visibilité pour les citoyens et les collectivités. Jean-Louis Borloo évoque notamment le fait que nous détenons le record mondial du cofinancement. Les appels à projets créent des voies de financement parallèles et génèrent des gouvernances ad hoc alors que, dans certains cas, nous pourrions juste procéder à des dotations et à des subventions, ou passer des marchés. Nous recevons régulièrement des plaintes d'acteurs territoriaux, qui répondent à ces appels à projets et qui, en même temps, considèrent qu'il s'agit d'une forme de retour en arrière et d'infantilisation des collectivités locales. En effet, ces appels à projets peuvent parfois concerner des compétences qui ont été décentralisées, sur lesquelles l'État reprend ainsi la main.
Enfin, je citerai l'étude annuelle du Conseil d'État sur le dernier kilomètre de l'action publique. L'étude de 2023 met en évidence une « organisation en silo de l'administration » et donne des exemples frappants, notamment dans le domaine de la protection de l'enfance. Elle évoque aussi les « effets pervers » du new public management et de la séparation orchestrée dans les années 1990, entre stratégie et exécution. Alors que se développaient l'Union européenne, les collectivités locales et des forces économiques, un recentrage de l'État s'est opéré. Il s'agissait pour l'État de se replier, de donner des ordres, de coordonner les acteurs, d'envoyer des incitations et de passer des contrats avec une variété d'acteurs opérationnels.
Le Conseil d'État souligne que nous atteignons là une limite et dans le rapport que nous avons réalisé pour Terra Nova, Vincent Feltesse et moi mettons en évidence une véritable crise de l'opérationnalité de l'action publique en relevant une incapacité à faire et à transformer le réel. Certes, quelques îlots, comme les forces armées ou les impôts, continuent à bien fonctionner, à se renouveler et à innover, mais dans certains domaines majeurs comme l'éducation nationale ou la santé, il apparaît très difficile de passer de la pensée stratégique à l'action sur le terrain.
Il y a toutefois un chemin à tracer pour donner un cap à l'action publique tout en capitalisant sur ses réussites, en s'appuyant sur les agences, qui, de mon point de vue, rendent un service public de qualité. Ma proposition serait de revenir sur cette pensée du New Public Management, qui a eu sa légitimité, dans les années 1990. Aujourd'hui, le sujet n'est plus de savoir si l'État doit se recentrer, mais comment il entraîne dans son action les collectivités territoriales, les entreprises privées, les associations et, parfois, les collectifs citoyens. Je pense en particulier à OpenStreetMap, le Wikipédia français de la carte. Face aux grands défis qui l'attendent, notamment la transformation climatique et numérique, l'État doit incarner le bras armé de la Nation.
Dans cette perspective, je recommande de passer à une posture de structuration d'écosystèmes. Dans le cadre de la planification écologique, France Stratégie avait proposé, en 2022, de distinguer deux fonctions principales, l'orchestration et l'animation. D'un côté, il faut un cadrage en amont, qui affiche des intentions et une direction, c'est le cas, par exemple avec le livre blanc pour la défense ou la stratégie nationale de recherche, qui sont bien sûr du ressort des administrations centrales et des ministères ; d'un autre côté, il reste un rôle d'animation des écosystèmes à jouer, pour lequel les administrations centrales n'ont pas la capillarité suffisante pour toucher des acteurs parfois éclatés.
Pour ma part, j'ai travaillé sur plusieurs politiques publiques selon cette logique. La French Tech, par exemple, a consisté à rassembler des écosystèmes d'entrepreneurs autour d'une marque, le petit coq rouge, à diffuser cette marque à l'international et à développer cette communauté d'acteurs en partenariat avec les territoires concernés.
Je peux mentionner également le plan France Très Haut Débit, un exemple assez extraordinaire d'installation d'une infrastructure en un temps record : on a réussi à associer les grands opérateurs privés et une myriade de collectivités locales pour bâtir le réseau de fibre optique plus vite qu'on n'avait déployé le réseau téléphonique du temps du monopole. C'est tout de même une leçon ! Dans ce projet, le rôle de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), du régulateur Arcep et bien évidemment de l'administration centrale au travers de la direction générale des entreprises, a été déterminant.
Je pourrais prendre également l'exemple de la planification écologique. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a ainsi mis en place une feuille de route Numérique et données, qui favorise la coordination des différents intervenants du ministère, l'objectif étant de clarifier précisément, pour reprendre le terme de M. Borloo, le « qui fait quoi ».
Concernant spécifiquement les agences, il faut éviter que le directeur d'une agence se prenne pour un ministre. Le risque est également qu'en voulant ménager la chèvre et le chou et ne froisser personne, les administrations centrales distribuent les compétences aux différents opérateurs de manière que chacun ait de quoi « se mettre sous la dent », alors que les directeurs d'opérateurs doivent se mettre clairement sous la coupe des administrations. À l'IGN par exemple, nous avons tenu la semaine dernière un séminaire de quatre heures sur les politiques publiques avec les équipes du commissariat général au développement durable (CGDD), afin d'aligner nos actions sur ses priorités et celles du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. C'est tout à fait normal et je recevrai prochainement une lettre de mission signée de la ministre fixant mes propres priorités pour les quatre années à venir.
Une fois que ce cap est fixé et que nous avons ce cadrage, il faut assumer de confier selon les cas aux opérateurs ou aux administrations un rôle de chef de file. C'est exactement ce qui est en cours dans la recherche, au travers des agences de programmes. Il est intéressant de noter que ces dernières n'ont pas nécessité la création de nouveaux établissements publics. On s'est appuyé sur les grandes entités de recherche pour structurer cette action en réseau et coordonner les acteurs. Nous-mêmes, à l'IGN, participons à plusieurs de ces agences de programmes.
Vous m'interrogez sur le risque de perte de compétences dans l'administration. Pour certains métiers, nous entretenons des compétences rares - l'information géographique pour l'IGN, les prévisions météorologiques chez nos collègues de Météo France -, mais nous le faisons dans une logique de rayonnement. Nous faisons par exemple monter en puissance des écoles sur la data science ou sur l'intelligence artificielle. L'objectif est de faire rayonner nos agents et ingénieurs fonctionnaires ainsi formés vers d'autres administrations. Cela suppose une gestion fine, afin de récompenser ceux qui auront fait l'effort d'effectuer une telle mobilité par une élévation en grade ou par de plus grandes responsabilités. Il n'y a donc pas d'opposition selon moi entre, d'une part, une gestion de proximité des corps, réalisée par un opérateur, et, d'autre part, le rayonnement de ces corps au bénéfice de l'ensemble des administrations.
Enfin, je souscris tout à fait à la suggestion de M. Silicani de penser parfois au recours aux services à compétence nationale plutôt qu'aux agences. Cette modalité de gestion intermédiaire peut être tout à fait prometteuse. Quitte à être un peu provocateur, certaines fonctions pourraient être réinternalisées dans les administrations centrales. Citer des exemples est assez délicat, mais les différentes études ou stratégies que l'on voir fleurir chez certains opérateurs posent question. S'il existe un mandat clair des ministères et des directions d'administration centrale pour réaliser un tel travail, alors bien sûr c'est pertinent. Sinon, cela interroge : pourquoi ne pas réinternaliser ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Silicani, vous avez indiqué que les autorités administratives indépendantes (AAI) n'étaient pas des agences. Pensez-vous utile de les inclure dans le périmètre de notre commission d'enquête ? Ma deuxième question s'adresse aussi à M. Soriano, qui a eu également un rôle de régulateur à l'Arcep : pensez-vous que ce rôle doive être nécessairement joué par des organismes indépendants ? Dans certains cas, la mission de régulation ne pourrait-elle pas être réinternalisée dans l'administration ?
M. Jean-Ludovic Silicani. - Il existe deux catégories d'autorités administratives indépendantes : celles qui agissent en matière de protection de droits fondamentaux, de pluralité des médias ou encore d'accès aux documents administratifs, et celles qui agissent dans le champ économique. Pour ces dernières, il s'agissait, à leur création, de transformer un système de monopole public en un système concurrentiel faisant intervenir divers acteurs économiques. Cela ne se fait pas spontanément. Il faut un cadre juridique - par exemple la loi de 1997 pour les télécoms - et les textes, nationaux comme européens, prévoient que cette opération soit réalisée par un acteur autonome. En effet, le plus souvent, l'acteur public reste sur le marché. Ce fut le cas pour France Télécom, dont le pilote était pourtant le ministre de l'économie. Or l'arbitre d'un match de football ne peut pas prendre part au jeu et l'on sait que nul ne peut pas être juge et partie.
C'est la raison pour laquelle on a créé ces autorités indépendantes, qui, pour autant, ne font pas n'importe quoi. En tant que président de l'Arcep, j'ai ainsi été auditionné quarante-cinq fois par le Parlement - et c'est normal ! - pour justifier que nos activités étaient bien conformes au mandat fixé par les règles nationales et européennes. Par ailleurs, les décisions des autorités indépendantes sont soumises au contrôle du juge, qui en annule de temps en temps. Les autorités administratives indépendantes sont donc certes indépendantes du Gouvernement, mais elles restent un morceau de l'État.
M. Sébastien Soriano. - Je rejoins M. Silicani sur ce point. Pour ma part, je vous recommanderai de ne pas inclure les AAI dans votre travail. En 2015, la commission d'enquête sénatoriale sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes avait permis d'apporter, sous l'impulsion de Jacques Mézard, une plus grande cohérence à leur organisation.
D'un point de vue financier, les AAI et les autorités publiques indépendantes (API) pèsent peu et du point de vue du foisonnement administratif, il est possible de mettre en place de bonnes pratiques. Lorsque j'étais président de l'Arcep, le ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, réunissait régulièrement les principaux opérateurs, les administrations et l'autorité de régulation. Cette démarche permettait de donner une impulsion et de partager une trajectoire ainsi qu'un certain nombre d'enjeux. Le Gouvernement était bien l'orchestrateur de l'action publique sur ce thème. Les exemples du plan France Très Haut Débit ou du New Deal Mobile, qui ont été conduits selon cette logique, avec des ministres clairement chefs de file, mais en présence d'un régulateur, me semblent particulièrement parlants.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je reviens sur la notion d'État stratège. À l'origine, la raison d'être des agences tenait à une sorte de répartition des rôles entre l'État, qui conçoit les politiques publiques, et les agences, qui les mettent en oeuvre. Compte tenu du poids de certaines agences dans la gestion des services publics, voire dans la prise de décision, cette distinction est-elle encore valable ? Comment expliquez-vous que l'État exerce sa tutelle sur les agences de façon parfois un peu trop souple ? Est-ce faute de volonté politique, faute de moyens ou pour ces deux raisons ? Selon vous, quel axe de la gouvernance des agences demande-t-il à être réformé ? Faut-il réformer l'État stratège ? Quel regard portez-vous sur le modèle actuel de coordination entre l'État central et les agences ? Enfin, ma dernière question s'adresse plus spécifiquement à Mme Malgorn en sa qualité d'ancienne rapporteure de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : dans quelle mesure cette réforme a-t-elle modifié les relations entre l'État et ses agences ?
Mme Bernadette Malgorn. - Nous étions en 2007. La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) venait d'entrer en vigueur et l'organisation administrative s'en trouvait fortement restructurée. Dans un mouvement contraire à l'objectif affiché, les responsables de programme agissaient comme des mini-ministres à l'intérieur des ministères, cherchant à reconstituer, chacun dans son programme, sa propre direction des ressources humaines (DRH), de la communication ou encore des systèmes d'information. Malgré les tentatives, au cours des années précédentes, d'introduire dans cette Lolf extrêmement verticale une dimension territoriale, nous voyions bien qu'il serait difficile d'imaginer une nouvelle organisation de l'administration territoriale de l'État.
Après l'arbitrage politique m'invitant à maintenir un mode d'organisation préfectorale - la question de son abandon pouvait se poser -, il fallait trouver le moyen de rabouter la Lolf avec la transversalité territoriale. J'ai donc proposé que l'on dissocie l'organisation régionale de l'organisation départementale. L'idée était que les quinze grands blocs ministériels retrouvent dans les directions régionales, regroupées en huit grands pôles, des interlocuteurs issus de leurs ministères, de leurs familles administratives et de leurs corps administratifs. En revanche, au niveau départemental, j'ai proposé que l'on s'organise en fonction de la demande locale. Les interlocuteurs étant, pour faire simple, d'un côté les territoires, de l'autre les citoyens, nous avons imaginé une organisation composée d'une direction départementale interministérielle des territoires et d'une direction départementale interministérielle de la protection des populations. Pour y arriver en régime Lolf, nous espérions obtenir des budgets opérationnels de programme (BOP) qui nous auraient donné les moyens de cette réorganisation. Nous ne les avons pas obtenus tout de suite...
Avant d'être préfète de région en Lorraine puis en Bretagne, j'ai été préfète du Tarn-et-Garonne. Dans ce petit département, j'ai constaté la très grande difficulté qu'il y avait à fidéliser des cadres supérieurs dans les administrations de l'État. Lorsque j'ai exercé ensuite la fonction de secrétaire générale de ministère et de DRH du corps préfectoral, j'ai vu combien l'éloignement des grands lycées et des universités était un frein à la mobilité dans les sous-préfectures. Il y avait manifestement un risque de dépérissement de l'administration départementale.
Parallèlement, le foisonnement des agences s'est poursuivi et il faut bien voir que la Réate a emporté un rétrécissement du champ préfectoral. Les administrations qui s'en sont exclues ont en effet considéré qu'elles s'excluaient aussi de l'autorité préfectorale. J'ai évoqué les ARS dans le domaine de la santé, mais les préfets exerçaient également autrefois des compétences en matière d'éducation nationale ou de finances, même si l'organisation de la pédagogie, le maniement des deniers ou encore la fiscalité étaient exclus de leur champ d'intervention. Face à la prolifération de ces organisations parallèles, des tentatives de rattrapage ont bien été menées : on allait confier au préfet la présidence du conseil d'administration des ARS, le nommer délégué territorial de telle ou telle instance, mais jamais à des niveaux véritablement décisionnels.
Il faut selon moi procéder à une redistribution des compétences et dire clairement qui exerce la responsabilité. La décentralisation n'est pas forcément la solution. Je suis aussi élue locale et je considère que la légitimité dans l'action locale procède non pas d'une délégation, mais de l'élection dans le cadre de la commune. Les collectivités territoriales ne sont pas des opérateurs de l'État. Ils doivent avoir leur propre champ de compétences, leur propre champ de responsabilité et, c'est un avis personnel, leur propre responsabilité fiscale. À ce moment-là seulement, les acteurs seront pleinement responsables et il deviendra possible de s'organiser entre l'État et les collectivités territoriales sans que l'on se retrouve tous autour de la table sans savoir exactement qui est véritablement responsable.
M. Jean-Ludovic Silicani. - Vous avez noté que dans le rapport Picq de 1994, dont j'étais le rapporteur général, un chapitre entier était consacré aux agences. Au sein du groupe de travail, les débats ont été vifs entre ceux qui avaient une vision plutôt classique d'une déconcentration territoriale appuyée sur le réseau préfectoral et les autres, qui prônaient le développement des agences. Un accord a finalement été trouvé pour que l'on traite de la question des agences, tout en précisant qu'il existait deux voies pour déconcentrer l'action publique, l'une par le réseau préfectoral et l'autre par les agences. Le rapport ne préconisait toutefois pas que l'on généralise ces dernières ni que l'on retienne le système américain, dans lequel les gouverneurs assurent aussi l'exercice déconcentré de l'action de l'État central.
La question du statut des personnels est très importante. La spécialisation, qui fonctionne plus ou moins bien, entre d'un côté l'État central, Parlement compris, qui conçoit et fixe les règles, et d'un autre côté l'État local au sens large, qui les met en oeuvre, devrait perdurer, quelle que soit la pertinence de vos préconisations. Je rappelle que le Conseil constitutionnel estime que les établissements publics sont des « morceaux de l'État ». Il faut donc dresser une définition suffisamment large de ce que sont l'État central et l'État local.
Entre les deux, les ressources humaines peuvent recréer de la cohérence. Aussi est-il très important, dans cette perspective, de favoriser la mobilité des personnels entre les agences et les services centraux. Il n'est pas souhaitable de rester stratège ou opérateur toute sa vie. Dans un livre blanc que j'avais rédigé en 2008 sur l'avenir de la fonction publique, j'avais proposé des mesures visant à harmoniser les statuts des personnels de l'État et des autres organismes publics, de façon à faciliter cette mobilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'en viens au contrôle de ces établissements. Identifiez-vous un manque de transparence sur l'activité et les comptes de ces organismes ? Monsieur Soriano, dans votre rapport pour Terra Nova, vous citez de nombreux organismes : Bpifrance, Pôle emploi, Business France ou encore la Banque des territoires. Or un seul d'entre eux, Business France, fait l'objet d'informations dans le jaune budgétaire. Madame Malgorn, jugez-vous pertinent d'avoir nommé le préfet délégué territorial d'un certain nombre d'agences, comme l'ANCT, l'Agence de la transition écologique (Ademe) ou encore l'OFB ? Par ailleurs, vous avez tous trois souligné la dilution des responsabilités chez les décideurs publics. Nous avons eu, me semble-t-il, nos réponses sur ce point.
M. Sébastien Soriano. - En tant qu'opérateurs, nous sommes soumis à un contrôle, notamment budgétaire, extrêmement poussé, c'est bien normal. Lorsque l'on est à la tête d'un établissement public administratif, on ne se considère pas en roue libre, loin de là. Je vous rejoins sur le périmètre des acteurs, auxquels j'ajouterais les groupements d'intérêt public (GIP), qui participent également au foisonnement administratif que j'ai évoqué. Il serait utile de disposer d'une vision plus intégrée. Saluons tout de même ce jaune budgétaire « Opérateurs de l'État » : il constitue un grand progrès, même s'il pourrait être complété.
Madame le rapporteur, vous m'avez demandé s'il fallait réformer l'État stratège. Je vous réponds clairement : oui, s'il vous plaît ! C'est devenu une nécessité absolue. Il est normal d'avoir pensé d'une certaine manière il y a trente ans, mais nous devons aujourd'hui changer de perspective. J'ai déjà mentionné les appels à projets ; les stratégies nationales, à l'instar de celle qu'a adoptée récemment le SGPE, permettent aux administrations centrales de jouer leur rôle d'orchestrateur ; en outre, des mandats peuvent être attribués aux opérateurs.
Pour ma part, j'ai été missionné par la ministre Agnès Pannier-Runacher avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) pour construire un portail cartographique des énergies renouvelables. J'ai également été missionné par la direction interministérielle de la transformation publique, avec d'autres administrations, pour visualiser sur une même carte la présence de tous les guichets publics du territoire. Ces mandats sont nécessaires pour permettre un travail collectif.
J'abonde par ailleurs dans le sens des recommandations de Boris Ravignon sur les chefs de filat dans les territoires. Enfin, je voudrais souligner les effets pervers de la Lolf, mentionnés par le Conseil d'État dans son rapport sur le dernier kilomètre, et notamment la notion de fongibilité asymétrique combinée au plafond d'emplois, qui fait que nous sommes incités à externaliser vers le privé, quel que soit le coût des actions considérées.
Autant vous avez raison d'insister sur la transparence, autant les opérateurs devraient être pilotés de manière plus souple, notamment en matière d'emplois. Aujourd'hui, nous sommes incités à externaliser nos missions ou à recruter des contractuels au statut potentiellement plus précaire, avec un risque de dissipation des compétences.
Mme Bernadette Malgorn. - La nomination du préfet dans les agences précitées a été un palliatif utile. Elle ne résout pas les problèmes, mais au moins, le préfet a-t-il plus de chances d'être informé, de coordonner les acteurs et d'éviter les contradictions. Par ailleurs, si nous appliquions des principes plus rigoureux en matière de cofinancement, nous éviterions nombre d'incohérences. Ne pourrait-on pas limiter à deux acteurs le cofinancement de toute opération mobilisant des crédits d'État ? Imposer que le porteur du projet finance au moins 50 % de ce dernier ? Ou encore, estimer le coût en fonctionnement d'un investissement ? Certains domaines requièrent la mise en oeuvre d'une transversalité au plus près.
On a beau disposer des organismes techniques les plus compétents, si chacun se montre perfectionniste dans son expertise et si des contradictions apparaissent au moment de la mise en oeuvre au niveau de l'entreprise, de la vie des citoyens ou des collectivités locales, alors nous n'aurons rien gagné et nous aurons gaspillé de l'argent public. Ce n'est pas tant le coût de fonctionnement des organismes qu'il faut regarder, mais l'impact des contradictions, incohérences et complications.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai le sentiment que, de votre point de vue, le démembrement de l'État ne s'est pas traduit par une simplification du quotidien des élus locaux non plus que de celui des citoyens. Peut-on revenir en arrière et simplifier les choses ? La création des agences a-t-elle amplifié le phénomène d'inflation et de complexité normative ? Enfin, que pensez-vous des guichets uniques ?
Monsieur Soriano, vous avez évoqué la French Tech, qui est en fait un conglomérat d'acteurs publics. Cette piste est-elle à creuser ? Je pense notamment aux maisons France Services.
M. Jean-Ludovic Silicani. - Vous venez d'indiquer une piste intéressante. Lorsque j'étais commissaire à la réforme de l'État, nous avions introduit dans la loi, en 2000, le cadre général des maisons des services publics. Cette initiative est restée lettre morte pendant une quinzaine d'années, avant d'être réactivée voilà cinq ou six ans de façon remarquable. Environ 3 000 maisons France Services permettent aujourd'hui aux citoyens d'accéder à la quasi-totalité des services publics, qu'il s'agisse des services de l'État, des collectivités locales ou des agences publiques au sens large. Tout ce qui est fait dans ce sens doit se poursuivre.
La complexité à laquelle font face les entreprises est un autre sujet : elle touche la création de la structure ou le développement de l'activité et pose également la question des marchés publics. À lui seul, ce thème justifierait la constitution d'une commission d'enquête spécifique. Selon moi, la loi devrait se limiter, en dehors de la fiscalité et des libertés publiques, à fixer des objectifs à atteindre sans entrer dans les détails et en laissant aux entreprises ou aux citoyens le libre choix des moyens. En matière de construction par exemple, et depuis une ordonnance de 2020, les constructeurs ont désormais le choix entre respecter les 1 000 pages du code de la construction et respecter une cinquantaine de principes qui sont indiqués au début dudit code.
À l'heure où nous parlons, 70 % du code civil n'a pas évolué depuis sa version de 1804. On a donc réussi voilà plus de deux siècles à écrire le code civil d'une façon suffisamment générale pour régler des problèmes qui n'existaient pas à l'époque, comme celui de l'intelligence artificielle. La complexité du droit ne disparaîtra pas, mais elle peut être partiellement compensée par une volonté absolue du législateur et des auteurs des textes réglementaires de s'en tenir à des normes édictées en des termes suffisamment généraux.
M. Sébastien Soriano. - Je suis bien sûr favorable aux guichets uniques. Pour élargir le propos, l'enjeu est de faire travailler ensemble les administrations. J'ai coutume de dire que la simplification administrative, c'est la « désilotation ». S'il existe pour les entreprises des seuils différents à neuf, dix ou onze salariés pour créer des instances sociales ou payer des taxes, c'est simplement parce que des administrations différentes ont travaillé chacune dans leur coin avec des définitions du salarié qui ne sont pas compatibles entre elles.
Nous sommes confrontés à un enjeu de communs à l'intérieur du monde public. À l'IGN, nous avons expérimenté différents processus en ce sens, dont la Fabrique des géocommuns, sur laquelle je pourrai vous apporter des précisions si vous le souhaitez.
Les guichets uniques représentent une forme d'action collective, mais il en existe d'autres. Je mentionnais tout à l'heure le chef de filat ; l'enjeu principal est que l'administration centrale désigne un opérateur ou se désigne elle-même comme coordinateur d'une action pour l'animer.
Vous me demandez si les agences ont ajouté de la complexité dans le paysage. Un des facteurs qui y contribue est selon moi la recherche de ressources propres à laquelle on incite les agences. Celles-ci adoptent alors des démarches qui, sans être commerciales, les conduisent à promouvoir leurs solutions et, parfois, à empiéter sur les platebandes de leurs voisins.
Enfin, au moment où les administrations doivent coopérer, un enjeu très important me semble être celui de la formation des hauts fonctionnaires et de la conduite de leur carrière. La délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) travaille, à la suite de la réforme de l'École nationale d'administration (ENA), à ce que la formation nous apprenne davantage à travailler ensemble.
Le Président de la République Emmanuel Macron a réuni l'ensemble des cadres dirigeants de l'État en leur demandant d'inverser la pyramide. Pendant longtemps, les hauts fonctionnaires ont été formés à contrôler hiérarchiquement. Il convient de mener un véritable travail de fond pour inverser la pyramide et, peut-être, diversifier le profil des hauts fonctionnaires pour y inclure notamment plus de femmes.
Mme Bernadette Malgorn. - N'ayons pas trop d'illusions par rapport au guichet unique. Il en faudrait 67 millions, dans la mesure où chacun se fait son guichet unique idéal, en fonction de ses besoins.
Les maisons France Services sont le signe que l'on redécouvre le besoin d'une administration de proximité, après avoir considéré que le réseau préfectoral et sous-préfectoral relevait plus ou moins du passé. Ces maisons sont parfois dans les sous-préfectures, parfois à côté. Il faudrait maintenant faire en sorte que la présence de l'État sur le territoire soit cohérente et conçue de façon unifiée. Lorsque j'étais secrétaire générale du ministère de l'intérieur, on m'a demandé à plusieurs reprises de proposer une réorganisation du réseau des sous-préfectures. J'avais des idées, mais elles n'ont pas abouti...
J'en viens à la complexité administrative. L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), par exemple, a été créée dans un souci de simplification. L'objectif était de parvenir, comme dans certains pays, à une carte unique sur laquelle viendraient se greffer d'autres services, en plus de l'identité. Nous étions en 2007 et c'était sans doute prématuré, mais nous y arrivons.
Le droit dans toute sa beauté des débuts du XIXe siècle est admirable. Toutefois, lorsque la loi est relativement restreinte dans sa formulation, c'est la jurisprudence qui se développe. Or autant l'application administrative de la loi est gratuite, autant le contentieux est payant ; aujourd'hui, le droit s'achète. Au regard de l'égalité des citoyens devant la loi, je suis quelque peu réticente quant à l'extension du juridictionnel à des domaines qui pourraient rester administratifs. Le citoyen doit pouvoir obtenir des décisions administratives sans avoir nécessairement recours à un avocat.
La complexité se trouve aussi dans l'instabilité : les règles changent sans arrêt. Comme élue locale, je siège dans des conseils d'administration de lycées et de collèges ; pendant la pandémie, une nouvelle instruction arrivait pratiquement tous les jours ! C'était exceptionnel bien sûr, mais cela se produit aussi en temps ordinaire. Tout le monde en est responsable : le Gouvernement, qui est à l'initiative, comme le Parlement et les administrations.
Nous pourrions imaginer des règles inspirées des programmes à durée limitée qui, de plus, éviteraient de mener des politiques qui ne sont plus d'actualité. L'État pourrait ainsi s'engager à traiter les priorités du moment dans un délai de cinq ans par exemple, puis mettre un terme à la politique concernée à l'issue de cette période. Dans les faits, on a tendance, dans ces cas-là, à décentraliser : l'État délègue aux collectivités une politique qu'elles n'avaient pas forcément envie d'assumer. Il leur accorde une dotation à cette fin, qui est en fait une dette permanente de l'État. Il y aurait pourtant des façons différentes, mieux adaptées au terrain, de traiter ces questions, tout en gagnant en productivité.
M. Michaël Weber. - Monsieur Silicani, dans un article récent sur le rôle des agences, vous recommandez de réduire les dépenses de fonctionnement et de fusionner les opérateurs exerçant des tâches proches ou complémentaires. De nombreux exemples nous viennent en tête. Sans provocation aucune et sans préjuger de rien, mes chers collègues, on pourrait imaginer, par exemple, que l'OFB et l'ONF pourraient être concernés.
N'y a-t-il pas cependant un risque d'entropie, dès lors qu'un opérateur brasserait trop large ? On peut craindre en effet que plus les missions sont générales, moins spécialisées, plus on disperse les forces et moins l'agence est opérationnelle et agile sur le terrain. En conséquence, l'efficacité de l'action publique serait moindre et nous devrions faire face à de faux frais liés à l'incapacité de la nouvelle agence à mener à bien l'ensemble de ses missions, soit tout le contraire de l'objectif initial. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Il est vrai - je l'ai vécu en Moselle - que les maires sont très souvent sollicités par les préfectures pour désigner des représentants dans différentes commissions et organismes. Pour une même thématique, les préfets constituent des commissions qui, sur la durée du mandat, ne se réuniront peut-être qu'une seule fois. La question est donc aussi celle de l'efficacité. Comment s'assurer que les organismes qui sont amenés à émettre un avis soient respectés et consultés ?
L'exemple de Notre-Dame est très intéressant. En termes d'agilité, la création d'un organisme ad hoc pour répondre à une situation d'urgence est plutôt bienvenue. La question se pose néanmoins de son devenir, une fois l'objectif atteint. Nous avons tous vécu cela : une fois la mission initiale achevée, tout le monde se demande quelles sont les raisons qui justifieraient le maintien de l'organisme en question. De fait, ce dernier a tendance à s'autoalimenter de manière à justifier sa pérennité. Quelle serait dans ces cas-là la bonne démarche ?
Par ailleurs, en quoi la création des grandes régions a-t-elle changé la donne ?
Enfin, quid de l'intelligence artificielle dans tout cela ? N'a-t-elle pas un rôle à jouer dans l'organisation de l'État et dans l'amélioration de son efficacité ?
M. Pierre Barros, président. - À ce sujet, je ne saurais trop conseiller la lecture des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective !
Mme Pauline Martin. - On évoque souvent le modèle suédois, qui consiste à vider les ministères au profit des agences. À votre avis, quel modèle faut-il privilégier ?
Monsieur Silicani, vous suggérez de favoriser la mobilité des personnels, mais les grilles de salaires des agences et de la fonction publique ne sont toujours pas équivalentes, la flexibilité des agences permettant des salaires plus élevés.
Monsieur Soriano, vous appelez à renoncer aux actes réflexes. Au Sénat, nous devrions balayer devant notre porte : nous avons aussi tendance à légiférer, parfois, sous le coup de l'émotion.
M. Jean-Ludovic Silicani. - Dans l'article cité, je suggérais de regarder les choses de façon très pragmatique, sans idéologie particulière. Nous avons bien créé une seule agence de sécurité sanitaire, compétente à la fois en matière d'alimentation, de travail et d'environnement à partir d'agences dont les compétences étaient proches ou complémentaires. Il faut faire les choses au cas par cas.
Si l'on regarde les ordres de grandeur, on comptait il y a une dizaine d'années une centaine d'agences au sens strict. Le nombre de ministères est assez stable, autour de quinze, et chacun d'entre eux exerce sa compétence dans trois grands domaines d'activité en moyenne. Nous arrivons à une cinquantaine de thématiques de l'action publique pour cent agences. Nous pourrions imaginer qu'il existe, pour chacune de ces thématiques, une agence exécutive. Le rapprochement des administrations et des personnels qui exercent des missions similaires peut mener à des gains de productivité.
Madame la sénatrice, les différences de rémunération, ou plutôt de statut, existent toujours, mais elles devraient se réduire avec l'application de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui prévoit des assouplissements importants. Selon un ancien responsable de la fonction publique de rang élevé, 50 % des emplois de l'État pourraient être occupés, si nous le souhaitions, par des contractuels. L'obstacle selon lequel les contractuels seraient plus nombreux dans les agences et établissements publics que les titulaires, et inversement moins nombreux dans les services de l'État, réside davantage dans les esprits que dans les textes. Il pourrait en être autrement sans changer une virgule dans un seul texte et on peut dès aujourd'hui, beaucoup plus facilement que par le passé, mettre en oeuvre une mobilité utile entre personnels.
Le principe général de la fonction publique qu'est la distinction du grade et de l'emploi permet en effet que l'on perçoive une rémunération supérieure à celle que l'on touchait antérieurement, même à grade égal, dès lors que l'on exerce une fonction plus importante.
M. Sébastien Soriano. - Je veux rebondir sur l'exemple de l'opérateur qui a été créé pour Notre-Dame : c'est l'exemple à éviter pour l'avenir, malgré toute la qualité du travail, remarquable, qui a été fait. Nous ne devrions pas avoir besoin de créer un opérateur dédié, même pour une durée limitée, pour résoudre un problème de ce genre, d'autant qu'il y existait, au sein du ministère de la culture, un opérateur dont c'était la mission principale.
Comment aurait-il fallu s'y prendre, et y a-t-il, dans le système actuel, des rigidités qui expliquent que l'on ait échoué ? Votre commission ferait oeuvre extrêmement utile à la réforme de l'État en se posant cette question et en formulant des recommandations en la matière.
On aurait pu imaginer qu'une personnalité qualifiée soit désignée par le Président de la République et que le mandat très clair de se mettre au service de cette personne et de mobiliser les moyens de manière prioritaire pour réussir le chantier soit confié à la fois à la direction générale de l'opérateur en place et à la direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA). Peut-être était-il possible d'agir dans la logique de mandat et de chef de filat que j'ai mentionnée.
Mme Bernadette Malgorn. - Monsieur le sénateur Weber, il existe effectivement beaucoup de commissions consultatives. Toutes ne sont pas inutiles, certes, et certaines d'entre elles pourraient être remplacées par de simples consultations.
Pour autant, il faut aussi que les gens prennent leurs responsabilités ! Or, face à un certain consensus, il est très difficile pour un membre dont on sollicite l'avis de poser la question naïve qui le fera passer pour quelqu'un qui n'y connaît rien. Par ailleurs se pose un problème de prise de responsabilité : dans de nombreuses situations à risques, j'ai été amenée à demander à différents chefs de service ou d'organismes une confirmation de leur avis par écrit. Je les attends toujours... L'écrit a toujours de l'importance dans les commissions. Cela dit, certains sujets méritent que l'on rencontre les personnes.
J'ai par exemple à l'esprit ce qui se passe dans les conseils départementaux de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst), issus des anciens conseils d'hygiène, qui réunissent à la fois des représentants du monde agricole et des représentants des associations environnementales. On peut, dans ces commissions, sinon créer du consensus, du moins éviter des confrontations trop virulentes pour aboutir à des solutions fabriquées en commun.
Il n'est plus possible, à mon sens, en termes d'organisation administrative, de dissocier entre l'organisation de l'État et celle des collectivités depuis que l'article 72 de Constitution prévoit que les préfets sont les délégués du Gouvernement dans les collectivités territoriales de la République.
Effectivement, le schéma de l'organisation issue de la Réate a un sens, le département ayant moins de technicité et étant davantage tourné vers le terrain et les citoyens. Ce schéma est toutefois mis à mal par les grandes régions, dont la mise en place a souvent éloigné l'expertise. En outre, comme cette évolution ne s'est pas traduite par un regroupement des administrations, elle a emporté des frais de coordination considérables. Certains acteurs semblent maintenant considérer que ce sujet pourrait être remis sur la table. Il ne faudrait sans doute pas nous priver de le faire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous que l'organisation de l'État soit adaptée aux nouveaux enjeux et aux nouveaux défis qui n'existaient pas voilà vingt ou trente ans, comme le numérique, l'intelligence artificielle, l'adaptation au changement climatique ?
La réponse pertinente doit-elle passer par plus d'agences, par une recentralisation au niveau d'un État stratège ou par une solution qui serait à mi-chemin entre les deux ?
M. Pierre Barros, président. - L'informatisation généralisée des services a constitué une aubaine pour réduire les effectifs dans l'ensemble des structures concernées. La RGPP a fait beaucoup de place dans les préfectures au motif que l'informatisation et la restructuration permettraient d'être tout aussi efficace, voire plus, avec moins de personnel.
Il est vrai que l'intelligence artificielle peut être intéressante dans la recherche d'une amélioration des organisations et d'un déploiement des services publics cohérent par rapport aux besoins des citoyens. En revanche, si son utilisation conduit à resserrer les effectifs au point qu'il n'y ait plus personne de compétent, il y a de quoi être inquiet.
M. Jean-Ludovic Silicani. - Il me semble que deux agences coexistent actuellement sur ce sujet. La première est dépourvue de personnalité morale, il s'agit d'un service à compétence nationale sur le numérique - donc sur certaines problématiques que vous évoquiez. La seconde est une véritable agence qui a longtemps relevé du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et qui traite de tous les risques numériques : opérations frauduleuses, pillages, etc.
L'une et l'autre ont bonne réputation et fonctionnent bien.
Mme Bernadette Malgorn. - Notre État est-il organisé pour faire face aux enjeux contemporains, climatiques, numériques, géostratégiques, aux nouvelles menaces, différentes de celles que nous connaissions quand nous engrangions les dividendes de la paix ? La réponse est non.
L'État doit retrouver des marges de manoeuvre ; on ne pourra rien faire pour répondre aux enjeux climatiques ou défendre notre sécurité nationale sans marges de manoeuvre budgétaires. Les besoins sont énormes, ce qui implique d'élaguer tout ce qui n'est pas essentiel.
À cet égard, un mode d'organisation ordinaire, avec des administrations centrales et des administrations déconcentrées en lien très étroit et avec un système de responsabilité très clair, me paraît être le plus approprié.
Bien évidemment, nous avons besoin d'expertise et de l'apport d'organismes rassemblant des compétences. Toutefois, gardons-nous d'un trop grand mélange des genres entre l'expertise scientifique elle-même, les lieux où celle-ci se confronte aux besoins opérationnels et enfin les arbitrages proprement dits. Nous aurions pu en tirer des leçons lors de la pandémie.
Ces éléments doivent être présents dans l'organisation de l'État du futur, mais avant tout, il est essentiel de nous doter de marges de manoeuvre pour répondre aux défis climatiques et sécuritaires.
M. Sébastien Soriano. - Il y a trois grandes règles du jeu en matière d'organisation administrative.
Premièrement, il faut travailler ensemble.
Deuxièmement, il faut de la frugalité administrative, c'est-à-dire créer le moins possible de structures et de normes, essayer de raisonner le plus possible à textes constants, à normes constantes, à institutions constantes.
Troisièmement, il faut investir dans l'humain. On entend toujours qu'il y a trop de fonctionnaires, mais les agents publics ne représentent, en réalité, qu'un peu moins de 20 % de la dépense publique.
Une grande partie de cette dépense publique est en outre redistribuée aux entreprises ou aux Français.
L'IGN est un acteur de l'intelligence artificielle. Nous avons un pool de trente data scientists qui travaille sur le sujet. Effectivement, le fait que des administrations régaliennes se dotent de solutions d'intelligence artificielle en s'appuyant sur des sociétés de services en ingénierie informatique (SS2I) privées, alors que nous-mêmes développons ces compétences, pose question.
Il nous faut véritablement travailler ensemble et avoir le réflexe de nous appuyer sur les compétences des uns et les autres pour faire face à ce type de défis.
Cela vaut pour le numérique. Je pense, par exemple, à ALLiaNCE, une très belle initiative de la direction interministérielle du numérique (Dinum) qui vise à rassembler les bonnes pratiques de tous les acteurs travaillant sur l'intelligence artificielle. On retrouve cette idée de chef de filat, d'animation, de mettre tout le monde autour de la table pour discuter.
Cela vaut bien évidemment également dans le cadre de la transition écologique. Le travail qui a été fait par le SGPE pour nous fixer une trajectoire commune a été, de ce point de vue, absolument remarquable. Une animation de terrain est maintenant nécessaire. Ces dernières années, par exemple, des tentatives importantes ont été menées pour simplifier l'offre d'expertise de l'État à destination des collectivités. Nous devons poursuivre en ce sens.
M. Pierre Barros, président. - Monsieur Soriano, vous avez eu le mot de la fin : je retiens, en conclusion de cette réunion, qu'il faut investir dans l'humain.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Laurent Dejoie, représentant des Régions de France, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire et Mme Véronique Pouzadoux, vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, maire de Gannat
M. Pierre Barros, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), ainsi qu'à M. Laurent Dejoie, vice-président de la région Pays de Loire et représentant de l'association Régions de France (ARF). L'association des Départements de France (ADF), qui n'a pas désigné de représentant, pourra contribuer par écrit à nos travaux.
Notre commission d'enquête est consacrée aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, c'est-à-dire à l'efficacité d'une organisation de l'État fondée depuis les années 1990 sur la multiplication d'agences de toutes natures - et aux doublons éventuels de compétence que cette organisation a pu faire naître. Le point de vue des collectivités territoriales est particulièrement intéressant, car elles sont en lien régulier avec ces agences, en plus de leurs relations avec les services extérieurs de l'État. De plus, certains considèrent aujourd'hui qu'il serait nécessaire de clarifier la répartition des compétences entre certaines agences et les collectivités territoriales.
On évoque souvent le « millefeuille » territorial, dont Boris Ravignon a tenté de calculer le coût l'an dernier. Nous nous intéressons pour notre part à l'autre « millefeuille » que constituent les agences et opérateurs de l'État - lesquels seraient plus précisément 1 244, selon le décompte réalisé par l'Inspection générale des finances (IGF) en 2012, ou 1 169 selon un décompte que nous a adressé il y a quelques jours la secrétaire générale du Gouvernement.
Ce n'est pas seulement leur coût qui nous intéresse, mais l'efficacité de la multiplication des agences, opérateurs, commissions consultatives, notamment depuis les années 1990 sous l'influence des théories du « New Public Management », processus que nous ont bien décrit les experts et hauts fonctionnaires que nous avons auditionnés.
J'ai trois questions et une proposition.
Ces agences sont-elles une manière pertinente pour l'État de mettre en oeuvre certaines politiques publiques, par exemple parce qu'elles requièrent des compétences ou une réactivité particulières ? Certaines agences créées dans un but précis n'ont-elles pas tendance à perdurer même lorsque leur besoin disparaît ? Quels rapports concrets entretenez-vous avec telle ou telle agence - pouvez-vous illustrer votre propos par des exemples concrets ?
Nous recevrons après-demain l'association des préfets : quelles questions auriez-vous à leur poser au sujet des relations entre les agences de l'État et les services placés sous l'autorité du préfet ?
Avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite en conséquence à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Dejoie et Mme Véronique Pouzadoux prêtent serment.
M. Laurent Dejoie, vice-président de la région Pays de Loire et représentant de l'Association Régions de France. - La région des Pays de la Loire se félicite de votre commission d'enquête, vos propositions seront les bienvenues. Nous partageons votre objectif d'un état des lieux et d'une recherche d'efficacité : l'objectif n'est pas de supprimer des agences, mais d'identifier les doublons et de cibler les agences dont l'utilité n'est pas démontrée.
Une agence est-elle un dispositif pertinent pour mener une action de l'État ? Il n'y a pas de réponse générale, cet outil peut être très pertinent, même si, en principe, les services de l'État sont outillés pour conduire et suivre les politiques publiques. Quelle est la « bonne » durée, ensuite, pour une agence ? Cela dépend aussi, mais on pourrait proposer d'instituer une durée limitée dès l'origine : une agence serait créée pour le temps qu'on estime alors nécessaire à la mission, et devrait être prolongée par un acte juridique explicite pour aller au-delà.
Je n'ai pas de questions particulières à poser aux préfets, mais je leur adresserais plutôt un voeu : celui qu'ils dirigent effectivement l'ensemble des administrations de leur périmètre d'intervention, qu'ils chapeautent réellement les services de l'État.
Un mot de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui soutient les collectivités territoriales en ingénierie. Il nous semble qu'on devrait réviser en profondeur les interventions de cette agence, pour les coordonner mieux avec celles des régions, car les champs se recoupent souvent, il y a des doublons. La même remarque vaut encore davantage pour l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep), dont les interventions chevauchent largement celles des régions. (La connexion avec l'interlocuteur s'interrompant, le président donne la parole à la seconde personne auditionnée.
Mme Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). - Merci pour votre invitation. Je suis maire de Gannat, dans l'Allier, et je suis également présidente de la Communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne, et c'est à ce double titre que je suis présidente de l'AMF, avec sa dimension « intercommunalité ».
David Lisnard, le président de l'AMF, dit souvent que « l'organe crée la fonction et l'organe crée la norme », c'est à la source de ce problème central pour les élus locaux : celui d'être noyés sous les normes.
Qu'est-ce qu'être élu, dans l'une des quelque 34 000 communes du territoire national ?
C'est d'abord avoir été choisi sur un programme électoral qui porte sur l'aménagement du territoire communal et l'adaptation des services publics ; notre but est d'adapter le service public pour répondre aux demandes des citoyens, lesquelles évoluent d'année en année. Nous avons besoin de souplesse, pour nous adapter aux changements de contexte, qui peuvent aller dans le bon sens, par exemple l'installation d'une entreprise, l'arrivée d'une ligne de transport, ou dans le mauvais sens, par exemple un aléa climatique qui oblige à des travaux non prévus. Nous nous adaptons au gré de l'actualité, mais les moyens ne suivent pas suffisamment les transferts de compétences.
Être élu, c'est aussi être en action. C'est alors que le maire se voit confronté à une multiplicité d'acteurs, de services de l'État, qui ont chacun leur interprétation de la norme, leurs critères et leurs injonctions. Nous sommes responsables en tant que maires, car nous nous sommes engagés devant nos concitoyens sur un programme, mais les services de l'État nous renvoient aussi à notre responsabilité juridique. Ces services ont parfois des injonctions contradictoires, ils ne sont pas toujours d'accord entre eux - c'est pénible, parfois décourageant, et cela peut même conduire à empêcher des projets qui sont pourtant financés.
Autre complication : nous avons le sentiment qu'à travers les agences et leurs programmes, les territoires et les collectivités territoriales sont regardés comme des lieux d'expérimentation. Nous avons notre projet, pour lequel nous avons été élus, mais nous devons nous en écarter pour répondre aux objectifs énoncés par les agences, aux critères précis des programmes, qui ne sont pas forcément ceux du territoire.
On peut, alors, poser cette question : qui décide des stratégies énoncées par les agences ? Les agences elles-mêmes ? Les ministères ? Le Parlement ? Comment ces stratégies sont-elles actualisées dans le temps ? Il semble qu'on crée une agence chaque fois qu'un problème apparait, comme si l'administration devait externaliser l'action dès qu'un problème nouveau se posait.
Quand un problème se pose, l'élu local décide, il est le garant de la décision et a besoin d'un interlocuteur pragmatique en responsabilité du côté de l'État. C'est pourquoi, à l'AMF, nous mettons l'accent sur le couple préfet-maire. Quand je parle de pragmatisme, cela ne veut pas dire que nous demandons des dérogations, il s'agit plutôt d'appliquer la loi au plus près du terrain, dans le « dernier kilomètre », ce qui suppose parfois certaines adaptations à assumer dans une logique territoriale.
Le président de l'AMF dit qu'il faudrait supprimer les deux tiers des agences, je ne sais pas ce qu'il en est et je ne suis pas en mesure d'évaluer ce point. En revanche, ce que je vois, c'est que l'État a recouru à des lois d'exception quand il voulait avancer rapidement, par exemple après l'incendie de Notre-Dame de Paris, pour organiser les Jeux olympiques ou encore après le cyclone qui a ravagé Mayotte : ne faut-il pas en tirer les leçons, se demander si ce mode d'action ne devrait pas devenir la règle afin d'avancer ?
On peut aussi se demander à qui sert l'expertise. Nous travaillons avec les agences et, comme vous le savez bien, « chaque niche a son chien » : on nous aide parfois à faire des études qui ne sont pas notre priorité, mais qui entrent dans la politique publique promue par telle ou telle agence : en tant que maires, nous avons besoin de faire venir des investisseurs, plus que de conduire des études sur un territoire que nous connaissons. Comme présidente des maires de l'Allier, j'ai réalisé que pendant notre mandat de maire, nous nommons près de 600 élus dans 101 instances, dont les comités ne se réunissent parfois qu'une fois par an.
Enfin, si j'avais une question à poser aux préfets, ce serait de savoir quelle responsabilité ils sont prêts à endosser pour devenir l'interlocuteur unique des collectivités territoriales, au nom de l'État, dans le département.
Une question, enfin, que je livre à votre perspicacité : si l'on parle d'efficacité, quelle place faire à l'intelligence artificielle, en particulier dans les études et expertises - ne serait-ce pas un levier d'économies pour les comptes publics ?
M. Laurent Dejoie. - Je reprends sur l'Onisep : les compétences de cet office devraient être transférées en quasi-totalité aux régions. Les compétences de FranceAgriMer redoublent aussi avec celles des régions, notamment dans les lancements d'appels à projets ou les allocations de fonds de cofinancement : un travail de rationalisation s'impose. Nous avons aussi des propositions pour modifier la répartition des compétences avec l'Agence de services et de paiement (ASP), pour que les régions deviennent leur propre autorité de paiement pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) comme c'est déjà le cas pour le Fonds européen de développement régional (Feder), le fonds social européen (FSE) et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche et l'aquaculture (FEAMPA). Enfin, nous souhaitons l'attribution aux régions d'une délégation de gestion du Fonds « chaleur » et du Fonds « économie circulaire », actuellement aux mains de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Dejoie, vous parlez de reprendre le rôle de FranceAgriMer ou de l'ASP pour le versement des aides de la politique agricole commune (PAC), ce qui ressemble à ce que vous faites déjà sur d'autres aides. Si oui, serait-ce à moyens constants, ou bien quelle serait la charge supplémentaire ? Y aurait-il un gain d'efficacité ? Seriez-vous capable de faire moins cher que ce que fait l'ASP à l'échelle de toutes les régions ?
Sur la délégation du Fonds « chaleur » et du Fonds « économie circulaire », ensuite, quel sort faites-vous de l'expertise mobilisée aujourd'hui par l'Ademe pour choisir les dossiers ? Faut-il laisser la main aux régions, ont-elles les moyens d'une telle expertise, ou bien pensez-vous à une structure mutualisée entre les régions ?
Vous semblez, l'un et l'autre, dire que le préfet ne serait pas le chef d'orchestre des services de l'État dans le département : avez-vous des exemples précis pour illustrer ce propos ?
Enfin, nous avons demandé à chacune des associations d'élus auditionnées aujourd'hui, de nous communiquer par écrit des exemples précis de circuits décisionnels, pour retracer le parcours concret de dossiers, depuis le projet jusqu'à l'inauguration, et mesurer le nombre d'interlocuteurs aux différents échelons, ainsi que le rôle joué par les agences de l'État.
M. Laurent Dejoie. - Dès lors que nous opérons déjà les paiements de plusieurs fonds européens, je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que nous le fassions pour d'autres ; nous n'avons pas évalué les coûts de cette extension, mais le gain de temps sera positif : on gagnera sur la complexité actuelle des fonds européens, souvent liée au nombre d'audits qu'il faut faire à chacun des étages décisionnels. La simplification sera bienvenue même si nous pouvons avoir quelques surcoûts.
Nous réfléchissons à l'expertise dès qu'on envisage de décentraliser une compétence. Les régions ont commencé à distribuer des fonds structurels en 2015, il nous a fallu intégrer ce métier et s'il y a eu un petit temps d'adaptation, il me semble que les choses fonctionnent bien désormais. En réalité, il n'y a pas d'expertise que les régions ne puissent acquérir ou déployer, et la bonne façon de procéder, c'est de donner aux régions les moyens qui leur permettent d'être les meilleures dans leur périmètre - elles sont tout à fait capables de former leurs agents ou d'en recruter, en tant que de besoin.
Sur le rôle du préfet, notre attente est bien qu'il soit le chef d'orchestre, qu'il gère l'ensemble des services de l'État sur le territoire de son ressort, qu'il soit l'interlocuteur des collectivités territoriales sur toutes les questions, pour toutes les composantes de l'État. Alors je sais bien que des administrations ne sont pas gérées par les préfets, comme l'Éducation nationale, mais ce n'est pas à Régions de France de régler cette question...
Mme Véronique Pouzadoux. - Les élus locaux en viennent à se poser la question de savoir si l'État parle d'une seule voix. Lorsque, par exemple, on voit l'État et l'Agence régionale de santé (ARS) prendre tous deux la parole lors de l'inauguration d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), on est en droit de se demander si l'État est un et indivisible. Le préfet manque de marge d'action face au directeur territorial de l'ARS. La situation est la même en matière d'aménagement des établissements scolaires, où le préfet et le directeur académique ne disent pas la même chose.
En réalité, la gestion « en silo » déborde largement la question des agences de l'État, nous la vivons au quotidien. Il y a des situations ubuesques : une maison de santé peut très bien être soutenue par de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), mais pas par l'ARS. Il y a certes des agences dont les règles sont connues, par exemple les agences de l'eau ; cependant, même avec des critères objectifs les choses ne sont pas toujours simples et le préfet n'a aucune visibilité sur les dossiers, ni sur leurs chances d'aboutir. Ces situations d'incertitude et de flous sont nombreuses, elles posent des problèmes récurrents.
M. Ludovic Haye. - On parle du couple maire-préfet, mais les parlementaires et les sénateurs apportent aussi de l'huile dans les rouages au niveau local. Cependant, notre commission d'enquête vise à optimiser les processus, c'est important que nous le fassions avec vous.
La question de la responsabilité est centrale. Il y a un tournant avec le fait que, de plus en plus, on porte plainte. La crainte des élus, c'est bien d'être poursuivis en justice pour des faits qu'ils accomplissent, en réalité, parce qu'ils font leur travail. Je me demande si l'on n'a pas, dans certains cas, créé des agences pour « faire quelque chose » face à des problèmes, parce qu'on ne pouvait pas ne rien faire - et qu'ensuite, l'action est perpétuée, parce qu'il vaut mieux prévenir que guérir.
La question de la responsabilité se pose aussi au niveau du préfet. Lors d'une réunion où on me disait que les parlementaires font trop de lois, un préfet a pris ma défense que c'est peut-être plutôt ses services qui surinterprètent ces lois. Certains préfets en sont conscients et prennent leurs responsabilités face à leurs services, alors que d'autres se laissent plus diriger par leur administration.
En tout état de cause, si nous supprimons des agences, il faudra assumer la question de la responsabilité, parce qu'il est parfois bien pratique de renvoyer la responsabilité aux agences.
M. Pierre Barros, président. - L'intercommunalité est une échelle intéressante pour monter des projets de territoires. On se trouve alors en position de négocier avec le préfet, le sous-préfet, la mise en place de politiques publiques nationales - c'est mon expérience, par exemple dans la mise en place d'un schéma de cohérence territoriale (Scot), qui demande de la prospective. L'intercommunalité ne devient-elle pas alors une sorte d'agence qui met en oeuvre des politiques qui étaient autrefois portées par l'État et qu'elle assume désormais ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour les politiques partagées, comme l'orientation professionnelle ou le soutien à l'agriculture, les agences de l'État ont-elles une instance de dialogue avec les régions, ou bien agissent-elles de leur côté ? L'Onisep, par exemple, se concerte-t-il avec vous sur les sujets d'orientation et de formation pour éviter les doublons - ou bien conduit-il son action comme s'il était seul à s'occuper de formation et d'orientation ?
M. Laurent Dejoie. - Le dialogue avec ces agences est en général extrêmement compliqué, il y a un effet de « silo » et il n'y a pas de volonté manifeste de collaborer pour se répartir la tâche ou avancer plus vite. Ces agences se considèrent comme délégataires de l'État, et elles n'entendent pas abandonner une parcelle de leurs missions. C'est aussi un problème de feuille de route des agences, il faudrait les faire davantage évoluer. Mais pour répondre directement à votre question : non, il n'y a pas de partage spontané de l'action, ni de collaboration spontanée.
Mme Véronique Pouzadoux. - Je pense qu'une intercommunalité sert à faire à plusieurs ce qu'on ne peut pas faire seul, mais comme présidente d'intercommunalité, je ne porte pas de jugement sur les dossiers des communes : je ne suis pas là pour prioriser les projets entre ces dernières. Cependant, l'intercommunalité est la bonne échelle, quand elle a été bien faite et non pas imposée, pour avoir une visibilité et une prospective d'ensemble sur les politiques publiques. On est alors de bons élèves pour appliquer la loi, mais on n'en devient pas pour autant une agence de l'État ; en fait, on est alors en capacité, dans un cadre défini, avec ses règles, d'agir dans les axes territoriaux, avec une marge de négociation. Par exemple, quand j'entreprends de refaire mon Scot en 2022-2023, les services de l'État me parlent de « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour 2050 : je réponds qu'il faut raisonner en tendance, travailler avec les maires pour montrer qu'on va dans cette direction, en laissant une marge d'appréciation pour tenir compte des spécificités de tel ou tel territoire, qui n'entrent pas dans les critères fermés. Je pense que nous ne sommes pas des agences de l'État : nous ne créons pas de la norme, mais nous mettons en place le projet pour lequel nous avons été élus, avec les outils des politiques publiques.
M. Laurent Dejoie. - Un exemple concret de non coopération : l'Onisep a développé jusqu'à l'an passé la plateforme numérique « Avenir(s) » sans aucune concertation avec les régions, il nous a fallu batailler pendant une année avec les ministères de tutelle pour coconstruire des solutions techniques avec l'État - la Cour des comptes a dénoncé ce doublon coûteux et peu efficace.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles sont vos relations avec l'ANCT ? Cette agence répond-t-elle à vos attentes, dans des délais raisonnables ? Y a-t-il des doublons avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ?
Mme Agnès Canayer. - En complément, la loi 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, dite loi « 3DS », en confiant aux préfets le rôle de délégué territorial d'agence, a-t-elle fluidifié la gestion de vos projets ? A-t-on gagné en efficacité, ou bien les difficultés d'orchestration des préfets avec certaines des administrations territoriales persistent-elles ? Je pense aux directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ou aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), où l'on sent que les préfets n'ont pas toujours la main sur leurs propres services.
M. Cédric Vial. - Nous avons instauré cette commission d'enquête parce que nous avons le sentiment d'impuissance publique, notamment en raison d'un enchevêtrement de normes qui empêche toute efficacité. La question de fond est ainsi celle de l'articulation entre efficacité et légitimité. Je pense que la légitimité est intrinsèquement liée à la responsabilité.
La lisibilité est importante, aussi pour le citoyen, mais ce n'est pas une fin en soi - ce qui compte, c'est la responsabilité, et il faut dire que des agences ont été installées un peu pour se débarrasser de cette responsabilité - c'est assez pratique, pour les élus, pour dire que les autres sont responsables des problèmes qu'on ne parvient pas à régler. Vos associations sont-elles favorables à donner plus de responsabilité aux élus - comment voyez-vous l'articulation entre légitimité et efficacité ?
M. Pierre Barros, président. - Vous dites que des opérateurs de l'État créent des normes : en avez-vous des exemples concrets ?
Mme Véronique Pouzadoux. - Les élus locaux sont déjà responsables, et nous sommes capables d'aller plus loin dans ce sens si la logique est inversée : il faut partir des projets de territoires, ce qui suppose les transferts financiers afférents, plutôt que de faire des élus locaux des opérateurs de politiques publiques définies par l'État à une autre échelle. Pourquoi veut-on travailler avec les agences, pourquoi s'adresse-t-on par exemple à l'ANCT ? Mais parce que nous ne pouvons pas, localement, assumer certaines des compétences qui nous ont été transférées, il nous manque de l'expertise et surtout des moyens financiers.
En réalité, votre commission d'enquête touche à la philosophie de l'action publique et vous avez à réfléchir à une réorganisation globale de cette action. Dans le fond, nous avons besoin d'un État accompagnateur de nos projets de territoires, plutôt qu'un État censeur. Il y a eu des progrès dans ce sens, sur le papier : le préfet est devenu délégué territorial des agences, c'est très bien en théorie - mais dans la pratique, le rôle du préfet est souvent de « passer les plats » plutôt que de décider, et finalement cette réforme n'est qu'une fausse simplification, qui compromet la parole de l'État puisque le préfet se trouve affaibli quand un service déconcentré ou une agence n'a pas la même réponse que lui, et cela se voit.
L'ANCT et le Cerema sont des institutions différentes, elles n'ont pas les mêmes compétences et ne sont donc pas consultées sur les mêmes sujets. Leurs prestations sont en partie payantes, ce n'est pas neutre, et le Cerema est peu accessible pour les petites collectivités. Les relations avec l'ANCT sont fondées sur la labellisation, laquelle pose des questions d'un autre registre. Les études territoriales soutenues par l'ANCT pour accéder au label sont intéressantes si elles prolongent un projet territorial, pas si elles consistent à plaquer un modèle et encore moins si elles reviennent à ce que des bureaux d'études vous expliquent votre territoire comme si vous ne le connaissiez pas... La qualité de ces études dépend donc du bureau d'études, et de la place qui est laissée aux élus locaux, j'ai des exemples d'études utiles et inutiles, tout dépend du projet de portage et de la façon d'associer les élus locaux.
Des agences créent des normes, ne serait-ce que par la définition des critères de sélection des dossiers qu'elles soutiennent. Voyez, par exemple, les agences de l'eau : elles établissent des critères qui ne sont pas définis par la loi ni par le règlement, très techniques, mais qui infléchissent l'aménagement du territoire par les financements qu'ils procurent, rendant possibles ou impossibles des projets sans que vous compreniez toujours pourquoi.
M. Laurent Dejoie. - L'ANCT a été créée pour aider les collectivités territoriales, mais elle déploie parfois des dispositifs concurrents avec ceux des régions. Le temps que l'ANCT passe sur ces dispositifs est autant de moins pour le conseil aux collectivités, un conseil qu'elle sous-traite alors à des cabinets privés très coûteux : cela questionne l'efficacité du système...
Le fond du problème, c'est que la décentralisation n'est pas achevée en France, nous sommes à mi-chemin : les labels ou le feu vert d'une agence ont souvent cette fonction de garantir l'avancement d'un dossier - et donc de validation. Je crois qu'il faut avancer dans la décentralisation, pour éviter ces biais qui sont assurément inefficaces.
S'agissant de la responsabilité, enfin, on voit rarement des élus refuser des responsabilités - ce qu'ils demandent, ce sont des moyens, financiers et juridiques, d'exercer ces responsabilités, ils demandent à ce que leur responsabilité soit pleinement reconnue, et cela nécessite un ajustement de la décentralisation.
M. Christian Bilhac. - Avez-vous une estimation du temps passé dans les négociations et réunions interminables, de l'énergie qu'il faut pour coordonner la machinerie administrative ? Est-ce que des projets échouent à cause du manque de coordination dans les financements et du nombre des participants ?
Mme Véronique Pouzadoux. - Je ne sais pas le temps qu'on y passe, c'est incalculable, tout projet avec plus de deux acteurs prend du temps. Ce qui est compliqué, c'est aussi le principe d'annualité budgétaire et la nécessité de financements croisés, laquelle est bien le signe que chacun de nous n'a pas les moyens suffisants pour conduire sa politique. En raison de temporalités diverses et de défaut de coordination entre services, des dossiers se retrouvent dans l'impasse. Il faut se montrer vigilant. Je ne comprends pas pourquoi alors que des élections locales tranchent entre des projets d'aménagement du territoire, on n'est pas capable, sur la base de ces projets territoriaux, de mettre les interlocuteurs autour de la table pour voir comment avancer, avec un État qui serait en capacité de répondre, ou pas, aux options du projet territorial choisi par les habitants : une organisation qui partirait du projet territorial ferait gagner beaucoup de temps et d'énergie.
M. Christian Bilhac. - Clemenceau disait que pour être efficace, une commission devait compter un nombre impair de membres - et que trois membres, c'était déjà trop...
M. Christophe Chaillou. - En tant qu'ancien maire et président d'intercommunalité, j'ai le sentiment que les choses ne sont pas très fluides dans nos propres structures ; on dit souvent que les complications viennent de l'État, des agences, mais j'ai le sentiment, et l'expérience, de difficultés internes : j'ai constaté qu'il était de plus en plus difficile d'animer l'intercommunalité, en raison de logiques communales et de services qui suivent des logiques distinctes. C'est une évolution générale, qui n'est pas uniquement liée aux agences.
Il me semble, ensuite, que des préfets ont une capacité réelle d'animer et de coordonner l'action locale de l'État, même s'ils n'ont pas la maîtrise directe de certains moyens : c'est ce qui se passe dans le Loiret et je ne crois pas que ce soit une exception. Les préfets agissent pour que l'action avance rapidement et de façon efficace. Je l'ai vu concrètement avec le sauvetage de l'usine Duralex : la préfète a pris les dispositions nécessaires et mis tout le monde autour de la table. Je suis donc un peu gêné par certaines remarques sur les préfets et l'idée qu'ils n'auraient plus de capacité d'action, ce n'est pas le sentiment que j'en ai localement, je dirais plutôt que les préfets sont de bons serviteurs de l'État.
Des régions, enfin, ont créé des agences, par exemple pour des raisons financières, et des élus locaux disent que les circuits ne sont pas toujours simples. C'est le cas aussi d'ailleurs à l'échelle intercommunale. Avez-vous, à Régions de France, évalué cette situation et le rôle des agences régionales ou infrarégionales ?
M. Hervé Reynaud. - Le président de l'AMF estime, nous dites-vous, que deux-tiers des agences devraient disparaitre. Les agences sont largement critiquées par les élus locaux, c'est un discours récurrent ; cependant, quelles agences trouveraient grâce à vos yeux, lesquelles faut-il conserver ?
M. Cédric Vial. - Je partage cette idée que la décentralisation n'est pas terminée - c'est même mon leitmotiv. Notre objectif, ici, n'est pas de faire disparaitre des agences, mais de rendre l'action publique plus efficace. Le problème aujourd'hui est que ceux qui ont été élus pour prendre des décisions n'exercent plus tout à fait le pouvoir, tandis que les gens qui l'exercent n'ont jamais été élus pour le faire. Cela pose la question de qui décide et qui a été mandaté pour le faire - c'est bien la question de la décentralisation. Je reprends l'exemple de l'ingénierie, avec les agences de l'eau : les études qu'elles nous proposent ne sont pas pertinentes et suffisamment précises pour appréhender la réalité de nos territoires. Elles se bornent à faire des recommandations inapplicables et à accabler notre action. Si cette compétence était décentralisée, nous n'aurions pas ce décalage.
Les agences de l'eau créent de la norme, jusqu'à contrarier l'intention du législateur. Dans mon département, je me suis étonné que l'agence de l'eau ne subventionne quasiment aucune commune rurale, et qu'elle passe presque systématiquement par les intercommunalités, à l'exception d'une commune où il y a une station de ski. J'ai donc interrogé l'agence de l'eau, le préfet, et après avoir insisté j'ai fini par obtenir cette réponse : l'agence de l'eau a décidé de ne pas subventionner les communes qui n'auraient pas essayé de passer par une intercommunalité - alors même qu'ici, au Parlement, nous avons explicitement prévu que la compétence pouvait rester communale ! Et quand j'ai demandé pourquoi la commune à la station de ski faisait exception, on m'a répondu qu'elle avait présenté un bon dossier. En fait, les dossiers sont complexes à monter, les petites communes ont du mal à les élaborer. En réponse à ces difficultés, l'agence de l'eau propose de financer le département pour recruter des agents qui aideront les communes à remplir leurs dossiers : on marche sur la tête ! Ce qu'il faudrait surtout, c'est simplifier...
M. Laurent Dejoie. - Il est vrai qu'il y a des situations kafkaïennes aussi dans les collectivités territoriales, que tout n'y est pas fluide - mais quand cela se produit dans une collectivité, on peut régler les choses rapidement, avec l'intervention des élus, qui sont responsables, alors que cela peut prendre des années dans les administrations, faute d'arbitrage.
Les collectivités territoriales ont créé des satellites, dont l'utilité doit être examinée. Nous avons fermé une société d'économie mixte (SEM) il y a trois ans, et nous réfléchissons à la manière de travailler différemment : nous nous appliquons à nous-mêmes le raisonnement que nous préconisons. À une époque, nous avons créé de nombreux satellites en raison d'obstacles réglementaires et financiers. Cependant, grâce aux progrès dans l'organisation des collectivités et la législation nationale, certains de ces satellites sont moins utiles. Les groupements d'intérêt public (GIP) offrent une manière de collaborer entre collectivités sans entraîner de cotisations ni de pertes de compétences. Les collectivités sont capables de juger de leur propre capacité à être performantes et nous examinons cette question régulièrement.
Mme Véronique Pouzadoux. - Votre commission d'enquête ne portant pas sur l'administration des collectivités territoriales, je n'ai pas parlé des complexités qui s'y trouvent également. Cependant, je le dis en passant, nous avons, nous, des élections régulières...
Certaines agences de l'eau fonctionnent très bien et nous accompagnent depuis des années. Je dirai qu'avec elles, il s'agit surtout de quelques ajustements à faire, pas d'une remise en question.
L'AMF n'a pas à dire quelle agence supprimer ou conserver, nous n'avons pas la légitimité pour le faire. Mais ce que nous pouvons dire, c'est de quelle expertise nous avons besoin. Le problème est bien plus large que d'établir une liste de « mauvaises » agences qu'il faudrait supprimer. Ce qui compte pour nous, c'est d'être accompagnés à la bonne échelle, avec l'expertise pertinente, et surtout d'avoir un interlocuteur du côté de l'État qui établisse clairement les règles et donne une feuille de route claire aux politiques publiques. L'externalisation vers des agences n'est pas un remède en soi, le mandat des agences mérite d'être redéfini par l'État. Les responsabilités ne sont pas aujourd'hui facilement identifiables. Il est peut-être temps de s'interroger intelligemment sur cet ordre des choses.
M. Pierre Barros, président. - Merci pour votre participation.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France, maire de La Gresle, MM. François de Mazières, trésorier de France urbaine, maire de Versailles et Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France, maire de Riec-sur-Bélon
M. Pierre Barros, président. - Nous consacrons une deuxième audition aux collectivités territoriales. Nous venons ainsi de recevoir les représentants de Régions de France et de l'AMF. Après ce point de vue par les différents niveaux de collectivités territoriales, il sera intéressant de voir dans cette seconde table ronde quels liens, selon le type de territoire, les collectivités entretiennent avec les agences et opérateurs en fonction.
Nous recevons dans cette seconde table ronde M. François de Mazières, maire de Versailles (Yvelines) et trésorier de France urbaine et M. Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Bélon (Finistère) et président délégué d'Intercommunalités de France, ainsi que, en visioconférence, Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire) et représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Vous êtes maires de communes allant de 850 à 84 000 habitants : vous représentez la diversité des territoires autant par les communes dont vous êtes personnellement élus que par les associations que vous représentez.
Notre commission d'enquête porte sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs. C'est un périmètre très large, qui toutefois se limite à l'État : nous vous interrogerons donc sur vos relations avec les agences de l'État, et non avec les établissements dépendant des collectivités locales - que Jean-Ludovic Silicani chiffrait à plus de 100 000 devant nous la semaine dernière.
Au niveau de l'État, cet ensemble représente 1 169 entités, selon un décompte que nous a communiqué la Secrétaire générale du Gouvernement, au sein desquels se trouve une grande diversité d'organismes : plus du tiers sont des groupements d'intérêt public (GIP), 262 sont des établissements publics administratifs (EPA), 150 environ des universités et grandes écoles...
Avez-vous, dans les territoires que vous représentez, le sentiment d'un foisonnement d'agences et d'opérateurs de l'État, qui s'ajoutent aux services dépendant directement du préfet ou des ministères ? Est-il difficile de s'y retrouver pour un maire ou pour une intercommunalité, en fonction de la taille de la commune ou de l'agglomération ? D'une manière générale, quels types de relations entretenez-vous avec ces entités ?
Par-delà le coût de ces agences qui est souvent mis en avant dans le débat public, à grands renforts de chiffres qui mélangent trop souvent les dépenses de fonctionnement et d'intervention, c'est d'abord l'efficacité de ce type d'organisation pour mettre en oeuvre les politiques publiques qui nous intéresse.
Des exemples concrets nous seront utiles pour prendre la mesure du phénomène et des enjeux qu'il soulève ; vous pouvez citer les agences avec lesquelles vous avez le plus de contacts, et que nous recevrons dans les semaines à venir pour certaines d'entre elles.
Enfin, nous recevrons très prochainement, dans le cadre de nos auditions « territoriales » l'association des préfets : y a-t-il une interrogation que nous pourrions leur transmettre de votre part, par exemple au sujet de la cohabitation entre les services préfectoraux et les agences au niveau local ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc tous trois à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle Dugelet et MM. François de Mazières et Sébastien Miossec prêtent serment.
Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Michel Fournier, a beaucoup oeuvré pour mettre en place le programme Villages d'avenir. Lancé il y a un an et demi, ce dispositif vient compléter les programmes Action coeur de ville, dédié aux villes moyennes, et Petites villes de demain, qui concerne les communes de taille moindre. Il a permis de déployer, dans chaque département, des chefs de projet financés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), apportant un soutien concret aux communes rurales. Ces dernières, après avoir candidaté, bénéficient désormais d'un accompagnement pour mener à bien leurs projets locaux. Il est essentiel que les services de l'État leur apportent l'ingénierie qui leur fait souvent défaut.
Les comités locaux de cohésion territoriale, qui se sont progressivement développés, constituent également un levier important pour les communes rurales. Bien que leur répartition sur le territoire ne soit pas homogène, leur mise en place a permis d'élaborer un guide de l'ingénierie, offrant aux communes une meilleure visibilité sur l'ensemble des services et agences pouvant répondre à leurs besoins. Cette initiative contribue à pallier le manque d'information auquel sont confrontés les élus ruraux, qui ne peuvent compter que sur leurs secrétaires de mairie, déjà fortement sollicités.
Nous estimons que les dispositifs d'accompagnement des élus locaux se sont réellement améliorés au fil du temps. Les préfectures sont devenues des portes d'entrée uniques dans de nombreux départements : si un élu du monde rural souhaite porter un projet, il peut consulter la préfecture qui l'accompagnera dans ses démarches, aussi bien en matière d'ingénierie qu'en matière de recherche de financements.
M. François de Mazières, représentant de France urbaine. - L'association France urbaine, transpartisane, représente les élus des grandes villes, agglomérations, communautés urbaines et métropoles. Elle réunit 110 adhérents et couvre trente millions d'habitants et 2000 communes.
Les liens de France urbaine avec les agences sont nombreux, notamment avec l'Agence de la transition écologique (Ademe), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), les Agences régionales de santé (ARS), l'ANCT, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou les agences de l'eau. France urbaine est d'ailleurs présente dans les conseils d'administration d'un grand nombre de ces agences. Ce faisant, nos services collaborent régulièrement.
Les agences sont présentes au niveau local, notamment à travers des référents locaux dont certains sont directement rattachés à la préfecture. Le préfet est notamment le représentant de l'ANRU localement. Il est également le délégué territorial de l'ANCT. De fait, pour ce type d'agences, le lien avec la préfecture est assez évident, ce qui n'est pas le cas pour de nombreuses autres.
L'attribution des missions est claire s'agissant des agences avec lesquelles nous travaillons le plus fréquemment : l'ANRU pour la rénovation urbaine, dont nous soulignons la qualité du travail réalisé, l'ANAH pour l'habitat privé, les agences de l'eau, qui entretiennent de bons rapports avec les villes et les intercommunalités, pour les opérations sur les cours d'eau ou encore l'ANCT, historiquement centrée sur les enjeux des petites communes, mais dont les développements récents, notamment le programme Territoires d'industrie, intéressent directement les adhérents de France urbaine.
Dans le cadre de votre enquête, nous souhaitons rappeler quelques considérations pragmatiques : le modèle des agences n'est ni intrinsèquement bon ni mauvais. Il ne possède pas de vertu en soi. L'essentiel est d'évaluer la pertinence des politiques qu'elles mènent, la clarté de leur mandat, ainsi que la qualité du pilotage et du contrôle exercés par l'État sur ces satellites.
Il est fréquent d'observer, tant dans le secteur public que privé, des alternances entre internalisation et externalisation des politiques mises en oeuvre. Les agences, de la même façon, sont créées en réponse à un besoin, celui du déploiement d'une politique autonome sur un domaine particulier. Cette approche s'apparente à la gestion d'une entreprise : si la création de services peut être rendue nécessaire par les besoins de l'entreprise, leur suppression ou fusion avec d'autres services doivent pouvoir être envisagées lorsque ces derniers deviennent surabondants. Cette flexibilité dans la gestion des services nous semble une approche saine.
Par ailleurs, les difficultés de collaboration entre l'administration et les collectivités territoriales ne sont pas apparues avec les agences. À l'échelle locale, l'articulation des actions demeure complexe, notamment avec l'Éducation nationale ou les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) dans le cadre de l'élaboration de projets urbains.
France urbaine réaffirme donc son attachement à certains principes.
Tout d'abord, la nécessité d'une orientation claire en matière de financement de la transition écologique. De nombreuses agences interviennent dans ce domaine stratégique. Le questionnement sur le devenir de ces agences, s'il est important, ne doit pas remettre en cause les politiques publiques qu'elles déploient et les financements afférents. Sans ces ressources, les territoires urbains ne pourront pas respecter les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris.
Ensuite, le besoin d'un soutien clair à l'ANRU, dont les financements relèvent pour l'essentiel d'Action logement, et aux agences de l'eau, dont la diminution des crédits nous inquiète.
Enfin, il est essentiel de renforcer le lien avec les préfectures. Le préfet représente, au niveau territorial, l'interlocuteur principal des agences nationales. Toutefois, la coordination avec ces agences peut parfois s'avérer complexe, en raison notamment des capacités de pilotage des préfectures, aujourd'hui fragilisées par la réduction des effectifs.
Dans ce contexte, la clarification des partenariats par le biais de contractualisations pluriannuelles apparaît essentielle afin de sécuriser les financements et de mieux structurer les orientations stratégiques. Ce modèle, qui s'applique efficacement à l'ANRU, s'inscrit également dans la logique des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) et constitue un cadre de référence pour l'ANCT. Toutefois, la multiplication des appels à projets complique la mise en oeuvre de cette approche.
Par ailleurs, il est nécessaire de réaffirmer la coopération territoriale. Le dialogue demeure inégal selon les domaines, notamment en matière de santé, où les relations avec les ARS et leurs délégations territoriales sont hétérogènes. Certains adhérents de France urbaine estiment que l'ancien modèle, dans lequel les préfets jouaient un rôle central concernant les questions de santé, présentait des avantages indéniables.
M. Sébastien Miossec, représentant d'Intercommunalités de France. - Je siège au conseil d'administration de l'ANAH en tant que représentant des Intercommunalités de France et en exerce la vice-présidence, sans fonction exécutive spécifique.
Nous saluons le travail engagé par le Sénat sur la question des agences, qui soulève des enjeux à la fois techniques, politiques et citoyens, dans un contexte marqué par une forte agencification de l'État. Ces agences jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques et sont des partenaires privilégiés à l'échelle intercommunale, notamment en matière de politiques environnementales. Toutefois, si leur action est perceptible au quotidien, des marges d'amélioration sont possibles, du fait notamment de la diversité des structures concernées.
Certaines précautions doivent être prises dans le cadre de ces travaux.
Tout d'abord, l'évaluation des agences ne peut se limiter à une approche strictement comptable. Ces structures concentrent certes des moyens significatifs, mais il convient de distinguer les coûts d'intervention des coûts d'investissement. À titre d'exemple, l'ANAH dispose d'un budget d'environ 4 milliards d'euros, dont plus de 80 % sont des crédits d'interventions dédiés aux aides à la rénovation pour les particuliers.
Par ailleurs, nos adhérents constatent une grande hétérogénéité des situations, liée notamment aux qualités personnelles des responsables territoriaux des différentes agences. Les dynamiques et pratiques varient ainsi en fonction des acteurs qui animent ces dispositifs au quotidien sur le terrain.
Enfin, un enjeu fondamental fonde la question de l'agencification de l'État, il s'agit de la simplification de l'action publique.
Intercommunalités de France défend une relation entre l'État et les collectivités fondée sur une approche moins verticale et davantage décentralisée, favorisant une co-responsabilité dans la mise en oeuvre de l'action publique. Cette coopération doit s'appuyer sur une contractualisation adaptée à chaque territoire autour de grandes orientations stratégiques, tout en préservant la capacité à différencier et à expérimenter, levier essentiel de simplification de l'action publique.
Les agences jouent un rôle clé dans ces dynamiques d'expérimentation et de différenciation. À travers les appels à projets, elles permettent d'explorer différentes formes d'action publique adaptées aux spécificités territoriales. À l'inverse, il est plus complexe pour l'administration centrale de concevoir et de porter des plans d'action uniformes à l'échelle nationale, compte tenu de la diversité des territoires français.
Cependant, la prolifération des appels à projets peut être déplorée : elle tend à mettre les collectivités en concurrence et à fragmenter l'action publique, générant un sentiment d'émiettement des politiques publiques.
Par ailleurs, bien que les agences relèvent de l'action de l'État, leurs actions indépendantes de la feuille de route politique des ministères peut parfois poser question. À l'échelle locale, cette interrogation se retrouve dans la nécessité d'une meilleure coordination par les préfets. Ces derniers doivent être des interlocuteurs privilégiés, jouant un rôle de chef d'orchestre et de coordinateur pour assurer la cohérence des dispositifs mis en place par l'État à travers les agences. Leur action est essentielle pour rendre lisibles les initiatives telles que Action Coeur de Ville, Petites Villes de demain ou Villages d'Avenir, et pour accompagner les élus locaux dans l'identification et l'articulation des financements disponibles.
Il convient également de rappeler que les financements mobilisés par les agences sont des fonds publics de l'État. Il est impératif de veiller, dans toute réflexion sur la réforme des agences, à ne pas compromettre les moyens d'intervention de proximité, notamment sur les enjeux de transition écologique. Les enveloppes allouées aux agences de l'eau, à la rénovation de l'habitat ou encore à l'Ademe sont des outils essentiels pour accompagner les politiques publiques locales et répondre aux besoins des territoires.
Depuis cinq ans, j'exerce les fonctions d'administrateur au sein de l'ANAH. J'apprécie particulièrement l'association des élus à la gouvernance de l'agence, bien que les marges de manoeuvre restent limitées. L'ANAH constitue par ailleurs un outil majeur permettant de mobiliser des enveloppes budgétaires conséquentes au service d'une politique publique essentielle : la rénovation de l'habitat. Celle-ci revêt une double dimension, à la fois sociale, en accompagnant les ménages les plus fragiles, et environnementale, en contribuant à la transition énergétique du parc immobilier.
L'agence affiche également une volonté affirmée de se rapprocher des territoires. Néanmoins, piloter depuis Paris une politique de rénovation de l'habitat d'une telle ampleur demeure un exercice complexe. Dès lors, l'ANAH entretient un lien avec les intercommunalités et repose en partie sur des dispositifs de contractualisation pour déployer ses financements. Dans ce cadre, une question légitime se pose : nos intercommunalités assurant déjà des services de proximité, ne conviendrait-il pas d'attribuer directement ces enveloppes financières aux territoires locaux, afin d'optimiser leur déploiement et leur efficacité ?
Par ailleurs, l'ANAH a rencontré des difficultés liées à la lourdeur administrative de ses procédures. Ces contraintes résultent d'une croissance rapide de l'agence, qui n'a pas toujours été accompagnée d'une adaptation suffisante de ses outils, notamment informatiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À l'écoute de vos propos, il n'existe pas de difficultés majeures et vous ne préconisez pas la suppression des agences, que vous considérez plutôt comme des leviers d'accompagnement. Toutefois, certaines critiques se dégagent, en creux, au fil des échanges.
Avez-vous le sentiment qu'une feuille de route claire structure l'action des différentes agences avec lesquelles vous interagissez ? Plusieurs intervenants ont souligné que la perception des agences varie en fonction de leur représentation locale. Or, nous pouvons imaginer que l'existence d'une politique centralisée serait en mesure de garantir une satisfaction homogène sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, considérez-vous que, sur certaines politiques dont vous avez la responsabilité, il existe des chevauchements qui pourraient interroger la pertinence de l'organisation actuelle ? Avez-vous le sentiment que votre action est toujours conditionnée par celle de l'État ?
À titre d'illustration, les Agences locales de l'énergie et du climat (ALEC) disposent de leurs propres agents, eux-mêmes financés par l'ANAH. Cette situation soulève une question sur la rationalité et l'efficacité de ce mode de fonctionnement.
Mme Isabelle Dugelet. - Les agences, qui collaborent d'abord avec les intercommunalités, sont assez éloignées du monde rural et de ses communes, parmi lesquelles 13 000 sont représentées par notre association. Les élus de communes rurales bénéficient de leur action, mais n'ont pas toujours une idée claire du fonctionnement et de l'intérêt de ces agences.
La proximité entre les services de l'État et les élus locaux, en particulier les élus de communes rurales, s'est dégradée au fil du temps. Certaines agences font aujourd'hui parfois écran entre les élus locaux et les services préfectoraux, entre lesquels le lien était autrefois plus direct.
Les collectivités territoriales intègrent désormais les conseils d'administration des ARS, toutefois, aucune place spécifique n'est réservée aux maires de communes rurales, en dépit des difficultés d'accès aux soins plus importantes qu'ils connaissent. Si les maires de communes rurales n'ont pas de raison d'être en contact direct avec les ARS, ces communes pourraient en revanche y être mieux représentées.
Les appels à projets constituent une démarche positive, mais nous signalons des difficultés d'accès pour les communes rurales, qui ne peuvent que difficilement réaliser les études dans les temps et trouver les financements nécessaires. Ici, les collectivités les plus importantes sont favorisées. Il conviendrait d'adapter ces dispositifs aux différentes strates de collectivités, à travers par exemple la mise en place d'enveloppes spécifiques à destination des communes rurales.
Il faut enfin entretenir la relation de confiance qui existe entre les communes et les préfectures. Ces dernières mettent en place des dispositifs essentiels pour aiguiller et accompagner les maires, et ces dispositifs fonctionnent du fait de la confiance que portent les élus locaux à leurs préfets et sous-préfets.
M. François de Mazières. - L'action des agences est normalement encadrée par des feuilles de route, malgré des pratiques locales qui peuvent différer. En revanche, nous sommes frappés par les questions de mécaniques financières qui, parfois, ne sont pas assez claires. L'ANAH constitue un bon exemple : davantage qu'une remise en cause de l'agence elle-même, son véritable problème réside dans les modifications incessantes des règles d'attribution de MaPrimeRénov'.
S'agissant des doublons, nous avons effectivement le sentiment que des systèmes sont parfois redondants. Dans une logique de décentralisation, que nous encourageons, nous pourrions imaginer davantage de délégations de crédits, au niveau du bloc communal. France urbaine tient à alerter sur les inconvénients que peut poser la dynamique actuelle de régionalisation croissante des dispositifs. Cela ne réduira pas les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
M. Sébastien Miossec. - J'ai, en ma qualité d'administrateur, une bonne vision sur ce que peut être la feuille de route d'une agence. En revanche, c'est beaucoup moins le cas en tant qu'élu local. Cet état de fait questionne la force du lien de proximité entre les agences et les élus locaux, et davantage encore lorsqu'il est comparé à la grande proximité qui existe entre les élus locaux et leur préfecture.
Il y a donc un sujet relatif à la déconcentration. D'une part, personne ne gagnerait à ce que les agences multiplient elles-mêmes les interlocuteurs de proximité. D'autre part, nous constatons que beaucoup de préfectures sont aujourd'hui financièrement fragilisées, remettant en question à la fois leur rôle d'interlocuteur de proximité et leur rôle d'accompagnement des collectivités territoriales. Beaucoup d'intercommunalités doivent aujourd'hui disposer d'un service dédié aux contractualisations ou aux mobilisations des moyens de l'État. Parvenir à établir un dialogue avec les services de l'État nécessite des compétences, du temps et de l'énergie.
Pour autant, s'agissant des doublons, la question de la rénovation de l'habitat est intéressante. Les ALEC ne sont pas un doublon de l'ANAH : elles sont au contraire le bras armé de cette dernière, dans l'objectif de favoriser le déploiement des aides à la rénovation sur le territoire. Dans les faits, les intercommunalités accompagnent la politique de l'ANAH, et disposent en parallèle, elles-mêmes, d'une politique de soutien à la rénovation en complément. La question de la valorisation de la politique publique menée par l'une ou l'autre de ces parties est politique : s'il est compréhensible que l'État, au travers de l'ANAH, souhaite que les collectivités mettent en valeur l'origine étatique des subventions distribuées dans le cadre de ces politiques de rénovation, les collectivités, qui mobilisent également des moyens humains et financiers, ne peuvent complètement s'effacer et se présenter comme un simple opérateur de l'ANAH. Ces deux politiques publiques de la rénovation de l'habitat évoluent côte à côte. S'il est sain de s'interroger sur l'efficience ou les coûts de cette situation, cette question dépasse celle des agences.
L'accompagnement des collectivités territoriales par les agences est décisif pour leur permettre de s'engager dans des politiques publiques complexes et coûteuses. À ce titre, de nombreuses collectivités concluent avec l'Ademe des contrats d'objectif territorial (COT), portant notamment autour de la production d'énergie renouvelable. Ces contrats s'étirent sur plusieurs années, au cours desquelles l'Ademe accompagne la collectivité co-signataire, et lui permet d'accéder à des co-financements. Ces dispositifs constituent un exemple de bonne déclinaison d'une politique nationale au niveau local.
M. Pierre Barros, président. - La question de la confiance peut en effet être renforcée à travers un cadre contractuel. C'est un enjeu central dans les travaux de notre commission d'enquête.
M. Hervé Reynaud. - Les petites communes ont un réel besoin d'ingénierie, mais elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour produire les documents requis et répondre aux nombreuses sollicitations administratives des agences et opérateurs. Par le passé, au niveau régional, la contractualisation se faisait de manière plus naturelle. Ne faudrait-il pas revenir à une approche plus déconcentrée, voire davantage décentralisée, en privilégiant des interlocuteurs de proximité plutôt que de multiplier les agences et organismes intermédiaires ?
Le préfet de ma circonscription travaille quotidiennement avec l'ANCT, alors pourquoi celle-ci ne fait-elle pas partie intégrante de son administration préfectorale ?
Dans une commune rurale dépourvue de moyens d'ingénierie, cet éclatement des structures engendre un éloignement des centres de décision, vidant ainsi l'action publique de tout sens.
M. Christophe Chaillou. - Monsieur de Mazières, vous avez mentionné le soutien affirmé de France Urbaine au modèle de l'ANRU, un positionnement que je partage. Selon vous, quels sont les atouts majeurs de ce modèle ? Pensez-vous qu'il pourrait être transposé à d'autres agences ?
Monsieur Miossec, au regard de votre expérience, quelles évolutions permettraient de renforcer le rôle central du préfet, que beaucoup appellent de leurs voeux ?
Mme Isabelle Dugelet. - En tant que suppléante de Michel Fournier, président de l'Association des maires ruraux de France, à la première vice-présidence de l'ANCT, j'ai progressivement découvert le fonctionnement de cette agence en siégeant à son conseil d'administration. De nombreux élus ruraux, en revanche, peinent encore à appréhender ce modèle.
Dès 2020, en tant que membre du conseil d'administration des maires ruraux, j'ai interpellé ma préfecture sur les projets portés par l'ANCT. Or, à ce stade, toutes les informations n'étaient pas encore relayées au niveau préfectoral. Il existe un décalage significatif entre la mise en place des dispositifs à l'échelle nationale et leur application concrète dans l'ensemble des collectivités. Cette diffusion n'a pas été homogène sur l'ensemble du territoire, ce qui pose un problème de communication.
Par ailleurs, la multiplication des structures, des sigles et des compétences attribuées complexifie la lisibilité du système. Il est essentiel de clarifier ces éléments pour permettre aux élus de s'adresser directement aux interlocuteurs compétents.
J'ai le sentiment que les démarches étaient plus simples par le passé, bien que les moyens disponibles aient pu être moindres.
M. Hervé Reynaud. - C'est, en effet, un ressenti de terrain.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Autrefois, pour les infrastructures routières, l'élu local s'adressait directement à la direction départementale de l'Équipement (DDE), et pour les questions forestières, à la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF). Aujourd'hui, l'identification des interlocuteurs semble plus floue. Partagez-vous ainsi ce sentiment que les démarches étaient plus simples par le passé ?
Par ailleurs, cette impression de simplicité pourrait-elle davantage tenir au fait que les normes réglementaires étaient différentes ? Il est, en effet, important de distinguer le fond, c'est-à-dire le contenu des normes elles-mêmes, et la forme, c'est-à-dire la manière dont elles sont mises en oeuvre.
Mme Isabelle Dugelet. - Les deux aspects entrent en jeu. Élue depuis trente ans, j'ai pu observer l'évolution de la gestion communale et l'accumulation des difficultés, particulièrement au cours des deux derniers mandats.
Il y a quinze ou vingt ans, lorsqu'un maire portait un projet, il pouvait compter sur l'appui de la direction départementale des territoires (DDT), qui assurait une ingénierie globale. À titre d'exemple, pour la création d'un cimetière dans ma commune, la DDT prenait en charge l'ensemble de la maîtrise d'oeuvre. Aujourd'hui, cet accompagnement s'est considérablement réduit : nous bénéficions uniquement d'un soutien partiel du département pour la maîtrise d'oeuvre, et encore, cela se fait désormais à titre payant.
De plus en plus de responsabilités reposent sur les maires, qui disposent d'une plus grande liberté d'action, mais sans le soutien technique adéquat. Le recours aux bureaux d'études représente un coût important pour les communes. Par ailleurs, la connaissance des normes devient de plus en plus complexe du fait de leur multiplication.
Auparavant, l'accompagnement était plus structuré, avec des interlocuteurs dédiés à chaque type de projet.
M. François de Mazières. - La situation est effectivement plus complexe, mais est-ce parce que les sujets sont eux-mêmes plus complexes ou parce que nous avons ajouté des couches de complexité ? La réponse se situe sans doute entre les deux.
Le fonctionnement des agences repose sur l'expertise de leurs agents, ce qui constitue à la fois un atout et une contrainte. Leur spécialisation leur permet d'apporter un soutien technique indispensable, mais elle entraîne également une exigence administrative accrue. Les services des collectivités se retrouvent submergés par des demandes de justificatifs et de documents toujours plus nombreux. Paradoxalement, les dispositifs sont devenus si complexes qu'ils justifient d'autant plus l'intervention d'experts.
Concernant l'ANCT, mes collègues expriment une satisfaction particulière pour le programme Action Coeur de Ville, en raison de la clarté des missions et de l'identification précise des financements. En revanche, d'autres actions demeurent floues. Ainsi, l'ANCT apparaît comme un réceptacle de nombreuses missions, certaines aussi structurées qu'Action Coeur de Ville, mais d'autres plus vagues, ce qui peut donner l'impression qu'un interlocuteur préfectoral offrirait une meilleure lisibilité et faciliterait la mise en oeuvre des dispositifs.
À l'inverse, l'ANRU fonctionne efficacement grâce à la précision de sa mission et à la clarté de son organisation : un seul interlocuteur et des financements conséquents permettant d'offrir une vision pluriannuelle ainsi qu'une capacité de contractualisation. En définitive, une agence est performante lorsqu'elle dispose d'une réelle capacité d'action et d'une vision à long terme, ce qui constitue la clé du succès de l'ANRU.
Un autre facteur déterminant réside dans la précision de son périmètre d'intervention : l'ANRU cible des territoires bien définis, généralement à l'échelle communale avec un enjeu spécifique sur certains quartiers, ce qui évite toute dispersion. À l'inverse, lorsque le champ d'action d'une agence est mal délimité, il existe un risque de dérive, notamment en matière de gestion des ressources humaines.
M. Sébastien Miossec. - Les situations sont extrêmement hétérogènes. Les attentes d'une commune de 850 habitants ne sont pas les mêmes que celles d'une commune en comptant 84 000. Aujourd'hui, l'ANCT ne serait pas capable de réaliser, pour des communes si nombreuses et si différentes, des projets d'aménagement du territoire comme pouvait le faire autrefois l'Assistance technique fournie par les services de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT). Cette situation est logique : souhaiter l'inverse pourrait conduire au développement d'une administration tentaculaire à l'échelle locale.
Cette situation renforce en revanche la nécessité d'une relation de proximité entre les services de l'État et les collectivités territoriales. Dans ce cadre, le préfet nous semble être l'acteur principal. Même si certaines agences, plus importantes, parviennent à déployer des interlocuteurs de proximité, sur beaucoup de sujets la porte d'entrée reste la préfecture.
Dans certains endroits, les élus locaux choisissent de développer des moyens propres pour disposer d'un service commun d'aide à la contractualisation ou à l'ingénierie. En revanche, lorsque de telles initiatives n'existent pas, il est essentiel que les services préfectoraux soient en mesure d'assumer cette mission d'accompagnement.
La contractualisation joue un rôle clé en offrant un cadre de dialogue entre l'État et les communes ou intercommunalités, leur permettant de progresser sur leurs projets, leurs attentes, les financements et les moyens d'ingénierie nécessaires. Elle apporte notamment aux élus locaux une meilleure visibilité sur les financements, qui souffrent actuellement d'un manque de prévisibilité, même à court terme, sur des périodes de deux à trois ans.
Il est difficile d'évaluer avec certitude si la fluidité des relations entre l'État et les collectivités territoriales s'est détériorée. Les projets portés par ces dernières sont désormais plus complexes qu'auparavant : la construction d'une route, par exemple, implique aujourd'hui des considérations supplémentaires, telles que les enjeux environnementaux ou l'accessibilité pour les mobilités douces. Si l'ATESAT existait toujours, ses agents auraient eux-mêmes besoin de se poser ces nouvelles questions.
Ces normes, bien que nombreuses, jouent un rôle essentiel en prévenant les dérives du passé. Cependant, leur accumulation peut sembler excessive. Bien que cette question soit à la fois complexe et politique, une simplification de cet ensemble réglementaire pourrait être bénéfique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'État apparaît aujourd'hui être le seul acteur mobilisé sur les politiques de préservation du patrimoine, au travers des directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Avez-vous identifié d'autres agences ou opérateurs qui viendraient apporter, sur cette problématique, un soutien aux collectivités ?
M. François de Mazières. - Il n'y a en effet pas d'autres interlocuteurs que l'État ou les autres niveaux de collectivités territoriales. Au cours des derniers mois, nous avons constaté un affaiblissement du financement de la préservation du patrimoine, notamment du fait de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
D'autres dispositifs sont également en place, tels que la Fondation du patrimoine, qui constitue un outil efficace grâce à son levier fiscal et a démontré son utilité dans la rénovation du patrimoine. Bien que les fonds collectés par le loto du patrimoine restent modestes au regard des besoins financiers, ce mécanisme présente l'avantage de sensibiliser et d'impliquer la population sur ces enjeux.
Le financement du patrimoine constitue aujourd'hui une préoccupation majeure. L'État intervient aux côtés des communes, qui restent les principaux financeurs de la préservation et de l'entretien du patrimoine en France, ainsi que des propriétaires privés, qui détiennent une part significative de ce patrimoine et bénéficient d'un levier fiscal conséquent. Toutefois, aucune agence dédiée n'est chargée d'une politique spécifique de préservation du patrimoine. Nous n'en voyons pas la nécessité : il serait plus pertinent de renforcer l'accompagnement des acteurs existants, notamment la Fondation du patrimoine et les associations spécialisées, qui apportent un conseil précieux et mobilisent de nombreux bénévoles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aimerais aborder la question de l'organisation du système de santé. Pensez-vous que le modèle actuel, reposant sur les ARS et les groupements hospitaliers, soit pleinement satisfaisant ? Avez-vous le sentiment que les élus locaux sont suffisamment impliqués dans l'élaboration et la mise en oeuvre de cette politique ?
Enfin, l'ensemble du dispositif vous semble-t-il suffisamment réactif ? En effet, le délai entre la décision d'un projet local et l'obtention de toutes les autorisations administratives est souvent si long qu'il entraîne le départ des praticiens initialement engagés, rendant le processus inefficace.
Mme Isabelle Dugelet. - Je suis engagée depuis plusieurs années sur ces sujets, siégeant au conseil d'administration de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de mon secteur et en tant que suppléante au conseil territorial de santé. Toutefois, l'organisation actuelle demeure floue et complexe, avec une multitude de structures aux contours parfois nébuleux.
Les CPTS jouent un rôle de coordination et réunissent des professionnels de santé motivés pour développer des actions de prévention. Cependant, elles restent avant tout des associations professionnelles, reposant sur une adhésion volontaire et sans cadre institutionnel solide. Ce fonctionnement fragile, basé sur l'engagement individuel, entraîne une approche souvent bricolée pour tenter de répondre, tant bien que mal, aux besoins des habitants.
En tant qu'élus, nous nous retrouvons limités dans notre capacité à améliorer la situation : nous ne sommes que des facilitateurs. J'ai personnellement pu débloquer certaines situations, notamment pour l'installation de cabinets dentaires, en apportant un appui politique à des projets. Mais le système reste trop rigide, avec un manque de proximité entre les ARS et les élus, ainsi qu'une connaissance insuffisante des réalités locales.
Par ailleurs, au sein d'un même département, certains territoires sont bien dotés en services de santé, tandis que d'autres sont carencés. Les découpages des territoires de santé ne coïncident pas toujours avec les limites départementales, ce qui crée davantage de disparités.
M. Sébastien Miossec. - Tout dépend de l'échelle d'intervention. Sur mon territoire, la reconstruction de l'hôpital relève de l'ARS en raison de l'ampleur du projet. En revanche, la mise en place des maisons de santé a été principalement gérée à l'échelle intercommunale, notamment sur le plan financier. Toutefois, les délais de procédure nuisent à l'efficacité de ces initiatives.
S'agissant des contraintes imposées par la réglementation, la question se pose : est-ce lié au fonctionnement des agences ? Dans quelle mesure le préfet pourrait-il jouer un rôle plus actif, en lien avec les élus locaux, pour adapter les décisions aux réalités du terrain ?
Les contrats locaux de santé constituent, quant à eux, un dispositif permettant de réunir l'ensemble des acteurs concernés afin d'identifier les enjeux prioritaires sur chaque territoire. C'est souvent à cette occasion que certaines difficultés peuvent être levées, notamment grâce à un dialogue direct avec les professionnels de santé locaux.
Mme Pauline Martin. - Et si la gestion des ARS était transférée aux régions ?
M. Sébastien Miossec. - Je n'ai pas de position tranchée sur la question. Les régions sont gérées de manière différente les unes des autres. L'enjeu de l'incarnation demeure.
Mme Isabelle Dugelet. - Il est important de rappeler que les ARS disposent déjà d'un périmètre d'action à l'échelle régionale.
M. Pierre Barros, président. - Nous aurons l'occasion d'auditionner les ARS sur ce sujet, en gardant à l'esprit que leur création répondait en partie à des impératifs financiers.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants de l'Association du corps préfectoral et de hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur
M. Pierre Barros, président. - Après avoir reçu mardi les associations représentatives des élus locaux, nous poursuivons cette semaine avec les représentants de l'État dans les territoires, c'est-à-dire les préfets.
L'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur est ici représentée par son président, M. Pierre-André Durand, préfet de la région Occitanie, accompagné, en visioconférence, par M. Éric Freysselinard, vice-président délégué de l'Association et préfet, actuellement conseiller de coopération intérieure auprès de l'ambassadeur de France à Madrid.
Le rôle du préfet a déjà été évoqué plusieurs fois au cours de nos auditions. C'est une évidence, tant il occupe une place cruciale à l'interface entre l'État, ses agences et les territoires. Les préfets représentent l'État et mettent en oeuvre les politiques définies par celui-ci. Toutefois, c'est également le rôle des agences de l'État.
Nous avons entendu, mardi, des élus locaux appeler à une clarification du rôle du préfet vis-à-vis de certaines agences de l'État afin que, par un poids plus important sur les délégations territoriales des agences, il serve lui-même d'interlocuteur unique aux collectivités. Partagez-vous ce point de vue?
Le préfet est garant de la cohérence de l'action de l'État. Selon vous, a-t-il les moyens de s'assurer que l'action des agences s'inscrit dans cette cohérence, tout particulièrement lorsqu'elles disposent de délégations territoriales ? Dans ce cas, quelles doivent être les prérogatives du préfet à l'égard des agences ? Le préfet dispose-t-il toujours de l'information nécessaire sur les actions et les initiatives prises localement par les agences ?
Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.
Je vous rappelle, messieurs, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pierre-André Durand et M. Éric Freysselinard prêtent serment.
M. Pierre-André Durand, président de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur et préfet de la région Occitanie. - Je vous remercie d'avoir convié l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, afin de connaître le regard des représentants de l'État sur cet important sujet d'actualité. Le Premier ministre s'est récemment exprimé à ce sujet, une mission communes à plusieurs inspections, mobilisant notamment l'Inspection générale de l'administration (IGA), est en cours et votre commission d'enquête a engagé ses travaux.
Quand on aborde la question des agences et opérateurs de l'État, se pose immédiatement celle du périmètre. Nous savons que plusieurs centaines d'agences et opérateurs divers existent. Les préfets sont amenés à travailler plus particulièrement avec une quinzaine d'entre eux, très territoriaux, parmi lesquels l'Office national des forêts (ONF), l'Office français de la biodiversité (OFB), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Agence de services et de paiement (ASP), FranceAgriMer, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), Voies navigables de France (VNF), l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), les agences régionales de santé (ARS), France Travail, les agences de l'eau, la Banque des territoires ou encore Bpifrance.
Je ne reviendrai pas sur les raisons historiques de la création de ces agences et opérateurs, qui sont diverses : débudgétisation parfois, il faut le dire ; mobilisation de compétences rares ; souplesse au regard de certaines règles et procédures, comme celles de la commande publique ; adaptation aux rigidités de l'architecture de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) ; dans certains cas, volonté de cogestion ou d'association d'acteurs locaux, parmi lesquels les partenaires sociaux, les mouvements sportifs ou encore les collectivités territoriales.
Je centrerai mon propos sur la situation actuelle, sur le terrain, des agences et opérateurs. Tout d'abord, ces structures sont très diverses : certaines ont ainsi des compétences autoportées, à l'instar du Cerema, d'autres sont spécialisées sur le financement, comme l'Ademe, ou le contrôle, comme l'OFB. Ces mêmes opérateurs ont eux-mêmes des missions de nature différente et mobilisant des outils juridiques ou opérationnels variés.
L'État territorial est un ensemble peu coûteux au regard des effectifs qu'il mobilise. Voici quelques ordres de grandeur : l'Ademe représente un millier d'agents, l'ASP 2 000, FranceAgriMer 900, l'OFB environ 3 000. Ces effectifs sont relativement modestes. Les deux organismes les plus importants sont peut-être l'ONF, avec 9 000 agents, et les ARS, avec 8 000 agents. Je mets de côté le cas très particulier de France Travail, aux effectifs très importants, mais aux missions extrêmement spécialisées. Ainsi, les effectifs et moyens de fonctionnement ne sont pas considérables.
Le fonctionnement quotidien, donc la cohérence de l'action de ces opérateurs, renvoie à leur gouvernance. On a constaté, historiquement, une forme de démembrement de l'action de l'État, peut-être une fragilisation, par certains aspects, de la déconcentration. Cependant, de notre point de vue, la situation évolue plutôt positivement aujourd'hui. Ainsi, le rôle du préfet a été conforté, en en faisant un délégué territorial de ces opérateurs. Les préfets sont également souvent consultés sur la nomination des directeurs. Il existe, en outre, des processus d'implication et de participation des chefs de services : par exemple les directeurs généraux des ARS assistent aux réunions du comité de l'administration régionale (CAR), présidé par le préfet de région, avec l'ensemble des directeurs régionaux. Depuis peu, les préfets de région président également les conseils d'administration des ARS.
Un certain nombre d'outils existent donc, soit par le rôle de délégué territorial, soit par la présidence de structures locales, soit encore de manière plus informelle : dans le cadre de réunions bilatérales, ou encore lors de la validation de programmation avant leur déploiement. Ce mouvement est assez récent. Nous avons le sentiment qu'avec cette organisation, à la fois en services déconcentrés « classiques » départementaux et régionaux, d'une part, et opérateurs de l'État, d'autre part, une gouvernance plus unifiée a permis de limiter les difficultés. Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y en a pas, comme le montre l'actualité récente. Mais d'un point de vue fonctionnel, le dispositif à l'échelon régional et départemental est plutôt opérant aujourd'hui.
Des questions de personnes aboutissent parfois à des situations contrastées. En Occitanie, je ne rencontre cependant pas de difficulté particulière avec les responsables, directeurs d'agences ou d'opérateurs, qui jouent totalement le jeu de l'unité régionale et de l'action de l'État, avec une bonne implication des préfets de département.
Ainsi, depuis les dernières années, on observe une plus grande mise en cohérence de l'action de ces opérateurs, afin de rendre beaucoup plus lisible le message de l'État sur les territoires, notamment vis-à-vis des élus locaux et des entreprises.
M. Éric Freysselinard, vice-président délégué de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur. - Je suis actuellement en poste à l'ambassade française à Madrid, chargé des questions d'immigration, après avoir été préfet de département plusieurs fois.
À Paris, il y a un Président de la République, un Gouvernement et une unité de l'État. Il ne viendrait à personne l'idée que l'État ne soit pas un. Selon moi, ce qui existe à Paris doit aussi exister dans les territoires, comme le mentionne d'ailleurs l'article 72 de la Constitution.
C'est tout d'abord une question de philosophie et de cohérence, mais également une question pratique, car les préfets sont en relation constante avec les élus, la société civile et de très nombreux acteurs. Ils sont vraiment pilotes de l'interministériel. J'ai ainsi souvent remarqué que nous faisions le pont entre de multiples services de l'État, des collectivités locales, mais aussi des offices. C'est l'une des missions importantes des préfets, face à la tendance naturelle à travailler en tuyaux d'orgue.
En outre, comme le préfet a une responsabilité éminente en matière de sécurité au sens large, il peut être amené à connaître et intervenir dans des domaines très divers. De par la neutralité et l'autorité qui s'attachent à ses fonctions, son intervention revêt une certaine légitimité et permet de décloisonner les actions de chaque service.
On pense souvent, à Paris et dans certains ministères, que les préfets seraient exclusivement des représentants du ministre de l'intérieur, si bien que certains ministres, pour donner plus de force à leurs circulaires, la font cosigner par le ministre de l'intérieur, ce qui est, selon moi, une hérésie. En réalité, comme vous le savez très bien en tant qu'élus locaux et parlementaires, une partie significative de l'action du préfet ne concerne pas que le ministère de l'intérieur.
C'est la raison pour laquelle il serait absurde que certains domaines lui échappent au motif qu'ils dépendraient de collectivités locales. Je pense notamment à l'économie, dont on disait à un moment donné qu'elle devait relever des conseils régionaux, ou encore à la santé, de l'ARS. Même sur des compétences que suivent le préfet et ses services, comme celles qu'exercent l'OFB et l'ONF, des organismes parallèles existent, qui sont dotés d'une politique propre.
S'ajoutent à cela des éléments de pure gestion. Pierre-André Durand a rappelé combien nous étions peu nombreux sur le territoire, les effectifs des services des préfectures et les services déconcentrés ayant été réduits d'environ 35 % en l'espace d'une huitaine d'années. On a par exemple supprimé l'ingénierie publique dans les directions départementales des territoires (DDT), ces dernières ne parvenant désormais plus à mener à bien leurs projets. C'est un crève-coeur de voir le caractère ridicule des effectifs de la DDT au regard de la taille plus importante d'une délégation de l'OFB, alors même que ces deux institutions interviennent dans des domaines similaires.
Pendant la crise liée à la covid-19, les préfets des départements recevaient très peu d'informations de la part des délégations territoriales de l'ARS : d'une part, celles-ci disposaient d'effectifs réduits et, d'autre part, elles ne recevaient pas elles-mêmes les informations du siège. Il n'y a pas seulement un phénomène d'agencification, il y a parfois des agences qui, pour des raisons d'efficacité administrative, concentrent les ressources à l'échelon du siège régional.
Dans de nombreux cas, la réponse apportée à la crise sanitaire a été insuffisante, si bien que les préfets ont dû intervenir. Il était illusoire de penser qu'une crise aussi violente que celle de la covid-19 pouvait être gérée uniquement par une agence qui n'aurait pas eu de contact avec les préfets.
Pour répondre à ces critiques, nous avons eu tendance, ces dernières années, à inclure au moins le préfet de région dans la boucle, en le désignant délégué territorial d'agence. Vu la taille des régions, il est dangereux de penser que l'ensemble du travail interministériel doit être réservé à l'échelon régional. Il est impératif que le préfet de département puisse aussi conduire des actions en cohérence. Je pense par exemple aux contrôles dans les exploitations agricoles pour lesquels on constate des difficultés plus récurrentes lorsqu'ils sont conduits par des services non placés sous l'autorité du préfet, ce dernier assurant habituellement un dialogue utile avec la profession.
Malgré ces difficultés, les préfets essaient de jouer notamment au travers des comités de direction des services régionaux de l'État (Codir), d'assurer le dialogue et la concertation entre les services de l'État, mais aussi entre l'État et ses opérateurs. D'ailleurs, il est constaté que même les opérateurs éloignés de l'État souhaitent parfois être intégrés dans les collèges de chefs de service, afin de recevoir des informations et d'exposer leur politique.
Du reste, il est essentiel que les agences et opérateurs ayant une politique d'action directe, comme l'OFB, puissent travailler en lien avec les services déconcentrés, ce qui est moins primordial avec des services plus généraux, tels que l'Insee, qui n'ont pas réellement vocation à intervenir sur le terrain.
J'insiste, les préfets - notamment les préfets de département, si possible - doivent au minimum agir comme délégués territoriaux au sein d'un certain nombre d'opérateurs. Au-delà, il conviendrait de réfléchir à des fusions ou des réunions de certains services avec des organismes, des directions départementales ou des administrations déconcentrées, y compris lorsque des compétences judiciaires sont exercées, les préfets étant en mesure de distinguer les compétences administratives des compétences judiciaires.
M. Pierre-André Durand. - Je partage entièrement les propos de mon collègue sur la gestion de la crise sanitaire. Toutefois, les choses ont depuis substantiellement évolué, notamment du point de vue du management. Au cours de la première année qui a suivi la création des ARS, les relations avec les préfets étaient très compliquées. Heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui, puisque le préfet de région préside le conseil d'administration. En outre, le directeur général est systématiquement présent au comité consultatif d'allocation des ressources (CCAR), comme les délégués départementaux des ARS au sein des collèges des chefs de service des préfectures de département. Reste que cette cohésion s'effectue avec des moyens modestes.
À cet égard, l'administration territoriale de l'État (ATE), qu'elle intervienne en métropole, en Corse ou en outre-mer, emploie au total 52 000 agents - 26 000 agents des préfectures et 26 000 agents des trois directions départementales interministérielles (DDI) -, soit à peu près les mêmes effectifs que la Ville de Paris.
Au-delà, il faut compter les agents du « bloc des uniformes » - policiers, gendarmes, douaniers et agents pénitentiaires -, auquel il convient de ne pas toucher, car ils accomplissent des missions essentielles. S'ajoute à cela le million d'enseignants ; notez que le nombre d'élèves est en diminution sur l'ensemble du territoire, y compris en Occitanie, qui est pourtant la région la plus dynamique démographiquement.
Enfin, n'oublions pas les 90 000 agents des finances publiques et les quelques milliers d'agents qui travaillent au sein des opérateurs de l'État.
C'est bien ce petit périmètre de l'ATE qui assure des missions régaliennes et applique les politiques publiques de l'État. Ce réseau fonctionne avec des moyens réduits et s'avère peu coûteux pour le contribuable, même si on inclut les effectifs des opérateurs. En outre, il travaille de manière agile et entretient un dialogue efficace avec les municipalités.
Les préfets ont, par construction, de très bonnes relations avec les élus. On parle beaucoup du couple préfet-maire, mais n'oublions pas les relations qu'entretiennent les préfets avec les élus des conseils départementaux ou régionaux. En dépit de ces bonnes relations, il semble que nos interlocuteurs ne prennent pas véritablement conscience de la réalité des moyens permettant à l'État territorial de fonctionner, qu'il s'agisse de ses services propres ou de ses opérateurs.
L'écart de moyens entre les services de l'État et ceux des collectivités territoriales est souvent important. Ainsi, pour assurer la communication de l'ensemble des ministères dans le territoire, la préfecture de département emploie 1 à 3 équivalents temps plein (ETP), la préfecture de région 5 à 7 ETP. C'est 110 ETP au conseil régional d'Occitanie, 50 au conseil départemental et 110 à la métropole de Toulouse.
Je ne formule ici aucune critique ; d'ailleurs, nous avons pu parler ouvertement de ce sujet avec ces trois échelons territoriaux, dont les sensibilités politiques sont pourtant différentes. Seulement, il faut que nous prenions collectivement la mesure du standard de vie des services de l'État.
Nous avions interpellé Christophe Béchu sur ce sujet, lorsqu'il était ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il en était pleinement conscient et avait très justement comparé les moyens des groupements de gendarmerie, qui doivent se satisfaire de locaux construits dans les années 1970 et utiliser des véhicules ayant déjà 200 000 kilomètres au compteur, avec ceux des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis).
Il n'est pas question d'opposer les collectivités locales et l'État territorial. Néanmoins, veillons à ce que celui-ci ne supporte pas l'ensemble des efforts budgétaires du pays, comme on le lui demande souvent au travers des projets de loi de finances qui se succèdent depuis plusieurs décennies.
Je ne voudrais surtout pas que vous preniez ces propos comme une invitation à ne rien faire, mesdames, messieurs les sénateurs ; je tenais simplement à vous donner quelques repères. Si nous voulons collectivement travailler au redressement de nos finances publiques, nous devons accepter de considérer l'ensemble du spectre.
Revenons-en aux opérateurs de l'État. Il est essentiel que les préfets de département et de région puissent les piloter. Il n'y a pas lieu de procéder systématiquement à des internalisations ou des fusions. En effet, beaucoup de ces organismes sont eux-mêmes le fruit de fusions - pensez à FranceAgriMer ou l'OFB.
D'ailleurs, il semble qu'on arrive au bout du processus de fusion. Je me demande, au fond, si elle est totalement praticable, car beaucoup de missions obéissent à des règles techniques très spécifiques.
Il est indispensable que le préfet pilote les opérateurs de l'État ou dispose de moyens d'actions afin de mettre fin à l'opacité qu'on observe parfois. Prenons l'exemple de Bpifrance. Cet opérateur est une sorte de boîte noire qui entretient très peu de contacts avec l'État territorial. À l'inverse, les préfets ont d'excellentes relations avec la Banque des territoires. J'organise moi-même une réunion bilatérale avec son directeur régional tous les deux mois. En outre, celui-ci informe systématiquement les préfets de département sur les divers projets financés.
Les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) ont entrepris un travail visant à identifier les secteurs d'investissements prioritaires définis par le ministère de l'industrie dans plusieurs domaines, tels que la santé et l'intelligence artificielle (IA). Néanmoins, il n'a pas été possible d'établir un plan de prospection conjoint des entreprises régionales avec Bpifrance dans le cadre de France 2030, l'argument du secret des affaires étant systématiquement invoqué.
Autre exemple : Bpifrance a lancé une étude sur la réindustrialisation à l'échelle nationale, dont la version préliminaire a été présentée non pas au préfet de région, mais au vice-président du conseil régional. Bpifrance accomplit certes des missions très spécialisées, mais elle fonctionne tout de même de manière très hermétique.
Les agences de l'eau constituent un cas particulier. Elles sont, par nature, cogérées par l'État, mais elles disposent d'un conseil d'administration local, et non national. En outre, elles fonctionnent par bassin ; je préside moi-même celui d'Adour-Garonne.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Durand, vous vous félicitez d'une évolution favorable des relations entre l'État territorial et les agences ; vous avez notamment cité le cas des ARS. Avez-vous d'autres exemples d'évolutions positives au cours des quatre ou cinq dernières années ?
Pensez-vous que la situation était plus favorable dans les années 1980, avant qu'on ne construise successivement toutes les agences que nous connaissons aujourd'hui ? À l'époque, c'était l'État qui exerçait seul l'ensemble de la puissance publique, sans démembrement. Pensez-vous qu'il était alors plus efficace ?
Les représentants de Régions de France, que nous avons reçus hier, ont affirmé que le rôle de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) était redondant avec celui les régions en matière de formation et d'orientation. Dans ces conditions, estimez-vous que certains opérateurs exercent des missions superflues, ou qu'ils agissent parfois d'une manière peu efficace ?
Par ailleurs, avez-vous des exemples de politiques conduites à l'échelon national par un opérateur qui pourraient être complètement décentralisées ?
Du reste, vous appelez à faire systématiquement du préfet un délégué territorial au sein d'un certain nombre d'opérateurs et à généraliser ce processus à l'échelle du département, qui constitue une maille plus fine. Nous en prenons acte. Cela plaiderait donc pour une extensions des dispositions introduites par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS.
M. Pierre-André Durand. - Il est très difficile de répondre à votre première question, madame le rapporteur, car la répartition des compétences, le degré de décentralisation et les moyens dont l'État disposait autrefois n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Il faut que l'exécutif arrête une position précise sur ce qui doit relever d'une politique nationale.
Le rôle de l'exécutif et de ses bras armés que sont les préfets consiste à déployer des fonctions régaliennes sur le territoire et à mettre en oeuvre des politiques publiques gouvernementales. Il convient donc d'identifier ce qui doit relever de compétences étatiques qui peuvent être appliquées de la même manière sur l'ensemble du territoire, ou à peu près, puisque les préfets peuvent faire usage, à la marge, de leur droit de dérogation.
Par ailleurs, puisque l'heure est à l'économie de moyens, j'estime qu'il faut être plus clair sur les prestations offertes. Autrefois, les services de l'État qu'étaient les directions départementales de l'équipement (DDE) assuraient des fonctions d'ingénierie pour le compte des collectivités. Certains élus s'en rappellent avec émotion, mais ils oublient que ces services étaient payants.
Aujourd'hui, de nombreux dispositifs visent à apporter de l'ingénierie aux communes - Action coeur de ville, Petites Villes de demain, Villages d'Avenir, les 4 000 conseillers numériques, etc. Or l'un des objectifs des réformes intercommunales était de doter l'échelon intercommunal de ressources d'ingénierie. J'observe que globalement, cela n'a pas fonctionné.
En Occitanie, le coût des prestations d'ingénierie que l'État effectue pour le compte des collectivités s'élève à un peu plus de 20 millions d'euros par an. Au regard des réductions d'effectifs de l'ATE et des opérateurs, de tels montants font tousser, a fortiori si on les rapporte aux moyens dont disposent certaines grandes collectivités.
Je me demande donc s'il ne serait pas judicieux de considérer que ces outils d'ingénierie, aussi précieux soient-ils pour les collectivités, notamment rurales, devraient de nouveau leur être facturés, comme cela se faisait dans les années 1980. L'aide consentie jusqu'à cette année serait considérée comme une aide au démarrage, charge ensuite aux communes ou aux intercommunalités de financer le recours à ces prestations à compter de 2026.
En ce qui concerne d'éventuelles redondances, je ne saurais vous répondre de manière précise au débotté, mais il est possible qu'il en existe encore dans le domaine de la formation.
Ce qu'il conviendrait enfin de décentraliser relève de choix politiques. En tout état de cause, j'estime qu'il est très utile de faire une photographie des moyens consacrés par l'État à une mission en passe d'être décentralisée. Combien d'effectifs gèrent par exemple aujourd'hui la gestion des fonds européens, qui a été transférée aux régions il y a quelques années ? Si la décentralisation emporte le remplacement de 4 effectifs par 15, il est clair que nous sommes collectivement perdants.
La réflexion sur ce qui peut être décentralisé et sur ce qui doit rester étatique doit être menée au niveau central. Mais lorsque la décision est prise de décentraliser, il faut que l'État et les ministères renoncent clairement à intervenir, ce qui suppose d'accepter des différences de traitement ou de gestion entre départements ou entre régions. Or nous, Français, sommes ainsi faits que nous nous insurgeons dès que nous observons une pratique différente !
M. Éric Freysselinard. - Lorsque je suis entré dans l'administration préfectorale, dans les années 1990, on parlait, non pas encore de services déconcentrés, mais de services extérieurs. Or ces derniers avaient bien davantage d'autonomie par rapport au préfet que les services déconcentrés d'aujourd'hui. Petit à petit, les directeurs de ces services ont été choisis, puis notés et évalués par les préfets, jusqu'à la consécration d'une ATE intégrant les préfets et les services de l'État. Parallèlement à cela, consciemment ou non, certains ministères ont recréé des services départementaux échappant à l'autorité des préfets, ce qui a emporté un phénomène de densification. C'est l'éternelle lutte entre la tentation de l'unité de l'État et celle de son éclatement sur le territoire !
Vous nous avez interrogé sur l'efficacité, madame le rapporteur. Mais qu'est-ce que l'efficacité ? L'OFB ou l'Urssaf évaluent leur efficacité au nombre de contrôles effectués et aux recettes dégagées. Étant moi-même président d'une association, je subis régulièrement des contrôles de l'Urssaf qui, bien souvent, me demande de payer ce que j'ai déjà payé. Si l'on considère l'activité au prisme de l'efficience, ne serait-il pas plus utile d'expliquer à un agriculteur pourquoi il ne faut pas qu'il cure son ruisseau et tenter de le convaincre, plutôt que de lui infliger une amende de 3 000 euros ?
Je ne suis pas naïf au point d'imaginer la suppression de toute sanction. Je sais bien qu'il ne suffira jamais de mettre en garde les automobilistes pour garantir le respect des limites de vitesse. J'estime toutefois que les services de l'État pourraient mener de front des actions de pédagogie et de contrôle, et partant, être plus efficients que des organismes privés qui, par nature, appliqueraient un cahier des charges de manière plus stricte.
Je constate du reste que lorsque l'État donne une compétence à un organisme privé, celui-ci est souvent beaucoup plus sévère que le service de l'État, parce qu'il s'interdit toute dérogation. Le contrôle technique des voitures est par exemple mené sans aucun état d'âme, parce qu'il applique un cahier des charges, quand des fonctionnaires seraient sans doute plus conciliants.
En ce qui concerne l'Onisep, je vous ferais peut-être une réponse biaisée, car j'ai commencé ma carrière comme professeur, mais j'estime que l'éducation est une compétence d'État. Je suis toujours quelque peu heurté de lire l'inscription « lycée régional » au fronton des établissements dont les professeurs sont des agents de l'État, et qui préparent les élèves à des diplômes délivrés par l'État. Il me paraît utile que nous disposions d'un organisme national qui donne des informations sur les cursus nationaux. L'octroi de compétences aux conseils régionaux ne justifie pas, à mon avis, que l'État se retire totalement en matière d'éducation, en particulier pour informer nos jeunes des débouchés qui s'ouvrent à eux.
J'estime de même que ce n'est pas parce qu'on a donné certaines compétences économiques aux conseils régionaux que les préfets doivent s'interdire toute activité économique. Lorsque le Président de la République Emmanuel Macron est venu en Meurthe-et-Moselle, j'ai répondu aux nombreuses questions économiques qu'il nous a posées. Je ne suis pas certain qu'il aurait apprécié que je lui indique que, conformément à la circulaire reçue un mois plus tôt, ces questions n'étaient plus de mon ressort.
En ce qui concerne enfin l'ingénierie publique, pendant l'épisode de peste porcine que j'ai connu durant mes fonctions de préfet de Meurthe-et-Moselle, il nous a fallu bâtir une clôture en barbelés le long de la frontière avec le Luxembourg pour éviter que les sangliers malades ne pénètrent en France. Nous avons alors eu besoin d'ingénierie publique, notamment de cartes, pour construire cette barrière, mais nous n'avions plus d'agents. La DDT a alors rappelé des agents récemment redéployés sur de nouveaux postes pour nous permettre de bâtir cette clôture.
Si d'aventure nous avions de nouveau besoin d'ingénierie publique en urgence, à défaut d'agents publics, il nous faudrait passer un marché public, mais alors nous ne pourrons plus bâtir une clôture en quinze jours pour faire face à un danger. Or dans une période marquée par la guerre en Ukraine et par l'impératif de résilience, j'estime qu'il serait bon que dans les territoires, les services de l'État disposent des moyens et des effectifs pour agir rapidement.
M. Pierre-André Durand. - Depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont effectué des coupes claires dans le périmètre de l'ATE, avec les conséquences que décrit mon collègue.
Je souhaite revenir sur l'OFB. La crise agricole est née dans mon département. Si elle a partie liée avec l'activité de l'OFB, j'estime que sa cause première est le revenu des agriculteurs, qui s'établit à un niveau national moyen de 1 700 euros, et à 1 000 euros en moyenne en Occitanie, voire à 700 ou 500 euros dans certains départements. La pauvreté agricole est l'élément déclencheur de cette crise, dont il a résulté que toute une série de sujets ont été mis sur la table.
L'OFB a alors été mis en cause. Le problème, à mes yeux, tient à la boîte à outils dont sont pourvus ses agents. Lorsque j'étais préfet de Normandie, j'ai constaté que celle-ci contenait des outils principalement judiciaires alors que d'autres inspecteurs, par exemple les inspecteurs des installations classées des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), possèdent aussi des pouvoirs de police administrative. Ils ont donc à leur main des réponses qu'ils peuvent adapter à la gravité de l'infraction. Cela constitue à mes yeux une piste d'amélioration, car la réponse nécessairement pénale apportée par les agents de l'OFB à la constatation d'une infraction a certainement contribué à dégrader l'image de cet opérateur. Il me paraît en tout cas plus important de doter ce corps de contrôle de davantage de souplesse que de débattre du port de l'arme, que j'estime presque anecdotique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je suis frappée que face à la nécessité de construire une barrière, vous n'ayez pas fait appel à l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) pour obtenir une cartographie du lieu d'implantation de celle-ci.
M. Éric Freysselinard. - Je n'ai cité que les cartes, mais ce n'était sans doute pas le plus important. En tout état de cause, il fallait déterminer non seulement le tracé, mais aussi la hauteur des clôtures, le type de matériel, etc. Bâtir une clôture qui résiste aux sangliers nécessitait des compétences assez pointues que nous n'avions pas en régie directe. Il se trouve que par chance, la réforme de l'ingénierie publique n'était intervenue que l'année précédente, si bien que nous avons pu retrouver d'anciens agents et leur demander de venir nous prêter main forte. Aujourd'hui, alors que les effectifs ont depuis lors été réduits d'un tiers, je ne pense pas que nous saurions le faire.
Les services sont à l'os. Mon collègue le constate alors qu'il est préfet d'une grande région. Imaginez ce qu'il en est en Lozère ou dans le Cantal ! Lorsque j'étais préfet de la Haute-Saône, il y a une douzaine d'années, les services étaient mieux pourvus qu'aujourd'hui, mais ils fonctionnaient déjà grâce au dévouement incroyable des agents. Lorsque nous recevions un ministre, chaque agent était amené à exercer des fonctions qui excédaient très largement sa fiche de poste, afin d'offrir un niveau de service maximal.
Les politiques publiques importantes reposent dans les petits départements sur le dévouement des agents. On peut se demander si un tel fonctionnement est bien raisonnable au regard des difficultés croissantes.
Est-il par ailleurs bien judicieux d'avoir autant d'agences et d'établissements dotés de si faibles effectifs ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque vous passez une commande à une agence, obtenez-vous une réponse rapide ?
Par ailleurs, dans les services préfectoraux, les cadres d'emploi sont moins favorables que dans les agences. Vous perdez de ce fait des compétences.
Enfin, ne pensez-vous pas que certaines politiques publiques, notamment les dépenses de guichet, seraient gérées de manière plus efficace par le privé ? N'a-t-on pas intérêt à transférer à des entités privées certaines missions dont elles pourraient s'acquitter de manière plus souple, au regard notamment du cadre d'emploi ?
M. Pierre-André Durand. - J'obtiens systématiquement une réponse aux questions que je pose à l'ARS, à l'OFB ou à l'Ademe. J'en parlais récemment avec des collègues préfets, et aucun n'était confronté à des refus ou à des réponses dilatoires. Les agences et les opérateurs sont même très transparents : au-delà de tous les documents qui sont transmis systématiquement, les directeurs viennent régulièrement à la rencontre du préfet de région ou du préfet de département. Je citais le cas de Bpifrance, qui travaille avec le conseil régional et non avec le représentant de l'État dans la région, mais une telle situation demeure toutefois anecdotique.
S'agissant des emplois, j'observe une fuite des cerveaux de l'administration préfectorale, non pas vers les agences, mais vers les collectivités locales. Lorsque j'étais préfet de Normandie, pour l'arrivée d'un fonctionnaire de catégorie A depuis une collectivité, nous avions deux départs dans le même cadre d'emploi vers des collectivités. Un jeune fonctionnaire qui avait fait le choix du détachement dans une collectivité m'expliquait ainsi qu'il y finirait ses journées plus tôt, qu'il avait l'assurance de pouvoir recruter en cas de missions nouvelles, que son régime indemnitaire serait supérieur et qu'il disposerait d'un véhicule de fonction. Je n'étais évidemment pas en mesure de lui attribuer un régime indemnitaire supérieur, et encore moins un véhicule de service... C'est donc plus dans ce sens-là que l'État territorial doit être vigilant et fidéliser ses effectifs. Toutefois, je ne constate pas d'écart trop important vis-à-vis des opérateurs, puisqu'il s'agit souvent de fonctionnaires, ou de contractuels exerçant des fonctions spécialisées.
Quant au transfert de certaines missions vers le privé, je vous expose le même embarras que pour la décentralisation. C'est un choix politique qui relève du Gouvernement : qu'estime-t-il devoir confier au privé et conserver dans la sphère publique ? La question se pose notamment lorsqu'il s'agit de verser de l'argent public. En outre, quel en serait le coût ? S'il y a un gain en efficacité, en efficience et en coût, sans que cela ne soulève de problème éthique, l'on peut y réfléchir. Dans le cas contraire, il convient de rester prudent.
En revanche, la porte doit rester ouverte sur tout ce qui peut être conduit en matière de simplification. Vous avez mentionné la numérisation de tâches : c'est un chantier constant, qu'il faut poursuivre. Des projets de loi de simplification sont toujours bienvenus.
M. Éric Freysselinard. - En matière de rémunération, ces derniers temps, nous avons observé des protestations de la part de sous-préfets, qui s'aperçoivent qu'ils sont bien moins rémunérés que les directeurs départementaux ou que certains adjoints au directeur. Nous avons aussi remarqué que les rémunérations des directeurs régionaux étaient souvent plus importantes, d'où un siphonnage : les meilleurs candidats partent plutôt travailler au niveau régional, et l'on a du mal à recruter au niveau départemental.
Or auparavant, les sous-préfets bénéficiaient d'avantages en nature, comme du personnel de résidence, ce qui était une forme de compensation. Maintenant que tout cela a été supprimé dans les petites sous-préfectures, ne reste que le salaire, d'où une fuite des agents.
S'agissant du transfert de certaines missions vers le privé, pourquoi pas ? L'administration délègue certaines tâches au privé depuis toujours. Mais on ne peut pas tout déléguer, car ce n'est pas toujours mieux fait et cela coûte parfois beaucoup plus cher. En outre, on s'aperçoit parfois que nous ne disposons plus des agents pour garantir un service minimum. Par exemple, pour les titres d'identité, des plateformes régionales ont été créées et les communes ont été chargées d'assurer la première réception. Les services correspondants au sein des préfectures ont donc été supprimés. Par la suite, nous n'avions plus personne pour répondre à ceux qui, rencontrant un problème informatique, se sont présentés à des guichets qui n'existaient plus. Nous avons donc dû faire appel au service civique pour recréer des accueils numériques.
Cela ne permet pas non plus de répondre à la problématique de la gestion de crise, pour laquelle les services de l'État ont besoin d'une masse critique. Je me souviens, par exemple, de l'avion qui s'est abattu dans les Alpes à la suite du suicide de son pilote : les catastrophes ne sont pas réservées aux gros départements ! Certes, on peut compter sur l'entraide et le soutien par des systèmes nationaux, mais il faut pouvoir réagir localement. Par exemple, pour la distribution de masques contre le covid, tous les effectifs des préfectures ont été mobilisés. Vu la gravité de l'événement, nous avons fait avec les moyens du bord, grâce à des personnes disciplinées et dévouées, malgré des effectifs peu nombreux.
M. Christian Bilhac. - Monsieur le préfet Durand, vous avez insisté sur les effectifs modestes de ces opérateurs. Nous parlons tout de même de plus de 80 milliards d'euros, dont 25 % de frais de personnel. S'ajoutent des frais immobiliers, de fluides, de transport, de fournitures administratives, etc. Ce n'est pas rien : ce montant est supérieur au budget de l'éducation nationale ! Nous ne parlons donc pas de sommes ridicules.
Ensuite, certains opérateurs sont indispensables. Je ne souhaite pas tous les supprimer. Mais pour chacun d'entre eux, il faut se poser ces questions : avant leur création, comment cela fonctionnait-il ? Depuis, cela va-t-il mieux, pareil ou moins bien ? C'est en fonction de cela qu'il faut déterminer leur sort.
Je suis un ancien maire rural. J'ai connu l'époque où, pour une demande de subvention pour le réseau d'eau, nous voyions le directeur départemental de l'agriculture (DDA). Vous ne l'avez pas mentionné, mais il était important !
M. Pierre-André Durand. - Absolument !
M. Christian Bilhac. - Quelque temps plus tard, il informait le maire, par exemple, d'un taux de subvention de 70 % pour le réseau d'eau, et ça s'arrêtait là !
Aujourd'hui, pour refaire son réseau d'eau, le maire dépose d'abord un dossier à l'agence de l'eau. Mais, comme cela ne suffit pas, il en soumet un deuxième au conseil départemental. Enfin, jamais deux sans trois, il en adresse un au préfet de département au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Est-il bien raisonnable que trois services instruisent la même demande et les mêmes travaux, dans trois administrations différentes ? De tels doublons, triplons ou quadruplons, nous en avons à foison : il faut rationaliser !
M. Pierre-André Durand. - Pour les 80 milliards d'euros que vous mentionnez, j'en reviens à mon propos introductif et à la question du périmètre. Je crois que les opérateurs de l'État sont plusieurs centaines. Je ne connais pas le coût représenté par la quinzaine d'opérateurs avec lesquels les préfets travaillent, mais je ne suis pas certain que, compte tenu des effectifs que j'ai décrits, nous atteignions un tel montant. J'exclus de ce calcul France Travail, qui compte de l'ordre de 50 000 agents.
Quant à votre seconde observation, sur les dossiers et l'efficacité, j'ai commencé ma carrière en 1980, en collectivité, avant la décentralisation. À cette période, en effet, il n'y avait que le DDA et le préfet. Depuis, le paysage institutionnel a évolué. Ainsi, le conseil départemental, par exemple, doit-il davantage se spécialiser sur le social et ne plus intervenir du tout sur les sujets de l'aide aux communes et de l'aménagement du territoire ? Ils seraient alors pris en charge par l'État, via la DETR orientée sur l'échelon communal et intercommunal, le maillage des maires, assurant une grande proximité. Faut-il défendre la position inverse ? Je ne puis répondre, car cela renvoie à des choix politiques très structurants et dimensionnants.
Ainsi, votre observation soulève la question des époques, d'une part, et des choix politiques, d'autre part. Un premier travail a été effectué au travers de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Est-elle allée assez loin dans la spécialisation, le décroisement et la clarification ? Peut-être pas. À la suite de la création des intercommunalités, qui devait notamment permettre de consolider l'ingénierie, la baisse attendue des effectifs des communes ne s'est pas vérifiée. Telle est, aujourd'hui, la situation.
M. Éric Freysselinard. - Si de manière générale, est recherchée la mutualisation lorsqu'un dossier est examiné par plusieurs services, concernant les fonds associatifs, on a trouvé le moyen de faire valider l'avis des commissions départementales par une commission régionale, au sein de l'État !
M. Pierre-André Durand. - Mon collègue a tout à fait raison. Je précise que cette procédure a été demandée par les élus eux-mêmes.
Mme Solanges Nadille. - Sur l'une des îles de l'archipel des Saintes, en Guadeloupe, l'ONF a décidé qu'une route menant à une plage qui existait depuis trente ans devait être détruite, contre l'avis de la maire - on en est presque venus aux mains, tant la situation était conflictuelle. Quel est le rôle du préfet dans ce genre de situation ? Un opérateur de l'État peut-il décider seul de fermer l'accès à une plage ?
M. Pierre-André Durand. - Je ne connais donc pas bien la situation locale que vous évoquez. Quel était le statut de cette voirie ? Était-elle privée ou publique ? Le cas échéant, relevait-elle de la responsabilité de la région ou de celle du département ? Traversait-elle une zone protégée ? Faisait-elle l'objet de dispositions législatives ou réglementaires particulières ? L'État s'est-il révélé défaillant pendant plusieurs années, pour enfin se réveiller subitement ? Très sincèrement, je ne saurais vous le dire.
Néanmoins, je comprends votre question. En fonctionnement normal, lorsqu'un problème juridique comme celui-ci se pose, l'opérateur a le réflexe d'en référer au préfet et de prendre contact avec le maire. Ainsi, on peut parvenir à résoudre les difficultés en bonne intelligence. C'est la raison pour laquelle il n'est pas admissible qu'un opérateur agisse comme un canard sans tête.
M. Éric Freysselinard. - L'ONF exerce une compétence directe en ce domaine et peut faire ce qu'il souhaite, sans avoir à solliciter l'avis du préfet. Lorsque les opérateurs entretiennent de bonnes relations avec les élus locaux et les préfets, cela ne pose aucune difficulté. Dans la situation que vous décrivez, l'ONF aurait dû consulter le préfet ; celui-ci est souvent sollicité par cet opérateur, notamment en matière de chasse. Le préfet aurait peut-être approuvé le projet de l'ONF, mais il aurait au moins pris contact avec la maire de la commune concernée.
Bref, il faut veiller à ce que les agences ne soient pas trop autonomes vis-à-vis de l'État. Des progrès ont été accomplis ces dernières années, non seulement parce que les préfets interviennent comme délégués territoriaux au sein des opérateurs, mais aussi parce que les agences en ressentent le besoin.
Il est essentiel que l'opérateur se réfère au préfet, non pas pour le plaisir de l'informer, mais parce que celui-ci joue un rôle de transversalité. Il peut ainsi veiller à ce que la suppression de la route n'entraîne pas un problème d'évacuation des populations, mais aussi demander aux Sdis et aux services de police et de gendarmerie s'ils ont été interrogés. En outre, il peut vérifier si le maire approuve le projet et si un débat a été organisé au sein du conseil municipal. L'opérateur peut choisir in fine de ne pas modifier sa décision, mais le préfet se sera au moins assuré qu'elle aura fait l'objet d'une concertation à l'échelon local.
Je me souviens du projet conduit par la Dreal pour classer le canal du Midi au patrimoine mondial de l'Unesco. J'avais proposé mon aide pour présenter le projet aux élus. La Dreal avait refusé, car elle souhaitait avancer seule, et j'ai eu la faiblesse de la laisser faire. Ce projet a entraîné une telle levée de boucliers qu'il a fini par échouer. Le préfet a vocation, sur le plan institutionnel, à conduire ce genre de dossiers à l'échelon interministériel et en relation avec les élus.
On rencontre ces phénomènes au sein des opérateurs, mais aussi au sein des services de l'État et parfois même au sein des services régionaux, lesquels estiment ne pas avoir à rendre compte de leur décision au préfet de département.
M. Pierre-André Durand. - En effet, nous avons connu ce genre de problème par le passé. Heureusement - je ne cesse d'insister sur ce point -, les relations entre les opérateurs et les préfets de département ont évolué. Voilà pourquoi nous devons continuer à conforter le rôle des préfets comme délégués territoriaux.
M. Pierre Barros, président. - Serait-ce une bonne idée de placer le préfet de département sous la responsabilité du préfet de région ?
M. Pierre-André Durand. - Actuellement, les préfets de département sont placés sous l'autorité des préfets de région pour la mise en oeuvre des politiques publiques, mais pas pour tout ce qui concerne le régalien. Les placer totalement sous l'autorité des préfets de région serait excessif, car on ne gère pas des événements de type manifestation, inondation ou incendie à distance. Cette ligne de partage entre le régalien, relevant de pouvoirs propres des préfets de département, et les politiques publiques, qu'elles soient mises en oeuvre par des opérateurs de l'État ou des services déconcentrés, me semble constituer un point d'équilibre satisfaisant.
J'ajoute que les préfets de département sont aujourd'hui évalués par les préfets de région, ceux-ci décidant aussi de l'attribution des compléments indemnitaires annuels. Il existe donc des outils pour veiller à la cohérence de la bonne mise en oeuvre des politiques publiques à l'échelle de la région.
M. Éric Freysselinard. - Je partage ce point de vue : qui trop embrasse mal étreint ! Nous avons atteint un équilibre, avec une bonne coordination au niveau de la région ; si le préfet de département devait faire valider toutes ses décisions par le préfet de région, celui-ci serait littéralement noyé. Je me souviens que, lors de la crise sanitaire, la préfète de la région Grand Est avait décidé d'une réunion hebdomadaire avec tous les préfets de département, ce qui nous permettait de nous concerter sur toutes les grandes décisions à prendre. Et, à notre tour, nous allions consulter dans nos départements. Tout cela fonctionnait bien. Mais, au quotidien, de nombreuses décisions peuvent se prendre au niveau local.
M. Ludovic Haye. - Je suis sénateur du Haut-Rhin. Je souhaite réagir sur quatre termes qui ont été utilisés.
Premier terme : la réactivité. Si nous avons bien compris que vous n'allez pas, aujourd'hui, nommer de but en blanc des opérateurs, pouvez-vous nous en dire plus sur l'efficacité des processus ? Certains élus locaux avec lesquels nous échangeons se plaignent du nombre d'itérations dans la demande de certains documents. Certes, les requêtes des préfets doivent être traitées avec diligence, mais cela n'entraîne-t-il pas, pour les élus locaux, des retards et donc des coûts dans la gestion des dossiers ?
Deuxième terme : la continuité. Vous évoquiez précédemment l'inscription « lycée régional » : quand un élève passe de troisième en seconde, son écosystème pédagogique - salles de cours, cantine, transports scolaires - reste inchangé , en dépit du passage, s'agissant de la compétence, du niveau départemental au niveau régional.
Troisième terme : la simplification administrative. Nous sommes toujours heureux quand une entreprise souhaite s'implanter chez nous, dans la plaine du Rhin. Mais nous devons lui annoncer qu'il va falloir faire une étude « quatre saisons », puis une étude archéologique, puis une étude de sécurité pyrotechnique... Au bout de deux ans et demi d'attente, on finit par voir l'entreprise s'implanter sur la rive d'en face, la rive allemande ! Sous cet angle, une simplification ne s'impose-t-elle pas ?
Quatrième terme : l'interprétation des textes. Considérez-vous, de par votre expérience, qu'il peut y avoir, pour un même texte législatif français, des interprétations différentes selon la personne qui instruit le dossier ? Peut-on en déduire que certaines choses se font plus facilement dans certaines régions de France que dans d'autres ?
M. Pierre-André Durand. - Je vous rejoins sur la première question, celle des itérations et des lourdeurs, mais cela renvoie à la chape législative et réglementaire de notre pays. Ni les préfets ni les directeurs ne sont demandeurs de tant d'études. En réalité, on connaît la formule, l'administration est le messager et c'est donc lui que l'on met en cause... Par ailleurs, il faut être conscient des conséquences. Prenons l'exemple de l'Espagne : elle n'a pas mis en oeuvre de loi relative au littoral ou, en tout cas, a traité la question de manière assez tardive, ce qui, sur le plan urbanistique, n'a pas donné que des réussites ! La question est donc de savoir ce que nous sommes prêts à accepter. Certes, il y a beaucoup de réglementation et on peut envisager de simplifier. Mais en accepterons-nous les conséquences ?
Donc, j'insiste, les préfets et directeurs n'expriment aucune demande particulière en la matière. Nous sommes là pour mettre en application ce qui est décidé par la représentation nationale ou par le Gouvernement. À la question de la complexité des procédures, s'ajoute en outre celle des moyens qui, depuis des années, ont été rabotés.
Le deuxième point soulevé rejoint le sujet de la décentralisation et des choix politiques. Comment répartit-on la compétence ? Où place-t-on les limites de cette compétence ? Fonctionne-t-on par blocs, par segments ? Tout cela relève de choix politiques.
S'agissant de l'interprétation des textes, il faut distinguer l'application de la loi, que le préfet se doit évidemment de respecter, et l'application des réglementations, à laquelle il peut déroger en respectant un certain nombre de conditions. À titre personnel, je suis assez réservé sur ce pouvoir de dérogation, considérant qu'il doit être utilisé avec beaucoup de prudence. Sur des cas marginaux, l'outil est précieux. En revanche, si cela revient à donner beaucoup plus de souplesse, peut-être vaut-il mieux s'interroger sur la réglementation en question pour la faire évoluer, et ce d'autant que la responsabilité du préfet peut être engagée ?
J'aurais donc tendance à dire que la loi doit être appliquée et que, s'il peut y avoir quelques marges de manoeuvre sur le terrain réglementaire, on ne peut pas complètement regarder ailleurs. Il en va de même, d'ailleurs, pour le contrôle de légalité : il a été simplifié et ne porte plus que sur des actes essentiels ; pour autant, il représente toujours une garantie de sécurité pour les collectivités elles-mêmes, dans la mesure où il permet d'éviter les différences de traitement entre territoires et apporte une sécurité juridique aux élus.
M. Éric Freysselinard. - L'étude « quatre saisons » relève, non pas de la loi, mais d'une directive européenne. J'ai été confronté plusieurs fois à cette règle : il est vrai qu'elle est parfois appliquée à des travaux urgents, et sur des zones qui manifestement ne présentent pas un intérêt écologique majeur. C'est absurde et, en effet, il serait utile que l'on puisse y déroger dans certains cas.
Je ne sais pas quoi répondre à la question de l'interprétation des textes. Ils sont les mêmes partout, des circulaires viennent fixer le cadre et nos services savent nous rappeler les règles si nous nous en écartons. Pour autant, il y a forcément des interprétations, en fonction des personnes et des territoires... Un exemple pour montrer qu'il est possible de travailler en bonne intelligence : dans le cas d'un cinéma d'art et d'essai qui devait absolument fermer pour des raisons de sécurité incendie, j'ai suggéré une dérogation pour une durée d'un an, à la condition qu'un agent de sécurité supplémentaire soit présent pendant les séances, et des officiers préventionnistes ont estimé que cette solution était envisageable, le danger n'étant pas majeur. Peut-on vraiment parler d'interprétation différente, si en réalité ce sont les mêmes règles que l'on applique à des cas de figure différents ?...
M. Ludovic Haye. - J'aurais peut-être dû parler de « frilosité ». On l'entend dans nos auditions, la notion de responsabilité est tout de même très bloquante en France. Je peux le comprendre, surtout quand la responsabilité du préfet sur une décision prise est engagée. N'est-ce pas plus simple, aujourd'hui, de dire « non » pour éviter de s'exposer à des poursuites potentielles ?
M. Éric Freysselinard. - Il y a là, bien évidemment, une question personnelle. Dans le cas du cinéma que je viens d'évoquer, j'aurais évidemment été considéré comme responsable, en ayant laissé l'établissement ouvert, s'il y avait eu un incendie une semaine plus tard... Dans le corps préfectoral, nous avons tous été au moins une fois mis en examen, et nous sommes désormais soumis au nouveau régime de responsabilité financière. La pression croissante qui s'exerce sur les cadres de l'État pourrait, en effet, rendre certains frileux.
M. Pierre-André Durand. - Les choses ne se passent pas différemment dans les collectivités, dont les services juridiques, avec le souci de bien faire, mettent les élus en garde. Quand j'entends M. Haye parler de frilosité, je ne peux pas m'empêcher de faire à nouveau le lien avec le poids de nos textes législatifs et réglementaires, poids qui, d'ailleurs, est souvent le reflet d'une société sophistiquée. Dans mon poste précédent, j'ai géré l'incendie de l'usine Lubrizol, qui a été éteint en douze heures, sans mort, sans blessé et sans immeuble détruit. La polémique qui a suivi a duré un an et j'étais bien content, à ce moment-là, d'avoir des documents et des arrêtés à jour. Si j'avais octroyé des dérogations, les mêmes qui se plaignaient que l'entreprise n'était pas suffisamment bien accompagnée se seraient plaints du fait que l'État n'avait rien fait pour prévenir la crise. C'est pourquoi, sans faire de juridisme, j'estime qu'il faut partir des textes et de ce que l'on est prêt à accepter : il en découlera des règles plus ou moins lâches, qu'il reviendra aux préfets d'appliquer - avec intelligence, comme l'indiquait mon collègue, mais sans s'assoir dessus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Percevez-vous le démantèlement de l'État territorial au profit des agence comme ayant bénéficié principalement aux collectivités territoriales, au secteur privé, ou à aucun des deux ?
En ce qui concerne l'évaluation des politiques publiques, Amélie de Montchalin, alors ministre de la transformation et de la fonction publiques, a chargé les préfets de département d'assurer le suivi dans le temps des politiques prioritaires du Gouvernement (PPG). Ne peut-on y voir une certaine incohérence dans le fait d'être rendus responsables de politiques publiques sur lesquelles vous ne disposez d'aucune prise effective ?
M. Pierre-André Durand. - Concernant le périmètre de l'administration territoriale de l'État, je n'ai pas constaté d'évolution en faveur des agences. La plupart d'entre elles existaient déjà et résultent principalement de regroupements.
En revanche, les transferts sont massifs vers les collectivités locales. Des études menées sur une période de 10 à 20 ans ont permis d'analyser l'évolution des effectifs des collectivités territoriales, en neutralisant les effets des transferts de compétences de l'État. Ces travaux révèlent une explosion, et non une simple augmentation, des effectifs des collectivités. À l'avenir, cette dynamique soulèvera inévitablement des questions quant à la maîtrise des finances publiques. L'argument avancé par les collectivités, selon lequel leur budget est voté en équilibre, repose sur une obligation légale, ce qui lui confère un caractère artificiel. Si le rôle d'investissement des collectivités est indéniable, celles-ci n'ont pas toujours pleinement pris conscience des efforts et des marges de manoeuvre dont elles disposent.
S'agissant de l'évaluation des politiques publiques, il est naturel que les préfets en assument la responsabilité dans le cadre de leurs fonctions. Il n'en demeure pas moins que l'évaluation à notre échelle de politiques publiques décentralisées pose une réelle complexité. Le rôle du préfet se résume alors à celui d'un animateur : bien que des crédits d'État soient mobilisés pour accompagner ces politiques, elles relèvent essentiellement des collectivités. Il serait donc pertinent d'adapter le cadre de l'évaluation en le recentrant sur les compétences effectives des préfets. Ce recentrage peut être envisagé dans un périmètre élargi, intégrant les opérateurs, puisque le préfet en est désormais le délégué territorial.
M. Éric Freysselinard. - Les effectifs des collectivités territoriales ont, en effet, bénéficié des transferts prévus par les lois de décentralisation, dans le cadre plus général d'un mouvement engagé dès le XIXème siècle.
Concernant la question des indicateurs, l'approche fondée sur les politiques prioritaires du Gouvernement (PPG) se fait, compte tenu du nombre de politiques que les préfets doivent gérer, au détriment d'autres domaines qui ne sont pas identifiés comme prioritaires. Par ailleurs, certains objectifs, tels que le développement des pistes cyclables ou certaines mesures en matière de justice, relèvent davantage des compétences locales que de celles de l'État, rendant leur suivi par les préfets plus délicat.
Les services déconcentrés disposent déjà d'objectifs chiffrés, ce qui semble être un modèle plus adapté, dans la mesure où la gestion d'un périmètre plus restreint facilite un suivi efficace.
Il convient également de rappeler que les préfets sont régulièrement évalués par le Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE) et font également l'objet d'une notation par les préfets de région. Les préfets agissent dans une prison de verre, observés de toute part par les élus, les ministères, leurs propres services.
Dès lors, la question se pose : faut-il réduire le nombre d'objectifs ? Il est indéniable que les indicateurs chiffrés ont un effet mobilisateur, mais, sur le long terme, ils peuvent conduire à négliger d'autres compétences pourtant essentielles. L'idée d'une participation collective à l'élaboration des indicateurs est intéressante, mais je reste sceptique, ayant observé différentes versions de ces dispositifs au fil du temps.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie de ces apports à cette commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef)
M. Pierre Barros, président. - Notre commission d'enquête procédera cette semaine, et avant d'entamer une série d'auditions thématiques regroupées par politiques publiques, à des auditions transversales, afin de bénéficier du point de vue de différents acteurs : entreprises, syndicats de la fonction publique, secrétaire générale du Gouvernement. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) est représenté par son vice-président, M. Samuel Tual. D'autres organisations représentatives des entreprises alimenteront nos travaux au moyen de contributions écrites.
Si notre commission d'enquête est née des débats sur la place et le rôle des agences, il convient en revanche d'éviter une approche schématique sur le coût brut de ces dernières : les supprimer ne produirait pas magiquement des économies. La première question est celle de l'organisation de l'État. Ce dernier a cherché, à compter des années 1980, à se recentrer sur un rôle de stratège pour certaines politiques publiques, sur un rôle de stratège en délégant à des agences la mise en oeuvre de ces politiques.
Les entreprises entretiennent de nombreux rapports avec l'État et ses agences, avec les marchés ou aides publiques et via leur participation à l'élaboration de normes. Votre point de vue sur la multiplication des agences au cours des dernières décennies nous sera utile : ces dernières permettent-elles à une entreprise d'identifier plus facilement un interlocuteur dans l'administration, ou participent-elles au contraire à un éclatement des compétences qui rendrait toute concertation plus difficile ?
Monsieur Tual, votre mouvement est intervenu le 14 février dernier afin que le Gouvernement renonce au projet de fusion entre Atout France et Business France, en plaidant pour le maintien d'un pilotage partagé entre l'État et les entreprises au sein d'Atout France. Or, au cours de l'une des auditions de Madame le rapporteur Christine Lavarde, les centres techniques industriels (CTI) ont plaidé pour ce même mode de gouvernance, qui s'applique également à eux mais sous une forme différente. Quels sont les avantages de ce mode de pilotage des agences ou organismes para-publics ?
Avant de laisser la parole à M. Tual pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Samuel Tual prête serment.
M. Samuel Tual, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef). - Cette audition s'inscrit dans un contexte particulier : celui d'un pays qui connaît actuellement une croissance faible, de nombreuses défaillances d'entreprises et les destructions d'emplois qu'elles emportent. Le monde économique souffre en outre d'un manque de visibilité et d'une grande instabilité, aux niveaux national et international.
Les entreprises créent la richesse. Elles financent notre modèle social, investissent, innovent et financent les transitions. La question est de savoir si les agences et les opérateurs encouragent, facilitent, aident ou au contraire empêchent, contraignent et sanctionnent. Elle est de savoir s'ils contribuent à la lisibilité des politiques publiques ou s'ils complexifient et démantèlent l'action publique.
Le Medef est attaché à une croissance responsable. Cette dernière doit prendre en compte des enjeux d'attractivité du pays ainsi que de compétitivité pour les entreprises. De notre point de vue, le budget pour l'année 2025, portant 13 milliards de fiscalité supplémentaires sur les entreprises françaises, pénalise celles-ci, qu'il s'agisse des très petites entreprises (TPE) ou de grandes entreprises, mais également l'emploi. Il représente une menace pour l'attractivité de la France, notamment en remettant en cause l'alignement de la fiscalité sur l'industrie sur la moyenne européenne. Parmi les signaux négatifs, nous identifions notamment la surtaxe de l'impôt sur les sociétés, estimée à 8 milliards d'euros, aboutissant à un taux d'impôt sur les sociétés qui s'élève à plus de 35 %, ainsi que la suspension de la baisse de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Le Medef estime que l'ajustement budgétaire doit plutôt et avant tout porter sur la baisse des dépenses publiques, qui représentent 57 % du produit intérieur brut (PIB), et du déficit budgétaire de la France, qui devrait dépasser 6 % du PIB en 2024. L'accroissement de l'endettement public, qui atteint 113 % du PIB soit plus de 3 000 milliards d'euros, nous inquiète. Depuis 1997, année de référence pour valider l'entrée en zone euro, la dette française a augmenté de 50 points de PIB, contre 15 points de PIB en moyenne en Europe.
Ainsi, la rationalisation des dépenses de l'État est un gisement inépuisable d'économie et d'efficience en matière d'action publique. Un État mieux géré est un État par nature moins coûteux. Comment le pays qui aujourd'hui est le plus dépensier au monde peut-il manquer de moyens dans ses services publics ? L'accroissement continu des budgets alloués aux services publics a eu pour effet, selon nous, de les exonérer d'efforts de gestion. Les comparaisons internationales nous montrent que nous leur accordons davantage de moyens que dans d'autres pays, alors que nous obtenons en contrepartie de moins bons résultats. L'exemple le plus parlant est peut-être celui de la santé. La France se situe au troisième rang, sur 49 pays, en matière de dépenses de santé rapportées au PIB. Elle est pourtant confrontée à des problèmes d'urgences saturées, de déserts médicaux, de pénuries de médecins spécialisés, et de crises chroniques de l'hôpital. Nous ne sommes enfin qu'au onzième rang en matière d'espérance de vie.
Cette commission d'enquête cible un sujet qui nous apparaît fondamental : la question du rôle du fonctionnement et du coût des opérateurs de l'État. Il y a urgence à trouver les voies et moyens visant à diminuer la dépense publique et renforcer l'efficience de l'action publique. S'agissant du nombre d'agences, nous comptons aujourd'hui 103 agences autonomes et 434 opérateurs, contre 649 en 2008. En parallèle, nous constatons une augmentation des coûts de plus de 60 % en 6 ans, passant de 51 milliards d'euros à 80 milliards d'euros en 2024. Il y a également 317 organismes consultatifs, les comités dits « Théodule », qui rendent des avis pour un coût de 34 millions d'euros. Certes, les opérateurs sont moins nombreux aujourd'hui, mais les budgets qui leur sont alloués augmentent, les budgets de fonctionnement, en particulier, mais également la dépense d'intervention. Face à de telles évolutions, il est légitime de se poser la question de l'utilité de ces opérateurs, et d'identifier d'éventuels doublons.
L'attribution à des agences de nombreuses missions contribue aujourd'hui à un démembrement progressif de l'État. Cette dynamique affaiblit le fonctionnement et la crédibilité de ce dernier. Elle génère une forme d'émiettement des responsabilités. Les entreprises sont confrontées à la multiplicité des acteurs étatiques, dans un contexte où les guides et lignes directrices se multiplient. Pour ces raisons, nous estimons nécessaire un signal politique fort, visant à démontrer que les opérateurs contribuent réellement à l'effort de baisse des dépenses publiques et à clarifier le maquis des structures publiques qui gravitent autour de l'État.
En matière de simplification, les entreprises attendent plus de visibilité, moins de reporting, et plus de souplesse. La simplification est au coeur des attentes des entreprises, qui doivent aujourd'hui jongler entre de multiples difficultés : délais administratifs importants, notamment en matière industrielle et d'urbanisme, redondance des informations demandées en matière d'obligations relatives à la communication de données, manque de clarté dans les textes et difficultés d'identification du bon interlocuteur au sein de l'administration. 74 % des entrepreneurs estiment que cette complexité est chronophage, et représente un coût financier important. La moitié d'entre eux déclarent faire appel à des prestataires de services pour interagir avec les différentes entités publiques. Les entreprises consacrent en moyenne 8 heures par semaine aux tâches administratives, plutôt qu'à leur coeur de métier. Cette complexité a un coût, estimé à 80 milliards d'euros.
Le double système administration traditionnelle-agences crée beaucoup d'incertitudes autour des politiques et des décisions publiques. Il apparaît en définitive structurellement plus coûteux que la gestion administrative classique, et provoque une dilution de la responsabilité publique. Nous en trouvons un exemple une fois de plus en matière de santé, en particulier pendant la pandémie de Covid-19. Qui était en responsabilité lorsque la question du manque de tests, de masques et de médicaments s'est posée : la direction générale de la santé (DGS), le ministère, le conseil scientifique, Santé Publique France, la Haute Autorité de santé (HAS), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la Conférence nationale de la santé (CNS), le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, ou l'Agence régionale de santé (ARS) ?
La régulation par l'État du coût des agences fait défaut. Chacune d'entre elles, après leur installation, détient son propre budget de fonctionnement, sa propre gestion de ressources humaines et sa propre comptabilité, ce qui renchérit énormément leur coût marginal, en particulier pour les plus petites. En outre, selon la Cour des comptes, seules 21 % d'entre elles ont conclu un contrat de performance.
Ce système favorise enfin l'inflation normative et nourrit la complexité administrative, puisque chacune de ces agences définit les règles et les notices de leur plan d'action et demande aux entreprises de s'identifier en complétant divers documents.
En conclusion, il y a un enjeu d'économies budgétaires, d'efficience de l'action, de création de normes et de lisibilité pour les entreprises. Quand une entreprise veut investir, il lui faut savoir à qui s'adresser.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce qui vous apparaît problématique en matière de coût des agences et opérateurs ? Avez-vous le sentiment que les huit heures consacrées chaque semaine par les entreprises aux tâches administratives seraient diminuées si toutes les agences étaient supprimées au profit de services administratifs classiques tels que les préfectures ? Enfin, pouvez-vous illustrer le fait que les agences contribuent à l'inflation normative ?
M. Samuel Tual. - C'est le coût de fonctionnement des agences qui nous apparaît, en particulier, problématique. Si le coût des structures les plus importantes peut se justifier, la gestion administrative des plus petites, et la dispersion des moyens que cela implique, fait défaut. Nous soulignons à ce titre l'importance des contrats de performance, mentionnés par la Cour des comptes, afin de pouvoir régulièrement réinterroger les moyens déployés pour le financement de ces structures vis-à-vis de leur utilité et de leur champ d'action.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous pouvons distinguer trois blocs de dépenses : les crédits d'intervention ; les dépenses de ressources humaines, qui subsisteraient en dépit de la suppression de l'agence dès lors que la politique d'intervention est maintenue ; et les dépenses de fonctionnement pur de la structure. Ces dépenses de fonctionnement peuvent être faibles, au regard des missions assignées à certaines agences, notamment en matière de soutien public aux entreprises. Que les bureaux appartiennent à l'agence ou au ministère, il faut bien les payer. Pouvez-vous aller plus loin et nous citer une intervention publique qui n'aurait pas lieu d'être, ce qui permettrait de supprimer à la fois les crédits d'intervention et les dépenses de fonctionnement afférents ?
M. Samuel Tual. - En ce qui concerne la question des coûts, nous constatons que, bien que le nombre d'agences ait diminué, les coûts des opérateurs ont, quant à eux, augmenté de plus de 60 % en dix ans.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il s'agit ici des coûts liés aux crédits d'intervention. Nous souhaiterions toutefois nous concentrer sur le coût intrinsèque lié à l'existence même d'une agence : par exemple, les agents coûtent-ils plus cher en agence que dans l'administration centrale ?
M. Samuel Tual. - Nous ne remettons nullement en question la légitimité des crédits d'intervention, qui s'inscrivent dans le cadre de politiques publiques visant à accompagner les projets. La difficulté majeure réside cependant dans la prolifération des dispositifs mis en place par différentes agences, avec des missions parfois mal définies et des chevauchements entre organismes. Cette situation complexifie les démarches et entrave la mise en oeuvre efficace des crédits d'intervention.
À titre d'exemple, le budget des agences de l'eau, dont la gouvernance est bien structurée et au sein desquelles le Medef est impliqué, demeure partiellement inutilisé chaque année. Cela s'explique notamment par le manque d'information des entreprises sur les aides auxquelles elles peuvent prétendre.
Nous constatons un déficit de lisibilité des dispositifs existants. Certaines agences, à l'instar de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), proposent jusqu'à 115 dispositifs, portant des financements variables. Une simplification est nécessaire afin de rationaliser leur utilisation et de mieux orienter les financements vers des investissements structurants. L'organisation actuelle génère une complexité qui nuit à l'efficacité du dispositif.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cet ensemble de 115 dispositifs résulte-t-il de l'existence même de l'Ademe ou plutôt de l'organisation de l'État ? L'Ademe agit en effet en tant que délégataire de crédits pour le compte de plusieurs ministères, chacun appliquant sa propre logique. Si la seconde hypothèse prévaut, alors la suppression de l'Ademe ne changerait pas le nombre de dispositifs, ceux-ci seraient simplement portés par d'autres acteurs.
Il est essentiel de distinguer ce qui relève de la complexité inhérente à l'organisation de l'État et ce qui découle du fait que ces dispositifs soient gérés par une agence spécifique. Si vous estimez qu'un recentrage de l'ensemble de ces actions au sein des ministères permettrait un meilleur fonctionnement ou que certaines missions de ces agences pourraient être confiées à d'autres collectivités, nous aimerions disposer d'exemples concrets des sources de complexité que vous identifiez.
Vous mentionnez le fait que le budget de l'Agence de l'eau n'est pas intégralement consommé en raison d'un manque d'information des entreprises sur les dispositifs d'accompagnement disponibles. Est-ce réellement la conséquence d'une communication insuffisante de la part des agences ? Ne pouvez-vous pas transmettre vous-même l'information ? Cette situation illustre, le cas échéant, la nécessité de proposer des solutions pour rendre l'action publique plus efficace.
M. Samuel Tual. - Le Medef ne plaide pas pour la suppression de l'Ademe, malgré l'existence de ses 115 dispositifs. L'agence a su trouver sa place dans le paysage institutionnel. Notre collaboration avec elle permet une meilleure compréhension de ses missions et de ses capacités d'action. Ce n'est donc pas le fonctionnement de l'Ademe qui pose problème en soi, mais bien la complexité liée à la diversité des aides et interventions proposées.
À cet égard, nous observons que la présence des acteurs économiques au sein des conseils d'administration et des instances de gouvernance des agences contribue à un meilleur ancrage territorial et à une mise en oeuvre responsable des projets, sans entraver ni pénaliser les entreprises. Il nous semble donc essentiel de renforcer le rôle du Medef aux côtés de ces organismes.
Notre organisation propose également de regrouper des structures aux missions similaires, d'en décentraliser ou privatiser certaines, et d'en supprimer d'autres.
Concernant les fusions, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Ademe interviennent tous dans le domaine de la transition écologique, ce qui soulève des questions sur la répartition de leurs compétences. Par ailleurs, certaines de ces agences cumulent des missions aux natures distinctes, allant du conseil à la régulation, voire à la sanction. Cette polyvalence peut engendrer des risques de conflits d'intérêts et nuire à la cohérence ainsi qu'à la lisibilité de leur action.
Un constat similaire s'applique à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et à FranceAgriMer, qui opèrent sur des champs d'intervention communs. De même, dans le domaine spatial, plusieurs structures, dont l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE-Supaéro), le musée de l'Air et de l'Espace, le Centre national d'études spatiales (CNES), présentent des périmètres d'intervention proches.
Enfin, s'agissant des efforts budgétaires, rappelons qu'une réduction progressive de 4 % par an pendant cinq ans des dotations de l'État aux opérateurs publics permettrait de générer une économie de 8 milliards d'euros, soit l'équivalent de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés demandée aux entreprises par le gouvernement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Une réduction de 4 % des dotations de l'État reviendrait à supprimer des politiques publiques qui bénéficient directement au tissu économique local, comme le Fonds chaleur ou le Fonds économie circulaire. Cela nous ramène à la distinction entre le budget de fonctionnement et les politiques publiques elles-mêmes. Ne risque-t-on pas de générer des effets de bord préjudiciables à l'activité économique en imposant une diminution franche du budget des opérateurs ? Pensez-vous que le secteur privé serait en mesure d'assumer ces missions de manière plus efficace et autonome ?
M. Christian Bilhac. - En effet, ne redoutez-vous pas qu'un rabot de 4 % affecte principalement les crédits d'intervention, tandis que les dépenses administratives demeurent inchangées ?
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Nous partageons tous la volonté d'identifier et de supprimer les agences et politiques publiques obsolètes ou inefficaces. Mon propos n'est pourtant pas de tenir un discours général sur le coût des agences, qui, lorsqu'on analyse les chiffres, se révèle infondé.
Concernant le rapprochement entre Business France et Atout France, auquel vous vous étiez pourtant opposé, j'aimerais disposer d'éléments concrets permettant d'orienter utilement notre réflexion. Plus précisément, dans le domaine économique, pourriez-vous citer des agences dont la suppression vous semblerait prioritaire, faute d'une réelle valeur ajoutée ?
M. Samuel Tual. - Concernant la réduction budgétaire de 4 %, il existe effectivement un risque que l'effort porte essentiellement sur les crédits d'intervention, par souci de facilité, plutôt que sur les dépenses structurelles. Il est toutefois aujourd'hui nécessaire d'engager un effort budgétaire ciblé.
Il est également impératif de revoir les doublons et chevauchements entre les différentes agences, tant sur leurs missions que sur leurs domaines d'intervention. J'ai déjà cité plusieurs exemples d'agences intervenant sur des champs de compétence similaires. L'objectif n'est pas tant de supprimer que de rapprocher ces structures afin de réaliser des économies de fonctionnement et d'améliorer leur lisibilité.
Un autre point majeur concerne l'articulation avec les services de l'État dans les territoires et les compétences attribuées aux collectivités. En matière d'urbanisme, par exemple, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et la direction départementale des territoires (DDT) interviennent sur des problématiques similaires, ce qui peut être source de confusion pour les entrepreneurs. En tant qu'ancien président du Medef régional des Pays-de-la-Loire, j'ai pu constater que le représentant de l'État perd parfois le contrôle sur certaines agences, parce qu'elles sont autonomes ou rattachées directement à l'administration centrale. Lorsqu'il s'agit de prendre des décisions stratégiques, il y a un véritable flou quant à la répartition des responsabilités. Le préfet doit être en mesure d'arbitrer les blocages éventuels et de s'assurer du bon déploiement des politiques publiques sur son territoire.
À l'origine, chaque agence a été créée pour répondre à un besoin précis, mais l'accumulation progressive de nouvelles entités a conduit à un empilement administratif. Nous devons éviter la multiplication de structures qui échappent à tout contrôle.
Nous entretenons, à titre d'exemple, d'excellentes relations avec l'Office français de la biodiversité (OFB) au niveau national, mais la complexité réside dans la gestion locale. La présence de 1 700 agents chargés des contrôles et des sanctions soulève des questions quant à l'harmonisation de leurs actions avec la réalité économique des territoires.
La tentation est grande de transférer certaines missions aux collectivités, mais nous émettons des réserves sur ce point. Les missions de l'État doivent rester clairement identifiées et ne pas être diluées. Les collectivités ont leurs propres compétences, et nous sommes attachés au principe d'une gouvernance quadripartite associant l'État, les collectivités, les organisations syndicales et patronales pour garantir une gestion cohérente des territoires.
Certaines agences pourraient sortir du giron public. Nous estimons que la privatisation de certaines structures, telles que l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), Météo France et le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), permettrait de réaliser jusqu'à 4 milliards d'euros d'économies.
Enfin, il faut rappeler que le projet Cap 22, lancé en 2018 par le gouvernement, visait précisément à moderniser l'action publique et à éviter les dépenses inutiles. Ce plan, qui prévoyait 20 milliards d'euros d'économies, n'a jamais été appliqué. Votre audition aujourd'hui s'inscrit pleinement dans la continuité de cette réflexion sur la rationalisation des politiques publiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai moi-même été membre de Cap 2022, ce projet n'a toutefois jamais été voté. Aujourd'hui, nous repartons de zéro, car les propositions de l'époque ne sont plus directement applicables.
Vous semblez privilégier un modèle où l'accès à certains services serait payant, comme dans l'exemple de Météo France. Or, certains établissements publics, comme l''Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), fonctionnent avec des fonds publics et mettent gratuitement à disposition des données cartographiques. Ce modèle rencontre aujourd'hui des difficultés financières, notamment avec la politique de l'open data, qui remet en question sa soutenabilité économique.
Si demain cet opérateur venait à être privatisé, les citoyens et les entreprises devraient s'acquitter d'un coût pour accéder aux services de cartographie. Souhaitez-vous privilégier un modèle fondé sur le paiement à l'usage, où chacun paierait pour les services dont il a besoin, plutôt qu'un système socialisé, où l'État finance et met ces services à disposition pour tous ?
M. Samuel Tual. - Je ne suis pas certain que l'exemple de Météo France soit le plus pertinent. Aujourd'hui, bien que ce service soit public, il ne dispense pas les acteurs économiques d'acheter des données auprès d'opérateurs privés. Actuellement, les données météorologiques américaines sont souvent considérées comme plus fiables, car leur méthode de captation diffère de la nôtre. Les données françaises sont accessibles gratuitement, mais la qualité n'en est pas moins perfectible.
M. Hervé Maurey. - Je souhaite revenir sur le cas de l'Ademe. Il s'agit d'une structure utile à vos yeux, qui coexiste avec de nombreuses autres structures également jugées utiles. Or, cette prolifération entraîne une complexité administrative ainsi que des coûts supplémentaires.
Si l'on suit votre raisonnement jusqu'au bout, que doit-on en conclure ? Faut-il envisager la suppression de l'Ademe, bien qu'elle soit reconnue pour son rôle ? Doit-on remettre en question les services de l'État, alors même que vous déplorez la perte de contrôle du préfet ? Faut-il revenir sur la décentralisation et les compétences des régions ? Nous faisons tous le constat d'un empilement administratif, où le nombre d'intervenants autour d'une table pourrait être divisé par deux. Mais au-delà de ce constat, quelle solution proposez-vous ?
M. Samuel Tual. - Nous participons activement à la gouvernance de l'Ademe, et nous reconnaissons que son action, notamment en matière de pédagogie auprès des acteurs économiques, a été particulièrement bien menée. Il serait regrettable de revenir en arrière. La suppression de l'Ademe n'est pas une option, mais il est nécessaire de renforcer et clarifier ses missions afin d'éviter que d'autres structures de l'État ne traitent de sujets similaires.
M. Hervé Maurey. - La difficulté vient du fait que, même si l'Ademe accomplit correctement sa mission, les dossiers qu'elle instruit doivent souvent être validés par les services de l'État et de la région. Ce morcellement administratif suggère qu'il existe des marges d'économie substantielles à explorer.
M. Samuel Tual - Il est en effet nécessaire de procéder à un détourage précis des missions de chaque entité pour éviter les redondances. L'usage du contrat de performance pourrait être renforcé pour permettre une évaluation plus rigoureuse des politiques menées.
Mme Solanges Nadille. - Vous avez évoqué des disparités territoriales. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par cette expression, par rapport aux agences ?
M. Samuel Tual. - Le défi de la décentralisation réside dans l'identification des moyens permettant d'assurer une application homogène d'une politique nationale sur l'ensemble du territoire. Nous plaidons pour la désignation d'un référent territorial chargé de garantir l'unité d'action et d'éviter des interprétations divergentes des orientations nationales.
Un exemple concret est celui de l'OFB, où certaines antennes locales bénéficient d'une forte autonomie. Dans certains cas, elles s'écartent du cadre des politiques publiques, adoptant des postures discutables qui fragilisent la lisibilité de l'action publique sur le terrain.
M. Pierre Barros, président. - Quelle est votre position concernant Atout France et Business France ?
M. Samuel Tual. - Ce sont deux structures aux missions essentielles, mais elles répondent à des logiques distinctes. Nous ne sommes pas favorables à une fusion, cela risquerait de fragiliser leur action et de réduire leur efficacité respective.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous des pistes d'amélioration pour optimiser leur accompagnement des entreprises à l'étranger ?
M. Samuel Tual. - Il s'agit ici d'assurer la complémentarité des interventions en fonction des types d'entreprises et des secteurs d'activité. L'objectif n'est pas de réduire les actions menées, mais de mieux coordonner les efforts. D'autres acteurs interviennent déjà dans ce domaine, notamment les ambassadeurs, les missions économiques et les chambres de commerce internationales, qui ont pour mission de soutenir l'activité économique française à l'étranger. Une meilleure coordination entre ces différentes structures permettrait de renforcer le rayonnement des entreprises françaises à l'export.
Concernant les comités dits « Théodule », nous avons identifié 317 instances consultatives ou délibératives à ce jour, représentant un coût total de 34 millions d'euros. Une approche pragmatique pour évaluer leur utilité consiste à examiner celles qui ne se sont pas réunies depuis six mois. Sur 300 comités, 30 n'ont pas tenu de réunion récente. Par exemple, le comité d'experts sur la gestion adaptative ne se réunit actuellement plus. Il s'agit de structures conçues pour formuler des avis spécifiques, mais leur rôle devient discutable lorsqu'elles ne sont sollicitées qu'en cas de recours exceptionnel.
Un autre axe d'analyse concerne les comités qui ne sont peu ou jamais consultés. À titre d'exemple, la commission d'arbitrage relative à la perception de la taxe fiscale sur les spectacles existe, mais les décisions en la matière sont prises sans qu'elle soit systématiquement mobilisée.
L'enjeu est donc d'identifier clairement les comités réellement actifs et utiles, et par défaut, de supprimer ceux qui ne se réunissent plus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'examen au Sénat de la proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » a révélé que l'absence de réunions ne signifie pas forcément qu'un comité n'a pas de défenseur. Seriez-vous prêt à nous fournir une liste des comités dont la suppression ne poserait aucune difficulté, sachant qu'un comité qui ne se réunit pas ne coûte rien ?
M. Hervé Reynaud. - J'ai été rapporteur de la proposition de loi sur les comités dits « Théodule ». Sur le terrain, qu'il s'agisse des élus ou des entreprises, le consensus général semble être en faveur de leur suppression. Initialement, j'étais particulièrement enthousiaste à l'idée de réduire ces dépenses. Cependant, j'ai rapidement été confronté à une réalité plus nuancée : certains comités se réunissent peu, ne génèrent pas de coût significatif, mais remplissent une fonction essentielle lorsqu'un arbitrage est nécessaire.
Ces comités constituent des corps intermédiaires qui assurent un lien indispensable avec les acteurs de terrain. J'ai ainsi été sollicité par la délégation aux entreprises et la commission des affaires économiques du Sénat, qui ont plaidé pour le maintien de plusieurs de ces instances. Après analyse, il est apparu que certains comités, bien que peu actifs, conservent une utilité stratégique et permettent d'éclairer les décisions ministérielles.
Les principaux coûts de fonctionnement liés au démembrement de l'État, examinés par notre commission d'enquête, ne se situent pas au niveau de ces 317 comités. Quelques suppressions ont été effectuées, et il faut poursuivre cette démarche de rationalisation. Toutefois, je crains que l'on consacre beaucoup de temps à un sujet qui, en définitive, ne simplifie pas réellement les démarches administratives et risque même d'affaiblir l'écoute du terrain sans générer les économies attendues.
De nombreux interlocuteurs sur le terrain estiment que ces instances alourdissent le fonctionnement administratif. Il faut faire preuve de discernement. L'enjeu est d'identifier les structures véritablement inutiles afin de dégager des économies réelles, tout en garantissant un meilleur fonctionnement institutionnel. Nous devons nous appuyer, à cet égard, non pas sur des impressions mais sur des données tangibles.
M. Samuel Tual. - Je partage votre analyse. Dans mon propos introductif, j'avais d'abord une approche budgétaire. Si ces comités ne génèrent pas de coût significatif, alors l'enjeu est moindre.
Il n'en demeure pas moins que certains comités posent question : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI), le Conseil stratégique de la recherche (CSR) ou encore le Comité de normalisation des données sociales et de leurs échanges. Ces instances doivent être créées pour une durée déterminée, et réévaluées à intervalles réguliers. Si, à l'issue de cette période, leur utilité n'est plus avérée, il conviendrait de les supprimer. D'autres comités, bien que ne se réunissant que rarement, conservent une importance stratégique sur des enjeux spécifiques.
Plus généralement, la question posée par les agences est celle de l'organisation de la gouvernance : qui incite et qui encourage ? Qui instruit les dossiers et facilite leur mise en oeuvre ? Qui contrôle et qui arbitre en cas de difficulté ? Aujourd'hui, au-delà des missions confiées aux agences, certaines d'entre elles cumulent des activités multiples, ce qui peut générer des conflits d'intérêts potentiels.
Je tiens à préciser que je ne représente pas une organisation en quête de subventions ou d'aides publiques. Notre ambition est d'innover, de développer nos activités et de bénéficier d'un cadre juridique clair. Nous revendiquons une liberté et de la sécurité juridique.
Dans un contexte de compétitivité accrue, certaines transitions économiques et écologiques sont difficiles à financer en comparaison avec nos concurrents étrangers. Un accompagnement ciblé, sous forme d'incitations ponctuelles, peut nous permettre d'accélérer ces transitions. À titre d'exemple, les entreprises françaises n'ont pas les moyens de financer, seules, les 40 milliards d'euros nécessités par de telles transitions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vendredi, nous avons auditionné les centres techniques industriels (CTI) et les comités professionnels de développement économique (CPDE). Pensez-vous qu'il soit pertinent de maintenir ces organismes, ou ne serait-il pas plus logique que ces outils soient directement internalisés par les organisations professionnelles de filières ?
M. Samuel Tual. - Concernant les CTI, ces structures fonctionnent dans le cadre de contrats de performance, ce qui garantit un suivi et des ajustements en temps réel. Ce modèle s'avère efficace, car il permet d'adapter les engagements et les objectifs en fonction des besoins des entreprises et des évolutions du marché. Les derniers contrats ont été renégociés en 2024. Nous sommes donc confortés dans notre relation avec ces structures, qui répondent efficacement aux attentes du monde économique. Le taux de satisfaction des entreprises atteignant 80 % témoigne de leur utilité et de leur pertinence.
M. Pierre Barros, président. - Le fait que vous confirmiez le bon fonctionnement de ces structures constitue déjà un élément précieux pour nourrir notre réflexion.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim d'Atout France, MM. Jean-Yves Caminade, directeur financier, Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation, et Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles de Bpifrance, et Benoît Trivulce, directeur général par intérim de Business France
M. Pierre Barros, président. - Après avoir reçu le Medef à l'instant, nous poursuivons cet après-midi consacré aux entreprises avec trois structures qui, à des titres différents, agissent en soutien à celles-ci.
Vos trois organismes, madame, messieurs, sont de natures diverses et vous pourrez nous dire de quelle manière vous considérez qu'ils relèvent, en tout ou en partie, de la catégorie des agences ou opérateurs de l'État.
Business France est un établissement public créé en 2015, opérateur du ministère de l'économie. Il emploie environ 1 400 personnes et a notamment pour mission de favoriser le développement international des entreprises françaises et de promouvoir l'attractivité économique de la France. Il est représenté ici par M. Benoît Trivulce, directeur général par intérim.
Atout France est également un opérateur du ministère de l'économie, mais son statut est, de manière plus originale, un groupement d'intérêt économique (GIE), qui associe les professionnels du secteur du tourisme. Il est représenté par Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim.
Bpifrance est une banque publique d'investissement, créée en 2013 par la fusion d'OSEO, de CDC Entreprises et du fonds stratégique d'investissement, avant d'absorber l'activité de garantie publique à l'assurance export de la Coface. Ce n'est pas un opérateur au sens budgétaire, mais c'est un établissement public classé parmi les organismes divers d'administration centrale (Odac). Il est représenté par MM. Jean-Yves Caminade, directeur financier, et Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation.
Notre commission d'enquête s'inscrit dans les débats relatifs au rôle des agences et opérateurs, c'est-à-dire des structures qui assurent la mise en oeuvre de politiques publiques pour le compte de l'État tout en conservant une certaine autonomie. Nous cherchons à comprendre dans quel cas leur existence apporte une plus grande efficacité, et dans quel cas des réformes pourraient être engagées.
Les nombreuses commissions consultatives font aussi partie du périmètre de notre commission d'enquête : dans quelle mesure permettent-elles aux différents acteurs de mieux se faire entendre ? Certaines d'entre elles devraient-elles être réformées ou supprimées pour réduire les délais ou faciliter les procédures ?
De manière générale, de quelle manière s'organise le soutien aux entreprises par vos organismes ? Considérez-vous que la répartition des rôles est satisfaisante, non seulement entre vos organismes, mais aussi avec les administrations centrales ?
Bien entendu, vous serez amenés à commenter les propos du précédent Premier ministre, Michel Barnier, qui dans son discours de politique générale du 1er octobre dernier a cité explicitement Business France et Atout France comme opérateurs à mutualiser ou regrouper. S'agissait-il d'une annonce concertée avec vous, d'un projet bien avancé, d'une simple idée à creuser ? Quels sont les derniers signaux que vous recevez de la part du Gouvernement actuel à ce sujet ?
Je vais vous laisser la parole pour un propos introductif, dans l'ordre suivant : Busines France, Atout France, Bpifrance. Avant cela, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Benoît Trivulce, Mme Rose-Marie Abel, M. Jean-Yves Caminade et M. Paul-François Fournier prêtent serment.
M. Benoît Trivulce, directeur général par intérim de Business France. -Business France est un opérateur centenaire qui met en oeuvre une politique publique en vue d'assurer le développement international des territoires, de l'économie française et des entreprises. L'Agence a été fondée en 1923, avec la création du Comité permanent des foires à l'étranger (CPFE). Nous continuons à monter à peu près 110 pavillons à l'étranger tous les ans pour environ 4 000 entreprises. Un pavillon français est un moment politique, un moment économique, un moment commercial, un moment de rayonnement et un moment d'attractivité. Régulièrement, sur les gros pavillons que nous organisons, des ministres viennent défendre l'attractivité de la France. C'est donc un moment qui dépasse le simple aspect commercial.
Les pavillons ont bien évidemment été modernisés. On retrouve aussi bien Choose France que la Marianne. Nous avons aussi digitalisé l'offre, avec treize marketplaces qui sont des outils numériques sur lesquels des entreprises françaises peuvent présenter leurs produits. À peu près 1 000 entreprises y sont exposées. Nous amenons également systématiquement des donneurs d'ordre sur les pavillons.
L'histoire de Business France commence donc il y a 102 ans, en 1923. Puis ont lieu des séries de fusions qui correspondent à des stratégies de l'État.
En 1997, le Comité français des manifestations économiques à l'étranger (CFME), héritier du CPFE, a fusionné avec l'Agence pour la coopération technique, industrielle et économique (Actim). Nous continuons d'ailleurs à gérer le programme des volontaires internationaux en entreprise. À l'époque, nous avions 3 000 volontaires, contre 12 000 aujourd'hui, présents dans environ 130 ou 140 pays. Ces talents de demain à l'international sont constitués à 43 % de jeunes femmes.
En 2008, l'État a décidé de fusionner les deux entités précédentes avec le Centre français du commerce extérieur (CFCE). Les équipes qui travaillaient dans l'appui aux entreprises ont été transférées directement à l'opérateur, qui a pris le nom d'Ubifrance, pour exercer ce qu'on appelle le pôle conseil.
La quatrième fusion est intervenue en 2015, avec la création de Business France. On a décidé de fusionner les métiers de l'export - le conseil, les pavillons, le volontariat international en entreprise (VIE) - avec l'investissement, considérant que l'attractivité et l'appui aux entreprises, aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) étaient les deux faces d'une même médaille : celle de la compétitivité. On en a profité aussi pour transférer à Business France les missions exercées par la Sopexa (Société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires) dans le cadre d'une délégation de services publics.
Enfin, en 2017, ont été mises en place les Équipes de France ou Team France : les opérateurs comme Bpifrance, CCI France, Business France se sont mis à travailler ensemble, particulièrement dans les territoires, pour pratiquer un « porte-à-porte de masse » - pour reprendre l'expression du directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq - et inciter les entreprises à aller à l'international.
L'État, les régions et les entreprises ont donc à leur disposition un opérateur spécialisé à l'international afin de mettre en oeuvre un certain nombre de politiques. Aujourd'hui, cet opérateur est piloté, utile, nécessaire et rigoureux.
Il est piloté, d'abord, parce que nous travaillons dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) - c'est prévu dans notre statut. Nous avons signé un COM en 2012, un contrat de performance en 2015 et 2017, et un nouveau contrat en 2023. Le dernier contrat contient neuf objectifs stratégiques avec trente-deux indicateurs pour le mesurer. Il se résume autour de deux grandes idées : France 2030 et Impact 2030.
Le pilotage se fait aussi par la gouvernance. Notre conseil d'administration est composé de cinq chefs d'entreprise, certains représentant d'ailleurs les conseillers du commerce extérieur de la France. Le président de CCI France est aussi membre du conseil d'administration, ainsi que trois présidents de région, deux élus - un représentant du Sénat et un représentant de l'Assemblée nationale -, trois représentants des salariés, trois représentants de l'État et deux commissaires du Gouvernement.
Cette semaine résume bien toutes nos activités : j'ai participé à un comité d'audit hier et j'assisterai demain à un conseil d'administration au cours duquel seront présentés nos comptes, certifiés par des commissaires aux comptes. C'est là que se joue une partie de la discussion et de la réflexion sur la stratégie de l'agence. Nous rendons des comptes assez régulièrement.
Dans le cadre du COM, il existe quatre indicateurs stratégiques : tous les mois, nous rapportons à nos trois tutelles techniques notre activité, le nombre d'entreprises qui partent à l'étranger, le nombre de projets identifiés, le nombre de VIE avec lesquels nous travaillons. Nous transmettons aussi ces informations aux exécutifs régionaux, qui nous confient souvent des programmes. Depuis la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les régions sont évidemment à l'avant-garde en matière de développement économique international.
Nous travaillons également avec les préfets, particulièrement dans le domaine des investissements étrangers. Nous rendons enfin des comptes de manière positive et constructive à nos partenaires, notamment les agences régionales de développement (ARD), que nous réunissons tous les vendredis dans un comité d'orientation et de suivi des projets étrangers (Cospe). Nous leur présentons alors les projets d'investisseurs étrangers qui ont été détectés afin qu'elles puissent les analyser et faire des propositions.
Nous travaillons aussi avec les chambres de commerce en région. Nous disposons actuellement d'une équipe conjointe de 200 commerciaux qui vont sur le terrain à la rencontre des entreprises. Nous avons mis en place un outil de gestion de la relation client ou CRM (Customer Relationship Management), qui permet de diffuser de l'information sur les entreprises que nous avons rencontrées en indiquant les performances de chacune. Évidemment, d'autres dispositifs existent, comme le système d'information sur les agents des services publics (Siasp) ou les rapports de la Cour des comptes. Bref, nous sommes pilotés.
Notre opérateur est aussi utile puisque nous menons à peu près 25 000 projets exports dans l'année pour environ 12 500 entreprises. Preuve de notre efficacité, nos clients export recommandent Business France avec un Net Promoter Score (NPS) de 51 en 2024. Par ailleurs, Ipsos a établi un estimatif de l'ordre de 1,8 milliard de contrats additionnels à l'export signés dans le cadre de nos actions. L'année dernière, les chiffres étaient plus élevés, mais il s'agissait d'une année très particulière de sortie de covid. Quoi qu'il en soit, nous sommes sur un rapport de 1 à 20 par rapport au budget de l'agence : c'est un indicateur assez intéressant de la pertinence.
Nous accompagnons aussi des projets d'investissements étrangers sur le territoire français. Les derniers chiffres publiés la semaine dernière font état de 1 866 projets, soit une légère baisse par rapport aux années précédentes, mais ils restent néanmoins relativement élevés par rapport à un certain nombre de tendances. Les deux tiers de ces projets sont traités par les équipes de Business France. Beaucoup de projets sont présentés aux régions au moment du Cospe, que j'ai évoqué tout à l'heure. La moitié de ces projets aboutissent dans des villes de moins de 20 000 habitants. Ils participent donc souvent à la réindustrialisation ou à la réponse à des problématiques territoriales.
Nous gérons aussi les 11 666 VIE en poste dans le monde, d'après les chiffres de février. Le volontariat international en entreprise est intéressant, car il s'agit véritablement d'un outil de formation des talents : 92 % des jeunes qui ont fait un VIE trouvent un travail dans les six mois et 77 % restent à l'international. C'est un outil qui construit l'avenir de notre capacité internationale, car l'un des déficits français est de ne disposer finalement que d'une petite communauté à l'international, contrairement aux Italiens, qui comptent 80 millions de ressortissants vivant à l'étranger. Le seul moment où la France a envoyé plus de 100 000 personnes à l'étranger, c'était lors de la révocation de l'édit de Nantes !
Le VIE est donc un très bel outil, qui change la vie des gens. Quand vous interrogez les chefs d'entreprise sur la manière dont ils ont commencé leur carrière internationale, ils vous répondront, en fonction de leur âge : coopérant du service national, volontaire du service national ou volontaire international en entreprise. C'est un outil que nous mettons énormément en valeur en travaillant avec les autorités publiques dans chaque pays.
Nous travaillons aussi avec les ambassadeurs et le quai d'Orsay. Nos bureaux à l'étranger - nous sommes présents dans cinquante-trois pays - sont d'ailleurs attachés aux missions d'animation et de coordination des ambassadeurs. J'étais aujourd'hui avec l'ambassadrice de France en Moldavie, car la présidente moldave était dans nos locaux avec 250 personnes. Nous travaillons donc avec les ambassadeurs pour organiser ces événements-là et dire aux entreprises françaises : il y a quelque chose qui se passe en Moldavie, il y a des contrats, allons voir comment on peut travailler avec ces entreprises.
Notre action est ensuite nécessaire, on le mesure de différentes façons. C'est par exemple nous qui avons piloté une partie des aides du plan France Relance pour éviter que les entreprises ne restent bloquées en France au moment du covid. C'est aussi nous qui avons mis en place le plan aux aides exports, à la sortie du covid. Nous menons également des actions quand l'État nous le demande. Nous avons monté un volet business to business (B2B) pour le salon FrancoTech lors du sommet de la francophonie, ainsi qu'un volet B2B au moment du sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA).
Nous organisons également des événements avec priorités géographiques, comme l'événement business Ambition Africa - à peu près de 40 pays, 1 800 personnes, la moitié venant d'Afrique - ou Vision Golfe.
Hier, à la demande du Quai d'Orsay, nous avons organisé un événement business dans le cadre de French Healthcare, qui est l'une des marques qui promeuvent les technologies de la santé. Le ministre de la santé ouzbek était dans nos locaux.
Vendredi, nous rencontrerons quatre ambassadeurs de la zone nordique. Nous organisons à peu près 410 opérations de ce type-là dans le monde ou en France tous les ans pour promouvoir l'attractivité de la France.
Nous avons aussi fait deux événements au Sénat l'année dernière sur l'Ukraine pour expliquer aux entreprises françaises qu'il faut aller dans ce pays, qu'il y a des projets économiques et que cela fait partie de notre devoir de citoyens européens. On l'a fait aussi avec l'Amérique latine, bref nous travaillons avec les différentes institutions.
Notre action est nécessaire, aussi, parce que nous amenons souvent les entreprises au-delà de leur intention initiale. La majorité des entreprises exportent en Europe, qui représente les deux tiers de nos exportations. Or l'Europe constitue à peu près un tiers de notre activité. L'Amérique, du Nord au Sud, c'est à peu près 22 % de notre activité. L'Afrique et le Proche et le Moyen-Orient (PMO) représentent aussi à peu près 22 % de notre activité, tout comme l'Asie. Notre activité va donc au-delà des tendances naturelles des entreprises : on essaie de les amener un peu plus loin, d'autant que la concurrence publique est très forte. On entend en ce moment les bruits de bottes commerciales et les opérateurs publics, nos concurrents, mettent beaucoup d'argent sur la table. Les Américains ont un budget de l'ordre de 650 millions d'euros, uniquement au niveau de l'État fédéral. Ils accompagnent 30 000 entreprises. Nous avons 100 millions d'euros et nous accompagnons 12 000 entreprises. On a sûrement une meilleure efficacité que les Américains, c'est une bonne nouvelle ! Les Anglais vont mettre 300 millions sur la table, les Italiens mettent en moyenne 240 millions, les Espagnols de l'ordre de 140 millions, nos partenaires belges, si l'on cumule la Flandre et la Wallonie, de l'ordre de 140 millions. Les partenaires publics mettent donc de l'argent sur la table en considérant que c'est une priorité.
À titre d'anecdote, en Argentine, le président Milei a rattaché directement l'opérateur à la présidence de la République, considérant qu'il s'agissait d'une priorité publique et qu'il n'y aurait pas d'économie forte sans internationalisation de l'économie.
On est aussi rigoureux. C'est important de le noter. La part des subventions de Business France par rapport à l'ensemble des subventions des opérateurs s'élève à 0,15 %. Mais ce n'est pas parce que c'est peu qu'il ne faut pas être rigoureux !
Notre subvention en 2024 est la même qu'en 2017, aux alentours de 102 millions d'euros alors qu'il y a eu 16 % d'inflation sur la période et que l'on nous a confié de nouvelles missions. Lors des dévolutions d'activités, nous avons essayé de nous organiser. En 2008, on était présent dans 68 pays : on a essayé de se focaliser sur 53, qui représentent déjà 92 % du PIB mondial et 95 % de l'exportation des entreprises de moins de 2 000 salariés. On a réduit nos effectifs à l'étranger passant 2 000 à 750 personnes. On a aussi réduit le nombre de détachés, que l'on a divisé par quatre. Aujourd'hui, sur les 750 personnes à l'étranger, nos directeurs sont des détachés et tout le reste est constitué d'équipes locales ou de VIE. La moitié des personnes recrutées localement sont des Français de l'étranger ; l'autre moitié sont des étrangers francophones et francophiles.
Nous sommes donc utiles, nécessaires, rigoureux. Évidemment, il existe des pistes d'amélioration. Nous nous remettons en question assez régulièrement. Il est nécessaire, selon nous, d'avoir une stratégie forte et ferme de l'État. Nous travaillons avec les préfets, avec les ambassades, avec les présidents de région. Il faudrait simplifier à plusieurs niveaux. Dans notre propre gouvernance, avoir une seule tutelle chef de file permettrait peut-être de rendre plus efficace le pilotage par l'État de l'opérateur. Il faut simplifier la commande publique. On travaille beaucoup avec la French Tech, par exemple. Je vous ai parlé tout à l'heure des marketplaces : on les a faits avec une start-up française Mirakl, qui a une technologie leader sur le marché. Elle est référencée à l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), c'est donc plus facile de travailler avec elle.
En revanche, aujourd'hui, les seuils de commande publique rendent très difficile de travailler avec une start-up : 40 000 euros, ce n'est pas possible. Les seuils européens permettraient d'être beaucoup plus efficaces.
On travaille également à la lisibilité, car les investisseurs et les chefs d'entreprise en ont besoin à un, deux ou trois ans. Notre activité est fondamentalement pluriannuelle. Nous avons aussi besoin d'une lisibilité à deux ans ou trois ans pour travailler. On a signé un contrat d'objectifs et de moyens en début d'année 2023 : trois mois plus tard, nos moyens ont été remis en cause.
Pour conclure, ma conviction profonde est que les ressources pour financer notre modèle social et notre souveraineté passent par trois éléments : l'innovation - le rôle de Bpifrance avec qui nous travaillons est fondamental -, la réindustrialisation - nous apportons une petite pierre à cet édifice via France 2030 - et l'international. Le PIB français représente 3 % du PIB mondial : le marché est donc à l'extérieur. La croissance française, c'est 1 % contre 2 % pour l'Amérique latine et du Nord, 3 % pour le Proche et le Moyen-Orient (PMO) et l'Afrique, 4,5 % pour l'Asie. Il faut donc amener des entreprises à l'international.
Nous avons besoin d'un opérateur qui soit bien
organisé et qui joue le jeu collectif. Jeudi prochain, le
président des chambres de commerce et d'industrie françaises
à l'international (CCIFI), le représentant de Bpifrance et
moi-même, pour Business France, réunissons la Team France
Export pour dire
qu'il faut faire du porte-à-porte de masse,
chercher les entreprises, convaincre les TPE, les PME, les ETI d'aller à
l'international. Dans un moment de complexité, je crois qu'il ne faut
pas désarmer les opérateurs à l'international.
Mme Rose-Marie Abel, directrice générale par intérim d'Atout France. - Le GIE Atout France a été créé par la loi de développement et de modernisation des services touristiques de 2009. Cet opérateur est né de la fusion du GIE Maison de la France, chargé de la promotion de la destination France à l'étranger, et du groupement d'intérêt public (GIP) Odit (Observation, développement et ingénierie touristiques) France, agence d'ingénierie touristique.
Le législateur a inscrit dans la loi l'existence du GIE en tant que GIE, et même son nom. L'article L. 141-2 du code du tourisme précise que « le groupement d'intérêt économique "Atout France, agence de développement touristique de la France" » est « placé sous la tutelle du ministre chargé du tourisme ».
Depuis 2009, le GIE est le point d'entrée unique des collectivités et des entreprises ayant un projet de développement touristique. Il permet de mobiliser des compétences et des savoir-faire dans des domaines que sont la promotion, l'ingénierie, l'observation, la prospective et l'offre touristique au travers du classement des hébergements collectifs marchands.
Les missions d'Atout France peuvent se résumer en trois grandes typologies : analyser la conjoncture, observer les fréquentations touristiques et le développement des marchés - au travers notamment d'un outil dont je pourrais vous parler plus longuement, France Tourisme Observation (FTO) - et construire une offre touristique attractive.
Cela passe par le système des étoiles, bien connu du grand public, qui permet de classer l'offre touristique des hébergements collectifs marchands et de la faire correspondre aux standards attendus par la clientèle nationale et internationale, mais aussi par des dispositifs comme France Tourisme Ingénierie (FTI) ou « Réinventer le patrimoine », « Projets structurants », soumis par les régions, ou « Rénovation des stations de montagne ».
Enfin, et ce n'est pas la moindre de nos missions, nous devons tout simplement convaincre les touristes étrangers de choisir la France comme destination touristique, en mobilisant trois cibles : le grand public - nous avons des actions de communication vis-à-vis du business to consumer (B2C) -, les professionnels - nous nouons des liens avec les tour-opérateurs et les agences de voyages par le biais de nos bureaux à l'étranger - et la presse internationale : le tourisme étant un choix de coeur et d'envie, il est important de promouvoir la destination auprès de la presse lifestyle.
Pour réaliser ses missions, le GIE a un siège à Paris, trois délégations régionales qui se trouvent en Guyane, à Chambéry et à Marseille, ainsi que vingt bureaux principaux à l'étranger et cinq bureaux secondaires.
Au sein de ces structures, nous comptions, au 1er janvier, 132 collaborateurs en France et 154 collaborateurs à l'étranger, tous statuts confondus - j'y intègre les VIE portés par Business France, les personnes en alternance, les CDI de droit privé et les contrats de droit locaux, en grande majorité à l'étranger.
Je ne reviens pas sur la tutelle technique exercée par la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie.
Nous signons également un contrat d'objectifs et de performance (COP). Il n'y a pas eu par le passé d'engagement de moyens nous concernant. Le dernier contrat d'objectifs et de performance est arrivé à terme en 2024 ; les discussions pour son renouvellement ont été suspendues en attendant le devenir de notre agence.
Le GIE est administré par un conseil d'administration de 36 membres représentatifs du tourisme français. On y trouve des représentants des différents ministères, des représentants du monde économique par le biais de personnalités qualifiées et désignées par le Gouvernement, mais aussi de fédérations professionnelles et - volet essentiel dans le secteur touristique - des collectivités territoriales, plus précisément les régions et leurs opérateurs. Nous comptons des représentants des comités régionaux du tourisme, des comités départementaux et des offices de tourisme.
À ma connaissance, nous sommes le seul opérateur de l'État à avoir le statut de groupement d'intérêt économique. Au-delà de cette spécificité juridique, cela témoigne réellement de l'ancrage partenarial du GIE : nous accompagnons la politique touristique décidée par l'État auprès des entreprises, et nous construisons des plans d'action avec elles et les collectivités, au coeur de la politique touristique. L'agence fédère en tant que GIE 1 250 adhérents qui correspondent à ces différentes typologies de secteur.
L'opérateur est à la fois national, territorial - par les actions qu'il conduit pour le compte des territoires - et privé, en raison non seulement de son statut, mais aussi des entreprises qu'il accompagne.
C'est aussi, me semble-t-il, un opérateur qui permet de mutualiser des coûts et qui offre à des entreprises de taille plus réduite la possibilité d'intégrer le marché ou de se projeter sur le marché international. Un hôtel ou une chaîne d'hôtels de taille réduite peut demander un plan d'action en adhérant au GIE. Des destinations touristiques ayant une clientèle ou une fréquentation moins importante à l'étranger peuvent également nous solliciter.
L'autre originalité du modèle tient au
partenariat, qui a toujours été dans le code
« génétique » du GIE : pour un euro
présenté par le GIE, nous recherchons deux euros en
provenance des collectivités ou des entreprises afin de construire un
plan d'action commun. C'est la meilleure
garantie pour que la
dépense soit pertinente. Cela présente aussi l'avantage
d'être assez simple : on se met d'accord sur un plan d'action et on
amène la contribution, en nature ou en numéraire.
Le GIE, c'est aussi une agilité que lui confère sa taille relativement réduite : 300 salariés c'est peu, mais suffisant pour pouvoir peser et porter une ingénierie. Cette agilité a été démontrée par la capacité d'Atout France à réaliser des plans exceptionnels d'intervention. Le dernier était lié à la crise du covid : le plan Destination France. Le GIE est intervenu sur huit thématiques parmi les vingt que comportait ce plan, qui s'est achevé l'année dernière.
Cette agilité a aussi été démontrée par notre capacité à augmenter et à diminuer nos effectifs. Cela pose parfois la question des plafonds d'emploi puisque nous pouvons avoir recours à des CDD à objet défini. 26 personnes ont quitté le siège à la fin du programme et 10 personnes ont quitté les bureaux. On peut donc pendant trois ans monter en puissance et revenir ensuite à la taille « classique » du GIE.
Nous avons aussi contribué aux efforts budgétaires et nous serons de nouveau appelés à le faire. Notre subvention, même si cela n'a pas été notifié définitivement, devrait être en baisse de 2,5 ou 3 millions d'euros, soit une diminution de plus de 10 %. Malheureusement, ce n'est pas nouveau pour nous. Depuis 2016, notre subvention pour charges de services publics n'a fait que baisser. Elle était de 31,5 millions en 2016, contre 27,8 millions l'année dernière. En 2025, elle devrait s'élever à environ 24,5 millions d'euros. 31,5 millions d'euros, cela correspondrait à 36,5 millions d'euros en euros constants, soit un écart assez substantiel de 12 millions d'euros.
Quant à la concurrence internationale, elle est forte, car le tourisme est un secteur porteur. Les destinations touristiques sont de plus en plus nombreuses et ont des objectifs de croissance très importants. L'Arabie saoudite annonce 70 millions de touristes à l'horizon de 2030, le Maroc en prévoit 26 millions.
Pour conclure, le GIE a délivré les missions qui lui ont été confiées, qu'elles soient exceptionnelles ou ponctuelles. Pour autant, ne serait-ce que du fait de cette contribution à l'effort budgétaire, des réformes sont sans doute nécessaires. D'ailleurs, les ministres Nathalie Delattre et Éric Lombard ont décidé de lancer une mission d'appui à la réforme d'Atout France qui questionnera la forme de son réseau, sa pertinence, sa localisation, les synergies possibles avec Business France, la construction d'une trajectoire financière et la refonte du modèle économique. Il faudra bien évidemment également s'interroger sur le renouvellement de notre gouvernance, puisque je suis directrice générale par intérim et qu'il convient d'avoir un directeur général de plein exercice.
M. Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de Bpifrance. - Bpifrance est une structure à statut bancaire, avec deux actionnaires publics - la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l'État. Nous gérons 60 milliards d'euros d'actifs sous gestion et nous avons injecté 60 milliards d'euros dans l'économie en 2024 au travers de différents métiers.
Le premier grand métier est un métier bancaire, avec cinquante implantations régionales et des collaborateurs qui financent au quotidien les entreprises à travers le cofinancement bancaire - 20 milliards d'euros pour à peu près 17 000 entreprises -, le financement de l'innovation - on y reviendra, en particulier au travers des outils France 2030 - et la garantie des banques pour leurs projets les plus risqués - à peu près 9 milliards d'euros pour 65 000 entreprises, garantis indirectement par Bpifrance.
Le deuxième grand métier est l'investissement. Nous comptons 500 investisseurs. Nous avons investi l'année dernière un peu plus de 4 milliards d'euros dans 400 entreprises. Nous sommes un investisseur à la fois en direct dans beaucoup de PME régionales, mais aussi dans des grands groupes français qui se projettent à l'international et dans des start-up. Nous investissons également beaucoup en fonds de fonds, c'est-à-dire dans des fonds d'investissement pour permettre de développer le capital-risque et le capital développement privé, en faisant effet de levier.
Nous avons développé une expertise autour de l'accompagnement, considérant que les entrepreneurs, en particulier les PME sur les territoires, en avaient besoin. Cela représente à peu près 1 000 entreprises accélérées et 8 000 missions de conseil. C'est une grosse activité pour nous. Les entrepreneurs nous disent qu'ils sont seuls et qu'ils ont besoin d'avoir autour d'eux des missions de conseil. Les grands cabinets de conseil ne sont pas adaptés pour ces plus petites PME et ETI.
Nous avons repris il y a quelques années l'activité de création d'entreprises de la CDC et nous animons 610 réseaux d'accompagnement pour à peu près 20 000 prêts d'honneur faits au travers de nos partenaires.
Nous avons également une activité internationale. Nous avons repris l'assurance crédit, qui représentait 19 milliards d'euros l'année dernière, mais aussi toute la partie assurance prospection et crédit export, qui se fait main dans la main dans le cadre de Team France Export - Benoît Trivulce l'a souligné.
Notre conviction est que ces outils sont au service des entreprises. Tout notre travail est de passer d'une logique d'outils de financement à une logique d'entreprise et de continuum de financement. Il importe que ces outils répondent aux différentes situations des entrepreneurs, autour des quatre grandes priorités qui nous sont fixées par l'État : la réindustrialisation, la transition climatique des entreprises, qui doit être une opportunité, l'innovation - en particulier autour de la « deeptech » et de l'accélération du transfert de technologies des universités vers les entreprises ou vers les PME - et la création d'entreprises. Nous souhaitons doubler le nombre de créateurs et d'entrepreneurs dans les années qui viennent, en particulier grâce à l'animation de nos réseaux.
Notre modèle est un peu particulier puisqu'il se décompose en deux éléments. Nous sommes une banque qui gère 60 milliards d'actifs. Dans ce cadre-là, nos actionnaires - l'État et la CDC - nous demandent un retour sur investissement plus limité que ce que souhaitent les investisseurs privés. L'État et la CDC veulent environ 5 % de retour sur investissement, contre 10 % pour les banques et significativement plus de 10 % pour les fonds d'investissement. C'est un premier moyen pour nous de prendre du risque pour accompagner le privé, en particulier dans les territoires, en faisant effet de levier sur l'investissement.
Le deuxième modèle à l'intérieur du modèle est que nous sommes aussi une agence : nous jouons donc un rôle d'opérateur pour différents acteurs publics, le premier étant France 2030. En 2024, nous avons financé, pour à peu près 5 milliards d'euros, 6 000 entreprises, principalement via les dotations de France 2030.
Ce deuxième rôle d'opérateur, nous le jouons aussi avec l'Europe. Nous mobilisons de plus en plus de moyens européens, en particulier pour garantir un certain nombre de prêts aux entreprises innovantes en France.
Notre deuxième métier d'opérateur, nous le tenons aussi par rapport aux régions, puisque la plupart d'entre elles nous confient leurs fonds afin de mettre en place leur stratégie régionale, avec un axe principal sur l'innovation et la réindustrialisation. Notre métier est d'être l'acteur qui prendra les différentes commandes de ces « acteurs », le premier d'entre eux étant l'État au travers de France 2030, et de mettre en place les politiques publiques au travers de nos collaborateurs.
Pour l'État, c'est un moyen d'avoir accès - si je prends le cas de la direction innovation que j'ai la chance de diriger - à environ 500 personnes, majoritairement des ingénieurs qui ont une dimension financière. Ces 500 personnes travaillent au service de la mise en place des appels à projets ou du financement régional de nos 150 chargés d'affaires innovation dans le réseau. Elles travaillent donc pour le compte de l'État, dans le cadre de politiques publiques gérées par l'État.
L'État, qui nous a retiré il y a dix ans notre dotation de fonctionnement, a ainsi à sa disposition une organisation, une gestion du personnel, une culture, à coût marginal : nous prenons uniquement les frais de gestion pour France 2030. Indirectement, cela pèse sur notre rentabilité puisque les frais de gestion ne couvrent qu'une partie de ces coûts - mais c'est assumé par nos actionnaires.
Pour finir, notre métier principal dans le rôle d'opérateur est évidemment de répondre aux exigences et aux demandes de l'État, qui s'incarnent au travers de différents dispositifs. Il y en a deux principaux : les appels à projets de France 2030 - l'État nous confie des fonds, une thèse d'investissement ou de financement, et nous sélectionnons les meilleurs projets qui sont ensuite décidés formellement par l'État - et le financement plus structurel au travers des 150 chargés d'affaires qui sont des ingénieurs finançant au quotidien et au fil de l'eau tout au long de l'année à peu près 5 000 entreprises via des dispositifs subventionnels ou de prêts.
Je laisserai M. Jean-Yves Caminade évoquer plus spécifiquement la gouvernance de la banque, qui se fait au travers du conseil d'administration.
M. Jean-Yves Caminade, directeur financier de Bpifrance. - Souhaitez-vous que je dresse rapidement un tableau ou préférez-vous plutôt que je réponde à vos questions en fonction de vos intérêts sur les éléments de gouvernance ou de contrôle ?
M. Pierre Barros, président. - Pour avoir travaillé avec vos différentes structures, nous connaissons tous ces mécanismes. Je vous propose plutôt de passer aux questions de Mme la rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Après avoir écouté vos interventions, notamment celles de Business France et de Bpifrance, je m'interroge sur la compétence économique des régions.
Vous nous avez dit que les régions vous transféraient leurs ressources et leurs programmes pour vous demander d'agir. Ne faudrait-il pas repenser le partage des politiques publiques entre les différents échelons, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités ? Il ressort de vos propos que les régions ne sont pas bien armées pour mener efficacement leurs politiques. Elles préfèrent donc vous les confier, car vous disposez de structures plus professionnelles. Est-ce bien ce que nous devons comprendre de vos interventions ou souhaitez-vous nuancer vos propos ?
Je voudrais vous interroger sur la Team France Export. Je remercie Business France, qui nous a transmis des éléments en amont de cette audition. Dans une des notes, vous indiquez clairement qu'il convient de mieux structurer ces « teams ». Que sous-entendez-vous ? Pensez-vous notamment que certaines structures de l'État en sont absentes ? On pourrait, par exemple, penser à la douane qui, si je ne m'abuse, n'est pas dans la team. S'agit-il d'un des acteurs que vous ciblez ?
Aujourd'hui, ces Teams France Export ne vont que de la France vers l'étranger. Au vu de ce que fait Atout France, ne faudrait-il pas aussi envisager des Teams France Import ? L'un de vous a parlé du rôle-clé qu'il jouait pour orienter les investissements directs étrangers. Il s'agit là d'une stratégie en matière d'attractivité. Ne faudrait-il pas structurer les acteurs vers ce flux ?
Le projet de fusion entre Business France et
Atout France a été évoqué, notamment dans le
discours de politique générale du Premier ministre Michel
Barnier. J'ai cru comprendre que le projet était
aujourd'hui
en suspens. J'entends les spécificités
dont vous avez tous fait état, mais il existe aussi des ressemblances.
Vous êtes plusieurs à gérer des crédits pour
France 2030. Un tel projet de fusion est-il pertinent ou pas ?
Nous avons auditionné avant vous les représentants des entreprises. Ils ont critiqué la multiplicité des canaux de financement pour les entreprises, qui brouille les pistes. In fine, toutes les actions soutenues par Business France ou par Bpifrance vont vers les entreprises : serait-il complètement absurde de constituer un opérateur unique, d'autant qu'il bénéficierait déjà d'une mutualisation, de fonctions supports, de locaux - notamment à l'étranger -, de ressources humaines, sachant qu'il sera ensuite possible d'envisager des directions spécifiques puisque vous exercez aussi des métiers spécifiques ?
Certains d'entre vous travaillent pour attirer les entreprises, d'autres pour les aider à exporter, mais toutes ces activités ont un intérêt pour notre balance commerciale. Comment vous positionnez-vous sur ces questions ? La mission d'appui ne concerne aujourd'hui qu'Atout France alors que cette agence n'était pas seule dans le mariage envisagé. Pourquoi n'a-t-on pas intégré Business France à la réflexion, voire Bpifrance, au moins pour l'accompagnement vers l'export ?
M. Benoît Trivulce. - Les régions, depuis la loi NOTRe, ont une compétence en matière de développement économique. Chaque région a sa stratégie. Certaines régions ont des politiques d'attractivité extrêmement pertinentes, en lien souvent avec les préfets. Certaines régions, par exemple, dont des revues de priorités sur les projets pour identifier quel acteur doit intervenir. Dans le domaine de l'export, la décarbonation est prioritaire pour certaines d'entre elles. C'est donc ce type d'entreprises qu'elles souhaitent soutenir. Chaque région est très différente et chaque région a sa vision des choses. Nous sommes juste là pour les accompagner dans leurs projets, qu'il s'agisse de créer un outil pour qu'elles aillent à l'international ou de gérer un fonds. Elles ont d'ailleurs en général des visions très claires, même si les degrés de maturité peuvent différer. Les régions sont donc bien armées et nous travaillons parfaitement avec elles.
L'évolution de la Team France Export a un peu compliqué les choses. À l'origine, il s'agissait vraiment de faire travailler ensemble Bpifrance, Business France et CCI France dans une logique de territoire au bénéfice des entreprises. Progressivement, le concept a été élargi puisque nous travaillons aussi beaucoup avec les services de l'État, notamment les douanes. Toutes nos statistiques sur l'impact de nos actions viennent d'ailleurs de là : on livre aux services des douanes nos outils et nos informations, ils les traitent et nous renvoient ensuite une information opérationnelle. On monte aussi beaucoup d'événements où l'on fait intervenir les douanes, soit en France, soit à l'étranger.
Mais on pourrait citer aussi des conseillers agricoles et les services de l'État en général. En ce moment, par exemple, on est en train de négocier le statut du VIE au Royaume-Uni, en Égypte et en Chine. Tous les services de l'État ou les opérateurs travaillent ensemble, chacun essayant d'apporter sa brique pour convaincre que l'outil VIE est extrêmement intéressant.
Une Team France Invest existe déjà pour renforcer le plus rapidement possible notre attractivité. Il s'agit plutôt d'une activité très régalienne, même si nous signons parfois des accords avec d'autres acteurs. À l'étranger, nous travaillons évidemment avec les ambassadeurs, que nous accompagnons pour répondre aux questions des investisseurs et leur expliquer comment les choses se passent en France.
Vous avez parlé du rapprochement entre Atout France et Business France. J'ai travaillé sur un rapport en 2018, dont la conclusion était que les deux opérateurs oeuvraient dans des univers clients qui, sans se confondre, ne sont pas radicalement différents. Une fois cela dit, on n'a quand même pas dit grand-chose... Fondamentalement, on s'aperçoit tout de même que la cible est très différente.
Atout France va chercher des personnes physiques à travers des interlocuteurs pour les amener en France. Business France, par exemple, qui travaille dans le tourisme, présentait 15 entreprises ou start-up sur l'ITB, l'un des plus grands salons allemands en matière de tourisme, afin de proposer à la vente des solutions techniques - réalité augmentée, gestion de la data, etc. La cible n'est donc pas tout à fait identique, même si on peut trouver des synergies. Par ailleurs, les statuts ne sont pas tout à fait les mêmes non plus, ni les types de profils recrutés.
En France, la structure juridique du GIE, la structure de la gouvernance et les métiers sont très différents. On est sur de l'expertise territoriale. Notre métier est vraiment orienté B2B.
Enfin, France 2030 constitue notre ligne stratégique. Quand on programme un pavillon ou une opération B2B, 60 % de cette programmation est faite dans les verticales de France 2030. On se met donc dans la ligne des priorités de l'État. Quand on va chercher des projets à l'étranger, 60 % des projets présentés dans le Cospe rentrent dans la ligne France 2030. France 2030 nous a confié l'internationalisation de ses 1 000 lauréats, afin que ces entreprises se développent à l'international.
Mme Rose-Marie Abel. - S'agissant de la problématique de la fusion, plusieurs rapports avaient évoqué cette perspective, mais sans jamais la développer concrètement, en définissant des gains de productivité par exemple. Les équipes d'Atout France ont découvert, lors du discours de politique générale de Michel Barnier prononcé le 1er octobre, qu'une fusion - ou du moins un rapprochement - était envisageable.
Les signaux les plus récents sont contenus dans une lettre de mission relative à une mission d'appui à la réforme d'Atout France, texte qui ne comporte pas le terme de « fusion », mais qui évoque la recherche de synergies à l'international. Celles-ci existent déjà en partie dans la mesure où certains de nos bureaux sont situés dans les ambassades et, lorsque ce n'est pas possible, nous retenons des locaux adaptés aux besoins de nos équipes.
En outre, notre cible essentielle reste le B2C afin de faire rêver le grand public de la France. L'approche B2B concerne quant à elle les opérateurs touristiques, nécessaires dès lors que le public concerné est éloigné.
Nous rechercherons des gains et des synergies, car nous n'avons guère le choix compte tenu de la contrainte budgétaire. Nos équipes échangent déjà, mais n'ont pas nécessairement eu besoin d'interagir en termes de besoins métiers.
M. Benoît Trivulce. - J'ajoute que nos modèles économiques sont différents : ainsi, 55 % de nos moyens correspondent à des ressources propres, chaque entreprise payant pour la prestation que nous lui apportons.
M. Paul-François Fournier. - La majeure partie de notre activité est décentralisée, ce qui constitue selon nous un élément essentiel d'efficacité. Avec cinquante implantations régionales, 90 % de nos décisions sont prises à cet échelon, nos collaborateurs se situant au quotidien dans une logique de proximité avec l'État - via la préfecture - et la région.
Cette logique s'incarne aussi dans des réunions permettant d'arrêter une stratégie commune aux directions régionales et aux régions. Ces dernières décident, en toute liberté, d'être autonomes ou de recourir à notre expertise et à notre technicité. Nous sommes donc bien un opérateur au service de la stratégie régionale, ce qui permet d'ailleurs de croiser les différentes dynamiques à l'oeuvre et les différentes visions stratégiques, dont celles de l'Europe et de l'État, par le biais de France 2030. Ce mode de fonctionnement articulé autour de la région est selon nous approprié, car nos équipes peuvent ainsi saisir les spécificités de chaque territoire.
S'agissant de France 2030, je rappelle que ce plan englobe trois grands volets, à savoir la recherche, la formation et le financement des entreprises, seul ce dernier nous concernant directement. Nous représentons entre 80 % et 90 % des financements qui transitent via France 2030.
L'autre activité d'opérateur de France 2030 est assumée par l'Agence de la transition écologique (Ademe), dont l'action est complémentaire de la nôtre, en particulier sur d'importants projets de décarbonation. En résumé, les entrepreneurs savent qu'ils trouveront l'essentiel des financements chez Bpifrance, ce qui me fait dire que nous avons fait une bonne partie du chemin.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment justifiez-vous la nécessité de maintenir vos organismes respectifs alors que la DGE se charge déjà d'écouter et d'accompagner les entreprises ? Pourquoi a-t-on dû créer Bpifrance avec pour actionnaire la CDC, qui est elle-même une banque publique ? Si une simplification s'impose à l'avenir, pourquoi faudrait-il conserver ces structures extraministérielles ?
Sur un point plus spécifique, pouvez-vous préciser le coût et les financements du salon « BIG » (Bpifrance Inno Generation), important événement organisé par Bpifrance ?
M. Paul-François Fournier. - De notre point de vue, la répartition des tâches est claire : la CDC détient 50 % de notre capital et a créé la Banque des territoires en complément de Bpifrance, afin de couvrir la partie « collectivités territoriales » et des investissements dans de grandes infrastructures telles que Réseau de transport d'électricité (RTE). S'y ajoute une part très significative dans La Poste, mais plutôt dans une logique « grand public », alors que nous finançons principalement les PME, les ETI et les grands groupes.
L'articulation entre les différentes structures de la CDC n'est donc qu'un sujet de préoccupation marginal pour nous.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi a-t-il fallu procéder à un démembrement alors que la Caisse des dépôts disposait d'antennes régionales ?
M. Paul-François Fournier. - Je pense que l'histoire de Bpifrance est plutôt celle de remembrements successifs intervenus depuis 1923, du Crédit national hôtelier à Sofaris en passant par le Crédit d'équipement des PME. L'architecture actuelle semble convenir dans la mesure où nous disposons d'une entité polyvalente pour intervenir dans le monde de l'entreprise.
Je ne suis pas capable de vous dire si la situation serait meilleure si la CDC détenait l'intégralité du capital de Bpifrance. En tout état de cause, l'État, dans son rôle de stratège, semble se satisfaire de détenir une partie des voix, et la dualité entre sa logique et celle de la CDC nous paraît vertueuse et saine. Nous sommes donc plutôt inscrits dans une logique de consolidation et de simplification.
Concernant le salon BIG, nous le finançons pour l'essentiel par nos propres moyens, même s'il existe quelques financements ponctuels provenant d'entreprises. Il s'agit d'un outil de rayonnement et de visibilité très important pour nous, car l'accompagnement est un élément central : derrière les financements se trouvent des entrepreneurs qui font quotidiennement face à des défis complexes et qui gagnent à partager aussi bien leurs expériences que leur énergie.
La meilleure preuve de la valeur ajoutée de ce salon réside dans l'augmentation de la fréquentation chaque année, prévue à 2 000 personnes il y a douze ans et qui est de 60 000 visiteurs aujourd'hui. Si le nombre d'invités avait tendance à diminuer, nous n'hésiterions pas à réduire la voilure, mais je ne peux que constater que l'Accor Arena de Bercy est à peine suffisante pour accueillir tous les participants, puisqu'il nous faut fermer les portes en fin de matinée et attendre qu'une partie du public sorte avant de faire entrer les personnes situées dans les files d'attente. Nous vous communiquerons le coût précis de cet événement par écrit.
M. Benoît Trivulce. - Ce salon BIG dégage une énergie extraordinaire. Nous avons pu contribuer à son financement à hauteur de 25 000 euros ou de 50 000 euros en fonction des années, car nous disposons d'un stand sur place afin de convaincre les entreprises présentes d'aller à l'international. L'événement BIG renvoie à l'entrepreneur une image de confiance et de réussite, avec des participants tels que le patron de Free.
Votre interrogation relative à la coexistence avec la DGE illustre en fait la diversité des métiers et la distinction à opérer entre l'État-stratège et la compétence spécifique de l'opérateur : la DGE peut ainsi indiquer, par exemple, qu'elle souhaite venir en aide aux start-up du secteur du tourisme ; après la signature d'une convention, Business France viendra soutenir la visibilité des sociétés concernées et organiser des rencontres avec des entreprises étrangères. Il s'agit donc de deux métiers bien différents, l'opérateur développant des compétences spécifiques.
En 2008, la ministre de l'économie, Mme Christine Lagarde, avait préconisé le déploiement d'un opérateur public orienté vers les entreprises, ce qui préfigurait notre création. Toutefois j'aurais pu commencer notre historique dès 1855, avec un rapport du prince Napoléon portant sur l'Exposition universelle de Paris, qui avait préconisé la création d'une « commission spéciale » - équivalent d'un opérateur public contemporain - afin de gagner en efficacité dans l'organisation de cet événement.
Mme Rose-Marie Abel. - Je souscris à l'analyse selon laquelle nous n'exerçons pas les mêmes métiers que la DGE, qui nous a d'ailleurs transmis en 2024 la gestion du label « Qualité Tourisme » - devenu « Destination d'excellence » - ainsi que du label « Tourisme et Handicap », dans le prolongement du transfert, par les préfectures, du volet dédié aux classements.
Plus généralement, Atout France met les acteurs du tourisme en relation et organise des visites des sites touristiques afin de leur montrer ce que pourrait être le produit à commercialiser. Ce métier est très distinct de celui qui est effectué dans les administrations centrales : il serait sans doute possible de réinternaliser l'ensemble des fonctions, mais au prix d'une augmentation des effectifs de l'État et d'un mélange de métiers très différents.
M. Christian Bilhac. - Sans être par trop désagréable, je rappelle que vous représentez le commerce extérieur et qu'il n'y a pas de quoi se glorifier en la matière... Je reconnaîtrai cependant volontiers, madame, que le tourisme est une activité excédentaire.
En ce qui concerne le mode de financement d'Atout France, vous avez évoqué l'apport de deux euros par les adhérents pour un euro versé par l'opérateur : ce mode de fonctionnement est-il valable pour Bpifrance et Business France ?
Étant moi-même un peu vigneron, je serais disposé à vous verser 3 000 euros si vous vendez 10 000 bouteilles pour moi ; mais, si vous ne vendez pas un bouchon, il est hors de question que je vous verse ne serait-ce que 100 euros : c'est à l'aune de ce rapport avec les professionnels que l'on peut mesurer l'efficacité d'un opérateur.
Des entrepreneurs vous apportent-ils des contributions en vue d'obtenir des résultats, et, si oui, que représentent-elles par rapport au budget qui vous est alloué par la loi de finances ?
M. Benoît Trivulce. - Je partage votre analyse sur le commerce extérieur, en précisant que nous n'agissons pas sur les importations françaises, mais uniquement sur une partie des exportations dépendant des ETI et des PME, soit environ 45 % du total. J'ajoute que nous n'agissons pas sur la totalité de ces contrats, mais sur leur croissance, notre action permettant de générer environ 2 milliards d'euros supplémentaires.
La faiblesse de l'industrie dans notre économie explique largement le déséquilibre de notre balance commerciale, Business France contribuant, à son niveau, à l'amélioration de la situation.
Par ailleurs, la dotation de l'État représente 45 % de notre financement et couvre plusieurs aspects, à commencer par le temps passé à convaincre les entreprises d'aller à l'international, le coût d'acquisition du client étant colossal. In fine, l'État paye un réseau d'expertise permanent en France et à l'étranger, une entreprise qui souhaite investir dans telle zone pouvant s'appuyer sur une série de services pour faciliter l'accès au marché.
Si elles n'assument pas tous les coûts, les entreprises y contribuent, ce qui est un très bon modèle économique : dès lors que le client paye, nous sommes sûrs que cela créera de la qualité, de l'innovation et de la recherche. Nous réalisons un chiffre d'affaires d'environ 138 millions d'euros par an, ce qui correspond à des prestations qui ont été vendues et qui ont donné satisfaction.
M. Paul-François Fournier. - Pour rebondir sur votre propos, monsieur le sénateur, je dirais que nous transformons l'eau en vin en générant un effet de levier à partir de dotations publiques. En matière de garantie par exemple, un euro de garantie publique accordé par l'État nous permet de garantir 28 euros du côté des banques, avec des effets de levier de cinq à vingt sur les prêts à moyen et long terme.
Notre coeur de métier réside bien dans la création de cet effet de levier et dans la gestion du risque, une autre activité consistant à obtenir des contreparties privées afin de boucler le financement des projets, aux côtés d'autres acteurs bancaires ou de fonds d'investissements.
Mme Rose-Marie Abel. - Les adhésions des 1 250 membres de notre réseau génèrent 2,1 millions d'euros de recettes, avant même de monter des projets pour lesquels s'applique le ratio que j'évoquais.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le modèle du GIE, qui est celui d'Atout France, ne devrait-il pas être dupliqué pour les activités portées par Business France ?
M. Benoît Trivulce. - L'idée est iconoclaste. Les entreprises adoptent généralement des approches ponctuelles et n'ont pas nécessairement besoin d'une stratégie, ce qui nous conduit à leur proposer des prestations adaptées à leurs besoins. Je ne suis pas sûr que le passage par un GIE améliorerait la situation, même s'il s'agit du mode de fonctionnement retenu par les chambres de commerce à l'étranger.
Ma conviction profonde est qu'il faut éviter d'opposer les acteurs et qu'il vaut mieux oeuvrer à les fédérer en tenant compte de la diversité de leurs modèles et de leurs intérêts, dans le cadre de synergies efficaces.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À l'heure où il est question de passer en économie de guerre, je n'ai pas entendu de propositions en termes d'économies à réaliser de votre part. Pourtant, il vaudrait mieux éviter d'aboutir à la solution stupide qui consisterait à raboter de 10 % les ressources de chacune de vos structures : que pourriez-vous proposer du point de vue de la simplification ? Il peut s'agir de trouver de nouvelles sources de financement.
Mme Rose-Marie Abel. - Nous nous adapterons à la diminution des ressources publiques, mais encore faut-il nous donner de la visibilité sur les efforts à fournir, afin que nous puissions nous réorganiser et proposer des adaptations. En tout état de cause, des solutions en apparence simple telles qu'une fusion pourraient poser davantage de problèmes qu'elles n'en résoudraient.
M. Benoît Trivulce. - Nous avions déjà déposé des propositions en octobre, en estimant à environ 7 millions d'euros le montant des économies que nous étions susceptibles de réaliser sans déséquilibrer le système. Je rappelle que la subvention de l'État représente environ 80 % de la masse salariale et qu'il faudra trouver des solutions pour générer des revenus supplémentaires si elle vient à diminuer, sous peine de déséquilibrer les outils déployés pour améliorer notre commerce extérieur.
Nous devons travailler à l'optimisation dans le cadre des COM, mais les changements répétés d'orientation posent problème à des opérateurs qui s'inscrivent dans des trajectoires pluriannuelles. Une lisibilité sur cinq ans nous permettrait de proposer des économies, par exemple en termes de réduction du nombre de salons.
À titre personnel, je pense que l'amélioration de la dépense publique passera par une réflexion de fond sur la méthode - l'annualité budgétaire étant selon moi une difficulté - et sur la responsabilité des managers et des directeurs.
M. Paul-François Fournier. - Bpifrance ne bénéficie plus de dotation de fonctionnement depuis dix ans, alors que notre activité a crû et que nous avons procédé à de nombreux recrutements pour répondre aux défis du plan de relance et de France 2030.
Nous réfléchissons à l'effet de levier qui pourrait se déployer au travers de France 2030 et des appels à projets dits « structurels » : il consisterait à anticiper les remboursements futurs des projets qui auront bien fonctionné et de placer immédiatement ces derniers en financement. Dans un contexte de pression sur les ressources, un tel mécanisme permettrait de préserver cette dynamique d'investissements et de garantir une forme de continuité. Ce dernier aspect est essentiel pour nous, car les politiques auxquelles nous contribuons doivent se déployer sur un temps relativement long.
M. Pierre Barros, président. - Merci pour vos contributions à nos travaux.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Organisations syndicales représentatives de fonctionnaires de l'État - Audition de Mmes Marie-Christine Caraty, vice-présidente fédérale, et Valérie Boye, déléguée fédérale, de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires, un représentant de l'Union fédérale des syndicats de l'État - Confédération générale du travail (UFSE-CGT) et un représentant de la Fédération syndicale unitaire (FSU)
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Marie-Christine Caraty, vice-présidente fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Valérie Boyé, déléguée fédérale de cette confédération et Mme Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires.
Je précise que certains syndicats de la fonction publique n'ont pas pu désigner de représentants. Ils pourront cependant apporter leur contribution par écrit en réponse aux questions qui leur ont été adressées par notre rapporteur.
Dans le cadre de notre commission d'enquête sur les agences et les opérateurs de l'État, nous avons souhaité vous entendre, Mesdames, car le statut du personnel s'est révélé être un enjeu crucial. Ce sujet est récurrent dans nos échanges, plus encore que le coût de fonctionnement de ces agences. Il nous a ainsi été dit que la création d'agences par l'État est souvent motivée par la volonté de recruter des profils spécialisés ou de gérer le personnel de manière plus souple qu'au sein de l'administration centrale. La question du personnel devient également centrale lorsqu'il s'agit d'envisager la fusion ou la suppression de certaines agences, nécessitant alors la fusion des équipes, l'harmonisation des statuts ou encore le retour des agents dans l'administration centrale. Nous avons donc besoin de votre éclairage sur ces enjeux, que pour les personnels soient ou non en position d'encadrement.
Les conditions de rémunération constituent-elles un obstacle à la réintégration d'un fonctionnaire d'une agence vers l'administration centrale ? Qu'en est-il des contractuels ?
Quel est votre point de vue sur le mouvement de multiplication des agences et opérateurs depuis les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, souvent qualifié de démembrement de l'État ? Considérez-vous que ce mouvement a conduit à une perte d'unité de l'administration de l'État ? Y voyez-vous au contraire des avantages pour les agents et, si oui, lesquels ?
Je tiens à préciser que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête et à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Mmes Caraty, Boyé et Gath prêtent serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le président, vos questions sont très pertinentes. Avant d'y répondre, j'aimerais que nos intervenants nous précisent, dans leur intervention liminaire, dans quelle mesure ils sont représentatifs des agents travaillant dans les agences, sachant que tous ne sont pas nécessairement fonctionnaires. Pourriez-vous nous éclairer sur le cadre dans lequel vous pouvez vous exprimer, en gardant à l'esprit que nos questions peuvent également concerner le fonctionnement général de l'État et ses implications sur les ministères, aussi bien l'administration centrale que les services déconcentrés ?
Mme Christine Caraty, vice-présidente fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération des cadres (CFE-CGC). - La CFE-CGC, dans le domaine des services publics, ne se limite pas aux cadres mais représente toutes les catégories de fonctionnaires. C'est une particularité de notre Confédération. Bien que la majorité des fédérations affiliées à la CFE-CGC représentent les cadres dans le secteur privé, dans la fonction publique nous couvrons toutes les catégories d'agents publics. Nous représentons également des contractuels et avons de nombreux militants au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), des établissements publics administratifs (EPA) et d'autres organismes. Je vais laisser la parole à Madame Valérie Boyé qui pourra vous apporter plus de précisions à ce sujet.
Mme Valérie Boyé, déléguée fédérale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération des cadres (CFE-CGC). - Je suis secrétaire générale du syndicat de l'environnement, la forêt et l'agriculture (EFA)-CGC, présent au sein des ministères de l'Agriculture, de la Transition écologique et de leurs nombreux opérateurs. Nous sommes actifs auprès de divers opérateurs tels que les agences de l'eau, l'Office français de la biodiversité (OFB), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), ou l'Agence de services et de paiement (ASP). Certains de ces établissements emploient des salariés, comme l'Office national des forêts (ONF) ou à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cette dernière ayant intégré un organisme avec des salariés de droit privé lors d'une fusion. Notre champ d'action couvre donc à la fois des fonctionnaires, des agents publics contractuels, des quasi-statuts - une catégorie particulière d'agents publics - et des salariés. Nos statuts nous permettent de représenter tous ces agents, à l'exception des ouvriers.
Mme Ophélie Gath, secrétaire nationale de l'Union syndicale Solidaires. - L'Union syndicale Solidaires dispose d'adhérents dans divers opérateurs tels que l'ONF, France Travail, Météo France, certains musées, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national pour la recherche en agriculture, alimentation et environnement (INRAE). Dans ces deux derniers organismes de recherche, nous sommes non seulement représentatifs mais également majoritaires.
Mme Christine Caraty. - Nous sommes majoritaires dans les métiers de l'emploi et nous avons une présence significative dans les musées puisque nous y sommes représentatifs. Je pense que nos deux organisations sont assez représentatives de l'ensemble des opérateurs de l'État et des agences.
M. Pierre Barros, président. - Je vous propose de poursuivre avec un propos liminaire au cours duquel vous répondrez aux questions que j'ai posées dans mon introduction.
Mme Christine Caraty. - Je vais vous transmettre un message du Président de notre fédération.
« Les opérateurs de l'État, les agences, les EPIC, les EPA font l'objet de toutes les attentions ces derniers mois. Cette attention qui leur est portée utilise parfois des raccourcis simplistes et dangereux pour notre cohésion sociale, quand ce n'est pas la sécurité même des agents publics qui est menacée. En effet, on entend ici ou là qu'il y a à peu près 1 200 opérateurs, 80 milliards de financements. Mais que font ces opérateurs ? Pourquoi ont-ils été créés ? Peu de choses sont dites là-dessus.
Prenons quelques exemples. Peut-on se passer de la formation pour adultes de l'AFPA, alors que la formation professionnelle est une priorité gouvernementale ?
Peut-on se passer de nos agents de l'ONF, alors que la prévention des incendies pour cet été est primordiale ?
Peut-on se passer de nos policiers de l'environnement de l'OFB, pour éviter de futures pertes de récoltes agricoles, des inondations, des sécheresses, de la pollution des eaux ?
Peut-on se passer de l'agence de l'eau, alors que c'est notre enjeu le plus indispensable ?
Nous pourrions faire des centaines de tracts, de communiqués de presse pour énumérer la totalité de ces exemples, mais le temps nous manque et l'urgence est là. Ces questions légitimes ne devraient gêner personne, car beaucoup d'exemples ont fait glisser des compétences d'un cabinet ministériel à un opérateur. En effet, l'idée de fond affichée était de faire une opération d'économie financière. Le résultat est un affaiblissement du pouvoir d'autonomie de gestion et de celui d'autorité légitime.
La fédération CFE-CGC ne sera pas le fossoyeur de ces services publics dans lesquels les agents ont pleine connaissance de leur mission, ni d'une mort à feu doux orchestrée avec une certaine malignité. Nous sommes prêts à regarder la situation des opérateurs qui engagent de l'argent public, mais pas en quelques heures, et votre commission d'enquête porte une lourde responsabilité dans cette tâche longue, difficile, qui peut avoir des conséquences très importantes en matière de ressources humaines (RH).
C'est pourquoi nous souhaitons que ce dossier soit abordé par le prisme des objectifs et des missions qui leur sont confiés - mais leur a-t-on seulement donné les moyens d'assurer leur mission ? - et ce malgré un contexte budgétaire contraint.
Attention aux arbitrages hâtifs, avec une réflexion à courtes vues, car c'est le moyen le plus sûr de se réveiller un matin avec une grande douleur de répondre à cette question dramatique : pourquoi les a-t-on supprimés ?
Mesdames et Messieurs les membres de la commission d'enquête, nous faisons appel à la justesse de votre discernement pour rendre des travaux justes qui ne peuvent avoir qu'une boussole, l'intérêt de servir nos concitoyens efficacement. »
M. Pierre Barros, président. - Le Sénat a toujours eu pour habitude de mener un travail honnête et de prendre ses responsabilités pour contribuer à une démarche en faveur des services publics et des agents qui les portent. Nous sommes donc tout à fait solidaires de ces propos. Il nous incombe maintenant de transformer cette solidarité en actes concrets, c'est notre responsabilité.
Mme Ophélie Gath. - Je commencerai également par notre déclaration liminaire, qui sera moins synthétique.
Selon le jaune budgétaire consacré aux opérateurs de l'État et annexé au projet de loi de finances pour 2025, sont inscrits 434 opérateurs de l'État rémunérant 402 218 emplois sous plafond en équivalent temps plein travaillé et bénéficiant de 77 milliards d'euros de financement public. C'est le point de départ des travaux de la mission.
L'Union syndicale solidaire n'est a priori pas partisane d'une organisation de l'action publique par des agences, terme fortement connoté pour nous, et par des opérateurs potentiellement trop éloignés du coeur de l'action publique. Pour autant, nous nous inquiétons des éventuelles conclusions et perceptions dans l'opinion de travaux et d'expressions dont les objectifs seraient surtout tournés vers la réduction du périmètre de l'action publique. Nous précisons par ailleurs que le nombre d'opérateurs est déjà passé de 643 en 2010 à 434 actuellement. Il existe un grand nombre d'entités, ce qui pose effectivement la question du pilotage et de la maîtrise des politiques publiques et des économies à réaliser.
Pour autant, nous préférons aborder la question de la manière suivante : quel est le sens du débat sur ces entités, quel est le panorama général et quelles sont les spécificités de ces entités et quelles conclusions générales en tirer ?
Le véritable sens du débat sous-jacent se pose ainsi : quel périmètre pour l'action publique et, par conséquent, quels moyens lui allouer ? Le principal risque est une réduction du périmètre de l'action publique alors que, face aux enjeux de la période, il faudrait consolider et renforcer le périmètre et les moyens de l'action publique.
Le débat que nous appelons de nos voeux peut en nourrir un autre. Faut-il revenir à une organisation des politiques publiques sans ce type d'opérateur, ce qui supposerait de les réinternaliser dans les services publics traditionnels, conformément à la tradition de l'État unitaire au sein duquel l'administration est subordonnée au pouvoir politique ? Un tel débat serait intéressant, notre organisation étant particulièrement critique sur les modes de gestion alternatifs inspirés de la théorie du new public management.
Une telle démarche poserait la question de l'utilité de la création d'éventuelles nouvelles entités de ce type - les missions pouvant alors continuer à être assurées par les administrations - ainsi que celle de l'évolution des opérateurs existants, qui peut remettre en cause leur origine la décision de les créer ayant été basée sur la nécessaire distance à avoir par rapport aux rapports politiques, mais sans pour autant privatiser la mission ou par besoin d'une flexibilité dans le recrutement. Le secteur des télécoms constitue un exemple ; il est vrai que la loi de 2019 a, hélas, largement ouvert le recrutement aux contractuels dans la fonction publique.
Enfin, quel que soit le sens du débat, une définition juridiquement solide et une réflexion sur une harmonisation s'agissant de la base juridique et du périmètre semblent un préalable à tous les travaux sur la question.
S'agissant du panorama général, au-delà des 434 entités, il faut rappeler que leurs missions sont très variées et utiles. Citons ainsi : Pôle emploi, Météo France, le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national de la recherche scientifique, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France ou l'Institut national de santé et de recherche médicale.
Selon le Gouvernement lui-même, dans le « jaune » budgétaire sur les opérateurs de l'État, les opérateurs jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques conduites par le gouvernement et leur pilotage revêt ainsi une dimension stratégique importante.
S'agissant des moyens budgétaires, il existe un plafonnement des taxes qui leur sont affectées ainsi que des emplois, ce qui tend à démontrer que les économies qui résulteraient de la réduction du nombre de ces entités seraient bien faibles, sauf à privatiser leur mission, ce qui transfèrerait le coût public vers le coût privé, tout en changeant la nature de leurs missions.
La moitié des opérateurs comptent moins de 250 salariés, 17 % en comptent moins de 50, ce qui rend presque impossible la réalisation d'économies d'échelle. Cinq opérateurs ou catégories d'opérateurs concentrent plus de 60 % des emplois sous plafond : les universités et assimilés, un tiers des effectifs environ, France Travail, le CNRS, le CEA et le réseau des OEuvres universitaires et scolaires. Plus récemment, il a été établi que les trois principaux centres de recherche (le CNRS, le CEA et l'INRAE) emploient la moitié des effectifs de l'ensemble des opérateurs. À l'inverse, neuf opérateurs ne comptent aucun emploi.
Il est difficilement imaginable de réaliser des économies sur ces dépenses pour deux raisons. D'une part, ce sont des dépenses stratégiques et d'avenir, et d'autre part, les marges de manoeuvre sont faibles. La France est plutôt en dessous de la moyenne des dépenses des autres pays occidentaux dans ces domaines. Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de septembre 2024 chiffre à 2,5 milliards d'euros le potentiel excédent de trésorerie, mais cela pourrait nuire aux moyens budgétaires futurs.
Plusieurs exemples montrent que certains opérateurs importants se sont avérés révélés utiles et efficaces. J'ai évoqué les principaux opérateurs dans le domaine scientifique et de l'énergie. L'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers, l'Office national des forêts ou encore la Commission nationale informatique et libertés ont montré leur utilité et leur spécificité.
Les supprimer risquerait de mettre l'efficacité de leur mission en danger. Une analyse au cas par cas des entités pourrait conduire à en maintenir certaines et, pour d'autres, à les faire évoluer pour les réintégrer davantage dans le giron des administrations, sans que leurs moyens financiers et humains ne soient revus à la baisse.
Pour notre organisation, il est essentiel de savoir comment des missions d'intérêt général demeurent ancrées dans l'action publique et en quoi elles disposent de moyens suffisants.
Il serait également intéressant de dresser le bilan de ces entités et de la valeur ajoutée qu'elles apportent par rapport à une organisation au sein des ministères.
De la réponse à ces questions et de l'analyse de la spécificité des différentes entités découlerait l'organisation administrative.
Il est également possible de mieux cerner juridiquement ces entités, souvent définies par défaut en lien avec leur spécificité. Le rapport de l'IGF de 2011 déplorait déjà un manque de cohérence et de définition suffisamment précise et homogène. La situation n'a guère évolué depuis.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'après vos propos liminaires, j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas particulièrement favorables à cette organisation et au « démantèlement » de l'État central, qu'il s'agisse de l'administration centrale ou déconcentrée, pour créer des agences chargées de certaines missions de service public. Je suppose que la position que vous venez d'exposer est celle des agents travaillant dans ces différents opérateurs.
Si notre commission préconisait de réinternaliser toutes les missions actuellement confiées à des opérateurs, quelles pourraient être les conséquences pour les agents, selon leurs différents statuts - fonctionnaires, salariés de droit privé ou quasi-statuts ? Pourrait-il y avoir des difficultés salariales, sachant que les grilles de rémunération diffèrent entre l'administration centrale, l'administration déconcentrée et les opérateurs, avec des variations selon le statut de ces derniers ?
Vous semblez appeler de vos voeux un renforcement de l'État central : j'ai noté des critiques du phénomène d'agencification et de l'affaiblissement du pouvoir de gestion et de l'autorité légitime des ministres. Si nous préconisions cette réinternalisation, quelles seraient les conséquences pour les salariés, notamment en termes de salaire et de réintégration ?
Mme Valérie Boyé. - Je souhaite nuancer ce que vous avez compris de nos propos. Nous n'avons pas dit que nous souhaitions que tout revienne vers l'administration centrale. Chaque situation doit être examinée au cas par cas. De notre point de vue, bon nombre de ces opérateurs ont leur légitimité, fonctionnent très bien et ont intérêt à rester tels qu'ils sont actuellement. N'interprétez pas mal nos propos concernant le lien avec l'État, qui varie selon les situations.
L'unité de l'action publique est effectivement parfois mise à mal. Les agents travaillant dans les organismes se sentent parfois mal considérés et n'ont pas le statut d'agent de l'État. Néanmoins, l'administration centrale et les agences et opérateurs publics sont souvent complémentaires dans leurs actions. Les agences constituent le bras armé de l'État sur l'ensemble du territoire. C'est le cas par exemple de l'Office national des forêts (ONF), dont les agents sont majoritairement présents dans les territoires ruraux, alors que l'action de l'État s'est plutôt concentrée sur les grandes villes.
Quant aux conséquences d'un mouvement de suppression ou de fusion des agences du point de vue des agents, elles seraient importantes. Citons ainsi : la perte d'efficacité, tant au niveau individuel que collectif le temps nécessaire pour les préfigurations, les concertations, la mise en place de nouveaux organigrammes, les formations aux nouvelles missions et les recrutements à la suite des départs d'agents refusant la nouvelle configuration ; les acculturations difficiles, comme dans le cas de la fusion ayant donné naissance à l'Office français de la biodiversité (OFB), dont le directeur général a reconnu que le temps consacré à la fusion l'avait été au détriment de celui disponible pour les élus locaux ; les mobilités géographiques et fonctionnelles souvent imposées, avec des conséquences sur les parcours professionnels et la vie personnelle des agents ; les changements de statut - du droit public au droit privé ou inversement - avec des difficultés de gestion pour les services des ressources humaines, peu habituées à gérer des statuts différents ; des problèmes d'équité et d'égalité entre les personnels, notamment en termes de rémunération, de congés et d'action sociale ; une perte de repères pour les agents et les partenaires, avec des changements d'interlocuteurs ; une perte de souplesse d'action pour les agents, notamment dans la réactivité lors de crises, pour la passation de marchés ou pour des formations spécifiques - par exemple, si l'Institut national de formation des personnels du ministère de l'agriculture (INFOMA) était lié à l'administration centrale, il perdrait une partie de sa réactivité ; enfin, une complexification des instances de dialogue social, avec la coexistence de comités sociaux d'entreprises (CSE) et de comités sociaux d'administration (CSA), soit un double travail, ou des instances hybrides difficiles à gérer.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je pense que nous devons nous interroger sur ce que nous continuons à confier à des fonctionnaires, et qui ne pourrait pas être confié à des salariés de droit privé. Cela pourrait simplifier la gestion et résoudre les problèmes que vous mentionnez. Les questions que vous évoquez - et qui se posent que l'on réinternalise ou pas - , se posent déjà aujourd'hui dans les organismes qui employant des collaborateurs de droit privé et de droit public.
Mme Valérie Boyé. - L'ONF a évolué vers un recrutement accru de salariés, c'est-à-dire de contractuels de droit privé. Cependant, cette évolution a rencontré des obstacles, notamment concernant les missions régaliennes telles que la surveillance, le port d'armes et l'assermentation. Nous avons constaté la nécessité de maintenir un minimum de fonctionnaires, leur statut garantissant une plus grande indépendance comparée à la précarité potentielle des salariés en termes d'emploi.
Le recours à des fonctionnaires présente un avantage majeur dans le contexte actuel de difficultés de recrutement dans la fonction publique. Il permet de fidéliser les personnels en leur offrant une stabilité, ce qui est particulièrement important face à la tendance des jeunes à changer fréquemment d'emploi. La réduction de la précarité incite les employés à rester.
L'Agence de services et de paiement (ASP) est issue d'une fusion où la titularisation a été proposée. Certains l'ont refusée, notamment en fin de carrière, en raison des implications sur la retraite, le changement de statut entraînant une situation de polypensionné. Néanmoins, la titularisation a permis aux personnels de se sentir intégrés à la fonction publique et de bénéficier d'une mobilité accrue vers l'administration centrale ou d'autres opérateurs. Cela a ouvert des perspectives de carrière intéressantes tant pour les agents que pour l'administration, avec des possibilités de mobilité vers le ministère de l'agriculture ou le ministère des finances.
Mme Christine Caraty. - Certains organismes pourraient être privatisés, mais d'autres, comme France Travail ou l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), nécessitent une approche différente. La fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des Assedic au sein de Pôle emploi a été globalement réussie, malgré des difficultés persistantes en matière de ressources humaines dues à la diversité des statuts. L'intégration des psychologues du travail de l'AFPA dans France Travail est une réussite. On pourrait envisager le regroupement de l'AFPA avec les Groupements d'établissements publics locaux d'enseignements (GRETA) et le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) pour créer un pôle important de formation professionnelle pour adultes au sein de la fonction publique. Cela permettrait potentiellement des économies en termes d'immobilier et de budget. Il est important de noter que certains organismes, créés par volonté politique, peuvent ne plus avoir leur raison d'être et pourraient fusionner.
Les disparités actuelles en termes de statuts, de grilles salariales et de retraites sont des problèmes temporaires. Avec les départs à la retraite liés au baby-boom, l'État parvient progressivement à harmoniser les statuts, comme on l'a vu dans l'Éducation nationale avec les professeurs des écoles.
Bien que certains organismes puissent être privatisés, beaucoup ont une mission étatique avec des fonctions régaliennes. Il est crucial de ne pas disperser ces fonctions hors de l'État, car cela pourrait être dangereux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour synthétiser, je comprends que vous considérez le maintien du statut de fonctionnaire comme essentiel pour les agents ayant des missions régaliennes de contrôle, de surveillance et d'assermentation. Cette question semble moins cruciale pour les fonctions support qu'on pourrait trouver dans le privé. Par exemple, pour un informaticien recruté avec un statut de salarié, il pourrait plus facilement travailler dans une entreprise privée sans les problèmes de multi-pensions à la retraite.
Mme Christine Caraty. - La question s'est beaucoup posée au ministère des finances, notamment avec le cadastre et les domaines, par rapport à l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et aux géomètres privés. On peut s'interroger sur la pertinence de confier l'évaluation des terrains appartenant à l'État à des géomètres privés. Est-il judicieux de leur donner le pouvoir d'évaluer les forêts, les châteaux et autres propriétés de l'État ? Ce n'est pas une question fondamentale, mais elle mérite réflexion.
Je suis d'accord avec vous concernant un informaticien contractuel de l'État qui retournerait dans le privé, cela ne pose généralement pas de problème. Cependant, cela dépend du type de tâches qu'on lui confie. C'est toujours cette notion de pouvoir d'État que peut avoir un fonctionnaire dans son métier qui soulève des inquiétudes, notamment sur le plan déontologique.
Mme Ophélie Gath. -
Nous distinguons plusieurs types de revendications. D'abord, celles
qui sont communes à tous les salariés des secteurs public et
privé : rémunération, conditions d'emploi,
réduction de la précarité
et reconnaissance.
Ensuite, comme les autres agents du secteur public, le personnel des
opérateurs s'inquiète des moyens alloués en termes
d'emplois et de budget.
Une inquiétude plus spécifique se répand en raison d'un climat très critique envers l'existence même des opérateurs. Le lancement de cette commission d'enquête a d'ailleurs alimenté ces craintes, certains redoutant des décisions de réduction du nombre d'opérateurs sans garantie sur le maintien de l'emploi et des missions. L'attachement à la spécificité de certaines missions de certains opérateurs est également un élément à prendre en compte.
L'Union syndicale Solidaires est farouchement attachée au statut des fonctionnaires. Nous sommes pour l'abrogation de la loi de transformation de la fonction publique de 2019. Le statut de fonctionnaire implique des droits et des devoirs, garantissant une déontologie et un principe de neutralité qu'on ne retrouve pas dans le privé.
Quant à la remarque adressée à mes collègues de la CFE-CGC, l'Union syndicale Solidaires est en total désaccord avec le schéma que vous avez évoqué à la fin de votre intervention.
M. Pierre-Alain Roiron. - Une des questions que vous avez soulevées concerne la difficulté liée aux différents statuts au sein des agences. Nous avons tous des exemples en tête, comme celui d'Atout France, où coexistent des fonctionnaires, des personnes sous statut français et d'autres sous statut international. Les négociations salariales et les avancées qui en découlent varient selon ces statuts. Quelles solutions pourraient être apportées ? Existe-t-il une solution applicable à toutes les agences de l'État ?
Mme Valérie Boyé. - Je doute qu'il existe une solution unique pour toutes les agences de l'État. Dans le cadre de votre commission, vous avez certainement constaté la grande diversité des opérateurs et des agences, de leurs missions, de leurs méthodes de travail et de leurs relations avec leurs partenaires.
M. Pierre-Alain Roiron. - Nous pourrions peut-être réfléchir à une solution pour les agences dans la sphère d'un même ministère. Par exemple, dans la sphère du ministère des finances, toutes les agences qui en dépendent pourraient avoir un statut commun pour leurs employés, distinct de celui des fonctionnaires. Ce principe pourrait s'appliquer de la même manière aux agences relevant du ministère de l'agriculture ou d'autres ministères.
Mme Christine Caraty. - Une solution envisageable serait d'harmoniser la grille salariale. Actuellement, il est problématique qu'un cadre supérieur de l'administration côtoie quelqu'un du privé qui gagne beaucoup plus pour le même travail. Cette situation crée des tensions. De plus, les différences de calcul pour les retraites accentuent ces disparités.
Si nous pouvions aligner les contrats de droit privé sur la même grille des salaires que le secteur public pour un travail équivalent, l'intégration serait facilitée. Cependant, dans le contexte budgétaire actuel, il est peu probable que le gouvernement accepte d'augmenter les salaires des cadres du public au niveau de ceux du privé.
Un autre aspect à considérer est le risque de voir des jeunes recrues en contrat à durée déterminée (CDD) ou contrat à durée indéterminée (CDI) acquérir de l'expérience dans des domaines sensibles, comme le contrôle fiscal, pour ensuite partir dans le privé et devenir fiscalistes. C'est une situation qui peut être frustrante pour les fonctionnaires.
Mme Valérie Boyé. - Au-delà de la question des rémunérations, nous rencontrons de réelles difficultés en matière de mobilité entre les établissements publics ou vers l'administration centrale, y compris pour les fonctionnaires. Les différences dans le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) et la protection sociale complémentaire (PSC) entre structures peuvent constituer des freins à la mobilité.
Certains statuts spécifiques, comme celui de cadre administratif et technique (CAT) à l'ONF, à mi-chemin entre le statut de technicien et celui d'ingénieur au ministère de l'agriculture, posent des problèmes de mutation vers d'autres établissements. Par exemple, un agent de l'ONF souhaitant muter vers le centre national de la propriété forestière (CNPF) se heurte à des blocages en raison de l'absence d'équivalence de statut.
Les quasi-statuts représentent également un défi pour la mobilité, car ils sont liés à un établissement spécifique. Pour faciliter les mouvements, il faudrait garantir aux agents concernés une rémunération au moins équivalente à celle dont ils bénéficient dans leur établissement d'origine.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes ouverts à toutes les propositions. Vous avez raison de souligner que la situation actuelle, notamment en matière de mobilité, présente des inconvénients. Par exemple, un fonctionnaire de l'administration centrale voit souvent sa rémunération augmenter significativement en partant en détachement dans une agence, ce qui peut poser des difficultés lors du retour dans l'administration.
Une piste de réflexion serait de modifier le cadre actuel pour que les agents soient en position normale d'activité plutôt qu'en détachement, quel que soit leur lieu d'affectation. Cela pourrait faciliter les mouvements dans les deux sens et la mobilité inter-établissements. La question de la mise en disponibilité pourrait également être examinée pour résoudre certains freins à la mobilité.
Mme Christine Caraty. - Je
suis entièrement d'accord avec cette proposition. J'ai récemment
été confronté à un cas où un cadre
détaché dans un autre organisme, après avoir
progressé dans sa carrière, a souhaité
réintégrer
son corps d'origine six mois avant sa
retraite. Cela a posé des problèmes car son contrat de
détachement ne lui donnait pas droit aux primes, entraînant un
retour à son grade antérieur.
Nous préconisons effectivement le système que vous venez d'évoquer. Lorsqu'un agent souhaite travailler dans un autre organisme ou une autre organisation, il devrait conserver le même statut, ce qui simplifierait considérablement les choses et pourrait favoriser une plus grande mobilité des fonctionnaires entre administrations et organismes.
Je constate dans mon ministère que beaucoup de personnes extérieures viennent travailler au ministère des finances, mais l'inverse est moins fréquent en raison des avantages en termes de primes et de rémunérations. Votre proposition pourrait contribuer à résoudre ce déséquilibre.
M. Pierre Barros, président. - Dans les collectivités, la rémunération à l'indice pour les contractuels et les agents est déjà équivalente à la grille que vous proposez pour faciliter l'attractivité et la mobilité. Cependant, cela n'a pas résolu les problèmes d'attractivité dans les collectivités territoriales, qui restent confrontées à de sérieuses difficultés de recrutement.
Le véritable enjeu réside dans le niveau des salaires. L'harmonisation des statuts ne suffit pas.
M. Pierre-Alain Roiron. - Serait-il envisageable d'établir des accords de branche par ministère pour les agences extérieures, comme cela se pratique dans d'autres secteurs ?
Mme Ophélie Gath. - Je ne répondrai pas à cette question car notre organisation n'y est pas favorable, y compris au sein de la fonction publique. Je laisserai mes camarades s'exprimer sur ce sujet si elles le souhaitent.
Concernant la mobilité, le discours sur ses bienfaits reste très théorique, voire idéologique. Pour de nombreux agents publics, il s'agit surtout d'une manière d'organiser la pénurie d'effectifs en faisant circuler le personnel d'un service ou d'une administration à l'autre. Être fonctionnaire n'est pas un métier, mais un statut, par ailleurs de plus en plus attaqué. Tout comme il n'y a rien de commun entre un boulanger et un cordonnier hormis leur statut d'artisan, il n'y a pas grand-chose en commun entre un prévisionniste à Météo France et un rédacteur à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ou entre un chercheur au CNRS ou au CEA, et un agent du Centre d'enseignement à distance (CNED).
La mobilité existe déjà au sein de
l'État. Par exemple, à la direction générale des
finances publiques (DGFiP), il est possible d'assurer plusieurs dizaines de
missions, tant en administration centrale que dans des directions
spécialisées ou territoriales. Prétendre qu'il faut plus
de mobilité, sous-entendant qu'elle n'existe pas, est trompeur. La
mobilité est déjà juridiquement possible, à travers
le site « Choisir le service public » par exemple. Mais
pour qu'elle serve
l'action publique, la mobilité doit tenir
compte de la grande variété des missions et des métiers de
l'action publique, opérateurs compris, et doit être choisie et
accompagnée.
Dans le contexte actuel, une des difficultés, y compris pour les fonctionnaires, est la dérégulation des règles de gestion et les attaques permanentes sur la mobilité dans les fonctions publiques. À la DGFiP, pour les cadres supérieurs et les cadres A, il n'y a plus de mouvements à date fixe : les mouvements se font désormais au fil de l'eau, sur fiche de poste et appel à candidature, ce qui pose des problèmes pour les agents et les services RH en termes de visibilité, de pluri-annualité et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Mme Pauline Martin. - Je souhaite revenir, Madame Caraty, sur votre discours d'introduction où vous évoquiez la possibilité de regrouper certains organismes. L'idée de thématiser la formation me semble intéressante. Il existe d'autres secteurs où l'on peut observer des redondances, comme dans le développement durable, où de nombreux opérateurs et services de l'État ont parfois des missions qui se chevauchent. En tant qu'élue locale, je constate que certains dossiers sont parfois transférés d'un organisme à l'autre sans véritable coordination.
Je voudrais avoir votre point de vue syndical sur ce sujet, qui dépasse le cadre strict des ressources humaines. De plus, avec une pointe d'humour, j'aimerais connaître votre opinion sur ce qui se dit parfois concernant la capacité des opérateurs de l'État à « recaser les copains ».
Mme Christine Caraty. - En tant que membre d'un Conseil économique, social et environnemental régional (CESER), je connais bien les problématiques régionales, départementales et communales, ce qui me permet d'avoir une vue d'ensemble. Concernant l'environnement, je laisserai ma collègue répondre.
La création des communautés de communes visait à regrouper les métiers transverses des communes pour réduire les effectifs et réaliser des économies ; force est de constater qu'elle n'a pas été un grand succès. Dans certaines communautés de communes, il y a effectivement eu des recrutements basés sur des liens familiaux ou de « copinage ». En l'absence de concours d'entrée ou de sélection pour certains emplois, tout est possible. J'espère néanmoins qu'on recrute des personnes qualifiées pour certains postes.
Il faut également souligner les difficultés liées aux emplois territoriaux, souvent mal rémunérés et difficiles, comme les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM). Avec l'augmentation de l'âge de départ à la retraite à 64 ans, la situation devient encore plus complexe.
Concernant le regroupement d'organismes par thématique, il est vrai que la France a tendance à privilégier le millefeuille administratif. Certains organismes pourraient sans doute être regroupés, notamment en ce qui concerne la gestion immobilière et les métiers transverses, ce qui permettrait de réaliser des économies significatives.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes tous conscients de la nécessité de faire des économies pour continuer à financer nos priorités et notre modèle social. En tant qu'organisation syndicale, avez-vous commencé à réfléchir à ces questions pour être force de proposition et éviter que des décisions soient imposées ? L'objectif de cette commission d'enquête est justement d'apporter une réflexion collective pour éviter de revivre la situation du PLF où une réduction des crédits de 5 % a été appliquée partout, sans logique ni réflexion approfondie.
Mme Christine Caraty. - Nous avons effectivement réfléchi à ces questions, notamment en raison de notre important syndicat majoritaire à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) au sein du Collège des Cadres. L'AFPA se trouve dans une situation assez catastrophique, comme vous le savez probablement. Nous avons discuté avec le secrétaire général de la CFE-CGC de l'AFPA et avons déjà travaillé avec le syndicat de France Travail, car nous pensons que l'AFPA et France Travail ont des points communs.
Notre priorité est de nous assurer que les agents de ces organismes ne soient pas laissés pour compte. Nous voulons qu'ils soient traités avec bienveillance et qu'ils puissent être réaffectés, le cas échéant, sur des postes où ils continueront à s'épanouir dans leur travail. La structure ou la forme importe moins que le respect du personnel et la possibilité de rendre ce processus viable. L'AFPA emploie une majorité de cadres. Nous essayons d'être force de proposition. Notre objectif est de trouver des solutions qui évitent la « casse » sociale. Nous voudrions que tous nos agents puissent être réintégrés, peut-être sous une autre forme, mais dans un établissement où ils pourraient continuer à oeuvrer pour l'État.
M. Pierre Barros, président. - Le problème principal de l'AFPA semble être sa mise en concurrence avec les organismes de formation privés. Elle est traitée de la même manière que n'importe quel opérateur privé dans le domaine de la formation. Parfois, les marchés sont remportés par d'autres opérateurs, mais ensuite délégués à l'AFPA car ces derniers n'ont pas la capacité de les assurer. Ces situations résultent de choix politiques assez anciens.
Mme Valérie Boyé. -
Concernant le volet environnemental et le développement
durable, je souhaite attirer votre attention sur l'importance cruciale des
investissements préventifs. Il est essentiel d'investir dès
maintenant pour éviter des coûts bien plus importants à
l'avenir.
La prévention et la gestion à moyen et
long terme sont fondamentales pour éviter les crises, les
surcoûts, et la nécessité de gérer l'urgence ou
d'indemniser les agriculteurs faute d'anticipation.
L'environnement est un domaine transversal qui concerne toutes les politiques publiques, du logement à la défense contre les incendies, en passant par la gestion des eaux et la lutte contre les pollutions. Cette diversité explique la multiplicité des opérateurs intervenant dans ce domaine, chacun avec ses spécialités.
Le rôle des agences de l'eau ne se limite pas à la gestion environnementale, mais inclut également la mobilisation de moyens financiers via les redevances. Il est crucial de distinguer le budget transitant par ces opérateurs de celui dédié à leur fonctionnement. Cette nuance est fondamentale pour comprendre leur véritable impact budgétaire.
Il est primordial d'investir maintenant pour éviter des coûts plus élevés à l'avenir, tout en assurant une continuité dans les politiques publiques, particulièrement dans un contexte d'urgence environnementale. Déstabiliser ces opérateurs aujourd'hui, par des fusions ou des réorganisations, c'est perdre un temps précieux qui devrait être consacré à l'action immédiate.
Nous devons à la fois anticiper et prévenir pour réduire les changements climatiques, éviter les pollutions, enrayer la perte de biodiversité, et transformer notre modèle agricole pour l'adapter aux futures conditions climatiques. L'investissement dans ces domaines est crucial et ne doit pas être négligé.
Mme Ophélie Gath. - L'approche de notre organisation syndicale s'agissant de la réflexion sur les économies et les priorités a été inverse. Nous avons réfléchi non pas en termes d'économies, mais plutôt d'augmentation des recettes. Dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances (PLF), nous avons été force de propositions et avons émis onze préconisations. Je peux vous faire parvenir le rapport détaillé que nous avons rédigé à ce sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre réflexion porte-t-elle sur l'augmentation des recettes de manière générale via la fiscalité, ou spécifiquement sur l'augmentation des ressources propres de ces opérateurs et agences ?
Mme Ophélie Gath. - Notre réflexion concerne les recettes au sens général du terme.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est moins notre sujet.
Mme Ophélie Gath. - C'est très lié au sujet.
M. Pierre Barros, président. - Je propose que nous abordions des thématiques qui n'auraient pas encore été traitées et qui pourraient être pertinentes pour notre commission.
Mme Ophélie Gath. - Je souhaite revenir sur une question à laquelle nous n'avons pas encore apporté de réponse complète. Il s'agit des rapports du Conseil d'État et de l'Inspection générale des finances publiés en 2012, qui appelaient à encadrer le recours au détachement de fonctionnaires dans les agences.
L'Union syndicale Solidaires considère qu'elle ne dispose pas de données suffisamment précises sur l'état des lieux des différentes formes d'emploi au sein des opérateurs. Nous sommes néanmoins préoccupés par le développement potentiel de formes de mobilité subies et/ou de précarité, qui pourraient être favorisées par la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019.
Nous nous interrogeons également sur les conséquences d'une mobilité qui pourrait se retourner contre l'agent. Par exemple, un agent ayant effectué une mobilité, qu'elle soit conseillée ou imposée, pourrait se voir refuser le retour dans son administration d'origine au motif qu'il ne serait plus immédiatement opérationnel. Il est donc crucial de garantir un retour dans de bonnes conditions, s'agissant aussi bien d'affectation que de promotion interne.
Notre organisation étant particulièrement critique vis-à-vis de la montée en puissance de la contractualisation, nous souhaitons que les fonctionnaires statutaires conservent ce statut. Nous estimons qu'un état des lieux des différentes pratiques est indispensable pour engager un processus d'harmonisation des droits par le haut.
Mme Christine Caraty. - Je souhaiterais revenir sur la question des accords de branche. Actuellement, la CFE-CGC Fonction publique travaille à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) active et sur une refonte des grilles salariales.
L'idée d'une négociation annuelle obligatoire (NAO) pour la fonction publique a été évoquée par l'un des ministres. Cependant, j'ai souligné que, étant donné que les salaires du secteur public sont soumis au budget de l'État, il serait difficile de mettre en place une NAO annuelle comme dans le privé. De même, la mise en place d'accords de branche classiques pourrait s'avérer complexe dans ce contexte.
Néanmoins, nous pourrions envisager une adaptation de ce concept qui nous permettrait de discuter des salaires de la fonction publique sur une base annuelle, ce qui n'est pas le cas actuellement. Aujourd'hui c'est l'État qui décide du gel ou non du point d'indice, ou de l'attribution de la garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA).
Il faut cependant garder à l'esprit que, contrairement au secteur privé, nous ne sommes pas liés à la productivité ou aux résultats d'une entreprise. Notre rémunération dépend des ressources et du budget de l'État, qui fait actuellement face à un déficit budgétaire susceptible de perdurer.
De plus, l'État étant le plus gros employeur de France, toute modification du point d'indice a des répercussions considérables. Concernant les organismes publics, l'idée d'accords de branche pourrait être explorée, mais il faudrait inventer un système adapté qui tienne compte des différences entre les statuts publics et privés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la possibilité de transférer certaines missions vers les collectivités locales ? Nous avons évoqué l'exemple du Fonds européen de développement régional (FEDER) mais nous constatons qu'il existe un certain nombre de compétences partagées entre l'État et les collectivités, qui effectuent plus ou moins les mêmes tâches. Comment envisagez-vous cette situation, sachant que les collectivités emploient également des fonctionnaires ?
Mme Christine Caraty. - C'est une question complexe. Je me réfère au rapport que le CESER présente périodiquement au Conseil régional. Nous avons réalisé un rapport sur l'agence de l'eau, qui illustre parfaitement la complexité de ces organismes. Ils relèvent à la fois des compétences régionales, départementales, étatiques et communales. Cette situation pose un problème majeur, notamment d'un point de vue politique. Imaginez une région, un département et une commune ayant des orientations politiques différentes : la gestion devient extrêmement compliquée. Les organismes dépendant de subventions et de financements divers peinent à coordonner leurs actions, car les décisions prises ne sont pas toujours alignées.
Concernant la délégation de compétences aux territoires, cela a déjà été fait, mais tout est une question de financement. Les territoires sont prêts à assumer de nouvelles responsabilités, à condition que les ressources financières suivent. Les collectivités ont du mal à comprendre pourquoi la ligne budgétaire ne suit pas toujours le transfert de compétences. Par exemple, la récente augmentation du point d'indice a posé des problèmes à certaines collectivités qui n'avaient pas anticipé cette hausse. Il faut garder à l'esprit que derrière chaque fonctionnaire, il y a un budget pour le rémunérer et financer ses activités.
Vos idées sont ambitieuses mais leur mise en oeuvre est complexe. Cependant, il est vrai que les collectivités territoriales possèdent des compétences et peuvent parfois résoudre certains problèmes de manière plus efficace que l'administration centrale.
Mme Ophélie Gath. - L'Union syndicale Solidaires n'est pas favorable aux transferts de missions, que ce soit vers des collectivités locales ou d'autres entités. Nous avons constaté que la plupart, voire la quasi-totalité de ces transferts, ont abouti à un affaiblissement de l'action publique et des services de l'État.
M. Pierre Barros, président. - Il faut d'ailleurs tenir compte du fait que les régions n'ont pas encore complètement assimilé les fusions. Certains transferts peuvent être pertinents en termes de déploiement territorial, d'échelle et de géographie. Cependant, intégrer du personnel dans les conditions que nous avons évoquées aujourd'hui est très ambitieux, d'autant plus que les régions n'ont pas encore résolu leurs problèmes internes, par exemple la gestion du RIFSEEP.
Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à ces échanges.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement
M. Pierre Barros, président. - Je salue Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement.
Madame, nous avons souhaité vous entendre car le secrétariat général du Gouvernement (SGG) occupe une place centrale, souvent peu connue du grand public, pour assurer le bon fonctionnement et la régularité de l'action gouvernementale.
Au quotidien, le SGG est chargé de l'organisation du travail gouvernemental comme du respect des procédures et apporte un conseil juridique au Gouvernement. Vous êtes, avec vos services, la garante de la continuité de l'action gouvernementale par-delà les changements politiques, puisque vous êtes seulement la quatrième titulaire de ce poste en presque trente ans. Enfin, vous supervisez les services du Premier ministre.
Vous disposez donc d'une vision très transversale des politiques menées. À cet égard, votre vision du processus d'agencification de l'État, qui a déjà été décrit au cours de nos premières auditions, nous sera très utile. Les gouvernements successifs ont émis plusieurs circulaires depuis quinze ans - signées par les Premiers ministres, donc préparées par le SGG - afin de mieux organiser le recours aux agences et de mieux exercer la tutelle. Pourtant, à l'issue des premières auditions, le sentiment qui prédomine est l'absence, pour beaucoup d'agences et d'opérateurs, de feuilles de route claires et bien pilotées par l'administration centrale. Qu'en pensez-vous ? Quel bilan en tirez-vous ?
C'est en raison de votre rôle de coordination que Mme le rapporteur s'est adressée à vous pour disposer d'informations chiffrées sur les agences, opérateurs et commissions consultatives. Vous avez répondu avec diligence, en coordination avec les ministères, et nous vous en remercions.
La base de données de la direction du budget identifie 1 169 organismes publics nationaux, définition qui méritera sans doute d'être précisée. Parmi ceux-ci figurent 426 opérateurs que nous connaissons bien, parce que les documents budgétaires donnent des éléments sur leurs effectifs et les grandes masses de leurs dépenses.
En revanche, je constate que les données financières sont partielles pour un peu plus de 200 organismes supplémentaires. Parfois, aucune donnée financière n'est fournie, notamment pour l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Comment cela est-il possible ?
Le SGG suit de manière plus directe les commissions consultatives, au nombre de 317. Bien que leur nombre ait été divisé par deux en quinze ans, leur existence fait toujours l'objet de critiques. Néanmoins, l'examen au Sénat d'une proposition de loi sur le sujet, rapportée par Hervé Reynaud, membre de notre commission d'enquête, a permis de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la plupart d'entre elles ne peuvent pas être supprimées.
Partagez-vous l'idée que le mouvement de diminution du nombre de ces commissions doit se poursuivre ? Quelles sont les difficultés concrètes auxquelles se heurte le Gouvernement lorsqu'il poursuit cette ambition ?
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Landais prête serment.
Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement. - Je vous remercie d'avoir décrit le rôle du SGG. On lui prête beaucoup d'actions qui ne sont pas les siennes.
Nous sommes très proches de l'autorité politique. Le SGG est le bras armé administratif de proximité et, j'espère, de confiance des Premiers ministres successifs, mais ce n'est pas un centre de gouvernement ni un observatoire de tout ce qui se passe au sein de l'État. Nous sommes centrés sur le fonctionnement interministériel et gouvernemental, ce qui peut être particulièrement exigeant quand les renouvellements s'accélèrent, puisque c'est le SGG qui accompagne l'installation d'une nouvelle équipe gouvernementale, tout en restant bien distinct des équipes politiques des cabinets.
Nous avons un tropisme juridique très marqué, puisque nous exerçons un contrôle de régularité.
Tout cela fait du SGG un poste d'observation très intéressant sur le déploiement des feuilles de route politiques et le fonctionnement de l'État.
Je comprends donc pourquoi vous m'avez invitée, même si je n'ai pas de relation quotidienne avec les opérateurs, puisque l'écosystème du SGG est vraiment celui des ministres, de leurs cabinets et des administrations centrales.
Je préside ainsi les comités d'audition des candidats aux postes de directeur d'administration centrale. Je connais donc bien ces fonctions et les personnes qui les occupent. Nous sommes aussi le greffier de Matignon, à l'occasion des réunions interministérielles, auxquelles il est assez rare que les opérateurs soient invités à dépêcher des représentants. Ce sont, en outre, des membres de l'administration centrale qui accompagnent les commissaires du Gouvernement au Conseil d'État. Bref, je ne connais pas intimement le monde des opérateurs.
Le SGG ne dirige aucune politique publique, sinon une politique de qualité de la norme et de régulation de l'inflation normative, y compris la création d'entités, quelles qu'elles soient. Nous exerçons un rôle tout particulier sur les commissions administratives, puisque nous sommes chargés de la mise en place de la règle de deux suppressions pour toute création, qui nous a permis, après une grande campagne de suppression de commissions, de veiller, en flux, à ce que la tendance ne reparte pas à la hausse. Néanmoins, nous voyons passer des décrets de création d'établissements publics ou des projets de création de services à compétence nationale.
J'anime le comité des secrétaires généraux des ministères, et je suis moi-même l'équivalent d'une secrétaire générale d'un ministère un peu particulier que sont les services du Premier ministre, qui sont éclatés en entités très variées et comptent 3 600 personnes. J'ai aussi été secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale auparavant. À ce titre, j'ai une vision des opérateurs des services du Premier ministre et des services à compétence nationale.
Je suis aussi souvent sollicitée pour animer ou participer à des chantiers de réflexion. Michel Barnier avait demandé une réflexion sur le paysage des opérateurs et sa rationalisation potentielle, commande confirmée par François Bayrou. Avec le directeur de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la directrice du budget, nous avons rencontré, sur ce sujet particulier des opérateurs, les secrétaires généraux des ministères, lors d'échanges assez libres et ouverts. Ce dialogue sur les opérateurs a débordé, assez vite, sur le chantier plus large de la refondation de l'action publique.
Il me semble que la réflexion par le prisme des missions est plus fructueuse que celle qui passerait par le prisme institutionnel.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous préciser le périmètre de la réflexion menée avec le directeur de la DITP et la directrice du budget ?
Je vous remercie pour les données que vous nous avez communiquées. J'avoue mon scepticisme sur la connaissance par l'État central de ces organismes. Nous avons analysé rapidement les données transmises : les informations sont de natures très disparates. Pour certaines entités publiques, les données relatives aux finances et aux effectifs sont très lacunaires. Dans la feuille de route des Premiers ministres successifs, la réflexion porte-t-elle uniquement sur les opérateurs recensés dans le jaune budgétaire, ou avez-vous, comme notre commission d'enquête, une vision bien plus large, allant des opérateurs jusqu'aux comités consultatifs ?
Nous avons demandé des tableaux de chiffres. Si les ministères exerçaient effectivement leur tutelle sur les organismes relevant de leur périmètre, ils devraient être capables de les remplir !
Mme Claire Landais. - J'ai noté votre frustration.
Le chiffre de 1 169 est issu du tableau que je vous ai transmis, tel qu'envoyé par la direction du budget. J'aurais peut-être dû lui demander comment elle l'a construit. Ce tableau regroupe des entités de natures très différentes, par exemple des blanchisseries interhospitalières.
Je ne crois pas que le périmètre qui est celui de votre commission d'enquête constitue le champ d'investigation du SGG. Nous avons ouvert la réflexion, avec les secrétaires généraux des ministères, plutôt sur le champ des opérateurs au sens du jaune budgétaire, en y ajoutant d'autres types d'organismes suffisamment structurants pour les politiques publiques pour qu'il soit pertinent d'aborder leur raison d'être et, éventuellement, leur recoupement avec d'autres entités. Nous allons également au-delà du périmètre du jaune car nous réfléchissons aussi aux missions.
En vous envoyant ce tableau, nous souhaitions attester de notre capacité à répondre rapidement à la représentation nationale ; dans les prochaines semaines, si vous en êtes d'accord, nous supprimerons des doublons ou, si vous êtes d'accord, des lignes sans intérêt et demanderons aux ministères de compléter les données manquantes.
J'ai récolté d'abord des données auprès de la direction du budget, du contrôle général économique et financier (CGefi), de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et de l'Insee, qui ont des remontées plus lacunaires. Je suis sûre que les ministères pourront les compléter par des remontées du terrain.
M. Pierre Barros, président. - Dans la perspective de l'examen du prochain projet de loi de finances, nous aurons un calendrier à respecter. Il faudra que nous soyons en mesure d'alimenter la réflexion du Gouvernement avec les conclusions de nos travaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur l'absence de données financières sur des entités aussi importantes que l'Institut de France, les chambres d'agriculture, ou encore l'Anru ? Les blanchisseries d'hôpitaux ne nous intéressent pas.
Certains opérateurs sont regroupés en un opérateur unique dans les tableaux : c'est le cas des universités et des écoles d'ingénieurs. L'agrégat « universités » ou « écoles d'ingénieurs » peut avoir un sens si l'on veut suivre la politique publique de formation, mais, si l'on veut des détails, peut-on les obtenir ? Seriez-vous capable de nous donner les chiffres par université - même si, en l'occurrence, nous les avons exclues de notre champ ? Quelle est la capacité de l'État central à exercer une tutelle sur ces organismes extérieurs ?
Mme Claire Landais. - Je ne crois pas qu'il faille voir ces tableaux, à ce stade, comme la traduction de la réalité du regard porté par l'État sur ses opérateurs. Il ne faut pas voir les lacunes des tableaux comme un manque de tutelle.
Sur les objets structurants, nous devons être capables de vous répondre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je citais l'Anru, les chambres d'agriculture et l'Institut de France, mais je pourrais y ajouter les agences dépendant de la sécurité sociale et la SNCF. Les fonds publics qui leur sont alloués sont importants. Aussi, on peut s'interroger sur leur contrôle.
Au-delà des données financières, le SGG pèse-t-il sur la manière dont les différents ministères accomplissent leur rôle de commissaire du Gouvernement ? Y a-t-il une politique unifiée sur le rôle de commissaire du Gouvernement auprès de chacun des opérateurs ou agences, dès lors que l'État est présent au conseil d'administration ?
Mme Claire Landais. - Au SGG, nous sommes 93, dont 60 fonctionnaires de catégories A et A+, le reste étant de catégorie B ou C. Nous gérons le flux interministériel, nous sommes une interface administrative avec un grand nombre d'institutions. Nous organisons l'envoi des projets de loi, les navettes, les demandes de procédure accélérée, nous réceptionnons les questions écrites, renvoyons les réponses. Nous éditons également le Journal officiel.
Pour répondre à demandes relatives aux opérateurs, j'ai travaillé seule. Heureusement, j'ai beaucoup de relais et j'obtiens facilement les données que je demande, mais je n'ai pas d'administration pour assurer cette mission.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez dit que vous aviez un rôle d'animateur et que vous réunissiez l'ensemble des secrétaires généraux des ministères. Il est possible que personne n'ait jamais écrit de doctrine de l'État sur le contrôle des opérateurs... Dans le cas contraire, où peut-on trouver un interlocuteur ?
Mme Claire Landais. - Le comité des secrétaires généraux et l'animatrice que je suis constituent tout de même un bon endroit pour réfléchir aux sujets transversaux, dont l'exercice de la tutelle fait partie. Nous y réfléchissons à nouveau depuis quelques semaines.
L'agencification n'est pas née de volontés centrifuges individuelles. Un choix politique a été fait de dissocier l'État stratège de la gestion plus industrielle de certains dispositifs : cela a semblé propice à une bonne gestion. Aujourd'hui, en voyant l'administration centrale, j'ai tendance à penser qu'elle manque de capacité à peser vis-à-vis de certains opérateurs, qui ont pris beaucoup d'ampleur.
J'essaie d'éviter toute tension entre nos institutions. Je préfère trouver les moyens d'une bonne coopération. Je ne mets en cause personne et je ne pense pas que les opérateurs cherchent à jouer contre le politique, mais, de fait, l'administration centrale se sent parfois démunie pour continuer à assurer une tutelle stratégique sur certains grands opérateurs et les contrôler correctement.
On peut avoir l'impression que les autorités politiques ont perdu un peu de leur capacité à embrayer sur les opérateurs sur leur impulsion. Mais, dans cette réflexion sur la relation entre le politique et les opérateurs, il ne faut pas oublier le rôle que joue l'administration centrale ni, en son sein, les relations entre secrétaires généraux et directions métiers, qui peuvent avoir des habitudes différentes en matière de tutelle. Le ministre doit bien utiliser ces différents outils pour être efficace face aux gros opérateurs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous dites que la réflexion est ouverte à nouveau depuis quelques semaines. Existe-t-il un document administratif qui définit le rôle de commissaire du Gouvernement ?
Mme Claire Landais. - Beaucoup de circulaires décrivent ce rôle, qui relève de l'organisation administrative. En revanche, la tutelle financière et comptable est assurée par la DGFiP.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelqu'un, au SGG, est-il chargé de vérifier que les contrats d'objectifs et de performance (COP) ou les contrats d'objectifs et de moyens (COM) sont bien signés et renouvelés, ou est-ce qu'une telle responsabilité incombe à chaque ministère ?
J'ai été surprise d'apprendre, dans la presse, que les ministres vont demander aux agences de redéfinir leurs missions dans le cadre d'une revue, alors même qu'ils disposent de commissaires du Gouvernement et qu'ils sont censés signer les COP et les COM avec les opérateurs. Existe-t-il une « tour de contrôle », si je puis dire, qui assure le suivi de ces contrats ?
Mme Claire Landais. - Les ministères connaissent bien leurs opérateurs ; croyez-moi ou non, mais après un cycle de réunions avec les secrétaires généraux des ministères, j'ai vraiment eu le sentiment qu'ils maîtrisaient leur cheptel d'opérateurs. Ils en connaissent les avantages et les limites ; ils savent également sur quels sujets il est difficile de les challenger - c'est vrai non pas des 1 169 opérateurs, mais en tout cas de ceux qui sont structurants pour les politiques publiques dont ils sont chargés ; ils savent où ces opérateurs en sont dans les COP, ce qui a fonctionné ou non ; ils mettent en place des indicateurs et se dotent de leviers d'action.
Est-ce que ces informations sont centralisées ? Non. Mais, à mon sens, il est normal et sain qu'une telle démarche relève de chaque ministère.
Le Premier ministre a demandé de restituer, sous la forme d'une note synthétique de deux pages lisibles, les missions essentielles des opérateurs : chaque directeur d'administration centrale, y compris moi, l'avons fait, et les opérateurs eux-mêmes également. Plusieurs centaines de fiches ont été remontées : comment seront-elles exploitées ? Suffiront-elles à évaluer si la répartition des rôles est pertinente, si le modèle selon lequel la conception relève des administrations centrales et la mise en oeuvre, des opérateurs, est toujours en vigueur, si le principe de spécialité est respecté ? Voilà des sujets qu'il faut mettre sur la table.
M. Pierre-Alain Roiron. - Madame la secrétaire générale, lors de votre audition en janvier 2020 devant la commission d'enquête du Sénat sur l'influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, vous aviez défendu l'externalisation de certaines missions de l'État lorsque la technicité du sujet le justifie, comme ce fut le cas, par exemple, pour la loi de 2019 d'orientation des mobilités.
Ce raisonnement peut-il s'appliquer au processus d'agencification de l'État, qui consiste à déléguer certaines missions à des agences publiques ?
Dans quelle mesure le recours aux cabinets privés et aux agences traduit-il une même volonté d'externalisation des compétences de l'administration centrale ? Selon vous, quels en sont les risques, mais aussi les bénéfices ?
Mme Claire Landais. - Lors de l'audition devant la commission d'enquête, il m'a été demandé s'il était normal que la réalisation d'une étude d'impact d'un projet de loi soit confiée à un cabinet privé, et j'ai répondu que la définition de l'objectif stratégique ou la réflexion sur les alternatives ne devaient évidemment pas être confiées à un cabinet de conseil, mais que cela ne me choquait pas que l'on y recoure lorsqu'il s'agissait d'évaluer précisément les impacts d'une mesure sur différentes catégories d'acteurs.
Depuis ces travaux, qui illustrent bien le rôle d'aiguillon que peuvent jouer les commissions d'enquête, le recours aux cabinets de conseil a beaucoup évolué.
Malgré tout, je continue de penser que nous avons bien fait de faire appel aux cabinets de conseil, notamment en période de pic d'activité, car cela permet de lisser le travail et de bénéficier d'un regard extérieur - même s'il ne faut pas s'y abonner, au risque que ce regard ne soit plus réellement extérieur... Mon propos était nuancé.
Ce raisonnement s'applique-t-il aux agences ? En réalité, l'agencification recouvre des réalités variées, parfois anciennes. Les établissements publics ne sont pas des objets nouveaux dans notre paysage administratif. L'administration centrale est à la main du ministre, contrairement aux opérateurs, qui en sont éloignés, car ils disposent d'une forme d'autonomie, plus ou moins importante selon qu'ils sont ou non dotés de la personnalité morale. Il ne s'agit pas pour autant d'une externalisation, puisqu'ils ne sont pas en dehors de la sphère étatique ; au contraire, il s'agit d'établissements publics sous tutelle de l'État.
Les raisons qui ont conduit à la création d'agences plutôt qu'au maintien de certaines missions au sein des administrations centrales sont multiples. Comme je l'ai déjà dit, il y va souvent d'une recherche d'efficacité : le partage des rôles entre la conception et la stratégie, qui relèvent de l'administration centrale, et la mise en oeuvre, confiée aux agences, reste pertinent dans de nombreux cas.
De même, il est toujours vrai que l'autonomie des agences permet d'impliquer davantage dans leur gouvernance les parties prenantes, comme les élus locaux, et qu'elle facilite la mobilisation de ressources propres. Selon certains, le revers de la médaille de l'autonomie serait que les agents sont des militants et se sentent propriétaires de l'agence. Au contraire, les agences de l'État me paraissent extrêmement loyales.
M. Pierre-Alain Roiron. - Ce n'était pas le sens de ma question...
Mme Claire Landais. - Je souhaite simplement dire qu'il s'agit moins d'un militantisme que d'un engagement en faveur de certaines politiques publiques. Certains agents publics s'engagent en fonction des thématiques portées par certaines agences. Aussi, l'agencification a utilement permis à la fonction publique de conserver son attractivité, et c'est précieux.
Le foisonnement n'est pas immaîtrisé. Le paysage administratif ne part pas à vau-l'eau ; l'augmentation du nombre d'agences n'est pas telle que l'on pourrait penser que la tendance centrifuge s'accélère - au contraire !
Cela dit, il est vrai que l'on constate parfois une dérive liée au manque de respect du principe de spécialité, car les missions accessoires prennent de plus en plus d'ampleur. Il est bon, dans ces conditions, de s'interroger, comme l'a demandé le Premier ministre, sur ce qui relève de leurs missions essentielles ou accessoires, lesquelles peuvent être le doublon de ce que font d'autres agences ou l'administration centrale, être en contradiction avec les messages envoyés ou rendre plus difficile la déconcentration.
Il faut aussi travailler sur des questions plus structurantes, comme celles des suppressions, des fusions et des mutualisations.
En tout état de cause, il ne faut pas lier cette question avec celle de la trajectoire des finances publiques, car les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Le sujet doit être abordé par le prisme de l'efficacité de l'action publique, et non par celui d'un train de vie fantasmé des opérateurs, qui serait un gisement d'économies massives.
Mme Pauline Martin. - L'évaluation des politiques publiques est un enjeu central, surtout s'agissant des agences. Quelle est votre vision sur ce sujet ? De quels outils disposez-vous pour mener une telle évaluation ?
Par ailleurs, comment éviter la multiplication des agences, qui peut parfois affaiblir les ministères ? En France, contrairement à ce qui se fait en Suède par exemple, nous avons tendance à déléguer certaines missions aux agences sans pour autant redimensionner les ministères en conséquence. Ne risque-t-on pas une dispersion des politiques publiques et des ressources ?
Mme Claire Landais. - En tant que SGG, je ne dispose pas d'outils d'évaluation des politiques publiques.
Mme Pauline Martin. - Oui, mais, depuis votre poste, vous avez une vision globale !
Mme Claire Landais. - J'ai un bon poste d'observation, même si je connais mieux certains champs de l'action publique pour y avoir travaillé.
D'ailleurs, la question des relations entre les agences, l'administration centrale et les services déconcentrés se pose de façon tout aussi intéressante pour les interactions entre les administrations de l'État. Depuis sept ans que je travaille dans le monde interministériel, j'ai pu constater à quel point il existe une méconnaissance entre ministères eux-mêmes, qui alimente chez certains l'impression d'être plus pauvres que d'autres, ce qui relève souvent du fantasme.
Un levier important pour atténuer ces écarts de perception réside dans la mobilité des agents publics : entre ministères, entre administrations centrales et services déconcentrés, ou encore entre l'État et ses démembrements.
À mon sens, on ne peut pas parler d'une multiplication des agences. En réalité, le nombre d'opérateurs tend plutôt à se stabiliser, voire à diminuer si l'on se réfère aux jaunes budgétaires. En revanche, ils gèrent beaucoup plus d'argent public qu'auparavant, mais cette évolution est proportionnelle à celle des dépenses publiques au cours des dernières années. L'existence d'opérateurs contribue-t-elle à l'augmentation des dépenses publiques ou bien complique-t-elle l'identification des véritables gisements d'économies ? J'ai du mal à répondre à une telle question ; ce qui est certain, en revanche, c'est que les opérateurs doivent faire partie de la réflexion sur la gestion des grandes masses budgétaires, en particulier en matière de transferts.
Une tutelle stratégique efficace doit être en mesure d'orienter les politiques publiques, y compris lorsqu'elles sont conduites par des opérateurs. Les opérateurs sont censés mettre en oeuvre des politiques publiques conçues par l'administration centrale - la conception est d'abord politique et s'appuie sur les ressources de l'administration centrale.
Ma réponse n'est peut-être pas pleinement satisfaisante, mais je n'en ai pas de meilleure.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Plusieurs circulaires ont été prises pour rationaliser le paysage des agences et des opérateurs, notamment en avril 2013, septembre 2014, juin 2015, juin 2019. Quel a été leur effet ?
Mme Claire Landais. - J'ai dû me replonger dans ces circulaires : le fait que je ne les connaisse pas par coeur est peut-être déjà un signe...
Cela dit, les questions qu'elles nous invitent à nous poser demeurent d'actualité ; par exemple, celle de savoir quand il est pertinent de créer une agence, et quand il ne l'est pas, demeure - et mes chargés de mission disposent de grilles d'analyse pour y répondre.
Évidemment, on ne peut pas garantir que chaque étude d'impact sur la création d'une agence aboutisse systématiquement à une décision rationnelle. Il arrive que la création d'un opérateur découle avant tout d'un besoin politique pressant, sans qu'il y ait eu le temps d'anticiper, et que l'étude d'impact serve ensuite à rationaliser cette décision a posteriori. Cela arrive, mais dans l'ensemble, nous avons les bons réflexes et nous nous posons les bonnes questions.
Nous plaidons régulièrement pour tirer parti des opérateurs existants plutôt que d'en créer de nouveaux. Par exemple, récemment, la création d'un nouvel établissement public a été envisagée dans le cadre de l'examen du projet de loi d'urgence pour Mayotte. Nous avons proposé de nous appuyer plutôt sur l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (Epfam). Une ordonnance permettra de lui confier de nouvelles missions. Nous jouons souvent un tel rôle, et cet aspect des circulaires reste bien présent.
Par ailleurs, je vous ai adressé un document préparé par la direction du budget, qui détaille les suppressions et fusions opérées depuis 2012 : le paysage des agences n'a pas du tout explosé.
M. Pierre-Alain Roiron. - Monsieur le président, pourrions-nous disposer de ce document ?
M. Pierre Barros, président. - Oui.
Mme Claire Landais. - Depuis 2012, quelque 69 organismes qualifiés d'« opérateurs » ont été supprimés, et 45 opérations de fusion ont concerné 134 opérateurs. Cela montre que cette politique est active et qu'elle s'intensifie à certains moments, notamment à la suite de la publication d'une circulaire à ce sujet.
En 2019, nous avons tous été invités à réfléchir à la suppression des entités de moins de 100 équivalents temps plein (ETP). Lorsque j'étais au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous avons supprimé l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), qui était un établissement public, ainsi que l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui était un groupement d'intérêt public (GIP). Ces exemples m'ont montré qu'il n'est jamais simple de supprimer des agences, car, derrière chaque structure, il y a des personnes, des missions, des cultures de métier. Il faut être attentif aux enjeux humains et aux raisons qui ont conduit, à un moment donné, à la création de ces entités.
M. Pierre-Alain Roiron. - J'ajoute que le coût et les missions des agents dont les postes ont été supprimés sont souvent transférés à d'autres. On le sait, certaines fusions ont même entraîné des coûts supplémentaires.
Mme Claire Landais. - Oui, les rationalisations par fusion, qui peuvent, à terme, générer des économies, impliquent des surcoûts initiaux, qui parfois ne disparaissent jamais complètement. C'est d'ailleurs pourquoi le Premier ministre nous a demandé à travailler sur les opérateurs à partir non pas d'un objectif chiffré de réduction, mais de tous les leviers possibles : suppressions - lorsque cela fait sens -, fusions, internalisations, mutualisations des fonctions support et suppressions d'implantations territoriales. Nous ne sommes pas guidés par l'objectif d'obtenir le scalp des opérateurs supprimés.
Pour avoir eu à le faire, je me suis rendu compte que supprimer un établissement public était loin d'être une évidence. Dans mon cas, la décision reposait sur une commande claire de Matignon, car il fallait des ETP supplémentaires pour les missions de cybersécurité gérées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui est un service à compétence nationale (SCN) rattaché au SGDSN. J'avais alors pour mission d'optimiser les marges de manoeuvre au sein du périmètre de 1 200 personnes du SGDSN, incluant l'administration centrale et ses trois SCN. Il s'agissait donc d'adapter l'écosystème en veillant à allouer les ressources là où elles étaient les plus essentielles.
Cet exemple illustre un point important : les directeurs d'administration centrale et les opérateurs doivent faire des propositions, mais il faut leur laisser des marges de manoeuvre et leur faire confiance dès lors que l'orientation politique a été donnée.
D'ailleurs, je vois passer dans mon bureau beaucoup de hauts fonctionnaires qui réfléchissent à la suite de leur carrière - en tant que SGG, je préside le comité d'audition pour la nomination des directeurs d'administration centrale. Nombre d'entre eux me disent souhaiter rejoindre un opérateur, ayant l'impression que l'on y dispose de plus de marges de manoeuvre. J'ai l'impression que cette envie d'autonomie est autoréalisatrice. Il est important de dire qu'il existe aussi, au sein de l'administration centrale, des marges de manoeuvre, des leviers d'action, de la confiance avec le politique : répondre à la commande politique n'empêche pas de pouvoir faire des propositions. Il faut corriger l'impression de déséquilibre entre les administrations centrales, où l'on serait contraint, et les opérateurs, où l'on serait très libre. Au sein des opérateurs, il doit être clair que l'on reste contraint par une commande politique et par une tutelle ; au sein des administrations centrales, on doit disposer de leviers stratégiques et exercer correctement la tutelle.
M. Pierre Barros, président. - Êtes-vous donc en train de préparer une nouvelle circulaire qui aurait pour objet de renforcer l'attractivité du travail dans les ministères aux yeux des agents qui considèrent aujourd'hui avoir davantage d'intérêt à poursuivre leur carrière au sein des opérateurs ?
Mme Claire Landais. - À ma connaissance, aucune circulaire n'est en cours de préparation.
La succession des circulaires ne signifie pas que celles-ci n'ont pas d'effet sur le réel : il est bon de rappeler régulièrement certaines orientations, notamment parce que les équipes tournent. Quand un nouveau gouvernement arrive, je propose de reprendre et réaffirmer des principes déjà posés par mes prédécesseurs.
S'il n'y a pas de circulaire en cours, nous travaillons néanmoins sur d'autres axes, notamment avec la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese), la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la direction du budget et d'autres acteurs interministériels, pour renforcer le collectif de l'administration centrale. Pour être attractive, celle-ci doit répondre au besoin qu'ont les agents de se retrouver dans un collectif, d'échanger sur leurs pratiques, de se sentir soutenus et de disposer des bons outils.
En tant que directeurs et directrices qui connaissent bien l'administration, nous avons un rôle à jouer sur cette question ou sur celle de la mobilité. Comme je l'ai dit, il est important de valoriser les parcours où l'on alterne entre des fonctions opérationnelles et des fonctions d'expertise ou de direction. Cela permet d'ailleurs de déconstruire certaines idées reçues, notamment l'illusion que « c'est toujours mieux ailleurs ».
Les opérateurs attirent, mais l'administration centrale doit tout autant donner envie d'y venir. Nous y travaillons, mais cela nécessite également de rééquilibrer les relations avec les cabinets ministériels : chacun doit être dans son rôle et avoir l'espace de le jouer.
Mme Ghislaine Senée. - Vos réponses confirment nombre de nos intuitions : chaque ministère connaît bien son cheptel d'opérateurs, mais il n'y a pas encore de vision centralisée, même si vous menez un travail d'animation.
Quelle est l'échéance du travail que vous a demandé le Premier ministre ? Pourrons-nous en lire les conclusions ? Il est essentiel que nous puissions disposer d'une vision claire, notamment sur le périmètre des agences que nous analysons.
Vous mentionniez que, depuis 2012, 69 suppressions et 42 fusions ont été réalisées. Existe-t-il un suivi précis de ces opérations ? Comment les agents évoluent-ils lorsqu'ils réintègrent les ministères ? Travaillent-ils sur les mêmes thématiques ? Changent-ils de secteur ? Surtout, qu'en est-il du suivi budgétaire et financier ? Existe-t-il un dispositif spécifique pour évaluer les surcoûts potentiels des fusions ?
Ne serait-il pas nécessaire d'instaurer, une bonne fois pour toutes, un processus de suivi clair et structuré ? Les parlementaires y seraient très favorables, car cela permettrait une validation et une évaluation rigoureuse des suppressions et des fusions. Il arrive que la suppression d'une agence découle naturellement de l'extinction d'une politique publique, mais ce n'est pas toujours le cas... Nous avons parfois l'impression que les fusions ne produisent pas toujours les effets escomptés ou ne répondent pas complètement à l'intention politique initiale.
Mme Claire Landais. - Depuis plusieurs années, le jaune budgétaire permet d'assurer un suivi comptable. Ainsi, les ministères ont une idée assez claire des dispositifs qui ont fonctionné et peuvent vérifier que les évolutions de périmètre ont répondu à la commande politique.
La tentation de l'exhaustivité des contrôles et du suivi nous mène à des impasses. Il est préférable de cibler nos évaluations et nos réflexions sur des objectifs qui en valent la peine, étant donné les moyens dont nous disposons.
J'ai pour objectif d'alimenter les réflexions de votre commission d'enquête non seulement sur les grandes tendances, mais aussi sur tel ou tel opérateur ; d'ailleurs, je vous présenterai bientôt des pistes de travail, en vue de la préparation du budget. Pour autant, je n'ai pas vocation à vous dire ce qu'il convient de faire de manière précise, car je ne dispose d'aucun mandat politique. C'est bien à l'autorité politique de prendre la main.
Mme Ghislaine Senée. - Nous aimerions avoir plus de visibilité sur les 42 fusions qui ont été évoquées. Le regroupement de plusieurs agences répond souvent à une commande politique, mais il n'est pas toujours évident à réaliser, les entités concernées ayant parfois des champs de compétences très différents.
M. Pierre Barros, président. - De toute évidence, il n'est pas possible de contrôler toutes les entités, car cela supposerait des effectifs colossaux. Pour autant, il est difficile d'identifier le rôle de chacune des parties prenantes et la façon dont les politiques publiques sont réparties entre les opérateurs de l'État si nous ne disposons d'aucun moyen d'évaluation.
Le contrôle budgétaire qui pèse sur les collectivités locales, notamment sur les communes, est redoutable : il conduit à traquer des centimes d'euros sur chacune des lignes budgétaires. Les élus ne s'en plaignent pas, car cela sécurise l'exercice de leur mandat. Néanmoins, la question du contrôle est traitée de manière très différente entre l'échelle locale et celle de l'État. Ce n'est pas rassurant.
Mme Claire Landais. - Il n'y a pas à douter de la réalité du contrôle. Il est effectué à la fois par le Parlement, dans sa mission de contrôle du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, par les inspections générales, qui peuvent diligenter un certain nombre d'audits, et par la Cour des comptes.
Encore une fois, nous ne procédons ni à un bilan exhaustif a posteriori, ni à une centralisation de toutes les données : nous n'en avons pas les moyens, et cela n'améliore pas forcément l'efficacité de l'action publique.
J'ajoute que, compte tenu de leurs effectifs, les administrations centrales se sentent parfois démunies face à de très gros opérateurs. En effet, les politiques qui se trouvent entre leurs mains brassent un public large et beaucoup d'argent public.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je comprends bien, vous n'assurez pas de suivi à l'échelon central, mais cela ne vous empêche pas de fournir des données le jour venu.
L'information est essentielle. Lors de l'examen du projet de loi de finances, on nous a demandé de nous prononcer sur la création d'une foncière d'État. Or cela supposait de pouvoir cibler précisément les contributeurs et acteurs potentiels.
Comme vous, je veux être optimiste et compter sur le fait que les ministères pourront, d'ici à quelques semaines, transmettre une information exhaustive sur tous les objets qui relèvent de leur champ de compétences. Nous interrogerons également la direction du budget, ce qui nous permettra d'affiner le périmètre de notre commission d'enquête.
Au-delà, nous avons besoin de savoir combien de temps prennent la collecte et la consolidation de l'ensemble des données, de manière à identifier le nombre d'agents des opérateurs et connaître leur statut. Nous ne manquerons pas d'interroger les membres des services qui, à l'échelon interministériel, assurent des fonctions support pour les agences et les opérateurs de l'État, comme la Diese et la DITP.
Du reste, il est prévu que toute commission consultative créée par décret a une durée de vie de cinq ans. Bon nombre de ces commissions, ayant été renouvelées en 2020, doivent prendre fin au mois de juin prochain. Envisage-t-on de reconduire leur mandat ? Quelle est la règle d'arbitrage qui peut faire pencher la balance en faveur soit de la suppression, soit du maintien de ces commissions ?
Mme Claire Landais. - Nous organiserons une campagne pour entendre toutes les demandes concernant le maintien ou la suppression des commissions consultatives. La division de leur nombre par deux était bienvenue, mais l'objectif d'affichage politique sur laquelle elle était fondée lui a donné un caractère un peu artificiel - il ne s'agissait parfois que de supprimer le texte fondateur.
Les commissions consultatives ne pèsent pas toutes de la même manière sur les finances publiques ou le fonctionnement de l'administration. Certaines ne se réunissent pas pendant une année entière. Doit-on pour autant les supprimer ? Le jour venu, elles permettent tout de même de réunir des experts...
Le fait qu'une commission se réunisse rarement ne constitue pas en soi un critère de suppression. Néanmoins, le SGG veille de façon ferme et constante à évincer les redondances. En tout état de cause, on ne peut pas nous demander la création d'une nouvelle commission sans proposer d'en supprimer deux autres. Il y a parfois des dérogations à ce principe, lorsque le cabinet du Premier ministre souhaite temporiser sur le gage.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous sommes informés du coût inhérent au fonctionnement de plusieurs comités via la base de données transmise. Facialement, certains comités n'impliquent aucune dépense de la part de l'État, mais ils ont tout de même un coût lorsqu'ils se réunissent régulièrement : il faut bien mobiliser des agents publics et mettre à disposition un local.
Existe-t-il une règle de valorisation concernant le prêt de salles pour l'organisation d'une réunion ? Il faut que nous puissions avoir une photographie du coût complet induit par ces comités.
Mme Claire Landais. - Nous ne disposons pas d'une comptabilité analytique permettant d'imputer aux comités un loyer fictif pour l'occupation d'un local public. Néanmoins, grâce à la gestion du jaune budgétaire relatif aux commissions de consultation, le SGG connaît un certain nombre de coûts, notamment en matière d'ETP.
À l'heure actuelle, le coût total de fonctionnement des commissions consultatives s'élève à 30 millions d'euros. Nous pourrons toujours approfondir ce chiffrage si vous nous le demandez. Toutefois, la mise en place d'une comptabilité analytique pour toutes les commissions consultatives existantes aurait un coût administratif largement supérieur aux constats que nous pourrions en tirer.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous estimez que ces 30 millions d'euros représentent un coût réel, nous sommes prêts à le prendre pour argent comptant !
Par exemple, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) n'a pas de budget en tant que tel, mais il organise plusieurs réunions auxquelles se rendent des agents de la direction générale de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). À cette occasion, ils échangent avec des parties prenantes qu'ils ont déjà rencontrées dans un cadre bilatéral. En outre, une salle est mise à disposition pour l'organisation de ces réunions. Bref, tout cela engendre des coûts qui ne sont pas inscrits sur une ligne budgétaire spécifique.
Les 30 millions d'euros auxquels vous vous référez sont-ils une version agrégée et approximative des coûts inhérents à l'ensemble des comités ?
Mme Claire Landais. - En effet, il n'est pas toujours pertinent de mobiliser de façon régulière des fonctionnaires dans le cadre de ces réunions.
Nous n'avons pas encore creusé le sujet du coût lié à la mise à disposition des locaux de l'État. Toutefois, la remontée annuelle d'informations de la part des ministères sur les commissions consultatives nous permet de réévaluer le rapport bénéfices-coûts.
Certaines parties prenantes échangent une seconde fois, bien qu'elles se soient déjà réunies. Je comprends votre réflexion, madame la rapporteure, mais la multiplication de réunions est parfois un passage obligé pour convaincre les écosystèmes et faire aboutir la décision publique. Il est normal que des fonctionnaires prennent le temps d'écouter les destinataires de la norme. Toutefois, nous veillons à ce que les consultations ne s'accumulent pas de façon abusive, notamment celles qui abordent un sujet au travers d'un prisme identique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'avis des commissions a-t-il parfois un caractère contraignant ?
Mme Claire Landais. - Il existe peu d'avis conformes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Tout le monde parle des comités Théodule, mais encore faut-il que nous puissions connaître le coût inhérent à leur fonctionnement ! C'est ainsi que nous serons en mesure d'améliorer l'efficacité de l'action publique.
Dans une période relativement récente, les gouvernements successifs n'ont pas manqué de multiplier les grand-messes pour modifier la conduite de l'action publique : révision générale des politiques publiques (RGPP), modernisation de l'action publique (MAP), Comité Action publique (CAP) 2022... Les recommandations formulées dans le cadre de ces missions sont-elles suivies ?
Ces missions sont souvent attachées à la personnalité du Premier ministre qui ordonne leur mise en place. Pensez-vous que leur objet prend fin à l'instant où son mandat cesse ?
Mme Claire Landais. - Ces programmes drainent fort heureusement des réflexions qui perdurent et permettent, à terme, de dénouer certains problèmes. Derrière l'affichage politique, c'est bien un travail de fond qui est mené, pour alimenter la réflexion des acteurs politiques.
Le bilan de ces grandes missions n'a pas été fait. Néanmoins, nous disposons d'une masse documentaire importante à leur sujet, qu'il s'agisse des rapports d'inspection ou des travaux d'évaluation de la Cour des comptes.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre venue, madame la secrétaire générale.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition conjointe de MM. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS)
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, au cours des trois semaines passées, nous avons commencé les travaux de notre commission d'enquête par des auditions de nature transversale : experts, hauts fonctionnaires, acteurs économiques, associations d'élus locaux.
Le cadre étant désormais posé, nous nous consacrerons principalement, dans les semaines à venir, aux politiques publiques pour lesquelles les agences jouent un rôle particulier. La politique publique de la santé nous occupera cet après-midi avec une audition conjointe de M. Grégory Emery, directeur général de la santé (DGS), et de M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS). Jeudi après-midi, nous poursuivrons avec Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Le paysage des opérateurs du domaine de la santé est sans doute l'un des plus complexes, et nous aurions pu recevoir encore bien d'autres organismes. Cette politique est conduite à la fois par l'État et par les administrations de sécurité sociale, de sorte que les informations sont non pas unifiées dans les documents budgétaires, mais dispersées entre plusieurs sources.
Ce paysage a par ailleurs fait l'objet de nombreuses réorganisations, avec, notamment, la création des ARS voilà près de quinze ans, celle de Santé publique France plus récemment encore, peu avant la crise de la covid-19, au cours de laquelle certaines de ces agences ont joué un rôle de premier plan.
Le DGS disposant d'une vue d'ensemble, il pourra nous dire si ces recompositions ont produit leurs effets en améliorant la mise en oeuvre des politiques de santé. L'agence Santé publique France, par exemple, a-t-elle parfaitement intégré les trois organismes dont elle est issue ?
Les ARS sont souvent mentionnées dans les débats au Sénat, chambre des collectivités territoriales, parce qu'elles sont en relation avec les élus locaux. Devant cette commission, nous avons entendu des voix d'élus locaux regretter une époque où, selon eux, l'État parlait d'une seule voix.
Comment voyez-vous le rôle de l'ARS vis-à-vis de l'État central, avec le préfet, d'une part, et les services déconcentrés, d'autre part ? La répartition des rôles est-elle identique dans toutes les régions ou cela dépend-il aussi des endroits et des personnes ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Grégory Emery et M. Denis Robin prêtent serment.
M. Grégory Emery, directeur général de la santé. - Je vous remercie de votre invitation. Je précise que j'ai précédemment exercé la fonction de responsable de service au sein de la HAS.
J'aborderai plusieurs points, en commençant par rappeler les missions de la direction générale de la santé (DGS).
La première consiste à préparer le système de santé aux crises sanitaires. Pour ce faire, nous coordonnons la préparation des moyens sanitaires permettant de faire face aux menaces et aux crises, afin de mieux protéger la population.
Notre deuxième mission consiste à concevoir et à mener des politiques de prévention en santé. Nous souhaitons nous assurer que les Français soient en meilleure santé et tâchons de leur donner des clés, afin qu'ils adoptent des comportements plus favorables à leur santé, de la petite enfance au grand âge, qu'il s'agisse de la prévention en direction des jeunes enfants, de lutte contre les addictions, de la promotion de l'activité physique ou encore de vaccination et de dépistage.
La troisième mission vise à garantir la sécurité et la qualité des produits de santé, c'est-à-dire les médicaments et les pratiques de soins, avec pour objectif de permettre aux patients d'accéder à des produits innovants, tout en négociant les médicaments à des prix équitables dans les instances compétentes.
Notre quatrième mission a trait à la protection des Français, en s'assurant que leur environnement soit favorable à leur santé. Il s'agit donc de prévenir les risques sanitaires liés à l'alimentation et au milieu de vie, qu'il s'agisse de l'air ou de l'eau, et notamment de l'eau en bouteille, au coeur de l'actualité récente.
Afin de mener à bien ces missions, la DGS peut s'appuyer sur un réseau d'acteurs, à commencer par six agences sanitaires dont elle assure la tutelle : l'Institut national du cancer (Inca), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Santé publique France, l'Agence de la biomédecine (ABM), l'ANSM et, enfin, l'Établissement français du sang (EFS).
L'Inca et l'Anses sont financés par des crédits de l'État sur le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », et les quatre autres agences par les crédits de l'assurance maladie, plus précisément sur le sixième sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). C'est donc la direction de la sécurité sociale (DSS) qui exerce la tutelle financière sur ces organismes, la DGS assurant pour sa part la tutelle « métier ».
Je précise que je n'exerce aucune tutelle sur les ARS, qui font vivre les politiques publiques de santé au quotidien dans les territoires. Ces agences sont bien les acteurs de terrain qui assument les missions que je viens de décrire, et nous échangeons chaque mois avec leurs directeurs généraux.
La tutelle sur nos agences s'exerce à trois niveaux.
Elle s'exerce tout d'abord à un niveau « stratégique », par le biais d'une réunion des directeurs généraux d'agences permettant d'échanger sur l'actualité et les éventuelles urgences. Depuis ma prise de fonction, j'ai en effet souhaité animer le réseau de directeurs de manière beaucoup plus directe, dans le cadre de ce comité d'animation des agences, afin de mutualiser les informations sur des sujets tels que la cybersécurité ou la préparation des jeux Olympiques.
Le deuxième niveau d'exercice de la tutelle a trait au pilotage de chaque agence, avec des contrats d'objectifs et de performance (COP) signés par les administrations concernées, le plus souvent sur une durée de quatre ans et avec un suivi annuel d'une série d'indicateurs.
Nous assurons aussi l'évaluation professionnelle de chacun des directeurs généraux, dont une partie de la rémunération dépend de l'atteinte d'objectifs chiffrés. Par ailleurs, le directeur général de la santé ou son adjointe participe à l'ensemble des conseils d'administration des agences.
J'en viens au pilotage des moyens de chacune des agences. Nous animons un réseau des directeurs adjoints d'agences, qui permet de mener une réflexion commune autour de l'homogénéisation des marchés publics, de la gestion des ressources humaines ou de la transition écologique. Je dispose donc, grâce à un collaborateur présent dans chaque agence, d'une vision à chaque instant de l'activité de la structure concernée.
Est-ce à dire que nous ne pourrions pas progresser sur l'exercice de la tutelle ? À l'évidence, non. Je m'interroge depuis plusieurs années sur cet enjeu compte tenu de la diversité des champs d'action de ces agences. Les réflexions de votre commission d'enquête, ainsi que les travaux menés sous l'égide du Premier ministre sur le rôle des opérateurs de l'État, nous conduiront à mettre en place des plans d'action, afin d'améliorer l'exercice de notre tutelle.
Comment exercer une tutelle plus stratégique ? Il convient tout d'abord de ne pas passer à côté des futurs grands défis de nos opérateurs, dont l'intelligence artificielle (IA), les données et la cybersécurité, à la fois en les intégrant dans les COP et en mutualisant l'expertise. Il faut ensuite revenir aux missions fondamentales de ces agences en s'assurant que les COP, qui se sont complexifiés au fil des années, puissent être traduits en objectifs concrets pour les citoyens et les élus.
Nous menons d'ailleurs un travail avec Santé publique France, dix ans après sa création, afin de déterminer si les trois cultures de la prévention, de la surveillance et de la gestion de crise se sont correctement amalgamées. C'est le sens de la démarche des ministres Catherine Vautrin et Yannick Neuder, qui ont sollicité une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la bonne réalisation des missions de Santé publique France.
Plus globalement, l'exercice d'une tutelle telle que la nôtre dans un paysage particulièrement complexe justifie que nous modernisions régulièrement notre approche et que nous nous posions des questions simples, du moins en apparence : qu'attendons-nous de l'État et d'une agence sanitaire en matière de santé ? Les réponses ne sont pas si aisées, puisque certaines missions actuellement exercées par des agences pourraient probablement être intégrées dans le périmètre d'action de l'État ; à l'inverse, d'autres missions, impulsées à l'échelon national, pourraient sans doute être mieux appliquées par des opérateurs à un niveau déconcentré.
Du reste, les synergies entre l'ANSM et la HAS doivent être renforcées dans le champ du médicament, tout comme les synergies entre Santé publique France et l'Anses dans le champ de la surveillance. J'assume d'ailleurs ma part de responsabilité en matière de gestion de crise, puisque Santé publique France, opérateur de gestion de crise, coexiste avec un centre de crises sanitaires (CCS) au sein de la DGS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le comité d'animation des agences est-il de nature interministérielle ?
Par ailleurs, pourriez-vous préciser les missions susceptibles d'être déconcentrées ?
M. Grégory Emery. - Ce comité est prévu par le code de la santé publique. Une telle mention dans la loi, qui avait sans doute vocation à sécuriser cette coordination, pourrait être supprimée. Il s'agit d'une réunion des directeurs d'agences, avec un objectif de mutualisation, mais sans portée interministérielle.
Concernant les missions qui pourraient être déconcentrées à l'avenir, il importe de se fixer des objectifs nationaux, par exemple en termes de couverture vaccinale contre la grippe, mais en laissant le soin de la mise en oeuvre aux ARS.
Notre politique ne doit en effet pas être uniquement créatrice de normes et d'instructions pour les agences, à qui il convient de laisser sans doute davantage de latitude dans la déclinaison. Je suis persuadé de la nécessité de trouver un nouvel équilibre en sortant d'un système de circulaires pour aller sur une politique de résultats, avec un fort principe de subsidiarité : je ne prétends pas connaître les spécificités de chaque territoire depuis mon bureau parisien.
M. Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'ARS. - J'indique en préalable que le collège des directeurs généraux d'ARS n'a pas d'existence juridique et qu'il a été créé à des fins de coordination, notamment afin de faciliter les prises de contact avec les autorités ministérielles. Je n'ai donc aucun pouvoir hiérarchique sur mes collègues directeurs généraux dans ce cadre.
Actuellement directeur général de l'ARS d'Île-de-France, j'ai exercé la même fonction au sein de l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur. N'étant ni médecin ni directeur d'hôpital de carrière, je ne suis pas un produit du ministère de la santé, ayant accompli toute ma carrière au sein du ministère de l'intérieur en tant que préfet de Mayotte et du Pas-de-Calais, avant de devenir secrétaire général du ministère de l'intérieur.
J'ai souhaité diversifier mon parcours, et j'ai rejoint la communauté de la santé afin d'exercer la fonction de directeur général d'ARS, ce qui m'a permis de retrouver une activité de terrain et de découvrir un nouveau domaine, articulé autour d'autres priorités. J'ajoute qu'Édouard Philippe m'avait demandé de créer le centre national de crise pour accompagner le déconfinement, en élargissant la réflexion à des aspects autres que sanitaires : j'ai dirigé ce centre pendant environ sept mois.
J'en viens à vos questions, en constatant que le modèle des ARS fait encore l'objet d'interrogations. Qu'avait souhaité le législateur en créant ces agences au moment de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) ? Il s'agissait d'abord de mettre fin à des ruptures entre des segments de la politique de santé sur le territoire, afin de bâtir une politique de santé inclusive. Plus précisément, l'objectif consistait à mener une réflexion sur la prévention et la promotion de la santé, en en faisant le socle de nos politiques, avec notamment le volet santé-environnement que nous cherchons à développer.
Il fallait également compléter l'offre de soins, en ajoutant à l'offre hospitalière, publique, privée non lucrative et privée lucrative, l'offre de soins de ville, qui était alors plutôt isolée. Enfin, il s'agissait de rajouter à toutes ces composantes le volet médico-social, qui était, avant la création des ARS, placé sous la responsabilité des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) et des conseils départementaux, ainsi que les compétences de veille sanitaire et de gestion de crise, qui étaient jusqu'à présent exercées par le préfet.
L'ensemble de ces compétences a donc été confié aux ARS, ce qui m'amène à la deuxième volonté exprimée par le législateur, à savoir la simplification du panorama des acteurs de la politique de santé sur le territoire. Dans la configuration précédente, les agences régionales de l'hospitalisation coexistaient avec les Drass, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), les groupements régionaux de santé publique, les maisons régionales de santé, l'assurance maladie, l'autorité préfectorale et les collectivités territoriales, soit une dizaine d'acteurs portant chacun un segment de la politique de santé dans les territoires : désormais, ce réseau d'acteur est piloté par l'ARS.
Troisièmement, le législateur avait souhaité rapprocher les financeurs des décideurs : la politique de santé était très largement financée par l'assurance maladie, tandis que de multiples décideurs administratifs intervenaient. La création des ARS avait pour ambition de transférer à ce décideur référent les financements : c'est ce qui a été mis en place, puisque les ARS gèrent notamment des budgets d'intervention, dont le fonds d'intervention régional (FIR), à la fois alimenté par des crédits de l'État, par des crédits de l'assurance maladie et par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
En résumé, la création des ARS a permis de mettre sur pied l'acteur d'une politique inclusive et coordonnée abordant tous les segments de la politique de santé, et doté des moyens nécessaires.
Pourquoi avoir choisi, ensuite, ce statut d'agence, chaque ARS étant un établissement public ? Peut-être qu'un effet de mode l'explique, mais la réponse la plus pertinente, selon moi, tient au fait que l'allocation de moyens fongibles et d'origines diverses devait amener la création d'une nouvelle entité administrative et financière à même de gérer ceux-ci : cela explique le choix de la création d'une agence, plus agile que l'État, enserré dans ses modes de fonctionnement classiques.
Je souhaite insister par ailleurs sur le fait que l'autonomie des ARS ne s'exerce pas de la même façon selon que l'on considère la définition des missions et des priorités ou la mise en oeuvre des politiques qui nous sont confiées.
Aussi, les politiques que nous portons sont enserrées par de très nombreuses dispositions législatives et réglementaires, parfois à l'excès, par exemple pour les autorisations d'activité dans le domaine de la pharmacie : des élus nous demandent régulièrement des transferts ou des autorisations, mais notre action est très contrainte.
Un autre pan de notre activité a trait aux sociétés savantes, dont les avis s'imposent de fait aux ARS, même si elles peuvent les adapter en partie à la réalité des territoires.
Pour ce qui est de la tutelle, exercée de manière très étroite par les ministères sociaux, chaque ARS doit respecter un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) suivi de près, et chaque directeur reçoit une lettre de mission signée par chacun des trois ministres, qui détermine une part de sa rémunération : Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Charlotte Parmentier-Lecocq.
De surcroît, le ministère a mis en place une forme de tutelle assez moderne et agile au travers des séminaires mensuels des directeurs généraux d'ARS, qui permettent de bien s'accorder sur les politiques menées et les résultats obtenus. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l'appellation d'agence, l'action des ARS est donc très encadrée.
En revanche, le fait de disposer d'enveloppes fongibles, notamment le FIR, leur permet d'adapter les politiques aux territoires, les directeurs généraux pouvant s'appuyer sur tel ou tel acteur ou établissement de leur choix, en fonction des besoins.
J'en arrive aux impacts de la création des ARS sur leur environnement administratif et institutionnel, à commencer par les professionnels de santé. Certains d'entre eux, notamment les directeurs d'hôpitaux, avaient exprimé des inquiétudes ou ne voyaient pas d'un bon oeil l'arrivée de cette tutelle, mais je crois pouvoir dire que l'ensemble des professionnels a bien compris l'intérêt de pouvoir travailler avec une agence bénéficiant de crédits fongibles, car ce mode de fonctionnement a apporté une souplesse appréciable à la prise de décision, sans remonter pour chaque décision au ministère.
Du point de vue de la relation avec les préfets, une période de tension et de méfiance a marqué les débuts des ARS, car ils ont mal vécu l'apparition d'un nouveau décideur qui n'était pas placé sous leur autorité hiérarchique directe. Ces difficultés s'étaient traduites, par exemple, par le fait que le directeur général de l'ARS ne participait aux réunions de la conférence administrative régionale du préfet qu'à la condition d'intervenir sur un point précis, tandis que les directeurs départementaux de l'ARS ne participaient que très exceptionnellement aux réunions des chefs de service.
Cette période est désormais révolue, les préfets et les ARS échangeant très régulièrement dans le cadre des instances de dialogue animées par le préfet de région ou le préfet de département.
Du reste, les préfets ont conservé des compétences en matière sanitaire et restent ainsi responsables de la police de l'hygiène publique. Le code de la santé publique organise les relations entre le préfet et l'ARS, la seconde ayant la mission d'informer le premier et les élus concernés dès lors qu'elle identifie un risque sanitaire particulier. Si ce dernier est susceptible de créer des troubles à l'ordre public ou si un basculement en gestion de crise intervient, les moyens de l'ARS sont alors mis à la disposition du préfet, à l'instar de ce qui a été pratiqué pendant la période des jeux Olympiques.
La forme d'une agence n'est donc selon moi plus vraiment un problème du point de vue de la relation avec le corps préfectoral, qui est assez proche, in fine, de celle qui unit les recteurs et les préfets.
Enfin, les ARS entretiennent des relations avec les élus locaux et avec les collectivités territoriales, et c'est sans doute sur ce point que les marges d'amélioration restent les plus importantes. Un sondage réalisé par Ipsos à l'occasion du Congrès des maires a ainsi révélé que 86 % des maires interrogés connaissaient les missions des ARS et que 73 % d'entre eux avaient une bonne image de ces structures.
En contrepoint, 60 % des maires les jugeaient trop éloignées de leurs communes, 45 % d'entre eux souhaitaient que les ARS leur transmettent plus régulièrement des éléments de communication leur permettant d'améliorer leur dialogue avec leurs concitoyens, et 46 % des élus sollicitaient davantage de transparence et de pédagogie quant à la réglementation et à leurs obligations en matière de politique publique de santé.
J'en ai conclu que nous avions un problème d'incarnation dans les territoires, notamment au niveau départemental et au niveau communal, et que les ARS étaient sans doute restées des structures trop expertes et trop régionales. J'entends mener une transformation en ce sens, en renforçant significativement les structures départementales en Île-de-France, y compris sur le plan financier puisque j'ai décidé de déléguer une partie du fonds d'intervention régional aux directeurs départementaux, de manière à ce qu'ils puissent nouer des partenariats locaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Selon vous, la relation entre les ARS et les préfets n'est plus un problème, mais nous avons pu entendre des critiques relatives à la gestion de la crise sanitaire. En particulier, certains préfets de départements ont pu évoquer des difficultés dans la transmission d'informations de la part des ARS.
En admettant que nous conservions les ARS telles qu'elles existent, serait-il selon vous opportun que leurs directeurs départementaux soient directement placés sous la tutelle du préfet de département ?
Par ailleurs, les effectifs départementaux des ARS semblent relativement réduits. Ne pourrait-on pas envisager une fusion avec les départements qui portent la politique sociale, en lieu et place des partenariats que vous évoquiez ?
M. Denis Robin. - Pour ce qui est de la crise sanitaire que nous avons vécue, les ARS ont agi sur la base des informations qui leur étaient transmises et n'étaient pas en mesure d'avancer les certitudes dont les préfets pouvaient exprimer le besoin : la situation était inconfortable pour tous.
Il me semble que nous avons amélioré le fonctionnement en décidant que la gestion de crise devait revêtir un caractère interministériel, afin que l'ensemble du réseau de l'État - préfets, ARS, rectorats, etc. - soit irrigué par les connaissances disponibles et par la politique du gouvernement. Je pense que nous aurions de meilleurs réflexes si une crise de cette ampleur venait à se reproduire.
Pour ce qui concerne l'opportunité de placer les directeurs départementaux sous la tutelle des préfets, je note que ces directeurs entretiennent déjà des relations étroites avec les préfets et qu'ils exercent d'ailleurs un certain nombre de compétences par délégation de ces derniers : tel est le cas, par exemple, en matière de lutte contre l'habitat indigne. Les directions départementales sont donc pleinement intégrées aux instances pilotées par les préfets.
Quant à un éventuel rapprochement avec la collectivité départementale, je n'ai pas vocation à me prononcer sur une orientation politique telle que la décentralisation, mais j'attire votre attention sur le fait que les départements sont déjà très mobilisés sur les politiques sociales et qu'ils partagent avec les ARS la relation avec le médico-social, qu'il s'agisse des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou de la politique en matière de handicap. Aller vers une décentralisation en transférant ces compétences aux départements est un choix politique qui appartient au Gouvernement et au Parlement...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aurais surtout voulu savoir s'il existait des obstacles d'ordre technique à ce transfert de compétences.
M. Denis Robin. - Le médico-social est devenu un segment à part entière de notre politique de santé, alors qu'il était traité un peu différemment jusqu'à présent. Le fait que les ARS s'en emparent a justement permis cette inclusion.
Nous le savons, les Ehpad deviendront progressivement des structures intervenant en aval de l'hôpital. En outre, ils devront être médicalisés, car ils accueilleront des personnes de plus en plus âgées et dont la situation de santé est de plus en plus dégradée. L'intégration entre l'offre sanitaire et l'offre médico-sociale me paraît absolument indispensable si l'on veut préparer cette évolution et un décloisonnement.
Le transfert de l'action médico-sociale à la collectivité départementale, dans un pôle social, briserait la dynamique de son intégration. Ce serait fâcheux, car cette dernière est nécessaire pour conduire nos politiques sanitaires.
M. Hervé Maurey. - Vous l'avez dit, vous avez à coeur de vérifier si votre action est conforme aux objectifs fixés par la loi. Toutefois, vous n'avez pas indiqué si vous vous assuriez de son adéquation aux besoins actuels. Il conviendrait que vous vous posiez cette question, les ARS ayant été créées voilà quinze ans.
Il serait bon que vous puissiez dresser le bilan de la création des ARS et de toutes les agences placées sous l'autorité de la DGS. On peut en effet se demander ce qu'elles ont coûté, notamment en matière de création de postes. Je ne suis pas certain que la création des agences sanitaires ait conduit à supprimer d'autres structures au sein des départements et des services de l'État.
Sans précision de votre part sur ces divers sujets, je quitterai cette salle avec un sentiment de frustration, car je n'aurai rien appris de nouveau, que ce soit sur l'utilité des agences sanitaires ou sur l'intérêt éventuel de les regrouper ou de les supprimer.
Du reste, vous avez évoqué les contacts avec les élus locaux. Pourtant, là où il existe des marges de progression, c'est avec les élus nationaux. Pour ma part, je ne connais pas un seul sénateur qui soit satisfait de l'action de l'ARS dans son département. Cela tient davantage à la structure de l'agence qu'à la personne qui la préside. Il faudrait sans doute se pencher sur cet aspect.
M. Grégory Emery. - Chaque année, le Parlement, au travers du sixième sous-objectif de l'Ondam, voté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, attribue de nouvelles missions et de nouveaux moyens aux directions et agences sanitaires. En conséquence, notre réseau d'agences n'est pas figé dans le temps.
Concernant les évaluations, je m'inscris en faux par rapport à vos propos. Premièrement, tous les COP sont évalués, soit par l'Igas, soit par la Cour des comptes. Je ne manquerai pas de renseigner votre commission sur l'ensemble des COP, qui sont structurés et formulés en des termes très concrets : l'ANSM réduit le nombre de pénuries de médicaments, tandis que l'INCa définit le nombre de dépistages de cancers à effectuer et le nombre de recherches à financer.
Ces objectifs sont parfaitement transparents dès lors qu'ils sont publiés sur le site internet des agences sanitaires.
La surveillance sanitaire m'occupe au quotidien. Depuis la crise de la covid-19, nous avons tiré un certain nombre de leçons, si bien que, aujourd'hui, la surveillance des eaux usées, la surveillance génomique et la surveillance syndromique, effectuée à partir d'indicateurs transmis par les cabinets médicaux, fonctionnent. En outre, la couverture vaccinale est assurée ; je peux vous en communiquer les chiffres.
Il n'y a aucune ambiguïté. Santé publique France, qui devait servir d'outil de pilotage aux décideurs, fonctionne bel et bien. Toutefois, il me semble parfois nécessaire de faire évoluer les agences et leurs missions, non pas parce qu'elles sont inopérantes, mais parce qu'il y a lieu de les adapter à de nouveaux enjeux.
Il y a cinq, dix ou quinze ans, il aurait été difficile de définir les objectifs de la politique One Health, ou « une seule santé ». Aujourd'hui, nous savons qu'elle consiste en une imbrication de la santé animale, de la santé environnementale et de la santé humaine, mais ce n'est qu'après la survenance de différentes crises - épidémie aviaire, crise de la covid-19 et accélération du dérèglement climatique - que nous avons pris conscience de ces enjeux-là.
Je vous le confirme, l'Anses effectue les missions qui lui ont été assignées, notamment l'évaluation des produits phytosanitaires, mais le fait-elle dans des délais suffisants ? Je veux bien revenir sur ce sujet, indicateur par indicateur. Sachez que, pour chaque COP, un relevé mensuel est fait. En outre, la Cour des comptes contrôle régulièrement le financement des agences sanitaires et l'Igas évalue systématiquement les COP.
M. Denis Robin. - L'évolution des ARS a permis d'obtenir des résultats. Par rapport au schéma initial que j'ai vu se construire lorsque j'étais préfet, nous avons levé beaucoup de difficultés et surmonté de nombreux obstacles. Les ARS sont toujours perfectibles, d'autant qu'elles n'ont que quinze ans. Reste que nous sommes parvenus à réaliser un décloisonnement entre les structures. En conséquence, nous sommes plus à même de gérer l'offre hospitalière sur un territoire, en relation avec l'offre de ville. En outre, nous sommes en mesure de réfléchir à ce qui doit intervenir en aval et en amont d'une structure hospitalière, mais aussi de financer des actions ou des parcours qui n'existaient pas auparavant.
Progressivement, nous avons apporté de la fluidité dans la réponse à certaines difficultés. Si les ARS n'existaient pas, les blocages seraient bien plus grands que ceux que nous connaissons à chaque pic de tension estival ou hivernal. Personnellement, je crois beaucoup à cette évolution.
Je l'ai dit sans fard lors de mon propos introductif, la relation avec les élus est l'une des pistes d'évolution majeure des ARS dans les années qui viennent. Je le reconnais, ces institutions n'ont sans doute pas été suffisamment attentives à leur relation avec les acteurs du territoire. Elles doivent donc évoluer, sans quoi elles continueront de traîner le boulet d'une mauvaise réputation, celle d'être des structures technocratiques lointaines et mal comprises.
Je reste absolument persuadé que, pour nourrir le débat sanitaire à l'échelon territorial, il faut donner aux ARS des moyens pour construire des partenariats et des actions. D'où ma décision de déconcentrer les moyens financiers à l'échelle départementale, en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
J'ajoute que la dernière réforme visant à transformer le conseil de surveillance des ARS en conseil d'administration s'est traduite par l'intégration très importante d'élus au sein de cette instance de contrôle. Désormais, un sénateur, un député et le président du conseil régional siègent au conseil d'administration. Dans l'ARS qui relève de ma compétence, trois présidents de conseil départemental et quatre représentants des maires y sont également associés.
Cette représentation des élus change complètement la tournure des conseils d'administration : alors qu'ils se bornaient traditionnellement à être des instances financières et comptables, ils permettent aujourd'hui la tenue d'un débat sur les politiques conduites par l'ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque la politique One Health a été mise en place, un nouveau comité a été créé pour la surveiller, le groupe santé-environnement (GSE). Pourtant, on disposait déjà de l'Anses et, plus tard, on a institué Santé publique France.
Cette multiplication d'instances semble contradictoire avec la vision d'une santé intégrée, sur laquelle vous insistez. Vous me répondrez sans doute que le GSE est un simple comité de surveillance qui n'a pas de rôle exécutif. On peut toutefois se demander si la mobilisation d'agents publics pour assurer son animation n'engendre pas des coûts.
M. Grégory Emery. - A-t-on besoin du GSE ? Sans vouloir botter en touche, je me permets de renvoyer cette question aux parlementaires, car ce sont eux qui ont pris l'initiative de le créer. Le GSE, qui a été successivement présidé par deux députées, Mmes Élisabeth Toutut-Picard et Anne-Cécile Violland, assure l'interface entre l'État, les parlementaires et les organisations non-gouvernementales, afin qu'ils puissent discuter de sujets de santé et d'environnement et définir collectivement une politique publique cohérente. Il vise précisément à éviter que la politique de santé environnementale, telle qu'elle est mise en oeuvre et pensée par l'État, ne soit critiquée comme étant non concertée ou déconnectée des réalités.
Le GSE n'est qu'un groupe de concertation, comme on en a besoin dans beaucoup de domaines. En revanche, vous avez raison de poser cette question : faut-il, à chaque fois que l'on crée un comité de ce genre, lui donner un nom, fixer sa composition par décret et le rattacher à un article dans tel ou tel code ? Très sincèrement, je ne pense pas que cela soit nécessaire. Heureusement que les gens arrivent à travailler en dehors de cadres réglementaires !
Malheureusement, nombreux sont les projets et propositions de loi qui prévoient la création de comités Théodule et d'instances de suivi. C'est un mal français que de vouloir inscrire dans la norme ce qui relève d'un simple travail quotidien.
M. Cédric Vial. - L'objectif de notre commission d'enquête est de réfléchir à la meilleure organisation possible, afin de perfectionner la conduite de l'action publique dans certains domaines, dont celui de la santé.
Je le dis d'emblée, je n'ai aucun problème de relation avec l'ARS dans mon département, la Savoie. Toutefois, j'admets qu'il faudrait revoir la question de l'installation des pharmacies, comme M. Robin l'a indiqué. Nous avons souvent discuté de ce sujet au Sénat, car nous sommes conscients des difficultés que pose la courroie de transmission avec l'administration.
Un décret favorisant l'installation des pharmacies en milieu rural est enfin paru, sept ans après une ordonnance de janvier 2018. Qu'est-ce qui justifie ce retard ? S'agit-il d'une décision politique ou bien est-ce le lobby de certaines organisations constituées qui a empêché, pendant sept ans, la parution de ce décret ? Je me réjouissais que ce dernier ait été enfin pris, jusqu'à ce que je m'aperçoive en le lisant qu'il empêche l'application de la loi.
J'étais encore maire lors de la crise de la covid-19. Antérieurement, j'avais travaillé, dans le cadre d'un cabinet ministériel, sur la mise en place de protocoles à l'occasion de la crise de la grippe aviaire, mais ceux-ci ont été supprimés au profit d'une nouvelle organisation. C'est l'ARS qui a fini par assurer le pilotage de la gestion de crise, et non le ministère de l'intérieur, comme c'est le cas habituellement.
En conséquence, la crise a été traitée au travers d'une approche essentiellement hospitalière ; certaines collectivités territoriales ont eu des difficultés à travailler avec la médecine de ville et il a fallu que les élus se battent pour être associés aux nouveaux dispositifs. Pourquoi a-t-on organisé les choses ainsi ? Le regrettez-vous ou pensez-vous qu'il s'agissait de la meilleure décision à prendre ?
Enfin, quelques mots sur le futur des Ehpad. Ayant dirigé l'un de ces établissements dans le secteur public pendant treize ans, je sais que les Ehpad hospitaliers ne sont pas forcément les moins chers ni les mieux gérés. Au fond, l'intégration hospitalière n'est-elle pas le résultat d'une culture qui est propre aux ARS ? Une approche plus intégrée n'est-elle pas préférable ?
Mme Pauline Martin. - Pour ma part, je m'exprimerai dans un esprit moins sénatorial que mes collègues. Je vois bien la tactique de l'ARS, qui consiste à renvoyer aux parlementaires la responsabilité d'avoir voté des dispositifs. Selon moi, une agence a dans son ADN de l'agilité et de la flexibilité.
Vous vous bornez à faire référence aux directives ministérielles et aux lois qui ont été votées. Pensez-vous qu'il est bien nécessaire de créer une agence à part entière, plutôt que de créer un service rattaché à un ministère ou à la DGS ?
Par ailleurs, la désertification médicale constitue un problème prégnant. Ce sont bien les élus locaux qui s'en sont emparés, car ils sont en contact direct avec la population. Toutefois, ils se sentent isolés, car l'ARS refuse souvent leur demande d'équiper les territoires pour assurer la continuité de l'offre de soins.
M. Grégory Emery. - Je ne saurais répondre ni à la question de l'installation des pharmacies ni à celle des déserts médicaux, car elles relèvent de la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Néanmoins, je sais combien les indicateurs pour définir le bon maillage territorial sont un sujet difficile.
En tant que directeur général de la santé, je dois veiller à ce que les Français puissent accéder aux 21 000 officines présentes dans notre pays et m'assurer qu'il n'existe pas de zones blanches. À cet égard, la prolongation des ordonnances médicales permet aux individus qui habitent très loin d'une pharmacie de ne pas s'y rendre trop régulièrement.
M. Cédric Vial. - Vous dites ne pas pouvoir répondre à ces questions, mais il me semble que vous étiez conseiller auprès du ministre des solidarités et de la santé entre 2018 et 2020.
M. Grégory Emery. - Certes, mais j'étais uniquement chargé de la santé publique et de la sécurité sanitaire, et je n'avais pas à traiter de l'offre de soins.
J'en viens à la crise de la covid-19. Encore une fois, nous avons tiré un certain nombre d'enseignements de cet épisode ; ils nous permettraient de gérer demain un risque infectieux équivalent. La manière dont les préfets et les ARS travaillent entre eux a évolué. Nous disposons désormais de cadres d'anticipation et de préparation, à savoir l'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (Orsan), spécifiquement dans le domaine de la santé, et l'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec), qui relève de la compétence des préfectures.
Sous l'égide des différents premiers ministres qui se sont succédé, nous avons mis en place un plan de crise en cas de pandémie, qui, à l'échelon national, répartit les compétences entre le ministère de l'intérieur et celui de la santé. Les plans Orsan et Orsec ont vocation à être déclinés à l'échelon territorial. Cela permet de normer les choses dès le début de la crise et à chacune de ses étapes.
Grâce à la création d'un centre de crise sanitaire (CCS), en mars dernier, la DGS s'est assurée, en amont de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques, que les ARS avaient bien actualisé ou mis en place leur plan Orsan.
M. Denis Robin. - Dans notre pays, la gestion de crise est une compétence du Premier ministre. À cet égard, il préside le centre interministériel de crise (CIC). Compte tenu de la nature des crises que nous avons à gérer, le Premier ministre délègue souvent sa compétence de pilotage au ministre de l'intérieur. Cependant, lorsque nous sommes entrés dans la crise sanitaire, ce n'est pas ce schéma classique qui a été retenu, le président de la République ayant choisi de la gérer dans le cadre d'un conseil de défense. Cela lui a permis de gérer la crise lui-même, avec plusieurs ministres associés.
Lorsque le confinement a été déclaré et que les activités économiques et sociales du pays ont été mises à l'arrêt, on a considéré que l'animation territoriale de la gestion de crise, qui avait alors un caractère essentiellement sanitaire, relevait du ministère de la santé.
Néanmoins, lorsqu'on a préparé le premier déconfinement, on a admis que la crise ne pouvait plus être uniquement sanitaire : il fallait traiter de sujets économiques et sociaux et s'occuper de la vie quotidienne des Français.
C'est à ce moment que le Premier ministre, Édouard Philippe, m'a demandé d'activer le centre national de crise : il s'agissait de transformer la cellule interministérielle de crise, afin que les informations soient adressées non plus seulement aux ARS, mais à l'ensemble des réseaux de l'État. J'ai moi-même veillé à rendre cette diffusion effective, au moment où j'ai pris mes fonctions à la tête du CCS, au début du mois d'avril 2020.
Si nous devions affronter de nouveau un risque sanitaire semblable à la covid-19, je pense que nous choisirions directement ce type de gestion, sans avoir à traverser au préalable une phase d'hésitations.
Concernant les Ehpad, je me suis très mal fait comprendre. Que les choses soient claires, je ne suis pas un défenseur des Ehpad hospitaliers. Le Gouvernement nous avait demandé de contrôler de façon exhaustive l'ensemble des Ehpad dans nos régions. À cette occasion, je me suis efforcé de mener un contrôle qualitatif, basé sur plusieurs critères, tels que la forme, la taille et la gestion des établissements. Il en résulte que les Ehpad hospitaliers ne constituent pas la forme d'avenir de la prise en charge des personnes vieillissantes dans notre pays.
Il convient d'étudier les moyens qui permettront aux Ehpad, quel que soit leur statut, d'assurer la prise en charge médicale de personnes de plus en plus âgées et dont les situations de santé sont de plus en plus lourdes. Or le manque de médicalisation est l'un des points faibles des Ehpad, aujourd'hui.
La désignation d'un médecin coordonnateur dans les Ehpad est un sujet extrêmement douloureux dans de nombreux territoires. C'est à cela que je faisais allusion, je ne parlais pas du tout de la forme des établissements.
Madame la sénatrice, sachez que les ARS ont accompli bien des choses grâce à l'agilité dont on les a dotées. Je mettais en oeuvre des initiatives spécifiques lorsque j'étais directeur général de l'ARS de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, car son écosystème et ses acteurs étaient bien particuliers. Je ne prends pas les mêmes mesures aujourd'hui en tant que directeur général de l'ARS d'Île-de-France, où l'organisation du secteur est complètement différente et le milieu urbain beaucoup plus homogène.
Par exemple, grâce au fonds d'intervention régionale (FIR), qui est mobilisable à tout moment, je peux mettre en place une cellule régionale de gestion des urgences psychiatriques, lors du pic de tension estival et hivernal. Cela permet de décharger les urgences classiques, qui se retrouvent en extrême difficulté lorsqu'elles doivent prendre en charge des patients relevant a priori des urgences de santé mentale.
De même, je peux créer une cellule d'aide à l'inscription en maternité (Aima), qui permet aux femmes en grande précarité de trouver une place en maternité, ou une cellule de transferts à terme et post-accouchement (Tatepa), qui assure une place en néonatologie aux enfants qui en ont besoin de façon urgente.
Voilà le genre d'initiatives que je suis capable de financer de manière quasi immédiate grâce au FIR. Si nous nous en tenions aux programmes ministériels et aux budgets opérationnels de programme (BOP), dont la mise en oeuvre nécessite des accords interministériels, il est certain que nous n'aurions pas la même agilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À vous entendre, j'ai le sentiment que tout va pour le mieux et qu'il ne faut rien changer. Je souhaite tout de même vous poser trois questions précises. Premièrement, pensez-vous qu'il est pertinent de faire financer Santé publique France via l'Ondam, alors que c'est l'État qui prend les décisions stratégiques ? Autrement dit, le décideur ne devrait-il pas être le payeur ? Cela aurait-il des conséquences en matière de tutelle ?
Deuxièmement, jugez-vous positivement le transfert vers l'Ondam du financement de l'ANSM, qui était autrefois rattaché à la mission « Santé » ?
Troisièmement, pourrait-on simplifier le dialogue entre la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et les ARS à l'échelon territorial, en remettant au goût du jour les plans pluriannuels régionaux de gestion du risque et d'efficience du système de soins ? On pourrait en faire des documents uniques de référence, aux côtés des schémas régionaux de santé (SRS), dont les ARS pourraient être les pilotes.
M. Grégory Emery. - Je vais répondre aux deux premières questions, même si la tutelle financière est exercée par la direction de la sécurité sociale (DSS). Le transfert du budget total de Santé publique France à l'Ondam est intéressant puisqu'il permet, dans une perspective de construction budgétaire, de traiter le maximum d'opérateurs de la même manière. On peut émettre quelques réserves sur cette évolution ; d'ailleurs, une mission de l'Igas a été diligentée sur ce sujet : Santé publique France gère des stocks stratégiques de masse, dont les stocks de vaccins. Elle assure ainsi une fonction régalienne. Je ne sais pas si le sixième sous-objectif de l'Ondam est le meilleur endroit pour traiter cette question-là.
Le transfert du budget de l'ANSM vers l'Ondam participe
de la même logique. L'idée est que toutes les agences sanitaires
soient gérées dans le cadre de l'Ondam, donc par la
sécurité sociale, plutôt que par
l'État.
Cependant, qu'il s'agisse de l'État ou de
l'assurance maladie, la cohérence d'ensemble est la seule chose qui
compte. D'où l'intérêt d'avoir choisi
le sixième sous-objectif de l'Ondam.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si j'ai bien compris, l'Anses et l'INCa sont financés sur le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». Pourquoi celui-ci ne servirait-il pas aussi à financer l'ANSM et Santé publique France ? Vous parlez de cohérence, mais vous prétendez en même temps que la gestion des stocks ne relève pas du domaine de la santé...
M. Grégory Emery. - Je me suis sans doute mal exprimé. Je dis simplement que les agences sanitaires doivent être gérées au même endroit. Qu'il s'agisse du programme 204 ou de l'Ondam m'importe peu ; je renvoie la décision à ceux qui préparent les budgets.
M. Denis Robin. - La relation entre les ARS et l'assurance maladie a complètement changé, pour la simple et bonne raison que les premières sont financées par la seconde. En outre, de nombreux collaborateurs de l'assurance maladie travaillent désormais au sein des ARS. Il existe donc aujourd'hui une communauté de vues, de compréhension et de culture qui n'existait pas dans le modèle antérieur.
Par ailleurs, nous organisons très régulièrement des réunions avec l'assurance maladie pour piloter diverses politiques, telles que la permanence des soins ou l'organisation des gardes sur les territoires.
Concernant les plans pluriannuels, l'ARS pilote la constitution et l'écriture du projet régional de santé (PRS), qui fixe les grandes lignes de la politique de santé dans la région. Ce projet n'est pas uniquement celui de l'ARS, c'est celui de toute la communauté de santé et il appartient à l'assurance maladie de le décliner dans ses documents internes, aux côtés des SRS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le PRS n'est-il pas redondant avec le SRS ?
M. Denis Robin. - Chaque acteur doit pouvoir disposer de sa propre feuille de route, pourvu qu'elle respecte les grandes priorités régionales qui ont été définies collectivement.
M. Ludovic Haye. - L'ANSM emploie 1 000 agents ; l'Anses, 1 400 agents ; la Haute Autorité de Santé (HAS), 443 agents ; Santé Publique France, 590 agents. Nous ne doutons pas de l'utilité de ces instances, mais nous savons pertinemment que leurs missions se superposent et se chevauchent. A priori, cela ne pose pas de problème : on peut ainsi combler des lacunes qui, dans le domaine de la santé, ne sont pas toujours évidentes à traiter.
Hier, notre commission s'est posé la question du recrutement de praticiens de santé dans les déserts médicaux. Cela suppose de faire un état des lieux précis. Or les formateurs, les doyens de faculté de médecine, les directeurs d'hôpitaux et les élus des collectivités sont incapables de s'entendre sur le nombre exact de praticiens de santé dont nous disposons sur l'ensemble du territoire. Force est de constater que la multiplication des services d'urgences ne nous a absolument pas aidés.
Mme Solanges Nadille. - Permettez-moi de vous dire que je vous trouve hors sol, à l'image du directeur de l'ARS dans mon département. Connaissez-vous la Guadeloupe et sa dimension archipélagique ?
M. Grégory Emery. - Je la connais en partie, ayant participé sur le terrain à la relève de la réserve sanitaire.
Mme Solanges Nadille. - Je souhaite avoir votre avis sur le centre hospitalier universitaire (CHU) : il n'est toujours pas ouvert et, pour l'heure, il fait peur à voir. La prise en charge des patients est extrêmement difficile sur notre territoire, ainsi que dans le sud de la Martinique, comme notre collègue Frédéric Buval le répète presque tous les jours.
Sur l'une des îles de Guadeloupe, il n'y a ni services d'urgences ni moyens d'évacuation. L'ARS a reproché à un médecin d'avoir ouvert une seringue avant vingt heures pour soigner un individu qui s'était blessé, alors même qu'il n'était pas possible de l'évacuer, faute de disponibilité de l'hélicoptère sanitaire ou de celui de la sécurité civile. Dans ces conditions, le médecin a été obligé de mentir auprès de l'ARS sur l'heure à laquelle il a pratiqué les soins. Que pensez-vous de ce genre de situations ?
M. Grégory Robin. - L'offre de soins et les CHU relèvent des compétences de la DGOS. Si vous le souhaitez, je peux interroger mon collègue qui est chargé de ces questions. Quant à la situation que vous décrivez sur cette île, je ne peux prendre aucun engagement devant vous, aujourd'hui.
Mme Solanges Nadille. - Vous avez parlé d'acteurs référents sur le territoire et d'agilité. Pensez-vous que l'ARS soit véritablement agile ?
M. Grégory Emery. - Oui, je peux même vous donner un exemple. J'ai été recruté à la tête du centre de crises sanitaires au cours de l'été 2021, lorsque l'épidémie de covid-19 a durement frappé la Guadeloupe et la Martinique. J'en profite pour remercier tous les professionnels de santé qui se sont alors mobilisés et pour saluer la mémoire des victimes décédées.
À cette époque, des milliers de patients ont été évacués vers la métropole et, dans un mouvement inverse, des milliers de réservistes sanitaires sont arrivés sur ces territoires ultramarins. Songez que cela n'aurait pas été possible sans les ARS.
Mme Solanges Nadille. - Vous êtes donc satisfaits de vous... Savez-vous seulement combien il y a eu de morts en Guadeloupe ?
M. Grégory Emery. - C'est la raison pour laquelle j'ai commencé par saluer leur mémoire. La France a été le seul pays au monde à procéder à des évacuations sanitaires de manière massive, ce qui confirme l'agilité des ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'agilité dont vous vous prévalez proviendrait-elle du fait que les ARS échappent aux BOP et à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ? Les évacuations sanitaires ont pu être effectuées surtout grâce à l'existence de compétences humaines et logistiques. Les évacuations n'auraient-elles pas été possibles en mobilisant les agents du ministère de la santé, sans recourir aux ARS ?
M. Grégory Emery. - La sénatrice Nadille me reproche d'être hors sol. Or je suis médecin : les BOP et la Lolf sont des sujets que je ne maîtrise pas au quotidien.
M. Cédric Vial. - Vous n'êtes au courant de rien, alors que vous avez conseillé le ministre de la santé et que vous êtes directeur d'administration centrale !
M. Grégory Emery. - Mon objectif est d'améliorer la santé de la population. La Lolf permettrait-elle de modifier notre capacité d'intervention en cas de crise ? Concernant Mayotte, les initiatives que nous avons prises sur place depuis le 13 décembre dernier, après le passage du cyclone Chido, n'auraient pas été possibles si nous nous en étions tenus au budget du ministère de la santé.
Du reste, je ne sais ni acheter des bouteilles d'eau pour le territoire de Mayotte, ni contractualiser en urgence avec des grossistes répartiteurs, ni commander des lits de camp depuis mon bureau : en effet, mon cadre d'intervention ne le permet pas, contrairement à celui de l'ARS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le cadre d'intervention de l'ARS est-il défini par des contraintes de nature budgétaire ou par la compétence des personnes qui y travaillent ? Les agents des ARS sont-ils plus compétents que ceux de la DGS ou d'un service préfectoral ?
M. Denis Robin. - Je connais en partie les spécificités ultramarines, dans la mesure où j'ai servi deux fois en outre-mer et où j'ai été directeur de cabinet du ministre des outre-mer. Il est vrai que les ARS en outre-mer ne ressemblent pas à celles qui sont établies dans l'Hexagone.
L'agilité n'est pas qu'une question financière. L'ARS a été en mesure de faire intervenir au sein de ses services des professionnels qu'on ne trouvait ni dans les services préfectoraux, ni dans les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass), ni dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), ni dans les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).
Ainsi, les ARS disposent de fonctionnaires de l'assurance maladie, de fonctionnaires hospitaliers, de médecins spécialistes ou de médecins de ville. La mobilisation de ces professionnels n'aurait pas été possible au sein d'une administration territoriale de l'État (ATE), placée sous l'autorité du préfet.
Au demeurant, dès que nous entrons en gestion de crise, l'ARS est placée sous l'autorité du préfet, sans aucune exception. Dès lors, personne ne remettra en cause le fait que le préfet demande à l'ARS de réaliser des missions sur le territoire.
M. Pierre Barros, président. - Nous remercions le directeur général de la santé et le président du collège des directeurs généraux d'ARS de leur venue.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
M. Pierre Barros, président. - Les auditions de cette semaine sont structurées autour de deux thématiques : d'une part, la politique publique de santé, et d'autre part, l'accompagnement des collectivités territoriales. Dans le cadre de cette seconde thématique, nous recevons aujourd'hui Monsieur Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Nous auditionnerons jeudi les représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Le Cerema est reconnu pour son expertise scientifique et technique dans de nombreux domaines liés aux politiques publiques territoriales, que ce soit l'environnement, les infrastructures de transport, la prévention des risques, la sécurité routière et maritime, l'urbanisme, la construction, l'habitat, ainsi que les énergies et le climat. Certains de ces champs d'intervention présentent des similitudes avec ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe). Toutefois, le Cerema se distingue par son approche fondée sur l'ingénierie, à l'instar de l'ANCT. Nous souhaitons ainsi mieux comprendre les limites de votre champ d'action et identifier d'éventuels chevauchements avec d'autres agences.
Notre commission d'enquête ne se limite pas à un objectif de réduction du nombre d'agences publiques, elle s'attache avant tout à examiner les marges d'amélioration en matière d'efficacité du service public. À ce titre, nous souhaitons revenir sur la création du Cerema, issue de la fusion de onze services distincts, afin d'évaluer les gains d'efficacité qui en ont résulté ainsi que les défis rencontrés en matière de gestion des ressources humaines.
Par ailleurs, nous nous intéressons à la récente réforme qui a transformé le Cerema en un centre d'expertise partagé entre l'État et les collectivités territoriales. Face à la diversité des donneurs d'ordre, comment sont arbitrées les demandes qui vous sont adressées ? Certains élus ont exprimé des réserves quant à l'accessibilité du Cerema pour les petites communes. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux
témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des
peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code
pénal, qui peuvent aller de trois à sept
ans
d'emprisonnement et de 45 000 euros à
100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire
part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec
l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Berteaud prête serment.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Le Cerema est issu de la fusion de onze services. Il nous a fallu sept à huit ans pour parvenir à une organisation pleinement opérationnelle. Ce délai aurait pu être réduit d'environ deux ans, mais en aucun cas en deçà de six années.
Nous avons mené un important travail de restructuration. L'État nous avait fixé pour objectif une réduction de 20 % des effectifs au cours du premier quinquennat 2017-2022, ce que nous avons réalisé. Parallèlement, nous avons revu notre organisation et nos missions en nous fondant sur deux critères essentiels : d'une part, l'importance du sujet en matière de politique publique et, d'autre part, la nécessité pour la puissance publique d'en assurer la prise en charge. Nous avons également évalué si le Cerema était la structure de référence sur ces thématiques ou si d'autres entités disposaient d'une expertise plus pertinente. Ce travail a conduit à une rationalisation de notre structure : nous sommes passés de 66 pôles de compétences à 22 secteurs d'activité. Cette restructuration a entraîné la suppression de 350 postes et la modification substantielle de 800 autres. Elle a été déterminante pour assurer la pérennisation du Cerema.
Aujourd'hui, l'établissement exerce trois missions principales : une mission de recherche, d'innovation et de développement méthodologique ; une mission d'accompagnement des services de l'État et des collectivités sur le terrain ; une mission de diffusion des connaissances, consistant à capitaliser et partager le savoir sur l'aménagement. Cette transmission s'opère à travers des bases de données accessibles en ligne, des formations continues et de l'animation de plateformes collaboratives permettant d'échanger avec les professionnels du secteur.
Au final, avec 20 % d'effectifs en moins, nous devons être à 10 % de production en plus.
Depuis mai 2023, grâce à la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « 3DS », le Cerema fonctionne sous un régime de gouvernance partagée. Les collectivités locales peuvent désormais adhérer au Cerema, de la même manière qu'elles le font pour une agence d'urbanisme ou un établissement public local. Le pouvoir décisionnaire est réparti entre deux collèges, représentant respectivement les collectivités territoriales, qui votent à la majorité qualifiée, et l'État, qui conserve un droit de veto. Cette nouvelle organisation a permis une participation significative des collectivités aux instances de décision. Lors des conseils d'administration et des conseils stratégiques, 12 à 13 représentants des collectivités sont systématiquement présents.
Un autre élément clé réside dans le mode de contractualisation. Le Cerema fournit des prestations intégrées dites « in-house » lorsqu'une collectivité territoriale adhérente souhaite recourir à ses services. La contractualisation est alors simplifiée : une discussion préalable permet de définir précisément la prestation et son coût, puis une lettre de commande officialise l'accord, évitant ainsi jusqu'à quatre mois de procédure administrative.
Nous avons plus de 1000 adhérents. À ce jour, toutes les régions, à l'exception de la Corse, sont membres du Cerema. L'établissement compte également 86 départements parmi ses adhérents. Les autres adhésions se répartissent de manière équilibrée entre les intercommunalités (420 adhérentes) et les communes (450 adhérentes).
Ce modèle fonctionne efficacement, notamment grâce à un maillage territorial adapté. Le Cerema est implanté dans 27 villes, dont 4 en Outre-mer et 23 en métropole, une répartition qui correspond globalement aux anciennes régions. À Paris, nous ne disposons que de quelques bureaux dans les locaux de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), qui sert de pied-à-terre administratif. L'ensemble des autres collaborateurs sont répartis sur le territoire.
L'activité du Cerema repose avant tout sur l'apport d'une expertise. Notre rôle n'est pas d'intervenir sur des aspects de proximité. Toutefois, pour garantir un échange constructif avec nos experts, une ingénierie territoriale minimale s'avère indispensable. C'est notamment ce qui pose difficulté dans les très petites communes. Lorsqu'une municipalité ne dispose que d'un secrétaire général de mairie présent un jour par semaine, l'intervention d'un expert du Cerema ne produit pas d'effet tangible. C'est pourquoi nous avons privilégié une approche fondée sur les intercommunalités. À partir de 10 000 à 15 000 habitants, une intercommunalité dispose généralement d'un embryon de service technique, permettant une collaboration efficace avec nos équipes.
Le Cerema a pour principe de ne pas entrer en concurrence avec le secteur privé. Au contraire, il entretient des relations de coopération avec les syndicats représentant les bureaux d'études privés, avec lesquels des conventions ont été signées.
La principale difficulté réside dans le
niveau de compétence. De nombreux petits bureaux d'études ne
disposent pas des capacités techniques nécessaires pour mener
à bien des projets complexes.
Afin de pallier cette
lacune et d'accompagner ces structures dans leur montée en
compétence, le Cerema a mis en place des sessions de formation
en partenariat avec le syndicat professionnel des bureaux
d'études.
Le Cerema regroupe environ 2 500 agents répartis sur 27 sites et dispose d'un budget de 190 millions d'euros. Deux tiers de ce budget proviennent de la dotation de l'État, tandis que le tiers restant est issu de ressources autres, notamment des collectivités, des entreprises et de fonds européens.
L'essentiel des ressources financières est consacré à la masse salariale, car le savoir-faire constitue la principale valeur ajoutée du Cerema. Toutefois, la dotation de l'État demeure inférieure de 10 à 20 millions d'euros aux besoins réels nécessaires à l'exercice optimal des missions de l'établissement.
S'agissant du statut des agents, les fonctionnaires du Cerema sont en position normale d'activité, ce qui signifie que leur carrière est administrée par le ministère de tutelle et non par la direction générale du Cerema.
Le paysage des opérateurs dans le domaine de l'écologie et de l'aménagement est assez diversifié, reflet d'une évolution historique. Chaque opérateur s'est structuré selon des dynamiques propres, ce qui a conduit à des recoupements notables entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT dans notre champ d'intervention. À l'inverse, ces recoupements sont moins marqués avec l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui agissent exclusivement dans le domaine du logement. En revanche, des intersections existent avec la Banque des Territoires, mais celle-ci bénéficie de l'autonomie de la Caisse des Dépôts.
À l'échelle locale, nous avons établi un groupe de travail avec les agences départementales, permettant au Cerema d'intervenir en tant qu'expert de second niveau, tandis qu'elles jouent un rôle d'opérateur de premier niveau. Ce principe est globalement partagé, bien que la principale difficulté réside dans la diversité des pratiques : chaque département ayant développé son propre mode de fonctionnement, l'hétérogénéité demeure un défi majeur.
S'agissant des opérateurs nationaux, la question d'une fusion mérite d'être posée. L'expérience de la création du Cerema, qui résulte de la fusion de onze entités aux statuts homogènes, a démontré que ce type d'intégration nécessite au minimum six à sept ans. Une fusion entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT représenterait un projet d'une tout autre ampleur, s'inscrivant dans une perspective décennale.
Des ajustements immédiats peuvent toutefois être mis en oeuvre. L'Ademe et le Cerema ont mis en place un comité de direction commun, qui se réunit tous les deux mois, afin d'identifier les recoupements de compétences. Ce travail collaboratif nous permet d'affiner nos expertises respectives et de rationaliser nos interventions, en veillant à ce que chaque organisme se concentre sur les missions pour lesquelles il est le plus pertinent. Une démarche similaire a été mise en place avec l'ANCT, par le biais d'un comité commun qui se réunit tous les trois mois. Cette double approche, combinant une vision stratégique à long terme et des ajustements opérationnels immédiats, nous semble être la voie la plus adaptée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la suppression de postes consécutive à la création du Cerema. Les agents concernés relevaient-ils du droit privé ? Comment avez-vous procédé s'agissant du départ des fonctionnaires, sachant que leur réintégration dans d'autres entités publiques constitue malgré tout une charge pour l'État ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer pourquoi l'ensemble des fonctionnaires du Cerema sont maintenus en position normale d'activité, alors que dans d'autres établissements publics, il est courant qu'ils soient placés en détachement sur contrat ? Cette spécificité résulte-t-elle d'une demande formulée lors de la création de l'établissement ou d'un impératif imposé par le contrôleur financier ?
Vous avez également souligné l'importance du rôle des collectivités territoriales au sein du conseil d'administration du Cerema. Dans le comité stratégique, les élus locaux y occupent désormais une place prépondérante. Quel est votre avis sur cette gouvernance et son effet sur le fonctionnement de l'institution ? Pensez-vous que ce modèle pourrait être étendu à l'ensemble des agences travaillant en étroite collaboration avec les collectivités territoriales ?
En vous écoutant, il apparaît que le Cerema a développé un ensemble d'outils d'analyse qui bénéficient également aux entreprises. Ces ressources leur permettent, par exemple, de s'appuyer sur des référentiels techniques pour la construction de pistes cyclables conformes aux normes ou l'aménagement de ronds-points. Ne serait-il pas opportun d'accorder aux entreprises une place plus significative au sein du Cerema ?
Enfin, vous avez mentionné que les ressources du Cerema proviennent pour un tiers des entreprises et des collectivités territoriales. Pouvez-vous préciser sous quelle forme ces financements sont perçus ? Après avoir consulté le catalogue des prestations proposées par le Cerema, j'ai constaté que certains services, notamment les logiciels, sont mis à disposition gratuitement. Cette gratuité résulte-t-elle d'une obligation imposée par le cadre réglementaire de l'État, notamment en matière d'ouverture des données et de partage des ressources ? Envisagez-vous d'accroître vos ressources propres ?
M. Pascal Berteaud. - Le Cerema comptait environ 90 % de fonctionnaires et un nombre relativement restreint de contractuels. Nous avons largement eu recours aux dispositifs prévus par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Ainsi, des départs volontaires ont été organisés pour les agents proches de la retraite, tandis qu'un certain nombre d'entre eux ont été réaffectés au sein de l'administration. L'ensemble des mécanismes offerts par cette réforme a été mobilisé, ce qui a permis d'accompagner cette transition sur une période de plus de deux ans. À ce jour, sur les 350 suppressions de postes prévues, il reste encore cinq ou six situations non résolues liées à des fonctionnaires exprimant un refus catégorique de toute mobilité.
Les onze entités fusionnées relevaient des services centraux, les agents étaient en position normale d'activité. Lors des négociations relatives à la création du Cerema avec les organisations syndicales, la possibilité d'un passage au détachement sur contrat n'était tout simplement pas envisageable. La seule transformation de ces services en établissement public, plutôt qu'en service à compétence nationale, constituait déjà un défi majeur. Un débat plus approfondi sur cette question du détachement devrait être mené à l'avenir.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour quelle raison vous semble-t-il nécessaire que les fonctionnaires du Cerema soient placés en détachement sur contrat ?
M. Pascal Berteaud. - Cela permet une gestion beaucoup plus souple des effectifs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Confirmez-vous, en tant que directeur d'établissement, qu'il existe, aujourd'hui encore, une plus grande flexibilité dans la gestion des agents publics en détachement sur contrat par rapport à ceux en position normale d'activité ?
M. Pascal Berteaud. - Oui, sans aucun doute. Il devient, au demeurant, de plus en plus difficile de recruter des experts au sein de la fonction publique. Le taux de rotation des postes au sein du Cerema est de l'ordre de 300 départs par an sur 2 500 emplois, ce qui n'est pas courant dans la fonction publique de l'État mais reste inférieur aux grands bureaux d'étude privés.
Face à ces difficultés, nous avons progressivement élargi notre recherche de compétences, d'abord en recrutant au sein de la fonction publique territoriale, puis en nous tournant vers le secteur privé. Aujourd'hui, nous recrutons de plus en plus de contractuels. Je citerai l'exemple d'un expert en ouvrages d'art chargé du programme national Ponts. Cet ingénieur, profondément attaché au service public, avait initialement fait carrière dans le secteur privé avant de nous rejoindre.
Mme Christine Lavarde,
rapporteur. - Un fonctionnaire qui rejoint un opérateur
public devrait, en principe, pouvoir réintégrer aisément
son ministère de tutelle. Vous soulignez l'existence d'un cadre de
gestion bien plus souple que ce que l'on pourrait imaginer. Il semble ainsi
possible de
recruter les meilleurs experts techniques,
potentiellement avec une rémunération plus attractive,
lorsqu'ils sont en détachement plutôt qu'en position normale
d'activité.
M. Pascal Berteaud. - Pour les fonctionnaires en détachement, la question de la rémunération n'est pas l'enjeu principal. Le véritable sujet réside dans le caractère temporaire du détachement, qui ne peut être maintenu indéfiniment.
S'agissant de la gestion de l'établissement avec les collectivités, l'expertise dans certains domaines est rare, et cette rareté implique que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour que les collectivités et l'État puissent, chacun de leur côté, constituer leurs propres viviers d'experts. À titre d'exemple, nous comptons environ 300 spécialistes des ouvrages d'art, dont 20 à 30 experts internationaux de très haut niveau. Si ces spécialistes étaient répartis au niveau régional, cela ne représenterait qu'un ou deux experts par région, ce qui n'est pas suffisant pour assurer un niveau de compétence adéquat. L'expertise et l'ingénierie nécessitent un travail en réseau. C'est sur cette base que repose l'idée du Cerema : un établissement d'expertise de second niveau, avec une mutualisation à l'échelle nationale. Toutefois, une organisation nationale ne signifie pas nécessairement une structure exclusivement étatique. Dans des domaines tels que la mobilité ou les infrastructures, les collectivités territoriales sont pleinement compétentes, ce qui justifie la création d'un établissement partagé.
Nous avons été confrontés à de nombreuses réticences concernant cette organisation inédite, considérée comme difficilement réalisable. Avec le temps, l'idée a gagné en crédibilité et a pu être mise en oeuvre.
Cela suppose une bonne mobilisation des élus, ce qui a été facilité ces dernières années par le recours aux réunions en visioconférence. Aujourd'hui, nous avons généralement un tiers des participants présents physiquement, un tiers en visioconférence et un dernier tiers absent.
Quant à la possibilité de répliquer ce modèle, je suis convaincu qu'il est transposable, dès lors qu'il s'agit d'un domaine où l'État et les collectivités partagent des compétences et des intérêts communs.
Notre collaboration avec les entreprises est particulièrement développée dans le domaine des infrastructures routières, notamment grâce à nos activités de laboratoire, qui présentent un niveau d'expertise avancé. Par ailleurs, nous travaillons également avec le secteur privé dans le cadre de contrats de recherche. En tant qu'institut Carnot, nous bénéficions d'un cadre favorable pour mener diverses initiatives en recherche partenariale. Cependant, selon moi, ce volet demeure encore insuffisamment exploité.
Actuellement, nos recettes issues des prestations aux entreprises s'élèvent à 20 millions d'euros, un montant qui doit être augmenté. Toutefois, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite loi « Le Maire », exige que toute production financée par des fonds publics soit accessible gratuitement, y compris les logiciels. Cette exigence normative nous contraint à explorer des alternatives, telles que la création de filiales en partenariat avec des acteurs privés, afin de développer de nouvelles sources de financement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelle est la différence entre le statut d'adhérent au Cerema et celui d'une collectivité qui ne serait pas adhérente ?
M. Pascal Berteaud. - L'adhésion au Cerema est peu coûteuse : elle s'élève à 2 500 euros pour un département et 2 000 euros pour une agglomération. Les collectivités adhérentes disposent d'un interlocuteur dédié et d'un accès à des webinaires exclusifs. Elles reçoivent en avant-première l'ensemble de nos guides techniques, avec 80 publications chaque année. Elles peuvent également bénéficier d'un diagnostic gratuit sur l'adaptation au changement climatique. Enfin, elles ont la possibilité de commander des études auprès du Cerema. À titre d'exemple, en 2024, nous avons reçu entre 700 et 800 demandes d'études émanant de collectivités territoriales.
M. Hervé Reynaud. - Le Cerema apporte une expertise technique indéniable. Toutefois, vous n'êtes pas le seul acteur à intervenir dans ce domaine. Il y a environ deux ans, vous aviez porté un projet visant à rapprocher, voire à fusionner, le Cerema et l'Ademe. Pouvez-vous préciser comment s'organise aujourd'hui la coordination entre ces différents opérateurs sur le terrain ? Ne serait-il pas pertinent d'envisager un rapprochement plus structuré entre ces différentes entités ?
M. Hervé Maurey. - Il faut reconnaître que vous avez su optimiser vos effectifs tout en améliorant votre productivité, ce qui mérite d'être souligné et fait votre agence un bon élève en la matière.
Lors de la création de l'ANCT, l'idée initiale était de regrouper l'ensemble des structures impliquées dans l'accompagnement des collectivités locales. Cependant, cette réorganisation a finalement été réalisée de manière très partielle. En ce qui concerne le Cerema, les partisans de ce rapprochement avaient fait valoir que votre établissement avait déjà subi une restructuration conséquente, ce qui rendait une fusion immédiate difficile à accepter. Aujourd'hui, vous semblez plus ouvert à cette perspective. Pensez-vous qu'il faille se limiter à un rapprochement entre ces structures ou envisagez-vous une fusion complète entre le Cerema et l'ANCT ?
M. Pascal Berteaud. - La multiplicité des organismes dans notre domaine est le fruit de l'histoire. Afin d'améliorer la coordination entre ces différentes entités, nous avons signé des conventions de coopération avec nos homologues et identifié les points de friction, notamment avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Ademe.
Initialement l'Ademe se concentrait sur l'énergie et la réduction des émissions, tandis que le Cerema se consacrerait à l'adaptation, notamment dans le cadre du programme France 2030. Cependant, l'Ademe a progressivement élargi son champ d'intervention à des sujets comme la mobilité piétonne, le vélo et les mobilités douces. Dans son nouveau contrat d'objectifs, l'agence intègre désormais un axe dédié à l'adaptation au changement climatique. Il ne s'agit pas ici de critiquer l'Ademe, mais d'affirmer que si une partition des compétences doit être opérée, elle doit être menée de manière rigoureuse.
Nous sommes convaincus que la solution à moyen terme réside dans une fusion de certaines de ces entités, car leurs missions sont de plus en plus entremêlées. Ce constat s'applique en particulier à l'ANCT, l'Ademe et le Cerema. En revanche, les agences comme l'ANRU et l'ANAH relèvent d'une logique différente, centrée sur le logement. Pour l'ANCT, la question d'un rapprochement avec le Cerema est aujourd'hui beaucoup plus pertinente qu'elle ne l'était à sa création, à une époque où notre structure traversait une période de transition complexe. Désormais, le Cerema est en mesure d'apporter une véritable valeur ajoutée aux missions de l'ANCT, notamment grâce à sa présence territoriale.
Nous estimons que cette évolution est possible, mais elle doit être pensée selon un calendrier précis : que pouvons-nous entreprendre immédiatement ? Quels objectifs fixer pour les cinq ou dix prochaines années ? Nous avons pleinement conscience que cette transformation prendra du temps.
Enfin, vous avez souligné que nous sommes perçus comme un « bon élève », ce dont je me réjouis particulièrement. L'atteinte de ce résultat est en partie due à l'approche adoptée par le gouvernement, qui a privilégié la définition d'un objectif clair de réduction de 20 % des coûts sur l'ensemble du quinquennat, plutôt que l'application d'une diminution progressive et annuelle des effectifs de 3 % à 5 %. L'objectif fixé sur une période déterminée a permis une réflexion approfondie et une réorganisation structurelle, bien plus significatives que ne l'aurait permis une réduction budgétaire annuelle plus modérée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous plaidons souvent en faveur d'une approche pluriannuelle plutôt qu'une gestion strictement annuelle des budgets. Avez-vous pu mener cette réorganisation précisément parce que vous avez bénéficié de cette pluriannualité ? Concrètement, comment a-t-on pu vous imposer une réduction de 20 % de vos dépenses de fonctionnement alors que le principe de l'annualité budgétaire s'applique ? Cette réduction figurait-elle dans votre contrat d'objectifs et de performance ?
M. Pascal Berteaud. - Nous ne disposions pas de contrat d'objectifs et de moyens à cette époque. La réduction budgétaire n'était pas inscrite dans un cadre formel mais a été très clairement annoncée par le ministre.
Chaque année, la diminution des effectifs a été d'un peu moins de 100 équivalents temps plein (ETP). L'exercice que j'évoquais précédemment s'est articulé autour de deux critères fondamentaux : d'une part, l'importance de l'implication du secteur public sur certaines missions, et d'autre part, notre capacité à les exécuter efficacement. Ce travail d'analyse a été salutaire, bien que difficile. Il nous a permis de recentrer nos actions sur les missions pour lesquelles nous disposions d'une expertise avérée.
Mme Ghislaine Senée. - Vous annoncez un budget de 199 millions d'euros. Quels ont été les gains financiers de la fusion des onze entités ayant conduit à la création du Cerema ?
Ma seconde question porte sur la possibilité d'une fusion entre l'ANCT, l'Ademe et votre établissement. Certes, ces organismes interviennent sur des champs d'action distincts, mais ne pourrait-on pas envisager la mise en place d'un guichet unique afin de simplifier l'accès aux services pour les collectivités et les acteurs territoriaux ? L'ANCT travaille déjà dans cette direction avec le développement du dispositif France Services. Pensez-vous qu'il serait pertinent d'engager une réflexion approfondie sur ce sujet ?
M. Sébastien Fagnen. - Comment le Cerema coordonne-t-il ses actions avec les services déconcentrés de l'État, qu'ils relèvent du niveau régional ou départemental, notamment en matière d'ingénierie publique et d'accompagnement des collectivités territoriales ?
Ces dernières années ont été marquées par une diminution progressive des effectifs et des moyens alloués à ces services, réduisant leur capacité d'intervention. Aussi, pour des raisons budgétaires, la mise en place d'appels à projets s'est progressivement imposée. Toutefois, ce dispositif peut se révéler particulièrement complexe pour les élus locaux, entraînant une certaine frustration.
Dans ce paysage institutionnel, comment concevez-vous aujourd'hui le rôle du Cerema, et le cas échéant d'une entité avec laquelle vous pourriez être amené à fusionner ?
M. Pierre Barros, président. - Je souhaiterais compléter ces questions en vous interrogeant sur la position du président de l'ANCT à l'égard d'une éventuelle fusion. A-t-il déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette proposition ?
M. Michaël Weber. - Il convient également d'examiner cette question sous l'angle de l'efficacité : la fusion de l'ensemble des structures constitue-t-elle une garantie d'une amélioration de l'efficacité et d'un accompagnement technique renforcé des collectivités ? Bien que des outils adaptés aient été développés, le principal enjeu en matière d'efficacité demeure la proximité et la mise à disposition d'une ingénierie adaptée aux besoins des territoires.
M. Pascal Berteaud. - Nous avons accru notre production de 10 % tout en réduisant les effectifs de 20 %. Parallèlement, nous avons instauré une comptabilité analytique. Lorsque j'ai rejoint le Cerema il y a sept ans, les recettes externes s'élevaient à environ 20 millions d'euros. Aujourd'hui, elles oscillent entre 70 et 80 millions d'euros, générant ainsi un gain significatif pour l'État, tant en matière d'efficacité que de ressources financières.
Cependant, cette progression est en partie atténuée par l'inflation et les mesures salariales. Le coût de la masse salariale a augmenté de 20 millions d'euros en raison des différentes mesures catégorielles mises en place par le ministère, lesquelles ne font jamais l'objet d'une compensation. Les fonds que nous avons mobilisés auprès des entreprises et des collectivités permettent en grande partie d'absorber ces coûts supplémentaires. Ainsi, depuis cinq ou six ans, ce sont environ 20 millions d'euros qui ont été réaffectés à cette fin.
S'agissant du guichet unique, il convient d'adopter une approche pragmatique. Certaines collectivités sont adhérentes au Cerema et ne sont donc pas concernées par ce dispositif. En collaboration avec l'ANCT, nous avons mis en place un guichet unique relativement simple, qui repose sur le préfet de département. À ce jour, nous n'avons pas identifié de système plus efficace. Nos relations avec les préfets sont excellentes, et nous n'avons pas besoin qu'ils soient formellement désignés comme délégués départementaux ou régionaux. Nos équipes ont pour consigne de les informer en cas d'enjeu majeur, et en cas de désaccord, nous trouvons une solution directement avec eux. Ce principe est fondamental pour nous, car nous ne pouvons ignorer les décisions des préfets.
S'agissant des appels à projets, le Cerema n'a pas vocation, à l'origine, à être un organisme financeur, bien que nous assurions ponctuellement cette fonction dans le cadre du programme national Ponts à destination des collectivités. Notre mission principale consiste à diffuser de l'expertise et des compétences. À cet effet, nous privilégions une approche fondée sur des appels à partenaires. Lorsque nous souhaitons approfondir un sujet afin d'élaborer des méthodologies, nous sollicitons nos mille adhérents pour identifier ceux qui souhaitent s'engager sur leur territoire. En général, nous sélectionnons entre 20 et 30 territoires, ce qui nous permet de progresser efficacement.
Le programme national Ponts est administré selon une logique de guichet, avec des règles précises. Il ne repose pas sur une mise en concurrence des collectivités. Toutefois, compte tenu des ressources disponibles, nous devons prioriser les interventions sur les ouvrages classés en catégorie 4, c'est-à-dire ceux présentant des défaillances critiques.
S'agissant de la réception d'une démarche de fusion par l'ANCT et l'ADEME, je ne formulerai pas de jugement. L'objectif n'est pas de supprimer des fonctions, mais d'améliorer le fonctionnement global. Ce sujet suscite des appréhensions fortes, ce qui est compréhensible.
Monsieur Weber, la question centrale est effectivement celle de l'efficacité. L'enjeu principal réside davantage dans la fluidité des processus et l'harmonisation des points d'entrée sur un même sujet. À l'échelle nationale, ces ajustements peuvent générer des bénéfices significatifs en matière de coordination et de cohérence des actions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez mentionné la mise en place d'une comptabilité analytique. Dois-je en conclure que les structures fusionnées au sein du Cerema opéraient sans avoir une connaissance précise du coût réel de leurs prestations ? D'une manière générale, toute organisation qui produit des services, dans nos collectivités, met assez naturellement en place un suivi analytique des coûts pour mieux comprendre la nature et la rentabilité de ses activités.
J'aimerais également revenir sur les conditions de la fusion. Le Cerema compte aujourd'hui 27 implantations, dont 23 en métropole et 4 en Outre-mer. Certaines des entités fusionnées en Île-de-France disposaient de multiples sites, parfois dispersés géographiquement. Avez-vous regroupé ces sites en un pôle unique au sein de chaque région ? La réorganisation des implantations peut, par ailleurs, engendrer des temps de trajet plus longs pour certains agents, ce qui peut influencer leur choix de mobilité. Les fonctionnaires qui ont quitté le Cerema l'ont-ils fait parce que leur nouveau site d'affectation était éloigné de leur domicile ? La proximité géographique est souvent invoquée pour justifier le maintien en l'état de certaines structures administratives et freiner toute réforme.
M. Pascal Berteaud. - Dans les années 1980, des dispositifs équivalents à la comptabilité analytique existaient au sein des services techniques de l'État. Toutefois, ces pratiques ont progressivement disparu.
La mise en place d'une comptabilité analytique dans la fonction publique demeure peu courante. Nous avons d'abord instauré un suivi analytique sur certains projets. Lorsqu'un projet est initié, il est doté d'un budget propre, ce qui justifie naturellement l'établissement d'un devis, indispensable pour garantir une gestion efficace. Ce dispositif a été mis en oeuvre de manière progressive sur une période de trois ans. À compter du 1er janvier 2025, nous généralisons cette approche à l'ensemble des activités du Cerema, y compris aux fonctions support.
S'agissant des conditions de la fusion et, plus particulièrement, des regroupements géographiques, notre principal enjeu réside aujourd'hui dans la dispersion de nos infrastructures. Actuellement, nous disposons d'environ 180 bâtiments, soit près du double de ce qui serait réellement nécessaire. De surcroît, la grande majorité d'entre eux sont dans un état lamentable. Nous avons donc adopté, en fin d'année dernière, un schéma directeur immobilier reposant sur un principe clair : concentrer nos activités dans 80 à 90 bâtiments, tandis que les autres sites feront l'objet d'une valorisation, soit par la vente, soit par la mise en location. Toutefois, la direction de l'immobilier de l'État (DIE) et le ministère des Finances imposent que 50 % des recettes issues des ventes immobilières soient affectées à la réduction du déficit public. Par ailleurs, notre ministère de tutelle revendique l'autre moitié de ces fonds. Cette situation nous place dans une impasse : si nous devons engager une restructuration immobilière mais que les fonds générés par la cession des actifs ne peuvent être réinvestis dans notre projet, l'opération devient économiquement inintéressante.
En matière de regroupements immobiliers en Île-de-France, nous avons choisi de maintenir une présence à la fois à l'est et à l'ouest de la région afin de limiter les temps de déplacement des agents. Notre direction territoriale francilienne demeure structurée autour de ces deux pôles.
À l'origine, notre siège était situé à Bron, en périphérie de la métropole lyonnaise, à proximité de l'aéroport. Toutefois, cet emplacement engendrait des contraintes logistiques significatives : se rendre à la gare nécessitait un délai d'une heure et demie à deux heures. Pour remédier à cette situation, nous avons opté pour la location de bureaux au sein d'un hub de transports en commun bien desservi.
Par ailleurs, le développement du télétravail constitue un levier majeur dans notre stratégie immobilière. Certains métiers permettent désormais d'exercer à distance deux jours de la semaine, entraînant une réduction de près de 40 % de l'occupation des locaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Aujourd'hui, le Cerema est l'un des derniers opérateurs publics à conserver des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage et, plus encore, de maîtrise d'oeuvre, notamment à travers la réalisation d'études. Quel est votre regard sur l'externalisation progressive de la maîtrise d'oeuvre, qui est désormais majoritairement confiée au secteur privé ? Pensez-vous que cette évolution puisse en partie expliquer le sentiment d'abandon ressenti par certaines collectivités territoriales et contribuer au rejet du modèle de l'agence ?
Il nous est fréquemment rapporté que les dispositifs antérieurs étaient plus efficaces, mais il est difficile d'obtenir des éléments précis sur les évolutions ayant conduit à ce constat. Selon vous, quels sont les principaux changements ayant affecté ce modèle au fil du temps ?
M. Pascal Berteaud. - J'ai eu l'opportunité de débuter ma carrière dans les années 1980 au sein d'une direction départementale de l'équipement (DDE). À l'époque, la DDE de La Réunion était particulièrement structurée et jouait un rôle majeur dans l'accompagnement des collectivités territoriales. L'État leur apportait un soutien technique significatif.
Puis, une nouvelle doctrine a émergé, considérant qu'il n'était pas approprié que les services de l'État soient à la fois juges et parties. Dans cette logique, l'Assistance Technique fournie par les Services de l'État pour des raisons de Solidarité et d'Aménagement du Territoire (ATESAT)
a été progressivement réduite, puis supprimée quelques années plus tard. Le résultat est sans appel : depuis la suppression de l'ATESAT, tous les acteurs concernés regrettent son existence. J'ai d'ailleurs interrogé des professionnels du secteur privé à ce sujet. Lorsque l'ATESAT a été supprimée, leur marché n'a pas augmenté, mais diminué. Les collectivités, notamment les plus petites, n'ont, en effet, souvent pas les ressources ni les compétences nécessaires pour monter des dossiers techniques. Sans accompagnement en amont, elles ne sont pas en mesure de solliciter des bureaux d'études ou des entreprises privées. Il est donc évident qu'il faut recréer un dispositif similaire à l'ATESAT. Il ne s'agit pas nécessairement de rétablir ce dispositif au sein des services de l'État, mais d'instaurer un mécanisme qui permette aux collectivités de bénéficier à nouveau d'un appui technique structurant.
L'état actuel des compétences techniques dans les directions départementales des territoires (DDT) est préoccupant. Ces services ont perdu une grande partie de leur expertise. Autrefois, un agent pouvait solliciter son subdivisionnaire pour un problème local. Si la difficulté nécessitait une expertise plus approfondie, un technicien du siège de la DDE était dépêché. Enfin, pour les cas les plus complexes, des experts de renommée étaient mobilisés, capables d'intervenir sur des infrastructures sensibles, même dans des communes rurales de quelques centaines d'habitants. Aujourd'hui, cette organisation n'existe plus, et de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans appui structuré. Il est donc impératif de recréer un dispositif adapté. Nous observons cette nécessité dans le cadre de la réflexion sur une fusion entre le Cerema et l'Ademe.
L'une des tentatives actuelles pour pallier ce manque consiste à financer des chargés de mission au sein des collectivités, notamment pour des programmes comme Action coeur de ville ou Petites Villes de demain. Nous avons recensé environ 3 000 postes dédiés à ces missions. Cependant, ces recrutements concernent principalement de jeunes diplômés. Parmi eux, seuls les 5 à 10 % les plus performants parviennent à s'adapter et à produire un travail de qualité. Autrefois, un jeune ingénieur ou technicien intégrait une équipe d'une vingtaine de personnes, sous la supervision d'un chef et entouré de collègues expérimentés. Aujourd'hui, ces jeunes se retrouvent livrés à eux-mêmes dans des collectivités parfois dépourvues de tout encadrement technique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles sont les raisons pour lesquelles le Cerema n'a pas pu reprendre le rôle autrefois assuré par les DDE ?
M. Pascal Berteaud. - Le principal facteur réside dans l'échelle d'intervention du Cerema. Nous opérons à une maille régionale, bien que celle-ci corresponde encore aux anciennes régions, et non à une échelle départementale. Le Cerema a repris l'ensemble des missions qui étaient exercées à un niveau supérieur aux DDE, notamment celles des centres techniques d'équipement (CTE). Pour assurer pleinement ces missions, il serait nécessaire de renforcer les effectifs alloués à ces activités.
M. Cédric Vial. - Avec la disparition de l'ATESAT, nous avons constaté non seulement une perte d'ingénierie, mais aussi un changement profond dans la culture de l'État. Autrefois, dans les DDT ou les DDE, l'État jouait un rôle d'accompagnement des collectivités territoriales. Aujourd'hui, il adopte davantage une posture d'instruction et de contrôle. Cette transformation a profondément modifié la relation entre les collectivités et l'État.
Désormais, l'un des principaux défis pour les élus n'est plus seulement la gestion de la complexité administrative, mais aussi la capacité à s'orienter dans un écosystème de plus en plus dense de structures censées les accompagner. Il est d'ailleurs frappant de constater que certaines agences, comme l'Agence de l'eau, financent aujourd'hui les départements pour aider les collectivités à monter des dossiers auprès... de l'Agence de l'eau. Ce système est paradoxal.
Ce changement de culture appelle une réflexion plus large. Si l'on souhaite que l'État retrouve son rôle historique de partenaire des collectivités, et non plus uniquement celui d'une autorité de tutelle, cette mutation est essentielle.
Il ne s'agit pas simplement de disposer d'agents instructeurs chargés de demander des comptes et d'évaluer les dossiers, mais de rétablir une logique de co-construction avec les collectivités. Cette ambition est-elle compatible avec l'organisation actuelle, ou serait-il nécessaire de réintroduire des compétences techniques et de l'ingénierie directement au sein des services de l'État ?
M. Michaël Weber. - Lors de la mise en place de l'ATESAT, certains maires se montraient réticents à l'idée de devoir s'acquitter d'une cotisation pour bénéficier de ce dispositif. Pourtant, avec le recul, cette contribution financière apparaît relativement modeste en comparaison des sommes que les collectivités versent aujourd'hui, que ce soit aux bureaux d'études privés ou aux conseils départementaux. À ce titre, quel regard portez-vous sur les agences techniques départementales ? Vous disposez sans doute d'une vision globale, qui peut varier selon les départements. Comment évaluez-vous leur efficacité et la qualité des services qu'elles offrent aux collectivités ?
M. Pascal Berteaud. - J'ai débuté ma carrière dans les années 1980, à une époque où, en tant que chef de service au sein d'une DDE, les missions des agents combinaient à la fois la maîtrise d'oeuvre pour les collectivités et l'application des réglementations en vigueur. Ce modèle, selon moi, fonctionnait plutôt bien, car les agents conservaient une approche pragmatique : ayant été confrontés à des problématiques techniques sur le terrain, ils faisaient preuve d'une certaine mesure dans l'application des règles. À l'inverse, lorsqu'ils travaillaient aux côtés des collectivités, ils tenaient compte des exigences réglementaires qu'ils contribuaient à définir.
Cependant, à partir des années 1990, une évolution doctrinale a conduit à une remise en cause de cette double compétence. Il a été estimé que la coexistence de ces missions pouvait générer une confusion des rôles, voire un conflit d'intérêts, aboutissant à un recentrage exclusif des agents sur les aspects réglementaires.
Cette transformation a eu pour effet la disparition progressive des ingénieurs et des experts techniques au sein des administrations. Si certaines directions départementales des territoires, notamment les plus importantes, disposent encore de quelques compétences techniques, beaucoup en sont aujourd'hui totalement dépourvues.
Ce phénomène ne concerne pas uniquement les services de l'État, mais touche également les collectivités territoriales, notamment les conseils départementaux. Lors du transfert des compétences routières, un certain nombre d'ingénieurs et de techniciens ont été intégrés aux services départementaux. Toutefois, ces personnels atteignant aujourd'hui l'âge de la retraite, une tendance préoccupante se dessine : au lieu de recruter de nouveaux ingénieurs ou techniciens pour assurer la continuité de l'expertise, les collectivités privilégient majoritairement l'embauche de personnel administratif.
Cette évolution soulève des interrogations quant à la place du savoir technique dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques. Il s'agit d'une question qui me tient particulièrement à coeur et qui dépasse largement le cadre du Cerema. Nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe sur le plan technique et technologique. Paradoxalement, la présence d'ingénieurs et de techniciens au sein de l'appareil d'État ne cesse de diminuer. Cette contradiction interpelle.
En ce qui concerne la multiplication des agences et la difficulté pour les élus locaux de s'y retrouver, il serait malvenu de porter un jugement définitif, car nous ne subissons pas directement cette complexité. Il serait aisé d'affirmer que l'organisation est parfaitement lisible, car nous en maîtrisons les rouages.
Je suis convaincu que le rôle du préfet est central dans l'organisation de l'ingénierie territoriale. Il devrait pouvoir assurer un rôle de coordination et être en mesure d'orienter une collectivité vers l'organisme compétent. Or, force est de constater que ce n'est pas le mode de fonctionnement actuellement en vigueur.
Une solution envisageable consisterait à constituer, autour du préfet, une équipe technique dédiée, capable d'assurer les missions autrefois confiées à l'ATESAT. Depuis quinze ans, de nombreux acteurs regrettent la suppression de l'ATESAT, et pourtant, aucune alternative réellement structurée n'a été mise en place pour combler ce manque. Il est temps de reconnaître collectivement que cette suppression a constitué une erreur et qu'il est nécessaire de recréer, sous une forme adaptée aux enjeux actuels, un dispositif similaire. À titre de comparaison, avant sa suppression, l'ATESAT mobilisait environ 4 000 ETP. Aujourd'hui, les chargés de mission recrutés directement par les collectivités représentent plus de 3 000 ETP. L'écart entre ces deux volumes est donc relativement faible. Si l'on rétablissait une ingénierie de proximité inspirée du modèle de l'ATESAT dans environ 70 départements, avec des équipes d'une vingtaine de personnes, cela représenterait 1500 ETP.
Concernant les agences techniques départementales, elles présentent une forte hétérogénéité. En Haute-Garonne, par exemple, l'agence technique départementale regroupe plus de 100 agents et propose un large éventail de services aux collectivités. Toutefois, cette capacité varie fortement d'un département à l'autre : certaines agences techniques départementales disposent de moyens beaucoup plus réduits, tandis que d'autres n'existent tout simplement pas.
Une autre difficulté, de nature plus politique, réside dans les relations entre les collectivités et les conseils départementaux. Par le passé, les maires pouvaient s'adresser directement à l'État, notamment via les directions départementales de l'équipement ou les directions départementales de l'agriculture, qui étaient perçues comme des interlocuteurs neutres. Aujourd'hui, certaines petites communes hésitent à solliciter leur conseil départemental, ce qui complexifie encore davantage l'accès à l'ingénierie territoriale.
Afin de répondre à ces enjeux, nous avons mis en place un groupe de travail réunissant plusieurs agences techniques départementales dans le but d'identifier les synergies possibles et de renforcer la coopération entre ces structures. Ce travail devrait aboutir, d'ici un mois, à une série de propositions qui seront soumises à l'Assemblée des Départements de France.
M. Cédric Vial. - Vous avez évoqué une piste intéressante en suggérant la création d'une structure au sein des services de l'État, inspirée de l'ATESAT, mais repensée pour répondre aux enjeux actuels. Une telle initiative nécessiterait de réinternaliser certaines compétences. Aussi, si une telle structure devait être créée, cela impliquerait-il de mobiliser les effectifs de votre agence ou ceux d'autres structures ?
M. Pascal Berteaud. - Une partie des effectifs proviendrait sans doute du réseau actuel du ministère de l'Écologie, anciennement ministère de l'Équipement.
Si des équipes d'ingénierie étaient réimplantées dans les départements, il serait possible de trouver et recruter les profils adéquats. Lorsqu'un ingénieur est formé, sa motivation première réside dans la conception et la réalisation de projets techniques, et non dans l'instruction de dossiers purement réglementaires. Je parle d'expérience, je suis moi-même ingénieur. Les professionnels que nous recrutons sont animés par cette même passion pour l'ingénierie et la construction.
En pratique, nous recrutons un nombre significatif de jeunes diplômés en sortie d'école. Il est courant qu'après cinq années d'expérience, ils évoluent vers d'autres structures. Toutefois, nous observons également qu'au bout de 10 à 15 ans, beaucoup d'entre eux reviennent dans nos services, cette fois sur des postes à plus haute responsabilité.
Notons également que les services de l'État jouaient également auparavant un rôle de redistribution financière. Aujourd'hui, les canaux de financement sont multiples, ce qui complique encore davantage l'accès aux ressources pour les collectivités.
M. Pierre Barros, président. - Il y a 35 ans, l'externalisation des compétences avait été pensée dans l'objectif d'ouvrir le marché à la concurrence. Certains agents ont constitué leur propre bureau d'études privé et ont su tirer profit de ce modèle. Ce retour vers une ingénierie publique questionne donc les orientations politiques qui ont été prises à l'époque. Sommes-nous aujourd'hui en mesure d'opérer un retour en arrière et de réintégrer ce type de service au sein de l'État ?
M. Pascal Berteaud. - Dans nos échanges avec Cinov Ingénierie et la fédération Syntec, les principaux syndicats représentant les bureaux d'études, il ressort que le marché n'a pas réellement progressé. En réalité, de nombreuses collectivités se retrouvent isolées, sans interlocuteur compétent pour les aider à formaliser leurs besoins. Or, sans cahier des charges précis, il leur est impossible de solliciter un bureau d'études.
Notre intervention se situe donc principalement en amont du processus. Lorsque les collectivités ne disposent pas d'une vision claire de leur projet, nous les accompagnons dans leur réflexion. En ce sens, nous jouons un rôle d'assistance à la maîtrise d'ouvrage.
Notre rôle tend également à s'étendre à l'aval du processus. Les collectivités nous sollicitent fréquemment pour bénéficier de notre regard sur les prestations proposées par le secteur privé. Dans ce cadre, nous intervenons en tant que tiers de confiance, aux côtés des collectivités, afin d'évaluer le travail réalisé par les bureaux d'études et les entreprises.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre venue et vos propos, Monsieur le directeur général.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration, et Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Christophe Bouillon, président depuis 2022 du conseil d'administration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), également maire de Barentin, en Seine-Maritime, président de l'Association des petites villes de France (APVF) et ancien député. Il est accompagné de M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT depuis début 2023, précédemment directeur général des collectivités locales.
Messieurs, l'ANCT est l'agence à laquelle le plus grand nombre de rapports parlementaires sont consacrés, tout particulièrement au Sénat. Il est normal que l'assemblée qui représente les territoires s'intéresse à l'agence qui leur est dédiée.
L'ANCT a d'ailleurs été citée à de nombreuses reprises au cours des premières auditions que nous avons conduites : parfois pour dire que les dispositifs déployés par l'ANCT recoupent ceux des régions, parfois pour apprécier les travaux de l'Agence sauf lorsqu'ils sont insuffisamment adaptés à la réalité des territoires. L'utilité des chargés de mission financés par l'Agence a également été soulignée.
Un souhait a toutefois été exprimé pour l'ANCT, mais aussi pour d'autres agences : celui d'une meilleure visibilité de l'articulation entre les différents opérateurs et leur lien avec l'État incarné localement par le préfet. Celui-ci est-il bien partie prenante dans toutes les actions conduites par l'ANCT ?
Vous nous présenterez bien entendu les apports de l'ANCT aux collectivités. Lorsque l'Agence apporte de l'ingénierie, celle-ci est-elle financière, technique ou juridique ? En quoi cette expertise se distingue-t-elle - ou arrive-t-elle en complément - de celle apportée par d'autres agences telles que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ?
L'ANCT nous intéresse aussi parce qu'elle est l'archétype même de l'agence, censée assurer la mise en oeuvre d'une politique publique conçue par un État stratège. Mise en place le 1er janvier 2020, c'est une structure jeune, mais sa croissance rapide permet de dresser un premier bilan. Avez-vous achevé la fusion des trois organismes dont l'Agence est issue, à savoir le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Agence du numérique et l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) ?
Une fusion avec l'Ademe et le Cerema est régulièrement évoquée. Garantirait-elle une meilleure efficacité et une plus grande lisibilité pour les collectivités locales ? Ne constituerait-elle pas une fausse bonne idée, risquant d'éloigner ce super-opérateur des territoires ?
L'ANCT est ainsi au coeur de plusieurs thèmes importants de nos auditions, par son rapport avec les autres agences actives au niveau local ainsi qu'avec les services déconcentrés et les collectivités territoriales. Sur tous ces points, les acteurs de terrain manquent d'une vision claire de « qui fait quoi » et certains regrettent le temps où l'État, via les services départementaux, apportait une aide directe aux collectivités locales.
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Bouillon et M. Stanislas Bourron prêtent serment.
M. Pierre Barros, président. - Je vous propose d'intervenir pour un propos introductif d'une dizaine de minutes, après quoi notre rapporteur, Christine Lavarde, et ceux de nos collègues qui le souhaitent vous poseront leurs questions.
M. Christophe Bouillon, président du conseil d'administration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - Merci de nous accueillir dans le cadre des travaux de cette commission d'enquête. J'exprime le point de vue d'un maire d'une petite ville et, vous l'avez rappelé, du président de l'APVF, qui fédère plus de 1 500 collectivités et porte le témoignage de tous ces maires. Je préside le conseil d'administration de l'ANCT depuis décembre 2022, à la suite de Michel Fournier, qui était lui-même président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et succédait à Caroline Cayeux, laquelle était maire de Beauvais et présidait l'Association Villes de France. Ce conseil d'administration présente la particularité, et c'est une chance, de compter dix représentants d'associations de collectivités locales dont l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'AMRF, Villes de France, Intercommunalités de France, Ville et banlieue, l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), Régions de France ou encore l'Assemblée des départements de France (ADF). Soulignons la présence de deux députés et deux sénateurs au sein du conseil pour assurer le relais entre la représentation nationale et la représentation des territoires.
Mon propos est libre, puisque je suis élu et exerce cette fonction à titre bénévole. Nous avons la chance de compter au sein de l'Agence diverses compétences appréciables. Nous les sollicitons en cas de catastrophes naturelles, telles que les inondations de la vallée de la Roya ou du Pas-de-Calais, ou plus récemment le cyclone à Mayotte - avec Stanislas Bourron, nous avons récemment reçu des élus de l'archipel. Les actions se concentrent sur l'ingénierie, le pilotage ou l'animation. L'Agence, créée en 2020, est issue de la fusion entre l'Épareca, le CGET et l'Agence du numérique - celle-ci réunissait diverses compétences aujourd'hui sollicitées dans l'exercice de nos missions.
Toutes les auditions, les évaluations et les contrôles sont parfaitement légitimes. Comme l'a indiqué M. le président, plus de trente rapports ont été produits sur l'Agence depuis 2020, et d'autres sont en préparation. En ma qualité de président du conseil d'administration, je réponds aux diverses sollicitations. Dans le même temps, il faut maintenir un rapport direct dans les territoires. Avec Stanislas Bourron, qui a pris ses fonctions en décembre 2022, nous avons décidé de faire le tour de France des actions que mène l'Agence. Ensemble ou séparément, nous avons effectué plus de 90 déplacements à la rencontre des élus locaux, de l'État territorial, des associations et porteurs de projets afin de vérifier comment les actions sont menées.
La notion d'« État stratège » a été évoquée à raison. Elle s'observe au travers des cinq missions que la loi a confiées à l'Agence, qui est le fruit d'une initiative sénatoriale.
La première mission concerne la conception et le pilotage d'actions en direction des 1 600 quartiers prioritaires de la ville (QPV), où vivent 6 millions de Français. Citons par exemple « Cités éducatives », mais il existe nombre d'autres programmes concrets de soutien à des associations.
La deuxième mission consiste à concevoir et animer des actions interministérielles de l'État en direction de territoires ruraux ou de montagne, où résident 30 % des Français. À ce titre, nous sommes chargés du plan France ruralités, qui se décline notamment avec Villages d'avenir, et des deux volets du programme Avenir montagnes : Avenir montagnes ingénierie et Avenir montagnes mobilités.
La troisième mission, tout aussi importante, est d'appuyer les collectivités locales fragilisées en ingénierie pour faire face à des défis importants comme la revitalisation des centres-bourgs ou centres-villes. Les programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites Villes de demain (PVD) concernent respectivement 245 et 1 600 collectivités et ont été engagés en 2018 pour le premier, et en 2020 pour le second. Ils s'appuient d'abord sur la vision de l'élu, à la maille de son territoire, qui ressent les difficultés et imagine en partenariat des solutions pour redresser la situation. C'est souvent le constat d'une vacance importante de commerces ou de logements qui a incité à porter l'effort d'ingénierie sur ces territoires vulnérables.
La quatrième mission porte sur l'accès à des services publics, au numérique et à des offres commerciales. Un très important programme a permis l'ouverture de 2 800 espaces France services, répartis entre des maisons et des bus en fonction de la topographie ou de la volonté exprimée à la maille départementale. Aujourd'hui, 99,4 % de la population se trouve à moins de vingt minutes de l'un de ces espaces, que près de 1 million de personnes fréquentent chaque mois. Les points de contact avec plus d'une douzaine d'opérateurs essentiels, tels que les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les Urssaf, MaPrimeRénov', etc., facilitent l'inclusion numérique.
La cinquième et dernière mission, peu connue, participe aussi de l'État stratège. Orientée vers la coordination, elle vise à s'assurer que les fonds européens de cohésion sont bien employés à l'échelle régionale.
Ces cinq missions s'articulent en une quinzaine de programmes, parmi lesquels je citerai Tiers-lieux ou Territoires d'industrie. En tant que président de l'APVF, j'en suis arrivé à la conclusion suivante : derrière chaque programme il y a une association d'élus, en vertu d'un principe de co-construction. Et toute action trouve son origine dans un constat.
Le programme Petites Villes de demain a par exemple vu le jour grâce aux maires, qui ont souligné un vrai enjeu lié à la dévitalisation de nos centres-bourgs.
Derrière Territoires d'industrie, vous trouverez Régions de France et Intercommunalités de France. Ensemble, ces associations ont pris acte de la nécessaire anticipation à l'échelle des bassins industriels, dont le périmètre dépasse parfois celui des seules intercommunalités. Elles ont inspiré le « temps II » du programme, ciblé sur la formation, le foncier, la décarbonation et l'innovation.
Quant au programme Action coeur de ville, il a aussi été inspiré par la volonté de Villes de France d'agir dans des villes moyennes en vue de leur redynamisation. La deuxième phase du programme tire les leçons de l'expérience, en mettant cette fois l'accent sur les entrées de ville, les gares, la renaturation des centres-villes ou la sobriété foncière. Sur ce dernier point, les maires avaient l'habitude, il y a dix ans, de se référer à des modèles un peu lointains, inspirés par exemple de la Suisse. Ils ont aujourd'hui à leur disposition 245 exemples très concrets de transformation urbaine. Certes, cela prend du temps, souvent la durée de deux mandats ; mais dans la mesure où Action coeur de ville a commencé dès 2018, il est possible d'en apprécier les résultats, qui sont probants. Par ailleurs, des indicateurs - taux de vacance ou de réhabilitation des logements - peuvent s'y rattacher.
En termes d'ingénierie, la loi a fixé une mission de coordination avec les cinq opérateurs nationaux que sont l'Anah, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le Cerema, la Banque des territoires et l'Ademe. Le principe de subsidiarité prévaut : le préfet - ou, dans les faits, le sous-préfet - joue un rôle essentiel, car il est le délégué territorial de l'Agence, autrement dit le point de contact. Il vérifie d'abord s'il existe une réponse au niveau de l'État local, puis il se penche sur les opérateurs et l'ingénierie locale. C'est ce qui nous a conduits à élaborer des guides de l'ingénierie et organiser des forums dédiés à l'échelle départementale. En définitive, nous intervenons au bout du bout si rien ne se passe.
Je conclurai en évoquant la mission d'ingénierie sur mesure qui nous a été confiée. Lorsqu'une collectivité locale n'est pas éligible à l'un des programmes existants, nous pouvons lui apporter une ingénierie dite « de précision ». Depuis la création de l'Agence en 2020, plus de 3 000 projets ont bénéficié de ce dispositif. Pour répondre à votre question sur la nature de l'aide apportée, je vous répondrai qu'il s'agit de tous types d'ingénierie, à savoir l'animation, la conception ou la recherche de financements. Pour certains projets très complexes, comme la transformation d'un bâtiment en cinéma, notre offre repose sur une étude de faisabilité et des marchés à bons de commande.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez largement évoqué la question de l'ingénierie. Pourquoi n'a-t-elle pas été confiée dès le départ au Cerema, qui exerce des missions d'ingénierie technique ? Peut-être est-ce lié au fait que vous exercez aussi des missions de conseil et d'organisation ?
S'agissant des centres-villes, pourquoi estimez-vous que l'ANCT est le meilleur maillon pour agir ? Je suis élue de la métropole du Grand Paris (MGP), qui a créé une foncière pour préempter des baux commerciaux là où la dévitalisation menaçait le tissu économique. Personne ne m'a jamais parlé de l'ANCT. Pourquoi la collectivité s'est-elle substituée à une agence qui devrait intervenir partout sur le territoire ? Dans les situations particulières, du fait de la géographie ou de l'organisation, ne serait-il pas logique d'agir comme la MGP ?
Vous avez évoqué les fonds européens, qui ont été abordés hier par la ministre Amélie de Montchalin devant la commission des finances. Comment vérifiez-vous concrètement que les régions utilisent ou non ces fonds ? Cela ne relève-t-il pas plutôt de leur propre responsabilité ?
Selon vous, un constat exprimé par une association d'élus donne lieu à une nouvelle mission. Pourquoi ne pourraient-elles pas créer un groupe de travail afin de faciliter le partage d'expériences ? Un nouveau programme d'État se justifie-t-il ?
Vous avez déclaré qu'une aide ponctuelle était apportée à une collectivité non éligible à un dispositif existant. Est-ce à dire que toute collectivité deviendrait éligible au soutien ?
J'en viens aux marchés à bons de commande.
Comment l'ANCT résout-elle le recours à des prestations
extérieures ? Concernant les cabinets de conseil, sur lesquels le
Sénat s'est penché longuement, une doctrine assez
stricte
a été édictée au niveau de l'État central.
Quelle est la position de l'ANCT à cet égard ? Pouvez-vous
nous indiquer la part d'ingénierie confiée à des tiers
privés et celle qui est conservée par l'Agence ?
M. Christophe Bouillon. - S'agissant de votre première question, je dirai que nos actions ne sont pas identiques à celles du Cerema, dont l'ingénierie représente 7 % de l'activité. La coordination s'opère de la façon suivante : l'ANCT, représentée par le préfet, peut solliciter le Cerema en fonction de la nature du besoin. Elle ne le fait pas systématiquement, car les cinq opérateurs de l'État et d'autres organismes à l'échelle locale sont susceptibles de répondre aux besoins : des agences techniques existent dans 75 départements environ et se spécialisent en fonction des demandes - numérique, voirie, etc. - ; des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) interviennent également ; parfois, une ingénierie est offerte par les métropoles ou les agglomérations aux communes adhérentes aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Des inégalités perdurent néanmoins d'un territoire à l'autre.
Concernant les centres-villes, l'ANCT n'a pas vocation à se substituer à qui que ce soit. Le point de départ, c'est d'abord la vision des collectivités qui souhaitent transformer leur centre-ville et s'appuyer sur l'intercommunalité et sur leurs partenaires. À titre d'exemple, Action coeur de villes réunit les acteurs concernés - notamment l'Anah, la Banque des territoires ou encore Action logement - autour de la revitalisation d'un territoire, via la production et la réhabilitation de logements, l'aménagement du centre-ville, l'amélioration de la mobilité, etc. L'Anah, qui est spécialisée dans la réhabilitation de logements privés, agit aussi dans le cadre du programme Petites ville de demain.
Vous avez raison, certaines métropoles et agglomérations sont très dotées en moyens d'ingénierie. Mais force est de constater que nombre de collectivités en sont dépourvues. D'ailleurs, avant la création de l'Agence, beaucoup d'associations de communes réclamaient une telle offre, notamment pour leurs appels à projets. Pour notre part, nous parlions d'une « prime à l'ingénierie » en faveur des collectivités plus importantes. Le « sur-mesure » permet d'y remédier. Nous sommes un peu « le trou dans la raquette ».
D'ailleurs, nous n'épuisons pas l'ensemble de l'offre d'ingénierie existant dans ce pays. L'offre d'ingénierie est diverse. Lorsqu'un maire réalise un plan local d'urbanisme intercommunal habitat et déplacements (PLUi-HD), ou un plan-climat-air-énergie territorial (PCAET), il fait appel à l'ingénierie privée. Celle-ci est fournie non pas par des cabinets de conseil, mais par des spécialistes. Le principe de subsidiarité permet à l'ANCT d'intervenir lorsque les capacités d'offre sont épuisées.
Les élus sont parfois nostalgiques des directions départementales de l'équipement (DDE). Ces structures n'existent plus aujourd'hui pour des raisons de libre concurrence. Il est vrai que les DDE jouaient un rôle précieux, jusqu'à l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Elles permettaient ainsi de réaliser des voiries. Pour rappel, des centres techniques de DDE étaient installés à proximité des communes. Une chose est sûre, il s'agissait d'une organisation pratique et les relations avec les élus étaient fortes.
Tout cela n'existe plus aujourd'hui, en vertu de la réglementation européenne. Néanmoins, les EPCI et les agences techniques départementales ont semblé se substituer aux DDE.
Par ailleurs, vous nous interrogez sur le rôle des associations d'élus. Notez que l'APVF ne dispose que de cinq chargés de mission. Ainsi, elle aura bien des difficultés à accompagner les élus.
Néanmoins, l'ANCT veille à ce que l'ensemble des élus concernés puissent se réunir au sein de certaines structures, telles que le club Petites Villes de demain. Des échanges réguliers ont lieu entre la Banque des territoires et les communes assurant la mise en oeuvre du programme Action coeur de ville et, dernièrement, des réunions ont été organisées sur le thème du mieux vieillir.
Ces interconnexions sont essentielles pour partager les expériences et expérimenter des mesures dans certains territoires, afin de les étendre à d'autres collectivités, dans une logique d'essaimage. La mise en place de réseaux de territoires permet d'accomplir ce que les associations d'élus sont incapables de faire à leur échelle.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En effet, les DDE ont été supprimées pour respecter le droit européen de la concurrence. Or leur expertise a été transférée aux agences. Cela ne change donc pas grand-chose.
M. Christophe Bouillon. - L'ANCT doit accomplir des missions d'État stratège, en vertu de la loi. Dès lors, son métier n'a rien à voir avec celui des DDE. Si de grands programmes nationaux existent - Action coeur de ville, Petites Villes de demain, Territoires d'industrie, plan France Très Haut Débit (PFTHD) -, c'est parce que l'ANCT doit assurer des missions de cohésion territoriale. Or telle n'était pas la vocation des DDE. De fait, ce sont les agglomérations et les territoires qui ont remplacé les DDE, pour accompagner des collectivités membres de leurs EPCI.
Certains territoires ont la chance de disposer de foncières régionales. Nous travaillons très bien avec les établissements publics fonciers dans les différentes régions, ainsi qu'avec les foncières commerciales à l'échelle des agglomérations. Ainsi, l'agglomération d'Alençon recourt à des outils de portage foncier utiles.
L'Épareca avait pour mission première de
restructurer les centres commerciaux dans des quartiers très difficiles.
L'ANCT, qui a récupéré cette fonction, est
désormais responsable de la réintégration sur le
marché
d'une cinquante de centres commerciaux. Aujourd'hui,
la maille territoriale à travers laquelle nous intervenons est beaucoup
plus serrée, ce qui nous a amenés à soutenir un commerce
en difficulté dans le centre-ville de Vierzon.
En vertu du principe de subsidiarité, nous n'intervenons que si d'autres entités ne le font pas ou ne le peuvent pas à l'échelle locale.
M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. - L'ANCT est un établissement public administratif sui generis, en vertu des missions qui lui sont confiées par la loi. Le préfet, en tant que délégué territorial de l'Agence, est chargé d'animer les différentes missions aux côtés de la préfecture, de la sous-préfecture et des directions départementales des territoires (DDT).
Nous avons considérablement renforcé l'appui aux préfets, afin que le réseau de proximité construit avec les élus locaux soit le plus performant possible. Je connais bien ces réseaux, ayant été directeur général des collectivités locales et agent du ministère de l'intérieur.
Des améliorations sont toujours possibles, cela ne fait aucun doute. En 2024, nous avons déconcentré une très grande partie de nos crédits d'ingénierie, qui nous permettaient d'intervenir de façon subsidiaire. Ces crédits sont désormais à la main du préfet, qui décide localement des conditions dans lesquelles ils peuvent être mobilisés. En 2024, 920 projets ont été accompagnés ; 80 % d'entre eux concernaient des communes de moins de 3 500 habitants ou des intercommunalités de moins de 15 000 habitants.
Cela fait cinq ans que l'ANCT a été créée. Dès lors, il me semble que le sujet de la fusion est derrière nous, même s'il faut encore perfectionner un certain nombre de choses, notamment en matière de ressources humaines. Nous avons introduit de la transversalité dans le fonctionnement de l'ANCT. Désormais, nous sommes capables d'utiliser en zone rurale ce qui a été accompli dans le domaine de la politique de la ville. Notamment, nous pouvons mobiliser les outils qui ont été développés pour les QPV en faveur du commerce rural. Ces compétences sont mobilisées de façon transversale et doivent profiter à toutes les collectivités qui en ont besoin.
Par ailleurs, l'ANCT intervient en tant qu'autorité de coordination des fonds de cohésion. Cette compétence lui a été confiée par le législateur sur le fondement de textes communautaires. Vous avez raison, madame le rapporteur, cela ne remet nullement en cause la responsabilité des autorités de gestion, notamment les régions, qui restent à la manoeuvre pour définir et appliquer les programmes.
Toutefois, dans tous les États membres de l'Union
européenne, il existe une interface entre l'échelon
communautaire et les autorités de gestion. En France, il s'agit de
l'ANCT. Dans ce cadre, nous animons le dispositif Synergie, mis à la
disposition des régions, pour gérer divers fonds. En outre, nous
réalisons des missions de suivi et de reporting, et
servons
d'interface avec la Commission européenne. Nous nous
assurons du respect des délais prévus et de la bonne information
des autorités de gestion sur les outils existants.
Nous accompagnons tout particulièrement les départements et régions d'outre-mer (Drom), qui ont parfois plus de difficultés, dans leur fonctionnement interne, à mobiliser les fonds, notamment les financements européens.
Malgré notre mission d'appui, nous veillons à ne pas nous substituer aux autorités de gestion. Nous nous bornons à expliquer aux collectivités les outils mis à leur disposition et les conditions dans lesquelles elles peuvent faciliter les modes de gestion. Nous les aidons également à utiliser les fonds de cohésion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous assurer qu'aucun agent ne réalise ce suivi des Drom au sein du ministère des outre-mer ou de la direction générale des collectivités locales (DGCL), comme vous le faites ?
M. Stanislas Bourron. - L'ANCT assure une fonction de coordination qui lui a été confiée par le législateur ; ce n'est pas elle qui l'a décidé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je ne remets pas en cause ce principe, je vous demande simplement si d'autres administrations centrales interviennent dans ce domaine, en plus de l'ANCT.
M. Stanislas Bourron. - Le ministère des outre-mer a des responsabilités spécifiques sur ces sujets et articule son travail avec celui de l'ANCT. Il dispose notamment d'un dispositif d'assistance technique dédié, coordonné par nos soins. Le soutien que nous apportons aux territoires ultramarins ne se fait ni sans eux ni sans les préfets de région et les départements concernés.
Ayant été responsable de la création de la structure, au sein de la DGCL, qui assure la tutelle de l'ANCT, et ayant exercé cette tutelle pendant trois ans, je peux vous certifier que la fonction de reporting n'est assurée que par un demi-chargé de mission. C'est tout à fait normal pour une tutelle qui s'exerce sur un établissement public de l'État.
J'en viens à la question du recours aux marchés à bons de commande. Le soutien de l'ANCT en matière d'ingénierie se fait à deux niveaux.
D'une part, des chefs de projet peuvent être sollicités. Dans ce cadre, ils bénéficient de cofinancements au titre des grands programmes nationaux, tels qu'Action coeur de ville. La plupart du temps, les chefs de projet sont positionnés dans les intercommunalités ou les communes et accomplissent une mission spécifique.
Le Parlement, la Cour des comptes et les autorités d'inspection estiment que les chefs de projet sont utiles, dès lors qu'ils aident, sur le temps long, à construire des projets structurés, notamment des projets d'investissements de qualité.
D'autre part, les collectivités peuvent recourir au guichet unique et consulter des guides d'ingénierie lorsqu'elles ont des besoins plus ponctuels. Elles peuvent ainsi être soutenues dans la réalisation de divers projets : entretien d'une station-service qui tombe en ruine, gestion des friches, développement touristique, etc.
Lorsqu'une réponse locale ne peut être apportée aux problèmes, l'ANCT se doit d'intervenir, en lien avec les préfets et les départements.
Un rapport du Sénat relatif à l'ingénierie dans les territoires a souligné le fait que certains départements ne disposent pas encore d'une agence technique départementale. Dans ce cas, ils peuvent avoir besoin d'un accompagnement subsidiaire de l'État, pouvant être réalisé de deux façons : dans un premier temps, les collectivités peuvent solliciter des opérateurs nationaux, tels que le Cerema ; à défaut d'offre publique, elles peuvent recourir à un marché à bons de commande.
Passés tous les quatre ans, ces marchés permettent de répondre, notamment avec des lots régionaux, à la totalité des problèmes qui se posent dans divers domaines : service public, numérique, tourisme, commerce, aménagement urbain, etc.
Les marchés à bons de commande sont parfaitement conformes à la doctrine de l'État en matière de prestation. Encore une fois, l'ANCT se contente de proposer une offre de service simplifiée et ne se substitue à personne. Dans ce cadre, elle agit presque comme une structure de type Union des groupements d'achats publics (Ugap) : la collectivité n'a pas à passer le marché et peut, dès lors, recevoir une prestation adaptée à son besoin.
Par ailleurs, l'ANCT, en vertu d'une décision du conseil d'administration, prend en charge tout ou partie du coût de cette prestation, y compris si elle est publique. La prise en charge peut aller jusqu'à 100 % pour les plus petites communes et jusqu'à 30 % pour les plus grandes. Cette logique de péréquation permet aux collectivités d'accéder à l'ingénierie à un tarif acceptable et de développer un projet de qualité répondant aux grands enjeux territoriaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'État a-t-il recensé l'ensemble des soutiens publics reçus par les communes ? Je pense non seulement à l'appui fourni par l'ANCT et le Cerema, mais aussi à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Cette question recoupe celle de la répartition de l'aide apportée aux collectivités.
M. Christophe Bouillon. - Ce qui compte, c'est d'avoir un positionnement de l'État à l'échelle départementale. Il est incarné par le préfet, qui agit comme délégué territorial ; c'est à cette échelle que se joue l'attribution de différentes dotations. Force est de constater que le couple préfet-maire est opérationnel dans beaucoup de territoires, surtout en temps de crise.
Il existe des revues de projet à la fois à l'échelle régionale, pour les questions financières et calendaires, et à l'échelle nationale. Cela permet d'avoir une connaissance fine de l'ensemble de l'offre et du coût qu'elle représente.
Au sein même du conseil d'administration, nous faisons régulièrement état d'un tableau détaillé sur la nature et le nombre d'interventions. Ainsi, plus de 900 collectivités ont été accompagnées au cours de l'année 2024. Les guides d'ingénierie sont essentiels pour faire jouer la notion de guichet unique et le principe de subsidiarité.
En 2023, un important travail a été conduit, sous l'égide de Stanislas Bourron, avec les cinq grands opérateurs de l'État, afin de déterminer l'ensemble de l'offre d'ingénierie existante.
Ainsi, dans chaque département, l'ANCT est désormais capable d'orienter les élus et de répondre le mieux possible à leurs besoins. Sachez que nous veillons à aller au plus fin de l'ingénierie, dont le spectre est assez large.
En outre, nous avons distribué aux maires un flyer, notamment à l'occasion du congrès des maires et des présidents d'intercommunalité de France. Il leur permet d'identifier, parmi les opérateurs de l'État, celui qui sera le plus à même de répondre à leurs besoins.
La pire chose qui puisse arriver aux maires est le changement permanent. Pour ma part, je ne crois pas à la fusion perpétuelle : il faut qu'on se laisse le temps de mettre en oeuvre des actions, pour pouvoir les évaluer correctement. Il se trouve que les maires sont très satisfaits par le programme Petites Villes de demain, car il est adossé à leur mandat de six ans.
Le temps long, c'est aussi celui de la transformation urbaine. En effet, la mise en oeuvre des programmes Action coeur de ville, Petites Villes de demain ou Villages d'avenir excède parfois la durée d'un seul mandat municipal.
Stanislas Bourron l'a fort bien rappelé, on ne réalise pas une fusion en appuyant simplement sur un bouton. Elle nécessite un temps d'acculturation et une certaine transversalité. Justement, nous avons réalisé un important travail visant à assurer la transversalité de l'ensemble des métiers de l'ANCT, en dépit des différences de statut et d'approche.
J'insiste, la stabilité est utile, car elle nous permet d'être opérationnels.
Ne l'oublions jamais, l'ANCT a été créée en 2020, au coeur de la crise sanitaire, que les préfets et les maires ont dû gérer pendant au moins deux ans. Malgré tout, elle est parvenue à mettre en oeuvre divers programmes, tels que Petites Villes de demain en 2020 et Avenir montagnes en 2021. Désormais, notre agence est connue par de nombreux territoires et navigue à sa vitesse de croisière, si j'ose dire.
Lorsque je suis entré au conseil d'administration de l'ANCT, on m'a demandé d'améliorer la visibilité et la lisibilité de l'institution. Je pense que nous avons beaucoup progressé en ce sens, mais cela a pris du temps.
Encore une fois, il faut éviter de déstabiliser un écosystème et des programmes qui sont désormais compris par les collectivités. Ce n'est pas la peine d'embrouiller les actions qui doivent être menées par les élus sur la durée de leur mandat.
Mme Ghislaine Senée. - Dans ma circonscription, les Yvelines, les dispositifs d'accompagnement aux collectivités sont salués. Je souhaiterais vous interroger sur le recoupement des missions entre divers opérateurs, dont l'ANCT.
Au fil du temps, toutes sortes de structures se sont multipliées dans les territoires. Par exemple, le département des Yvelines a créé les agences IngénierY et RuralogY, dont les missions s'ajoutent à celle de l'agence Île-de-France Ruralité. Quelle structure choisir ? Pour quelles raisons une structure devrait-elle prévaloir sur les autres ?
Par ailleurs, quel type de personnels l'ANCT a-t-elle récupéré après la fusion ? S'agissait-il de fonctionnaires détachés ou d'agents mobilisés au titre de la position normale d'activité (PNA) ?
Enfin, avez-vous défini des objectifs en matière de réduction d'effectifs ? Avez-vous pu mesurer les gains de productivité apportés par la fusion ? On présente souvent cette dernière comme une solution miracle. Je pense qu'il faut nous assurer d'objectiver ce genre de stratégie.
M. Christophe Bouillon. - Les guides d'ingénierie ne sont pas qu'un simple document de communication. Ils constituent l'aboutissement d'un travail qui permet d'identifier, à la maille locale, l'ensemble de l'ingénierie disponible : agences techniques départementales, CAUE, agents d'urbanisme, agences de ruralité, etc. Nous avons également dressé un tableau des cinq opérateurs de l'État.
Notre mission consiste à renseigner les collectivités sur les activités de chaque structure. Pour le dire plus simplement, les élus sont capables, grâce à notre action, de savoir qui fait quoi.
Je dois aussi mentionner les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT), qui sont à la main des préfets dans les départements. Ils sont essentiels, bien que leur organisation varie d'un territoire à un autre, car ils permettent de réunir les opérateurs nationaux, les collectivités locales et les associations d'élus.
M. Stanislas Bourron. - L'ANCT est née du regroupement d'une administration centrale, le CGET, d'un service à compétence nationale, l'Agence du numérique, et d'un établissement public industriel et commercial (EPIC). Or il se trouve que ce dernier employait des salariés de droit privé.
L'ANCT doit être regardée comme un opérateur sui generis sur le plan juridique, dès lors qu'elle a été définie comme un établissement public administratif (EPA) avec une activité industrielle et commerciale. Cette caractéristique lui a permis de conserver des salariés de droit privé, dont les compétences sont rarissimes au sein des services de l'État : construction, gestion de projet, gestion locative des centres commerciaux principalement dans les QPV.
Le législateur a été très clair : l'ANCT ne peut aider les centres commerciaux qu'en l'absence de toute intervention privée. Ainsi, la puissance publique intervient à titre subsidiaire pour acquérir le foncier, reconstruire le bâtiment et assurer la gestion locative, en symbiose avec la collectivité locale concernée. Au bout de sept ou huit ans, l'ANCT revend le foncier à un commerçant, à une association ou à des structures spécialisées et veille à la pérennité et à la proximité du projet avec les habitants.
Les salariés de droit privé qui supervisent ce genre d'opérations ont, par définition, des compétences très particulières. Actuellement, ils représentent 10 % de nos effectifs.
Par ailleurs, nous employons 60 % de contractuels en CDI ou en CDD, sous statut de droit public. Certains agents ont un statut particulier, car ils sont issus de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) qui, dans les années 2010, gérait les fonds de la politique de la ville.
Enfin, nous disposons d'un petit tiers de fonctionnaires - il s'agit notamment d'agents du ministère de la transition écologique, auquel nous sommes organiquement rattachés - qui sont placés sous différents statuts : PNA, mise à disposition (MAD), etc. Certains de nos fonctionnaires sont enfin détachés de la fonction publique territoriale, ce qui nous permet d'avoir une plus grande connaissance du monde local.
En matière d'effectifs, notre objectif n'est pas d'organiser des grands mouvements de personnels. Il consiste plutôt à garder les bons agents au bon endroit, peu importe leur statut juridique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La question du statut n'est pas si neutre, car les conditions de rémunération ne sont pas les mêmes dans le cadre d'une PNA ou d'un détachement sous contrat. Privilégiez-vous l'un de ces statuts ?
M. Stanislas Bourron. - La réponse est simple : l'ANCT emploie essentiellement des personnels contractuels. La PNA est assez marginale : si des fonctionnaires se positionnent, nous regardons les conditions statutaires qui leur permettent de venir à l'ANCT dans les meilleures conditions. Notez que cela n'engendre aucun coût.
L'ANCT n'est pas maître de sa politique de rémunération, tant s'en faut. Elle doit tenir compte des visas préalables émis par les contrôleurs budgétaires et financiers sur chaque contrat supérieur à 700 points dans le cadre de la grille indiciaire.
L'an dernier, la Cour des comptes a conduit un contrôle organique de l'ANCT pour le compte de la commission des finances du Sénat. À cette occasion, elle a relevé que le coût moyen de nos agents était inférieur à celui qui était prévu.
Depuis sa mise en place, l'ANCT a développé ou relancé un certain nombre de programmes. Afin d'assurer leur mise en oeuvre, nous avons créé sept postes : trois pour gérer les programmes relatifs à la montagne ; quatre pour encadrer les plans France ruralités et Villages d'avenir, lequel concerne tout de même 2 500 communes.
Il est arrivé que nos effectifs augmentent de manière marginale en raison de transferts de missions. Par exemple, la Cour des comptes a relevé que la mise en oeuvre du fonds national pour la société numérique (FSN) par la Caisse des dépôts et consignations posait problème. On a donc demandé à l'ANCT d'assurer la gestion directe de ce dispositif, ce qui l'a amenée à récupérer un certain nombre d'effectifs. En outre, nous avons repris les personnels de l'Anru qui travaillaient à la mise en oeuvre du programme Urbact de suivi des fonds européens.
Bref, nos effectifs varient d'une période à l'autre. Par exemple, nous enregistrons une baisse de 21 équivalents temps plein (ETP) cette année.
Du reste, les gains de productivité sont réels puisque, comme la Cour des comptes le précise, l'ANCT a été en mesure de prendre en charge davantage de missions sans recevoir de moyens supplémentaires.
Mme Ghislaine Senée. - Savez-vous exactement quand ces transferts ont eu lieu ?
M. Stanislas Bourron. - Entre 2021 et 2023.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui justifie le maintien de l'Anru aujourd'hui, à côté de l'ANCT ?
M. Christophe Bouillon. - L'Anru est spécialisée et n'intervient pas dans tous les territoires, contrairement à l'ANCT, qui intervient dans l'ensemble des 1 600 QPV. Les cinq grandes missions conférées par le législateur à l'Agence lui permettent d'intervenir à la fois dans les zones urbaines et rurales, et de travailler à la résorption des inégalités, au nom de la cohésion des territoires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui empêche d'intégrer l'Anru à vos missions ? Une telle fusion serait-elle source d'efficience ?
M. Christophe Bouillon. - L'Anru accompagne depuis un certain nombre d'années les collectivités sur des projets de transformations urbaines très lourds. L'ANCT travaille de concert avec l'Anru sur les quelque 400 quartiers concernés. Voilà pourquoi je me suis rendu dans un QPV de Montpellier, aux côtés de responsables de l'Anah et de l'Anru.
Ce travail de coordination est essentiel dans le cadre de la politique de la ville, notamment pour mettre en oeuvre le programme Cités éducatives.
Je pense que le maire a une bonne vision du territoire. Il est donc important qu'il puisse disposer d'une boîte à outils pour réaliser ses projets. Il peut ainsi solliciter l'Anru pour les transformations urbaines lourdes, l'ANCT pour la politique de la ville et l'Anah pour la réhabilitation du logement privé.
Ce qui compte, c'est que les différentes agences ne se marchent pas dessus et que la boîte à outils ne soit pas alourdie par des dispositifs redondants.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À vous entendre, les élus n'ont aucune difficulté à se repérer face aux nombreuses agences qui existent.
M. Christophe Bouillon. - C'est moins difficile aujourd'hui. Le travail de coordination qui a été mené avec les cinq opérateurs nationaux, les revues de projet et les guides d'ingénierie ont contribué à rendre visible et lisible le rôle de l'ANCT, de même que les outils mis à disposition des collectivités.
L'ANCT, dans une logique d'État stratège, intervient là où des besoins s'expriment et assure une mission de cohésion territoriale.
Les maires qui souhaitent mettre en place un réseau de chauffage urbain doivent solliciter l'Ademe pour mobiliser le fonds Chaleur. Encore faut-il qu'ils sachent que l'Ademe peut les accompagner dans ce projet, et c'est notre rôle de les en tenir informés.
Mme Ghislaine Senée. - Vous l'avez dit, l'ANCT permet de déterminer l'opérateur qui doit intervenir pour répondre à un besoin particulier.
Pour ma part, je crois beaucoup au guichet unique. Comment pourrions-nous donner encore plus de visibilité aux habitants et aux collectivités ? La maire d'une commune de mon département m'a sollicitée pour un problème d'éboulement rocheux. Il se trouve que le Cerema est intervenu pour l'aider à régler cette situation. Comment consolider la coordination entre les agences, qui ont des fonctions bien différentes ?
M. Christophe Bouillon. - L'ANCT gère la plateforme numérique Aides Territoires, qui permet aux collectivités de se renseigner sur les projets en cours et la façon dont ils sont conduits et organisés. Nous avons eu l'occasion de faire la promotion de cet outil extraordinaire lors du congrès des maires et de l'événement ANCTour. Le dernier ANCTour a eu lieu en région Occitanie, au mois de juillet 2024, et le prochain se tiendra à Dijon, le 3 juin 2025.
Par ailleurs, nous avons envoyé à tous les parlementaires un document, mis à jour régulièrement, qui recense l'ensemble des actions entreprises par l'ANCT dans chaque département. La représentation nationale peut ainsi connaître l'état d'avancement de divers projets, comme en matière de couverture numérique, par exemple.
La capacité à faire remonter les informations dans une logique d'essaimage est essentielle pour les élus. C'est pourquoi la plateforme numérique Aides Territoires est précieuse.
Les maires des petites communes nous font souvent part de leur étonnement, car ils s'attendent à ne pas trouver de réponse à leur demande en matière d'ingénierie. Si les élus ne sollicitent ni l'État, ni la DETR, ni l'ingénierie, c'est souvent parce qu'ils ne disposent pas des informations nécessaires. C'est la raison pour laquelle l'ANCT doit porter à leur connaissance l'ensemble des dispositifs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le rapport de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat du 2 février 2023 relatif à l'ANCT recense l'ensemble des financements qui transitent par l'Agence. Or on se rend très vite compte que les crédits budgétaires liés à ces financements ne relèvent pas tous du ministère de la cohésion des territoires. Comment les ministères peuvent-ils vérifier la bonne utilisation des fonds qu'ils délèguent ?
M. Stanislas Bourron. - À la création de l'Agence, une tutelle administrative a été confiée à la DGCL, qui a été dotée de quelques effectifs supplémentaires pour l'assumer. Ceux-ci ont été pris sur les organismes fusionnés pour armer trois bureaux. Le premier est chargé du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et du programme 147 « Politique de la ville ». Le second gère les tutelles, car l'ANCT n'est pas la seule à être placée sous tutelle : c'est aussi le cas, par exemple, de l'Anru et de Business France. Le troisième est consacré aux politiques interministérielles, notamment le suivi, en lien avec le préfet de région, des contrats de plan État-région (CPER) et des contrats de plan interrégionaux État-régions (CPIER), qui représente un volet important.
Nous travaillons donc étroitement avec la DGCL. Vous évoquez l'Anru, mais nous ne sommes pas du tout configurés de la même façon. L'Anru est un grand centralisateur de financements. Pour notre part, nous sommes environ 350 personnes et nous agissons sur un budget d'une centaine de millions d'euros, dont 30 millions d'euros d'ingénierie, ce qui est une somme assez ramassée.
En revanche, nous actionnons des crédits à différents stades. En ce qui concerne la politique de la ville, nous mobilisons les fonds du programme 147 pour le compte des ministres concernés pour animer des programmes tels que Cités éducatives, les adultes-relais, quartier d'été ou encore les contrats de ville. Je rappelle que nous avons été mandatés pour actualiser les périmètres des QPV en 2023 et 2024. Nous étions à la manoeuvre pour préparer les décrets que la DGCL a pu prendre par la suite.
Nous actionnons donc des crédits pour le compte des ministres, nous aidons à concevoir des politiques publiques très largement déconcentrées et nous nous assurons de leur bonne diffusion. Ces crédits sont ensuite à la main des préfets.
Par exemple, sur les cités éducatives, nous instruisons les dossiers, nous vérifions qu'ils sont bien conformes au cahier des charges et, le cas échéant, nous proposons à notre autorité ministérielle la labellisation de la cité éducative.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, nous mobilisons le programme 112, qui finance France Services à hauteur de 70 millions d'euros, notamment pour doter les maisons France Services de 45 000 euros cette année, mais aussi pour cofinancer des postes d'ingénierie pour les programmes Petites Villes de demain, Territoires d'industrie, Villages d'avenir, Avenir montagnes. Mais là aussi, nous le faisons sur la base d'orientations partagées, sous l'autorité des ministres.
Par ailleurs, nous actionnons des crédits de manière plus lointaine. Au sein du ministère, nous sommes mobilisés sur deux lignes budgétaires du fonds vert : l'une de 60 millions d'euros sur les investissements du programme Territoires d'industrie, sur laquelle nous sommes instructeurs et mandataires, et l'autre sur le fonds de restructuration des locaux d'activité. Ce dernier constitue un outil pour subventionner un EPCI ou une société d'économie mixte (SEM) qui souhaiterait réaliser une opération en centre-ville ne pouvant être que déficitaire à cause du coût des travaux à réaliser.
Enfin, nous agissons sur quelques fonds relevant de la direction générale des entreprises autour du numérique, notamment celui qui finance le dispositif de conseiller numérique ou le fonds de soutien au commerce rural.
Voilà les trois ensembles de fonds que nous mobilisons, soit sur notre propre budget, soit dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'ensemble des directions et ministères.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends mal le rapport entre la politique foncière que vous menez et le fonds vert. Que financez-vous par ce biais ?
Par ailleurs, le fonds vert devait être mobilisé librement par les préfets afin qu'ils choisissent les actions à financer sur leur territoire. Or nous comprenons que vous intervenez au nom de l'État, ce qui me semble en contradiction avec l'objet initial de ce fonds.
M. Christophe Bouillon. - Nous n'instruisons pas le fonds vert, qui est en effet à la main des préfets. Toutefois, au sein de l'enveloppe globale de ce fonds, nous mobilisons deux lignes budgétaires.
La première est consacrée à l'ingénierie et nous permet par exemple d'accompagner une petite commune qui a sollicité le fonds vert pour procéder à du relamping, c'est-à-dire le remplacement des éclairages extérieurs, et dont le dossier n'était pas éligible pour des raisons techniques. Il s'agit notamment de l'aider à réaliser une estimation des performances énergétiques futures.
La seconde est consacrée au programme Territoires d'industrie, à hauteur de 60 millions d'euros environ, qui comporte quatre volets : innovation ; formation et compétences ; foncier industriel ; décarbonation de l'industrie.
Nous ne gérons aucunement le fonds vert dans sa totalité ; nous agissons simplement sur ces deux parties spécifiques. En tout état de cause, les fonds restent à la main des préfets. Je pense d'ailleurs à des exemples très concrets où le préfet estime qu'il faut rendre éligible une collectivité donnée et l'aider à monter son dossier.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sur l'ingénierie, il n'y a pas de sujet. Ma question porte sur la mobilisation du fonds vert pour rendre un projet commercial économiquement viable.
M. Stanislas Bourron. - Il s'agit d'une ligne du fonds vert destinée à des projets instruits localement par les préfets et portés par les élus. Nous ne faisons qu'apporter notre expertise pour nous assurer que le dossier est viable, compte tenu de la complexité du sujet. Nous vérifions également que l'opération en question répond aux critères du fonds vert. En général, il s'agit de requalifier une friche commerciale, notamment en matière de rénovation thermique des bâtiments. Le projet est certes de créer de nouveaux objets commerciaux, mais qui soient conformes aux normes actuelles en matière de bâti. Je précise que ces fonds dépendaient à l'origine du plan de relance.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'avais bien compris l'idée, mais je pense que ce programme pourrait être intégré à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), car il me semble éloigné de la philosophie du fonds vert, dont l'objet est la transition écologique et l'adaptation.
Mme Ghislaine Senée. - C'est tout le problème du fonds vert !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Tout à fait, mais ce n'est pas le sujet de cette commission d'enquête.
M. Christophe Chaillou. - Monsieur Bourron, vous avez reconnu que nous pouvions toujours faire mieux sur certains aspects. Dans mon département du Loiret, les programmes Action coeur de ville, Villages d'avenir ou Petites Villes de demain semblent globalement satisfaire les acteurs locaux, mais des questions demeurent. Au regard de votre expérience à tous les deux, quelles seraient selon vous les marges d'amélioration ?
M. Pierre Barros, président. - Nous constatons que les programmes qui fonctionnent sur les territoires sont ceux où les préfets et les sous-préfets s'investissent fortement. Ces derniers vont même souvent chercher les collectivités pour les conseiller sur les dispositifs à mobiliser. Ils ont parfois déjà travaillé avec l'ANCT et apportent, lorsqu'ils changent de département, la culture qu'ils ont acquise en la matière. Confirmez-vous ce constat ?
Par ailleurs, j'apprécie beaucoup le principe de la caisse à outils. À mon sens, l'ANCT en est une. Toutefois, vos missions sont très diverses. Avec la même caisse à outils, vous êtes amenés à réparer tant un train qu'une petite voiture. Le périmètre que vous couvrez n'est-il pas trop large ?
Je vois très bien le travail colossal que représente un projet de requalification d'une friche commerciale dégradée viable dans le temps. Cela nécessite un accompagnement.
Je connais bien le programme Petites Villes de demain pour avoir été maire d'une commune bénéficiaire du dispositif. Vous avez environ 350 collaborateurs, mais les collectivités embauchent également des ingénieurs et des porteurs de projets avec des moyens que vous leur fournissez. Il est parfois très difficile de trouver des profils correspondant au besoin, au point que la recherche peut prendre des mois, voire des années. Et quand vous trouvez la bonne personne, il arrive qu'elle parte au bout de six mois et que votre projet soit alors mis en pause.
L'assistance à maîtrise d'ouvrage à laquelle vous donnez accès est donc particulièrement bienvenue. Elle donne un sacré coup de main aux services techniques et aux directions générales des services. Il s'agit d'une réponse véloce et utile.
L'appui technique par un tiers est très intéressant et pourrait être développé. Est-ce l'un des axes sur lesquels vous vous penchez ? Cela répond en partie à la question que nous nous posions en matière de ressources humaines : vous avez en réalité au moins deux fois plus de collaborateurs externes, embauchés par les collectivités, qu'internes.
M. Christophe Bouillon. - Nous sommes engagés dans une démarche d'amélioration continue. À ce titre, les recommandations issues des rapports publics, notamment parlementaires, sont intégrées dans notre feuille de route, adoptée par le conseil d'administration en juin 2023. Chaque recommandation fait l'objet d'une analyse approfondie : nous ne faisons jamais l'économie d'une réflexion critique. Lorsque leur pertinence est reconnue, et sous réserve de validation par notre conseil d'administration, elles sont intégrées à nos orientations stratégiques.
Nous sommes également liés à la DGCL par un contrat d'objectifs et de performance. Ce contrat fixe un certain nombre d'indicateurs, que nous suivons attentivement. Un nouveau contrat a d'ailleurs été signé lors du dernier conseil d'administration. Nous veillons à y intégrer les retours issus des visites de terrain, qui constituent pour nous une source précieuse d'informations. La circulaire du 28 décembre 2023 relative au renforcement de l'appui en ingénierie aux collectivités constitue, en cela, un jalon important. Elle a permis de renforcer la transversalité des actions et d'accélérer la mise en oeuvre du guichet unique à l'échelle départementale.
L'ensemble des associations d'élus sont représentés au sein de notre conseil d'administration. À travers cette gouvernance élargie, mais aussi grâce à des échanges réguliers sur chacun de nos programmes, nous disposons d'un retour permanent qui alimente notre capacité d'adaptation. Cette agilité est d'ailleurs l'un des atouts majeurs de l'agence. Elle nous permet d'agir dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance, tout en conservant une capacité à animer en cours de route de nouveaux programmes, sans provoquer de désorganisation ni exiger de moyens démesurés.
S'agissant des programmes reposant sur des chefs de projet, nous sommes aujourd'hui dans une deuxième génération pour Action Coeur de ville et les Territoires d'industrie. Le programme Villages d'avenir est, pour sa part, né d'un travail de co-construction autour de l'ingénierie territoriale portée par les chefs de projet. Les choix faits en matière de déploiement varient. Pour le programme Petites villes de demain, l'échelon privilégié est celui de l'EPCI. On compte aujourd'hui environ 900 chefs de projet pour près de 1 600 communes de moins de 20 000 habitants engagées dans ce programme. En l'absence de seuil plancher, certaines communes sont très petites, ce qui pose la question de la pertinence d'avoir un chef de projet qui y est directement implanté. Dans ces cas, il est préférable qu'il puisse s'insérer dans une équipe existante, à l'échelle de l'EPCI ou d'un regroupement de collectivités.
L'ingénierie en début de projet est d'abord tournée vers la conception et l'animation, puis se transforme en fonction des besoins. Ces dynamiques sont souvent longues et s'inscrivent dans un contexte où la fonction publique territoriale connaît des tensions en matière d'attractivité. Il est courant que des agents quittent leur poste après quelques années pour d'autres opportunités. Nous observons toutefois des intégrations réussies dans les équipes des collectivités territoriales elles-mêmes. Par ailleurs, le volontariat territorial en administration (VTA) permet aux communes très rurales de bénéficier des compétences d'une personne qui se déplace le temps d'une mission dans leur territoire.
Cette ingénierie de proximité représente une véritable valeur ajoutée pour les collectivités : elle contribue à relever les défis des transitions multiples. Elle repose également sur une animation départementale active, renforcée par des dispositifs de formation, notamment via une convention avec le CNFPT, permettant d'aligner les compétences des agents sur les besoins spécifiques des postes, comme ceux liés à France Services.
Concernant le programme Villages d'avenir, le positionnement des chargés de projet en préfecture répond à une demande des associations d'élus. Cette proximité permet de mieux cibler les niveaux d'intervention, selon la nature des projets. Le programme met, en particulier, en évidence la diversité des configurations territoriales : certaines initiatives sont portées par des groupements de collectivités, parfois en dehors d'un même EPCI, selon des logiques de vallée ou de proximité géographique. Ce programme concerne déjà 3 000 collectivités, pour plus de 6 000 projets. Certains sont très complexes, notamment lorsqu'ils touchent aux problématiques de bâtiments. D'autres, plus ciblés, nécessitent des solutions concrètes. L'un des objectifs essentiels de l'agence est précisément de « décoincer » des situations - selon les mots d'un maire -, qu'il s'agisse d'obstacles juridiques ou opérationnels. Cette agilité repose souvent sur des personnes clés, capables de s'adapter et de porter un soutien en ingénierie.
M. Stanislas Bourron. - Nous souhaitons poursuivre les orientations prévues dans le contrat d'objectifs et de performance, en consolidant une offre de services clarifiée et simplifiée à l'échelle départementale. Le département constitue en effet le point d'entrée naturel pour les échanges entre les élus locaux, les services de l'État et le tissu associatif.
Dans ce cadre, les dispositifs tels que le guichet unique, le guide et le forum d'ingénierie, les CLCT, ainsi que la déconcentration de nos leviers d'ingénierie, visent à créer une véritable synergie entre l'ensemble des acteurs. Il est naturel que cette offre soit riche, compte tenu de la diversité des besoins locaux. Toutefois, il est essentiel que les usagers puissent y accéder aisément. C'est pourquoi nous devons poursuivre les efforts engagés depuis deux ans pour faciliter l'accès à l'information. Cela s'accompagne d'une déconcentration de notre action en faveur des services préfectoraux et départementaux, à qui nous mettons à disposition des outils concrets, notamment des boîtes à outils techniques.
Monsieur Bouillon a mentionné le projet Aides Territoires, initiative ministérielle dont nous sommes partenaires et que nous avons l'honneur de piloter. Cet outil numérique centralise l'ensemble des ressources disponibles en matière d'ingénierie territoriale. Nous en assurons aujourd'hui le développement et la mise en oeuvre, au même titre que d'autres outils numériques de gestion de projet. Ces services sont destinés aux DDT, aux directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), aux sous-préfets et préfets. Il s'agit de les doter des moyens nécessaires pour exercer pleinement leur mission de proximité auprès des collectivités.
Nous sommes convaincus que la réussite de l'action locale repose sur les services départementaux de l'État, en tant que principal espace d'échange. L'expérience récente, notamment durant la crise sanitaire liée à la Covid-19, a démontré qu'il s'agit d'un échelon pertinent pour coordonner l'action publique, même si des ressources régionales ou nationales peuvent ponctuellement être mobilisées.
Nous réaffirmons ainsi notre volonté de poursuivre cette dynamique. Cette feuille de route a été validée sous l'autorité des ministres, qui souhaitent renforcer cette orientation stratégique dans la durée.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour ces réponses et cet échange tout à fait intéressant et important.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Caroline Semaille, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique (Santé Publique France)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons Mme Caroline Semaille, directrice générale, et Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de santé publique, que nous connaissons mieux sous le nom de Santé publique France (SPF).
Cette audition s'inscrit dans le programme d'auditions que nous consacrons cette semaine à l'écosystème des agences et opérateurs mettant en oeuvre la politique de santé. Mardi, nous avons reçu la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), représentées par le président du collège de leurs directeurs généraux. Nous poursuivrons tout à l'heure avec la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Santé publique France est l'un des opérateurs les plus importants dans ce domaine. Créée en 2016 par fusion de quatre organismes spécialisés, cette agence a joué un rôle de premier plan lors de la crise du covid-19. Il sera utile que vous reveniez sur les conditions de cette fusion, ainsi que sur votre action pendant la crise sanitaire. Le rôle que la nouvelle agence a alors pu jouer a parfois été critiqué, y compris ici, au cours de nos premières auditions. Toutefois, notre objectif n'est pas de refaire une analyse générale de la réponse apportée par la puissance publique pendant la crise sanitaire, ce qui a déjà fait l'objet d'une mission nationale et, au Sénat, d'une commission d'enquête.
Je vous poserai donc la question telle qu'elle nous intéresse dans la perspective de nos travaux : la structure même de l'agence est-elle en cause ? Les choses se seraient-elles passées différemment si le dispositif de crise existant auparavant avait été maintenu, avec notamment un Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) autonome ?
Notre commission d'enquête cherche d'abord à comprendre comment l'action publique doit - ou ne doit pas - être partiellement transférée de l'administration centrale vers des structures plus ou moins autonomes que sont les agences et les opérateurs. Nous sommes conscients que supprimer une agence ou la fusionner avec une autre ne supprimerait pas les crédits consacrés à ses missions ni même la totalité des crédits de personnel.
Sur ce dernier sujet, je vous interrogerai sur les
questions relatives au personnel, car c'est un point sur lequel nous avons eu
des retours contrastés. Santé publique France est un
établissement public administratif : son personnel est-il
principalement de droit public ? Si oui, quelles en
sont
les conséquences sur la facilité ou non
à recruter et sur les perspectives de reclassement de ces personnels
s'ils reviennent vers leur administration d'origine ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Caroline Semaille et Marie-Anne Jacquet prêtent serment.
Mme Caroline Semaille, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique. - Monsieur le président, madame le rapporteur, je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant votre commission d'enquête pour vous présenter les missions et l'organisation de Santé publique France, sa position et ses relations dans l'écosystème sanitaire, ainsi que les évolutions de l'Agence depuis sa création en 2016.
Les structures qui sont en place, dont Santé publique France, sont-elles taillées, armées, pour faire face aux besoins d'aujourd'hui ? Quelles sont leurs priorités et répondent-elles aux besoins des responsables politiques et de nos concitoyens face aux enjeux de santé publique et aux menaces sanitaires ?
Lors de sa création en 2016, l'ambition de Santé publique France était de hisser la prévention et la promotion de la santé, la surveillance et l'intervention en santé au rang de fonctions tout aussi essentielles pour la santé que l'accès aux soins. Nos missions sont fondées sur la mise en synergie au sein d'une seule et même agence des fonctions essentielles de santé publique selon les référentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : anticiper et garantir une réponse réactive aux menaces, surveiller l'état de santé de la population dans tous les territoires, y compris ultramarins, développer la prévention et la promotion de la santé.
Nous allons ainsi de la production de la donnée, via les enquêtes et les dispositifs de surveillance, à l'intervention, via notre établissement pharmaceutique, la réserve sanitaire ou la prévention et la promotion de la santé. Je sais que le principe de la fusion pour créer une agence nationale de santé publique aux missions intégrées n'avait pas été forcément partagé par tous, y compris dans cette assemblée - je le respecte. Pourtant, je peux témoigner que je mesure tous les jours à la tête de Santé publique France la pertinence de ce modèle pour répondre aux enjeux de santé publique.
Je suis médecin de santé publique, infectiologue. J'ai pris mes fonctions en tant que directrice générale de Santé publique France il y a deux ans, après un parcours dans l'humanitaire, puis en tant que praticien hospitalier en maladie infectieuse et après vingt ans dans plusieurs agences de sécurité sanitaire - l'Institut de veille sanitaire (InVS), ancêtre de SPF, et l'ANSM. J'ai eu l'opportunité, au cours des vingt dernières années, de voir comment se construit et comment évolue l'écosystème des agences au gré des crises sanitaires que j'ai connues, depuis le VIH jusqu'au covid.
En arrivant à la tête de Santé publique France, j'ai trouvé un établissement encore éprouvé par deux ans et demi de mobilisation intense due à la crise du covid, mais en ordre de marche, un établissement où la cohésion interne et la complémentarité des métiers ont été renforcées pendant la crise. Pourtant toute jeune, l'Agence a réussi à traverser cette crise, en mobilisant au maximum ses ressources, et elle a été capable d'adapter en un temps record son organisation, ses moyens de production et sa capacité de réponse aux besoins vertigineux rendus nécessaires pour faire face à une crise sans précédent.
Ainsi, quoi que l'on en dise, nous lui devons notamment une campagne de vaccination nationale massive, précoce et réussie sur l'ensemble du territoire dès que les vaccins ont été disponibles. Dans cette crise, il y a aussi eu, bien sûr, des reproches, des incompréhensions ; je peux vous dire qu'ils ont été entendus et que les enseignements de la crise ont été tirés. Certains de ces travaux d'amélioration sont encore en cours et relèvent de l'adaptation en continu aux besoins.
Nous avons renforcé et diversifié nos compétences. Nous avons notamment recruté des agents issus de la préfectorale pour la coordination de l'alerte et de la gestion de crise, des pharmaciens et des logisticiens.
Nous avons consolidé nos systèmes de surveillance et nous en avons créé de nouveaux - nous en avons aujourd'hui soixante-quatorze. Je pense notamment au système Orchidée, un nouveau réseau de surveillance hospitalière, à EMERGEN 2.0, qui a pour objet la surveillance génomique des pathogènes, ou à la surveillance des eaux usées.
Nous avons aussi renforcé l'établissement pharmaceutique et les stocks stratégiques. Notre capacité de stockage a été multipliée par deux. Les produits sont disponibles en tout point du territoire et ils sont beaucoup mieux répartis, y compris dans les territoires ultramarins. Les stocks gérés par Santé publique France ont été multipliés par dix.
Beaucoup de missions, de corps de contrôle et d'inspection se sont penchés sur notre agence depuis la crise du covid. Le Sénat a missionné la Cour des comptes pour auditer la gestion de l'Agence de 2016 à 2022. Nous sommes très contrôlés et c'est normal : nous devons savoir rendre des comptes.
Je ne suis évidemment pas propriétaire du périmètre de l'Agence que je dirige et je m'inscris dans le cadre institutionnel qui est considéré comme le plus pertinent par nos décideurs, dont vous êtes. L'Agence, dont la mission est de protéger la population, doit être en capacité de remplir celle-ci. Il y a bien sûr des points d'amélioration - j'y reviendrai -, mais le périmètre intégré, de la production de données à l'intervention, qui est celui de Santé publique France aujourd'hui, est réellement une force.
Cette organisation nous a permis d'atteindre une taille critique. Nous restons toutefois parmi les plus petits dans l'écosystème des agences en termes d'effectifs, avec 596 agents en 2025, répartis sur l'ensemble du territoire, y compris outre-mer - Antilles, Guyane, Réunion et Mayotte. Cette organisation nous permet d'atteindre un effet de seuil pour exercer nos missions essentielles, être agiles et nous adapter face aux événements sanitaires auxquels nous sommes régulièrement confrontés.
Je vais prendre des exemples concrets.
À Mayotte, avant et après le passage du cyclone Chido, nous avons eu une approche totalement intégrée avec la réserve sanitaire et nos missions épidémiologiques. Avant même le passage de ce cyclone, nous avions mis en place, en raison de la crise de l'eau, une surveillance au plus près des populations pour détecter les premiers cas de choléra. En nous appuyant sur cette surveillance et sur le tissu associatif local, et dès les premiers cas de choléra identifiés, nous avons mobilisé la réserve sanitaire et l'établissement pharmaceutique pour acheter des vaccins et déployer les réservistes sur le terrain pour vacciner.
Après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre, alors que l'île était dévastée et que plus aucun système d'information n'était opérationnel, nous avons pu mobiliser les réservistes pour venir en appui au centre hospitalier de Mayotte et à nos épidémiologistes qui étaient eux-mêmes déployés sur le terrain. Nous envoyons très régulièrement en renfort des agents de Santé publique France. Au total, une centaine de réservistes sont envoyés en rotation tous les quinze jours à Mayotte. Pour une réponse rapide et de long terme, nous appuyons la direction générale de la santé et l'ARS de Mayotte.
Nous sommes très mobilisés en appui aux agences régionales de santé dans toutes les régions de France, tout particulièrement dans les départements d'outre-mer. Nos cellules régionales, qui sont présentes dans les départements de toutes les régions, apportent une expertise à la fois en épidémiologie et en prévention de terrain.
Autre exemple, pendant deux ans, nous avons préparé le grand événement qu'ont été les jeux Olympiques pour cartographier les risques, mettre en place des systèmes de surveillance spécifiques, nouer des partenariats, automatiser nos productions. L'Agence a été totalement mobilisée, tout en gérant les affaires courantes.
Les crises et événements sanitaires sont des accélérateurs d'innovation. Leur gestion est un axe fort de notre programme de travail.
Je pourrais multiplier à l'infini les exemples de l'intérêt, voire de la nécessité, de l'articulation de nos missions. Nous lançons des dispositifs de prévention - il y en aura près de cinquante-neuf en 2025 -, sur la base des priorités de santé publique identifiées par nos analyses et en lien avec la direction générale de la santé. C'est notamment grâce à nos analyses de risques que nous constituons les stocks de produits de santé destinés à répondre aux menaces. C'est ce qui a été fait à Mayotte pour acheter des vaccins contre le choléra et la typhoïde.
Bien entendu, nous pouvons améliorer des choses et nous travaillons déjà sur de nombreux sujets en lien avec le ministère de la santé, avec lequel nous sommes en relation quotidienne. Je pense notamment à la modernisation des systèmes d'information de santé, au développement de l'évaluation, à la modélisation de l'impact des stratégies de prévention ou encore au renforcement des liens de Santé publique France avec le monde de la recherche.
Nous sommes déjà très engagés sur le sujet des synergies avec les autres agences de sécurité sanitaire.
Nous avons, par exemple, un partenariat opérationnel avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les missions de nos deux agences étant très complémentaires, et nous avons conclu une convention-cadre. Nous coordonnons nos grandes enquêtes avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère et avec les autres acteurs pour éviter les redondances. Nous avons aussi une coordination renforcée avec l'Institut national du cancer (Inca) et avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) sur les grandes campagnes. Je pourrais vous donner des exemples de rationalisation des coûts et d'amélioration de notre efficacité.
En conclusion, Santé publique France s'appuie sur une trajectoire aujourd'hui ambitieuse. Nous avons un contrat d'objectifs et de performance (COP), qui a été signé par Mme Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, il y a six mois. Nous avons une stratégie scientifique pour 2025-2030, qui est partagée avec l'ensemble des équipes en interne et avec nos partenaires. Nous avons un collectif très engagé, très mobilisé, avec des compétences rares. En bref, nous avons un COP, un cap et un collectif face aux risques sanitaires. Nous ne sommes pas à l'abri d'une épidémie zoonotique majeure ; nous y sommes prêts.
Face aux enjeux de santé publique - le vieillissement de la population, l'impact du changement climatique, les inégalités sociales et territoriales, l'augmentation de la fréquence et de l'ampleur des urgences sanitaires -, nous avons collectivement besoin d'une agence forte et consolidée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque nous avons auditionné leurs représentants des ARS, ils nous ont dit eux aussi que celles-ci avaient été très mobilisées par les JO. Cela pose évidemment la question du recoupement des missions.
Vous nous dites que vous passez des commandes en cas de crise, mais n'est-ce pas le rôle des préfets de gérer les crises ? Pourquoi leurs services ne passent-ils pas les commandes ?
Que contient votre convention-cadre avec l'Anses ? Quel est le cadre juridique des autres partenariats ?
Vous n'avez pas évoqué les collectivités territoriales. Est-ce une omission ou n'avez-vous pas de relations avec elles ?
Mme Caroline Semaille. - Les JO ont été un immense événement, et les sites étaient répartis dans plusieurs régions. En ce qui nous concerne, nous sommes déjà intervenus très en amont pour cartographier les risques, par exemple en termes d'infections - rougeole, dengue.
Pendant les Jeux, nous avons mis en place des systèmes de surveillance en temps réel - ce sont nos collègues anglais qui avaient connu les JO de Londres qui nous avaient alertés sur ce point. Peu de pays disposent d'un tel système de surveillance en temps réel et Santé publique France a la charge du système Surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD), qui permet la centralisation quotidienne d'informations : grâce à cet outil, nous savons tous les jours ce qui se passe aux urgences, en termes à la fois de nombre de passages et de justification de ces passages, mais aussi chez SOS Médecins.
Ainsi, durant les JO, nous avons fourni une cartographie des événements sanitaires aux centres de crise et à nos partenaires tous les jours, à 14 heures. De la même manière, toutes les semaines, nous réalisions un bulletin de surveillance épidémiologique en français et en anglais. Nous profitons de chaque occasion pour nous améliorer : les JO nous ont ainsi permis d'automatiser la production de ces bulletins.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui justifie que ce travail de centralisation de systèmes numériques soit réalisé par Santé publique France et pas dans un bureau du ministère de la santé ?
Vous avez vous-même travaillé dans d'autres agences sanitaires ; je comprends que cette mission entre dans le champ de compétences de votre agence, mais ne pourrait-on simplifier les choses et procéder à des redéploiements ?
Mme Caroline Semaille. - Cette compétence est l'essence même de Santé publique France : nous sommes chargés de la surveillance.
Ainsi, le réseau OSCOUR (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences), que SPF - et, avant elle, l'InVS - développe depuis vingt ans, contribue au système SurSaUD, dont je viens de parler. Nous ne demandons pas aux professionnels de santé de remplir des questionnaires ; nous utilisons des bases de données et nous contribuons autant que faire se peut à ce que le codage dans ces bases corresponde à nos besoins en termes d'analyse et de surveillance épidémiologiques. Cette analyse est réalisée par des épidémiologistes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Qu'est-ce qui empêcherait que ces épidémiologistes soient affectés au ministère de la santé ?
Mme Caroline Semaille. - Ce type d'analyses nécessite de travailler en réseau et de manière collective. Il faut une synergie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les épidémiologistes sont tous à Santé publique France en ce moment ; ne pourraient-ils pas être au ministère ?
Mme Caroline Semaille. - La plupart des pays du monde, en particulier dans les pays développés, ont une agence de santé publique comme SPF : les États-Unis, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni... Lorsque l'on a créé en 1992 le Réseau national de santé publique (RNSP), c'était justement pour sortir les fonctions d'analyse et d'expertise du ministère de la santé, qui reste chargé du cadre normatif. Il s'agissait de dissocier la décision politique de l'expertise. Par exemple, nous avons, pour notre part, très peu de juristes : nous avons essentiellement des épidémiologistes et des logisticiens.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela s'explique-t-il par des questions de recrutement ? Est-il plus facile de recruter des épidémiologistes dans une agence qu'au ministère ?
Mme Caroline Semaille. - Tout cela découle de l'affaire du sang contaminé, dont a été tiré l'enseignement qu'il fallait scinder expertise scientifique et décision politique. Le RNSP est né dans ce contexte. C'est l'essence même d'une agence comme la nôtre. En outre, pour disposer de l'expertise la plus pointue possible, il faut mettre en place un corpus et une collégialité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends la nécessité de la collégialité, mais celle-ci n'est pas liée au statut de l'établissement. S'il faut dissocier l'expertise et la décision politique, pouvez-vous nous dire si Santé publique France est indépendante ? Le politique peut-il vous demander de ne pas rendre publiques certaines informations ?
Mme Caroline Semaille. - Nous n'avons pas le statut d'autorité publique indépendante comme la Haute Assemblée : nous sommes un établissement sous tutelle du ministère de la santé. Pour autant, l'expertise scientifique qui est réalisée l'est de manière indépendante. Pour fixer nos priorités, nous dialoguons bien évidemment avec le ministère, qui donne ses priorités.
Pour ce qui concerne les stocks ou la réserve sanitaire, nous agissons pour le compte de l'État. Nous ne sommes responsables que de la mise en oeuvre, des aspects opérationnels. Par exemple, le ministère nous dit qu'il veut tant de réservistes - chirurgiens, infirmières... - à Mayotte et nous organisons le recrutement, la logistique, etc.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous êtes sous tutelle du ministère de la santé : il me semble qu'il n'y a donc pas vraiment de disjonction entre politique et expertise...
Pouvez-vous nous donner des précisions sur les conventions que vous avez conclues avec vos partenaires ?
Mme Caroline Semaille. - J'y insiste, même si l'établissement est sous tutelle du ministère, l'expertise scientifique est indépendante.
L'Anses est un partenaire important, et nos missions sont complémentaires. La convention-cadre qui nous lie repose sur trois piliers : l'expertise, la surveillance et les enquêtes.
Nous réalisons certaines enquêtes ensemble, chacune dans son domaine de compétences, par exemple PestiRiv, une étude visant à mieux connaître l'exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes ou éloignées de toute culture, ou Albane, une grande enquête nationale avec examens de santé. Ainsi, nous mutualisons nos compétences et nous réduisons les coûts.
En ce qui concerne la surveillance, je peux citer la grippe aviaire, l'Anses travaillant sur la santé animale et nous sur la santé humaine. Si un élevage de volailles est contaminé, nous surveillons l'exposition des éleveurs et des autres humains autour, nous analysons la souche humaine, s'il y en a une, l'Anses analyse la souche animale, et nous comparons les résultats.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous une convention-cadre avec d'autres organismes ?
Mme Caroline Semaille. - Nous avons aussi des conventions avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Météo-France, l'Inca ou encore l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Par exemple, nous avons une convention quadripartite, que nous devons renouveler, avec l'Inca, les Hospices civils de Lyon (HCL) et France cancer incidence et mortalité (Francim) à propos des registres de cancers.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le contenu des conventions avec l'Ademe et Météo-France ?
Mme Caroline Semaille. - Nous pourrons vous les transmettre. Par exemple, la convention avec Météo-France nous permet de gérer le système d'alerte canicule et santé (Sacs), dont nous avons la charge dans le cadre du plan national canicule.
De manière générale, ces conventions fixent notamment la répartition des compétences entre les signataires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Y a-t-il des transferts financiers ?
Mme Caroline Semaille. - Non. Avec l'Anses, nous n'avions pas vraiment besoin d'une convention-cadre, parce que nous travaillons main dans la main depuis longtemps, mais cela a permis de fixer les choses.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous travaillez si étroitement avec l'Anses, n'auriez-vous pas vocation à fusionner ?
Mme Caroline Semaille. - Cette question s'est déjà posée il y a quelques années, mais nous avons des missions différentes, et une fusion est toujours une opération complexe à mener. Aujourd'hui, nos périmètres respectifs sont bien définis, et je ne suis pas certaine qu'une fusion changerait les choses, puisque nous travaillons déjà en totale harmonie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'imagine que vous me ferez la même réponse pour chaque organisme avec lequel vous partagez une mission... Je pense notamment à l'Inca, à l'Agence de la biomédecine (ABM) ou à l'ANSM.
Mme Caroline Semaille. - J'ai évidemment beaucoup parlé des complémentarités avec l'Anses, mais notre approche est différente : pour simplifier, nous avons une approche populationnelle - quel est l'impact sur la santé humaine ? -, alors que l'Anses a une approche d'évaluation des risques de produits, par exemple les pesticides ou les biocides. L'Anses évalue des produits réglementés, un peu à l'image de ce que fait l'ANSM, et autorise leur mise sur le marché. Ainsi, l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) est, au sein de l'Anses, l'autorité compétente française en matière d'évaluation et de gestion du risque pour les médicaments vétérinaires. Nous n'avons pas de telles missions de réglementation ou d'autorisation de produits.
Évidemment, vous retrouverez un peu toujours les mêmes mots dans la définition des compétences des uns et des autres : « évaluer », « surveiller », « informer », « promouvoir », etc. Mais il y a, derrière, des réalités différentes.
L'ANSM évalue et autorise la mise sur le marché de produits et surveille les effets indésirables - la pharmacovigilance. Ce n'est pas du tout notre travail. D'ailleurs, il y aurait une forme de conflit d'intérêts à nous rapprocher de l'ANSM, puisque, d'une part, nous achetons des produits de santé au titre des stocks stratégiques, d'autre part, nous avons un établissement pharmaceutique qui est, à ce titre, inspecté par l'ANSM - ce fut le cas en 2024. Ainsi, l'ANSM a de nombreux inspecteurs ; nous n'en avons pas.
En ce qui concerne les ruptures de stocks de médicaments, c'est l'ANSM qui est compétente, pas du tout SPF, qui achète des produits spécifiques en petites quantités pour constituer des stocks stratégiques, par exemple des vaccins, des médicaments contre le botulisme ou la diphtérie - nous n'achetons pas de l'amoxicilline ou du paracétamol.
Bien sûr, nous utilisons les mêmes bases de données que l'ANSM, en particulier le système national des données de santé (SNDS), base gérée par la Cnam et très utilisée par tous les acteurs du monde de la santé. L'ANSM va, par exemple, regarder l'exposition à un produit pour évaluer les effets indésirables, alors que nous allons construire des algorithmes pour évaluer la prévalence de telle ou telle maladie dans la population. Naturellement, nous utilisons le plus souvent possible le même algorithme et la même méthodologie, mais pas dans la même finalité.
Nous avons peu d'interfaces avec l'Agence de la biomédecine (ABM), qui est notamment chargée de gérer les registres nationaux de greffes d'organes. Lorsque la question s'y prête, nous travaillons ensemble en bonne intelligence et nous essayons de mutualiser ; c'est par exemple le cas pour le registre de surveillance de l'insuffisance rénale chronique terminale, qui est hébergé par l'ABM. Nos deux agences ont des missions d'information, mais pas sur les mêmes choses : l'ABM fait la promotion des dons d'organes, nous faisons des campagnes sur le tabac, l'alcool, etc.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre commission d'enquête est notamment née de l'idée que la logique du rabot a ses limites. Nous devons aussi simplifier les structures et les procédures et répondre au ressenti des usagers, qui considèrent souvent que tout cela est bien compliqué et qu'il y a beaucoup d'acteurs qui s'occupent un peu des mêmes choses.
Avez-vous des propositions à nous faire dans cet esprit ? Comment simplifier ? Même si nous ne dégageons pas d'énormes économies, nous pouvons au moins améliorer les politiques publiques.
M. Pierre Barros, président. - Dans votre propos liminaire, vous avez mentionné la possibilité de pistes d'amélioration. Pourriez-vous les préciser ?
Vous avez des homologues au niveau européen. J'imagine qu'il doit exister un partage d'expérimentations, de données ou de pratiques entre les opérateurs ?
Croyez-vous qu'il serait possible de mutualiser ce type d'agences à l'échelle européenne, au moins sur certaines missions ?
Nous avons besoin que vous nous donniez des pistes d'amélioration organisationnelle pour éviter un rabotage pur et simple au moment du débat budgétaire.
Mme Caroline Semaille. - Des agences similaires existent en Europe et aux États-Unis. Les comparaisons entre agences peuvent être difficiles à faire, mais, en général, compte tenu de l'ampleur de nos missions, notre agence mobilise moins d'agents qu'ailleurs. D'autant qu'aucun autre État membre de l'Union européenne n'a de territoire ultramarin qui présente des spécificités aussi importantes que l'outre-mer français ! Certes, il y a la partie hollandaise de Saint-Martin et les Îles vierges britanniques, mais la présence de Santé publique France aux Antilles, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion est essentielle au regard des spécificités de ces territoires. Il suffit de citer le choléra et le chikungunya à La Réunion, les cyclones, la dengue aux Antilles ou bien les intoxications aux métaux à cause des orpailleurs en Guyane. Les besoins des territoires ultramarins sont nombreux et notre agence doit y répondre, car elle est au service du territoire national et de toutes ses régions, y compris ultramarines.
Des organismes européens existent. Pour les maladies infectieuses qu'il est important de réguler, car elles traversent les frontières, nous travaillons depuis très longtemps avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), dont le mandat a évolué, ce qui a conduit au développement d'une task force permettant d'apporter un appui dans un pays exposé à une épidémie. De plus, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) permet aux États membres européens d'acheter en commun des vaccins. En effet, nous avons tiré les leçons de la crise covid en constatant que ces achats en commun permettaient de mieux négocier et de faciliter la commande, notamment dans les pays de plus petite importance. Pour la grippe aviaire, nous avons ainsi acheté 200 000 doses de vaccins prépandémiques, qui font partie du stock stratégique de l'établissement pharmaceutique de Santé publique France.
M. Pierre Barros, président. - Santé publique France représente le ministère et l'État, dont la volonté est de ramener sur le territoire national la production des médicaments. Quelle capacité d'influence avez-vous sur ce sujet et quel rôle pouvez-vous jouer ?
Mme Caroline Semaille. - L'ANSM gère les ruptures de stock et dispose d'outils pour le faire. À Santé publique France, nous gérons uniquement les stocks stratégiques. Mon rôle est de veiller à ce qu'il y ait, dans ces stocks, suffisamment de vaccins pandémiques ou prépandémiques pour faire face à des situations sanitaires exceptionnelles. Je le fais pour le compte de l'État, ce qui signifie que nous ne décidons rien nous-mêmes, mais que nous recevons des ordres du ministère de la santé.
M. Pierre Barros, président. - Dans une situation qui semble compliquée, on ne peut que s'interroger sur l'aspect stratégique des stocks. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Mme Caroline Semaille. - Je pourrais mieux répondre à votre question si j'exerçais encore des fonctions à l'ANSM, mais ce n'est pas le cas. Les ruptures de stock sont de plus en plus fréquentes et ont des causes très diverses, liées entre autres à la chaîne de production. Pour en rester à Santé publique France et aux stocks stratégiques, notre agence n'aura pas les moyens de pallier toutes ces ruptures de stock, car c'est impossible. Nous avons des plateformes de stockage pour les stocks stratégiques, réparties dans le territoire. Nous achetons des masques et des équipements de protection individuels (EPI), mais nous ne pouvons pas répondre au problème des ruptures de stock.
M. Pierre Barros, président. - Vous semblez nous confirmer qu'il n'y a pas de problème d'approvisionnement des stocks stratégiques pour le moment.
Mme Caroline Semaille. - Il s'agit des stocks stratégiques de l'État, ce qui signifie que nous parlons de produits comme des masques et des gants, ou de médicaments que l'on ne trouve pas habituellement en pharmacie, comme les vaccins prépandémiques ou les toxines antidiphtériques pour traiter le botulisme. Dans la mesure où il s'agit de produits biologiques difficiles à produire, nous faisons des stocks que nous centralisons. Notre rôle est de prévoir des situations sanitaires exceptionnelles.
M. Pierre Barros, président. - Comment sont calculés ces stocks ? Prévoyez-vous 70 millions de doses pour couvrir la population française ?
Mme Caroline Semaille. - Nous achetons les stocks stratégiques et nous pouvons être force de proposition, mais la doctrine des stocks stratégiques relève du ministère de la santé, qui reste notre donneur d'ordre. Il peut bien évidemment solliciter l'appui d'autres instances, dont le Haut Conseil de la santé publique, et nous prenons part à la réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans le budget de Santé publique France, quelle est la part consacrée chaque année à la constitution de ces stocks ? On pourrait considérer que, si tout se passe bien, c'est de l'argent perdu...
Mme Caroline Semaille. - Le système est assurantiel.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, mais, s'il ne se passe rien, les Français ne verront jamais à quoi a servi cet argent.
Mme Caroline Semaille. - Mieux vaut espérer que tout se passe bien !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre travail doit être impartial et nous devons mesurer objectivement le service rendu par rapport au coût des stocks, qui seront détruits s'il ne se passe rien.
Mme Caroline Semaille. - Les stocks sont renouvelés de manière à toujours pouvoir faire face à des situations exceptionnelles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les masques, par exemple, ont une durée limitée, de sorte qu'ils sont détruits s'ils n'ont pas servi avant leur date d'expiration.
Mme Caroline Semaille. - Les stocks stratégiques représentent une grande partie de notre budget, l'autre partie étant constituée par le budget-socle. En cas d'épidémie, le budget consacré à ces stocks augmentera certainement, comme cela a été le cas pendant la crise covid. Nous avons donc une certaine flexibilité et c'est justement parce que nous sommes une agence que nous disposons de l'agilité nécessaire pour passer très rapidement des appels d'offres.
Mme Marie-Anne Jacquet, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de santé publique. - Le budget de Santé publique France avoisine les 200 millions d'euros. Nous pourrons vous donner plus d'informations par écrit.
Nous sommes dans une logique assurantielle. Durant la crise covid, nous avons pu monter un budget de plus de 4 milliards d'euros en 2020 et en 2021, car il fallait acheter des masques pour protéger les soignants, puis acquérir des vaccins. Cela a fait l'objet d'un budget exceptionnel de crise séparé de notre budget-socle classique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La distribution des vaccins vous a-t-elle apporté des recettes ? Ou bien les vaccins dont vous disposiez étaient-ils uniquement destinés aux professionnels de santé ?
Mme Marie-Anne Jacquet. - Dès lors que des vaccins font partie du stock stratégique de l'État, ils doivent être utilisés pour répondre à des menaces sanitaires graves. Lorsque la pandémie de covid s'est déclenchée, le ministère de la santé a demandé à Santé publique France d'acquérir les moyens de répondre à une menace sanitaire grave. Nous avons passé des commandes pour le compte de la France auprès des laboratoires pharmaceutiques qui produisaient des vaccins à ARN messager contre le virus. Nous en avons assuré la distribution en collaborant avec nos partenaires habituels, à savoir les dépositaires pharmaceutiques, et nous continuons de détenir le stock des vaccins contre la covid. Encore une fois, il s'agit de vaccins très spécifiques pour répondre à une menace sanitaire grave.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends la nécessité qu'il y avait d'acheter des vaccins en 2020 et 2021. Mais, aujourd'hui, quand il s'agit de vacciner les personnes âgées contre la covid, cela ne relève pas du stock stratégique. Par conséquent, les vaccins que vous stockez sont pour le cas où il y aurait une résurgence de l'épidémie ?
Mme Marie-Anne Jacquet. - Pour l'instant, le choix a été fait de continuer de les acheter et d'en assurer la distribution jusqu'en 2026. Toutefois, l'agence se repose sur un circuit de distribution logistique et pharmaceutique qui se rapproche de celui du droit commun.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je n'ai toujours pas compris à quoi servent ces vaccins que votre agence achète. Si vous les redonnez aux pharmacies pour qu'ils servent à la vaccination des plus de 65 ans, la personne devra payer et l'agence aura une recette.
Mme Marie-Anne Jacquet. - C'est l'assurance maladie qui paie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'assurance maladie vous verse donc quelque chose.
Mme Caroline Semaille. - Cela entre dans notre budget, qui est prévu à la hauteur de tous les stocks que nous devons acheter. Nous dépendons de la sécurité sociale.
Mme Marie-Anne Jacquet. - Nous préparons, avec le ministère, la distribution des vaccins contre la covid dans un circuit qui relève du droit commun. Pour l'instant, nous sommes dans un schéma de transition.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour compléter les questions du président, existe-t-il une politique européenne en matière de stocks stratégiques et de veille sanitaire ? Serait-il possible de mutualiser certaines entités à l'échelle européenne ?
Mme Caroline Semaille. - Nous n'en sommes pas là. En matière de surveillance, il existe, comme je viens de l'expliquer, un ECDC, qui s'appuie sur les données collectées par tous les pays européens. Le principe de ce centre européen est d'être un soutien exceptionnel en cas de besoin.
En revanche, il existe une volonté d'harmoniser la manière de collecter les données et les systèmes de surveillance pour que les données puissent être analysées, comparées et interprétées. Pour l'heure, l'ECDC n'a pas vocation à se substituer aux agences nationales, sauf en cas de situation sanitaire exceptionnelle, par exemple si une énorme épidémie de rougeole advenait. La création récente de cette task force s'inspire du modèle de la réserve sanitaire. Pendant les jeux Olympiques, elle nous a apporté son aide sur la veille scientifique.
Par ailleurs, l'agence HERA nous permet d'acheter en commun nos vaccins prépandémiques. Nous avons passé la commande dans le cadre d'un marché européen après la fixation, par chaque pays, du nombre de vaccins qu'il souhaitait acquérir. De cette manière, nous formulons une offre plus importante qui nous permet de négocier de manière plus formelle avec les industriels.
M. Pierre Barros, président. - Permettez-moi de revenir sur les stocks stratégiques et de vous poser une question peut-être naïve. Lorsque les masques se périment, nous les détruisons. Qu'en est-il pour les vaccins ou les sérums, qui ont une durée de vie de quelques jours, quelques mois ou quelques années et qui se conservent de manière très particulière ? Attendez-vous qu'ils soient périmés pour les détruire ou renouvelez-vous le stock régulièrement afin qu'ils soient utilisés dans des territoires où le besoin existe avant qu'ils ne deviennent inutilisables ? Une telle démarche serait vertueuse. Acheter des vaccins pour qu'ils ne soient pas utilisés ne semble pas être le meilleur moyen de gérer les stocks...
Mme Caroline Semaille. - Heureusement, la durée de vie des vaccins est bien supérieure à quelques mois. Tout l'enjeu du stock stratégique est de pouvoir suivre l'assurance qualité, dans la mesure où il s'agit de vaccins qui doivent être conservés à moins 80 degrés. Il est possible de prolonger une date de péremption si l'ANSM l'estime possible.
Par ailleurs, nous essayons de lisser les stocks dans le temps pour que des vaccins sortent et d'autres entrent régulièrement. Bien entendu, Santé publique France ne détruit pas de vaccins de son propre chef. L'ordre doit venir du ministère de la santé.
Mme Marie-Anne Jacquet. - Monsieur le président, à la demande de la direction générale de la santé et en lien avec elle, nous avons beaucoup étudié la question d'une gestion dynamique des stocks, c'est-à-dire la possibilité de disposer de stocks tournants pour éviter une péremption inutile. Il se trouve que ce n'est pas aisé. En effet, le propre même des stocks stratégiques de l'État est de répondre à une menace sanitaire très grave. Il est donc question de produits très rares et monopolistiques, parfois fabriqués par un unique laboratoire à l'échelle mondiale. Aussi, nous ne sommes pas toujours en mesure de négocier et de nous fournir de manière à avoir un stock dynamique.
Nous nous sommes également posé la question sur les masques : nous avons mené une étude très approfondie auprès des fournisseurs, notamment français, pour savoir s'il était possible d'organiser un marché au sein duquel les industriels pourraient conserver une quantité de masques suffisante pour pourvoir aux besoins de l'État en cas de crise, tout en continuant de les écouler au fur et à mesure auprès des particuliers. De la sorte, le stock tournerait et les masques ne seraient pas bloqués jusqu'à ce qu'ils deviennent inutilisables.
Toutefois, aucun n'a pu s'engager dans ce système de stocks tournants dans ses propres réserves. Tous ont demandé que l'État soit acquéreur de ces masques à un moment donné.
M. Pierre Barros, président. - Je suis un peu étonné. Des hôpitaux et des services publics utilisent ce genre de produits. Plutôt que de chercher un système avec les industriels, ne pouvons-nous pas imaginer un système de stocks tournants du côté des usagers ?
Mme Marie-Anne Jacquet. - C'est bien pour cela que les masques de protection et les équipements de protection individuelle nous semblaient les produits les plus susceptibles de faire l'objet d'un stock dynamique. Toutefois, les fournisseurs estiment ne pas avoir l'assurance d'une consommation et d'une production suffisante pour faire fonctionner un tel système.
La dernière étude date de deux ou trois ans, mais nous en réaliserons d'autres sur le même thème.
Par ailleurs, nous assumons totalement que le stock État réponde à une logique assurantielle, a fortiori depuis la pandémie de covid. Vous vous souvenez comme moi des débats que nous avons eus en 2020 sur les vaccins ou les masques.
M. Pierre Barros, président. - L'objectif est en effet de ne pas reproduire les erreurs du passé et de ne pas laisser des produits devenir inutilisables.
Avant que cette audition s'achève, pouvez-vous préciser les pistes d'amélioration que vous envisagez ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un rapport de la Cour des comptes sur l'ANSM, publié en novembre 2019, jugeait nécessaire de réfléchir à un statut national d'expert sanitaire : « L'ANSM devra être en mesure de procéder au recrutement de compétences scientifiques rares. Plus largement, pour renforcer l'attractivité de l'ANSM vis-à-vis de ces compétences scientifiques, une réflexion sur un statut national d'expert sanitaire est nécessaire. Le champ de cette réflexion embrasse nécessairement, au-delà de l'ANSM, les autres agences. » Estimez-vous que cette réflexion a bien eu lieu ?
Mme Caroline Semaille. - Nous avons des compétences rares et, vous avez raison, nous devons être compétitifs vis-à-vis du secteur privé, parce que nous avons besoin de recruter les meilleurs professionnels. Je laisse Marie-Anne Jacquet répondre à la question du statut des agents ; je reviendrai sur celle de la compétitivité.
Mme Marie-Anne Jacquet. - Je n'avais pas connaissance de ce rapport, mais, s'il s'agit de déterminer un statut commun aux personnels de certaines agences sanitaires, le décret du 7 mars 2003 fixant les règles applicables aux personnels contractuels de droit public recrutés par certains établissements publics intervenant dans le domaine de la santé ou de la sécurité sanitaire me semble y pourvoir. Les agents de Santé publique France, mais aussi de l'ANSM, de l'ABM, de l'Anses, ont le statut d'agent contractuel de droit public régi par ce décret.
Mme Caroline Semaille. - L'ANSM fait face aux industriels en matière de recrutement, et il est vrai qu'il peut y avoir une différence de salaire entre un professionnel de la pharmacovigilance travaillant à l'ANSM et un autre travaillant pour un industriel. Cette question d'attractivité se pose également pour Santé publique France, mais de manière un peu moins forte.
En ce qui concerne les pistes d'amélioration, nous nous organisons pour mutualiser les campagnes de prévention, mais nous pourrions les rationaliser encore davantage. Nous nous attachons d'ores et déjà à les évaluer, mais il serait intéressant de disposer d'une cartographie un peu meilleure des grandes campagnes de prévention.
La santé mentale ayant été désignée grande cause nationale en 2025, la Cnam se charge de la campagne sur les repères, et nous de celle sur la santé mentale. Ainsi, le site de la Cnam embarquera MonSoutienPsy, tandis que nous dirigerons vers un nouveau site qui s'appellera santementaleinfoservice.fr.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je découvre le nom de ces deux sites.
Mme Caroline Semaille. - Le second n'est pas encore lancé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'y a-t-il pas un site unique, puisqu'il s'agit de la même cause ?
Mme Caroline Semaille. - Il est important d'avoir deux sites distincts, car MonSoutienPsy est destiné aux repères, tandis que l'objet du nouveau site sur la santé mentale est de faire en sorte que ceux qui n'ont pas de pathologie s'intéressent également à leur santé mentale. Bien entendu, il y aura, dans ce site, des liens vers celui de la Cnam.
Je précise que les sites de la Cnam et de Santé publique France sont tous deux cités sur le portail de la grande cause nationale, mais ce dernier n'a pas vocation à perdurer, contrairement aux deux autres, qui ne s'adressent pas aux mêmes personnes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Peut-être est-ce lié au fait que je connais mal ces questions, mais je suis perplexe. Pourquoi ouvrir deux portails pour répondre à une politique qui est une grande cause nationale, et pourquoi les héberger sur un portail éphémère pendant un an ?
Mme Caroline Semaille. - Ce site éphémère renvoie vers deux sites qui n'ont ni le même public ni le même objectif. Mais il est bien sûr important que le site santementaleinfoservice.fr renvoie vers celui de la Cnam.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous ne sommes pas experts de la question, mais nous pouvons jouer un rôle de conseil. Or je ne comprends pas l'intérêt d'avoir différents portails pour une cause nationale, qui doit être facile d'accès. Il serait intéressant pour nous que vous explicitiez cela par écrit.
Mme Caroline Semaille. - Je me suis certainement mal exprimée ; la grande cause nationale ne porte que sur l'année 2025. Le portail que vous citez est donc éphémère. Les actions de promotion et d'information de la Cnam ou de Santé publique France ont vocation à perdurer. Actuellement, le site de la grande cause nationale fait office de portail unique pour renvoyer vers de nombreux autres sites. En 2026, il disparaîtra, mais pas les sources d'informations, qui doivent continuer d'exister.
Il existait une demande pour faire la promotion de la santé mentale, qui fera l'objet d'une grande campagne en septembre 2025 pour que les Français, grâce à la grande cause nationale, prennent conscience de l'importance de la santé mentale, comme ils sont conscients de celle de la santé physique. Ce faisant, nous nous adressons à tout un chacun, et non aux seules personnes déprimées, anxieuses, etc. Nous avons une santé physique, et nous avons une santé mentale. Notre objectif est de faire comprendre qu'il faut la préserver, que ce soit par le sommeil et l'activité physique ou en faisant des choses pour autrui. Le nouveau site aura vocation à aider le citoyen et sera ouvert à tous.
M. Pierre Barros, président. - La santé mentale et la pédopsychiatrie sont en grande souffrance dans les territoires. Certes, tout est bon à prendre pour communiquer et alerter, mais il me semble qu'il y a avant tout un problème de moyens. La situation de la pédopsychiatrie dans les hôpitaux est catastrophique, de même que celle de la santé mentale en ville.
Mme Caroline Semaille. - C'est précisément pour cela qu'il convient d'agir en amont et de faire de la prévention pour éviter la survenue de troubles psychiques. Il est important de faire comprendre que la santé mentale s'entretient.
M. Pierre Barros, président. - Tant mieux si le message passe, mais ma question était de savoir comment accompagner les personnes souffrant de pathologies.
Au-delà de la sensibilisation, sur laquelle vous semblez vous organiser pour optimiser votre action, quelles autres solutions envisagez-vous pour gagner en efficacité ?
Mme Caroline Semaille. - Santé publique France et l'Inca cofinancent les registres. Peut-être pourrions-nous revoir notre stratégie en la matière. Le Parlement s'est d'ailleurs saisi de la question.
Pour ce qui est de la réserve sanitaire et des établissements pharmaceutiques, le fait qu'ils soient au sein de Santé publique France, qui s'occupe de l'aspect opérationnel, permet au ministère de garder son rôle de cadre et de décideur politique. Nous travaillons bien sûr en collaboration avec la direction générale de la santé, qui nous donne les ordres, mais je vois mal une administration nationale gérer le côté opérationnel.
Lorsque nous envoyons cent réservistes tous les quinze jours à Mayotte, cela implique de rédiger de nombreux contrats et de réserver un grand nombre de billets d'avions et de logements. En l'occurrence, nous avons même été amenés à construire une base de vie sur un parking et de déployer des tentes. Nous sommes plus agiles qu'une administration centrale pour gérer ce genre de situations.
De la même manière, pour les stocks stratégiques, nous passons des contrats avec des plateformes et nous disposons de notre propre plateforme. Pour vous la représenter, imaginez un énorme entrepôt de 17 mètres de hauteur. Pour manoeuvrer, il faut des logisticiens, des caristes, des manutentionnaires... Encore une fois, je ne pense pas que ce soit le travail des agents d'une administration centrale que de gérer de tels travailleurs, ou d'être réveillés la nuit pour se rendre sur le site parce que l'un des congélateurs émet un bip et qu'il faut veiller à ce qu'il se maintienne à la bonne température.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie des éléments que vous avez partagés avec nous et de la qualité de nos échanges.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé (HAS), Jean Lessi, directeur général, et Mme Catherine Paugam Burtz, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre commission d'enquête sur les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Après avoir auditionné la direction générale de la santé (DGS), les agences régionales de santé (ARS) et Santé publique France, nous poursuivons notre examen des agences et opérateurs du domaine de la santé.
Nous accueillons la Haute Autorité de santé (HAS), représentée par son président, M. Lionel Collet, et son directeur général, M. Jean Lessi, ainsi que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par sa directrice générale, Mme Catherine Paugam-Burtz, et M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint en charge des opérations.
Notre commission cherche à comprendre l'articulation entre les différentes agences, leurs relations avec les administrations au niveau national et territorial, ainsi qu'avec les collectivités territoriales.
Nous nous interrogeons notamment sur le statut de la Haute Autorité de santé, à savoir si elle peut être considérée comme une agence. En 2012, le Conseil d'État rappelait qu'elle exerce des fonctions d'évaluation héritées de l'ancienne Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), sans toutefois l'inclure dans sa liste de 103 agences.
La Haute Autorité de santé, en tant qu'autorité publique indépendante non soumise à tutelle, se voit confier par le code de la sécurité sociale diverses missions : évaluation des produits et prestations de santé d'un point de vue médical et économique, élaboration de recommandations pour les professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social, et contribution à l'évaluation de la qualité et de la sécurité des soins et prestations.
Ma première question porte sur la distinction entre les missions de la Haute Autorité de santé et celles des autres agences et administrations, notamment concernant l'évaluation des médicaments et des produits de santé, également effectuée par l'ANSM pour l'autorisation de mise sur le marché. L'ANSM a en effet pour objectif général de permettre l'accès aux produits de santé et d'assurer leur sécurité tout au long de leur cycle de vie.
Vos deux organismes sont un peu plus anciens que les autres agences que nous avons auditionnées. La HAS a été créée en 2005 et l'ANSM en 2012, prenant la succession d'une autre agence. Considérez-vous que la répartition actuelle des compétences entre les différentes structures du domaine de la santé est satisfaisante, ou des adaptations seraient-elles nécessaires ?
Notre commission ne cherche pas à supprimer ou fusionner pour le principe, mais nous constatons que la politique de santé s'appuie sur un grand nombre d'agences. Cette complexité est-elle l'héritage des scandales et drames sanitaires qui ont marqué notre pays ?
Je vous rappelle que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat, qu'un compte rendu sera publié, et que tout faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal allant de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment et à nous faire part d'éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Mme Paugam-Burtz et MM. Collet, Lessi et de La Volpilière prêtent serment.
M. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé. - La Haute Autorité de santé a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, dans un contexte où la situation de l'assurance maladie était jugée préoccupante. Ses deux missions principales étaient de définir le périmètre des produits de santé remboursables et de promouvoir la qualité des pratiques de santé.
Plus précisément, nos missions consistent à évaluer les produits de santé à des fins de remboursement, à élaborer des recommandations de bonne pratique, et à évaluer les établissements de santé et médico-sociaux. Cette approche s'inspirait d'organismes similaires créés à l'étranger, comme le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) au Royaume-Uni (1999) et l'Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG) en Allemagne (2004), qui étaient indépendants de leurs agences du médicament respectives.
Le législateur a choisi de faire de la HAS une autorité publique indépendante à caractère scientifique, une appellation unique soulignant son expertise scientifique. Cette indépendance visait à garantir la neutralité de ses évaluations et recommandations.
Depuis sa création en 2004, les missions de la HAS, codifiées dans l'article L-161-37 du code de la sécurité sociale, ont connu 31 versions en 21 ans. La dernière modification, datant de janvier 2025, a ajouté l'élaboration des ratios soignants-soignés à ses attributions.
La HAS fête aujourd'hui ses 21 ans. Au fil du temps, ses missions se sont élargies. Nous avons notamment intégré l'évaluation médico-économique et la commission technique des vaccinations, auparavant rattachée au Haut Conseil de la santé publique. Cette évolution visait à regrouper au sein d'une même instance l'élaboration des recommandations vaccinales et l'évaluation du service médical rendu des médicaments.
En 2018, notre champ d'action a été étendu à l'évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux en intégrant l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Cette fusion avait pour objectif d'appliquer nos approches méthodologiques de qualité à ces établissements.
En 2004, la HAS est née du regroupement de trois structures : la commission de la transparence, la commission d'évaluation des dispositifs médicaux (future CNEDIMTS), et l'ANAES. Depuis, deux autres structures nous ont rejoints.
En 21 ans, le contexte a considérablement évolué. La transition épidémiologique, le vieillissement de la population, nous ont amenés à couvrir l'ensemble du parcours de santé, de l'évaluation du médicament à son utilisation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L'évolution de la démographie professionnelle nous conduit à nous prononcer sur les compétences des non-médecins et les protocoles de coopération. Le rôle croissant des usagers et des patients exige plus de transparence et d'information. Nous travaillons en lien avec 2 500 experts chaque année, représentant tous ces milieux.
Les innovations médicales ont également transformé notre travail. Le coût des traitements a explosé, passant de quelques milliers d'euros dans les années 2000 à plusieurs millions aujourd'hui pour certaines thérapies géniques. Cette évolution exige une évaluation encore plus rigoureuse et indépendante. De plus, nous devons désormais évaluer conjointement les médicaments et les actes associés, comme les tests compagnons en cancérologie. Ces tests permettent de choisir les patients pour lesquels un médicament est le plus efficace et de déterminer le dosage.
L'Europe joue elle aussi un rôle croissant, avec la mise en oeuvre récente du règlement sur l'évaluation des technologies de santé (règlement HTA). La France et la HAS sont très impliquées dans ce processus européen. Le secrétariat de cette évaluation est assuré par la Commission européenne elle-même et non par l'Agence européenne du médicament, ce qui montre que ce ne sont pas les mêmes métiers.
Pour l'avenir, plusieurs enjeux se profilent. Un rapport
récent de l'Inspection générale des affaires sociales
(IGAS) propose de nous confier les missions de l'Agence nationale du
développement professionnel continu
(ANDPC),
élargissant notre champ d'action à l'évaluation des
professionnels de santé. C'est assez logique car c'est lié
à l'impact de nos recommandations. Nous prendrons cette mission si le
législateur nous la confie.
L'intelligence artificielle, notamment générative, représente un autre défi majeur. Nous devons nous préparer à évaluer de plus en plus de dispositifs médicaux numériques intégrant des algorithmes apprenants et nous devons nous préparer à utiliser l'intelligence artificielle. Enfin, compte tenu du coût croissant des produits de santé, nous serons de plus en plus impliqués dans les évaluations médico-économiques.
Mme Catherine Paugam-Burtz, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). - L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est un établissement public créé par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Elle succède à l'Agence du médicament de 1993 et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (AFSSAPS) de 1998. Au fil du temps, l'ANSM s'est vu confier un nombre croissant de missions par le ministère de la Santé, notamment un pouvoir de police judiciaire exercé au nom de l'État. Cette particularité la distingue des autres agences qui émettent des recommandations sans pouvoir de sanction.
L'ANSM veille à ce que les produits de santé disponibles en France soient sûrs, efficaces, accessibles et correctement utilisés. Notre champ de compétence couvre l'ensemble des produits de santé destinés à l'homme, incluant les médicaments, les dispositifs médicaux, mais aussi les produits biologiques à effet thérapeutique tels que le sang, les tissus, les cellules et le lait maternel. Nous sommes également responsables de l'autorisation de tous les essais cliniques menés sur l'homme, y compris ceux ne concernant pas des médicaments.
Nos missions principales consistent à autoriser, surveiller, inspecter, contrôler la qualité des produits et informer les patients et les professionnels de santé. Ces missions sont clairement au service des patients, nous les menons aux côtés des professionnels de santé et en concertation avec leurs représentants qui sont présents et dans toutes les instances de l'agence, qu'il s'agisse des représentants des professionnels de santé, des médecins, des infirmiers, des pharmaciens mais aussi des représentants des patients et des usagers.
Nous prenons environ 80 000 décisions par an au nom de l'État dans nos différents domaines de responsabilité. Notre travail vise à garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et à offrir un accès rapide et équitable à l'innovation pour tous les patients, en collaboration avec la HAS pour les accès précoces aux médicaments.
Nos objectifs sont définis dans un contrat quinquennal. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2024-2028 a été signé en juillet 2024, suite à une évaluation et un audit de l'IGAS en 2023. Le précédent COP s'était exécuté de manière satisfaisante. Ce nouveau COP s'articule autour de quatre axes stratégiques majeurs : garantir la sécurité des patients, accompagner l'innovation de manière agile, être à l'écoute et au service des citoyens, et être une agence performante et engagée.
Le COP s'aligne sur les politiques de santé nationales et européennes, mettant l'accent sur des actions spécifiques telles que le renforcement de la lutte contre les pénuries, la valorisation des données de l'agence, et une meilleure articulation avec les acteurs de terrain. Nous travaillons notamment à une contractualisation avec les agences régionales de santé pour mieux intégrer les besoins locaux et régionaux dans nos actions nationales. L'état d'avancement est présenté chaque année à notre conseil d'administration qui comprend des représentants des patients, mais aussi des parlementaires avec trois députés et trois sénateurs.
90 % de notre budget provient d'une dotation de l'assurance maladie et 10 % de recettes versées par l'Agence européenne des médicaments (EMA) en échange des travaux que nous réalisons pour son compte. Pour 2025, nous prévoyons une augmentation de ces recettes issues de notre collaboration avec l'EMA. De plus, certaines de nos missions, comme les autorisations de mise sur le marché (AMM) et leurs modifications, génèrent des droits recouvrés par les services fiscaux de l'État, représentant plusieurs dizaines de millions d'euros annuellement. De même, les sanctions que nous prononçons sont recouvrées par les services fiscaux.
L'ANSM est fortement impliquée dans les travaux européens et internationaux, participant activement à l'évolution réglementaire, notamment dans la révision du « paquet » législatif pharmaceutique européen. Nous sommes présents dans de nombreux groupes d'experts, membres du management board de l'EMA, et dans le groupe de coordination européen pour les dispositifs médicaux.
Pour clarifier le processus d'autorisation de mise sur le marché, il est important de comprendre que cette action résulte d'une évaluation du rapport bénéfices-risques du produit, impliquant une collaboration entre les structures européennes et nationales.
Pour évaluer un médicament en vue de son autorisation de mise sur le marché (AMM), nous analysons les données qualitatives, chimiques, biologiques, non cliniques et cliniques soumises par les industriels. Notre évaluation repose sur trois critères essentiels : la qualité du médicament, son efficacité et sa sécurité.
Concernant le processus d'obtention d'une AMM au niveau européen, il existe quatre procédures possibles. Trois d'entre elles sont européennes et représentent environ 80 % des nouvelles demandes reçues par l'agence française.
La procédure centralisée, qui concerne un nombre limité de demandes, implique un dépôt de dossier auprès de l'EMA. Les deux autres procédures européennes, majoritaires, sont la procédure décentralisée et la procédure par reconnaissance mutuelle.
La quatrième procédure, nationale, représente environ 20 % des nouvelles demandes annuelles.
Il est important de noter que l'EMA ne réalise pas elle-même l'évaluation des dossiers. Ce sont les autorités nationales compétentes qui évaluent le rapport bénéfice-risque des produits. L'EMA coordonne les ressources scientifiques mises à sa disposition par les États membres via leurs agences.
Dans le cadre de la procédure centralisée, l'industriel dépose sa demande auprès de l'EMA. Un État membre rapporteur et un co-rapporteur sont désignés pour effectuer l'évaluation. Le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l'EMA, où siègent les représentants des différents États membres, émet ensuite un avis. La Commission européenne prend la décision finale d'autorisation, valable pour tous les États membres.
Pour les procédures décentralisées ou par reconnaissance mutuelle, l'évaluation scientifique est partagée entre plusieurs pays européens, mais la décision finale d'octroi reste nationale, sans implication de l'EMA. Ces procédures sont les plus courantes en volume.
La procédure nationale concerne uniquement la France. L'ANSM évalue seule les demandes et prend une décision valable uniquement sur le territoire français. Ces demandes concernent principalement des médicaments génériques ou hybrides.
Pour certains médicaments innovants, notamment dans le domaine anti-infectieux et les vaccins, la procédure centralisée est obligatoire. Pour les autres types de médicaments, l'industriel peut choisir la procédure qu'il souhaite suivre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant la HAS, je souhaiterais savoir si les critiques formulées dans le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de 2012 sur son statut sont toujours d'actualité. Ce rapport estimait que le statut de la HAS n'était pas nécessairement le plus adapté à ses missions.
Par ailleurs, j'ai une question qui concerne à la fois l'ANSM et la HAS. Un rapport de la Cour des comptes de novembre 2019 portant sur l'ANSM soulevait la question du statut des experts. Il préconisait une réflexion plus large englobant notamment la HAS et d'autres agences de l'écosystème de la santé. Depuis 2019, cette réflexion a-t-elle eu lieu et, si oui, quelles en ont été les conclusions ?
M. Lionel Collet. - Concernant votre première question sur le rapport de l'IGF, je laisserai Monsieur Lessi répondre. Quant au rapport de la Cour des comptes de 2019, je ne le connais pas et ne peux donc pas commenter ses recommandations sur le statut des experts.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le rapport de la Cour des comptes a été demandé par la commission des affaires sociales du Sénat dans le cadre de la procédure de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances. Il portait spécifiquement sur l'ANSM. La Cour a noté que l'agence avait été fragilisée par la crise du Mediator, mais qu'elle avait repris sa place au niveau européen à partir de 2015. Le rapport souligne la nécessité pour l'ANSM de pouvoir recruter des compétences scientifiques rares. Pour renforcer son attractivité, la Cour recommande une réflexion sur un statut national d'expert sanitaire, réflexion qui devrait inclure, au-delà de l'ANSM, d'autres agences telles que la Haute Autorité de Santé, Santé Publique France, l'Établissement français du sang et l'Agence de la biomédecine.
M. Jean Lessi, directeur général de la Haute Autorité de santé. - Concernant le statut d'autorité publique indépendante (API), le rapport critiquait l'absence de plafond d'emplois, limitant ainsi le contrôle du Parlement. Depuis, deux évolutions majeures ont eu lieu. La loi organique prévoit désormais que le Parlement vote sur le plafond d'emploi des autorités publiques indépendantes. Depuis 2025, à l'initiative du Sénat, le Parlement vote également sur des plafonds de dotation de l'assurance maladie, renforçant ainsi le contrôle parlementaire.
Quant à la personnalité morale de la HAS, elle se justifie principalement par son mode de financement. La HAS est financée par une dotation de l'Assurance maladie, ce qui correspond davantage au modèle d'une API qu'à celui d'une autorité administrative indépendante (AAI) classiquement financée sur le budget de l'État.
L'indépendance de la HAS est cruciale pour garantir l'intégrité scientifique de ses évaluations, qu'il s'agisse de produits de santé ou de modalités de prise en charge. Cette indépendance vise à assurer qu'aucune considération externe n'interfère avec l'analyse scientifique.
C'est pour cette raison que, hormis pour les accès précoces où la HAS rend des décisions, nous émettons des avis pour éclairer les pouvoirs publics. Notre avis est purement scientifique, sans aucune interférence d'autres considérations. Ensuite, les payeurs, le ministère et le comité économique des produits de santé (CEPS) décident du remboursement et négocient le prix en intégrant éventuellement d'autres facteurs.
L'objectif est d'établir un socle scientifique pour l'évaluation des produits, la certification des hôpitaux et l'évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux. L'indépendance de l'évaluateur et du certificateur est une garantie de crédibilité. C'est la philosophie qui sous-tend nos deux principaux métiers depuis 2004, avec les diverses extensions de mission.
Mme Catherine Paugam-Burtz. - Le statut d'expert national sanitaire doit effectivement trouver un équilibre entre les principes de déontologie et d'indépendance. À la suite de l'affaire du Médiator, les modifications de 1992 ont renforcé les règles déontologiques, devenues essentielles à la confiance dans nos décisions. Nous avons mis en place un système de déclarations publiques d'intérêts (DPI) transparentes pour tous nos experts, internes et externes. Lors de nos comités scientifiques, les liens d'intérêts sont systématiquement vérifiés et peuvent conduire à l'exclusion d'un expert d'une réunion spécifique. Tout ce processus est transparent et tracé.
Nous pouvons exceptionnellement auditionner un expert reconnu ayant des liens d'intérêts, mais sans qu'il participe aux décisions ou aux votes. Bien que nous n'ayons pas de statut officiel d'expert sanitaire, notre fonctionnement a inspiré une proposition dans le cadre du paquet pharmaceutique européen pour introduire des « experts témoins ».
Nous accordons une attention particulière à la transparence et à la confiance, avec des audits internes systématiques des déclarations d'intérêts et des processus de contrôle de second niveau. Cette approche est fondamentale pour garantir la sécurité des patients.
M. Lionel Collet. - L'approche de la HAS est très similaire. Nous avons un déontologue, ancien magistrat judiciaire, qui examine les déclarations d'intérêts de tous nos collaborateurs et experts potentiels. Les liens d'intérêts n'empêchent pas nécessairement la participation à un groupe, sauf s'ils sont trop importants. Cependant, ils interdisent la participation aux délibérations concernant un produit pour lequel il existe un lien d'intérêts avec l'industriel. Dans le cas d'un expert incontournable ayant des liens d'intérêts significatifs, nous pouvons l'auditionner sans qu'il prenne part aux délibérations.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour clarifier, ces experts ne sont pas des agents de vos structures respectives. Les rémunérez-vous ou leur versez-vous une contribution pour leur présence et leur expertise, sous forme de vacation par exemple ?
M. Lionel Collet. - Il faut distinguer deux cas. Les membres d'une commission de la HAS, qui sont en quelque sorte des experts même s'ils ne travaillent pas sur un produit spécifique, sont rémunérés par vacation pour le temps passé dans les réunions. En revanche, nous ne rémunérons pas les parties prenantes qui interviennent en tant qu'experts très spécifiques lors des auditions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous disposez également de personnel propre avec des compétences très spécifiques. Le cadre d'emploi public vous permet-il d'avoir accès aux compétences dont vous avez besoin ? Souffrez-vous d'une certaine inégalité par rapport au secteur privé ?
M. Lionel Collet. - C'est une question complexe et récurrente. Je vais laisser le directeur général répondre. La question est de savoir si, en raison de ce cadre d'emploi, nous sommes dans l'incapacité de recruter certaines personnes de qualité, notamment à cause des limitations en termes de rémunération. J'aurais tendance à dire que oui, cela peut effectivement se produire.
M. Jean Lessi. - Nous sommes confrontés à un double enjeu de recrutement et de fidélisation. Pour l'évaluation des produits de santé, nous parvenons assez facilement à recruter de jeunes profils en début de carrière ou ayant déjà une première expérience. Cependant, nous avons du mal à les fidéliser sur le long terme, notamment face au secteur privé.
Nous rencontrons également des difficultés pour certains profils spécifiques, comme ceux liés à l'intelligence artificielle. L'État a mis en place une politique volontariste avec la circulaire prise par la Première ministre Élisabeth Borne, qui nous offre plus de flexibilité pour les profils numériques. Néanmoins, pour d'autres profils où la concurrence du secteur privé est forte, nous restons confrontés à des difficultés.
Nous sommes soumis à des grilles spécifiques, définies par un décret de 2003, qui régissent les déroulements de carrière et les classifications de nos contractuels dans les agences et autorités publiques indépendantes sanitaires. Paradoxalement, nous avons moins de marges de manoeuvre que la fonction publique d'État pour recruter des contractuels. Ces grilles, vieilles de 22 ans, sont en partie dépassées. Nous avons déjà soulevé cette question auprès de la direction de la sécurité sociale (DSS) et de la direction générale de la santé (DGS), mais le contexte budgétaire complique toute révision.
Mme Catherine Paugam-Burtz. - Je partage ce constat. Concernant la fidélisation, j'ai récemment constaté que beaucoup de nos experts évaluateurs sont présents depuis dix, quinze, voire vingt ans. Donc, à ce stade, la fidélisation ne semble pas être un problème majeur. Nous avons des collaborateurs très motivés, et notre travail d'évaluation est largement internalisé. La création de comités scientifiques permanents vise à la fois à obtenir une expertise externe et à impliquer les parties prenantes.
Je voudrais également souligner que la déontologie s'applique non seulement lors du recrutement de nouveaux agents, mais aussi au moment où ils quittent l'organisation. Certaines personnes envisageant un passage temporaire dans un poste peuvent être confrontées à des restrictions déontologiques à leur sortie. Ces contraintes, bien que non négociables, peuvent influencer les décisions de carrière.
M. Jean Lessi. - Un facteur important à considérer est l'autocensure des candidats qui renoncent en anticipant des contraintes déontologiques, parfois surestimées. Nous devons donc faire un travail de pédagogie à ce sujet. Concernant la rémunération, il est satisfaisant de constater que le service public reste un motif d'attractivité. Les candidats acceptent souvent un écart de rémunération pour une mission qui a du sens, même s'il peut y avoir des limites.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre objectif est d'apporter des réponses au sentiment de complexité et de chevauchement des responsabilités. Nous visons la rationalisation et la simplification. On attend également de nous des propositions d'économies réalistes pour les budgets 2026 et suivants. Vous qui observez quotidiennement l'écosystème de la santé, quels éléments vous semblent devoir être simplifiés ou rationalisés ? Y a-t-il des domaines qui devraient être transférés au secteur privé, où la puissance publique n'interviendrait plus ? Ou bien des transferts vers d'autres acteurs seraient-ils envisageables, par exemple aux collectivités, notamment les départements, qui jouent déjà un rôle central dans le médico-social ?
M. Pierre Barros, président. - Pour prolonger la question, un autre angle à considérer concerne les médicaments et leur mise sur le marché. Ce processus nécessite un travail considérable et de nombreuses autorisations, ce qui est rassurant. Les industriels n'ont-ils pas intérêt à promouvoir de nouvelles molécules, légèrement différentes mais plus chères, pour remplacer des molécules existantes et efficaces ? Cette pratique ne génère-t-elle pas des dépenses publiques supplémentaires en termes d'essais, d'évaluations et de surveillance ? Serait-il pertinent d'engager un dialogue avec les industriels pour encourager une certaine sobriété dans ce domaine, ce qui pourrait permettre des économies non négligeables ?
Mme Catherine Paugam-Burtz. - L'évaluation des médicaments ne se passe plus comme vous la décrivez. Nous avons mis en place des guichets innovation-orientation dans nos structures. Ces guichets permettent de discuter avec tous types d'industriels, y compris des start-up, pour les aider à optimiser leur processus d'évaluation pour les innovations. L'objectif est de les guider dans le choix des critères pour leurs essais cliniques, en vue d'une évaluation plus efficace dans le cadre d'un dépôt de dossier au niveau européen.
Quant aux choix industriels, cela relève de l'évaluation du service médical rendu et du service médical rendu additionnel, qui est au coeur de notre mission.
Concernant un éventuel transfert des missions de l'ANSM hors du secteur public, ma réponse est clairement négative. Notre histoire et la nature de nos missions, qui incluent des décisions de police sanitaire, nécessitent que l'Agence du médicament et des produits de santé reste dans le domaine public.
Pour ce qui est d'un transfert au niveau régional ou départemental, je parlerais plutôt d'une meilleure articulation de nos actions, particulièrement au niveau régional. Par exemple, nous avons mis en place une contractualisation avec les ARS. Le 8 avril, nous lancerons une campagne sur le bon usage des médicaments avec l'ARS Grand Est et les acteurs locaux, notamment le réseau des observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (OMéDIT) qui travaille sur la pertinence des prescriptions.
L'objectif n'est pas tant de simplifier que de mieux articuler et rendre plus efficaces les actions publiques. Cela peut se faire en démultipliant nos actions au niveau national ou en s'inspirant des bonnes pratiques régionales. Une meilleure articulation avec les réseaux régionaux pourrait nous faire gagner en efficacité.
M. Lionel Collet. - Concernant la simplification, j'ai évoqué le rapport de la l'IGAS sur la NDPC et je vous ai donné notre position.
Sur les économies, qui sont l'enjeu principal, nos travaux montrent que des économies pourraient être réalisées par l'ensemble du système de santé, à condition que certaines décisions soient prises, notamment sur la pertinence des actes, des soins et l'évaluation des médicaments. Prenons l'exemple du Sofosbuvir qui guérit l'hépatite C. Il serait intéressant de savoir si sa mise en service a entraîné une réduction du nombre de lits en hépatologie en France. Nous fournissons l'information, mais c'est à d'autres de décider de sa mise en oeuvre.
Concernant la pertinence des actes, lorsque nous proposons un parcours de soins ou de santé, nous savons que c'est la méthode la plus efficace et la plus rationnelle. Dès qu'on s'en écarte, des actes inutiles et coûteux sont réalisés. La question est de savoir comment s'assurer que ces parcours sont respectés. Nous élaborons des fiches de bon usage des médicaments, mais ce n'est pas à la HAS d'aller plus loin.
S'agissant du médicament, les innovations arrivent principalement par la filière de l'accès précoce, qui concerne uniquement les maladies rares, graves et invalidantes, avec une présomption d'innovation. L'industriel peut alors rendre le produit disponible avant la négociation du prix. En 2024, nous avons eu 51 nouveaux médicaments au titre de l'innovation, dont nous avons accepté 30, soit près de 60 %. Il est important de distinguer les véritables innovations des simples nouveautés.
Les industriels nous proposent des indications de plus en plus étroites pour les accès précoces. Par exemple, pour un médicament déjà autorisé, ils demandent l'accès précoce pour une infime partie de l'indication. On en vient à travailler par mutation, notamment dans le cas du cancer du poumon non à petites cellules. Cette approche tend à faire passer des sous-groupes de patients pour des maladies rares, ce qui peut justifier des prix plus élevés. C'est une tendance sur laquelle nous devrons échanger avec les pouvoirs publics.
M. Jean Lessi. - La question des territoires est importante et devant nous, notamment pour la qualité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ces structures relèvent localement soit de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), soit des départements et/ou des ARS. Il existe une réelle sensibilité sociétale sur la qualité de l'accueil des personnes. Nous avons été récemment auditionnés sur la qualité en EHPAD. Nous avons besoin d'un dialogue avec les autorités de tarification et de contrôle, à savoir les conseils départementaux et les ARS.
Prenons l'exemple de l'évaluation de la qualité. Cette mission nécessite peu d'équivalents temps plein (ETP) car le législateur a opté pour un dispositif où la HAS établit le référentiel d'évaluation et une partie du cahier des charges d'accréditation des organismes évaluateurs. Nous analysons ensuite les rapports d'évaluation des 41 000 établissements et services sociaux et médico-sociaux pour fournir des retours et des outils qualité. Le travail d'évaluation est réalisé par des organismes privés accrédités par le comité français d'accréditation (COFRAC), sur la base de notre cahier des charges. Ces organismes effectuent les évaluations dans le cadre d'une relation commerciale avec les établissements, ce qui soulève certaines questions.
Bien que nous soyons très identifiés à ce dispositif, nous n'y consacrons que 12 ETP. Nous essayons de réaliser un véritable contrôle qualité sur le travail de ces organismes d'évaluation, car les résultats sont cruciaux pour les personnes accueillies et leurs familles. Nous avons besoin de démultiplier notre pilotage de ce dispositif par un bon dialogue avec les autorités de tarification et de contrôle.
Nous avons un dialogue constructif avec l'Assemblée des départements de France sur ces sujets. L'enjeu est de créer un chaînage vertueux entre le rapport d'évaluation et les actions entreprises par le conseil départemental ou l'ARS en termes de pilotage de la qualité et de suivi des établissements. C'est ce qui garantira la réussite de ce dispositif relativement récent.
Concernant la possibilité d'externalisation au secteur privé, nos missions, comme celles de l'ANSM, sont assez régaliennes et difficilement externalisables. Cependant, des partenariats intéressants peuvent être développés. Par exemple, nous avons mis en place un système de labellisation pour les travaux des sociétés savantes ou des professionnels de santé. Nous produisons des recommandations de bonnes pratiques sur divers sujets comme la prise en charge du diabète de type 2 ou de l'obésité.
Lorsqu'il n'y a pas de consensus scientifique, il est nécessaire que la HAS le crée elle-même. Pour les sujets où les données sont plus claires et univoques, nous envisageons de déléguer davantage aux sociétés savantes et aux professionnels, tout en garantissant le respect des règles de prévention des conflits d'intérêts et la rigueur méthodologique. Notre rôle serait alors de vérifier et de labelliser. Nous avons déjà expérimenté cette approche, par exemple pour les traitements pré ou post-exposition au VIH. Cette méthode est moins consommatrice en ETP et permet une meilleure appropriation par les futurs utilisateurs, tout en maintenant un contrôle qualité et un suivi continu. Nous comptons développer cette approche pour produire plus, de manière plus agile et au plus près de la pratique. Nous testons actuellement ce modèle sur des contenus relatifs à la sécurité des patients en établissement, en collaboration avec le réseau des OMéDIT. Cette approche pourrait également s'appliquer aux indicateurs de qualité. C'est une piste d'avenir en termes d'efficience des moyens administratifs, permettant d'externaliser tout en conservant le contrôle qualité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « sociétés savantes » ? S'agit-il de l'ordre des médecins ?
M. Lionel Collet. - Les sociétés savantes sont des sociétés scientifiques, par exemple la Société française d'oto-rhino-laryngologie avec laquelle nous travaillons actuellement sur la surdité chez les personnes âgées. Nous pouvons les laisser travailler sur ces sujets, puis nous validons leur travail en les accompagnant tout au long du processus.
M. Pierre Barros, président. - J'ai une interrogation concernant la prescription. Nous savons que la médecine de ville est en grande difficulté, avec une pénurie de médecins et une tension croissante. Parallèlement, nous constatons une augmentation colossale des charges de santé depuis la crise du Covid. Il y a clairement des effets post-Covid et la santé de nos concitoyens est préoccupante, tant sur le plan physique que mental. L'assurance maladie est amenée à prendre en charge de plus en plus de pathologies.
On pourrait penser naïvement que moins de médecins signifierait moins de prescriptions et donc moins de dépenses. C'était d'ailleurs un argument avancé pour réduire le numerus clausus, ce qui s'est avéré être un échec. En réalité, malgré la diminution du nombre de médecins, les dépenses continuent d'augmenter.
Nous voyons émerger la télémédecine et de nouveaux opérateurs qui s'implantent sur ce marché, ainsi qu'une réorganisation de la médecine de ville avec des centres de santé privés. Dans ce contexte de transformation du parcours de santé, avez-vous mené une réflexion sur ces évolutions ? Notre commission d'enquête vise à examiner le fonctionnement des opérateurs pour identifier des marges de manoeuvre et proposer des économies pour le PLF 2026. Nous nous interrogeons sur l'organisation de la santé dans les territoires, tant au niveau de la médecine de ville que des nouvelles structures qui comblent les vides. Ces nouvelles pratiques pourraient-elles générer des dépenses publiques plus importantes ?
M. Lionel Collet. - J'ai brièvement évoqué la question de la pertinence des actes. Si pour un patient donné, c'est la bonne intervention qui est réalisée, c'est déjà une source d'économie. C'est bénéfique car le patient sera bien pris en charge et parce que cela permet d'éviter des actes inutiles. Je pense que c'est vraiment sur ce point que nous devrions concentrer nos efforts. Je me souviens que la ministre Agnès Buzyn avait souhaité travailler sur ce sujet en 2017. Il serait opportun aujourd'hui, après la crise du Covid, de remettre ce dossier à plat en s'appuyant sur nos recommandations.
Cependant, je reconnais que la situation est complexe,
notamment en raison de la démographie médicale. Il ne faut pas
que les médecins, qui revendiquent leur liberté de prescription,
aient l'impression qu'on leur impose une prise en charge. Néanmoins,
nous sommes dans un domaine d'intérêt général pour
notre pays, qui concerne l'équilibre des comptes sociaux et plus
précisément de l'assurance maladie. Il me semblerait donc
judicieux
d'encourager de la manière la plus efficace possible
cette pertinence des actes. Cela pourrait probablement réduire la
consommation et donc les dépenses, tout en améliorant la prise en
charge des patients.
M. Jean Lessi. - Il est important de considérer non seulement la pertinence des actes, mais aussi celle des parcours de soins. La HAS a travaillé sur des parcours, notamment pour les maladies chroniques comme le diabète, l'épilepsie, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l'insuffisance cardiaque. Nous élaborons scientifiquement ce à quoi doit ressembler le parcours pour garantir la bonne intervention de santé au bon moment, pour le bon patient, par le bon professionnel. L'enjeu, nous en discutons avec l'assurance maladie et la direction générale de l'offre de soins (DGOS), est de rendre ces parcours opérationnels et concrets. L'objectif est d'éviter des interventions trop tardives qui sont plus coûteuses et impactent négativement la qualité de vie des patients. La pertinence des actes et des parcours est donc cruciale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur les facteurs de blocage à la mise en oeuvre de vos recommandations ?
M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint en charge des opérations de l'ANSM. - Nous travaillons beaucoup sur le bon usage des médicaments, notamment, en lien avec la HAS, avec les tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) de l'angine. Les pharmaciens peuvent désormais réaliser ces tests et prescrire des antibiotiques lorsque l'origine de l'angine est bactérienne. L'introduction de ces TROD a amélioré le bon usage des antibiotiques, contribuant ainsi à la lutte contre les résistances. L'utilisation de ces TROD a permis aux pharmaciens de prescrire un antibiotique dans environ 25 % des cas. On constate ainsi une réduction de la consommation des antibiotiques par le bon usage. C'est une pratique porteuse d'avenir qu'il faudrait davantage développer.
M. Lionel Collet. - Vous nous
interrogez sur la manière d'accroître l'impact de nos
recommandations. Nous travaillons sur ce sujet plus de deux ans. Si l'on
considère la question d'un point de vue global, deux pistes principales
se dessinent. La première consiste à s'assurer que nos
recommandations sont véritablement intégrées dans le
contenu de la formation des professionnels, notamment la formation continue.
C'est pourquoi la proposition de la HAS sur le développement
professionnel continu (DPC) nous paraît intéressante : il
s'agit de s'assurer que les actions de DPC sont en phase avec nos
recommandations. Cela inclut également la labellisation que vous a
présentée Monsieur Lessi, car lorsqu'une société
savante d'une spécialité élabore la recommandation avec la
HAS, elle a un impact beaucoup plus rapide chez les spécialistes
concernés, qui reconnaissent l'autorité de cette
société savante. La deuxième piste, plus complexe et
politiquement sensible, est celle de l'opposabilité de tout ou partie de
nos recommandations pour les prises en charge, pendant une période qui
pourrait être limitée dans le temps. Nous pourrions
considérer qu'il existe en France,
dans certains domaines, trop
d'hétérogénéité de prise en charge par
rapport à ce que nous proposons. Dans ce cas, il faudrait
peut-être envisager de rendre opposables certains types de prises en
charge.
M. Jean Lessi. - Il existe une troisième piste, en plus de l'appropriation de la labellisation et de l'opposabilité : il s'agit d'intégrer davantage nos recommandations dans les outils numériques du quotidien des professionnels de santé. Nous y travaillons, notamment avec la CNAM, pour faire en sorte que les logiciels professionnels, d'aide à la prescription et à la dispensation pour les pharmacies, soient actualisés et tiennent compte des règles de pertinence, de bon usage du médicament, et des alertes de sécurité.
Historiquement, la France a été assez volontariste en exigeant, dans les années 2010, une certification obligatoire de ces logiciels avant leur mise sur le marché. Cependant, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que cette obligation de certification sous l'égide de la HAS avant la mise sur le marché était contraire au droit de l'Union. Aujourd'hui, si nous voulons que ces logiciels intègrent certaines règles de bonnes pratiques, nous ne pouvons passer que par des incitatifs. Revenir à des outils plus volontaristes nécessiterait un débat important au niveau européen, puisqu'il faudrait modifier le droit de l'Union européenne. C'est un débat à moyen ou long terme, mais il est vrai que tout ce que nous pourrons faire pour que ces outils, que le professionnel utilise dans son cabinet, intègrent immédiatement les règles de bonne prescription et de bon usage, aura un effet sur les pratiques de prescription.
Les professionnels sont très demandeurs de ces outils. Nous avons travaillé sur des référentiels concernant la prescription des antibiotiques pour aider le professionnel à déterminer dans quels cas, selon les caractéristiques du patient, il faut ou non prescrire des antibiotiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Êtes-vous acteurs de la grande cause nationale de santé mentale ? Comment est-elle coordonnée entre les acteurs de l'écosystème santé ? Ne risque-t-on pas de créer un nouvel objet ?
M. Lionel Collet. - Avant que le Premier ministre Michel Barnier n'annonce la grande cause nationale, nous avions déjà défini pour notre prochain projet stratégique, qui a débuté au 1er janvier 2024, trois thématiques, dont la thématique santé mentale et psychiatrie.
Nous élaborons des recommandations de bonnes pratiques. Or, dans le domaine de la psychiatrie lourde, notamment la schizophrénie, il existe peu ou pas de recommandations françaises de bonnes pratiques. Ce sont principalement des recommandations internationales. On pourrait se demander quelle est la différence, puisque le patient est le même. En réalité, cela change fondamentalement, car les professionnels de santé ne sont pas les mêmes. Un psychologue en Angleterre et un psychologue en France n'ont pas du tout la même formation : très scientifique d'un côté, beaucoup plus axée sur les sciences humaines et sociales de l'autre. De plus, nous sommes dans un pays où la psychiatrie est sectorisée depuis les années soixante, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Ainsi, si nous voulons travailler sur le parcours de prise en charge de certaines pathologies mentales lourdes, ces recommandations doivent être spécifiques à notre pays. Nous avons donc décidé de travailler sur ces sujets et avons constitué un comité santé mentale et psychiatrie. Nous apprenons et nous nous réjouissons sincèrement que cela devienne une grande cause nationale. Bien que nous ne soyons pas directement impliqués dans la grande cause nationale, nous connaissons les acteurs et nous nous articulons avec eux. Enfin, nos productions serviront à la grande cause nationale.
M. Alexandre de La Volpilière. - L'ANSM, sous la coordination du ministère de la Santé, décline la grande cause nationale avec les professionnels de santé, notamment avec sa campagne sur le bon usage qui sera lancée le 8 avril aux niveaux national et régional. Elle sera consacrée à la lutte contre le mésusage, notamment des benzodiazépines utilisées dans le traitement de l'anxiété et de l'insomnie. Nous avons construit cette campagne avec les professionnels de santé et les patients. Nous observons une augmentation de la consommation des benzodiazépines contre l'anxiété chez les jeunes, notamment en post-Covid. Nous notons également une augmentation de la consommation de cette classe de médicaments chez les personnes de plus de 65 ans, notamment dans le traitement de l'insomnie. Nous avons choisi de centraliser nos messages à destination du grand public pour rechercher des solutions alternatives, garder ces traitements uniquement pour des durées courtes et penser, dès la prescription, à l'arrêter très rapidement. Ces messages seront diffusés lors de la prochaine campagne en ciblant à la fois le grand public et les professionnels de santé. Cela vise aussi à réduire cette consommation et améliorer le bon usage des médicaments dans le secteur de la santé mentale.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à cet échange et de nous avoir aidés à appréhender le secteur de la santé.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Sylvain Waserman, président et Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée de l'Agence de la transition écologique (Ademe)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. Sylvain Waserman, président, Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée, et M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Cette réunion s'inscrit dans le cycle d'auditions que nous consacrons cette semaine à des agences actives dans le secteur de l'environnement et de l'agriculture : nous recevrons en effet l'Office français de la biodiversité (OFB) à 15 h 30, les agences de l'eau à 17 h, puis jeudi après-midi, FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement (ASP) et les syndicats agricoles.
L'Ademe est un établissement public industriel et commercial (EPIC), créé en 1990. Son domaine d'intervention comprend - la liste est longue : la prévention de la pollution de l'air, de la production de déchets et de la pollution des sols ; le réaménagement des installations de stockage de déchets ultimes ; la réalisation d'économies d'énergie et de matières premières ; le développement des énergies renouvelables et des technologies propres ; la lutte contre les nuisances sonores. Deux missions ont été ajoutées en 2019 : la lutte contre le réchauffement climatique et l'adaptation au changement climatique. Enfin, depuis 2023, l'Ademe est chargée du suivi statistique des installations agrivoltaïques.
Compte tenu de la diversité de ces missions, parvenez-vous à les mener toutes de front ? Sur lesquelles mettez-vous l'accent, soit de votre propre initiative, soit à la demande de vos autorités de tutelle ?
Le nom même de l'agence présente un intérêt pour nos travaux : alors que le code de l'environnement définit l'Ademe comme l'« Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie », vous utilisez depuis quelques années l'appellation d'« Agence de la transition écologique » ; que signifie ce changement de nom ? Qui l'a décidé et reflète-t-il l'évolution de vos missions légales ou des activités que vous conduisez en pratique ?
L'Ademe, comme l'OFB que nous verrons tout à
l'heure, a souvent été citée ces derniers mois, avec
parfois des batailles de chiffres, et il faut bien reconnaître qu'il
n'est pas très facile de savoir exactement de quoi l'on parle. Vous
écriviez dans une lettre ouverte, le 21 février dernier, que
l'État a confié 3,4 milliards d'euros à l'Ademe
en 2024. Or les comptes approuvés par votre conseil
d'administration le 6 mars dernier font état d'un montant de
recettes
de l'ordre de 1 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent
environ 950 millions d'euros au titre de divers dispositifs
gérés pour compte de tiers tels que France 2030.
Il serait donc utile, afin que nos échanges puissent s'établir sur de bons fondements, que vous clarifiiez ce qu'est le « budget » de l'Ademe, c'est-à-dire le montant total des fonds passant par l'Agence en 2024 et en 2025 à un titre ou à un autre, en décomposant selon que ces fonds sont versés à des tiers - bénéficiaires d'aides ou autres dépenses - ou au fonctionnement interne de l'Agence. Enfin, vous préciserez dans quelle mesure le versement de ces aides nécessite un travail important d'instruction, d'étude ou de contrôle de la part de vos services, car c'est cela qui peut justifier les frais de fonctionnement ou de personnel.
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie enfin d'indiquer, le cas échéant, vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Waserman, Mme Patricia Blanc et M. Baptiste Perrissin-Fabert prêtent serment.
M. Sylvain Waserman, président de l'Agence de la transition écologique (Ademe). - Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée d'apporter notre contribution au débat. Je le ferai en rappelant quatre éléments et en formulant quatre propositions, à l'aune des travaux que vous avez engagés et des réflexions en cours.
Je commencerai par le budget : fixé à 3,4 milliards d'euros, il est celui que l'État nous demande d'opérer pour son compte.
Selon la segmentation, une partie de ce budget, qui s'élève à 1,683 milliards d'euros, est dite « pour compte de tiers ». Par exemple, dans le cadre de France 2030, nous opérons le budget de transition écologique. Nos ingénieurs instruisent les dossiers, les classent et les analysent ; la contractualisation est réalisée avec l'Ademe, mais la décision est prise par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) ou par le Premier ministre. Pour autant, cela reste un contrat entre l'Ademe et le bénéficiaire pour opérer la décision qui est prise par un tiers.
Quant au budget « incitatif », c'est celui qui est voté par l'Agence en conseil d'administration. En 2024, il était de 1,373 milliards d'euros, dédiés essentiellement au fonds Chaleur - 820 millions d'euros -, au fonds Économie circulaire - 300 millions d'euros - et à l'ensemble des frais de fonctionnement, des coûts des ressources humaines et des autres activités. À cela s'ajoutent quelques budgets que nous opérons, dont certains volets du Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « Fonds vert », ressources externes ou éléments des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP).
La gestion est complexe pour nous, car à chaque système correspond un processus spécifique de décision. Toutefois, cette complexité n'affecte pas le bénéficiaire, dans la mesure où son interlocuteur reste l'Ademe, qui contractualise le versement de l'aide.
Puisque M. le président l'a évoqué, j'attire votre attention sur le fait que chaque aide de l'État nous impose deux missions.
La première mission vise à garantir la bonne utilisation de l'argent public, ce qui inclut pour chaque dossier l'évaluation, par nos ingénieurs, de l'« efficacité carbone » de l'euro investi - la décarbonation des entreprises fait partie des grandes masses financières. Grosso modo, il s'agit de chiffrer, pour chaque million d'euros d'argent public, les économies réalisées en tonnes de carbone. Cette analyse permet de fonder la décision que prendra le SGPI ou le Premier ministre pour ce qui concerne France 2030. Ensuite, la phase de contractualisation, mêlant des juristes et des ingénieurs, ne se réduit pas à un simple virement. Le contrat s'étale dans le temps, donne lieu à des jalons de versement et fixe des critères techniques à atteindre pour prétendre à d'autres financements. Toute cette ingénierie est l'une des responsabilités de l'Ademe.
La seconde mission consiste à travailler avec les porteurs de projets pour enrichir ces projets quand le cadre juridique le permet. Par exemple, dans les réseaux de chaleur, nous sommes aux côtés des collectivités pour les aider dans leur réflexion et dans la mise en oeuvre des priorités, notamment dans le choix des énergies renouvelables utilisées.
Le deuxième point est la structure territoriale que nous utilisons à l'Ademe et les évolutions intervenues depuis l'an dernier. Depuis la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », le préfet de région est le délégué territorial de l'Ademe. En conséquence, nos directeurs régionaux assistent presque partout au comité de l'administration régionale (CAR), et à tout le moins à des points réguliers avec le préfet de région. De plus, ils sont évalués par lui et ne sont recrutés qu'avec son accord - à l'issue d'un entretien. Enfin, le contreseing du préfet de région doit être apposé sur les engagements territoriaux auprès des collectivités.
En prenant mes fonctions, j'avais été choqué de constater qu'un préfet de département pouvait découvrir, lors d'un échange avec un président de communauté de communes, que l'Ademe - donc l'État - était en train de travailler avec elle sur tel ou tel dispositif. Cette situation a été résolue au milieu de l'année 2024, puisque nous avons mis en place un reporting trimestriel - non pas des décisions prises, mais de tous les projets en cours - à destination du préfet de département. Ce dernier dispose désormais d'un droit de regard sur les engagements et les projets de l'Agence avec les acteurs de son département.
Troisième point : la notion d'expertise et à la façon dont nous gérons celle-ci. Sur cette question aussi, de profondes modifications sont intervenues en 2024. Je suis accompagné de deux directeurs généraux délégués : Patricia Blanc traite plus spécifiquement de la généralisation et de l'accélération de la transition écologique, tandis que Baptiste Perrissin-Fabert est chargé de l'expertise. Le choix, opéré avec le ministre de tutelle, d'un poste dédié sur l'expertise visait à apporter des améliorations, non pas tant dans les compétences elles-mêmes, que dans l'articulation et l'engineering du processus. Par exemple, nous avons mis en place un système de gestion des connaissances appelé Gecko, pour avoir une traçabilité de l'ensemble de nos études, analyses et avis, et ce de leur genèse à leur publication.
Nous avons aussi procédé à un reengineering du processus en segmentant nos différents types d'études - à côté de celles qui relèvent du quotidien, il existe des études phares ou stratégiques - et, surtout, en les planifiant pour donner au ministère une visibilité complète de toutes les études qui ont été lancées ou qui sont sur le point d'être conclues en 2025. Cette planification garantit un meilleur arbitrage entre les différentes sources de production d'études, qu'il s'agisse du Commissariat général au développement durable (CGDD), d'une direction, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de l'Ademe ou d'un autre opérateur. Ce rôle de pilotage pourra être exercé réellement, ce qui n'était pas complètement le cas auparavant. En dépit des commandes du ministère, certaines études pouvaient rester longtemps sous le radar...
Enfin, je soulignerai l'importance de la structuration de notre activité pour nos élus. En ma qualité de maire d'un village et président de communauté de communes, j'ai piloté des projets et mis en place la redevance incitative. Mais c'est lorsque je suis arrivé à l'Ademe, à Angers, que j'ai pris conscience de tout ce que ces informations auraient pu m'apporter. Nous avons donc cherché les moyens d'ouvrir notre expertise au maximum. À cette fin, sous l'impulsion des deux ministres de l'époque, Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher, nous avons lancé le réseau « Élus pour agir », qui réunit 3 600 élus lors de sessions et de webinaires, en vue du partage des clefs de décryptage de la transition écologique, concernant notamment la façon dont les problèmes peuvent se matérialiser sur le territoire.
En réponse à vos réflexions, je formulerai quatre propositions concrètes.
La première concerne le pilotage ministériel. La ministre de la transition écologique anime une revue des missions. De plus, dans le cadre de l'expertise, nous avons la possibilité d'assurer pleinement la transparence et la planification de nos études. S'agissant de la rationalisation des expertises, je milite pour que les ingénieurs - qu'ils travaillent au Cerema, à l'Ademe ou ailleurs - utilisent une seule méthodologie par thématique dans la sphère étatique. Il ressort des échanges de la « revue des missions » que le ministère peut désormais être garant du référentiel des méthodologies, avec toutes les conséquences qui en résultent : par exemple, l'opérateur chargé de cette méthodologie ouvrira sa gouvernance aux autres. Quoi qu'il en soit, cela évitera des redondances et des confusions. Grâce à ces nouveautés, nous sommes aujourd'hui en mesure d'aller un cran plus loin dans la finesse de ce pilotage.
La deuxième proposition s'inspire du modèle - à mon sens satisfaisant - de la loi 3DS, qui a fait du préfet de région le délégué territorial de l'Ademe. Nous pourrions projeter le modèle vers une logique où le préfet de région serait en quelque sorte la tour de contrôle de tous les opérateurs de la transition écologique sur sa région. Et si le préfet de département disposait, comme nous l'avons mis en oeuvre, d'un reporting trimestriel et, à terme, d'un système d'information en temps réel de l'ensemble des travaux en cours sur son département, ce serait l'arbitrage le plus puissant ! Nous ne sommes pas très loin de cette visibilité au niveau du département : c'est en progressant sur ce modèle territorial que nous pourrons l'atteindre.
La troisième proposition consiste à ce que nous allions un cran plus loin dans la mutualisation des systèmes d'information (SI). Pourquoi ? Parce que les budgets sont importants pour chaque opérateur et qu'il existe à mon sens certains SI de référence. À l'Ademe, nous utilisons par exemple le SI Opale pour instruire les aides. Vu de Bercy, c'est-à-dire de très loin, notre productivité - autrement dit, le ratio entre le montant du budget confié par l'État et le nombre d'équivalents temps plein (ETP) - a augmenté de 155 % en quatre ans. Cela s'explique par trois facteurs : un très bon SI piloté par mes prédécesseurs ; un reengineering de processus mené à bien en 2024 ; enfin, une forte charge opérationnelle.
Je vous suggère également de poser une règle décisionnelle assez claire : on ne lance pas une refonte des SI sans avoir vérifié au préalable la pertinence des systèmes existants. Un tiers arbitre pourrait en juger, étant précisé que les montants en jeu sont importants. Cela se justifie surtout pour les opérateurs dont ce n'est pas le coeur de métier.
L'exemple le plus typique est celui de l'intelligence artificielle (IA), pour lequel tout reste à faire. Avec le Cerema, nous avons décidé d'engager une réflexion à ce sujet et de l'étendre ensuite à l'ensemble des opérateurs qui le souhaitent. Nous travaillons main dans la main pour lancer une IA de confiance sur la transition écologique, qui se nourrisse uniquement d'éléments et de rapports scientifiques tels que ceux de l'Ademe, du Cerema, etc.
Ma quatrième proposition a trait à la communication de l'État sur la transition écologique. Eu égard à la multiplicité d'acteurs, on pourrait imaginer une bannière commune à l'instar de France services dans les collectivités, par exemple. Cela permettrait de réaffirmer, comme je le fais systématiquement dans mes discours, qu'il s'agit bien de l'argent de l'État, et non de celui de l'Ademe.
Pour conclure, nos débats revêtent trois dimensions différentes.
Premièrement, est-il pertinent que l'État investisse 3,4 milliards d'euros, via l'Ademe, sur la transition écologique ? Les entreprises ont plus que jamais besoin de lui pour leur décarbonation, qui n'est pas rentable à court terme. Si elles continuent à agir, ce n'est pas pour faire plaisir à un ministre, à une politique ou pour correspondre à leur propre vision de ce que devrait être le climat en 2050 ; c'est pour répondre à un enjeu qu'elles considèrent comme stratégique.
La situation est la même pour les collectivités territoriales. À ce propos, je voudrais remercier le Sénat de son volontarisme sur le fonds Chaleur, qui - sous l'impulsion d'Agnès Pannier-Runacher - a été préservé à hauteur de 800 millions d'euros. Au total, l'État a investi dans cet outil extrêmement important 4,3 milliards d'euros, qui représentent de 1 milliard à 4 milliards d'euros d'économies sur les importations - en fonction de l'évolution du prix du gaz. Cet investissement est positif, car il améliore chaque année le déficit de la balance commerciale et favorise notre souveraineté.
Deuxièmement, l'Ademe fait-elle bien son travail ? L'an dernier, l'Inspection générale des finances (IGF) a réalisé un audit complet sur quatre sites de l'Ademe. Durant quatre mois, chacune de nos dépenses a été scrutée. L'IGF a conclu que l'Ademe était globalement bien gérée - en valeur absolue, le coût moyen par ETP est resté stable au cours des trois ou quatre dernières années. Elle a même recommandé, pour la première fois à ma connaissance dans un rapport de l'IGF, l'augmentation des effectifs de l'Agence. Enfin, elle a suggéré des axes d'amélioration, notamment pour l'efficacité des réseaux ou la structuration de nos achats. Nous suivons ces points avec le conseil d'administration.
Troisièmement, y a-t-il d'autres modèles
possibles ? Bien sûr. Autre question sous-jacente :
à quoi servent un opérateur et un modèle
d'opérateur ? Ce qui caractérise un opérateur, c'est
le fait d'avoir un objectif, un contrat d'objectifs et de performance (COP) et
des indicateurs de résultats. Lors des dix dernières
années, quatre audits de fond et 76 autres
types
d'audits ont été réalisés,
notamment par l'IGF et la Cour des comptes. Ces contrôles sont
légitimes, mais cette focalisation sur un objectif précis nous
permet d'évaluer la stratégie et le pilotage d'une politique
publique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Mes premières questions portent sur le fonctionnement de l'Ademe en tant que tel.
Comment justifiez-vous son statut d'EPIC, alors que, sur un budget légèrement supérieur à 1 milliard d'euros - hors opérations pour compte de tiers -, seulement 44,2 millions d'euros sont des fonds propres ?
Comme l'a rappelé le président, le périmètre de l'Ademe s'étend aux nuisances sonores. Pourquoi l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) exerce-t-elle un contrôle à côté et non à l'intérieur de l'Ademe ?
La plupart des agents de l'Ademe travaillent dans les trois sites dédiés aux services centraux. Dans ce cas, que coordonne vraiment le préfet en sa qualité de délégué territorial ? Pour quelle raison reçoit-il en entretien le chef de l'antenne régionale ?
Le réseau « Élus pour agir » s'apparente-t-il à celui du Cerema ? L'adhésion des collectivités leur confère-t-elle la priorité pour certaines interventions ?
M. Sylvain Waserman. - L'ensemble de nos missions nous est conféré par la loi : un texte fondateur et 40 morceaux de textes de loi précisent notre rôle, parfois via des circulaires. Nous n'inventons pas nos responsabilités. Nous mettons en oeuvre ce que le Parlement décide et tâchons de répondre aux exigences que fixe la loi.
Le statut d'EPIC nous donne de la flexibilité : par exemple, nous avons pu créer une filiale sur des méthodologies qui s'adressent aux entreprises, permettant de facturer des formations. Cette méthodologie, très particulière, permet d'évaluer les plans de décarbonation et a été reconnue par la Banque de France, avec laquelle nous avons signé une convention, la Banque de France estimant qu'il s'agissait de la meilleure méthodologie existante. Avec le Mouvement des entreprises de France (Medef), le Club ETI (entreprises de taille intermédiaire) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), nous organisons un tour de France entre mai et octobre pour montrer que cette méthodologie est à disposition des entreprises.
Nous portons alors le message suivant : tout chef d'entreprise présente des matrices de risques à ses actionnaires, tout chef d'entreprise se pose la question stratégique de savoir jusqu'où décarboner. Si le chef d'entreprise fait le choix de la décarbonation, notre thèse est qu'il peut en faire un avantage concurrentiel. La loi impose aux marchés publics d'avoir en 2026 des clauses environnementales obligatoires. Les collectivités devront comparer les candidatures en fonction d'éléments tangibles ; cette méthodologie ACT Adaptation permet de se distinguer. En accord avec notre tutelle nous avons monté une filiale. En effet, lors de ma prise de fonctions, étant donné les plafonds d'emploi, le temps d'attente pour bénéficier de la méthodologie était de six mois. Ainsi, nous avons pu gagner en flexibilité, pour pouvoir facturer aux entreprises - à un coût très faible d'ailleurs - et ainsi recouvrer nos coûts.
Cela étant dit, d'autres statuts seraient possibles ; celui-ci a été fixé par la loi, il ne nous pose pas de problème opérationnel.
Les directions régionales comptent 225 agents : ce n'est pas du tout de la figuration ni du passe-plat ! Ainsi, nous avons beaucoup d'expertise et de proximité. Chaque préfet de département a un interlocuteur dans les directions régionales, tout comme les élus. Cette proximité est la valeur ajoutée de notre modèle. Nous avons évidemment des équipes en central, car l'État opère des programmes en central, comme le programme national France 2030. Dans ce cas, que les dossiers soient dans le Limousin, dans le Gers où à Brest, nous étudions les dossiers en centrale
L'articulation des logiques territoriales entre le siège et les directions régionales, de manière ascendante et descendante, est essentielle et fait la force de l'Ademe. Il existe une logique descendante : grands accords internationaux, politiques européennes, une stratégie nationale bas-carbone (SNBC), politique pluriannuelle de l'énergie (PPE), contrat d'objectifs et de performance territoriaux. Mais il existe aussi une logique ascendante, grâce à une fantastique innovation présente dans nos territoires. J'ai fait 72 déplacements depuis le début de ma présidence : nos territoires ont une force et une vitalité réelles. Notre rôle est aussi de faire de l'essaimage : par exemple, nous avons repéré des méthodologies très intéressantes de réseaux de chaleur en Île-de-France, qui sont devenues ensuite des méthodologies nationales. Notre rôle est aussi de voir quelle innovation pourrait bénéficier à tous. Ce rôle d'essaimage part bien de la réalité du terrain.
Notre expertise se nourrit énormément de ces remontées du terrain. Il n'y a pas une seule méthodologie qui soit faite en chambre. Ainsi, un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur deux a adopté notre méthodologie Trajectoire d'adaptation au changement climatique des territoires (TACTT), méthodologie de référence pour les collectivités territoriales, alors qu'il n'existe aucune obligation ni aucune conditionnalité pour obtenir une subvention. Cette méthodologie s'est nourrie de notre expérience terrain.
Je constate que l'articulation entre les équipes centrales et régionales est notre force. Couper ce lien très fort entre le siège et les régions serait une erreur.
Pour un projet de pyrogazéification, un projet de géothermie profonde qui demande de savoir s'il y a du lithium - cela rend éligible au fonds de garantie -, seuls quelques experts nationaux maîtrisent les sujets ; or ils sont présents soit en région, soit au siège. L'imbrication de notre expertise se nourrit de notre expérience terrain.
Le réseau « Élus pour agir » concerne tout type d'élus, et uniquement des élus. Nous agissons toujours en trois temps. Nous expliquons comment les grandes problématiques se traduisent concrètement dans la vie des territoires - je pense aux canicules, aux rénovations d'écoles - ; nous organisons des partages d'expériences entre élus, où les échanges sont très libres et où ils parlent de leurs difficultés et de leurs réussites en tant qu'élus ; enfin, nous portons à leur connaissance les outils existants et les financements de l'État à disposition, de manière très ouverte, et avec les autres opérateurs avec lesquels nous travaillons fréquemment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous détailler la doctrine d'intervention de votre filiale Ademe Développement. Comme décide-t-elle où investir ? Vérifiez-vous que les projets dans lesquels elle investit relèvent bien du champ de compétence de l'Ademe ?
Comment sont réalisées vos études ? Sont-elles toutes réalisées en interne, faites-vous appel à des prestataires extérieurs, avez-vous des conventions de partenariats avec d'autres opérateurs ou agences de l'État ? Comment s'organisent la sous-traitance ou la cotraitance avec le Cerema ? Pourquoi l'entité publique ne demanderait-elle pas directement au Cerema, plutôt que de passer par l'Ademe ?
Quelles méthodes déployez-vous pour mesurer l'efficacité de l'argent public investi ? Avez-vous des équipes d'économistes ? Comment évaluez-vous le retour sur investissement ?
M. Sylvain Waserman. - Concernant Ademe Développement, depuis un an et demi nous n'avons pris aucune participation. Nous avons une stratégie claire pour gérer les actifs : ne plus utiliser ce véhicule, tout en honorant les engagements pris précédemment. Nous gérons l'extinction.
Il faut distinguer cette entité de l'entité Ademe Investissement, car il y a parfois une confusion dans le débat public : Ademe Investissement ne fait qu'opérer les décisions prises par l'État, nous n'avons pas de droit de vote. La logique est la suivante : investir en fonds propres dans des entreprises qui, si elles réussissent en passant à l'échelle, pourraient avoir un impact significatif. Les cinq personnes décisionnaires sont cinq représentants de différentes directions de l'État, nous ne faisons qu'opérer pour son compte. L'Ademe n'a aucun pouvoir de décision.
Concernant la sous-traitance sur les études, l'Ademe produit 600 publications par an, principalement des retours d'expérience. Un cas d'école : via France 2030, nous accompagnons telle ou telle entreprise dont le cas nous semble intéressant ; nous publions alors un retour d'expérience, par transparence et pour capitaliser sur cette connaissance. Telle est la gestion courante de notre base de connaissances fondée sur nos retours d'expérience, qui sont d'ailleurs publics.
Nous publions 70 avis par an. Chaque avis propose un point à 360 degrés de l'état de la connaissance sur un sujet. Nous ne créons pas de connaissance, mais nous consolidons l'état existant du savoir sur un thème donné, par exemple sur la biomasse et son utilisation ou sur le stockage de l'électricité.
Enfin, nous menons des études, parfois très longues, par exemple sur le cycle de vie du véhicule électrique, ou encore sur les pompes à chaleur (PAC). Ainsi, nous avons observé en conditions réelles 100 domiciles disposant de PAC, instrumentés avec des outils de mesure, pendant deux ans pour avoir deux périodes de chauffe, selon une méthodologie extrêmement solide, au-dessus de tout soupçon. Il n'existe pas de référentiel sur les PAC ; il nous semblait important de proposer cette réflexion au débat public et que le ministère puisse savoir ce qu'il en est des performances des PAC. Ces études sont de long terme.
Sur l'analyse du cycle de vie, notre expert est celui qui travaille sur la modélisation du réseau électrique. Nous travaillons avec Réseau de transport d'électricité (RTE), mais RTE n'est pas prestataire. Modéliser le réseau électrique en fonction de l'augmentation du parc de véhicules fait partie du cycle de vie.
Comme en informatique, où il existe une maîtrise d'ouvrage, soit nous faisons les études en propre, soit nous sous-traitons, ce pour deux raisons : disposer d'une expertise de pointe, ou bien accélérer le rythme des études.
C'est le cas pour les plans de transition sectoriels : ces études massives permettent de déterminer comment les filières de l'acier, du ciment ou du papier pourront se décarboner. Nous avons travaillé avec l'ensemble des entreprises et des parties prenantes. Nous avons réalisé les six premières études avec nos ressources internes. Nous avons constaté que décarboner une entreprise n'est pas la même chose que décarboner un secteur. Par exemple, l'implantation géographique sur le captage de CO2 compte dans l'efficacité économique du modèle. Nous avons sous-traité deux de ces études en parallèle pour pouvoir les reproduire sur deux autres segments, en reprenant nos méthodologies.
L'utilisation de la sous-traitance est due à des raisons liées à l'expertise ou plus anecdotiquement à des raisons de charge. Notre mission reste d'assurer la maîtrise d'ouvrage et donc de capitaliser sur la connaissance produite. Bref, nous réalisons une partie de nos études en interne, une autre partie est sous-traitée.
Concernant le Cerema, je veux expliquer ce que j'ai fait, lors de ma prise de fonctions, avec Pascal Berteaud, directeur général du Cerema, avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et avec la Banque des territoires. Lors de mes auditions pour la présidence de l'Ademe, les parlementaires m'ont dit à trois reprises qu'il y avait des zones de recoupement. Nous avons donc écrit, nous, les quatre responsables des quatre entités, la même lettre à tous nos directeurs régionaux, pour qu'ils évaluent ces zones de recoupement et examinent si nous répondons correctement aux demandes d'ingénierie des collectivités.
Nous avons constaté plus de zones de recoupement avec le Cerema qu'avec les autres agences. Nous avons entamé - une première - des comités exécutifs communs avec le Cerema, notamment pour faire avancer la thèse suivante : une seule méthodologie dans la sphère de l'État. Ainsi, nous avons fait le premier pas en abandonnant notre méthodologie sur la nature en ville au profit de celle du Cerema, qui s'appelle Sésame et qui était meilleure que la nôtre ; le Cerema a fait le deuxième pas en reprenant notre méthodologie TACCT ; nous avons lancé une troisième étape sur les friches et une quatrième étape, en cours, sur les mobilités douces. Cela permettra au ministère d'avoir un référentiel partagé de méthodologies dans la sphère de l'État, et ainsi d'éviter les redondances.
Vis-à-vis des collectivités territoriales, qui représentent 30 % de notre activité, nous ne faisons pas le même métier : le Cerema vend des prestations, l'Ademe opère des subventions pour le compte de l'État. Notre base d'expertise est commune, dans des domaines disjoints ou qui présentent des recoupements, et que nous sommes en train d'évaluer grâce à nos comités exécutifs communs.
En matière d'efficacité de l'argent public investi, nous avons des équipes spécialisées dans l'évaluation des politiques publiques. Ainsi, nous pouvons produire les chiffres très solides que je vous ai cités, par exemple sur le fonds Chaleur. Ainsi, chaque dossier que nous gérons est efficace et nous pouvons, dans nos comités de pilotage, suivre l'impact en matière d'efficacité carbone de l'euro investi. Oui, nous disposons de ces compétences, qui sont intimement liées à l'analyse financière et à l'analyse technique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourriez-vous, dans vos réponses écrites, nous préciser la part de vos études qui est externalisée ? Vous avez répondu sans nous donner le chiffre.
Concernant la mise en place des politiques publiques, l'idée n'est pas tant de mesurer l'impact de la tonne de CO2 investie que de vérifier que la tonne de CO2 investie via cet outil coûte moins cher que la tonne de CO2 investie via un autre outil. Dès lors, jugez-vous pertinent d'avoir attribué 1,8 milliard d'euros à ArcelorMittal, dans le cadre de Territoires d'industrie ? Aurions-nous pu investir autrement, de manière plus efficace ?
Des dispositifs reposent uniquement sur des subventions, alors que les technologies sont déjà assez matures ; ces dernières pourraient très bien se développer avec des avances remboursables ou des prêts, logique initiale des programmes d'investissements d'avenir (PIA). En effet, certaines technologies seront bien rentables sur le long terme. L'État pourrait, en attendant qu'elles atteignent cette rentabilité, agir comme prêteur, avec des taux très bas, pour faciliter la mise en oeuvre des projets. L'État n'est pas obligé de donner de l'argent à fonds perdu. Qu'en pensez-vous ?
Certains fonds ne pourraient-ils pas être complètement délégués à des collectivités, aux régions notamment, pour éviter les doublons ? Vous avez en effet insisté sur la manière dont vous travaillez avec les acteurs locaux.
M. Pierre Barros, président. - Le Sénat mène actuellement une autre commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises. Mme le rapporteur questionne la pertinence des aides publiques de l'État qui passent par des opérateurs. L'opérateur devrait fournir une analyse qualitative, mesurer le rendement et assurer l'évaluation de l'efficacité de ces aides.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne manque-t-il pas un signal-prix ? Les filières, grâce à ce signal-prix, pourraient d'elles-mêmes examiner comment diminuer leur empreinte carbone pour ne plus payer d'amende.
Aujourd'hui, une entité publique se retrouve à devoir réaliser des études et fournir un service qui pourrait être payé par le secteur privé s'il existait une véritable incitation. Partagez-vous cette analyse ?
M. Sylvain Waserman. - Nos listes de KPI, ou indicateurs clés de performance, incluent l'impact de l'action sur les projets terminés, les tonnes de carbone évitées, l'efficacité de l'euro dépensé au regard des émissions de CO2, des données sur les déchets détournés du stockage, avec des tendanciels pour toutes les années, pour chaque dossier, le tout en open data.
Concernant le groupe ArcelorMittal, l'aide est de 850 millions d'euros, pour un projet de 1,7 milliard d'euros. La direction générale des entreprises (DGE) a piloté les négociations, et je pense que l'État a raison d'accompagner ArcelorMittal dans sa décarbonation. L'acier est produit au charbon. Des pays comme la Suède ont une stratégie de totale décarbonation de leur acier. Des salariés sont inquiets, car ArcelorMittal a demandé de repousser de huit mois la décision définitive d'acceptation de la subvention de l'État. Les entreprises ne guettent pas les subventions de l'État, ArcelorMittal n'est pas sûr d'accepter.
M. Pierre Barros, président. - Oui, car ils ne sont pas sûrs de rester !
M. Sylvain Waserman. - En effet, c'est la raison pour laquelle l'inquiétude est légitime. Pourquoi ? Parce que se décarboner est un signe de pérennité de l'entreprise. Une entreprise qui veut être pérenne se décarbone.
Monsieur le président, vous insistez sur un point essentiel. Quand l'État intervient auprès d'une entreprise pour qu'elle se décarbone, il pérennise l'emploi. Quand l'entreprise investit de son côté 850 millions d'euros, elle est dans une logique de pérennisation. Vous avez raison : l'État doit être présent pour pérenniser les activités et protéger l'emploi. C'est une finalité très importante de l'action de l'État, au-delà de l'enjeu climatique.
Les avances remboursables constituent une piste très intéressante, nous l'examinons à la demande de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), par exemple sur les réseaux de chaleur et la récupération de la chaleur fatale de l'industrie. Cependant, récupérer la chaleur fatale est difficile : les entreprises s'interrogent sur la pérennité des entreprises qui fourniraient cette énergie. Le ministère y travaille : la création d'un fonds de garantie est à l'étude, solution qui pourrait être plus impactante qu'une simple subvention.
Sur les transferts aux régions, la loi 3DS permet un nouveau modèle de délégation, qui n'est pas de la décentralisation. C'est un travail main dans la main avec les régions volontaires : nous déléguons une partie du fonds Chaleur, pour avoir une granularité plus forte, car il ne nous est pas possible de rencontrer chacune des petites communautés de communes. Nous passons donc parfois des contrats de délégation avec des syndicats d'énergie et des régions. Les régions Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Bretagne ont fait ce choix, la dernière il y a deux semaines. Les régions bénéficient de ces fonds, mais selon des règles décidées par l'État et votées au conseil d'administration. Ces règles s'imposent au moment de la délégation : les règles sont donc transférées, notamment en matière de priorisation des énergies renouvelables - énergie fatale en premier, géothermie, solaire thermique, puis seulement biomasse, cette dernière rencontrant des tensions dans certaines régions. Il faut être très vigilant à cette hiérarchie dans les choix de ces différentes solutions.
Sur le signal-prix du carbone, restons à notre juste place. Nous ne faisons pas le prix du carbone. Notre rôle commence un peu là où la réglementation s'arrête. S'il y avait une obligation de décarbonation, l'État n'aurait pas forcément à l'accompagner financièrement. Chaque entreprise est libre de faire le choix de la récupération de la chaleur fatale. L'Ademe intervient en soutien pour enclencher une forme de bascule et rendre possible ces projets.
Le législateur peut décider ce qu'il veut en matière de signal-prix du carbone, et il existe un marché du carbone qui répond à d'autres dynamiques. L'Ademe intervient auprès de celles et de ceux, élus ou chefs d'entreprise, qui décident de mener un projet de décarbonation ou de piloter un projet d'infrastructures d'énergies renouvelables. Nous n'avons jamais rien imposé à personne. Un chef d'entreprise décide, en fonction de son intérêt stratégique, d'avancer dans la décarbonation. Notre mission est d'être aux côtés des porteurs de projet, grâce à notre expertise et avec les financements de l'État, pour qu'ils réussissent leur projet de transition écologique - pas plus, pas moins. C'est un rôle déterminant : les acteurs ont besoin d'une expertise solide et des financements de l'État pour optimiser les chances de succès de leur projet.
Mme Pauline Martin. - Je vais revenir sur l'une des questions qui vous a été posée et que vous semblez avoir habilement détournée.
J'ai bien compris que vous souhaitiez optimiser les méthodologies entre les différents opérateurs, et cela est tout à votre honneur. Toutefois, pour poser la question de manière parfaitement directe : quel serait le bien-fondé d'un regroupement entre l'Ademe, le Cerema et l'ANCT ? Certes, le Cerema fait des prestations tandis que l'Ademe opère. Mais un modèle différent reste envisageable, à en croire ce qui nous a été suggéré dans le cadre d'autres auditions. Qu'en pensez-vous ?
De plus, en tant qu'ancienne élue locale, j'aimerais savoir comment vous vous positionnez auprès des collectivités, en particulier sur les projets territoriaux à propos desquels l'Ademe et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) peuvent « se refiler la patate chaude avec délice », si je puis le dire ainsi, de sorte que les territoires y perdent en lisibilité. Est-ce qu'un guichet unique, ou en tout cas un regroupement conséquent des opérateurs, ne pourrait pas simplifier les démarches ?
M. Hervé Reynaud. - Les questions qui se posent sont légitimes dès lors qu'il s'agit d'améliorer l'efficacité de l'action publique et d'optimiser les moyens des agences. Vous avez d'ailleurs répondu assez fermement, ces derniers mois, à un certain nombre d'accusations mettant en cause l'Ademe.
Toutefois, au cours des auditions, nous avons constaté qu'il existait encore des chevauchements et que l'optimisation des moyens n'était pas parfaite, les responsables d'autres opérateurs proposant encore des regroupements, des fusions et des possibilités d'amélioration de fonctionnement.
Vous avez-vous-même été élu local et vous connaissez l'obligation d'économie de moyens qui s'impose à nous. Comment expliquez-vous les propos très durs qui ont été tenus à l'encontre de l'Ademe ? Au-delà des pistes que vous avez suggérées, que proposez-vous pour parvenir à une rationalisation des moyens ?
M. Sylvain Waserman. - La décision de créer un guichet unique est à la main des régions et certaines l'ont fait. Dès lors qu'il y a un guichet unique, il n'y a plus aucun risque de double instruction. L'État et la région peuvent avancer en parfaite harmonie, la main dans la main, car ils trouvent là une marque commune. La région Grand Est a été la première à créer un guichet unique, suivie par celle du Centre-Val-de-Loire. Encore une fois, le dispositif est entièrement à la main des régions. Elles peuvent choisir aussi bien de ne pas parler à l'État que de créer un guichet unique avec lui, au travers de l'Ademe, pour l'instruction des dossiers sur la transition écologique. C'est leur choix. En tout cas, la loi rend cela possible, et nous travaillons main dans la main avec de nombreuses régions, car ce sont des acteurs déterminants.
En tant qu'élu régional - je le suis encore -, j'ai piloté le premier schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) qui a été mis en place dans le Grand Est, et je crois que la force du modèle de coopération entre l'État et les régions sur la transition écologique est la formule gagnante.
En effet, si l'on prend l'exemple d'une entreprise qui veut se développer de façon significative dans un territoire, pour instruire son dossier, il faudra d'abord en faire une lecture technique, presque mathématique, en adoptant un point de vue d'ingénieur : la technologie que propose l'entreprise est-elle efficace ? Est-ce qu'elle vaut l'argent public que l'on peut y investir ? Mais ensuite, il faudra prendre en compte les politiques publiques de la région où se trouve l'entreprise, car il peut exister des stratégies de développement particulières, comme celles mises en oeuvre dans la vallée de la chimie ou dans la vallée de l'automobile, par exemple. Or l'Ademe ne connaît pas forcément la vision que les élus régionaux défendent et, à l'inverse, la région n'est pas experte de certains procédés techniques comme la pyrogazéification ou la géothermie profonde, pour reprendre les exemples précédents.
J'ai rencontré tous les préfets de région et quasiment tous les élus de région, à divers niveaux. Au quotidien, le travail avec les collectivités territoriales se passe très bien. Les situations peuvent être plus ou moins compliquées, mais tout se fait sous l'égide du préfet. Ainsi, à Rennes, il y a deux semaines, nous avons signé avec le préfet de région et le président de région un accord prévoyant les modalités d'une délégation de fonds. Le choix de ce modèle est à la main des régions, sous l'égide du préfet, et nous sommes à leur disposition.
Je ne vais pas du tout éluder la question qui porte sur la possibilité de fusionner les organismes. Je commencerai par rappeler que tous les modèles sont possibles et que c'est vous qui en décidez. En effet, la création de l'Ademe ou du Cerema, ainsi que les missions qui nous sont confiées, relèvent de la loi et donc de votre décision.
En réalité, en matière de fusion, tout dépend des objectifs que l'on se fixe. La contrainte budgétaire a pour conséquence qu'il est irresponsable de gaspiller l'argent public en faisant les mêmes choses, de façon redondante, à deux endroits différents. Je pense que, compte tenu des propositions qui sont faites et des avancées que nous pouvons constater, il est possible de garantir le recours à une seule méthodologie par thématique dans la sphère de l'État, de manière à ce qu'il n'y ait pas deux études similaires menées par l'Ademe, le Cerema ou le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). En effet, la ministre est en train de piloter une revue des missions exigeante, qui ne s'en tient pas à examiner les missions du point de vue de la loi, mais qui en étudie la mise en oeuvre au travers des travaux et des publications qui sont produites.
En outre, la logique que j'ai décrite s'applique aussi à d'autres opérateurs. Par exemple, nous disposions d'une méthodologie et d'un outil pour calculer l'empreinte carbone. Nous avons travaillé avec les agences de l'eau, qui oeuvrent comme nous pour les entreprises et les collectivités territoriales, en exerçant le même métier que nous, puisqu'elles leur apportent des financements, mais sur le thème connexe de l'eau. Nous avons donc étendu l'empreinte carbone à l'empreinte eau et carbone, en travaillant main dans la main avec les agences de l'eau, pour avoir la vision la plus complète possible. Or nous n'avons pour cela créé aucune redondance sur l'expertise, puisque les agences de l'eau ont gardé l'expertise de l'eau tandis que l'Ademe a conservé l'expertise de l'outil carbone étendu à l'eau.
Il en va de même pour la biodiversité. L'OFB s'est montré intéressé par notre méthodologie ACT qui traite le carbone et a suggéré de développer un module sur la biodiversité. Or nous n'avons pas pour autant créé de compétence sur la biodiversité à l'Ademe. L'OFB apporte ses compétences en la matière et nous apportons nos compétences de méthodologie aux entreprises que nous côtoyons au quotidien.
Pour en revenir spécifiquement à la thématique de la fusion, il faut tenir compte du fait qu'une fusion prend du temps et est forcément inflationniste. En effet, il existe toujours des différences entre les grilles de salaires et, pour les fusionner, la construction se fait vers le haut. Il a fallu cinq ans ou sept ans pour réussir le Cerema.
Nous devons économiser 105 millions de tonnes de carbone en cinq ans, si nous voulons atteindre les objectifs fixés pour 2030. L'Ademe dispose d'une machine opérationnelle de 3,4 milliards d'euros pour atteindre cet objectif, en tout cas pour y contribuer à sa juste place. La pression opérationnelle est lourde, car il faut des équipes qui fonctionnent pour permettre un gain de productivité de 155 %. Par conséquent, je ne veux pas que l'on perde trois ans et que l'on fasse dysfonctionner une machine qui marche bien.
Ma conviction est que, même si tous les modèles sont possibles, nous n'avons pas aujourd'hui le luxe de nous payer une fusion, d'autant que nous disposons de solutions opérantes pour optimiser l'existant.
Quelles peuvent être les redondances de moyens ? Si les méthodologies sont harmonisées et qu'elles sont bien attribuées, il n'y aura pas d'études redondantes. La semaine dernière, nous nous sommes rendus à Lyon pour travailler avec le Cerema sur la planification de nos travaux. Nous les avons tous passés en revue pour identifier d'éventuelles zones de recoupement. Par exemple, le Cerema prévoit de mener un important travail sur la façon dont les mobilités peuvent s'intégrer au cadre urbain, car cela relève de sa compétence. L'Ademe s'intéressera, quant à elle, aux sujets d'innovation portant sur les véhicules. Nous sommes en train de définir exactement ces limites.
Maintenant qu'il dispose de la liste exhaustive des études qui sont lancées, le ministère est capable d'effectuer ce type d'arbitrage et d'optimisation.
En ce qui me concerne, je crois aux modèles d'agilité et d'efficacité, à condition qu'il existe des moyens d'exercer un contrôle, à la fois au niveau de l'arbitrage territorial rendu par les préfets et dans le pilotage du ministère, puisque celui-ci peut désormais le faire grâce à la revue des missions. Il existe des solutions simples, rapides et opérantes pour éviter la fusion, car il s'agit d'un processus qui nécessitera de changer la loi et qui prendra trois ou quatre ans, alors que le délai pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé est urgent.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez parlé de la fusion, mais qu'en est-il de la réinternalisation, qui consisterait à replacer au sein du ministère les agents qui relèvent du droit public ? Considérez-vous qu'il soit impossible de l'envisager ? On éviterait ainsi d'avoir à aligner les grilles de salaires par le haut.
M. Sylvain Waserman. - Nos effectifs ne comptent que 3 % de fonctionnaires en détachement. Tous les autres agents relèvent d'un contrat de droit privé. La question n'est donc pas opérante pour l'Ademe.
Je considère d'ailleurs que ce taux est trop faible et qu'il faudrait plus de mixité dans les parcours. C'est une chance d'avoir des fonctionnaires en détachement et c'est aussi une chance d'avoir des gens qui ont travaillé en entreprise.
Notre modèle de fonctionnement en tant qu'opérateur nous apporte des possibilités de flexibilité que n'a pas l'État. C'est le cas, par exemple, quand nous cherchons à obtenir des fonds européens. Ainsi, notre méthodologie ACT n'a pas été commandée par le ministère, mais elle a abouti dans le cadre de notre réponse à l'appel à projet européen Finance ClimAct et elle est désormais reconnue par la Banque de France.
Dans la logique de l'opérateur, l'agilité est un élément essentiel. Ainsi, le 31 juillet de l'année passée, nous avons signé avec le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire une convention visant à confier à l'Ademe la gestion du renouvellement forestier. L'équipe a été constituée en deux mois, entre septembre et octobre, c'est-à-dire que nous avons recruté 23 personnes, ce qui n'aurait pas été possible sans faire preuve d'agilité. En outre, comme notre plafond d'emploi ne pouvait pas évoluer compte tenu de la rapidité de la commande - il fallait planter les arbres avant l'automne -, nous avons dû faire appel à des intérimaires pour un recrutement sur des postes d'ingénieur. Nous avons eu la chance - j'insiste sur ce mot - de trouver des jeunes ingénieurs qui ont accepté de quitter les entreprises privées où ils étaient employés en contrat à durée indéterminée, pour exercer un emploi temporaire et moins bien payé à l'Ademe, parce que c'est chez nous qu'ils trouvaient du sens à leur travail. Je leur suis très reconnaissant et, bien évidemment, quand l'État a augmenté notre plafond de ressources de 99 ETP au 1er janvier 2024, nous avons internalisé certains de ces jeunes au profil d'ingénieur. Cette souplesse est l'une des forces des opérateurs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous nous dites que l'Ademe a embauché 23 personnes sur une compétence forêt pour laquelle il existe déjà un opérateur national - l'Office national des forêts (ONF) -, ainsi que le Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour les forêts privées ! Pourquoi donc fallait-il que l'Ademe intervienne dans ce secteur avec ses propres agents ?
M. Sylvain Waserman. - Il s'agit d'agents intérimaires et nous sommes intervenus parce que l'État nous le demandait.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il y a donc un problème au niveau de la tutelle de l'État et de son organisation ?
M. Sylvain Waserman. - Rassurez-vous, ce budget n'a pas été pérennisé dans les arbitrages budgétaires et l'Ademe n'est plus chargée de sa mission de renouvellement forestier. Le problème est donc résolu.
Un serrage de ceinture évident nous contraint dans les arbitrages que nous devons rendre, de sorte que nous sommes conduits à recentrer notre activité sur notre coeur de métier. Par exemple, nous avons dû arrêter un fonds spécifique qui existait pour favoriser le tourisme durable.
En revanche, nous opérons les budgets que l'État nous demande d'opérer. Sur les poids lourds électriques, le ministère nous a demandé de conduire un appel à projets, car cela relève de notre compétence. En effet, nous savons mobiliser et construire des équipes en un temps record, de manière à ce que l'État puisse réagir sur ce genre de sujet, en quelques mois, en faisant preuve d'une vitesse et d'une agilité très fortes. Notre compétence, dans ce cadre, n'est donc pas seulement d'ingénierie, mais consiste aussi à savoir gérer un appel à projet pour le compte de l'État. C'est pour cela que l'État a fait appel à nous et nous avons répondu à cet appel avec le plus de professionnalisme et d'implication possible.
Croyez-moi, sur le sujet du renouvellement forestier, comme sur tous les autres sujets que l'État nous confie, notamment les poids lourds électriques, nous sommes soumis à une pression opérationnelle très forte et il n'y a rien de confortable. Au contraire, nous devons répondre à une exigence de résultat, parce que la politique publique nécessite que nous nous montrions extrêmement agiles, qu'il s'agisse de faire décoller l'utilisation des poids lourds électriques ou de renouveler avant l'automne les arbres de nos forêts.
Mme Ghislaine
Senée. - La question de la pertinence des
investissements est fondamentale, à un moment où les élus
sont nombreux à juger qu'il n'est pas forcément très
intéressant ni très important d'investir
dans
l'écologie et que, s'il faut sabrer dans le budget des
agences, mieux vaut viser celles qui sont chargées de l'écologie,
parce que l'écologie, « ça commence à bien
faire ! ». Je crois que c'est là le coeur du sujet.
Vous nous avez expliqué que la moitié des 3,4 milliards d'euros de votre budget est constituée de fonds que vous gérez pour le compte de l'État, de sorte que vous êtes l'interlocuteur des entreprises et des collectivités dans le cadre de dispositifs qui relèvent en réalité de l'État. Vous gérez également 1,3 milliard d'euros de budget incitatif, consacrés à des dispositifs comme le fonds Chaleur ou le fonds Économie circulaire. Vos actions concernent les entreprises à 70 %.
La question que nous nous posons est de savoir s'il ne faudrait pas fusionner l'Ademe, le Cerema et l'ANCT ou, en tout cas, reprendre leur action au niveau des ministères. Toutefois, il me semble important de distinguer, d'une part, un État et des ministères stratèges et, d'autre part, des modules très opérationnels qui mettent en place les politiques publiques.
Vous travaillez à identifier les zones de chevauchement de l'action des agences et vous avez mené un travail approfondi avec le Cerema sur ce sujet. Nous aurions besoin, dans le cadre de cette commission d'enquête, de savoir très précisément quels sont les champs de recouvrement qui existent, quelles sont les cibles sur lesquelles ils portent, c'est-à-dire quelles entreprises, ou quelles collectivités ils concernent, et quels sont les moyens de gagner en efficacité, d'optimiser l'organisation et de mieux répartir les tâches. Je suis très sensible à la question de la méthodologie et mieux vaut, en effet, simplifier les dispositifs plutôt que les multiplier.
Je suis convaincue que le Cerema donne de l'espoir à tous ceux que le réchauffement climatique inquiète. Il y a cinq ans, on considérait que si le réchauffement atteignait quatre degrés Celsius, l'effondrement ne serait pas très loin. Désormais, certains médias laissent entendre que ce ne serait pas grave, alors que ce n'est pas vrai. En effet, des climatologues anglais ont démontré dans une récente étude que les modèles de gestion des risques se trompaient et que d'ici à 2070, c'est-à-dire dans quarante-cinq ans, il risquait d'y avoir un effondrement qui affecterait jusqu'à 4 milliards de personnes. Plutôt que de nous interroger sur le fait de savoir s'il est judicieux d'investir dans la décarbonation des entreprises ou s'il y a trop de fonctionnaires qui travaillent sur le sujet, mieux vaudrait réfléchir aux moyens d'atteindre les objectifs qui ont été fixés pour faire en sorte que nous n'arrivions jamais à un réchauffement des températures de quatre degrés Celsius.
M. Christian Bilhac. - Pour évoquer un problème plus particulier, ne croyez-vous pas que l'on manque de contrôle sur les primes distribuées ?
Je suis de l'Hérault, région viticole où l'on utilise des interceps, ces outils qui évitent le désherbage dans les vignes. Ceux qui les achètent bénéficient d'une aide, mais depuis la mise en place de ce financement, les prix ont augmenté de 35 %.
Autre exemple, il y a quinze ans, j'ai décidé de faire installer des panneaux solaires sur le toit de ma maison. L'installateur m'a annoncé un prix de l'ordre de 15 000 euros. J'ai pris le temps de réfléchir et quand je l'ai rappelé pour lancer le projet, il m'a dit que l'État avait supprimé l'aide de 4 000 euros. Je me suis donc inquiété d'une augmentation du prix en conséquence, mais il m'a rassuré en me disant qu'il me ferait une remise de 4 000 euros. Je ne sais pas comment vous analysez cela, mais j'ai eu l'impression que l'on prenait l'État pour une vache à lait et que l'on faisait payer au client un bénéfice exorbitant qui disparaissait automatiquement avec la suppression de l'aide.
C'est pourquoi je vous pose cette question : n'entre-t-il pas dans votre rôle d'exercer un certain contrôle sur les dérives de prix que l'on constate dès lors que vous mettez en place, à juste titre, des aides pour encourager la transition écologique dans tous les domaines ? Sans contrôle, ces aides finissent par entraîner un dérapage des prix assez inquiétant.
M. Cédric Vial. - Vous avez dit que l'Ademe employait 3 % d'agents détachés de la fonction publique, les autres étant des agents sous contrat de droit privé. Pour ce qui est des agents détachés, pourriez-vous nous dire en moyenne de combien leur rémunération est supérieure ou inférieure à ce que prévoit la grille de la fonction publique à laquelle ils étaient rattachés avant d'être recrutés par votre agence ?
M. Sylvain Waserman. - Madame la sénatrice Senée, je souscris à ce que vous avez dit sur l'urgence de la situation, car c'est un fait scientifique, et pas une opinion. Nous sommes dans un sprint. L'argent public est rare et précieux, et nous devons l'optimiser, d'où la nécessité de faire 155 % de gains de productivité et celle de surveiller l'efficacité carbone de chaque euro investi, comme le fait le ministère. Nous rendons compte de toutes ces évolutions à la DGEC, dont les représentants assistent à tous nos conseils d'administration et avec laquelle nous dialoguons en permanence. Certes, des améliorations sont possibles, mais encore une fois nous sommes dans un sprint.
Tous les systèmes sont en amélioration continue, conformément aux axes qui ont été définis. Nous vous communiquerons les résultats des travaux que nous avons menés avec le Cerema, car nos équipes sont en train de les affiner et de clarifier les frontières entre les agences quand elles doivent l'être.
Quoi qu'il en soit, je partage votre sentiment : le temps est précieux tout autant que l'argent de l'État. Les Anglo-Saxons ont coutume de dire qu'il ne faut pas réparer ce qui n'est pas cassé. Or nous faisons des gains de productivité sur les 3,4 milliards d'euros que nous gérons et nous rendons des comptes dans une transparence totale et absolue, puisque tout est en open data. Certes, nous pouvons encore nous améliorer, comme tout le monde, mais ne cassez pas ce qui fonctionne !
Monsieur le sénateur Bilhac, j'avoue que ma compétence est trop limitée pour pouvoir répondre à votre question, car l'Ademe ne s'occupe ni des interceps ni des panneaux photovoltaïques pour les particuliers. Je ne peux donc pas me prononcer sur ces sujets précis.
En revanche, le ministre de l'économie et le ministre de l'industrie disent souvent que les subventions de l'État portent sur des activités qui sont très peu rentables pour les entreprises. Certaines entreprises hésitent à se décarboner parce que le contexte économique est difficile et nous tentons de les convaincre de le faire dans le cadre des projets que nous menons. La situation est donc différente des exemples que vous avez donnés.
Monsieur le sénateur Vial, quand un fonctionnaire demande à ce que nous le recrutions, tout le processus est validé par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) auquel nous soumettons une proposition de salaire. La prime de détachement n'existe plus, de sorte que les salaires de l'Ademe sont en moyenne inférieurs à ceux de nos homologues. C'est du moins ce qui résulte de l'étude menée par l'IGF. Par conséquent, les gens ne viennent pas chez nous pour l'argent.
Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée de l'Ademe. - Il n'y a plus de prime de détachement. Quand un fonctionnaire en détachement vient travailler chez nous, le salaire qui lui est proposé est celui qu'il aurait s'il restait en position normale d'activité dans son administration. Ce salaire est vérifié par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel sur chaque contrat de détachement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le salaire de base est défini en fonction de la grille et de l'échelon, mais s'y ajoutent les indemnités de service et autres, n'est-ce pas ?
Mme Patricia Blanc. - Quand un fonctionnaire est en détachement, ce qui est mon cas personnel, l'ensemble des composantes de sa rémunération, qui inclut en effet une série d'indemnités liées à chaque corps de fonctionnaires, est exactement le même que s'il exerçait dans sa position normale d'activité au sein d'un ministère ou dans une Dreal. Il n'y a pas de prime supplémentaire ou de gain supplémentaire lorsque l'on vient en détachement à l'Ademe.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La ventilation de la prime n'est-elle pas plus large dans les agences plutôt que dans les ministères en administration centrale ?
Mme Patricia Blanc. - Parmi
les composants de la prime, il y a une part variable que l'État tend
à développer, même si tous les fonctionnaires en
détachement n'en bénéficient pas. Pour prendre l'exemple
de ma situation personnelle, je bénéficie de cette part variable
parce que je suis membre de la direction générale de l'Ademe. En
effet, sous le contrôle
de
notre président-directeur général, les
trois personnes qui forment la direction générale de l'Ademe
bénéficient de parts variables qui sont indexées sur
les objectifs de résultat de l'établissement.
J'étais précédemment directrice d'administration centrale. Je peux donc témoigner que les directeurs d'administration centrale ont des parts variables de même amplitude que celles que je constate dans mon poste actuel.
En revanche, les fonctionnaires en détachement qui ne sont pas membres de la direction générale de l'Ademe n'ont pas ces parts variables.
Indexer les parts variables sur les objectifs de résultat de l'établissement est une pratique classique dans la rémunération des dirigeants d'établissement public.
M. Cédric Vial. - Nous sommes dans une commission d'enquête et votre réponse est importante. Si j'ai bien compris, hormis à la direction générale, les agents qui sont en position de détachement touchent à l'Ademe la même somme qu'ils toucheraient s'ils étaient dans leur corps d'origine et sur la grille de la fonction publique à laquelle ils étaient rattachés précédemment. C'est bien ce que vous êtes en train de nous dire ?
Mme Patricia Blanc. - C'est le même ordre de grandeur. Ensuite, cela dépend des positions d'activité. Il n'y a pas de réponse immédiatement simple. En cabinet ministériel, il y a des primes associées aux servitudes et au cabinet ministériel. Il y a donc des primes qui sont spécifiques à la fonction ou à l'activité. Mais ce sont les mêmes grilles qui s'appliquent.
M. Cédric Vial. - Il n'y a pas de détachement en cabinet ministériel et les agents y sont affectés, ce qui est une situation un peu différente, dans la mesure où il y a des indemnités de sujétion. Ma question porte sur les agents en détachement, pas sur ceux qui sont mis à disposition. Ils ne bénéficient pas d'indemnités de sujétion, mais vous devez passer une convention de détachement avec le ministère qui vous affecte l'agent. Est-ce donc vous qui déterminez la rémunération, sans être liés par la grille de la fonction publique initiale ? Tel était le sens de ma question. Autrement dit, est-ce que vous me confirmez que vous recrutez les agents sur la même base que la grille de la fonction publique de l'administration à laquelle ils étaient rattachés ? Ou bien leur attribuez-vous un salaire supérieur à cette grille, comme vous êtes en droit de le faire ?
Mme Patricia Blanc. - Je vous
confirme que pour la partie fixe comme pour les primes, nous demandons
très concrètement une fiche financière au ministère
d'origine. Ce ministère nous indique la rémunération qu'il
verserait à l'agent si celui-ci restait en position normale
d'activité et nous appliquons cette rémunération avec une
nuance : à l'issue de la période de détachement, qui
est en général de trois ans, si l'agent devait
bénéficier d'un changement d'échelon prévisionnel
dans son corps d'origine, nous anticipons en le prévoyant pour que
l'agent ne soit pas pénalisé, puisqu'il n'aura
pas
son changement d'échelon en détachement. Mais il
s'agit bien de la même rémunération et nous la fixons sur
la base d'une fiche financière qui nous est fournie et qui est
validée par le ministère d'origine.
Je précise que nous n'employons pas que des fonctionnaires en détachement, mais aussi des fonctionnaires mis à disposition sur un métier très spécifique qui est celui de la gestion des sols pollués. Il s'agit d'un métier historique de l'Ademe pour lequel des agents sont mis à disposition, notamment par les Dreal. Il y a donc deux catégories de fonctionnaires qui exercent chez nous.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un fonctionnaire en détachement qui bénéficierait d'un changement d'échelon dans son corps d'origine ne verrait pas ce changement s'appliquer pendant sa période de détachement ? Et s'il est nommé en chef pendant sa période de détachement, vous le laissez sur la grille de l'ingénieur ? Cela ne se passait pas comme cela auparavant.
M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l'Ademe. - Cela correspond à mon cas personnel et je confirme donc que c'est ainsi que cela se passe. Avant que je rejoigne la direction générale déléguée où je bénéficie d'une prime variable, j'étais directeur exécutif de l'expertise et des programmes et je ne bénéficiais pas de cette part variable. J'ai même accepté une baisse de mon salaire par rapport à mon poste précédent en cabinet ministériel.
M. Sylvain Waserman. - Je vous apporterai des éléments factuels sur ce sujet. En effet, les gens qui viennent chez nous acceptent très souvent de diminuer leur salaire et l'IGF, à l'issue de son inspection, a constaté que nous étions en moyenne moins payés qu'ailleurs. Je ne voudrais donc pas laisser penser que les opérateurs seraient une espèce de manne financière pour les gens qui viennent travailler chez eux. Les gens qui choisissent de travailler à l'Ademe le font par vocation et par engagement. Je me fais donc un point d'honneur de vous transmettre en toute transparence, mais conformément aux règles d'anonymisation, des éléments de réponse très précis et ultra factuels, afin de ne pas en rester à une impression.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB)
M. Pierre Barros, président. - Monsieur le directeur général, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous recevons M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB).
Cette audition fait suite à celle de l'Ademe et précède l'audition des six agences de l'eau. Nous recevrons jeudi FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement (ASP) et les syndicats agricoles, ce qui nous donnera un aperçu des agences agissant dans le secteur environnemental et agricole.
L'OFB est une agence jeune, puisqu'elle a été créée le 1er janvier 2020 par la réunion de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l'Agence française pour la biodiversité. Cette dernière résultait elle-même de la fusion de quatre établissements en 2017. C'est le premier sujet sur lequel je vous interrogerai : comment, concrètement, se sont passées ces fusions successives, qui plus est dans le contexte de la crise sanitaire, et estimez-vous que l'OFB dispose au bout de cinq ans d'une organisation unifiée permettant de réaliser de véritables synergies entre ces activités et les personnes qui les réalisent ?
Cette question est d'autant plus importante que le code de l'environnement confie à l'OFB des missions très variées : police de l'environnement, police sanitaire, gestion de parcs naturels marins, connaissance générale sur les espèces et les milieux. Vous êtes donc à la fois des experts et des contrôleurs, dotés de moyens de police qui ont fait l'objet de mises en cause récentes : tout le monde a en tête les déclarations du Premier ministre dans sa politique générale, à la mi-janvier, sur le port d'armes par les agents de l'OFB, alors même qu'une circulaire avait prévu un mois plus tôt que ce port devrait être moins visible. Vous pourrez bien sûr revenir sur ce point, mais notre commission d'enquête ne cherche pas à mettre en cause tel ou tel opérateur, et encore moins ses agents. Nous cherchons surtout à comprendre comment l'État doit organiser ses missions, en passant -- ou en ne passant pas -- par une agence dotée d'autonomie, de la manière qui soit la plus efficace et la plus compréhensible pour les usagers, les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales.
À cet égard, la manière dont l'OFB
s'inscrit dans le paysage des opérateurs de l'État dans les
territoires nous intéresse tout particulièrement : la
biodiversité fait aussi partie des objectifs des agences de l'eau. Nous
les recevrons tout à l'heure : quelles sont vos relations et en
quoi est-il justifié d'avoir des structures distinctes alors que vous
avez tant de relations avec
ces agences, y compris sur le plan
financier puisque les agences de l'eau, opérateurs de l'État,
financent partiellement un autre opérateur de l'État qui est
l'OFB ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
M. Thibault prête serment.
M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité. - Je vous remercie pour cette invitation et vais répondre à vos questions en présentant l'Office français de la biodiversité.
L'OFB est un établissement à la fois jeune, avec cinq ans d'existence, et héritier d'une longue histoire remontant à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons acquis une véritable expertise en matière de fusion, ayant vécu une dizaine d'années de regroupements successifs. Ces fusions ont concerné le Conseil supérieur de la pêche, devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'Agence des aires marines protégées, Parcs nationaux de France, le GIP ATEN, spécialisé dans la formation, et en 2020, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Aujourd'hui, l'OFB est un établissement intégré dans le domaine de la biodiversité, articulé autour de trois grands axes : la connaissance, l'accompagnement et la protection.
La fusion représente un véritable défi, nécessitant du temps pour l'adaptation, l'acculturation et la reconstruction des systèmes d'information, des outils informatiques et de paie. Avec 3 000 agents répartis sur l'ensemble du territoire, ce processus a été complexe, aboutissant à notre raison d'être : protéger le vivant pour préserver l'avenir. Cette fusion a été réalisée dans un contexte difficile, avec une période de préfiguration d'une durée très courte de moins d'un an et le début de la crise sanitaire peu après sa mise en place. Malgré ces obstacles, la fusion a porté ses fruits, comme l'atteste le premier rapport de la Cour des comptes sur les quatre premières années de fonctionnement de l'établissement. Ce rapport souligne que l'OFB exerce ses missions et a répondu aux objectifs en termes d'utilisation de l'argent public et de construction de l'établissement. Il a également mis en lumière la faiblesse des financements et des effectifs au regard de l'ampleur des missions confiées, notamment en comparaison avec des établissements similaires en Suède, en Espagne et en Allemagne. Il est important de noter que, si l'OFB et ses composantes ont perdu environ 100 postes depuis 2010, le champ de ses missions s'est considérablement élargi par rapport aux anciennes missions de garde-chasse et de garde-pêche.
Nous avons reçu plusieurs rapports positifs, notamment celui de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec le rapport du sénateur Bacci. Ce dernier, complémentaire à celui de la Cour des comptes, s'est concentré sur le fonctionnement de l'établissement et a reconnu le rôle positif de l'OFB dans la protection des milieux et des espèces. Cependant, il a également mis en évidence des points d'amélioration, notamment concernant notre positionnement vis-à-vis de l'extérieur. Nous devons encore travailler sur l'équilibre entre la police et l'accompagnement, entre le répressif et la pédagogie, ainsi que sur l'acceptabilité de nos actions. Il est crucial de faire la distinction entre ce qui relève de la norme et ce qui concerne son application. Ces derniers mois, nous avons constaté que les critiques portaient souvent plus sur la norme elle-même que sur son application par nos agents. Les questions de posture ou d'armement ne sont que des symptômes de sujets plus profonds. Ce sont des sujets politiques importants qui soulèvent des questions sur les normes que nous voulons dans notre pays et sur notre adaptation aux changements climatiques.
Nous avons reçu une dizaine de missions d'inspection du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), de l'Inspection générale de la justice (IGJ), de l'Inspection générale de finances (IGF), qui mettent en évidence un fort besoin d'accompagnement et de financements pour de nombreuses missions. Nous sommes face à de véritables enjeux stratégiques que nous devons relever dès maintenant, sous peine de les voir s'aggraver.
Notre établissement possède des atouts majeurs liés à sa raison d'être : protéger le vivant et préserver notre avenir. Premièrement, le continuum entre nos trois grandes missions : connaître, accompagner et protéger. Cette approche globale et intégrée de la préservation de la biodiversité est notre force. L'OFB est chargé d'instrumenter le vivant, de collecter des données et de les mettre à disposition du public. Nous gérons les systèmes d'information sur l'eau, la biodiversité et les milieux marins, ce qui permet d'évaluer objectivement l'évolution de ces milieux. Il est crucial de comprendre précisément ce qui se passe pour apporter des réponses appropriées.
Nous avons développé des outils pour accompagner les différents acteurs dans leur transition écologique. Pour les collectivités, nous proposons des atlas de la biodiversité communale. Pour les jeunes, nous avons mis en place plus de 500 aires éducatives. Pour les entreprises, nous offrons des systèmes de diagnostic et d'action en collaboration avec d'autres opérateurs comme l'Ademe.
Nous gérons nous-mêmes des espaces protégés, dont huit parcs naturels marins, ainsi que des réserves qui servent de laboratoires pour tester différentes approches de protection de la biodiversité.
Notre mission de police de l'environnement, bien que la plus connue, ne représente qu'une partie de notre action. Nous ne créons pas les normes, nous les appliquons, garantissant ainsi l'état de droit et l'égalité des citoyens devant la loi. Cette police est ancrée dans les territoires, sous l'autorité du préfet pour la partie administrative et du procureur pour la partie judiciaire.
Il est important de comprendre que, lorsque nous parlons de biodiversité, nous ne parlons pas seulement de « petites bêtes et de petites fleurs », mais de l'eau que nous buvons, de l'air que nous respirons, de la nourriture que nous mangeons et de l'écosystème dans lequel nous vivons tous. Détruire la biodiversité, c'est mettre en péril notre propre existence.
La structure de l'OFB lui permet d'agir à l'échelle nationale, régionale et départementale, avec deux tiers de nos agents présents sur le terrain dans 189 représentations. Nous disposons d'une expertise pluridisciplinaire, avec des inspecteurs environnementaux, des ingénieurs, des experts, des vétérinaires, des techniciens, des scientifiques, des chercheurs, ce qui nous permet de répondre efficacement aux problèmes spécifiques de chaque territoire.
Enfin, notre gouvernance est solide. Nous sommes un établissement public administratif sous double tutelle des ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture. Nous fonctionnons avec un contrat d'objectifs pluriannuel, une lettre de mission annuelle pour le directeur général, et un conseil d'administration qui intègre l'ensemble des parties prenantes. Notre conseil d'administration comprend deux représentants du Sénat, des élus départementaux et régionaux, ainsi que des pêcheurs, des chasseurs, des associations de protection de l'environnement et des établissements publics. Cette composition garantit une transparence totale sur nos attributions financières.
L'Office français de la biodiversité, qui a
aujourd'hui cinq ans, a considérablement renforcé son
autorité en matière environnementale, notamment grâce
à la collaboration avec les agriculteurs. Notre expertise est de plus en
plus reconnue et notre ancrage territorial est une réalité.
Actuellement, nous devons travailler sur notre intégration dans les
territoires avec les différents acteurs, en partie à cause des
conséquences de la crise sanitaire qui nous a contraints à nous
recentrer sur nous-mêmes. Nous cherchons maintenant à nous
tourner vers les élus et nos différents interlocuteurs pour
établir des partenariats, définir des objectifs communs pour les
territoires et trouver un équilibre entre accompagnement et
police.
Il est important de souligner que nous ne sommes
pas des militants, mais des professionnels. Deux tiers de nos agents sont
présents sur le terrain, dans les territoires, au plus près des
acteurs locaux. Nous appliquons la loi et la réglementation telles que
définies par le Parlement et le Gouvernement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre établissement a connu des fusions successives. J'aimerais avoir des précisions sur les 100 postes qui ont disparu depuis 2010. S'agit-il de postes dans les fonctions support ou d'intervention ? Quelle proportion des emplois représentent ces 100 postes ? Concernant les fonctions support, pouvez-vous nous indiquer leur nombre avant 2016, et aujourd'hui en 2025 ? Ces fusions se sont-elles opérées à masse salariale constante ou y a-t-il eu un alignement par le haut des rémunérations ?
Vous avez mentionné 189 implantations. Un rapport de l'IGF et du CGEDD faisait état en 2018 de structures avec des effectifs inférieurs à 9 équivalents temps plein (ETP). Cette situation a-t-elle été corrigée ? Avez-vous atteint l'effectif cible dans chacune de ces implantations, notamment pour assurer efficacement le rôle de police de l'environnement ?
Enfin, quelle est actuellement la proportion de fonctionnaires à l'OFB ? Sont-ils en position normale d'activité, en détachement ou sous un autre statut ?
M. Olivier Thibault. - Merci pour ces questions. Je vais tâcher d'y répondre le plus précisément possible. Tout d'abord, c'est 200 ETP que nous avons perdus depuis 2010. En réalité, nous en avons même perdu davantage, mais nous en avons récupéré 47 l'année dernière et 15 l'année précédente. Entre 2014 et 2016, nous perdions entre 40 et 60 ETP par an.
La fusion a permis une amélioration qualitative significative, notamment au niveau des fonctions support. Alors que les systèmes de chaque établissement manquaient de robustesse, la création d'un établissement de 3 000 personnes a nécessité la mise en place de systèmes beaucoup plus solides. Par exemple, la gestion de la paie pour 3 000 personnes ne peut pas se faire de la même manière que pour 15 personnes. Cette fusion nous a obligés à professionnaliser nos processus, notamment en matière de marchés publics et d'attribution d'aides. Nos systèmes ont d'ailleurs été validés et salués par la Cour des comptes pour leur professionnalisation.
Concernant les effectifs, nous manquons actuellement de personnel dans certains domaines, notamment les systèmes d'information. Ce manque nous contraint parfois à faire des choix que nous préférerions éviter, comme opter pour des marchés ou des offres intégrées plutôt que de réaliser des développements en interne, ce qui soulève des questions de maintenance.
Quant aux statuts des agents, nous avons plusieurs types de populations. Dans les territoires, nous comptons environ 1 700 techniciens de l'environnement et agents assermentés sur nos 3 000 agents, en position normale d'activité. Nous comptons également quelques fonctionnaires d'autres corps (policiers, douaniers, militaires) en seconde carrière, qui peuvent être détachés avant d'être intégrés dans le corps. Les postes de direction sont parfois occupés par des fonctionnaires détachés, avec un système de fiche financière contrôlé par notre contrôleur budgétaire pour éviter toute dérive salariale. Enfin, certains de nos agents ne sont pas fonctionnaires et relèvent d'un quasi-statut. L'OFB est confronté à de nombreux problèmes liés à ce quasi-statut obligatoire. Ce statut, mis en place il y a quelques années, est similaire à celui des agences de l'eau. Il présente un inconvénient majeur : les grilles de rémunération sont inférieures de 20 % à 40 % à celles des contractuels du ministère de l'Environnement. Cette situation est documentée dans le rapport de la Cour des comptes et fait partie des revendications syndicales pour une évolution des conditions de rémunération à l'OFB.
Concernant l'évolution de la masse salariale, l'augmentation du compte d'affectation spéciale « Pensions » a entraîné une hausse de quelques millions d'euros dans notre budget, mais cela concerne les retraites et non les agents en activité.
Quant au nombre d'implantations, nous avons réalisé un important travail de rationalisation. Partant de 251 implantations de bureau en 2020 lors de la création de l'OFB, nous en sommes aujourd'hui à 189, soit une réduction de 25 % en quatre ans. Ce processus a été mené de manière réfléchie, en rapprochant nos implantations des cités administratives et des directions départementales du territoire (DDT) ou en les regroupant, pour créer des synergies dans le travail d'instruction et renforcer les liens avec les préfets, qui sont les délégués territoriaux de l'OFB pour la police administrative.
Notre défi actuel consiste à trouver le bon équilibre, car la force de l'OFB réside dans sa présence territoriale. Nous maintenons une ou deux implantations par département, en fonction de la géographie et des contraintes de déplacement. Par exemple, dans les territoires montagneux, nous pouvons avoir une implantation à l'est et une à l'ouest, pour assurer une couverture efficace.
Concernant l'effectif cible, la situation est complexe. L'effectif cible théorique passé n'est pas atteint en raison des baisses d'effectifs, mais nous avons dû répondre à des demandes d'augmentation d'agents dans certains domaines, comme les parcs naturels marins ou la thématique de la mer. Actuellement, nos effectifs sont inférieurs aux cibles initiales des établissements avant la fusion. Cette situation nous oblige à faire des choix en termes de priorisation des interventions et des sollicitations.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous que le ministère a clairement défini la répartition des rôles et des missions entre les niveaux régional et départemental de l'État et les agences environnementales, comme l'OFB ? Cette répartition est-elle claire pour tous les acteurs ? Ou bien, ne devrions-nous pas envisager une structure unique au niveau du département ou de la région, mutualisant les agents de l'OFB, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et des DDT ?
Concernant le statut, un agent relevant du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », soumis au quasi-statut des agences de l'eau et de l'OFB, peut-il postuler sur des postes ouverts au titre du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » du ministère de l'Environnement ? La mobilité est-elle possible dans les deux sens ?
M. Olivier Thibault. - La mobilité entre les programmes 113 et 217 est théoriquement possible, mais en pratique, elle est complexe. La portabilité du contrat à durée indéterminée existe sur le papier, mais reste difficile à mettre en oeuvre. Cette mobilité a du sens, car elle permet de construire des parcours qualifiants pour nos agents et d'éviter la stagnation professionnelle. L'intégration de personnes venant des DDT, des DREAL ou d'autres opérateurs enrichit notre établissement grâce à la diversité des cultures professionnelles.
Concernant la répartition des rôles et des missions, à l'OFB, nous avons une mission claire définie par notre contrat d'objectifs. Notre priorité actuelle n'est pas de restructurer à nouveau l'écosystème, mais d'appliquer les règles existantes. Prenons l'exemple de la police de l'environnement : une stratégie nationale de contrôle a été établie en janvier 2023, demandant aux préfets d'organiser une mission interservices de l'eau, de hiérarchiser les enjeux, de coordonner le travail entre les différents corps d'instruction et de contrôle et de communiquer sur cette politique de contrôle. Nos agents interviennent ensuite dans ce cadre établi. La difficulté survient lorsque la communication sur la politique de contrôle est insuffisante. L'année dernière, deux tiers des préfets ont jugé inopportun de communiquer sur ce sujet. C'est alors plus difficile pour nos agents. Je suis un fervent défenseur du rôle du préfet au niveau départemental pour organiser et coordonner les différents enjeux. Par exemple, dans le cas du partage de l'eau, l'intervention du préfet est cruciale pour assurer l'équité et l'efficacité des contrôles, notamment en période de sécheresse. En conclusion, lorsqu'il y a un consensus sur ce qui doit être contrôlé et une communication claire, notre action est beaucoup plus efficace et acceptée, même par ceux qui font l'objet des contrôles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la question du contrôle, et je souhaite l'étendre aux agences de l'eau. Aujourd'hui, est-il simple pour un acteur de savoir vers qui se tourner pour obtenir une subvention dans le domaine de l'eau et de la biodiversité ? L'OFB peut en verser, l'agence de l'eau également.
La question de la police environnementale est claire : il s'agit uniquement du rôle de l'OFB, mais les responsabilités des autres missions sont plus floues.
M. Olivier Thibault. - Ces questions sont très pertinentes. Je suis confronté à des injonctions contradictoires. Depuis un an, l'on m'explique que l'OFB fait trop de contrôle et de répression, et pas assez d'accompagnement. Pour faire de l'accompagnement, il faut plus de personnel sur le terrain ou des outils d'accompagnement et d'incitation. Actuellement, les aides territoriales relèvent plutôt des agences de l'eau, tandis que les aides nationales sont du ressort de l'OFB. L'OFB n'a pas d'aide territoriale, seulement des systèmes nationaux, conçus pour être complémentaires et non superposés avec les agences de l'eau.
L'enjeu stratégique pour l'OFB est de trouver un équilibre entre accompagnement et contrôle a posteriori. Nous devons répondre aux besoins des collectivités, entreprises et agriculteurs, mais il s'agit d'un exercice délicat.
Si on demande à l'OFB de ne faire que du régalien et de laisser d'autres acteurs s'occuper des aides pour plus d'efficience, il ne faudra pas lui reprocher de ne faire que du répressif et pas de l'accompagnement.
Nos systèmes d'aides sont très cadrés. Par exemple, le plan Ecophyto est doté de 41 millions d'euros par an, encadré par les ministères de l'agriculture, de l'environnement et de la santé. Pour l'écocontribution, 10 millions d'euros sont réservés aux chasseurs. Pour la solidarité outre-mer, un plan de 35 millions d'euros est cadré et nous jouons le rôle des agences de l'eau dans ces territoires. Ces domaines d'intervention sont clairs et non redondants. Nous n'avons pas de conflits de périmètre entre opérateurs. Les agences de l'eau restent l'opérateur territorial principal.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans l'écosystème des opérateurs, deux semblent fonctionner de manière plus autonome : l'Établissement public du Marais poitevin, dont on a beaucoup parlé récemment, et le Conservatoire de l'espace littoral et des espaces lacustres. Pensez-vous que ces deux établissements doivent rester indépendants ? L'Établissement public du Marais poitevin est une petite structure ; or vous avez souligné l'intérêt des grandes structures. Si cet établissement devait être supprimé, à qui confieriez-vous ses missions : l'OFB, le Parc régional, ou l'agence de l'eau Loire-Bretagne ?
Quant au Conservatoire du littoral, qui s'occupe principalement de politique de préemption et d'entretien, est-il toujours pertinent d'avoir une gestion séparée entre la bande littorale par le Conservatoire et le reste des espaces par l'OFB ?
M. Olivier Thibault. - Les compétences de l'Établissement public du Marais poitevin, initialement créé pour une durée limitée, pourraient être confiées aux collectivités territoriales locales. Cependant, ces dernières préfèrent unanimement qu'il reste sous la tutelle de l'État. La gestion de l'eau dans le Marais poitevin est complexe, et un équilibre a été trouvé avec cet établissement public, malgré quelques difficultés juridiques persistantes. Il faut noter que l'Établissement public du Marais poitevin et les parcs nationaux sont rattachés à l'OFB, notion peu commune dans le droit français, ce qui s'avère être un système efficient. Ce rattachement implique que l'OFB gère pour ces établissements plusieurs tâches administratives : la paie, un service facturier, la gestion du corps des techniciens de l'environnement de ces établissements, le site internet des parcs nationaux, et une grande partie du back-office. Cette mutualisation permet de sécuriser et de solidifier ces structures, tout en préservant la gouvernance locale des parcs nationaux, essentielle pour eux.
Concernant le Conservatoire du littoral, son métier est très différent du nôtre. Il s'agit d'un opérateur foncier qui acquiert, préempte, gère ou fait gérer des territoires. L'OFB, en revanche, ne possède que très peu de terrains. Il n'y a donc pas de réelle synergie ou de plus-value à envisager entre l'OFB et le Conservatoire du littoral, leurs missions et structures financières étant fondamentalement différentes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous comprenons effectivement la différence entre les métiers. Cependant, étant donné que les deux domaines concernent la préservation de la biodiversité et la conservation des espaces naturels, il était nécessaire de poser la question et de recueillir votre avis.
J'aimerais également avoir votre point de vue sur la question de la mobilisation des fonds européens. Je suppose que votre statut d'opérateur vous offre plus de flexibilité que si vous étiez une direction au sein du ministère. Pensez-vous avoir atteint le maximum de ce que l'on peut espérer, ou y a-t-il encore des opportunités à saisir, notamment concernant le projet LIFE ? Enfin, j'aimerais vous interroger sur deux nouvelles réformes concernant l'OFB et leurs modalités de mise en oeuvre.
M. Olivier Thibault. - Notre statut d'opérateur nous permet effectivement de rechercher des financements différents de ceux d'un service de l'État. J'en identifie au moins trois types. Concernant les fonds européens, nous nous sommes spécialisés ces dernières années sur le programme LIFE. Nous avons constaté que d'importants fonds européens étaient disponibles pour la préservation de la biodiversité, et que la France était en retard par rapport à d'autres pays européens dans ce domaine. Nous avons mis en place un système très structuré pour obtenir ces fonds, ce qui fonctionne très bien. Actuellement, nous nous interrogeons sur les limites de cette démarche, car elle implique des enjeux de rapportage et de trésorerie. Nous gérons plusieurs projets LIFE : sur l'adaptation au changement climatique, sur l'Outre-mer, sur les espèces marines mobiles, sur les habitats marins, sur la biodiversité en France, etc. Cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros que nous obtenons pour nous-mêmes ou pour d'autres acteurs. Cette capacité est liée à notre statut d'établissement public et à notre taille, car les enjeux de trésorerie peuvent être complexes pour des structures plus petites.
Nous développons également la recherche de financements privés, notamment à travers le mécénat. Cela nous permet de financer des opérations de restauration spécifiques avec des financements apportés par des entreprises, tout en les sensibilisant à leur empreinte sur la biodiversité. Cette approche change la perception, car il s'agit d'argent privé investi dans des projets publics, plutôt que l'inverse.
Enfin, nous collaborons avec les collectivités, en particulier les conseils régionaux, qui sont chefs de file pour la biodiversité. Cette collaboration fonctionne très bien dans certaines régions, moins dans d'autres. Nous avons mis en place un système d'agences régionales de la biodiversité, qui permet de créer des effets de levier.
Tous ces mécanismes sont des avantages liés à notre statut d'opérateur. Nous cherchons constamment à maximiser notre impact et à trouver des solutions innovantes pour financer nos actions en faveur de la biodiversité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai deux autres questions à vous poser. La première concerne la circulaire du 4 novembre 2024, qui crée dans chaque département une mission interservices agricoles (MISA) regroupant plus de quinze agences et services. Comment envisagez-vous la mise en oeuvre de cette mission ? Vous semble-t-elle réalisable, considérant l'articulation nécessaire entre ces nombreuses entités ?
La seconde question porte sur la recommandation de la mission flash CGAAER-IGEDD, dont les conclusions ont été publiées le 19 mars dernier. Cette mission recommande la création d'un guichet unique en DDT dans chaque département. Comment percevez-vous ce guichet unique et comment l'OFB pourrait-il s'intégrer dans ce dispositif ?
M. Olivier Thibault. - Concernant les MISA, sur le principe je pense qu'il s'agit d'une excellente initiative. La coordination des services de l'État pour éviter les visites multiples à court intervalle est très positive. L'OFB s'inscrit pleinement dans ce système. Cela permettra également un meilleur partage des informations sur les exploitations à contrôler, ce qui n'est pas toujours simple.
D'un point de vue quantitatif, cela ne change pas énormément la situation actuelle. Selon le rapport, 80 % des agriculteurs ne reçoivent pas de contrôle dans l'année, 8 % sont contrôlés une fois, et seulement 1 % sont contrôlés plus d'une fois. Cependant, ces 1% sont cruciaux. À l'OFB, nous constatons souvent que, lorsqu'un agriculteur commence à avoir des difficultés, tous les aspects de son exploitation sont affectés. Des problèmes financiers peuvent entraîner des négligences dans les soins aux animaux ou la gestion des déchets, et potentiellement causer des problèmes de pollution. Ce nouveau système permettra une meilleure coordination pour identifier et accompagner ces situations difficiles avant qu'elles ne deviennent critiques. Il s'agit surtout d'améliorer l'efficacité des contrôles, notamment pour les exploitations en difficulté.
Il est important de souligner que cette coordination ne concerne que les contrôles administratifs. Il ne faut pas croire qu'un contrôle unique annuel signifie qu'on peut ensuite agir en toute impunité. Par exemple, un arrêté sécheresse peut survenir en cours d'année et nécessiter un nouveau contrôle. L'enjeu maintenant est de mettre en oeuvre ce système de manière efficace, en trouvant le bon équilibre entre la résolution administrative des problèmes et le recours à la voie judiciaire quand c'est nécessaire. Il faut que cette coordination des services fonctionne concrètement sur le terrain.
En réalité, nous avons testé cette approche des guichets uniques à certains endroits et les résultats sont très positifs. À l'OFB, nous avons formulé plusieurs propositions. Beaucoup de nos interlocuteurs nous font remarquer, parfois à juste titre, que la réglementation est complexe et difficile à comprendre. Il est donc nécessaire d'apporter une réponse structurée à ce type de situation. C'est pourquoi nous avons proposé une dizaine de fiches pédagogiques portant sur les contrôles qui posent le plus souvent problème. Je peux citer par exemple la taille des haies, le curage des cours d'eau, les traitements, etc. Ce sont des sujets qui soulèvent fréquemment des questions. Nous avons besoin de réponses harmonisées au niveau de l'État pour ces thématiques. C'est le préfet, via ses services, principalement la DDT, qui établit la norme dans le département. Il me semble très pertinent que l'État, par l'intermédiaire du préfet ou de la DDT, élabore des fiches sur certains types de réglementations afin d'avoir une règle claire, affichée et partagée.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Je tiens tout d'abord à souligner que nous sommes pleinement conscients de la difficulté de votre mission. Lors de moments de tension, vous êtes en première ligne, et les atteintes subies par les agents de votre office sont injustes. Nous devons faire preuve de compassion face à ce qu'ils ont vécu. Votre rôle est d'appliquer la loi. En tant que parlementaires, nous avons une responsabilité, puisque nous votons les lois. Cependant, une grande partie de la norme provient aujourd'hui de l'aspect réglementaire, parfois produit par une administration qui n'a pas toujours conscience des enjeux sur le terrain. Nombre d'entre nous sommes convaincus que la norme et la loi doivent s'adapter à des territoires différents, où les enjeux varient, ce qui nécessite une part d'interprétation, d'autant plus que, parfois, des normes environnementales peuvent s'opposer les unes aux autres. Par exemple, nous avons dû mettre en place sur mon territoire une unité d'ultrafiltration pour améliorer la qualité de l'eau, qui devait être construite à proximité de la source, mais les lois sur la biodiversité nous obligeaient à respecter l'habitat du lézard ocellé. Nous avons de nombreux exemples similaires : une unité d'assainissement qui doit respecter une espèce protégée, ou des aménagements pour mettre en valeur le patrimoine d'une église qui s'opposent à la nidification des alouettes.
Vous avez indiqué que vous n'avez pas suffisamment d'implantation locale pour bien comprendre le terrain. Quels pourraient être vos alliés dans ce contexte ? Nous avons évoqué plus tôt la question des agents de l'État sur le terrain, des DDT, des DREAL. Nous avons parfois l'impression qu'il n'y a pas de communication entre ces différents acteurs.
Concernant les collectivités, je comprends qu'elles n'ont pas le pouvoir de police si l'on veut une application uniforme de la loi sur le territoire. Cependant, elles ont certainement un rôle important à jouer dans la préparation à l'application des lois. En tant qu'ancien responsable d'une communauté d'agglomération, j'ai parfois eu l'impression qu'il n'y avait pas d'échange ni de dialogue entre les différents acteurs. Si nous ne résolvons pas ces problèmes de communication et de compréhension mutuelle, il sera très difficile à l'avenir de faire accepter des lois environnementales pourtant nécessaires. Sans l'adhésion à la loi et à la norme environnementale, la situation deviendra problématique et tout le monde sera perdant.
M. Hervé Maurey. - Votre agence a déjà fait l'expérience d'une fusion, et même de plusieurs fusions en peu de temps. Avez-vous aujourd'hui établi un bilan pour déterminer si ces fusions ont effectivement permis de réaliser des économies et d'accroître l'efficacité ? Le coeur de cette commission d'enquête correspond à la question des économies qui pourraient être générées par des suppressions et des regroupements d'agences. Sur ce sujet, votre expérience est particulièrement précieuse.
M. Olivier Thibault. - Merci, Monsieur le Sénateur, pour vos mots concernant les agents de l'OFB. Nous avons effectivement vécu des moments difficiles. Depuis un an, nous essayons de faire en sorte que cela nous aide à progresser et à trouver des solutions.
Concernant l'amélioration de l'application de la loi, je suis frappé par un point lorsque nous discutons de la complexité de la loi et de la nécessité de la simplifier. La lisibilité et la simplicité de la loi sont systématiquement confondues avec l'adaptabilité au cas par cas. En réalité, chaque fois que l'on parle de simplification, les gens comprennent qu'ils vont obtenir des exemptions supplémentaires ou que des cas particuliers seront pris en compte, leur permettant de ne pas appliquer certaines règles. Au final, le texte est beaucoup plus touffu, complexe et incompréhensible qu'au départ. Au lieu de chercher une loi simple et lisible qui fonctionnerait dans 80 % des cas, avec la possibilité de discuter pour les 20 % restants, on cherche à tout écrire, notamment toutes les possibilités d'exemptions.
Prenons l'exemple des 14 réglementations sur les haies. À l'origine, c'était assez simple : on voulait les protéger en raison des nombreux services écosystémiques qu'elles offrent. Les haies permettent de lutter contre les inondations, de retenir la terre, elles ont des aspects paysagers, elles contribuent à la rétention d'eau et à la biodiversité. Cependant, lors de la construction d'un patrimoine, il faut pouvoir supprimer ou déplacer une haie. Quand on passe d'un élevage à une culture, il faut pouvoir rationaliser le foncier, donc couper les haies. Pour la construction d'une route, il faut pouvoir éliminer les risques d'accidents, donc enlever les haies.
C'est ainsi que la réglementation se complexifie progressivement. Pour chaque type de politique, nous avons créé des exceptions à l'objectif de protection globale. Le résultat correspond à un ensemble de 14 réglementations complexes que personne ne maîtrise vraiment.
Telle est la difficulté inhérente à notre système en France, où l'on cherche à anticiper et codifier toutes les exceptions possibles. La politique agricole commune illustre parfaitement cette tendance. Il s'agit de maximiser les aides tout en minimisant les contraintes réglementaires, ce qui aboutit à des mécanismes extrêmement complexes. Aujourd'hui, l'application de toutes ces réglementations devient réellement difficile. De plus, nous nous imposons des obligations de rapportage compliquées pour justifier que l'on se place bien dans l'une des exceptions. Il faut effectivement travailler sur ce point, en acceptant des solutions plus simples, même si elles ne résolvent pas tous les problèmes, tout en confiant à un acteur le pouvoir de valider les exceptions en fonction d'un objectif global. C'est ce qui avait été fait pour les retournements de prairies, avec un accord sur un pourcentage maximum en la matière. Malheureusement, après trois ans, la limite a été dépassée, nous ramenant au point de départ ; en conséquence, un système complexe a été remis en place pour bloquer les abus.
Nous devons réfléchir ensemble à la manière de préserver l'esprit de la loi et ses objectifs tout en assumant ces derniers. Trop souvent, nous nous abritons derrière la réglementation en la blâmant pour les contraintes qu'elle impose. Il s'agit là d'un défi collectif qui relève d'abord de la loi, puis du réglementaire.
Vous avez souligné que les normes s'opposaient. Une norme ne prend pas en compte toutes les autres. Il faut accepter que nous travaillons sur des écosystèmes, particulièrement dans le domaine de la biodiversité. Vos exemples illustrent bien ce dilemme : l'interdiction d'entretenir une haie pendant la nidification des oiseaux malgré la nécessité de préparer les terrains avant l'été pour prévenir les incendies. La solution n'est pas d'imposer les travaux juste avant l'été, mais d'adopter une vision plus large de l'aménagement du territoire. Il faut démontrer l'impact positif de certaines actions sur la biodiversité, tout en justifiant certaines actions spécifiques à des endroits précis. Cela nécessite une approche globale que nous devons accepter.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Vous évoquez vos difficultés sur le terrain. Avec qui travaillez-vous pour que vos décisions puissent être partagées et acceptées ?
M. Olivier Thibault. - Je ne cherche pas à augmenter le nombre de nos implantations. Les 189 existantes me semblent suffisantes et nous permettent d'être présents dans tous les territoires, ce qui est essentiel pour nous. Cependant, nous manquons d'effectifs dans ces implantations pour mener à bien toutes les missions qui nous sont confiées. Face à cette situation, nous cherchons des alliés et des relais, qui varient selon les sujets. Prenons l'exemple de la chasse. Certains regrettent l'époque où les gardes-chasse de l'ONCFS pouvaient avoir une connaissance approfondie de chaque association de chasse sur le territoire ; avec 14 personnes par département pour toute la police de l'eau, sanitaire et environnementale, il n'est pas possible de faire le même travail. Aujourd'hui, nous devons travailler en bonne intelligence avec les agents de développement des fédérations, les gardes champêtres et les maires pour obtenir les informations nécessaires et intervenir efficacement. Concrètement, nous ne menons plus de nuits de lutte anti-braconnage au hasard. En revanche, dès que nous recevons un renseignement fiable d'une fédération de chasse ou d'une collectivité, nous intervenons. Nous avons mené plusieurs opérations anti-braconnage réussies récemment, grâce à nos liens avec les chasseurs et les maires. Cette collaboration avec les acteurs du territoire est fondamentale.
Concernant l'expansion de l'OFB, nous sommes maintenant suffisamment importants pour avoir des processus solides de back-office et de financement. Notre priorité actuelle est de renforcer nos liens avec les acteurs dans les territoires. J'ai demandé à tous mes services de reprendre contact avec les parlementaires et les élus, ne serait-ce que pour expliquer notre métier, car le contrôle des exploitations agricoles ne représente que 6 % de notre activité. Notre objectif est de reconstruire des alliances au service des politiques territoriales, dans le but d'avoir un environnement de qualité pour tous. Nous sommes souvent trop anthropocentrés dans nos décisions, privilégiant l'intérêt humain à court terme. En protégeant la biodiversité, nous travaillons pour l'homme sur un horizon un peu plus long, mais avec des retours d'expérience rapides.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avant de conclure, une dernière question : parmi toutes les missions accomplies par l'OFB, lesquelles pourraient être transférées à des tiers, notamment au secteur privé, sans compromettre la mission et surtout les objectifs de l'Établissement ?
M. Olivier Thibault. - Cette question est difficile à aborder. Ma préoccupation actuelle est plutôt de savoir comment répartir et coordonner le travail de tous les acteurs du territoire pour une efficacité optimale. Plutôt que de déléguer des missions, je préfère réfléchir à une meilleure organisation collective, impliquant l'État et les différentes parties prenantes. Nous avons besoin de l'implication des préfets et d'une bonne coordination avec les collectivités pour un aménagement du territoire réfléchi. Or nous sommes souvent consultés trop tardivement pour des avis techniques ou des contrôles, alors que les projets sont déjà lancés. L'expérience montre que, lorsqu'un projet démarre mal, les problèmes s'accumulent et s'aggravent avec le temps. Notre priorité devrait être d'organiser et de coordonner l'action de chacun, en respectant les responsabilités de tous, plutôt que de chercher à transférer des missions. C'est de cette approche collaborative dont nous avons besoin aujourd'hui pour relever efficacement les défis environnementaux.
Actuellement, il est crucial que l'OFB ne soit pas cantonné à ses missions de police, car cela réduirait son action au seul aspect punitif, au détriment de l'accompagnement. Nous avons besoin d'un équilibre entre l'accompagnement et la police, et cela ne fonctionne que si nous parvenons à convaincre et à expliquer la légitimité de nos actions. Par exemple, si l'on demande à la gendarmerie pourquoi elle ne s'implique pas davantage dans les questions environnementales, on constate rapidement que, sans une connaissance approfondie de la faune et des enjeux spécifiques, on est vite dépassé. Cette expertise spécifique est indispensable. Par conséquent, il est bien plus efficace de travailler ensemble sur les deux aspects de notre mission plutôt que d'essayer d'intégrer l'un dans l'autre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais reformuler ma question. Dans l'hypothèse d'un financement de l'effort de guerre, si le budget de l'OFB était réduit de 30 %, quelles missions abandonner ? Mettons de côté la question du statut des agents et supposons que vous n'ayez que des agents privés. Il s'agit d'un scénario purement théorique. Avec 30 % de budget en moins, quelles seraient vos priorités ?
M. Olivier Thibault. - Face à une réduction brutale de 30 % du budget, nous serions contraints d'arrêter les missions d'accompagnement. Actuellement, deux tiers de notre budget sont consacrés au fonctionnement de l'OFB, principalement pour les salaires et les frais opérationnels comme l'essence et les véhicules, essentiels pour le travail de terrain. Il faudrait également maintenir le financement des parcs. Une telle réduction impliquerait donc l'arrêt de 30% des missions d'accompagnement. Ensuite, il faudrait examiner les contradictions potentielles, car réduire le volet punitif pour favoriser l'accompagnement soulèverait des débats.
M. Pierre Barros, président. - Merci, monsieur le directeur général, pour cet échange et le temps que vous nous avez consacré cet après-midi.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Christophe Leblanc, directeur général adjoint de l'agence de l'eau Rhin-Meuse, Mme Isabelle Matykowski, directrice générale de l'agence de l'eau Artois-Picardie, MM. Nicolas Mourlon, directeur général de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Loïc Obled, directeur général de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, Mmes Sandrine Rocard, directrice générale de l'agence de l'eau Seine-Normandie et Aude Witten, directrice générale adjointe de l'agence de l'eau Adour-Garonne
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons les directeurs généraux ou directeurs généraux adjoints des six agences de l'eau, soit, dans un véritable tour de France : Christophe Leblanc pour l'agence de l'eau Rhin-Meuse, Isabelle Matykowski pour l'agence de l'eau Artois-Picardie, Nicolas Mourlon pour l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, Loïc Obled pour l'agence de l'eau Loire-Bretagne, Sandrine Rocard pour l'agence de l'eau Seine-Normandie et Aude Witten pour l'agence de l'eau Adour-Garonne.
Cette audition s'inscrit dans celles que nous consacrons cette semaine aux secteurs de l'environnement et de l'agriculture : nous venons de recevoir l'Agence de la transition écologique (Ademe) et l'Office français de la biodiversité (OFB), et jeudi prochain nous échangerons avec FranceAgriMer, l'Agence de services et de paiement et les syndicats agricoles.
Notre commission d'enquête porte sur le mouvement d'« agencification » de l'État, que l'on associe généralement à la multiplication des transferts entre l'État central et les agences des années 1980 aux années 2000. Les agences de l'eau sont bien plus anciennes puisqu'elles ont été créées par la loi sur l'eau du 16 décembre 1964, mais leurs missions ont évolué avec le temps. Leur originalité réside aussi dans leur périmètre géographique, fondé sur la réalité physique des bassins et non sur les limites administratives des régions. Je souhaiterais savoir si, à votre sens, cette originalité est une force, afin de mieux prendre en compte les enjeux de la ressource en eau, ou bien si une organisation calquée sur celles des régions faciliterait la coordination avec les autres politiques publiques ?
Cette originalité pose la question de l'articulation avec les autres agences, les services déconcentrés et les collectivités territoriales. Nous venons de recevoir l'OFB, avez lequel vous avez des liens particuliers, y compris financiers, puisqu'une partie du produit des taxes qui vous sont affectées est reversé à cet établissement : considérez-vous que ce schéma de financement est adapté ? D'une manière plus générale, la délimitation des missions entre les agences de l'eau et les autres agences de l'État devrait-elle évoluer ?
La coordination de vos actions avec celles des collectivités territoriales fait bien entendu partie des sujets que nous étudions, car vous faites partie des agences les plus souvent citées dans nos débats. Par exemple, que répondriez-vous aux élus qui, devant notre commission d'enquête, ont expliqué que les agences de l'eau établissent des critères non définis par la loi et les règlements, rendant possibles ou impossibles des projets sans qu'ils en soient suffisamment informés ? Cette audition vous donne l'occasion de répondre aux incompréhensions qui s'expriment régulièrement, notamment au Sénat.
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Christophe Leblanc, Isabelle Matykowski, Nicolas Mourlon, Loïc Obled, Sandrine Rocard et Aude Witten prêtent serment.
Mme Sandrine Rocard, agence de l'eau Seine-Normandie. - Je vais commencer par évoquer le rôle des agences de l'eau, leurs grandes missions et surtout leurs spécificités qui justifient leur statut d'établissements publics distincts des administrations classiques. Les agences de l'eau ont été créées en 1964, posant les grands principes de la gestion de l'eau en France.
Le premier est de travailler à l'échelle des bassins hydrographiques, qui correspond à la réalité physique du cycle de l'eau.
Le deuxième principe est de créer une gouvernance collective au sein de chaque bassin, à travers les comités de bassin, dans une triple logique : solidarité entre les différents acteurs du bassin ; responsabilisation des acteurs, le comité de bassin ayant un rôle décisionnaire ; décentralisation, avec un poids important des collectivités. Les agences de l'eau animent ces comités de bassin au service de l'ensemble des parties prenantes : collectivités, services de l'État, acteurs économiques et associatifs. Ces parties prenantes constituent la gouvernance même de l'agence, notamment son conseil d'administration, qui est une sorte de comité de bassin en miniature. Il est présidé par un préfet, mais l'État n'y est pas majoritaire, ce qui diffère du modèle d'une administration classique.
En troisième lieu, la loi de 1964 attribue à chaque bassin des recettes spécifiques, des redevances, permettant à l'agence de répondre aux besoins du bassin. L'agence agit comme une mutuelle au service du bassin et est financièrement autonome, ne recevant aucune subvention pour charge de service public de l'État pour ses missions.
Quatrième élément : les conditions de soutien et d'accompagnement de l'agence sont fixées dans un programme pluriannuel d'intervention, élaboré et validé collectivement par les instances de bassin. Cela confère une forme d'autonomie de décision à l'agence et ses instances, tout en agissant dans un cadre national fixé par le ministère de tutelle.
Les missions des agences ont évolué depuis 1964, s'adaptant aux enjeux identifiés par le législateur et l'État. Initialement centrées sur la réduction des pollutions urbaines et industrielles, elles couvrent aujourd'hui un spectre beaucoup plus large, incluant la gestion des milieux aquatiques, la biodiversité, l'adaptation au changement climatique.
Le rôle des agences de l'eau a également évolué en termes de missions. Aujourd'hui, nous disposons de différents leviers pour faire progresser nos bassins dans les domaines que j'ai cités, conformément aux engagements de la France vis-à-vis de la directive-cadre européenne sur l'eau. Notre rôle va bien au-delà du simple financement ; nous ne sommes pas un simple guichet. Nous jouons un rôle structurant dans la mise en oeuvre des politiques publiques qui nous sont confiées, ce qui est caractéristique des agences de l'État.
Notre mission principale est la gestion des redevances et l'intervention. Une autre de nos grandes missions consiste également à approfondir la connaissance du bassin. Les agences de l'eau établissent des liens avec le monde de la recherche et de l'expertise scientifique. Nous avons également un rôle en matière de planification, introduit par la loi sur l'eau de 1992. L'agence de l'eau prépare les grands documents d'orientation du bassin, notamment le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), approuvé par le comité de bassin. Nous élaborons aussi des plans et des stratégies d'adaptation au changement climatique. En termes de planification, nous soutenons les acteurs locaux dans la mise en place d'instances de dialogue et dans l'élaboration de leurs propres plans d'action pour la gestion de l'eau.
Plus largement, nous jouons un rôle fédérateur pour le bassin, en animant un réseau d'acteurs ancrés dans les territoires. Cela se traduit par l'animation des instances de bassin et, plus généralement, de l'ensemble des acteurs. Nous assurons l'information et la communication auprès des parties prenantes, cherchant des relais sur le terrain pour promouvoir nos politiques et nos priorités. Avec environ 1 500 agents répartis dans toute la France, nous nous efforçons de faire en sorte que tous ces acteurs partagent les enjeux du bassin et les priorités d'action.
Je voudrais souligner deux atouts supplémentaires des agences de l'eau, en commençant par notre expertise technique, qui est développée et reconnue. Cette expertise est indispensable dans nos domaines d'activité et s'étend à l'accompagnement technique et financier des acteurs et à la gestion des redevances. Ces dernières années, l'État nous a confié la gestion de nouveaux dispositifs d'accompagnement et a élargi le champ des redevances que nous gérons, s'appuyant sur cette expertise. Par exemple, nous avons géré certains volets du plan de relance et du fonds vert, ainsi que les nouveaux fonds biodiversité liés aux parcs éoliens en mer. Nous avons également accompagné le plan baignade en Île-de-France en vue des Jeux olympiques, et nous lançons une expérimentation sur un dispositif de certificats de biodiversité avec les entreprises.
Le deuxième atout majeur est notre agilité, qui nous permet de nous adapter aux besoins du bassin. Notre programme d'intervention pour la période 2019-2024 a été modifié 17 fois, illustrant notre capacité d'adaptation et l'efficacité de notre circuit décisionnel, qui intègre l'ensemble des parties prenantes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la gestion des redevances. Assurez-vous la collecte ? Considérant que la DGFIP gère désormais l'ensemble des autres taxes et impôts, y compris des missions anciennement dévolues aux douanes, ne serait-il pas pertinent qu'un collecteur unique au niveau de l'État répartisse ensuite les fonds ?
Concernant la mutualisation, nous comprenons le principe de gestion par bassin hydraulique. Cependant, avec six agences, pouvez-vous garantir qu'il n'y a pas de redondance de certaines expertises ? Certains profils très spécifiques pourraient-ils être centralisés plutôt que répartis dans les six agences ?
Comment la tutelle exerce-t-elle son rôle ? Existe-t-il un véritable comité d'animation pour s'assurer que la mutualisation, notamment des fonctions support et d'expertise, est effective et que les agences fonctionnent de manière harmonisée ? Il serait intéressant d'avoir le retour d'expérience des collectivités situées dans des zones couvertes par deux agences de bassin pour comprendre pourquoi nous nous posons ces questions.
Mme Isabelle Matykowski, agence de l'eau Artois-Picardie. - Concernant les redevances, les agences en gèrent une dizaine, dont trois représentent plus de 80 % des ressources. Les taux de ces redevances sont arrêtés par les comités de bassin dans une logique globale de stratégie liée au programme d'intervention. Nous préparons actuellement les 12èmes programmes d'intervention pour la période 2025-2030. Face à une stratégie avec des ambitions spécifiques aux caractéristiques de chaque territoire de bassin, les acteurs du territoire s'accordent sur le volet recette pour activer tel ou tel dispositif de tarification ou niveau de tarif en fonction des besoins du territoire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je faisais référence à la gestion du recouvrement, pas à la politique tarifaire. Aujourd'hui, avec un système d'information performant, il est possible de déterminer l'agence de bassin dont relève un usager et le niveau de tarification à appliquer en fonction de son adresse. Est-il encore pertinent d'avoir six agences de recouvrement plutôt que de transférer cette charge à la DGFIP, qui gère déjà d'autres encaissements ? Je comprends la nécessité de politiques tarifaires différenciées selon les territoires, mais ma question porte spécifiquement sur la partie recouvrement.
Mme Sandrine Rocard. - Il faut souligner que les redevances des agences de l'eau ne sont pas simples à instruire. Il faut tenir compte d'une dimension technique importante dans l'instruction des redevances effectuée par les agences. Par exemple, nous avons mis en place un nouveau système de redevances basé sur la performance des systèmes d'assainissement et des réseaux d'alimentation en eau potable, qui nécessite une véritable expertise technique de la part des agences de l'eau.
Le deuxième aspect provient d'un rapport de l'IGF de 2018 qui a examiné cette fonction de gestion des redevances, la perception des redevances et son coût. La conclusion était que le système était globalement efficient et relativement peu coûteux. Le coût de la collecte annuelle des redevances avait alors été évalué à environ 1 % des redevances perçues, ce qui était considéré comme particulièrement efficace et performant par rapport aux normes ou aux taux de la DGFIP.
M. Loïc Obled, agence de l'eau Loire-Bretagne. - Concernant les recrutements dans les directions des redevances, les profils recherchés sont plutôt techniques et diffèrent de ceux de l'administration des finances publiques. La territorialisation et le contact direct avec les délégations territoriales permettent une relation directe avec les collectivités, facilitant le conseil et les recommandations. La réforme des redevances vise à récompenser la performance, ce qui nécessite d'expliquer le lien entre les recettes ou la redevance et les aspects techniques mis en oeuvre. Il s'agit d'une expertise complexe.
Pour le comité de bassin, il est symboliquement important que l'agence assure le recouvrement. Pour le « Parlement de l'eau » qu'est le comité de bassin, cela garantit le principe selon lequel « l'eau paie l'eau » et permet à ce Parlement, conformément aux règles démocratiques, de fixer les lignes directrices tout en contrôlant l'utilisation des fonds.
Concernant les mutualisations, les agences de l'eau ont différents métiers, dont celui du lien avec les territoires. Contrairement à certains services de l'État qui ont perdu ce lien, les agences maintiennent une forte proximité avec les acteurs locaux. De nombreux agents combinent expertise territoriale et technique.
L'OFB, héritier de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), assure des missions nationales au service des agences de l'eau comme le rapportage des directives européennes, la gestion des données, la recherche, et l'élaboration de guides techniques. Dans certains cas, la proximité de terrain est importante. Parfois, il est préférable qu'un établissement public comme l'OFB assure les missions. Parfois encore, la mutualisation entre agences est nécessaire. Depuis plusieurs années, cette démarche de mutualisation a été initiée, se concrétisant par la création d'une direction des systèmes d'information commune. Nous capitalisons également sur les compétences spécifiques présentes dans différentes agences pour améliorer l'efficacité globale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi le système d'information commun n'est-il pas hébergé par l'ONEMA, plus tard intégré dans l'OFB ? Considérant le montant significatif des redevances collectées et reversées à l'OFB pour diverses politiques, estimez-vous que la doctrine « l'eau paie l'eau » est toujours applicable ?
M. Loïc Obled. - Les agences de l'eau ont été chargées de s'occuper à la fois de l'eau et de la biodiversité, reflétant l'approche globale du grand cycle de l'eau. Cette évolution coïncide avec la création de l'Agence française de la biodiversité (AFB), puis de l'OFB, qui traitent également les domaines de l'eau et de la biodiversité. Il est donc logique que les financements de l'eau et de la biodiversité soutiennent des structures oeuvrant dans ces domaines.
Toutefois certaines missions ajoutées à l'OFB ne relèvent pas directement des agences de l'eau. L'absence de fiscalité spécifique à la biodiversité soulève des questions sur les outils de financement.
Concernant les systèmes d'information, la répartition des tâches se fait selon les compétences : l'OFB développe certains outils, tandis que les agences en gèrent d'autres. Cette répartition est décidée en concertation avec la tutelle, qui organise des réunions régulières entre les agences et l'OFB pour assurer une coordination stratégique et technique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant la distribution des aides, jugez-vous pertinente la répartition actuelle entre les aides locales versées par les agences de l'eau et les aides nationales versées par l'OFB ? N'estimez-vous pas que certaines politiques, notamment liées à l'eau et à l'assainissement, devraient être entièrement gérées par les collectivités locales et les syndicats d'assainissement, alors que les agences de l'eau continuent d'intervenir ?
M. Loïc Obled. - Concernant la
répartition entre l'OFB et les agences de l'eau, ces dernières se
concentrent sur les activités du bassin et les enjeux territoriaux.
Elles accompagnent les collectivités et les professions agricoles pour
atteindre des objectifs spécifiques liés à l'eau, avec des
objectifs
environnementaux ancrés dans les territoires.
L'OFB, quant à lui, finance plutôt les animations, les têtes
de réseau et les associations, avec un bénéfice plus large
pour l'ensemble des bassins.
Les subventions accordées par les agences visent des objectifs clairement définis par le SDAGE. Nous utilisons les fonds collectés via les redevances pour atteindre ces objectifs. Les agences jouent un rôle de levier, favorisant la transition, le ciblage et la solidarité entre les territoires. Cette solidarité entre l'amont et l'aval est cruciale.
Cela n'empêche pas les collectivités d'assumer leurs responsabilités dans la gestion de leurs réseaux. Notre rôle est d'apporter un effet levier, d'assurer une certaine homogénéité, par exemple avec le plan eau suite à la sécheresse de 2022, et de maintenir la solidarité entre les différentes parties du bassin.
M. Christophe Leblanc, agence de l'eau Rhin-Meuse. - Si nous laissons les syndicats et les intercommunalités seuls responsables du financement, beaucoup ne pourront pas y parvenir. Malgré les hausses parfois importantes du prix de l'eau, certains n'arrivent pas à obtenir des taux de financement adaptés. L'aide de la Banque des territoires pour les financements est certes intéressante, mais nous sommes parfois contraints de déroger à nos aides pour des petits syndicats.
Mme Aude Witten, agence de l'eau Adour-Garonne. - L'action de l'agence est particulièrement cruciale dans les bassins ruraux, comme en Adour-Garonne, où la question du prix de l'eau est un levier majeur pour le modèle économique des syndicats face aux investissements considérables nécessaires dans chaque bassin pour faire face aux effets du changement climatique. Cependant, les bases sur lesquelles repose la capacité d'investissement sont parfois trop faibles pour que les syndicats ou certaines communes puissent, seuls, faire face à l'ampleur de ces investissements.
L'action de l'agence vise à permettre aux collectivités de porter des projets répondant à l'accélération du dérèglement climatique, non seulement par le biais du prix de l'eau, mais aussi grâce à des effets de levier et de financement, avec la Banque des territoires.
En matière d'assainissement, notre intervention est particulièrement urgente. La directive-cadre sur l'eau fixe à 2027 l'objectif d'atteindre 100 % de bon état des eaux. Nous avons des objectifs déclinés à l'échelle des bassins, mais les points de pression que représentent les stations d'épuration non conformes nous poussent à les identifier et à demander une accélération de leur mise aux normes, en utilisant l'effet de levier pour faire en sorte que les délais soient tenus.
M. Cédric Vial. - Premièrement, concernant le financement, vous avez évoqué l'eau et le financement de l'OFB. Une partie de l'argent collecté sur les redevances de l'eau entre directement dans le budget de l'État. Comment réagissez-vous à cette situation ? Vous avez indiqué que les redevances sont fixées par le comité de bassin. Vous avez également parlé du « Parlement de l'eau ». Pouvez-vous préciser le mode de scrutin de ce Parlement ? Selon moi, un Parlement est élu, et sa légitimité à prendre des décisions vient du vote. J'aimerais que vous expliquiez votre conception de la légitimité de ce Parlement de l'eau.
Deuxièmement, concernant le financement, la Cour des comptes a soulevé plusieurs points il y a une dizaine d'années. Notamment, une hausse de 22 % du salaire moyen de chaque agent au sein des agences de l'eau avait été dénoncée par la Cour des comptes. Qu'en est-il aujourd'hui de l'évolution du salaire moyen des personnels ? Avez-vous corrigé cette tendance ? Une hausse de 13 % de la masse salariale avait également été dénoncée. Quelle est la situation actuelle ? De plus, la Cour des comptes avait recommandé une mutualisation entre les agences, notamment une mutualisation des services d'information. Avez-vous progressé sur ce point depuis ce rapport ?
Ma deuxième question porte sur la légitimité. J'ai des difficultés avec la politique de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui me semble s'écarter de ce que souhaitent la représentation nationale ou les élus locaux. Par exemple, la loi permet actuellement aux communes de gérer l'eau en régie, et cette loi sera sans doute prolongée. Pourtant, certaines agences de l'eau décident de ne plus financer les communes rurales en régie. Dans le département de la Savoie, en moyenne, moins de 3 % des communes rurales isolées ont été financées ces dernières années par des aides de l'agence. Comment expliquez-vous cet écart entre la politique de l'agence et celle fixée par le législateur ?
Devant qui rendez-vous compte de ces aides ? Vous indiquez que le « Parlement de l'eau » décide des montants prélevés, mais qui sont ces élus et à qui rendent-ils des comptes ?
Mme Isabelle Matykowski. -Pour revenir sur le sujet des plafonds, il en existe plusieurs types. Le plafond de recettes est fixé chaque année et le « plafond mordant » a été institué par la loi de finances de 2017 pour éviter les prélèvements sur les fonds de roulement des agences et pour gérer un montant maximum de redevances des six agences. Le fonctionnement du plafond mordant implique que toutes les recettes qui dépassent le plafond de recettes fixé retournent directement dans le budget général de l'État.
La Cour des comptes, dans un rapport de 2023 sur la gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique, a préconisé de supprimer le plafonnement du produit perçu par les agences de l'eau. L'objectif était de donner davantage de responsabilités aux comités de bassin dans l'établissement de la fiscalité affectée à la politique de l'eau. En effet, ce plafond mordant peut avoir des effets pervers. Par exemple, dans le cas de l'agence Artois-Picardie, où les tarifs de redevances étaient relativement élevés, les administrateurs ont décidé en 2022 de baisser ces tarifs pour éviter le versement direct à l'État, qui représentait environ 20 à 30 millions d'euros sur la période 2019-2024. Cette décision de baisse des tarifs est intervenue en 2022, une année marquée par une importante sécheresse dans le nord de la France. Cela a permis d'envoyer un signal concernant un usage responsable des ressources en eau.
M. Christophe Leblanc. - Concernant la composition du comité de bassin, qu'on appelle aussi « Parlement de l'eau », ce qui peut paraître abusif, il est constitué à 40 % de représentants des collectivités et à 20 % d'usagers économiques. Les collectivités sont représentées par des élus communaux, départementaux et régionaux, désignés par Régions de France, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) et l'Assemblée des départements de France (ADF). Ces personnes sont nommées par les associations représentatives, sans scrutin direct. Deux parlementaires, une sénatrice et une députée, siègent au sein de notre comité de bassin. L'expression « Parlement de l'eau » provient du fait que l'ensemble des usagers de l'eau sont représentés dans cette instance, qui a l'obligation de débattre des enjeux et des partages. Les comités de bassin ont été créés par la loi, en application du code de l'environnement. En termes de transparence, l'ensemble des délibérations et des procès-verbaux sont accessibles sur les sites internet des agences. Quant à la légitimité, c'est une question de fond de savoir si le fait de ne pas être élu la remet en cause.
M. Nicolas Mourlon, agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. - S'agissant de l'exercice de la tutelle, nous fonctionnons avec un programme d'intervention, en recettes comme en dépenses. Le processus d'élaboration de ce programme commence par un acte politique descendant, la lettre de cadrage. Le programme actuel a été élaboré en mai 2023, quelques mois après le plan eau.
Concernant le personnel, au 31 août 2024, les agences de l'eau comptaient environ 1 600 agents, dont 86 % de contractuels et 14 % de fonctionnaires. Cette répartition répond à un constat du rapport du Conseil d'État datant de 2012, indiquant que le recrutement d'agents contractuels, facilité par le statut d'agence, permet une plus grande capacité à mobiliser des experts et une meilleure attractivité. En 2007, un décret a défini un « quasi-statut », comprenant des règles spécifiques pour nos agents, différentes de celles de la fonction publique. Ce statut, qui n'a pas évolué depuis, est aujourd'hui perçu comme vieillissant, tant dans ses règles que dans ses valeurs. Actuellement, nos standards se situent en dessous des standards des contractuels du droit public. Une revalorisation est en réflexion, inscrite à l'agenda social du ministère de la transition écologique depuis mars 2024.
Concernant la masse salariale, il existe des points de contrôle. Notre arrêté de dépenses fixe des limites sur l'ensemble du programme, notamment sur le fonctionnement, qui inclut la masse salariale. Le budget non consommé sur les interventions ne peut se reporter sur la masse salariale. Nous observons une stabilisation, voire une baisse de la masse salariale ces dernières années, due à une importante réduction d'effectifs d'environ 25 % entre 2015 et 2023. Actuellement, il y a une volonté de stabiliser l'effectif, avec une légère augmentation de 66 postes l'an passé, atténuée par une baisse de 12 postes en fin d'année financière.
En tant qu'organisme d'intervention, nous devons prioriser certains dispositifs en fonction de la disponibilité des crédits. Cependant, nous devons veiller à ne pas créer de la norme, notamment concernant le prix de l'eau. Notre rôle est de transmettre un message sur un prix de l'eau au niveau national, sans interdire des prix inférieurs, qui peuvent résulter de choix politiques locaux.
Concernant le transfert des compétences, suite à l'annonce du Gouvernement de renoncer au transfert automatique, nous avons veillé à ce que nos programmes ne créent pas de nouvelles normes imposant ce transfert. Nous proposons des dispositifs de financement pour les services publics d'eau et d'assainissement, avec des accès facilités pour certaines communes, notamment celles en zone de solidarité rurale. Les contrats permettent également d'accéder à des aides spécifiques, bien que leur mise en place demande une certaine ingénierie, souvent portée par les structures intercommunales. Néanmoins, les communes restent éligibles aux aides, il suffit d'examiner les différents dispositifs disponibles.
Mme Pauline Martin. - Je souhaite rebondir sur plusieurs points. Je perçois un message implicite de la préfecture concernant un chantage au financement en cas d'absence de transfert. Tel est le message actuellement transmis aux communes.
Ensuite, je m'interroge sur la déclinaison de votre lettre de cadrage au niveau des bassins. Nous constatons des différences d'accompagnement et de financement entre les agences. Je suppose que c'est le comité de bassin qui prend ces décisions. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
J'ai bien noté l'effet de synergie des financements, avec un rôle d'accélérateur, mais nous notons une fâcheuse tendance à financer principalement les études au détriment des travaux ou des projets sur les territoires.
Enfin, comment les agences collaborent-elles avec les autres opérateurs publics tels que l'OFB, l'Ademe, l'agence régionale de santé (ARS) et les collectivités pour éviter les doublons et optimiser la gestion de la ressource en eau ?
M. Cédric Vial. - En complément, j'ai déjà abordé les sujets suivants avec certains de vos collaborateurs et le préfet de région. Malgré le règlement permettant à tous de bénéficier des aides, la réalité est différente. Les aides sont soit non attribuées, soit les communes sont dissuadées de les demander. Le milieu rural est particulièrement affecté, avec seulement quatre aides sur 120 en moyenne ces trois dernières années, à l'exception d'une commune. Les communes sont dissuadées de déposer des demandes.
Nous rencontrons des difficultés avec votre méthode, notamment concernant la légitimité de certaines règles que vous imposez.
De plus, il existe une forme de « chantage » où l'aide pour un projet, par exemple une station d'épuration, est conditionnée à des investissements supplémentaires, comme la renaturation d'une rivière ou l'arasement d'un barrage. Ces situations créent des pressions sur les collectivités, les obligeant à utiliser leur budget général pour des dispositifs imposés.
La complexité de vos dossiers est également problématique. On m'a même expliqué que vous envisagiez de mettre en place des aides aux départements pour qu'ils puissent financer du personnel aidant les communes à monter les dossiers. Cette situation est absurde.
Il est nécessaire de changer la relation que vous avez avec les collectivités. La gestion actuelle de l'argent public et la différence des règles d'une agence à l'autre posent question. Les décisions sont prises par des personnes non élues, parfois en contradiction avec les élus.
Concernant vos effectifs, avec environ 1 600 agents, soit en moyenne 16 par département, il semble y avoir un écart important entre les moyens affectés et ce que l'on constate sur le terrain. Or les agents en charge des interventions représentent 1,5 équivalents temps plein (ETP) par département, donc il y a des postes sur d'autres fonctions. Ne serait-il pas possible d'optimiser cette organisation, à l'échelle du bassin ou plus largement ? Ne pourrait-on pas envisager une mutualisation avec les départements, plutôt que de les financer, afin d'aider les communes à monter leurs dossiers ?
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie pour ces éclaircissements sur le rôle des agences de l'eau et leur perspective sur des territoires diversifiés. Ma question porte sur l'aspect organisationnel. Actuellement, vos agences s'appuient sur des outils comme les SDAGE et les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE). L'OFB et l'Ademe interviennent, ainsi que les établissements territoriaux de bassin, les syndicats de bassin, les collectivités territoriales, sans oublier la gestion des milieux aquatiques et la partie étatique, avec les préfectures, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), le ministère, etc. Si vous en aviez le pouvoir, que changeriez-vous dans cette organisation pour la simplifier ? Je ne cherche pas à établir de hiérarchie, mais pour un élu local, la multiplication des acteurs peut mener à des situations absurdes.
M. Nicolas Mourlon. - L'eau recouvre une réalité physique, avec des bassins étendus parfois sur plusieurs départements et plusieurs régions. Les agences de l'eau apportent une capacité à comprendre le phénomène sur l'ensemble de ces territoires.
Dans des périodes de tension sur la ressource en eau, proportionnellement aux autres, plus de communes isolées ont rencontré des difficultés. Notre préoccupation principale porte sur la gestion équilibrée de la ressource en eau, afin de mettre tous les territoires en capacité de gérer leur eau de manière satisfaisante. Cette situation ouvre un débat sur le meilleur niveau de gestion. Nous encourageons la réflexion et le débat sur cette question, considérant que cela va dans le sens d'une meilleure gestion de l'eau.
En 2012, le Conseil d'État a constaté que les agences permettaient une meilleure implication des parties prenantes issues du milieu professionnel, grâce à leur implantation locale. Concernant le comité de bassin, nous suivons le cadre fixé par la loi en termes de désignation, avec le préfet de bassin qui désigne les membres. Cela permet l'association des parties prenantes, pour réfléchir aux bons équilibres entre les différentes catégories d'usagers sur leur contribution à la politique de l'eau et les bénéfices qu'ils en tirent. Ces équilibres varient d'un bassin à l'autre, en fonction de la géographie et de la nature du territoire.
Mme Aude Witten. - Tous les programmes des agences ont été rehaussés pour ces nouveaux programmes qui démarrent le 1er janvier et dureront six ans. Ils ont été négociés au sein de ces « Parlements » et des conseils d'administration, qui en ont été la cheville ouvrière. La composition plurielle de ces instances, incluant des collectivités, qui forment le plus gros collège, des associations environnementales, des industriels, des agriculteurs et l'État, a permis d'obtenir un consentement à payer. Les programmes d'intervention ont été renforcés pour répondre aux besoins d'investissement liés au changement climatique, soutenus par une stratégie fiscale. Cette négociation entre les différents collèges est cruciale pour que la politique soit autoportante et financée. Ces « Parlements de l'eau » créent le consentement à payer et à soutenir ces programmes. Nous observons un très bon taux de recouvrement, ce qui est confirmé par les enquêtes, notamment la dernière enquête de l'Ademe, montrant un meilleur consentement à l'impôt lorsque la taxe est affectée et que sa destination est expliquée et partagée.
En Adour-Garonne, nos administrateurs, en approuvant un programme avec une capacité financière accrue, nous ont également demandé d'obtenir des résultats. Ils l'ont fait parce qu'on leur avait communiqué les impacts des études scientifiques, et notamment la dernière étude relative aux effets du changement climatique, qui montrait bien que les investissements devaient être faits dans les dix prochaines années et être impactants pour que notre territoire soit réellement résilient face au changement climatique. Ils nous ont demandé de nous assurer de l'efficience de l'euro investi. Quand on écrit des délibérations avec des conditionnalités, quand on prévoit, par exemple, de financer du stockage de l'eau à condition qu'il soit multi-usages, à condition qu'il engage aussi de la sobriété, à condition qu'il engage des pratiques agroenvironnementales, ce sont des éléments qui vont permettre la soutenabilité et l'acceptation de ces projets sur le terrain. Nous avons négocié ces critères de conditionnalité avec l'ensemble de nos collèges. De même, pour les investissements en eau potable et assainissement, nous demandons que les effets du changement climatique soient pris en compte dans les projets qui nous sont présentés, que les projets d'eau potable y soient portés à bonne échelle pour être robustes face au changement climatique. L'expérience de 2022, où 400 communes ont frôlé la rupture d'approvisionnement, nous pousse à exiger les meilleurs projets qu'il soit possible pour les six prochaines années du programme. C'est sur ces bases que nous rendons des comptes à notre comité de bassin et à nos bénéficiaires.
M. Cédric Vial. - J'aimerais obtenir des réponses à plusieurs questions. Premièrement, est-il vrai qu'aujourd'hui vous accordez des aides en échange d'un engagement de la collectivité à mener des projets de renaturation, par exemple en contrepartie d'une aide pour leur station d'épuration ? Est-ce une pratique courante ?
Deuxièmement, est-il exact que vous envisagez ou avez déjà mis en place des aides auprès d'autres collectivités pour fournir de l'ingénierie et accompagner les collectivités dans la conduite de leurs dossiers ?
Enfin, une question plus ouverte : l'action que vous et vos agents conduisez ne serait-elle pas plus efficace, efficiente ou pertinente si elle était portée, par exemple, par une collectivité comme les départements, qui ont déjà une action en matière d'assainissement ? Cela tout en conservant un cadrage national et potentiellement les agences de bassin à votre échelle, mais en remplaçant ces « parlements », qui n'en sont pas vraiment puisque leurs membres sont nommés, par les présidents de départements. Ces élus seraient alors porteurs de la politique locale à l'échelle du bassin et pourraient fixer la redevance. Ils pourraient adapter la politique dans le cadre d'une agence nationale. Cette approche ne permettrait-elle pas d'améliorer la synergie avec les autres acteurs, de gagner en efficience et d'éviter de nombreuses concertations locales ? Cette direction vous semble-t-elle intéressante, et sinon, pourquoi ?
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - L'alimentation en eau potable va être fortement impactée par le changement climatique, et nous devons nous y préparer. Concernant l'assainissement, qui semble être un problème local, la loi prévoit que la même entité gère à la fois l'eau, l'assainissement et les aspects pluviaux. Pourriez-vous, à la lumière de votre expérience, nous dire s'il y a un réel intérêt à ce que la même structure soit responsable de ces différentes compétences ?
M. Loïc Obled. - En ce qui concerne le deuxième programme, notamment en Loire-Bretagne, nous nous efforçons d'accompagner les collectivités dans leurs réflexions sur l'eau de manière globale. Face au changement climatique et à l'évolution des ressources, il n'est plus possible de mener des politiques séparées pour la gestion de l'eau, le cycle de l'eau, l'urbanisme, etc. Notre rôle est d'apporter un appui technique et une expertise aux collectivités pour qu'elles appréhendent l'eau dans sa globalité. Il n'y a aucune pression de notre part sur les collectivités à engager une action sur un sujet pour obtenir une aide sur un autre. Nous les encourageons à adopter une vision systémique, conformément à la lettre de cadrage qui nous demande d'établir des contrats de territoire. Nous travaillons avec les collectivités pour définir des objectifs communs, puis nous déterminons les moyens à mobiliser en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque situation. Les collectivités déterminent ensuite ce qu'elles font et, en fonction de ce qui a été voté par le conseil d'administration et étudié par le comité de bassin, dire à quel niveau la collectivité sera aidée.
Concernant les départements, dans mon bassin, nous ne payons pas des agents pour aider des collectivités à obtenir des aides. Toutefois, l'échelon départemental est crucial pour réfléchir à des schémas directeurs à l'échelle du territoire. Par exemple, dans le Finistère et la Creuse, des initiatives sont prises pour interconnecter les réseaux et exercer une solidarité face aux risques de pénurie. L'agence accompagne ces démarches. L'échelle départementale s'insère dans une logique de bassin, ce qui est essentiel. Si les départements devaient reprendre les missions des agences de l'eau, cela engendrerait des coûts de transaction importants et poserait probablement des problèmes de consentement à l'impôt.
Notre rôle est de travailler avec les collectivités, qui sont les décideurs sur leur territoire. Nous avons pour mission de les éclairer et de les accompagner en termes d'expertise et de soutien financier.
En Loire-Bretagne, 90 % des communes qui ont connu des difficultés d'approvisionnement en eau étaient isolées. Elles ont été aidées, notamment grâce aux moyens déployés par l'État et d'autres collectivités. Le plan eau nous demande de travailler sur l'interconnexion des réseaux pour éviter que ces situations ne se reproduisent. L'échelle intercommunale, quand elle est possible, permet de simplifier les contrats et de mutualiser les ressources et les compétences, ce qui peut être bénéfique pour la gestion de l'eau.
Dans le Loiret, nous avons proposé de réunir l'ensemble des parlementaires, afin de faire des points d'actualité devant la représentation nationale. Le 1er avril à l'Assemblée nationale et le 9 avril au Sénat, nous organiserons des rencontres avec les parlementaires pour présenter notre actualité et lever d'éventuelles incompréhensions. Il est vrai que nous finançons des études, ce qui peut être critiqué, mais ces études ne représentent que 10 % de nos dépenses et sont nécessaires pour préparer les investissements considérables à venir. L'argent qui parvient dans les caisses de l'agence y reste un mois en moyenne, puis est réinvesti dans les territoires. Les collectivités font face à un mur d'investissement. Peut-être ne sommes-nous pas toujours en mesure, dans notre bassin, d'accompagner toutes les collectivités qui voudraient être aidées sur les thématiques qui nous intéressent.
M. Christophe Leblanc. - Je voudrais illustrer la difficulté de se limiter à l'échelle départementale. Nous avons travaillé sur les bassins versants avec la Moselle, la Haute-Marne et la Communauté européenne d'Alsace. Pour la Moselle, par exemple, dix bassins versants concernent ce département, mais seuls trois sont entièrement internes au département, un autre concerne trois départements. Cette situation nécessite une coordination importante entre les territoires. Nous signons des contrats de territoire avec certains départements, ce qui montre bien notre engagement.
Mme Anne-Sophie Patru. - En tant que sénatrice d'Ille-et-Vilaine, j'ai récemment été interpellée concernant la révision du SAGE Vilaine. Nous avons le sentiment d'une représentativité insuffisante des élus ruraux dans ces instances qui prennent des décisions importantes. Nous constatons une forte représentation des territoires métropolitains, liée au nombre d'habitants, qui contraste avec celle des territoires ruraux qui produisent l'eau. Je voudrais avoir votre point de vue sur cette question de représentativité. Comment pourrait-on envisager une certaine progressivité pour résoudre ce sentiment d'injustice, qui me semble être une préoccupation légitime ?
M. Loïc Obled. - Je pense que c'est un enjeu majeur. Nous évoquions les solidarités que les agences tentent de mettre en oeuvre. Il existe un défi crucial entre les métropoles et les zones rurales, car souvent, l'eau consommée dans les métropoles provient des aires rurales. Nous devons réfléchir collectivement à la gestion de la ressource sans opposer les territoires. Un enjeu sensible est de parvenir à générer un débat public apaisé sur la question de l'eau. Cette thématique, très technique, a peut-être été trop longtemps l'apanage des spécialistes, qu'ils soient fonctionnaires, agents publics ou élus. Les élus qui s'intéressent à l'eau sont souvent des experts maîtrisant parfaitement les mécanismes institutionnels, mais utilisant un langage trop spécialisé. Face au changement climatique et aux enjeux de qualité de l'eau, nous devons élargir le débat, afin de générer de l'action, que ce soit par la réglementation étatique, l'accompagnement des agences ou la gouvernance des collectivités. Nous avons besoin d'un débat public sur l'eau qui ne soit pas réservé aux seuls techniciens.
M. Pierre Barros, président. - Le débat est intéressant parce que ceux qui produisent ne sont pas ceux qui consomment, et ils ne sont pas ceux qui payent. Cela interroge sur le modèle et sur les frustrations qui sont générées dans les territoires : ce n'est pas anodin et il y a des retours d'expérience douloureux.
M. Michaël Weber. - Vous traitez à la fois de l'eau et de la biodiversité. Comment gérez-vous les éventuels doublons ou chevauchements ? Comment considérez-vous cette nouvelle mission qui vous est confiée ? Disposez-vous des moyens nécessaires et quelle est l'articulation entre ces différents aspects ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette question a déjà été posée, mais elle est légitime.
M. Cédric Vial. - Monsieur Obled, vous avez répondu à ma question concernant « le chantage » et le financement des opérations. Je voudrais savoir si les autres participants partagent votre point de vue sur ce sujet.
Mme Sandrine Rocard. - Dans mon bassin, il n'y a pas de conditions particulières imposées sur les aides.
Mme Aude Witten. - Je me retrouve dans cette approche décrite par Loïc Obled, notamment sur la notion d'approche systémique. C'est ce qui est évoqué lorsqu'un acteur propose un projet de politique territorialisée. Ces politiques visent à avoir une vision à 360 degrés sur les enjeux de la politique de l'eau. Avec notre expertise, nous réfléchissons à l'ensemble de ces facettes. Ces politiques sont bonifiées dans ce sens. Le contrat fonctionne dans les deux sens, et nous adoptons également cette approche systémique.
Mme Isabelle Matykowski. - Cette approche systémique est même officialisée dans notre bassin. Avec les acteurs concernés, nous avons identifié ensemble les actions prioritaires à mettre en oeuvre s'agissant des masses d'eau. Nous avons ainsi mis en place des contrats de masse d'eau qui permettent de bonifier les actions visant le bon état des masses d'eau.
M. Christophe Leblanc. - Nous intervenons dans une logique de contrat, certaines de nos actions méritant d'être davantage prises en considération. Nous avons un retour positif qui nous encourage à avancer. Je peux vous communiquer l'évaluation que nous avons menée. Plusieurs collectivités sont prêtes à s'engager dans de nouveaux contrats avec nous.
M. Nicolas Mourlon. - Nous sommes en parfait accord avec les territoires dans une relation de longue date, pour partager les enjeux de la gestion de l'eau.
Concernant votre question sur l'ingénierie dans le territoire, il s'agit en fait d'une ingénierie de mission. Par exemple, nous ne finançons pas de postes généraux de directeurs. Nous finançons de l'ingénierie liée à un projet.
M. Pierre Barros, président. - Merci pour ces éclaircissements. Je vous remercie tous pour vos interventions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Martin Gutton, directeur général de FranceAgriMer
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, cette journée est consacrée en grande partie au secteur agricole, puisque nous entendrons tout à l'heure l'Agence de services et de paiement (ASP), avant d'entendre les syndicats agricoles.
Pour commencer, nous recevons M. Martin Gutton, directeur général d'un autre organisme, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, que l'on connaît mieux sous le nom de FranceAgriMer. Il est accompagné de Mme Julie Brayer Mankor, directrice générale adjointe, et de M. Stéphane Le Den, directeur des interventions de FranceAgriMer.
FranceAgriMer et l'ASP ne sont pas forcément bien connus du grand public. Ces auditions nous permettront de mieux comprendre comment sont délimités les champs de compétence respectifs des deux opérateurs. Je rappelle que les deux agences ont été créées en même temps, en 2009, et qu'elles ont toutes les deux un siège ou un site national à Montreuil. Cela me conduit à vous poser une première question. Cette proximité historique et géographique vous permet-elle de mieux coopérer, en mutualisant certains services ou en bénéficiant de l'expertise de l'autre organisme ? Avez-vous l'occasion d'échanger sur les bonnes pratiques ?
FranceAgriMer n'est pas seulement un organisme payeur ; c'est aussi un centre d'expertise sur les marchés, un lieu de concertation entre les filières et, enfin, un organisme de soutien à l'exportation pour les secteurs agricole et agroalimentaire.
Votre établissement résulte de la fusion entre les anciens offices agricoles, qui étaient spécialisés par secteurs. Cela m'amènera à vous interroger sur le bilan de cette fusion. Combien d'années a-t-il fallu pour que FranceAgriMer l'« absorbe » ? Comment s'est passée l'intégration des personnels, en fonction de leur statut ? Cette fusion a-t-elle conduit, selon vous, à un gain d'efficacité ou à des économies d'échelle ?
D'une manière générale, notre commission s'intéresse à la manière dont les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État accomplissent leurs missions et à la façon dont leur organisation ou la répartition des rôles avec les services déconcentrés ou les collectivités territoriales pourrait être améliorée. N'hésitez donc pas à nous faire part des difficultés que vous rencontrez à cet égard et à formuler des propositions allant dans le sens d'une meilleure mise en oeuvre des politiques publiques.
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Martin Gutton, Mme Julie Brayer Mankor et M. Stéphane Le Den prêtent serment.
M. Martin Gutton, directeur général de FranceAgriMer. - Monsieur le président, madame la rapporteure, permettez-moi en préalable de me présenter. J'ai pris mes fonctions de directeur général de FranceAgriMer voilà moins de deux mois. Par le passé, j'ai dirigé une agence de l'eau. J'ai également été directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt entre 2009 et 2015, d'abord en Poitou-Charentes, au moment a été créé l'établissement FranceAgriMer, puis en Bretagne. J'ai donc contribué à la préfiguration de l'organisation territoriale de l'établissement : je l'ai vu se mettre en place pendant ses six premières années d'existence, aux côtés de l'ASP.
Le ministère de l'agriculture a hébergé de longue date beaucoup d'opérateurs publics. Le premier, datant de 1936, fut l'Office national interprofessionnel du blé (Onib). Nombre d'organismes ont été institués par la suite, la plupart ayant des liens directs avec la politique agricole commune (PAC). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (Forma) a été créé dans les années 1960 pour regrouper toute une série d'organisations d'intervention agricoles.
En 2009, le ministère de l'agriculture, dont Michel Barnier était alors à la tête, s'est engagé dans la suppression ou la fusion d'un certain nombre d'organisations communes des marchés agricoles (OCM). S'est produit également un changement de paradigme dans la gestion des aides à l'agriculture, avec le passage d'un système d'aides et de soutien de marché à des dispositifs d'aides directes aux producteurs. C'est à ce moment que les organismes ayant précédé l'ASP ont commencé à jouer un rôle plus important dans la gestion des aides de la politique agricole commune. D'une certaine manière, nous avons vécu une bascule du monde de FranceAgriMer vers le monde de l'ASP, du fait des changements de règles communautaires.
Pour autant, il est resté une organisation commune des marchés : c'est sur ce pôle que travaille l'établissement FranceAgriMer, là où l'ASP, elle, est l'acteur principal de la gestion des aides directes à l'agriculture. En un sens, FranceAgriMer évolue dans le monde des filières quand l'ASP est dans l'amont constitué par l'agriculture, avec les services déconcentrés du ministère et, aujourd'hui, les conseils régionaux, qui sont autorités de gestion sur une partie des fonds.
Mais FranceAgriMer, ce n'est pas uniquement la gestion des aides. Pour pouvoir intervenir sur ce terrain, nous avons besoin d'informations, notamment économiques, de connaissance du fonctionnement des marchés et des filières et d'études prospectives. Nous voyons bien quelles sont les difficultés de nos filières agricoles et agroalimentaires ; c'est là l'une des missions importantes de l'établissement. Au-delà de l'agriculture et des entreprises industrielles, notre spectre d'intervention couvre la grande distribution, les consommateurs et, d'une certaine manière, le grand public.
Dans les instances de gouvernance de FranceAgriMer siègent ainsi des représentants des consommateurs. J'utilise souvent la formule : « de la fourche à la fourchette ». Au sein du conseil d'administration de l'établissement, on trouve les syndicats agricoles représentatifs à l'échelon national, la coopération, l'industrie, la distribution, les consommateurs, les salariés, ainsi que des élus, dont deux parlementaires - un sénateur et un député - et un représentant des conseils régionaux, et seulement quatre représentants de l'État.
En d'autres termes, si l'établissement public est sous une tutelle du ministère de l'agriculture, ainsi que du ministère du budget - nous sommes des gestionnaires de fonds publics -, sa gouvernance a un caractère interprofessionnel marqué. Mieux, les conseils spécialisés, qui sont un peu la mémoire des différents offices existant au moment de la fusion, sont des lieux d'exercice d'une certaine forme de « démocratie participative ». On y retrouve les acteurs des grandes cultures, des fruits et légumes, de la viticulture, de la pêche et de l'aquaculture. D'ailleurs, ce conseil spécialisé est sans doute le seul véritable lieu national où tous les acteurs de la pêche et de l'aquaculture se retrouvent dans les locaux de l'établissement, à Montreuil. En un mot, FranceAgriMer est l'établissement des filières agricoles et de la pêche.
Monsieur le président, vous avez évoqué la question de notre articulation avec les services territoriaux de l'État.
En 2009, l'organisation qui avait été choisie par le ministre de l'agriculture consistait précisément à croiser l'établissement et son organisation avec l'échelon territorial régional du ministère. Tous les agents des offices concernés qui ont intégré FranceAgriMer ont été intégrés dans un service territorial, soit au sein d'un service préexistant dans la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), soit - c'est notamment le cas dans les régions viticoles, où les effectifs sont plus importants - dans un service de FranceAgriMer, sous l'autorité du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, donc du préfet de région.
Je sais qu'une telle organisation peut faire débat. Mais, pour l'avoir connue moi-même dans mes fonctions passées, je crois qu'elle a un grand intérêt pour les services déconcentrés de l'État. Ceux-ci avaient progressivement évolué vers des tâches avant tout administratives, là où les agents de FranceAgriMer intervenaient sur le terrain, au plus près des filières. L'organisation dont je viens de parler a donc permis aux services de l'État, à compter de 2009, de bénéficier des compétences de véritables agents de terrain, spécialistes des produits de l'élevage, des filières viticoles ou des fruits et légumes.
En outre, nous travaillons régulièrement avec les directions départementales des territoires (DDT). L'établissement, en plus de gérer des fonds européens, est amené à intervenir dans la gestion de crise. Il est largement utilisé par le ministère de l'agriculture pour mettre en place des mesures d'urgence, sous l'autorité de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l'agriculture (DGPE) et des services pilotés par Stéphane Le Den. L'outillage informatique, qui est essentiel dans la mise en place de tels dispositifs, relève du siège, mais l'instruction des dossiers se déroule le plus souvent à l'échelon départemental, qui est l'échelon des bassins de vie.
FranceAgriMer est clairement avant tout un gestionnaire d'aides de la PAC. C'est notre établissement qui gère le Fonds européen agricole de garantie (Feaga). C'est là que se définissent les priorités annuelles, les dispositifs de gestion des aides et les modalités d'accompagnement des filières, toutes ces missions nécessitant la connaissance dont j'ai parlé. Cela se fait notamment via des conseils spécialisés qui rassemblent tous les professionnels concernés. Encore une fois, on n'y trouve pas seulement les syndicats agricoles : c'est toute la filière qui discute des priorisations. Cela entraîne - je ne vous le cache pas - de nombreux débats pour ce qui est de définir les priorités en fonction de la situation des marchés.
Nous gérons également le volet national du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) et du Fonds européen d'aide aux plus démunis (Fead), ce dernier étant piloté par le ministère chargé de la cohésion sociale.
L'établissement FranceAgriMer a été
très fier que son importance soit reconnue dans la loi du 24 mars
2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement
des générations en agriculture, dont le Sénat a
débattu. Il s'est vu confier un rôle particulier en matière
d'organisation des conférences de la souveraineté alimentaire et
d'accompagnement des filières
et interprofessions dans la
définition des stratégies de souveraineté alimentaire,
avec une cible en 2026. C'est là, me semble-t-il, une belle
reconnaissance de notre travail.
Vous m'avez interrogé sur le bilan de la fusion. J'ai été présent sur le terrain de 2009 à 2015. Une fusion, c'est souvent très lourd, à moins de la mener au pas de charge, ce qui emporte nécessairement des conséquences sociales pour l'établissement. Or, en l'espèce, mon sentiment est que la culture « FranceAgriMer » est aujourd'hui très largement partagée au sein de l'établissement. Cela fait tout de même plus de quinze ans que la fusion a eu lieu. Même si certains collaborateurs aiment à rappeler qu'ils viennent de l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onil) ou de l'Office national interprofessionnel des céréales (Onic) - d'ailleurs, c'est plutôt sympathique ! -, il existe globalement une culture commune à l'ensemble de l'établissement. Il reste bien quelques outils informatiques datant d'avant la fusion, ce qui fragilise notre organisation, mais la fusion a permis de considérables économies d'échelle. Aussi sommes-nous capables de répondre très vite aux engagements des ministres lorsque surviennent des situations difficiles, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de la pêche. L'intégration des personnels a également été une réussite, me semble-t-il.
Je l'ai indiqué : quinze ans, c'est long. Nous constatons avec satisfaction que la fusion a été réussie, y compris au sein des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt : croiser la culture d'un établissement national avec celle d'un service déconcentré de l'État n'était peut-être pas l'exercice le plus facile qui soit.
J'ai peut-être un regret pour ce qui est de l'articulation de notre travail avec celui des régions, et en particulier des treize collectivités régionales métropolitaines, qui ont aujourd'hui, vous le savez, des compétences extrêmement étendues en matière de développement économique et d'agriculture. En la matière, nous avons manifestement des marges de progression. Cette articulation est sans doute plus difficile à réaliser pour un établissement national ; elle se fait à l'échelon local via les services territoriaux et les Draaf, mais des coopérations restent sans aucun doute à développer. Tel est du reste l'objectif que nous nous sommes fixé avec Régions de France. En tout état de cause, nous devons aller plus loin dans la construction d'un travail commun.
Si le siège de l'ASP est à Limoges, son président-directeur général et un certain nombre de ses collaborateurs sont installés dans les mêmes locaux que nous. FranceAgriMer gère un bâtiment entier, qui s'appelle l'Arborial, sur un ancien site industriel de déroulage du bois. On y trouve l'Agence Bio, l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), l'équipe nationale de l'ASP et 600 agents de FranceAgriMer, les 300 restants étant dans les Draaf. Nous avons donc déjà engagé d'importantes mutualisations.
FranceAgriMer gère l'ensemble du site et offre une série de prestations communes à tous les établissements du ministère de l'agriculture, qui partagent par exemple un groupement comptable. Cette semaine, nous étions réunis avec les directeurs et les directrices des différentes structures pour échanger, comme c'est régulièrement le cas, sur nos thématiques communes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le groupement comptable que vous venez de mentionner ? Y a-t-il d'autres mutualisations au sein des agences du ministère de l'agriculture ?
Quel est le statut des 300 agents qui sont dans les Draaf ? Qui les paie ? Qui exerce l'autorité fonctionnelle ?
Vous avez indiqué que la naissance de FranceAgriMer était pour partie liée à la réforme des aides européennes. Les autres pays de l'Union ont-ils, comme nous, un système bicéphale ?
M. Martin Gutton. - Je vais corriger mon propos : l'ASP a son propre groupement comptable. Elle gère des montants absolument considérables, qui comprennent, outre les crédits du ministère de l'agriculture et ceux de la PAC, bien d'autres dispositifs pour de nombreux ministères.
En revanche, nous partageons bel et bien un groupement comptable avec l'Agence Bio, l'Odéadom ou encore l'Inao.
J'en viens à votre question sur les agents placés en Draaf : à cet égard, notre organisation est originale. Ces agents, qui sont amenés à travailler avec la direction des interventions de FranceAgriMer, sont payés par FranceAgriMer, mais leur responsable hiérarchique est bien le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.
FranceAgriMer réunit régulièrement les Draaf au ministère de l'agriculture ; il y a là autant d'occasions d'échanger. De la même façon, des échanges réguliers ont lieu entre les services territoriaux des Draaf, c'est-à-dire notre réseau déconcentré, et les administrations centrales du ministère de l'agriculture. Ce système, qui croise une organisation nationale et une organisation territoriale, me paraît assez fluide : cela fonctionne bien.
Les agents de FranceAgriMer peuvent évidemment être représentés dans les instances sociales des Draaf. Ils sont également représentés, bien sûr, au sein de notre établissement. Il y a donc deux lieux de dialogue social, ce qui permet de lever les incompréhensions ou les difficultés qui peuvent apparaître.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Y a-t-il une convention qui régit ces modalités de fonctionnement entre le ministère et FranceAgriMer ?
M. Martin Gutton. - Il y a une délégation de signature du directeur général de FranceAgriMer aux préfets : j'appelle cela un dialogue de gestion. Nous échangeons régulièrement avec les directeurs régionaux à propos des moyens que nous leur confions, puisque nous finançons une partie du fonctionnement des Draaf - je pense aux véhicules, par exemple.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est intéressant et cela nous ouvre des pistes. Pourrez-vous nous communiquer par écrit un historique relatif à la manière dont les choses se sont passées en 2009 ?
M. Martin Gutton. - J'ai vécu cette période. À l'époque, j'étais directeur régional. Je garde plutôt le souvenir d'un travail mené en étroite coopération entre tous les acteurs concernés.
Le plus complexe était peut-être la fusion entre agents d'offices qui, certes, avaient le même statut, mais qui se découvraient : les agents de l'Onil, par exemple, ne connaissaient pas nécessairement leurs collègues de l'Onic.
L'exercice était donc double : d'une part, une fusion à la fois au siège et dans les régions ; d'autre part, l'intégration d'agents au sein d'une autre administration, la Draaf.
Les fonctionnaires du ministère de l'agriculture travaillaient avec l'ensemble des offices agricoles ; les acteurs de l'économie agricole au sein de la Draaf connaissaient donc bien leurs collègues des différents offices.
Nous vous enverrons une réponse détaillée à ce sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Considérez-vous que, géographiquement, la maille régionale soit plus pertinente que la maille départementale, même avec la création des grandes régions ? On aurait en effet pu imaginer que ces agents soient placés dans les directions départementales des territoires (DDT).
M. Martin Gutton. - Le département reste l'échelon de proximité. Pour ce qui est de la gestion de crise, la région n'est pas forcément la mieux placée pour agir, la proximité restant un critère indispensable, et ce d'autant que la fusion des régions a entraîné le rapprochement de plusieurs directions régionales de l'agriculture, comme cela a été le cas pour tous les autres services régionaux de l'État et même pour les collectivités régionales. Les périodes de crise sont celles où les acteurs sont confrontés à des situations d'incertitude forte. Ils ont besoin d'être accompagnés et d'avoir des interlocuteurs dans les services publics de proximité.
À l'inverse, quand il s'agit de construire des stratégies de filière, la maille régionale peut s'avérer insuffisante ; il arrive, du reste, que les acteurs travaillent sur plusieurs régions. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur les grands acteurs coopératifs français : alors que la coopérative est par construction ancrée sur son territoire, les acteurs peuvent travailler sur deux, voire trois régions administratives, comme c'est le cas notamment dans le Grand Ouest. La fusion des régions a sans doute atténué le phénomène, mais je reste convaincu qu'à cet égard l'action doit être portée à l'échelon régional. C'est d'ailleurs ce que le législateur a inscrit dans la loi en confiant aux régions l'essentiel des leviers dans les domaines du développement économique, de l'aménagement du territoire et de l'agriculture. Une part importante des politiques agricoles sont désormais sous le pilotage des régions ; d'où le regret que j'ai exprimé tout à l'heure et la nécessité d'approfondir les travaux que nous menons avec les régions.
De toute façon, les effectifs étant assez restreints dans certaines régions, l'échelon départemental était impraticable à moins d'un éclatement des moyens, qui auraient été, dès lors, insuffisants.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment s'organisent, de ce point de vue, les autres pays européens ?
Mme Julie Brayer Mankor, directrice générale adjointe de FranceAgriMer. -Il est important de rappeler que FranceAgriMer, qui est issu de la création des offices, est intimement lié à l'histoire agricole française. Les offices sont nés après la crise des années 1930, dans le cadre de la mise en place d'une politique agricole d'intervention et d'organisation des filières qui a précédé la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC), après la signature du traité de Rome. La PAC a été marquée pendant tout le XXe siècle par une volonté d'intervention et de régulation des prix et des marchés, ainsi que par une volonté d'intervention, via la création de stockages. C'est d'ailleurs ce qui fonde les missions que nous exerçons en matière d'aide alimentaire.
M. Pierre Barros, président. - Avant les années 1930, il n'existait pas d'organismes de régulation ou de planification ?
Mme Julie Brayer Mankor. - À ma connaissance, il n'y avait pas d'organisme de régulation des marchés. C'est à partir de la crise des années 1930 qu'ont été mis en place la gestion, le contrôle qualité et tout le travail sur les appellations. Ainsi ont été créés l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), au moment de la crise viticole, puis ce qui deviendrait l'Office national interprofessionnel du blé (Onib), après la crise céréalière, puis l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC). Ce travail s'est ensuite étendu à l'ensemble des filières.
Dans les années 1960, 1970 et 1980
et jusqu'aux premières réformes des années 1990 et
à la grande réforme dite
« Agenda 2000 », la politique agricole commune
était essentiellement liée à l'organisation commune des
marchés agricoles, ce qui justifiait de développer une approche
par filière, y compris pour les outils d'intervention et les outils
financiers européens, ceux-ci ayant par la suite évolué
pour devenir plus transversaux. Le déploiement de
l'Agenda 2000 a permis de réformer profondément la politique
agricole commune, via notamment le déploiement
d'aides
aux revenus. Tout cela a été
décidé dans le cadre de discussions internationales,
conformément aux engagements pris dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC).
Par conséquent, les dix derniers États membres qui ont rejoint l'Union européenne ont mis en place une politique agricole commune qui était déjà réformée, de sorte qu'ils ont bénéficié d'outils de financement européens dont la gestion est plus simple, à l'image de ce que peuvent être le Feaga et le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
En revanche, les États membres qui ont eu à gérer la PAC avant cette réforme ont connu une diversité d'outils qui était fonction de l'organisation territoriale de chaque pays. Ainsi la politique agricole commune est-elle en Italie ou en Allemagne intrinsèquement liée à une forte compétence régionale, les régions y mettant en oeuvre la politique agricole dans son ensemble. Je ne sais pas ce qu'il en est en détail des organismes payeurs, mais il est clair que les régions ont en ce domaine une compétence totale - je pense y compris au respect des engagements en matière de coordination et de gestion des contrôles, mais aussi à l'exercice de la responsabilité financière liée aux potentiels apurements des comptes.
M. Martin Gutton. - Pour en revenir aux années 1930, le développement de l'agriculture française après la guerre doit beaucoup à l'essor de la mécanisation, puis à la politique agricole commune, qui est aussi une politique de souveraineté alimentaire européenne. Il faut toujours le rappeler : sans la PAC, nous ne serions sans doute pas dans la situation d'aujourd'hui. La PAC a joué un rôle majeur dans le développement de l'agriculture française.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - FranceAgriMer a déjà intégré une grande partie des opérateurs et des agences du ministère de l'agriculture, mais certains restent isolés, dont l'ASP que je mets à part. Qu'est-ce qui justifie que l'Inao, l'Office du développement agricole et rural corse (Odarc) et l'Odéadom ne soient pas dans FranceAgriMer ?
M. Martin Gutton. - Compte tenu du statut particulier de la Corse, il me semble justifié que l'Odarc relève de l'organisation départementale.
De manière plus générale, je ne suis pas certain que la fusion d'opérateurs soit toujours la bonne solution. À l'époque où l'État avait la volonté de réformer, il y a très largement recouru en lançant une énième phase de refondation et de réorganisation de ses opérateurs, qui avait été en réalité préparée par l'évolution de la politique agricole commune. En effet, puisqu'il n'y avait plus qu'une seule organisation commune des marchés agricoles, il était naturel que l'ensemble des établissements fusionnent ; cette fusion a donc fini par intervenir, quoiqu'avec un peu de retard.
Le développement de politiques de qualité justifie sans doute que l'Inao n'ait pas été inclus dans la fusion : cela permet un affichage politique sur les actions particulières qui sont menées en ce domaine, lesquelles ont une longue histoire. La directrice générale de l'Inao en parlerait mieux que moi, mais cet organisme entretient des liens étroits avec les territoires et sa gouvernance est encore plus particulière que la nôtre, puisqu'une partie de ses financements vient des territoires sous signe officiel d'identification de la qualité et de l'origine.
Tous les organismes que vous avez cités ont des gouvernances particulières. Concernant l'outre-mer, il serait intéressant d'avoir le retour des parlementaires concernés. L'agriculture qui s'y développe est propre à des territoires îliens, si l'on excepte la Guyane ; elle est de toute façon très différente de celle que l'on trouve en métropole, ce qui justifie vraisemblablement une gouvernance spécifique.
D'ailleurs, les élus politiques et agricoles de ces territoires seraient inquiets si la concertation se faisait dans des cercles plus larges que ceux qui regroupent les acteurs de leurs départements. Une observation, malgré tout : quand nous travaillons avec les départements d'outre-mer, nous procédons déjà à des regroupements en réunissant, par exemple, les élus de La Réunion, de la Guyane et des Antilles.
À mon sens, la spécificité des lieux et des acteurs de la concertation justifie en tout cas la nécessité d'une gouvernance propre.
Qu'apporterait une fusion, sinon des économies d'échelle qui se feraient vraisemblablement sur les fonctions supports ? Or, ces économies, nous les faisons déjà : je pense notamment au groupement comptable. Certes, des améliorations sont possibles, parce qu'il est clair qu'une structure de vingt ou cinquante personnes ne peut pas se permettre de financer des postes spécialisés dans certains domaines. Depuis que j'ai pris mes fonctions à FranceAgriMer, je discute avec un certain nombre d'interlocuteurs pour étudier la possibilité de mieux mutualiser ces fonctions particulières.
Par exemple, pour travailler sur les achats, il faut une équipe achat, qui peut d'ailleurs être assez réduite et limitée à six ou sept personnes. Mais les petites structures, qui doivent pourtant faire des achats, n'ont pas forcément les moyens de se doter de spécialistes de ce sujet. Par conséquent, il faudrait faire comme les agences de l'eau, si je puis me permettre cette comparaison, et mieux rapprocher nos fonctions supports afin que les structures de petite dimension puissent concentrer leur effort sur leur mission principale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En lisant votre dernier rapport d'activité, le rapport pour 2023, je me suis interrogée sur la légitimité de FranceAgriMer à réaliser certaines missions. Et, à tout le moins, la lisibilité de l'action publique ne m'a pas toujours paru évidente.
Ainsi, vous consacrez une partie de votre action à l'aide alimentaire aux plus démunis, alors que cette politique relève selon moi, si l'on suit la logique de la loi de finances, de la mission budgétaire « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Autre exemple : vous financez le programme « Lait et fruits à l'école », ce qui revient, me semble-t-il, à prendre la place des collectivités locales qui sont chargées des écoles primaires. Dernier cas d'espèce : vous soutenez le dynamisme de l'agriculture en Côte d'Ivoire alors même que l'une des missions du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) est de développer la coopération agricole et que l'Agence française de développement (AFD) y oeuvre aussi.
Comment gérez-vous cette interconnexion avec des politiques publiques de nature très diverse ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait recentrer ou concentrer l'action de FranceAgriMer, quitte à abandonner des pans entiers de son action ? Quand trop d'acteurs s'occupent des mêmes questions, cela n'est-il pas source d'inefficience ou de surcoût ?
M. Martin Gutton. - Notre rapport d'activité est un très beau document ; il est d'autant plus intéressant qu'il n'a pas la forme habituelle d'un rapport d'activité. Il s'agit plutôt d'un document qui met en valeur chaque année, sous une forme qui ressemble à une suite d'articles, toute une série de projets accompagnés par FranceAgriMer. Évidemment, cela ne rend pas compte du poids que représente chaque activité au sein de l'établissement.
Premièrement, notre programme d'aide aux plus démunis est un reliquat de l'histoire, et plus précisément de l'époque où la politique agricole commune avait conduit à constituer des stocks considérables de poudre de lait ou de viande. Ces stocks étaient utilisés, précisément, pour apporter une aide alimentaire aux plus démunis. C'est à ce titre, d'ailleurs, que l'Europe accompagnait ces dispositifs et que les opérateurs intervenaient dans le déploiement de cette action. Désormais, le dispositif a pris fin et l'aide aux plus démunis relève non plus de la politique agricole, mais d'une politique d'action sociale. Celle-ci s'inscrit dans le cadre d'un service public important et exceptionnel qu'il faut bien évidemment préserver, mais qui relève de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), avec laquelle nous travaillons.
Ma prédécesseure avait fait la même analyse que vous au sujet de l'aide aux plus démunis, mais personne ne veut prendre le relais. Autrement dit, si j'annonce au directeur général de la cohésion sociale que nous souhaitons arrêter ce programme, il n'aura pas de solution de substitution. En tout cas, de notre côté, nous ne nous accrochons pas du tout à cette action, même s'il s'agit d'un service public qu'il faut préserver.
Le sujet est difficile et nous avons fait l'objet d'audits et de contrôles. À un moment, certains ont considéré que nous n'étions pas suffisamment exigeants, ce qui a engendré certaines difficultés avec la Commission européenne. A également éclaté une affaire liée à la qualité des produits, notamment le steak haché, de sorte que notre établissement a fait l'objet d'une mauvaise communication à l'échelle nationale. En outre, cette aide est très lourde à gérer pour ce qui est des achats, car c'est l'établissement qui achète directement les denrées pour les fournir ensuite aux ONG, sans être les maîtres de l'organisation. Nous pourrions trouver une forme de gestion plus légère, mais nous ne sommes pas les ordonnateurs.
Deuxièmement, le programme européen « Lait et fruits à l'école » est financé par le Feaga, dont nous sommes les gestionnaires ; c'est pour cette raison que nous continuons d'agir avec les collectivités sur ce point précis. En l'occurrence, nous ne faisons qu'intervenir auprès d'elles : elles restent maîtresses de leur action.
Enfin, à l'international, nous exerçons une mission importante d'accompagnement des filières. Au salon de l'agriculture, toutes les interprofessions que j'ai pu rencontrer m'ont parlé de l'action d'accompagnement de FranceAgriMer à l'international. En effet, les procédures d'agrément sont très lourdes et le ministère de l'agriculture, plus précisément la direction générale de l'alimentation (DGAL), s'appuie sur FranceAgriMer pour jouer ce rôle d'interface entre les acteurs économiques, c'est-à-dire les entreprises, et les services, notamment sanitaires, des pays étrangers. Dans le domaine de la santé animale, par exemple, nos vétérinaires peuvent parler à d'autres vétérinaires exerçant dans des pays étrangers. Plus récemment, cela nous a permis de travailler sur l'ouverture du marché indonésien aux huîtres françaises. Nous jouons donc un rôle de facilitateur, en lien, évidemment, avec les services économiques de l'ambassade et avec les autorités sanitaires françaises. Nous sommes un tiers de confiance - cela vaut aussi pour la formation des prix - garantissant aux filières un cadre sécurisé d'action.
Les trois quarts des agents de FranceAgriMer sont des fonctionnaires, mais, si nous pouvons jouer ce rôle d'intermédiaire, c'est grâce à des professionnels qui sont membres de nos instances et que nous connaissons. Nous faisons en sorte qu'ils se réunissent avec les représentants des services de l'État pour discuter de certains sujets, et notamment de ceux qui ont trait à l'exportation.
Nous développons aussi une coopération institutionnelle en appui de ce que font les ministères. Par exemple, le Maroc était l'invité d'honneur du dernier salon de l'agriculture. L'office des céréales avait une coopération ancienne avec son interlocuteur marocain. C'est important, étant entendu que l'Algérie, elle, s'est fermée à toutes les importations françaises de céréales : certains opérateurs se trouvant dès lors en difficulté, le marché marocain apparaît d'autant plus précieux. Ce type de coopération facilite aussi les échanges entre opérateurs nationaux.
Mme Christine
Lavarde, rapporteur. - Élargissons la
discussion : comment expliquez-vous qu'il vous revienne de verser certains
« morceaux » de la PAC et qu'il incombe à l'ASP
d'en verser d'autres ? Ne faudrait-il pas confier à un seul
organisme d'État la tâche de verser toutes les aides, ce
qui
faciliterait le regroupement des informations sur les
bénéficiaires, donc les contrôles et la lutte contre la
fraude ? Ou existe-t-il une explication particulière justifiant que
FranceAgriMer verse une partie de ces aides ?
M. Christian Bilhac. - Premièrement, compte tenu de la situation financière des agriculteurs, ne faudrait-il pas revenir à une conception des dossiers de demande un peu plus légère que ce qu'elle est à l'heure actuelle ? J'ai connu l'époque où tous les agriculteurs remplissaient eux-mêmes leurs dossiers. Aujourd'hui, ils doivent payer un organisme associatif ou privé pour monter des dossiers qui sont d'une complexité qui est, pour lui, inabordable.
Deuxièmement, il faudrait revoir les délais. J'ai été sollicité par un agriculteur qui avait déposé un dossier d'aide il y a deux ans. Il a reçu le 3 février de l'année dernière un courriel lui annonçant que son dossier était retenu. Ne voyant rien venir en septembre, il m'a demandé d'intervenir, ce que j'ai fait. À force d'insistance, l'agriculteur a fini par recevoir, le 2 février suivant, la notification indispensable pour obtenir son prêt bancaire ; autrement dit, il a fallu attendre 364 jours après que la décision a été rendue. Et, à ma connaissance, il ne s'agit pas là d'un cas isolé !
Troisièmement, quels étaient les effectifs de FranceAgriMer à sa création et quels sont-ils aujourd'hui ?
M. Martin Gutton. - Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, la ligne de partage avec l'ASP tient au fait que sa mission - et le métier de ses agents - est clairement la gestion des aides directes. Or il n'y a pas forcément besoin d'échanger avec l'agriculteur qui demande une aide directe : celui-ci déclare ses productions et, en fonction de ses droits, il se voit allouer une aide.
Dans le cadre des programmes opérationnels des filières, en revanche, les organisations de producteurs peuvent bénéficier d'aides pour leurs investissements. Nous sommes alors face à des entreprises qui construisent un projet autour de l'investissement, de la promotion d'un produit ou d'actions innovantes, et le travail n'est pas tout à fait le même : il suppose nécessairement d'échanger avec les responsables de l'entreprise. Nos techniciens sur le terrain se déplacent pour les rencontrer. Nous nous occupons donc de ce qui concerne l'organisation de marché, ce qui correspond à un autre métier, que l'ASP aurait d'ailleurs du mal à exercer. C'est là selon moi que se trace la ligne de partage entre nos deux organismes.
Des possibilités de réajustement existent
sans doute. Par exemple, nous sommes souvent sollicités en
matière de gestion de crise. Le cas échéant, quand il doit
trouver un opérateur, le ministère de l'agriculture se tourne
vers celui qui sera capable de réagir rapidement et de mettre en place
le dispositif qui convient, en s'appuyant sur les services
départementaux de l'État - dans pareil contexte, ces
derniers sont en effet des interlocuteurs naturels, car ils ont à
connaître à la fois des aides du premier pilier et de celles
que
FranceAgriMer est susceptible de verser. Comme le montre cet
exemple, il y a certainement des choses à améliorer dans la
façon dont notre action est conçue ; le Sénat nous
aide, à cet égard, à formuler les bonnes questions.
Monsieur le sénateur Bilhac, je souscris à ce que vous avez dit sur la complexité des dossiers. Depuis que j'ai commencé à travailler sur ces sujets, je n'ai pu que constater, au fil des décennies, l'évolution des dossiers. Cela dit, dès lors qu'il s'agit de fonds européens, nous devons respecter toute une série de règles, sous peine de nous exposer à un risque de non-apurement, les factures pouvant se chiffrer, le cas échéant, en milliards d'euros. Si le volume des anomalies est trop important, en effet, la Commission européenne prononce des sanctions d'un montant considérable. C'est la raison pour laquelle, d'année en année et d'audit en audit, nous avons dû resserrer un certain nombre de règles, car nous sommes pris, de ce point de vue, dans une sorte de machine infernale.
Toutefois, depuis un ou deux ans, nous constatons une prise de conscience : cette complexité est reconnue comme excessive, de sorte que la tendance, nationale comme européenne, est à la simplification. Par exemple, les contrôles ont été simplifiés pour la viticulture à l'échelle européenne.
Le dossier que vous citez est regrettable et je veux bien que vous me transmettiez le nom du viticulteur concerné. Le délai est assurément trop long. Toutefois, depuis 2020, notre organisation a été beaucoup secouée, et nous avons aussi dû gérer les plans France Relance et France 2030 ainsi qu'un dispositif de planification écologique important. Il a donc fallu faire face, sans effectifs supplémentaires, à une charge de travail considérable. Je salue à cet égard le travail réalisé par l'équipe de Stéphane Le Den, qui a su oeuvrer dans un temps très court malgré toute une série de crises conjoncturelles.
Nous avons donc dû assumer, ces dernières années, une réelle surcharge d'activité, ce qui ne nous a pas toujours permis de répondre aussi rapidement que nous le souhaitions aux demandes individuelles. Mais nous travaillons à améliorer notre organisation et nous étudierons avec attention les cas particuliers qui sont portés à notre connaissance. Ceux qui remontent jusqu'aux élus sont souvent les plus difficiles et ne sont pas représentatifs de la majorité des dossiers, mais il s'agit d'irritants que nous devons régler.
J'en viens aux effectifs : en 2009, on recensait 1 500 agents dans l'ensemble des offices qui ont constitué FranceAgriMer. Aujourd'hui, l'établissement en compte moins de 1 000 : pour être tout à fait précis, 968 équivalents temps plein (ETP). L'évolution a surtout touché les fonctions supports. En effet, mon prédécesseur avait additionné des services supports qui arrivaient des différents offices, de sorte qu'il a été possible de réaliser des économies d'échelle très importantes.
M. Christian Bilhac. - Le nombre d'exploitations agricoles a fortement baissé.
M. Martin Gutton. - Certes, mais notre métier concerne non pas les exploitants agricoles, mais les acteurs économiques.
J'ai passé de nombreuses années au ministère de l'agriculture et j'ai souvent entendu cet argument. Mais le ministère de l'agriculture n'est pas seulement le ministère des agriculteurs, même s'ils sont une priorité des ministres depuis toujours. C'est aussi le ministère de l'alimentation ; et les services de la direction générale de l'alimentation garantissent la qualité des produits que tous les Français consomment, depuis l'étable jusqu'à l'étal. Le ministère de l'agriculture est donc le ministère de l'alimentation de Français.
Par conséquent, notre mission est de travailler avec les entreprises et avec les filières et de développer les exportations vers les pays étrangers. C'est pourquoi notre évolution ne dépend pas directement du nombre d'agriculteurs : elle est plutôt liée aux volumes de production.
En outre, les chefs d'exploitation agricole sont sans doute moins nombreux, mais le nombre de salariés agricoles, lui, n'a pas beaucoup varié. Les agriculteurs produisent en réalité autant que leurs parents et leurs grands-parents, et sans doute beaucoup plus que leurs arrière-grands-parents qui vivaient dans les années 1930.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour ces éclairages sur FranceAgriMer.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Sylvain Maestracci, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement (ASP)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons M. Sylvain Maestracci, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement (ASP) accompagné de M. Vianney Bourquard, secrétaire général.
Cette audition s'inscrit dans une journée consacrée aux agences et aux opérateurs agissant dans le cadre de la politique agricole, après une audition de FranceAgriMer et avant de recevoir les syndicats agricoles.
Toutefois, l'ASP ne se limite pas au paiement des aides de la politique agricole : elle gère plus de 200 dispositifs dans les domaines de l'agriculture, de l'emploi ou de l'environnement et verse environ 20 milliards euros d'aides publiques chaque année. En outre, elle agit à la demande de l'État, mais aussi pour le compte des collectivités territoriales, de l'Union européenne ou d'autres organismes publics. Cela m'amène à vous poser plusieurs questions.
Comment parvenez-vous à gérer autant de dispositifs différents dans des contextes aussi variés ? Considérez-vous que tous ces dispositifs ont suffisamment de points communs pour justifier leur gestion par une agence unique ? Quelles sont les difficultés concrètes nécessitant le recours à une agence spécialisée pour gérer des dispositifs d'aides d'importance variée ?
Afin d'assumer cette multiplicité d'activités, vous avez développé une expertise en gestion administrative et financière des aides publiques, par exemple par le développement d'outils informatiques ou de formation. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pensez-vous qu'il serait possible ou souhaitable de confier à votre agence le versement d'aides aujourd'hui confiées à d'autres établissements tels que FranceAgriMer ou l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui nécessitent eux aussi un traitement de masse en termes de nombre de bénéficiaires et de volumes financiers ?
Notre commission s'intéresse à la manière dont les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État mettent en oeuvre les politiques publiques et à leurs relations avec les services déconcentrés et les collectivités territoriales. N'hésitez pas à nous faire part des difficultés que vous rencontrez et de vos propositions.
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif de dix minutes environ chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Maestracci prête serment.
M. Sylvain Maestracci, président-directeur général de l'Agence de services et de paiement. - L'ASP est un établissement placé sous la double tutelle du ministère du Travail et du ministère de l'Agriculture. Nous collaborons avec la quasi-totalité des départements ministériels, mais également parfois avec d'autres agences ainsi que des collectivités territoriales, principalement des régions.
Notre mission principale réside, non pas dans l'élaboration, mais dans la mise en oeuvre de politiques publiques via les dispositifs d'aides qui nous sont confiés. Nous sommes donc assez peu connus en dehors du monde agricole, car l'ADN de notre agence est d'être un opérateur au service d'autres structures, sans vocation à se mettre en avant.
Nous mettons en place des circuits administratifs et des systèmes informatiques, du plus simple au plus sophistiqué. Certains de nos dispositifs figurent probablement parmi les dix plus complexes de l'État. Nous instruisons, contrôlons et payons. Pour certaines aides, nous n'assurons que le paiement, pour d'autres, nous réalisons l'instruction et le contrôle. Avec 200 dispositifs différents, nous couvrons un large éventail de cas.
Nous poursuivons quatre objectifs principaux.
Le premier est d'opérer à moindre coût, en étant le plus efficace possible dans l'octroi des aides. Dans ce cadre, nous apportons notre expertise aux donneurs d'ordre, en signalant les dispositions complexes à mettre en oeuvre ou qui risquent d'engendrer des fraudes. Nous faisons également en sorte de mutualiser les systèmes informatiques et les ressources humaines. D'une part, nos systèmes servent à de multiples dispositifs, de l'agriculture à l'énergie, en passant par la comptabilité. Par ailleurs, nos agents peuvent passer d'une tâche à l'autre, ce qui est particulièrement utile pour les activités saisonnières.
Le deuxième objectif est de payer rapidement et dans les délais. Cela est crucial non seulement pour le secteur agricole, mais aussi pour d'autres bénéficiaires comme les apprenants ou les personnes en situation de handicap, pour qui ces aides constituent souvent leur revenu mensuel.
En troisième lieu, nous devons effectuer des paiements de manière fiable et sécurisée. En tant qu'agence publique, nous sommes soumis au contrôle budgétaire et à celui de la Cour des comptes, qui vient de réaliser une mission spécifique sur l'ASP. La cybersécurité et la lutte contre la fraude représentent des enjeux majeurs, face à des fraudeurs qui se professionnalisent.
Enfin, il nous revient d'accorder une attention particulière aux bénéficiaires. Nous avons notamment développé des services d'assistance aux usagers, internalisés autant que possible, avec des gestionnaires capables d'apporter des réponses et de trouver des solutions aux difficultés rencontrées.
Au total, nous avons versé 27 milliards d'euros en 2024, contre 35 à 40 milliards d'euros par an sur la période 2020-2022, en raison de notre forte implication dans les dispositifs liés au Covid, au plan de relance et à l'impact de la guerre en Ukraine.
L'ASP est présente dans tous les territoires, y compris les cinq départements d'outre-mer. Par exemple, nous avons 11 agents à Mayotte.
Nous disposons de 31 sites en France, implantés dans les chefs-lieux des anciennes régions, contre 36 en 2019. Cette rationalisation s'inscrit dans notre logique de maintien d'une présence territoriale tout en optimisant notre organisation.
Nos paiements se répartissent en trois grands secteurs. Un tiers va à l'agriculture dans le cadre de la politique agricole commune, un second tiers au travail - alternance, formation professionnelle, insertion par l'activité économique -, et un troisième concerne divers domaines, principalement l'énergie : chèque énergie, bonus écologique, etc.
Notre expertise dans la conception des aides et des services informatiques nous permet de proposer des solutions techniques adaptées tout en maîtrisant nos frais de gestion. Notre comptabilité analytique démontre des frais de gestion moyens de 1,3 % sur l'ensemble de nos dispositifs, ce qui nous positionne favorablement par rapport à d'autres opérateurs.
Nous avons démontré notre capacité de réaction lors de la crise Covid, notamment dans la gestion de l'activité partielle, où nos agents se sont mobilisés très fortement pour délivrer rapidement les aides tout en maintenant un processus sécurisé. Nous sommes également intervenus sur les conséquences du Brexit et de la guerre en Ukraine, notamment pour le versement de compléments au chèque énergie.
Notre force réside dans notre capacité à élaborer et gérer de manière sécurisée presque tout type de dispositif.
Nous intervenons auprès d'autres ministères ou régions sur la base de conventions incluant le paiement des frais de gestion, avec un principe d'équilibre financier pour chaque convention. Notre comptabilité analytique nous permet de justifier nos coûts de gestion auprès de nos donneurs d'ordre et de nos tutelles.
Nous travaillons également pour d'autres agences et collectivités territoriales, parfois dans le cadre de marchés concurrentiels : nous répondons dans le cadre d'appels d'offres. Cette exigence d'équilibre financier et de transparence est essentielle pour garantir la solidité juridique de nos conventions.
Notre organisation nous permet de capitaliser sur nos compétences en systèmes d'information et en gestion, ce qui nous confère une grande flexibilité pour répondre aux besoins saisonniers ou urgents. Par exemple, nous pouvons basculer rapidement d'un dispositif à l'autre en fonction des périodes de l'année.
Pour le champ agricole, notre structure comprend des directions régionales ou interrégionales. Afin de mutualiser les ressources, certaines, comme la Bretagne et les Pays de la Loire, ont été couplées.
Chaque site prend en charge sa région, mais peut également, sur la partie hors agricole, gérer certains dispositifs déployés à l'échelle nationale. En effet, plusieurs sites peuvent être impliqués dans la gestion d'un même dispositif en intervenant par exemple chacun sur des champs différents selon la spécialisation de leurs équipes. L'activité peut passer d'un site à un autre afin d'être réactif et d'optimiser l'occupation de nos agents.
La sécurité des systèmes d'information, la cybersécurité et la lutte contre la fraude sont des priorités transversales. Nous versons une vingtaine de milliards d'euros d'argent public. On a pu avoir des dispositifs, par exemple lors de la crise du covid, sur lesquels des gens tentent de jouer avec le système. C'est une valeur ajoutée que nous avons en tant qu'agence publique : par exemple, si on gère 10 000 dossiers et qu'on voit 10 dossiers portant sur des cartes grises différentes, mais partageant un fond identique, on reprend tous les dossiers, y compris ceux qu'on a traités, pour regarder de plus près. Ça prend du temps, le coût n'est pas prévu dans la convention, mais on le fait tout de même parce que c'est de l'argent public et cela nous permet d'alerter nos donneurs d'ordre. Un des enjeux que nous avons, voire une injonction paradoxale, c'est que nous devons réduire les coûts sur chacune des opérations mais, en même temps, assurer la lutte antifraude et la cybersécurité, qui représentent un coût. Nous devons justifier nos coûts à chaque fois auprès de nos donneurs d'ordre.
Nous accordons également une grande importance à l'assistance fournie aux usagers, en capitalisant sur les connaissances de nos agents pour offrir un accompagnement humain, complémentaire à nos solutions numériques, notamment aux publics les plus éloignés du monde administratif.
Si le champ d'intervention de l'ASP est particulièrement large, nous pouvons en théorie tout payer, mais certains dispositifs nécessitent parfois l'accompagnement et l'expertise d'acteurs ancrés dans un écosystème ou des filières, comme FranceAgriMer.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le statut des personnels de l'ASP ? Des agents publics ou des contractuels ?
M. Sylvain Maestracci. - Il s'agit majoritairement d'agents publics en position normale d'activité (PNA) du ministère de l'agriculture dont dépendent nos plafonds d'emploi. Nous employons également un certain nombre de contractuels en contrats longs ainsi que des CDD.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai consulté votre site Internet et j'ai quelques remarques.
Premièrement, certaines pages traitent de sujets très spécifiques comme des dispositifs médicaux, le système informatique de radiologie ou un mécanisme de bourse pour des étudiants en médecine. Je ne suis pas sûre qu'un professionnel de santé ou le bénéficiaire potentiel iraient naturellement sur le site de l'ASP.
Deuxièmement, vous avez mentionné n'être que des payeurs pour certains dispositifs. Cela soulève la question de la valeur ajoutée de l'ASP par rapport à d'autres services de l'État qui gèrent déjà des paiements, comme l'administration des finances publiques. J'ai notamment été très étonnée des coûts de gestion portés par la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pour la définition des nouvelles modalités du chèque énergie, alors que l'administration des finances publiques dispose déjà des informations.
Enfin, concernant les dispositifs où vous êtes à la fois instructeur et payeur, et sachant que l'instruction nécessite une connaissance technique et une compréhension de la politique publique, n'y a-t-il pas un risque de redondance avec les agents des ministères ou des organismes qui définissent ces politiques ?
D'une manière générale, pouvez-vous justifier la légitimité de l'ASP à rester telle qu'elle est ?
M. Sylvain Maestracci. - Les bénéficiaires ne se rendent jamais directement sur le site de l'ASP pour solliciter une aide. Nous disposons d'un portail spécifique dédié à chaque dispositif, par exemple la plateforme Telepac pour les aides agricoles. Le site de l'ASP sert principalement à informer sur nos activités, mais n'est pas le point d'entrée pour les demandes d'aide.
Même lorsqu'elle n'est que payeur, l'ASP effectue systématiquement un contrôle en vérifiant la complétude des dossiers et la régularité de l'opération. Nous effectuons également un certain nombre de contrôles croisés pour vérifier l'authenticité des informations fournies, comme la validité des coordonnées bancaires.
Les dispositifs où nous sommes uniquement payeurs demeurent néanmoins peu nombreux. Dans la majorité des cas, nous sommes impliqués dans le contrôle, l'instruction et le paiement.
Le chèque énergie est particulier car l'aide est donnée sans demande préalable. La difficulté consiste principalement à récupérer les données de tous les distributeurs d'énergie et à croiser ensuite ces informations. Le coût de gestion est lié à ce traitement de données massives et aux vérifications nécessaires pour éviter les erreurs.
Enfin, il est crucial de comprendre que nos agents sont formés et spécialisés sur un nombre limité de dispositifs afin de garantir la qualité de leur expertise. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les ministères pour toute question réglementaire.
M. Vianney Bourquard lève la main droite et dit « Je le jure ».
M. Vianney Bourquard, secrétaire général de l'Agence de services et de paiement. - Concernant le chèque énergie, nous gérons aussi des centaines de milliers d'appels par an pour résoudre divers problèmes : adresses postales erronées, questions sur les montants, difficultés de compréhension du dispositif, etc. Cela représente un coût réel.
L'ASP est un outil au service de la puissance publique, des ministères et des donneurs d'ordre. Nous sommes soumis à de nombreux audits par divers organismes de contrôle tels que la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances, l'Inspection générale des affaires sociales, la Cour des comptes européenne, la Commission européenne. Ces analyses démontrent que l'ASP est un outil efficace en termes de coûts.
M. Pierre Barros, président. - Selon le récent rapport d'information parlementaire intitulé « Réparer la chaîne de paiement des aides agricoles, un devoir pour nos finances publiques et notre agriculture », les coûts de gestion supportés par les organismes payeurs, à savoir l'ASP, FranceAgriMer et l'ODEADOM, se seraient élevés à 343 millions d'euros, soit 3,5 % des transferts aux exploitants agricoles. Bien que ce pourcentage puisse sembler raisonnable, les montants en jeu sont considérables. Pouvez-vous confirmer ces chiffres ? La situation a-t-elle évolué en 2025 ? Avez-vous un plan d'optimisation pour réduire ces coûts ?
M. Sylvain Maestracci. - En 2016,
les aides de la politique agricole commune (PAC) ont connu un accident
industriel : elles ont été versées avec un à
deux ans de retard, ce qui a été traumatisant pour de
nombreux
agriculteurs et a engendré des dégâts
importants. La réforme de 2023 avait donc pour objectif de garantir le
paiement de toutes les aides dans les délais impartis.
Nous utilisons notamment le système intégré de gestion et de contrôle, qui répond à des critères européens stricts en matière de construction des outils, de traçabilité et de sécurité. Ces derniers sont très rigoureux et engendrent des frais d'opération élevés que nous ne supporterions probablement pas pour des dispositifs nationaux. L'Union européenne exige une logique de zéro défaut pour son budget. La France étant contributeur net au budget européen, nous avons intérêt à ce que ce niveau d'exigence s'applique également à nos partenaires. Ne pas répondre aux exigences européennes nous exposerait à des pénalités financières de plusieurs centaines de millions d'euros par an : il est donc moins onéreux d'avoir un dispositif sûr. Nous plaidons néanmoins en faveur d'une simplification des modalités et d'une réduction des coûts de gestion de ces dispositifs.
Ainsi, les coûts de gestion pour l'établissement sur les aides de la politique agricole commune se situent entre 1,7 et 1,8 %, le coût complet représentant 2,7 %, sachant que le coût européen s'inscrit plutôt entre 3 et 3,5 % sur le champ relevant de l'ASP.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué le centre d'appel pour le chèque énergie. Je suppose que les agents qui répondent au téléphone ne sont pas les mêmes que ceux qui valident le versement des aides après instruction des dossiers. En examinant votre organigramme, que j'ai trouvé difficilement compréhensible pour un observateur extérieur, on constate que le processus de versement est réparti entre plusieurs services. Pouvez-vous nous expliquer la répartition des compétences au sein de votre agence ?
Par ailleurs, comment l'ASP anticipe-t-elle la révolution de l'intelligence artificielle ? Dans nos collectivités, qui ont aussi un rôle de payeur et de gestionnaire, nous constatons que de nombreuses tâches dans les régies comptables, comme la vérification des RIB lors du paiement des factures, pourraient être automatisées.
M. Sylvain Maestracci. - Notre organisation comprend trois directions métiers. La direction des soutiens directs agricoles (DSDA) gère le système intégré de gestion et de contrôle. La direction du développement rural et de la pêche (DDRP) s'occupe du développement rural, avec certaines dispositions liées à l'agriculture. La direction de l'emploi, de l'environnement et des politiques sociales (DIREEPS) s'occupe des dispositifs liés à ces politiques.
Nous avons également des structures plus restreintes, comme la mission de coordination des organismes payeurs des fonds agricoles.
En plus d'être lui-même un organisme payeur, l'ASP joue également un rôle, exigé par la réglementation européenne, de coordination pour l'ensemble des organismes payeurs en France, car ceux-ci sont au nombre de quatre. Notre établissement transmet notamment des comptes financiers agrégés. Le service de la certification européenne et des actions internationales (SCEI) sert d'interface avec la commission de certification des comptes des organismes payeurs.
Enfin la direction du numérique et des systèmes d'information (DNSI) gère les systèmes d'information pour les autres directions.
Concernant l'intelligence artificielle, nous l'utilisons déjà, notamment avec le système de suivi des surfaces en temps réel. Ce dispositif nous permet d'internaliser une partie du contrôle de la PAC, conformément aux exigences du droit européen, afin d'automatiser et de réduire les contrôles sur place. Nous avons un laboratoire qui effectue des tests et explore des cas d'usage. Nous travaillons principalement sur l'aide à l'instruction et l'assistance aux gestionnaires, mais notre approche n'est pas d'utiliser l'intelligence artificielle directement pour interagir avec les bénéficiaires finaux.
Nos systèmes d'information intègrent déjà de nombreux contrôles automatisés, avec ou sans intelligence artificielle. Aujourd'hui, nous cherchons à automatiser au maximum les tâches de vérification. Cependant, l'intervention humaine reste cruciale dans certains cas, comme dans l'exemple de la carte grise que j'ai évoqué : l'intelligence artificielle ne peut pas toujours détecter des anomalies subtiles ou des cas particuliers. Nos gestionnaires continuent donc à superviser le dispositif, avec une double perspective : lutte antifraude et assistance aux usagers. Leur connaissance approfondie leur permet de gérer les cas complexes ou atypiques et d'apporter une aide humaine aux usagers lorsque c'est nécessaire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certains logiciels vous sont-ils donnés directement par la Commission européenne ?
M. Sylvain Maestracci. - Nous disposons d'un seul logiciel fourni par la Commission européenne, qui nous permet de transférer les données financières et tous nos plans stratégiques. Pour le reste, chaque État membre en est responsable. Je pense qu'il est préférable qu'il n'y ait pas de liens directs entre les logiciels de la Commission européenne et les agriculteurs, car cela pourrait engendrer des difficultés.
Mme Ghislaine Senée. - Chaque organisme payeur développe ses propres outils, et vous ciblez de multiples objectifs. La situation est similaire pour l'ADEME et le Cerema. Afin notamment d'optimiser l'exploitation des données, ne serait-il pas judicieux de rationaliser ces outils ?
Quelle part de vos tâches globales représente la lutte contre la fraude ? Avez-vous calculé les gains ou l'impact de ces actions ? Ces éléments pourraient être mis en avant. Bien que chronophage, le fait d'avoir des services d'organismes payeurs dédiés à la lutte contre la fraude constitue un réel avantage.
M. Sylvain Maestracci. - Il existe aujourd'hui quatre organismes payeurs, contre plus d'une dizaine au début des années 2000 : l'Office du développement agricole et rural de la Corse (Odarc), l'ODEADOM, en charge du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), FranceAgriMer, chargé de la gestion des programmes opérationnels dans le cadre de l'organisation commune de marché, et l'ASP, responsable des paiements directs et du développement rural.
Ces quatre entités payent des aides de la PAC. Des doublons potentiels en matière de conception d'outils peuvent survenir uniquement avec l'Odarc, mais la séparation est basée sur les spécificités corses. Nous échangeons entre établissements. Le système intégré de gestion et de contrôle, qui concerne les paiements directs et les aides surfaciques de la PAC, a vocation à être unique, étanche et particulièrement sécurisé.
Concernant la lutte anti-fraude, notre expertise évolue avec la pratique. Nous traitons des fraudes classiques, comme la modification de dates de commande de travaux, et des cas de cessions fictives pour toucher plusieurs fois le plafond des aides. Avec la crise du Covid, nous avons vu l'arrivée de professionnels de la fraude, notamment pour les aides à l'activité partielle.
Nous avons depuis peu mis en place de nouvelles procédures et nous continuons à affiner notre suivi. Notre enjeu premier était de savoir sur quel dispositif concentrer notre action. Nous estimons qu'une centaine d'équivalents temps plein travaillés (ETPT) sur 2 100 travaillent sur la lutte anti-fraude.
Les montants évités se situent entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de millions d'euros par an. Nous sommes en train de refondre notre système informatique interne de lutte contre la fraude pour mieux démontrer ces résultats et justifier que l'investissement dans ce domaine s'avère extrêmement bénéfique pour les finances publiques.
Une fois qu'un schéma de fraude est identifié, nous le bloquons, mais nous sommes dans une logique de course permanente. La fraude ne diminue pas, elle devient plus sophistiquée, donc nous devons être de plus en plus pointus. Auparavant, les fraudes se voyaient facilement. Maintenant, nous traitons des dossiers individuels qui semblent irréprochables, mais c'est en en examinant plusieurs d'entre eux que nous détectons des anomalies. Par exemple, nous avons remarqué des cas où un opérateur vend toujours exactement le même type de scooter, cinq à la fois, en atteignant systématiquement le montant maximal autorisé. Nous suivons également les numéros SIRET impliqués dans l'activité partielle que nous retrouvons dans d'autres dispositifs. Nous constatons que certains fraudeurs tentent différents dispositifs successivement. La fraude se professionnalise, ce qui nécessite une collaboration avec d'autres organismes comme la Mission de coordination ministérielle anti-fraude (MICAF). Notre objectif est d'être plus performants que les autres.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les cas de fraude impliquant les SIRET suggèrent que tous les versements soient centralisés. En effet, un fraudeur utilisant son SIRET auprès de l'ASP pourrait également tenter de percevoir des aides auprès d'autres structures comme la direction générale des entreprises (DGE) ou l'URSSAF. Transmettez-vous les fichiers de fraudeurs à tous les autres organismes payeurs, malgré les contraintes du RGPD ?
M. Sylvain Maestracci. - En réalité, nous payons une partie des aides de la DGE, mais pas celles de l'URSSAF. Il existe un véritable enjeu d'interconnexion des systèmes et de partage d'informations entre agents habilités, ce qui soulève des questions liées au RGPD.
Au sein de notre établissement, c'est plus simple, mais à moins de centraliser tous les paiements de l'État et des organismes publics dans une seule structure, ce problème persistera. La question est de savoir comment communiquer entre nous tout en assurant la protection des données individuelles. Les interrogations de bases de données que nous effectuons entre organismes assurent une certaine forme d'anonymat. Je mentionne cela, car dans le cadre de la proposition de loi sur la lutte contre la fraude, plusieurs dispositifs concernent l'ASP.
M. Vianney Bourquard. - L'ASP est une plateforme de paiement déjà très développée, offrant un service conséquent. Nous pourrions certes en faire davantage, mais nous nous concentrons sur les demandes de nos donneurs d'ordre.
Il est important de souligner que nos clients sont généralement très satisfaits de nos services, notamment la DGE. Cette satisfaction se traduit par une fidélisation de notre clientèle. Les donneurs d'ordre qui nous choisissent restent généralement avec nous, appréciant la qualité de nos services en termes de coûts, de lutte contre la fraude, de gestion des données et de qualité globale. Ce constat s'applique aussi bien à la lutte contre la fraude qu'à l'utilisation de l'intelligence artificielle.
M. Sylvain Maestracci. - Du fait de notre implication dans presque tous les champs politiques, nous sommes fréquemment audités. Nous subissons au moins une trentaine d'audits par an dans le domaine de l'emploi, de l'environnement et des politiques sociales, ainsi qu'une dizaine d'audits annuels sur le secteur agricole. Ces audits sont menés par des instances allant du niveau européen à la quasi-totalité des corps d'inspection de la République. Cette pression constante de contrôle nous pousse à l'excellence, notamment dans le domaine de l'emploi et de la formation. Sur les 125 audits réalisés ces dernières années, 75 % ont abouti à des recommandations pour l'ASP. Cela démontre, d'un point de vue externe, que nous répondons efficacement aux exigences de nos donneurs d'ordre.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour votre contribution à cette commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants de syndicats agricoles - MM. Stéphane Galais, Thomas Gilbert, secrétaires nationaux de la Confédération paysanne et Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons MM. Stéphane Galais et Thomas Gibert, secrétaires nationaux de la Confédération paysanne, et Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale. Cette audition sera suivie tout à l'heure de celle des représentants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs.
Notre commission d'enquête porte sur la mission des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Nous examinons les organismes dépendants de l'État, mais pas ceux qui dépendent des collectivités territoriales. Nous avons par exemple auditionné ces derniers jours l'ADEME, l'Office français de la biodiversité (OFB), les agences de l'eau, FranceAgriMer et, juste à l'instant, l'Agence de services et de paiement (ASP).
Nous sommes donc intéressés par vos observations sur ces agences et opérateurs. Les agriculteurs comprennent-ils bien à quoi servent ces opérateurs ? Disposent-ils d'informations adéquates sur les canaux par lesquels il faut passer pour recevoir ces aides, par exemple FranceAgriMer, l'ASP ou encore les agences de l'eau ?
Ces opérateurs interviennent également pour contrôler l'application des normes. À ce sujet, notre objectif n'est pas de remettre en cause tel ou tel opérateur ou ses agents, ni de nous lancer dans un chantier de refondation de ces normes, ce qui est l'objet d'autres projets de loi ou commissions. Nous souhaiterions néanmoins avoir vos idées et propositions sur la manière dont une meilleure organisation des services de l'État pourrait contribuer à améliorer la situation. Que pensez-vous de l'initiative récente d'organiser une visite annuelle de contrôle administratif dans les exploitations, qui devrait remplacer des visites multiples ? Est-il nécessaire que le préfet ou les collectivités locales soient mieux impliquées dans ces contrôles ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement, et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Stéphane Galais et Thomas Gibert, d'une part, et Mme Amélie Rebière, d'autre part, prêtent serment.
M. Stéphane Galais, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Je vous remercie de donner la parole à la Confédération paysanne, syndicat généraliste représentant les paysans et les paysannes, les agriculteurs et les agricultrices, et portant le projet d'agriculture paysanne. Cette commission d'enquête intervient dans un contexte particulier, marqué par de nombreuses manifestations exprimant la colère agricole et un malaise profond du secteur.
Nous souhaitons rappeler que les agences et opérateurs ne sont aucunement responsables du manque de revenu agricole ni de la cause principale du malaise agricole. Ces entités sont des outils au service d'une vocation publique. Pour la Confédération paysanne, l'enjeu réside dans les choix des politiques publiques pour le secteur agricole. Leur remise en question ou leur suppression éventuelle équivaudrait à une libéralisation et un abandon des objectifs qui leur sont associés, tels que la protection de l'environnement, la préservation de la biodiversité, ou la promotion de l'agriculture biologique.
Nous estimons que le débat devrait se concentrer non pas sur les outils eux-mêmes, mais sur leur utilisation et le maintien de leurs ambitions et orientations. Cela soulève également la question de leur gouvernance, qui doit être un enjeu prioritaire afin de garantir la représentativité et la pluralité des représentant du monde agricole. Nous constatons des lacunes à ce niveau et revendiquons une plus grande implication de la Confédération paysanne dans la gouvernance de ces agences pour contribuer à l'orientation des politiques publiques qu'elles mettent en oeuvre.
Nous observons par exemple des défaillances dans la gouvernance des agences de l'eau, ainsi qu'une certaine défiance de l'État vis-à-vis des orientations prises par ces agences. Nous notons également que votre enquête semble porter un focus sur les agences liées à la protection de l'environnement, ce qui pourrait suggérer une remise en question des normes environnementales. Or, ces normes sont, selon nous, protectrices des moyens de production. En tant que paysannes et paysans, nous sommes les premiers touchés par les problématiques climatiques.
Nous considérons que l'application des normes sanitaires conçues pour l'agro-industrie est bien plus préoccupante, en opposition à l'élevage paysan et à l'élevage en plein air que nous défendons. Ces normes inadaptées entraînent la disparition de nombreuses fermes.
Nous tenons à rappeler l'importance de ces agences pour maintenir un rapport objectif à la science, permettant de conduire des politiques d'avenir sans déni de la réalité. Nous constatons que beaucoup d'acteurs remettent en cause cet apport scientifique, ce qui pourrait être une des raisons expliquant que ces agences sont parfois prises comme boucs émissaires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous affirmez donc que des bénéficiaires remettent en cause les arguments scientifiques avancés par les agences ?
M. Stéphane Galais. - Une partie des acteurs du monde agricole, mais aussi du monde politique, remettent en cause l'approche scientifique, car elle va parfois à l'encontre des intérêts de l'agro-industrie ou de certains lobbys de compétitivité. Par exemple, lorsque la mise sur le marché de certains produits phytosanitaires est remise en question, cela s'oppose aux intérêts de lobbys et d'un certain modèle de production agricole. On critique alors le fait scientifique, bien qu'il soit souvent très objectif.
La suppression de ces agences ne constituerait ni une réponse ni une solution aux problèmes agricoles exprimés lors des récentes manifestations. Cependant, nous reconnaissons l'existence d'une problématique liée à la surcharge administrative et à la pression bureaucratique vécues par les paysans. Cet aspect pèse considérablement sur nos activités. Toutefois, cette situation n'est pas imputable aux agences elles-mêmes, mais plutôt à la complexité des politiques publiques et de leur mise en oeuvre.
La dématérialisation et le manque d'interlocuteurs aggravent ces difficultés. Nous demandons davantage de moyens humains dédiés à l'accompagnement des agriculteurs dans leurs démarches, privilégiant des personnes plutôt que des interfaces informatiques.
Enfin, la complexité administrative entraîne souvent un réflexe de délégation entraînant une perte d'autonomie sur les exploitations, mal vécue par de nombreux paysans et paysannes.
M. Thomas Gibert, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Il nous semble que cette commission d'enquête vise à désigner les normes environnementales comme principale cause du malaise agricole. Nous estimons, au contraire, que la question du revenu doit être au coeur de cette problématique. Établir un lien de causalité direct entre les normes environnementales et le revenu des agriculteurs nous paraît intellectuellement malhonnête. Croire que nous pourrions être compétitifs sur le marché international uniquement en abaissant nos normes reviendrait à ignorer d'autres facteurs déterminants dans le prix de nos productions, tels que les avantages comparatifs agronomiques ou la rémunération du travail paysan.
Prenons l'exemple du traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Ce pays bénéficie de conditions idéales pour l'élevage ovin, ce qui réduit considérablement ses coûts de production par rapport à ceux de nos éleveurs et de nos éleveuses, comme dans le Limousin. Cette situation explique en partie la diminution du cheptel dans nos régions et l'importation de viande depuis l'autre bout du monde, une pratique économiquement motivée mais écologiquement discutable.
Concernant le coût du travail, nous pouvons également évoquer l'importation de fruits et légumes en provenance des pays de l'Est, où la main-d'oeuvre est moins chère. Or, dans la structure des prix des fruits et légumes, le coût du travail représente une part significative. Nous n'avons aucunement l'intention de réduire la rémunération du travail agricole pour gagner en compétitivité.
M. Pierre Barros, président. - Votre analyse soulève effectivement des points importants. Cependant, je souhaite recentrer notre discussion sur l'objet principal de cette commission d'enquête : vos relations avec les opérateurs et les agences de l'État.
Notre objectif est de déterminer si ces entités facilitent votre travail quotidien. Vous avez évoqué précédemment la question des surcharges administratives. Pouvez-vous nous éclairer sur l'efficacité de vos interactions avec ces opérateurs ? Nous sommes conscients des difficultés inhérentes à votre métier, liées aux filières et au modèle économique. Bien que ces aspects soient interconnectés sur le terrain, je vous invite à vous concentrer sur le sujet spécifique de notre commission d'enquête, à savoir vos rapports avec FranceAgriMer, l'ASP, l'OFB et d'autres organismes similaires. Cela nous permettra d'avancer dans nos réflexions.
M. Stéphane Galais. - Pour répondre à votre question, prenons l'exemple de l'OFB que vous avez cité. Cette agence a été particulièrement au centre de l'attention médiatique récemment. Bien que des tensions ponctuelles puissent survenir entre ses agents et les agriculteurs, ces cas restent relativement isolés. Nous estimons que l'OFB a été injustement utilisé comme bouc émissaire, détournant l'attention des véritables problématiques du monde agricole, notamment celle des revenus évoquée par mon collègue.
En réalité, les critiques envers l'OFB semblent peu fondées. Cet organisme contrôle la protection de l'environnement et de l'eau, et prend en charge la problématique de la prédation. Nous considérons que l'acharnement médiatique orchestré par certains syndicats agricoles est scandaleux et contribue à créer un climat délétère dans nos relations avec l'administration.
Notre objectif devrait être d'établir des relations apaisées et constructives avec ces agences. Des améliorations sont certainement possibles, mais la stigmatisation n'est pas la solution. Il est important de rappeler, dans un souci d'objectivité, que la probabilité d'être contrôlé par l'OFB est d'environ une fois tous les 120 ans, et que seulement 7 % des contrôles concernent l'agriculture. Bien que l'OFB puisse faire l'objet de critiques, il ne constitue certainement pas la source principale du malaise agricole.
Mme Amélie Rebière, vice-présidente de la Coordination Rurale. - Également présidente de la Coordination Rurale de la Corrèze, j'exerce en tant qu'éleveuse en Haute-Corrèze. Installée depuis dix ans avec mon mari, j'étais auparavant infirmière. Cette expérience m'a permis de vivre pleinement la lourdeur administrative et le processus d'installation, impliquant diverses agences de l'État.
Nous saluons, à la Coordination Rurale, l'initiative de cette commission qui met en lumière le rôle des agences de l'État et la complexité administrative du secteur agricole. Nous avions déjà soulevé cette problématique dans le cadre de la loi d'orientation agricole, malheureusement sans grand succès. Cette opportunité de nous exprimer sur ce sujet est donc particulièrement bienvenue.
Je tiens à préciser que notre critique ne porte pas sur les lois ou les normes en elles-mêmes. Ce que nous remettons en question, c'est la multiplicité des interlocuteurs et les problématiques de terrain qui en découlent. Les agriculteurs se retrouvent souvent confrontés à plusieurs agences, parfois avec des doublons, ce qui génère un sentiment d'isolement et de déconnexion avec la réalité du terrain.
Permettez-moi de vous dresser une liste non exhaustive des agences de l'État et des établissements publics avec lesquels nous interagissons régulièrement : le ministère de l'agriculture, les préfectures et sous-préfectures, la direction départementale des territoires (DDT), la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), qui a repris l'ancienne direction départementale des services vétérinaires (DDSV), les chambres d'agriculture, l'ASP, l'OFB, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail sanitaire (Anses), l'Agence Bio, l'ADEME, les agences de l'eau, les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), la Mutualité sociale agricole (MSA), la direction générale de l'alimentation (DGAL), les commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), les commissions départementales d'orientation de l'agriculture (CDOA), FranceAgriMer, la Banque publique d'investissement (BPI) ou encore l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). Cette multiplicité d'interlocuteurs illustre la complexité administrative à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement.
Voici plusieurs illustrations concrètes des difficultés rencontrées au quotidien par les agriculteurs.
L'installation d'un simple captage d'eau destiné à abreuver le bétail est une procédure particulièrement longue et complexe nécessitant de contacter tour à tour la chambre d'agriculture, l'Association syndicale d'aménagement des fonciers agricoles (AZAFAC), qui renvoie vers l'OFB pour la police de l'eau, et la DDT qui délivre l'autorisation de captage. On a un retour plus ou moins rapide, parfois il faut prendre un cabinet d'études, trouver un entrepreneur qui se mette en rapport avec la DDT et l'OFB pour être sûr de ne pas être verbalisé. Une vérification post-installation est également effectuée.
Le sujet de la prédation, qui nous concerne particulièrement en Haute-Corrèze, mobilise également de nombreux acteurs que sont la cellule de veille du loup, la Draaf, la préfecture, le préfet coordonnateur du plan loup, le sous-préfet, la DDT ou encore le parc naturel régional (PNR). En cas d'attaque, nous devons contacter la gendarmerie et l'OFB. Ces derniers, ainsi que le PNR, peuvent installer des pièges photographiques et effectuer des relevés d'indices. L'ensemble des formulaires remplis sont ensuite transmis à la DDT pour vérification par un agent qui ne se déplace pas sur le terrain. Le délai entre la prédation et l'indemnisation s'élève à 125 jours, délai dont se félicite l'administration, mais imaginez la détresse pour l'éleveur.
Un autre exemple porte sur les agriculteurs en situation de mal être. J'ai moi-même suivi une formation « sentinelle » proposée par la MSA pour lutter contre le suicide des agriculteurs. Malgré mon intérêt personnel et professionnel en tant qu'infirmière, j'ai été confrontée à un manque d'interlocuteurs directs lorsque j'ai dû gérer le cas d'un agriculteur en détresse. La procédure exigeait l'établissement d'une fiche de signalement, ce qui semble inadapté face à l'urgence potentielle de ces situations, compte tenu du taux élevé de suicide dans notre profession.
Enfin, pour les jeunes agriculteurs qui s'installent, auparavant les comités départementaux d'orientation agricole (CDOA) assuraient un suivi tout au long du parcours d'installation et au-delà. Mais depuis que la région a pris en charge ce domaine, nous constatons un véritable « ping-pong » entre cette dernière et la DDT. L'absence d'interlocuteur direct au niveau régional empêche de savoir à qui s'adresser. De nombreux acteurs interviennent : la DDT, la préfecture, la sous-préfecture, divers services régionaux, et même le département pour l'octroi de certaines subventions.
Cette multiplicité d'agences et de services étatiques génère une anxiété palpable dans le milieu agricole. Bien que ces organismes ne soient pas la cause directe de la crise agricole, ils impactent significativement notre quotidien. Personnellement, je consacre 30% de mon temps aux tâches administratives : remplir des formulaires, répondre à des questions, constituer des dossiers. Ce temps considérable est autant de moments que je ne passe pas à m'occuper de mon bétail.
Lorsque la Coordination Rurale évoque la dissolution de l'OFB, cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas être soumis aux normes et aux contrôles. Nous ne sommes pas au-dessus des lois et les contrôles sont normaux lorsqu'on touche de l'argent public. Ce que nous pointons du doigt, c'est la manière dont ça se passe sur le terrain. Est-ce que vous avez déjà vu des agriculteurs attaquer des commissariats ou des gendarmeries ? D'autres attaquent plus facilement les gendarmeries que les agriculteurs. Le problème, ce n'est pas le port d'arme et ce n'est pas l'autorité, mais la façon dont ça se passe sur le terrain. Il y a des gros problèmes de compétences, nous l'avons relevé. La gendarmerie pourrait avoir une branche spécialisée dans la police de l'eau. Ils ont ce statut de force de l'ordre, ils sont formés à porter une arme et à avoir comme interlocuteur n'importe quel citoyen en ayant cette stature d'autorité. Il pourrait y avoir, à côté, une fonction de conseil assurée par des agents de l'OFB, avec un statut et des prérogatives différents.
S'agissant du contrôle unique, j'ai fait partie de la mission inter-services de l'agriculture (MISA) qui sert à le mettre en place. Sont groupés dans ce contrôle unique les contrôles qui sont programmables, qui se passent en présence de l'agriculture et qui sont de nature administrative. C'est très compliqué pour les administrations, parce que certaines administrations planifient pendant le premier semestre, d'autres pendant le deuxième semestre. L'OFB nous dit qu'elle n'est pas concernée pour les contrôles de nature judiciaire, l'administration des impôts et la MSA disent qu'ils ne s'y rattachent pas en raison du secret professionnel... Le contrôle unique, ça donne plus de travail aux fonctionnaires qui se demandent comment ils vont pouvoir faire. Ce n'est pas la solution, et il va falloir réfléchir à une autre manière de procéder.
Nous ne demandons pas l'arrêt des contrôles : notre demande de moratoire avait pour but de tout mettre tout à plat, d'identifier les doublons, de s'organiser pour que les contrôles puissent se passer au mieux dans les exploitations. Et on pourrait dévier les contrôles sur les marchandises importées, sur tout ce qui peut créer une baisse de revenus chez les exploitants agricoles, car le fond du problème, comme l'ont dit les collègues, c'est bien les revenus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Selon vous, quelle entité, parmi les régions, l'ASP et FranceAgriMer, verse les aides aux agriculteurs de la manière la plus efficace ?
M. Stéphane Galais. - Parmi les trois options mentionnées, l'ASP est probablement la plus efficace. Cependant, est-ce vraiment le coeur du problème que de déterminer qui effectue les paiements le plus rapidement ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est de rendre la politique publique plus efficace, plus efficient, pour qu'elle réponde mieux aux attentes.
M. Stéphane Galais. - Une vraie question est soulevée, celle de la problématique de la surcharge administrative. Or je viens de faire un captage d'eau, mais je n'ai pas vécu la même chose que ma collègue. Il ne suffit pas d'énumérer les différentes agences pour comprendre la pression réelle vécue dans les exploitations. La surcharge administrative est une réalité dans les fermes, mais elle est en grande partie due à l'isolement des agriculteurs et à la surcharge de travail globale. Historiquement, ce travail administratif n'était pas rémunéré car il était souvent pris en charge par les femmes. Nous revenons donc toujours à la question fondamentale de la rémunération équitable des agriculteurs et agricultrices. La rapidité de paiement par FranceAgriMer ou l'ASP n'est pas, à mon sens, le coeur du problème.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous considérez que cette question n'est pas pertinente, j'ai l'impression que toutes nos interrogations risquent de vous sembler sans intérêt.
M. Stéphane Galais. - Je vous prie de m'excuser, mais comme mes collègues, j'exprime ma frustration face à ce que je perçois comme une approche inadéquate. Je ne vois pas en quoi la comparaison de la rapidité de paiement entre l'ASP et FranceAgriMer est véritablement pertinente pour résoudre les problèmes de fond.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre objectif est d'optimiser la dépense publique. Compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques, nous serons contraints de réaliser des économies l'année prochaine. Le but de cette commission d'enquête est d'identifier les domaines où ces économies peuvent être réalisées de manière ciblée, afin de ne pas pénaliser les politiques efficaces et d'améliorer celles qui ne fonctionnent pas de manière optimale.
M. Stéphane Galais. - Pour répondre efficacement au malaise agricole profond et limiter la disparition des exploitations, il est essentiel d'accompagner les agriculteurs et de renforcer les moyens humains. La simplification administrative est certes nécessaire, mais il faut également prendre en compte que la complexité actuelle résulte souvent du fait que certaines réglementations, initialement simples, se sont complexifiées en raison de la multiplication des exceptions. Il serait judicieux de commencer par aborder ce problème. Ensuite, nous pourrons effectivement nous pencher sur l'amélioration de l'efficacité des agences et des systèmes de paiement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre mission principale est précisément d'améliorer le fonctionnement du système. J'ai noté que selon vous, l'entité la plus performante semble être l'ASP.
M. Thomas Gibert. - Concernant l'ASP, nous constatons des problèmes récurrents systématiquement attribués à des bugs informatiques. Il est inacceptable que les paysans subissent les conséquences de ces dysfonctionnements.
De plus, nous remarquons que les aides liées à la transition écologique, telles que les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides bio, sont invariablement versées en dernier, et ce, année après année.
Je tiens également à revenir sur les propos de mes collègues. Il existe véritablement un double discours dans certains syndicats. Notre insistance sur les normes environnementales n'est pas fortuite. Sur le terrain, nous faisons face à une attaque particulièrement virulente sur cette question, basée sur une analyse erronée. Le discours que je viens d'entendre est en totale contradiction avec ce que nous constatons localement. Par conséquent, dans le cadre de cette commission d'enquête, nous mettons l'accent sur la question du revenu, qui est le véritable enjeu. Si les propositions qui nous sont faites se limitent à l'amélioration de l'efficacité et de la rapidité de paiement de telle ou telle agence, cette approche est franchement insuffisante.
M. Pierre Barros, président. - La rapidité de réponse des opérateurs, notamment concernant les aides, est effectivement une composante du revenu. Nous abordons ainsi une partie du sujet.
La complexité de vos métiers réside dans leur multiplicité. En tant qu'agriculteur, vous êtes à la fois producteur, maçon, vous réalisez des travaux s'apparentant presque au génie civil. Chacun de ces aspects comporte son propre cadre normatif, ses processus et ses interlocuteurs au sein des services de l'État. En outre le format de l'exploitation et le type de production sont divers. Que vous soyez dans l'élevage, la production laitière ou céréalière, votre métier est en constante évolution et particulièrement vulnérable aux aléas climatiques, à l'aménagement du territoire et à la pression foncière, notamment en Île-de-France.
Vous exprimez un sentiment de solitude dans vos exploitations, malgré un environnement chargé de partenaires et de représentants de l'État, censés non seulement appliquer les normes, mais aussi vous accompagner. Quel est l'interlocuteur, qu'il s'agisse d'un opérateur ou d'un service de l'État, qui vous est le plus facilement accessible ? Hormis les élus locaux, souvent proches des administrés, des entreprises et des exploitants agricoles, quels services de l'État voyez-vous régulièrement sur le terrain ?
Mme Amélie Rebière. - En termes d'aides, FranceAgriMer nous pose le plus de difficultés. Nous devons passer par un portail qui fonctionne très peu pour répondre à des appels à projets aux enveloppes limitées.
Concernant l'ASP, le problème majeur réside dans la difficulté à trouver un interlocuteur. Lorsque nous appelons, nous tombons sur des personnes qui ne connaissent pas nos dossiers. À l'inverse, l'Agence Bio fonctionne bien car c'est une petite structure avec des interlocuteurs facilement accessibles et proches des agriculteurs.
Lorsque les régions étaient plus petites, la communication était plus fluide. Le problème principal réside dans la taille de ces agences, devenues de véritables machines de guerre où nous ne sommes qu'un numéro insignifiant.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous souhaiteriez donc avoir un interlocuteur unique qui serait votre point de contact principal, et qui se chargerait ensuite de communiquer avec les différents services de l'État en votre nom ?
Mme Amélie Rebière. - Le réflexe naturel d'un agriculteur est de contacter sa chambre d'agriculture. Celle-ci pourrait parfaitement jouer le rôle du guichet unique que vous évoquez. Elle dispose de techniciens et de personnes capables de trouver l'interlocuteur approprié pour chaque type de subvention. Elle peut potentiellement bénéficier d'un accès plus facile à FranceAgriMer ou d'un numéro direct pour contacter l'ASP, par exemple.
M. Stéphane Galais. - Effectivement, la chambre d'agriculture devrait être notre interlocuteur privilégié. Cependant, nous sommes confrontés à des problèmes de gouvernance au sein de ces instances, notamment à la lumière des difficultés rencontrées lors des élections professionnelles. La plupart des chambres sont dirigées par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), mettant en doute leur capacité à rester impartiales vis-à-vis de l'ensemble des agriculteurs, indépendamment de leur mode de production ou de leur approche du travail agricole.
M. Thomas Gibert. - Pour appuyer cette question des problèmes de gouvernance, nous avons également relevé des difficultés avec l'ODEADOM, pour nos collègues des DROM. Ils rencontrent de nombreux problèmes, particulièrement en termes d'opacité dans la répartition des aides du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI).
Nous constatons un problème majeur de représentation de nos organisations syndicales au sein de l'ODEADOM. Cette situation entrave la capacité à promouvoir la diversification des productions pour mieux répondre aux besoins locaux. L'ODEADOM est largement dominée par les lobbies de la banane et de la canne à sucre. L'orientation de cet établissement devrait évoluer vers plus de démocratie et de diversification des productions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La solution serait-elle que votre interlocuteur unique se trouve au sein d'un service de l'État comme la Draaf ou les DTT, pour dépassionner le débat ? On pourrait envisager de constituer ces cellules de proximité en récupérant des agents actuellement dispersés dans diverses structures du ministère de l'Agriculture. Nous constatons que cette demande de proximité n'est pas isolée. Il est évident que les agents de l'État sont soit trop peu nombreux, soit trop éloignés du niveau local, perdus dans les grandes régions comme vous le soulignez. Cette solution vous paraît-elle envisageable ?
Mme Amélie Rebière. - Cette approche est déjà en place pour les organisations syndicales représentatives. Elle permet d'entretenir des relations privilégiées avec la DDT et la préfecture. Je rejoins mes collègues sur la gestion des chambres d'agriculture. La DDT et la préfecture, où il s'agit de fonctionnaires objectifs, constituent un interlocuteur de proximité qu'il faut conserver.
Mme Ghislaine Senée. - Je souhaite revenir sur les aides bio et les MAEC. Nous savons que des retards systématiques ont été constatés. Quels sont les délais aujourd'hui ?
La question de la pertinence des politiques publiques se pose, notamment face aux contraintes environnementales. Au-delà du débat sur l'acceptation de ces normes, que nous avons déjà eu dans l'hémicycle, nous avons besoin de comprendre votre perception concrète du terrain. M. Galais, votre expérience avec le captage d'eau a-t-elle été aussi complexe que décrit précédemment par Mme Rebière ?
M. Stéphane Galais. - Dans mon cas, le processus a été relativement simple. J'ai fait appel à une entreprise de forage qui s'est chargée de l'essentiel des démarches en nous accompagnant. Nous n'avons pas eu à faire face à cette litanie d'échanges interminables évoquée précédemment. L'entreprise a certes géré ces aspects. Mon expérience est peut-être un cas particulier et ne reflète pas nécessairement celle de tous les agriculteurs. Il est important de souligner qu'il est possible de se faire accompagner et de vivre une expérience différente de celle décrite comme catastrophique.
Cependant, je ne nie pas l'existence d'une pression administrative réelle. La rémunération insuffisante au regard du nombre d'heures travaillées et de la production ne permet pas d'être serein pour consacrer du temps aux tâches administratives.
Mme Ghislaine Senée. - Cela signifie-t-il que vous faites appel à une entreprise privée pour vous accompagner dans ces démarches administratives ?
M. Stéphane Galais. - Oui, mais le prix était intégré dans le forage. Je tenais simplement à illustrer deux réalités différentes. Mon expérience diffère de la perception de pression administrative évoquée précédemment, du moins dans ce cas précis. Je ne prétends pas que cette situation soit généralisable, car la complexité varie selon les territoires.
M. Thomas Gibert. - Les déclarations PAC sont particulièrement complexes à effectuer, en particulier pour les exploitations diversifiées, devant gérer différentes cultures, conversions bio, etc. Se voir en plus pénalisé par des retards de paiement donne l'impression que la transition écologique est reléguée au second plan des politiques publiques, malgré l'urgence de préserver notre outil de production en opérant cette transition.
C'est nous qui subissons en premier les conséquences de la dégradation de la biodiversité, de l'érosion et de la perte de fertilité des sols. Nous sommes également les plus exposés aux effets néfastes des pesticides et aux aléas climatiques. Logiquement, nous devrions encourager cette transition, ce qui n'est manifestement pas le cas actuellement.
Mme Amélie Rebière. - Le calendrier de paiement débute généralement mi-octobre. Les MAEC, les aides bio, ou même les aides label pour les veaux de lait sont souvent versées en avril-mai. Ce décalage entre le début du paiement des aides PAC, qui commence par les aides découplées, non liées à la production, et le versement tardif des aides à la production, reflète les priorités actuelles de notre agriculture. On commence par les aides à la surface et on finit par les aides à la production, ce qui montre l'ordre des priorités.
M. Stéphane Galais. - Concernant les MAEC en Bretagne, les difficultés de paiement que nous avons rencontrées sont également liées à un manque d'anticipation politique dans le calibrage de ces aides et le traitement des dossiers. Ce n'est pas uniquement imputable à l'agence de paiement, mais aussi aux politiques publiques qui n'ont pas anticipé l'engagement volontaire des paysans dans cette transition agro-écologique.
Nous pouvons légitimement nous inquiéter pour les années à venir. Nous espérons que les paysans et paysannes, les agriculteurs et agricultrices continueront à s'engager massivement dans ces mesures, car la transition agro-écologique est cruciale. Cependant, il faudra que les politiques et le gouvernement soient à la hauteur pour éviter de nouvelles problématiques.
Il n'incombe pas aux agences de l'eau de pallier les insuffisances budgétaires pour le paiement des MAEC. Cela nous apparaît être un détournement de leurs missions et des ambitions qui devraient être les leurs.
Mme Amélie Rebière. - Au niveau de la région ou du département, les agriculteurs sont confrontés à des élus dont le mandat est limité dans le temps, ce qui peut affecter la continuité des politiques.
Pour certaines agences comme l'OFB, la gouvernance s'effectue via un conseil d'administration où les agriculteurs demeurent sous-représentés, ce qui contribue aux tensions sur le terrain.
M. Stéphane Galais. - Je rejoins ces propos sur le problème de gouvernance et l'insuffisante place laissée aux syndicats, particulièrement au sein de l'OFB, qui engendre des difficultés. En tant que premiers concernés par les actions de ces agences, notre exclusion pose un réel problème.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les agences de l'eau n'ont-elles pas instauré le concept de « Parlement de l'eau », où les agriculteurs sont censés être représentés ?
M. Stéphane Galais. - Seule une partie des agriculteurs y est représentée. Comme je l'ai mentionné précédemment, il existe une méfiance de l'État envers ces agences, notamment concernant leurs orientations. Par exemple, l'agence de l'eau a émis des avis moratoires sur les retenues d'eau et les bassines, que l'État, qui fait partie de sa gouvernance, n'a pas suivis.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, pour votre précieuse contribution à notre commission d'enquête. Vos apports recoupent de nombreux éléments issus d'autres auditions menées ici même. Vous avez notamment mis en lumière les questions cruciales de la proximité et de la difficulté à identifier un interlocuteur unique, lisible et ancré sur le terrain. Votre participation active a enrichi nos réflexions. Je vous en suis reconnaissant et vous souhaite un bon retour.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de représentants de syndicats agricoles - MM. Yannick Fialip, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs
M. Pierre Barros, président. - Après les représentants de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale, nous recevons M. Yannick Fialip, membre du bureau de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), en visioconférence, et M. Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs.
Notre commission d'enquête porte sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, c'est-à-dire que nous examinons les organismes dépendant de l'État, mais pas ceux qui dépendent des collectivités territoriales. Nous avons par exemple auditionné ces derniers jours l'Ademe, l'Office français de la biodiversité (OFB), les agences de l'eau, FranceAgriMer et l'Agence de services et de paiement (ASP).
Comme je l'ai dit aux syndicats reçus précédemment, nous sommes donc intéressés par vos observations sur ces agences et opérateurs. Ces opérateurs sont-ils bien accessibles aux agriculteurs? Ceux-ci disposent-ils d'informations adéquates sur les canaux par lesquels il faut passer pour recevoir des aides, qu'il s'agisse de FranceAgriMer, de l'ASP ou encore des agences de l'eau ?
Ces opérateurs interviennent également pour contrôler l'application des normes. Notre objectif n'est pas de remettre en cause tel ou tel opérateur ou ses agents, ni de nous lancer dans un chantier de refondation de ces normes. Nous souhaitons simplement avoir vos idées et propositions sur la manière dont une meilleure organisation des services de l'État pourrait contribuer à améliorer la situation.
Cela m'amène à vous poser les questions suivantes. Que pensez-vous de l'initiative récente d'organiser une visite annuelle de contrôle administratif dans l'exploitation, qui devrait remplacer les visites multiples ? Est-il nécessaire que les préfets ou les collectivités locales soient mieux appliqués dans ces contrôles ?
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site Internet du Sénat et qu'un compte rendu sera rédigé et publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite tous les deux à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yannick Fialip (en visioconférence) et M. Quentin Le Guillous prêtent serment.
M. Yannick Fialip, membre du bureau de la FNSEA. - Nous sommes très impliqués sur ce sujet qui a fortement mobilisé les agriculteurs l'année dernière, notamment concernant les contrôles en exploitation. Nous pouvons classer les agences intervenant dans le monde agricole en trois catégories.
La première catégorie comprend les agences économiques ou de paiement. FranceAgriMer joue un rôle important en offrant une vision de l'économie de marché tout en assurant le paiement rapide lors de crises, comme récemment pour la fièvre catarrhale ovine. L'établissement jouit d'une vision plutôt positive au sein du monde agricole. L'Agence de services et de paiement (ASP) gère les paiements de la politique agricole commune (PAC). Des évolutions positives ont été constatées en termes de rapidité des paiements ces dernières années même si certaines contraintes européennes, dans la justification de certaines aides, peuvent ralentir le dispositif.
La deuxième catégorie, c'est les nouvelles agences apparues dans le monde agricole comme l'Office français de la biodiversité (OFB) qui suscite des inquiétudes. Les agriculteurs perçoivent un décalage entre leurs besoins de production et les contrôles exercés par l'OFB, qu'ils assimilent à une police de l'environnement. Nous proposons, non pas une suppression de l'OFB, mais une évolution de ses missions pour une meilleure compatibilité avec le monde agricole, notamment en privilégiant des pénalités administratives plutôt que judiciaires pour certaines infractions mineures.
Enfin, certaines agences sont plus détachées du monde agricole. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) semble avoir pris un rôle plus politique que technique ces dernières années : ainsi ai-je lu dans la presse, ce matin, que le directeur de l'Anses menaçait de démissionner si une certaine loi passait. Cela nous préoccupe, car nous estimons qu'elle devrait rester un organisme scientifique et technique.
On peut également mentionner l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE). Malgré certaines orientations qui nous interrogent, cet établissement demeure essentiel pour l'innovation, la recherche et le développement dans le secteur agricole, qui sont essentiels face aux défis de la compétition internationale et du changement climatique. L'INRAE doit être plus proche des agriculteurs et diffuser davantage ses travaux de recherche pour une meilleure efficacité locale.
Enfin au-delà des débats sur la suppression de l'Agence Bio, nous souhaiterions voir davantage de professionnels agricoles impliqués au sein de cette structure. Cela permettrait de mieux aligner le développement de l'agriculture biologique avec la demande du marché.
Les agences de l'eau constituent un autre sujet majeur. Nous constatons depuis des années une tendance à l'orientation politique plutôt qu'au travail technique. Nous sommes préoccupés par le fait que les agences de l'eau ne prennent pas toujours en compte les besoins agricoles, notamment en matière d'irrigation. Le carcan administratif a freiné le développement de l'irrigation en France, où seulement 5 % des terres sont irriguées, contre 10 à 15 % en Espagne. C'est un véritable enjeu d'adaptation au changement climatique. Nous appelons à plus de bon sens paysan et à un rapprochement avec la profession agricole.
Nous avons également vu apparaître plusieurs comités consultatifs ces dernières années, tels que le comité national de l'agriculture biologique, le comité national d'éthique des abattoirs, le conseil national de l'alimentation qui a un rôle important et la commission nationale de la certification environnementale. Certains semblent parfois plus orientés vers la communication que vers la recherche de solutions concrètes pour améliorer notre compétitivité agricole.
Nous tenons à préserver certains comités importants pour le secteur agricole, comme la commission des comptes agricoles, qui fournit un bilan annuel sur les revenus agricoles. Le conseil national de la montagne, malgré les récentes menaces de suppression, reste crucial pour les politiques de développement des territoires montagneux, tant sur le plan agricole que touristique.
Enfin, concernant le volet sanitaire, le conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale soulève la question de l'organisation future du suivi sanitaire. Faut-il privilégier une approche basée sur des comités et des agences, ou un partenariat plus étroit avec la profession ?
En conclusion, nous ne cherchons pas à supprimer systématiquement toutes les agences et tous les comités existants, mais plutôt à les rationaliser et à ce que les attentes de la profession agricole soient mieux prises en compte.
M. Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs. - Nous sommes ravis d'être présents aujourd'hui pour répondre à ces questions qui préoccupent fortement les jeunes agriculteurs.
Je suis moi-même agriculteur, installé en Eure-et-Loir depuis 2016. Mon installation a été relativement simple, bien accompagnée par les chambres d'agriculture. Cependant, depuis, toutes mes démarches pour obtenir de l'accompagnement ou du soutien se sont révélées complexes.
Par exemple, j'ai envisagé de passer en agriculture biologique, mais face à la complexité des procédures d'accompagnement, j'ai abandonné cette idée. L'Agence Bio, comme l'a mentionné M. Fialip, reste le principal levier pour échanger sur l'agriculture biologique. Malheureusement, ce secteur est en crise depuis quelques années, notamment à cause de la pandémie et de la guerre en Ukraine. La chute des marchés et la hausse des charges ont rendu l'agriculture biologique moins attractive, surtout dans un contexte où les consommateurs, disposant de moins de revenus, tendent à privilégier les produits moins chers au détriment de la qualité.
Pour quelqu'un qui souhaite se lancer en agriculture biologique aujourd'hui, c'est un véritable parcours du combattant. Il faut naviguer entre l'ASP, la PAC, diverses agences, sans parler des contrôles supplémentaires pour l'élevage. Cette complexité administrative décourage de nombreux agriculteurs, les poussant à rester dans leurs pratiques habituelles et à résister aux nouvelles idées. C'est en partie ce qui explique les récentes manifestations : un ras-le-bol face à l'excès de normes.
Les agences sont souvent perçues comme des applicateurs de nouvelles normes plutôt que comme un soutien aux agriculteurs. Nous pensons par exemple que l'OFB a sa place, mais que le dialogue avec les agriculteurs doit être repensé. Actuellement, beaucoup n'osent pas contacter cette agence pour des questions environnementales, de peur d'être réprimandés ou contrôlés. Cette image négative, bien que parfois injustifiée, persiste.
Le défi est donc de recréer un lien de confiance entre les agriculteurs et ces organismes, pour que nous puissions travailler ensemble de manière constructive plutôt que dans un climat de méfiance et de peur.
Auparavant, nous avions des échanges constructifs avec la police de l'eau et les agents expérimentés. Aujourd'hui, avec l'arrivée de jeunes agents, on perçoit une forme de militantisme au sein de l'OFB et d'autres agences. Il est crucial de recréer du lien et d'encourager ces nouveaux agents à dialoguer directement avec les exploitants agricoles pour comprendre leurs défis face au climat et à la structure de leurs terres. Les agriculteurs doivent composer avec le vivant, les animaux, la météo et l'environnement naturel.
Concernant l'agence de l'eau, en tant qu'irrigant, je suis déçu de son apport. Lorsque je sollicite l'agence de l'eau pour améliorer mon irrigation ou proposer des projets collaboratifs comme la création d'une retenue d'eau avec plusieurs communes, je me heurte à une complexité administrative décourageante. Le sujet du stockage de l'eau, surtout si on prononce le mot « bassine », suscite des craintes et une fermeture au dialogue de la part de l'administration.
Je souhaiterais voir les contributions financières des agriculteurs à l'agence de l'eau être utilisées pour soutenir des améliorations concrètes. Malheureusement, ces demandes se heurtent souvent à des refus. De plus, la représentation agricole dans les instances de décision de l'agence de l'eau est très faible, ce qui limite notre influence.
Les agriculteurs sont prêts à collaborer, à appliquer les normes, mais le dialogue est souvent inefficace, ce qui génère de la frustration et peut mener à des mouvements de protestation comme ceux de l'année dernière. Il est essentiel de repenser le fonctionnement de ces institutions pour favoriser un dialogue plus constructif et éviter de futures tensions.
Concernant l'Agence de services et de paiement (ASP), les principales critiques portent sur les retards de paiement et les problèmes informatiques. Quant à FranceAgriMer, la complexité administrative des dossiers de demande de financement est un frein majeur. Il faudrait soit former les agriculteurs à remplir ces dossiers complexes, soit simplifier les procédures.
J'accepte les contrôles sur mon exploitation, à condition qu'ils soient légitimes et menés dans un esprit de dialogue. La situation varie selon les territoires, certains étant plus tendus que d'autres, notamment sur des sujets sensibles comme le loup ou la gestion de l'eau.
J'espère que votre commission pourra contribuer à améliorer la dynamique et le dialogue entre les agriculteurs et ces différentes agences. Nous sommes prêts à collaborer et à nous adapter, mais nous avons besoin d'un véritable accompagnement et d'un dialogue constructif.
M. Pierre Barros, président. - Je tiens à préciser le contexte de cette commission d'enquête. Elle répond à une commande politique du gouvernement, face à d'importants défis budgétaires. L'objectif est d'améliorer le fonctionnement des services tout en réalisant des économies. Nous sommes conscients que nous ne pourrons pas résoudre toutes les problématiques du terrain, qui sont diverses.
Notre mission ne porte pas spécifiquement sur la question des normes, bien que nous reconnaissions leur impact sur votre quotidien. Nous nous concentrons sur l'organisation des opérateurs et des acteurs sur le terrain, qui est souvent perçue comme peu lisible, confuse et peu accessible.
Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous avons besoin de votre retour d'expérience sur l'accessibilité de ces services et vos propositions d'amélioration. Nous cherchons également à identifier d'éventuelles économies, voire des aides que vous jugeriez superflues.
Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore identifié précisément les économies à réaliser, ce qui est pourtant l'une de nos missions principales. Nous partons du principe qu'une meilleure organisation permettra de générer des économies, mais nous avons besoin de votre aide pour concrétiser cela.
Nous sommes conscients des défis que vous rencontrez au quotidien et des rapports de force qui existent avec les instances politiques. D'autres organisations syndicales nous ont également fait part de leurs préoccupations, qui peuvent parfois recouper les vôtres.
Dans nos échanges à venir, nous vous encourageons à nous fournir des retours concrets du terrain qui nous permettront d'améliorer la situation et, in fine, de réaliser les économies nécessaires pour améliorer la situation budgétaire de notre pays.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous qu'une amélioration des relations avec l'OFB pourrait passer par une dissociation du pouvoir de contrôle ? Ce volet pourrait être confié, par exemple, aux gendarmeries ou à d'autres entités qui exercent déjà un rôle d'application de la loi. L'OFB pourrait alors se concentrer sur la partie conseil en amont, pour s'assurer que les installations sont conformes à la réglementation en vigueur.
M. Yannick Fialip. - Cela pourrait effectivement être une solution. Je tiens à souligner deux points importants.
De nombreux agriculteurs se sentent en insécurité juridique face à un contrôle de l'OFB. Cette situation conduit certains à renoncer par exemple à la plantation de haies, ne sachant pas précisément quand ils peuvent les tailler ou les couper.
Le traitement administratif des procès-verbaux mis en place dans certains départements permet d'économiser de l'argent et de désengorger les tribunaux, mais impliquer les forces de gendarmerie dans ces contrôles pourrait être problématique. Les agriculteurs, très respectueux de l'État, pourraient percevoir l'arrivée des gendarmes comme le signe d'un événement grave.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'idée n'est pas d'ajouter les gendarmes aux agents de l'OFB, mais plutôt de séparer, au sein de l'État, les fonctions de contrôle et de conseil.
Nous avons également d'autres pistes d'évolution qui pourraient vous convenir. Nos auditions successives ont révélé que le manque de proximité pose problème. Ne faudrait-il pas regrouper les différents agents du ministère - actuellement répartis entre FranceAgriMer, l'OFB ou les agences de l'eau - au sein d'un pôle au niveau des directions départementales des territoires (DDT) ? Cette entité pourrait servir de cellule d'appui aux agriculteurs ou à toutes les activités économiques liées aux politiques de l'eau et de l'environnement.
Voilà deux pistes que nous explorons avec vous. Rien n'est définitif, nous avançons au fur et à mesure des auditions.
M. Yannick Fialip. - À la FNSEA, nous sommes plutôt favorables à votre deuxième proposition. Elle permettrait effectivement un suivi plus proche du monde agricole avec les services de la DDT, qui sont plus au fait de la réalité de notre métier. Ils comprennent que nous sommes des entrepreneurs du vivant et que nous ne pouvons pas tout maîtriser de A à Z, notamment en ce qui concerne les dates d'épandage ou la taille des haies, qui sont parfois déconnectées de la réalité du terrain.
Cela rejoint ce qui concerne le contrôle unique mis en place dans certains départements, ainsi que l'implication des services de la DDT dans l'organisation des contrôles. Dans mon département, par exemple, une réunion de la mission inter-services de l'agriculture (MISA) s'est tenue aujourd'hui sous l'égide du préfet. Ces échanges permettent de faire le point avec l'ensemble des organisations agricoles sur les difficultés rencontrées en termes de contrôle et sur les améliorations possibles, sans nécessairement aboutir à des pénalités.
Je terminerai par une observation : quand on considère que 4 % de notre PIB est consacré à des mesures de contrôle et au financement de diverses agences, il y a certainement des améliorations à apporter. On nous dit souvent que lorsqu'une décision politique est prise, l'ensemble de l'administration française ralentit sa mise en oeuvre auprès des agriculteurs.
M. Quentin Le Guillous. - Il me semble que lors de la création de l'OFB, une mise sous tutelle préfectorale ou du moins une surveillance par les préfets était prévue. J'ignore où en est ce projet aujourd'hui. Les préfets nous disent qu'ils n'ont pas la main sur les décisions de l'OFB.
Auparavant, nous avions la police de l'eau et les gardes fédéraux pour les chasseurs. Ces derniers étaient chargés de la sensibilisation et des contrôles concernant le braconnage, la pollution, les dépôts sauvages, etc. On a décidé de tout regrouper avec la police de l'eau, qui est maintenant devenue l'OFB. Aujourd'hui, on entend parler de remettre certains agents de l'OFB sous la tutelle des fédérations des chasseurs, et d'autres sous une tutelle de conseil.
Il serait judicieux, à l'avenir, d'étudier l'impact financier de ces nouvelles structures au moment de la création des lois.
L'idée de déléguer ces contrôles à des personnes plus assermentées pouvant effectuer des vérifications plus larges est intéressante. Il ne faudrait pas qu'il s'agisse d'un contrôle unique qui durerait une journée ou deux, et où l'on enfermerait l'agriculteur dans son bâtiment pour vérifier tous les documents un par un.
Par ailleurs, même si nous avons demandé un contrôle administratif unique, les vérifications de la PAC, les contrôles sur le bio ou encore les contrôles vétérinaires pour l'élevage demeureront, sans oublier tous les contrôles européens. En réalité, le contrôle unique n'existera jamais.
Dans ce contexte, comment améliorer l'approche des contrôles ? Avec qui ? Ce sont des questions que nous nous posons nous-mêmes, sans avoir nécessairement toutes les réponses. Comment rationaliser et être le plus efficace possible à l'avenir, tout en faisant peut-être plus confiance aux agriculteurs, même si nous savons qu'un suivi reste nécessaire ?
M. Pierre Barros, président. - J'ai le sentiment en vous écoutant que vous considérez les services de l'État, notamment les préfectures et sous-préfectures, comme plus légitimes en matière de contrôle et d'accompagnement de proximité sur ces sujets. En comparaison, vous semblez percevoir les opérateurs ou les agences de l'État comme moins légitimes, peut-être parce que moins proches de vos préoccupations et moins compétents sur les questions qui vous concernent directement.
M. Quentin Le Guillous. - Je pense effectivement qu'en confiant ces missions aux préfectures et aux DDT, nous pourrions bénéficier d'interlocuteurs ayant une connaissance plus fine du terrain et des problématiques locales à la différence de grandes agences couvrant plusieurs départements, voire une quinzaine pour les agences de l'eau. Les enjeux peuvent varier considérablement d'une zone à l'autre au sein d'un si vaste territoire. Remettre du bon sens dans la gestion et établir une tutelle forte, avec un interlocuteur direct comme le préfet, pourrait s'avérer plus efficace pour les agriculteurs.
M. Pierre Barros, président. - Cependant, même en répartissant tous les effectifs de ces agences dans les DDT ou les préfectures, nous risquons de ne pas atteindre la couverture territoriale et la qualité de service requises.
M. Quentin Le Guillous. - Je suis d'accord avec vous sur ce point. Néanmoins, je pense qu'une gestion interne plus efficace pourrait être mise en place. Actuellement, la communication n'est pas optimale entre les différentes parties prenantes, avec des directions à la tête de grandes agences qui peuvent parfois sembler hermétiques au dialogue. Si nous parvenions à nous impliquer davantage dans leur fonctionnement, nous pourrions résoudre une partie des difficultés que rencontrent les exploitants agricoles avec ces agences.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous abordez la question de la gouvernance. Je comprends que vous souhaiteriez être davantage associés à la gouvernance de ces agences.
Le fait d'avoir le préfet comme véritable chef de file des différentes politiques de l'État, exerçant une réelle autorité sur les agents, y compris ceux issus des agences de l'eau, de l'OFB, de FranceAgriMer et d'autres organismes, simplifierait-il vos relations avec l'administration ?
M. Quentin Le Guillous. - Oui, je
le pense, et ce sentiment est également partagé par certains
membres des Jeunes Agriculteurs. Si ces agences étaient placées
sous la tutelle directe du préfet, avec une hiérarchie claire,
nos échanges seraient beaucoup plus efficaces et
simplifiés.
Nous pourrions centraliser nos interactions
via la préfecture, plutôt que de devoir jongler avec une
multitude d'interlocuteurs, sans parler des avantages en termes de
fonctionnement et de gestion des ressources.
M. Yannick Fialip. - Je partage cet avis. Cette approche s'applique d'ailleurs à d'autres domaines en fonction des besoins spécifiques du département. Par exemple, la décision de lancer une campagne de contrôle d'alcoolémie ou de vitesse sur les routes revient aux préfets, en fonction de la situation dans le département. On pourrait envisager un fonctionnement similaire avec l'OFB. Cela permettrait probablement de réduire les coûts de l'agence et de renforcer la présence des services de l'État auprès des agriculteurs.
Je peux vous donner quelques exemples concrets. Dans mon département, 500 kilomètres de haies ont été plantés en 10 ans. Pourtant, on voit des agriculteurs importunés pour avoir coupé quelques mètres de haies ou encore un maire ayant élargi un chemin pour organiser un événement local se retrouver au tribunal administratif avec une amende de 175 000 euros.
Il faut aussi souligner le rôle important que jouent les chambres d'agriculture dans l'identification des animaux, une mission qu'elles assurent pour le compte de l'État dans 95 % des départements. Cette proximité permet un accompagnement des agriculteurs pour améliorer leurs pratiques, ce qui limite les sanctions lors des contrôles. C'est une approche bien plus constructive que d'avoir des agents qui parcourent la campagne avec pour seul objectif de traduire les agriculteurs en justice.
Je pense qu'il y a là un véritable enjeu de simplification qui permettrait à la fois de réaliser des économies pour l'État et de redonner aux agriculteurs une certaine liberté d'entreprendre.
Mme Ghislaine Senée. - Au fil de nos auditions, certaines idées communes émergent.
La notion de guichet unique, par exemple, rappelle le dispositif France services mis en place pour les citoyens face à la multiplicité des services de l'État. Ont été évoqués comme points d'entrée potentiels les chambres d'agriculture, le Préfet, la DDT. La question de la neutralité a également été soulevée.
Aujourd'hui, nous avons une administration centrale qui définit la stratégie, et des agences chargées de la mise en oeuvre des politiques publiques. L'exemple de l'OFB, issu de dix ans de fusions successives, montre qu'une certaine efficacité se met en place, même si le ressenti est celui d'une politique plus répressive que d'accompagnement. Il y a certainement des améliorations à apporter dans le dialogue.
Il faut reconnaître que l'OFB remplit son rôle, malgré une réduction de ses effectifs de 200 postes depuis 2010. Nous devons trouver un mode de fonctionnement qui permette de mettre en oeuvre les politiques publiques définies en France, sans pour autant remettre systématiquement en cause l'existant, car faire et défaire ne fait que créer plus de confusion pour tous les acteurs concernés.
Si le financement des agences représente, comme vous l'avez dit, 4 % du coût du PIB, les dernières études estiment que le changement climatique devrait engendrer une chute de 50 % du PIB mondial d'ici 2070. Il est donc crucial de trouver un juste équilibre.
J'ai une question spécifique sur l'ASP. Il semblerait que les aides bio et les MAEC soient toujours versées avec un décalage, en avril-mai, contre octobre pour les autres aides. Pouvez-vous confirmer cette information ?
Par ailleurs, je souhaite souligner un point récurrent : la question de la gouvernance dans les agences et de la représentation des agriculteurs. C'est un aspect qui me semble particulièrement important et que vous avez d'ailleurs déjà évoqué.
M. Quentin Le Guillous. - Il existe effectivement un décalage significatif. Actuellement, le premier versement du 15-16 octobre est considéré comme une avance. Normalement, les premiers versements devraient intervenir début janvier, suivis des paiements pour les services environnementaux et l'éco-régime en février. Les aides bio sont versées en février, mars, avril, et les MAEC peuvent s'étendre jusqu'en juin.
Ce décalage s'explique en partie par les difficultés rencontrées dans le secteur agricole ces dernières années, ce qui nous pousse à demander systématiquement une avance au 15 octobre. Le dossier PAC étant rempli et délivré le 15 mai, le temps de traitement crée des problèmes de trésorerie pour les exploitations.
On nous dit que le retard dans le versement des aides bio et MAEC est justifié par la nécessité de contrôles. Cependant, étant donné que les sanctions pour non-conformité représentent généralement un faible pourcentage des aides, nous proposons de verser rapidement 80 % des aides, puis d'ajuster le solde une fois les contrôles terminés. Cela éviterait de bloquer l'intégralité des versements pour des exploitations en cours de contrôle.
Concernant la gouvernance, nous demandons une plus grande transparence sur l'utilisation des fonds, par exemple ceux provenant de la redevance pour pollution diffuse (RPD) que nous payons sur nos usages phytosanitaires et nos eaux captées. Nous souhaitons savoir où va l'argent, pour qui, pourquoi, comment, et si nous pouvons en bénéficier.
Quant aux agences, nous ne demandons pas leur suppression, car elles répondent à un besoin. Cependant, nous nous interrogeons sur la manière de les rendre plus efficaces. Il est important de clarifier le rôle de chaque agence, son utilité, et d'améliorer leur gouvernance et leur efficacité financière.
Mme Ghislaine Senée. - Au début de cette commission d'enquête, nous avions beaucoup d'a priori. Cependant, au fur et à mesure que chacun explique son rôle, nous réalisons l'importance de chaque entité. C'est pourquoi l'intégration des agriculteurs dans la gouvernance est cruciale. Cela permettrait de mieux comprendre les tenants et les aboutissants, de régler certains problèmes, et d'exercer un contrôle mutuel, ce qui pourrait améliorer l'efficacité globale.
M. Yannick Fialip. - Effectivement, les MAEC et les aides bio sont versées bien après le solde de la PAC sur les autres aides, ce qui est problématique. Les agriculteurs font leur déclaration avant le 15 mai, et nous disposons maintenant d'un contrôle satellitaire qui permet de vérifier rapidement l'état des parcelles - semé ou pas semé. Les paiements pourraient donc être effectués beaucoup plus rapidement.
Cette situation soulève une autre question concernant l'établissement du Plan stratégique national (PSN) de la PAC. Nous avons mis en place des schémas d'orientation assez lourds qui contraignent les agriculteurs, alors que nous traitons du vivant. Il est difficile d'expliquer à un agriculteur qu'il ne peut pas faire une culture de printemps sur une terre adaptée en raison d'une mesure rotationnelle.
Pour 2027, nous devons viser une simplification de la PAC, en allant vers un contrat de confiance avec les agriculteurs. Cela simplifierait les contrôles et la mise en oeuvre, générant des économies pour l'État tout en étant plus efficace. Nous devrions fixer aux agriculteurs l'objectif de nourrir la population tout en préservant l'environnement, mais de manière simplifiée.
La représentation des agriculteurs dans les différentes agences est possible, mais constitue une charge de travail importante. Si l'objectif français est de réarmer nos productions agricoles, il faut simplifier les dispositifs pour permettre aux agriculteurs d'entreprendre sur leurs exploitations.
M. Quentin Le Guillous. - Prenons l'exemple de la construction d'un stockage d'eau. Il faut d'abord consulter les autorités locales, comme la mairie ou la communauté de communes, pour discuter de l'impact du projet. Ensuite, nous devons nous adresser à la préfecture et à la DDT pour aborder les questions d'utilité et de finalité. S'en suivent une succession de démarches à accomplir dans le cadre du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), auprès de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou de l'OFB, pour évaluer les impacts environnementaux.
C'est à ce stade que les simplifications seraient nécessaires. Actuellement, un tel projet peut prendre entre cinq et dix ans dans le meilleur des cas, en raison de la complexité du montage du dossier et de la multiplicité des interlocuteurs, chacun ayant des délais de réponse de plusieurs mois.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je comprends bien, c'est à vous de faire le tour de tous les services concernés pour obtenir les autorisations requises.
M. Quentin Le Guillous. - Cette situation est malheureusement courante en France, que ce soit pour l'agrandissement d'une maison ou d'autres projets.
M. Pierre Barros, président. - Cependant, il existe des contre-exemples, comme le dépôt d'un permis de construire pour un établissement recevant du public (ERP) ou un bâtiment public. Dans ces cas, le dossier est déposé par le maître d'ouvrage et circule ensuite automatiquement entre les différents services de l'État. Le demandeur reçoit ensuite une validation ou une demande de pièces complémentaires. Il existe donc des procédures efficaces, bien que parfois critiquées pour leur longueur, dont il faudrait peut-être s'inspirer.
M. Yannick Fialip. - Plus le délai d'autorisation est long, plus le risque d'attaques juridiques de la part d'organisations non gouvernementales (ONG) ou d'autres parties augmente, créant une insécurité juridique. Un investisseur dans une retenue d'eau a besoin de 4 à 5 ans pour obtenir une autorisation, qui peut ensuite être contestée au tribunal, par exemple pour des questions de protection d'espèces rares.
Il est donc essentiel de simplifier ces processus. Le stockage de l'eau en France est une nécessité reconnue par l'État, mais sa mise en oeuvre reste difficile. Cette situation peut pousser certains à réaliser des retenues illégales. Plus la loi est rigide, plus elle risque d'encourager les pratiques illégales. Il est donc essentiel de simplifier les procédures et de retrouver du bon sens paysan.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à notre commission d'enquête sur les agences et opérateurs de l'État. Votre contribution est précieuse pour nos travaux. Je vous souhaite un bon retour chez vous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Thierry Repentin, président, et Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah)
M. Pierre Barros, président. - Notre après-midi est consacré pour l'essentiel aux politiques du logement et de l'urbanisme avec les auditions des représentants de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), ainsi que de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre.
Nous commençons par l'audition de M. Thierry Repentin, président de l'Anah, également maire de Chambéry, ancien ministre et ancien sénateur ; il est accompagné par Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'ANAH.
L'ANAH est l'une des agences de l'État les mieux connues non seulement des élus nationaux ou locaux, mais aussi du grand public, car elle est en contact direct avec les propriétaires de logements privés ou les entreprises de travaux. Le financement apporté par l'État est important, puisqu'il comprend 2,5 milliards d'euros de crédits budgétaires dans le projet de loi de finances pour 2025, auxquels il faut ajouter 700 millions d'euros de taxes affectées.
J'ai l'habitude de demander aux agences créées récemment comment elles ont vécu leur naissance, qui résulte souvent de la fusion d'établissements aux cultures différentes. Le cas de l'ANAH, née en 1971, est différent. Toutefois, son activité a considérablement augmenté depuis une dizaine d'années, notamment avec le lancement, en 2020, de MaPrimeRénov', ce qui a dû constituer un défi très important. Je vous demanderai donc de nous expliquer comment l'Agence a géré concrètement cette croissance : recrutez-vous aujourd'hui des personnels de statut ou de profil différents de ceux qui faisaient partie de l'ANAH voilà dix ans ? Dans quelle mesure faites-vous appel à des prestataires extérieurs et, dans ce cas, comment vous assurez-vous que l'expertise reste bien à l'intérieur de l'ANAH ?
Nous recevrons tout à l'heure l'ANRU, qui est l'autre grande agence spécialisée dans le logement et le renouvellement urbains. Estimez-vous que la délimitation des compétences est claire entre vos deux agences ? La directrice générale de l'ANRU a cosigné au mois de février un rapport qui vise à étendre l'action de l'ANRU à des territoires situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), par exemple pour traiter les questions liées au tissu pavillonnaire ou au recul du trait de côte. Quelle est votre réaction sur cette proposition, qui nécessiterait une coordination plus grande encore entre l'ANRU et l'ANAH ?
Je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Repentin et Mme Valérie Mancret-Taylor prêtent serment.
M. Thierry Repentin, président de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). - Merci pour cette convocation, qui me donne l'extrême plaisir de revenir au Palais du Luxembourg pour échanger avec vous sur le sujet important de la gouvernance de notre politique publique. Je ferai un propos introductif et Mme Mancret-Taylor apportera quelques réponses à vos questions.
Je me présente devant votre commission d'enquête en ma qualité de président du conseil d'administration de l'ANAH. Il m'est difficile de me départir de mon expérience d'élu local, mais vos travaux ont aussi pour objet de voir comment les collectivités locales utilisent ces agences.
Vous l'avez dit, l'ANAH a été créée voilà plus de cinquante ans. Elle a pour mission d'apporter son aide à des opérations destinées principalement à améliorer les conditions d'habitabilité des immeubles ou ensembles d'immeubles à usage principal d'habitation, en vertu d'un décret signé, en 1971, par le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas.
Depuis sa création, l'Agence s'est toujours adaptée aux évolutions sociétales. Son activité s'est accrue au fil du temps jusqu'à un point de basculement en 2019 : l'ANAH s'est fortement transformée pour apporter les changements nécessaires à la politique du logement dans son ensemble.
Notre métier consiste à accompagner les territoires pour traiter le mal-logement dans le parc privé. Plus de 4,8 millions de logements sont des passoires thermiques ; 400 000 d'entre eux sont particulièrement indignes. Nous attribuons donc des subventions à des propriétaires, occupants ou bailleurs de logements individuels ou collectifs, afin de les aider à réaliser des projets de travaux adaptés à leurs besoins, qu'il s'agisse de rénovation énergétique, d'adaptation à la perte d'autonomie ou de lutte contre l'habitat indigne.
Nous pouvons délivrer ces subventions dès lors que l'accompagnement et l'information ont lieu au plus près du terrain. Depuis le 1er janvier 2022, nous pilotons France Rénov', le service public de la rénovation de l'habitat, qui a été instauré par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi Climat et Résilience). Ce service est porté par les collectivités territoriales et cofinancé à 50 % par l'État au travers de son opérateur ; il maille aujourd'hui l'ensemble du territoire, sur lequel sont répartis 600 espaces-conseil et 2 600 conseillers.
Le rééquilibrage majeur en faveur de la politique du logement s'est traduit en France par la réhabilitation du bâti existant, devenue un axe majeur de cette politique, et la construction neuve. Pour mettre en oeuvre cette transformation, l'État s'est tourné avec confiance vers l'Agence.
En dix ans, l'ANAH a multiplié par 10 son activité, par 5 son budget et par 2,5 ses effectifs. En 2025, 96 % du budget de l'Agence relève des crédits d'investissement, pour un peu plus de 1,4 milliard d'euros, répartis entre les différentes aides ; 4 % sont des crédits de fonctionnement, d'investissement et de personnel, qui répondent à des besoins importants en termes de qualité de service public et de sécurisation des deniers publics.
En cinq ans, toutes interventions confondues, 14,8 milliards d'euros de subventions ont été versés à plus de 2,7 millions de ménages, générant au total 37 milliards d'euros de travaux. Autre élément, qui est assez méconnu : 75 % de ces aides concernent les ménages les plus défavorisés, relevant des quatre premiers déciles de revenus, alors que le crédit d'impôt qui existait auparavant visait à 80 % les plus aisés.
Le budget de l'ANAH est aussi révélateur d'une mise en oeuvre d'une politique publique fortement déconcentrée et d'une confiance importante envers les territoires. En effet, 70 % de nos crédits d'intervention sont délégués aux préfets de région et de département, mais aussi à des collectivités qui sont délégataires des aides à la pierre.
C'est donc l'ensemble de l'écosystème de l'amélioration de l'habitat et du logement qui a accompagné cette transformation de la politique publique. Les attentes étaient fortes et, lors de nos enquêtes bisannuelles, 89 % de nos concitoyens se sont déclarés satisfaits de ces actions.
Par ailleurs, l'Agence pilote depuis 2018 le plan Initiative Copropriétés (PIC), afin de sauvegarder les copropriétés les plus dégradées. Elle mène des actions en partenariat étroit avec l'ANRU, déploie avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) les programmes Action coeur de ville, Petites Villes de demain et France Ruralités. Enfin, elle a assuré avec l'Ademe le transfert de certaines missions de cette agence vers l'ANAH, afin de rassembler le service public de la rénovation de l'habitat sous la même bannière « France Rénov' ».
L'ANAH est placée sous la tutelle de quatre ministères : logement, énergie, économie et comptes publics. Toutes nos initiatives découlent de décisions interministérielles et font l'objet, en amont de chaque conseil d'administration, d'échanges nourris et continus avec nos autorités de tutelle.
La richesse de l'Agence est d'avoir réussi à mettre en place des dispositifs massifiés, tout en maintenant une expertise pointue au service des territoires pour les projets les plus complexes. Si je me place du point de vue des collectivités, elles choisissent les interventions, définissent les objectifs et mettent en oeuvre les crédits qui leur sont délégués, en adéquation avec les besoins de leurs territoires.
Je conclurai en pointant les racines d'un tel changement d'échelle.
Notre pays vit plusieurs transitions importantes : écologique, démographique, d'où la création de MaPrimeAdapt', mais également sociale, entraînant un accompagnement des ménages modestes beaucoup plus important que par le passé.
L'ANAH favorise la transition écologique en luttant contre l'artificialisation des sols ou l'augmentation des catastrophes naturelles, afin de prévenir les dommages aux communes et les surcoûts assurantiels.
Elle met en oeuvre la transition énergétique en limitant l'utilisation d'énergies carbonées pour chauffer les logements, qui oblige la France et l'Europe à dépendre d'approvisionnements étrangers et dégrade la balance commerciale.
Elle accompagne la transition démographique en permettant le maintien à domicile, poursuivant ainsi le virage domiciliaire amorcé en France. Si ces transitions sont bien présentes aujourd'hui, elles demeurent également des enjeux pour l'avenir.
Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). - Je vous remercie également de nous avoir sollicités dans le cadre de cette commission d'enquête. Vous nous avez interrogés sur le défi de la transformation de l'Agence, qui s'est opérée à partir depuis 2019.
Nous avons effectivement multiplié nos effectifs par 2,5 au cours de cette période, passés d'une centaine de personnes à presque 300 agents, en agissant de façon très progressive afin d'absorber les compétences dont nous avions besoin. Je parle du siège de l'ANAH sans évoquer les effectifs au sein des services déconcentrés de l'État - services habitat des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et des directions départementales des territoires (DDT) -, qui sont gérés par les délégués territoriaux de l'Agence.
Pour accompagner cette très forte croissance, nous sommes assistés de prestataires et passons des marchés sur des expertises spécifiques, surtout relatives aux systèmes d'information. Nous avons ainsi des plateformes efficaces pour le dépôt des demandes de subventions à l'échelon local ou national : 70 % du budget est géré dans les territoires, le reste relevant de MaPrimeRénov'.
En complément, les agents qui étaient déjà présents en 2019 ont vécu les premières réflexions, puis la création de MaPrimeRénov', France Rénov', MaPrimeAdapt' et, enfin, Ma Prime Logement Décent (MPLD) ; ce fut une aventure professionnelle passionnante, mais très exigeante. Dans le monde du service public, ces expériences méritent d'être mises en lumière. Je tiens enfin à souligner la confiance de l'État envers les dispositifs que l'Agence a mis en place depuis cinq ou six ans.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Mes interrogations portent tout d'abord sur la croissance de l'Agence.
Si l'on prend l'année 2019 comme période de référence, les dépenses liées aux crédits de paiement s'élevaient à 634 millions d'euros, dont 8,8 millions d'euros ont été affectés aux dépenses de personnel et 7,4 millions d'euros, aux dépenses de fonctionnement.
Sur la même assiette, en 2023, les dépenses se chiffraient au total à 2,8 milliards d'euros, dont 17 millions d'euros pour les charges de personnel et 107 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement.
Qu'est-ce qui justifie cette augmentation substantielle des dépenses de fonctionnement, de 7,4 à 107 millions d'euros, sachant que les charges de personnel ont été multipliées par deux ?
En ce qui concerne la croissance des effectifs, sous quel statut ont été recrutés les nouveaux agents de l'Agence ? Sont-ils en détachement, en position normale d'activité (PNA), ou s'agit-il de contractuels ? Incluez-vous dans ces effectifs les personnels qui exercent au sein des agences locales de l'énergie et du climat (Alec) et sont cofinancés par l'ANAH ? Combien sont-ils ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Pour ce qui est des crédits de paiement, nos dépenses en personnel et en fonctionnement ont effectivement augmenté très fortement eu égard aux missions exercées par l'Agence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons besoin d'éléments plus précis.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je ne peux pas vous donner les éléments de détail concernant ces points, mais je vous les apporterai par écrit.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les dépenses de fonctionnement sont passées de 7,4 millions d'euros à 107 millions d'euros. Or cette très forte augmentation est sans corrélation avec les dépenses de personnel.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Il convient de détailler ces dépenses poste par poste.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces détails sont attendus par les membres de la commission d'enquête.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - J'en viens aux équivalents temps plein (ETP). Au début de l'année 2025, le plafond d'emplois de l'ANAH est fixé à 289 ETP, dont 30 % de fonctionnaires d'État ou territoriaux, et 70 % de contractuels. L'augmentation et le renouvellement des effectifs ont été très importants pour répondre aux enjeux de la croissance et à l'amplification des missions. Les fonctionnaires ne sont pas pleinement en PNA, puisqu'ils sont recrutés par l'Agence sur un contrat de trois ans pour exercer les missions indiquées dans leur fiche de poste. De même, les contractuels viennent renforcer les effectifs ou remplacer les départs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelle est votre politique salariale, sachant que tous les fonctionnaires sont en détachement sur contrat ? Existe-t-il une correspondance entre les niveaux de rémunération des agents des ministères en PNA et de ceux qui travaillent au sein de l'Agence ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - La grille que nous appliquons a été entièrement validée par le ministère et le contrôleur budgétaire. Les agents de la fonction publique y sont soumis dès qu'ils concluent un contrat avec l'Agence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le nombre d'agents cofinancés ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Il existe sur l'ensemble du territoire 600 espaces-conseil France Rénov' et 2 600 agents cofinancés pour moitié par les collectivités territoriales et pour moitié par l'État via l'ANAH. Ces agents n'interviennent pas seulement dans les Alec ; ils remplissent aussi, dans certains territoires, des missions d'information et de conseil en régie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il faut donc 1 600 personnes sur le budget de l'État - 2 600 agents co-financés pour moitié, soit 1 300, auxquels s'ajoutent les 300 personnels au siège - pour mettre en place la politique de l'État en faveur de la rénovation et de l'adaptation des logements ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - C'est incomplet. En outre, les missions sont très différentes. Il y a effectivement 300 agents au siège, d'autres agents dans les services déconcentrés de l'État, et encore d'autres au sein des collectivités territoriales pour instruire les dossiers. Certains personnels font de l'information et du conseil auprès des ménages, afin qu'ils entrent sereinement dans le parcours de rénovation.
Les politiques de l'habitat en faveur du parc
privé sont tout à fait particulières, puisqu'elles
s'adressent potentiellement, sur l'ensemble du territoire, à
20 millions de ménages qui ne sont pas des maîtres d'ouvrage
professionnels comme les promoteurs immobiliers ou les bailleurs sociaux.
L'information, le conseil et l'accompagnement sont donc indispensables.
Autrement dit, on ne met pas en oeuvre la politique d'intervention qui permet
de financer des travaux - l'objectif étant de réduire son
empreinte carbone
ou sa consommation d'énergie, de vivre
plus longtemps chez soi, de sortir de l'indignité d'un logement -
sans une ingénierie cofinancée par la collectivité et
l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'en arrive au processus budgétaire. Plus de 95 % de vos ressources sont publiques, qu'il s'agisse de la subvention pour charge de service public, de l'allocation des quotas carbone ou des certificats d'économie d'énergie (CEE). Comment l'Agence peut-elle voter son budget à l'automne alors même que le projet de loi de finances (PLF) n'est pas adopté ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Ce budget est en effet voté tous les ans au début du mois de décembre, toujours sous réserve du vote de la loi de finances.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Prévoyez-vous toujours d'ajuster votre budget avant le 31 décembre ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Tout à fait. C'est indispensable, car le budget de l'Agence est à 70 % délégué aux préfets de région, qui les répartissent entre les différents départements lors des comités régionaux de l'habitat et de l'hébergement (CRHH). Les préfets de département délèguent eux-mêmes leurs propres crédits aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui sont délégataires des aides à la pierre.
L'Agence doit absolument échanger avec les territoires, via les préfets, durant le dialogue de gestion qui se déroule au cours du deuxième semestre. Ce processus garantit la collaboration avec nos quatre tutelles, la préparation du budget et la répartition des crédits entre les régions. Les délibérations du conseil d'administration doivent ensuite être confirmées par la loi de finances. Dans ce cas, nous pouvons dès le début du mois de janvier déléguer les crédits, préparer les systèmes d'information en vue de l'instruction des dossiers des usagers, et éviter la perte en ligne.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'an dernier il y a eu un gel de crédit, de sorte que ces propos ne correspondent pas à la réalité de la gestion. Vous indiquez avoir délégué l'an dernier vos crédits dès le 1er janvier, mais les annulations et gels de crédits ont commencé dès le mois de février. En ce qui concerne notamment MaPrimeRénov', entre l'ouverture des crédits en loi de finances initiale (LFI) et leur consommation, le décalage a été très important. Comment avez-vous fait ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - L'Agence ne travaille pas de manière isolée. L'année 2024 a effectivement été particulière, avec un budget initial de 6,2 milliards d'euros voté par le conseil d'administration dans le cadre d'une réforme très ambitieuse. Cette dernière a suscité des critiques, mais uniquement sur le volet MaPrimeRénov'. Un coup de rabot de 1 milliard d'euros a ensuite ramené ce budget à 5 milliards d'euros.
En outre, les crédits sont délégués non pas au 1er janvier, mais en plusieurs fois, conformément au dialogue de gestion qui a lieu tout au long de l'année. Les collectivités fonctionnent de manière très diversifiée en fonction de la dynamique des politiques de l'habitat privé au sein des territoires, ce qui nous permet de procéder, si nécessaire, à des redéploiements en cours d'année. Par ailleurs, nous nous étions imposé une réserve nationale de 800 millions d'euros au moment de l'examen du PLF 2024. Enfin, nous invitons fortement les Dreal et, donc, les préfets de région à exercer eux-mêmes des réserves régionales, ce qui favorise les redéploiements entre territoires et le respect de la dynamique d'engagement des demandes de subventions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans un rapport de mai 2024, deux députés ont relevé que l'ANAH avait refusé de transmettre le budget des aides de l'Agence, alors que le budget d'autres agences, comme l'Ademe, est disponible sur Internet. Quelles sont les raisons de ce refus ?
Confirmez-vous que le montant de la valorisation des CEE atteint 800 millions d'euros ? Les CEE étant utilisés dans le cadre de politiques publiques plus nombreuses, notamment l'accompagnement de la transition du parc automobile, qui mobilisera d'importants crédits, comment envisagez-vous l'avenir de ce dispositif ? Quel est enfin le montant de la trésorerie de l'Agence ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Si le budget de l'Agence n'est pas disponible en ligne, c'est tout simplement parce que les textes ne le prévoient pas. En revanche, nous mettons en ligne l'ensemble des présentations qui sont communiquées au conseil d'administration lors de ses réunions, celles-ci comportant l'ensemble des données relatives à nos budgets. En tout état de cause, ces éléments peuvent également être demandés à l'Agence, et ils ont bien été communiqués par notre tutelle aux parlementaires dans le cadre des travaux que vous citez. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ayant transmis ces éléments, il ne nous a pas paru nécessaire de les transmettre une seconde fois.
Le panier de ressources de l'Agence est assez complexe. Jusqu'au début de l'année 2025, il comportait des crédits issus des budgets opérationnels des deux programmes 174 « Énergie, climat et après-mines » et 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », en sus des ressources issues de la vente des quotas carbone et des certificats d'économies d'énergie.
Le montant de 800 millions d'euros que vous évoquez ne m'est pas familier. L'Agence intègre les certificats d'économies d'énergie dans les rénovations d'ampleur, comme elle le faisait dans le cadre du dispositif « Habiter mieux », qui a précédé MaPrimeRénov'. L'Agence avait par la suite cessé d'intégrer les CEE dans les rénovations d'ampleur, car cela lui avait été demandé, puis elle les a réintégrés en 2024.
La trajectoire étant aujourd'hui ascendante, je vous propose de vous communiquer nos prévisions. Nous n'avons en effet une pleine visibilité sur le nombre de rénovations globales et les demandes de subvention qu'au moment de l'engagement des travaux, étant entendu que nous ne valorisons les CEE qu'une fois les subventions versées aux ménages, comme le font l'ensemble des acteurs du secteur qui utilisent cette ressource pour financer une partie de leurs dépenses.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les travaux de rénovation thermique contribuent à valoriser les biens. Dans un contexte de raréfaction de la ressource publique, ne vous paraîtrait-il pas pertinent d'aider les ménages sous forme de prêts à taux zéro (PTZ) plutôt que de subventions, le logement rénové ayant une meilleure valeur à la revente ? D'autres dispositifs pourraient-ils selon vous être ainsi repensés ?
M. Pierre Barros, président. - Le versement de la subvention à la fin des travaux doit du reste bloquer un certain nombre de ménages modestes, qui doivent verser les fonds en avance.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Un ménage qui souhaite rénover son logement programme les travaux et demande des devis, puis il est pris en charge par un accompagnateur qui aide ce ménage à identifier les aides auxquelles il peut prétendre : les aides de l'ANAH, mais aussi les aides des collectivités territoriales et les prêts. Le ménage dépose alors une demande d'aide auprès de l'Agence. Une fois son dossier instruit, il reçoit une notification dans laquelle l'ANAH lui indique le montant de la subvention à laquelle il peut prétendre. Cette notification permet également au ménage concerné de solliciter un prêt auprès d'une banque, par exemple un éco-prêt à taux zéro, les établissements bancaires considérant ce document comme un élément sécurisant qui leur permet de s'épargner le soin d'instruire à nouveau le dossier intégralement.
Les ménages de catégories modeste et très modeste, qui sont bénéficiaires de 70 % de nos aides, peuvent par ailleurs demander une avance qui peut s'élever à 30 % du coût des travaux et qui correspond au montant demandé par les entreprises au démarrage du chantier. Les ménages les plus vulnérables peuvent de plus demander le versement d'acomptes au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
En ce qui concerne une éventuelle évolution du dispositif, permettez-moi de revenir sur les cinq à sept dernières années. Le dispositif consistait initialement en un crédit d'impôt dont les bénéficiaires étaient à 80 % des ménages plutôt aisés. Le ménage finançait en effet la totalité des travaux de rénovation énergétique, puis il joignait les factures à sa déclaration fiscale afin de bénéficier d'un crédit d'impôt. Au-delà du système d'avances et d'acomptes que j'évoquais, la notification qui est adressée dans le cadre de ma MaPrimeRénov' permet désormais au ménage concerné de connaître le montant de la subvention à laquelle il peut prétendre et d'avoir la garantie que la réglementation qui s'appliquera à son dossier est celle qui est en vigueur au moment de la notification. Autrement dit, même si la réglementation change après la notification, le montant de la subvention versée à la fin des travaux ne variera pas. C'est l'un des engagements que l'Agence prend vis-à-vis des ménages.
M. Thierry Repentin. - Il faut bien comprendre qu'en dépit de toutes les aides, l'acte d'engagement demeure difficile pour un certain nombre de ménages. Pour cette raison, certaines collectivités locales abondent les aides de l'ANAH, ce qui déclenche un abondement supplémentaire de l'ANAH. La loi permet aussi aux collectivités locales qui le souhaitent d'exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties, pendant trois ans, les propriétaires qui ont entrepris des travaux de rénovation énergétique d'un montant de 10 000 euros sur un an ou de 15 000 euros sur trois ans.
Malgré toutes ces aides, lorsqu'une copropriété engage un plan de rénovation, certains copropriétaires ne peuvent pas assumer le reste à charge et sont contraints de vendre leur logement. Je tenais à apporter cet éclairage de terrain, car il montre combien l'équilibre est difficile à trouver.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les données statistiques disponibles sur votre site Internet sont-elles produites par l'Agence elle-même ? Si oui, pourquoi ne pas utiliser le système de statistiques du commissariat général au développement durable (CGDD) ?
Comment l'ANAH gère-t-elle sa communication ? Disposez-vous d'un service spécifique en interne ? Avez-vous passé un marché avec un prestataire ?
Rencontrez-vous des difficultés dans le versement des aides ? Vous paraît-il pertinent que l'ANAH continue de les verser, alors que d'autres instances d'État, telles que l'Agence de services et de paiement (ASP) ou la direction générale des finances publiques (DGFiP), pourraient s'en charger ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Plusieurs types de données statistiques sont disponibles sur le site de l'Agence. Les plus nombreuses ont trait à notre activité : le résultat de celle-ci, le nombre de dossiers traités chaque année, les bilans trimestriels, etc. L'Agence effectue par ailleurs des missions statistiques pour le compte du ministère du logement : nous gérons ainsi l'ensemble des données statistiques relatives au parc privé, que nous éditons dans le Mémento de l'habitat privé. Nous tenons également le registre national des copropriétés, instauré par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (loi Alur).
L'Agence dispose d'un service communication ; elle recourt également aux services d'un prestataire, qui la conseille sur certains axes de communication - ces dépenses de fonctionnement sont incluses dans le budget de l'Agence. Notre ministère de tutelle nous demande en effet de mener différents types d'action de communication. Nous communiquons par exemple au niveau national pour faire connaître le service public France Rénov' et les différents types d'aides octroyées par l'Agence - MaPrimeRénov', MaPrimeAdapt', Ma Prime Logement Décent. Nous produisons également divers documents qui sont à la disposition des collectivités territoriales dans les espaces-conseil France Rénov' ; certaines collectivités complètent ces documents, notamment lorsqu'elles abondent les aides de l'Agence.
En ce qui concerne enfin le versement des aides, nous avons opté pour l'internalisation. Notre directeur des affaires financières et comptables a été désigné par la DGFiP et assure un lien constant avec cette direction. Le fait d'effectuer les versements nous permet de nous assurer sur pièces de la correspondance entre les devis et les travaux qui ont été réalisés, et, le cas échéant, de déclencher un contrôle sur place. Au regard de la recrudescence des fraudes, nous avons d'ailleurs renforcé de tels contrôles.
En tout état de cause, l'ensemble de la chaîne d'instruction des dossiers, de l'engagement au paiement, est internalisée. En fin d'année 2018, lors des études préalables à la création de MaPrimeRénov', il a été envisagé que l'ASP assure le versement des subventions. En 2019, c'est finalement à l'ANAH que cette mission a été confiée par le ministère du logement, dans une logique de politique de l'habitat.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Combien y a-t-il d'agents pour s'occuper de l'instruction des dossiers et du versement des aides ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - C'est un chiffre sur lequel il est très difficile de se prononcer. En effet, les aides locales relèvent d'agents placés sous l'autorité des préfets dans les DDT et dont les effectifs varient grandement d'un département à l'autre, mais aussi dans le courant d'une même année, car les agents peuvent avoir différentes missions.
La seule visibilité que nous ayons est la liste des personnes incluses dans le réseau d'instructeurs que nous pilotons et animons. Nous disposons ainsi de la liste des agents qui se connectent aux systèmes d'information de l'Agence, mais nous n'avons pas d'enregistrement précis, à l'unité près, du nombre d'agents chargés de l'instruction des dossiers pour la délivrance d'une aide dans les collectivités territoriales et dans les services déconcentrés.
Les agents des espaces-conseil France Rénov', eux, remplissent des missions d'information et de conseil, mais ils n'instruisent pas les dossiers.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces agents sont-ils formés ? Si oui, cela signifie que vous connaissez au moins le nom de chaque agent que vous formez ?
M. Pierre Barros, président. - Comment vous assurez-vous de la bonne couverture du territoire par un nombre d'agents suffisant ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Nous animons et formons un réseau d'agents instructeurs dans les services déconcentrés et dans les collectivités délégataires de niveau 3 et tout au long de l'année. Toute délibération du conseil d'administration fait l'objet d'une instruction et nous communiquons régulièrement des informations au réseau, au travers notamment d'une lettre d'information. Nous auditons par ailleurs ces services régulièrement, les résultats de ces audits étant communiqués chaque année au conseil d'administration.
Pour autant, nous n'avons pas autorité sur les agents chargés d'instruire les demandes dans les services déconcentrés et les collectivités délégataires. Cependant, nous les accueillons et les formons tout au long de l'année, notamment au travers de webinaires.
L'ANAH dispose également d'un conseiller en stratégie territoriale dans chaque région, dont le rôle consiste à apporter toutes les informations nécessaires aux services déconcentrés et aux collectivités.
Les instructeurs confrontés à des dossiers particulièrement complexes, tels que ceux qui sont liés au traitement des copropriétés ou de l'habitat indigne, peuvent également s'en remettre au système de questions-réponses que nous avons développé.
L'ANAH bénéficie ainsi d'un véritable arsenal pour accompagner l'ensemble des services instructeurs dans les territoires, mais ceux-ci ne sont pas placés sous son autorité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Toutes les dépenses de communication sont-elles véritablement destinées à expliquer la politique publique menée par l'ANAH ? Un document a-t-il jamais été publié dans le but de valider l'existence de l'ANAH en tant qu'agence ? Par ailleurs, est-ce le logo de l'État ou le vôtre qui figure sur les documents que vous publiez ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. - L'ANAH respecte la charte du service d'information du Gouvernement (SIG). Les documents portent ainsi les logos de l'État et de l'Agence. Il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point.
Toutes les communications de l'ANAH, notamment celles, de portée nationale, qui promeuvent France Rénov', MaPrimeRénov' ou, comme c'était le cas l'an dernier, MaPrimeAdapt', doivent être validées par le SIG.
En outre, tous nos communiqués de presse sont validés par le cabinet de la ministre du logement.
Mme Pauline Martin. - Je m'étonne que vous vous présentiez à une commission d'enquête sans être capable d'apporter une justification précise quant à la très forte augmentation du budget de fonctionnement de l'ANAH. Vous avez assuré que vous nous transmettrez les chiffres ultérieurement : j'en suis rassurée.
Vous avez précisé le nombre de vos agents. Cependant, le manque de visibilité - et de clarté qui en découle pour les bénéficiaires et les collectivités - me surprend. Comment vos espaces-conseil se coordonnent-ils à l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL) et aux agences départementales d'information sur le logement (ADIL) ?
Dans divers rapports, on apprend que vous recourrez très régulièrement à des cabinets de conseil, bien que le nombre de vos agents progresse très fortement. J'ose pourtant espérer que ceux-ci sont dotés d'une solide expertise dans leur domaine ! Comment expliquer cette situation ?
M. Cédric Vial. - Vous n'avez pas répondu à la question de Mme le rapporteur concernant le montant de la trésorerie. Vous avez évoqué un fonds de réserve de 800 millions d'euros. Est-il compris dans le fonds de roulement ?
L'argent intégrant le budget de l'ANAH, y compris les réserves de précaution et la trésorerie, est-il placé lorsqu'il n'est pas utilisé ?
Je m'étonne que vous ne puissiez pas estimer le nombre d'agents que vous employez directement ou indirectement pour instruire et verser les aides. Savez-vous combien ils vous coûtent ? Qui les paie ? Dans cette situation, comment pouvez-vous évaluer la nécessité d'augmenter le budget de cette partie de votre activité ?
Pourriez-vous revenir sur la répartition des aides entre milieux urbain et rural ?
Par ailleurs, l'attribution des aides pourrait-elle dépendre de la géographie et de la climatologie des zones ? En effet, que le bénéficiaire habite dans une zone montagneuse ou une région particulièrement touchée par la chaleur, il touche finalement la même aide.
Pourriez-vous envisager une différenciation dans l'attribution des aides ? Vous intervenez dans des dispositifs tels que les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) et les opérations de revitalisation de territoire (ORT), qui font l'objet d'une contractualisation avec les élus, mais cela ne modifie pas les aides apportées. Je pense aux centres urbains comprenant un périmètre ABF (architecte des Bâtiments de France). Aucune valorisation ni aide complémentaire n'est prévue en fonction de la typologie des matériaux qui doivent être utilisés par les pétitionnaires. De même, les rez-de-chaussée commerciaux pourraient faire l'objet d'aides différenciées. Or les élus ont une marge de négociation très limitée dans leurs échanges avec les agents de l'État ou de votre agence.
M. Christophe
Chaillou. - Pour avoir porté une opération
importante dans le cadre d'un plan de sauvegarde d'une
copropriété dégradée, je sais combien le rôle
de l'ANAH est clé, y compris à l'échelle locale, pour
encourager la mobilisation de copropriétaires
réticents.
Dans le même temps, je suis conscient
de la complexité du montage de ces opérations, complexité
qui semble s'être renforcée, au regard notamment des liens avec
les collectivités territoriales et les différences services, y
compris de l'État.
Ces dernières années, les moyens ont fortement progressé pour répondre à des besoins croissants et la complexité s'est elle aussi amplifiée, suscitant d'importantes critiques au sein des territoires quant à une bureaucratisation des processus. Quelles seraient les pistes d'amélioration susceptibles de nourrir notre réflexion ?
Il est assez frustrant que l'explosion des dépenses de fonctionnement ne fasse que renforcer ce sentiment de bureaucratisation. Nous aimerions mieux comprendre quelles catégories de dépenses sont concernées. En effet, l'objectif de l'ANAH est d'agir concrètement pour améliorer les conditions d'habitat du plus grand nombre de citoyens, et non d'alimenter la machine administrative.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Permettez-moi de prolonger la question de Christophe Chaillou avec un brin de provocation : si la structure de l'ANAH était supprimée et que son siège était remis à la DHUP, cela changerait-il quelque chose ?
Au sein des ministères, certains agents ne réalisent-ils pas en réalité des missions très similaires aux vôtres ? En effet, le ministère définit la politique du logement et vous la déclinez par des circulaires auprès des services déconcentrés, qui versent eux-mêmes les primes.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Concernant les dépenses de fonctionnement de l'ANAH, l'objectif n'est pas de vous cacher quoi que ce soit : je veux seulement apporter une réponse précise sur les éléments expliquant cette évolution importante - et complètement justifiée. Elle ne relève pas du recours aux cabinets de conseil.
Vous soulignez un manque de visibilité et de clarté. Il est vrai que je ne vous apporte pas cet après-midi les réponses que vous attendiez sur une partie du budget de l'Agence.
Je reviens sur les espaces-conseil France Rénov'. La loi Climat et Résilience a prévu la création d'un service public de la rénovation de l'habitat, France Rénov', regroupant des plateformes, dont les noms ont évolué dans le temps, et les équipes de suivi et d'animation de l'ANAH qui oeuvrent auprès des collectivités territoriales au titre des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) et du programme d'intérêt général (PIG).
Le transfert des espaces-conseil France Rénov' a été opéré et animé par l'ANAH.
Ces programmes étaient financés à hauteur de 50 % par des CEE, dans le cadre d'un programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique). Le programme de CEE a pris fin le 31 décembre 2024 pour être remplacé par une contractualisation unique.
La majeure partie des ADIL a choisi de ne pas postuler au financement du programme Sare au moment de son lancement dans le cadre de la mise en oeuvre des futurs espaces-conseil France Rénov'. Il faudrait interroger l'ANIL sur ce positionnement.
En revanche, dans la période récente, les ADIL, qui représentent des points d'information aussi importants que compétents au sein des territoires, sont entrés progressivement dans le système de financement des espaces-conseil France Rénov'. Leur expertise est très variable suivant les territoires. Dans l'ensemble des départements, les ADIL sont porteuses d'une grande connaissance juridique sur l'ensemble des lois qui fondent la politique de l'habitat, qu'il s'agisse de la production de logements ou des rapports locatifs entre bailleurs et locataires. En outre, les ADIL jouent un rôle d'expert auprès des propriétaires bailleurs, qui représentent un public important de l'Agence. L'ANAH et l'ANIL coopèrent donc étroitement au niveau tant national que local.
Concernant la trésorerie, nous sommes un établissement public administratif. Tous les crédits qui nous sont alloués nous sont versés par l'État au fur et à mesure de leur consommation. Lorsque la trésorerie de l'ANAH est particulièrement importante, elle est reprise par l'État. Nos statuts ne nous permettent pas de placer notre argent - qui est d'ailleurs l'argent du contribuable. Ces montants sont versés à l'ANAH pour qu'elle exerce ses missions. Ils sont utilisés pour couvrir nos frais d'investissement ou de fonctionnement ainsi que pour payer les subventions au fur et à mesure des autorisations d'engagement et des crédits de paiement.
À la fin de l'année 2024, la trésorerie de l'ANAH s'élevait à 450 millions d'euros.
M. Cédric Vial. - Il serait bien utile de placer cet argent.
Mme Valérie Mancret-Taylor. - Cela ne fait pas partie des possibilités ouvertes à un établissement public.
J'en viens à la répartition des aides : 51 % des aides à la pierre sont versées en secteur urbain, 22 % en secteur périurbain et 27 % en secteur rural. Pour MaPrimeRénov', la répartition diffère : 18 % des aides sont allouées à des zones urbaines, 29 % à des zones périurbaines et 53 % à des zones rurales.
Cette situation est assez logique, puisque, au plus fort de son déploiement, entre 2020 et 2022, cette aide était essentiellement orientée vers des maisons individuelles, donc en secteurs périurbain et rural. Désormais, MaPrimeRénov' est également captée par les copropriétés, ce qui donne lieu à une forme de rééquilibrage.
En ce qui concerne la différenciation des aides, l'agence verse des subventions soit pour des monogestes en matière de rénovation énergétique, avec différents forfaits, soit pour une rénovation d'ampleur. Il n'existe pas d'aides spécifiques en cas d'utilisation de certains types de matériaux ou de techniques de rénovation choisis par les ménages et les professionnels qui les accompagnent et les conseillent.
Par ailleurs, dans sa réglementation, l'Agence prévoit de participer aux travaux d'adaptation aussi bien au froid qu'à la chaleur. Qu'une région soit exposée à des températures particulièrement basses ou élevées ne représente donc pas un point de blocage. La typologie du logement et le climat sont dans tous les cas pris en compte dans l'élaboration du projet de rénovation.
MaPrimeRénov' est une aide unique déployée sur l'ensemble du territoire. Les collectivités territoriales peuvent apporter des aides complémentaires et adaptées dans le cadre de la contractualisation. Ainsi, certaines collectivités encouragent l'emploi de matériaux biosourcés produits dans leur région ou les projets de rénovation patrimoniale en centre ancien. Le complément de la collectivité territoriale, défini par sa politique locale en matière d'habitat privé, détermine donc la variation de l'aide en fonction du territoire et de la vision qu'elle défend.
L'objectif est de proposer une aide nationale uniforme sur l'ensemble du territoire, suffisamment large pour être adaptée, avec des crédits considérables. Je le rappelle : l'aide aux ménages très modestes peut atteindre jusqu'à 90 % du montant des travaux hors taxes, dans un plafond de travaux de 70 000 euros. Les subventions de l'ANAH aux ménages des deux premiers déciles de la population française peuvent donc s'élever à 55 000 euros : c'est ce qui a caractérisé la réforme de 2024. Le complément de la collectivité territoriale permet de baisser encore le reste à charge et d'adapter l'aide aux obligations relevant du territoire concerné.
Vous m'avez interrogée sur le coût des agents dans les services déconcentrés. Ceux-ci ne sont pas placés sous l'autorité de l'ANAH. J'ignore le coût exact d'un agent employé par la DDT ou par une collectivité territoriale. Il dépend des choix de la collectivité ou des services de l'État et du type de recrutement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce titre, un système similaire à celui de FranceAgriMer, qui dispose d'agents au sein des Dreal placés sous sa tutelle hiérarchique, vous paraît-il pertinent ?
Mme Valérie Mancret-Taylor. -
Je ne vous aurais probablement pas apporté la même
réponse il y a cinq ans, mais je pense que ce système
faciliterait en effet le fonctionnement. L'ANAH s'est transformée en
raison de la massification du déploiement des aides sur l'ensemble du
territoire.
Ces cinq dernières années, celles-ci
ont bénéficié à 2,7 millions de
ménages, dont 2,5 millions dans le cadre de rénovations
énergétiques. Ce ne sont pas du tout les ordres de grandeur
auxquels nous étions habitués.
Vous posez une vraie question : ne devrions-nous pas mettre au point un système pour répondre à ces enjeux de massification de manière à gagner en visibilité ? C'est une réflexion que nous conduisons, sans pouvoir encore y répondre.
Je reviens aux copropriétés. Le sujet est complexe. Le plan Initiative Copropriétés a été mis en place en 2018, à la demande, notamment, d'une quinzaine de territoires confrontés à des situations de copropriétés en très forte dégradation. Notre Mémento de l'habitat privé le montre : les populations les plus pauvres de notre pays sont logées dans le parc privé dégradé. Souvent, ces ménages n'ont pas conscience de faire partie d'un collectif chargé d'entretenir un patrimoine, ou manquent de moyens pour le faire.
Ce patrimoine est au coeur du plan Initiative Copropriétés, qui regroupe dix-sept territoires dans un suivi de niveau national. Sa mise en oeuvre permet d'aider les ménages, ainsi que la collectivité territoriale, dans des actions qui dépassent la seule rénovation : je pense notamment au redressement de la copropriété, dont les comptes sont souvent fragilisés, ou encore à l'aide à la gestion urbaine de proximité, qui n'existait jusque-là que dans le parc social. Par ailleurs, un grand nombre de logements ont pu faire l'objet d'une rénovation, ou, a minima, de travaux d'urgence.
Ainsi, au sein du Grand Lyon, qui fait partie de ces dix-sept territoires, la collectivité de Vaulx-en-Velin a pu être accompagnée, par le biais du préfet, pour mettre en sécurité les ménages dont le logement avait été fortement dégradé à la suite d'un incendie en décembre 2023.
M. Thierry Repentin. - Concernant les copropriétés, la procédure est bien plus souple qu'on ne l'imagine. Mme Mancret-Taylor a évoqué le cas de Vaulx-en-Velin. Plus récemment, nous sommes intervenus dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, touchés par les inondations. Le conseil d'administration a alors adopté des dispositifs pour tenir compte de la spécificité de la situation.
Nous pouvons donc faire preuve de souplesse pour tenir compte de la réalité des demandes. Depuis ma prise de poste, le taux d'accompagnement des ménages les plus modestes a substantiellement augmenté, de même que le montant des travaux qu'ils devaient réaliser. C'est tout l'intérêt des 600 espaces-conseil France Rénov' : favoriser un dialogue permanent entre le local et le national.
Le sujet des copropriétés est très complexe. En moyenne, six années séparent l'inscription d'un dossier de rénovation d'une copropriété et sa livraison, sous réserve que les règles de financement au niveau national rapportées par l'Agence ne changent pas d'une année à l'autre - il faut alors reprendre le processus complet de décision au sein de la copropriété...
Nous tenons compte des retours dans l'évolution des financements. Nous avons, par exemple, sensiblement augmenté les avances sur subventions, qui sont assumées soit par l'agence elle-même, soit par des partenaires. Ainsi, Procivis Immobilier accompagne les départements en avançant les subventions aux ménages les plus précaires, qui procèdent au remboursement une fois que nous leur avons versé l'aide.
Il existe en outre des systèmes dérogatoires. Si une démarche administrative, telle qu'une injonction d'un architecte des Bâtiments de France, empêche un propriétaire de réaliser le gain énergétique nécessaire pour toucher l'aide, une procédure est prévue pour l'accompagner sans lui tenir rigueur des contraintes liées au plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou au territoire.
Nous proposons aussi un système d'accompagnement pour favoriser les matériaux biosourcés.
Bref, nous disposons d'une palette d'outils pour gagner en souplesse, qui évolue au gré des retours de terrain.
Ces aides représentent un montant important d'argent public : aussi devons-nous faire preuve d'exigence afin qu'il soit correctement employé. On sait en effet que certains opérateurs font preuve d'une imagination sans limites pour tenter de capter de façon indue ces subventions.
M. Pierre Barros, président. - Madame la directrice générale, monsieur le président, je vous remercie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons à présent M. Jean-Louis Borloo. Monsieur le ministre, notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences et opérateurs de l'État, ainsi qu'à celle des organismes consultatifs. Nous venons de recevoir les dirigeants de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et nous recevrons tout à l'heure ceux de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Vous connaissez la première et vous êtes à l'origine de la création de la seconde. Votre expérience très large, d'élu local et de ministre, ainsi que vos prises de position dans le débat public jusqu'à aujourd'hui vous permettent d'avoir une vision d'ensemble du fonctionnement de l'État, à laquelle nous ferons également appel.
En tant que ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine de 2002 à 2004, vous avez lancé le programme national de rénovation urbaine (PNRU), piloté par une agence spécifique, l'ANRU. Celle-ci est aujourd'hui chargée d'un deuxième programme de renouvellement urbain et ses dirigeants plaident pour le lancement d'un troisième. Vous pourrez nous donner votre sentiment sur ce qu'est devenue l'ANRU, cette structure créée voilà vingt ans. Est-elle toujours adaptée dans sa gouvernance, dans son mode de fonctionnement, dans son mode de financement ? Peut-elle servir de modèle pour la mise en oeuvre d'autres politiques publiques ?
Vous avez également été, à partir de 2007, ministre de l'écologie et vous étiez numéro deux du Gouvernement au moment de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la réforme de l'administration territoriale. Nous avons reçu Mme la préfète Bernadette Malgorn à cet égard.
Comment avez-vous vécu cette réorganisation de l'État territorial, dans lequel les administrations que vous dirigiez jouaient un rôle majeur ? Quel point de vue avez-vous défendu sur les places respectives du préfet et des services déconcentrés des ministères ? Quelles leçons doit-on en tirer pour les agences, qui doivent souvent concilier une relation horizontale avec le préfet et les collectivités locales avec une organisation verticale comprenant un siège national et des délégations territoriales ?
D'une manière générale, votre expérience politique, notamment celle d'élu local, vous permet d'avoir une analyse sur le processus d' « agencification » de l'État, qui avait pour objectif de distinguer un État stratège, exercé par des services centraux, d'entités séparées chargées de mettre en oeuvre certaines politiques publiques. Pensez-vous que ce modèle a été réellement appliqué et qu'il demeure pertinent ?
Au cours de nos auditions, nous avons constaté plusieurs fois que les agences restent bien souvent des acronymes difficilement déchiffrables pour les acteurs locaux, en particulier pour les élus. Ils expriment souvent un « besoin d'État » dans les territoires, celui-ci étant incarné par le préfet. Partagez-vous ce sentiment ? De manière générale, comment un État soumis à une contrainte budgétaire forte peut-il organiser son action, par ses services et ses agences, pour rester à la portée des citoyens et des collectivités locales ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
En outre, nous appliquons les règles des commissions d'enquête. Je dois donc vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Louis Borloo prête serment.
M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre. - Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je parlerai à partir de mon expérience.
D'une part, j'insisterai un peu plus sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Cet outil est, je le pense, à la croisée des chemins. Il s'est agi du plus grand chantier civil de l'histoire de France. Il y a là tout le génie français, toute la capacité de nos acteurs publics et, en même temps, tous les échecs auxquels nous pouvons aboutir à partir d'un succès initial.
D'autre part, quand j'étais élu local, le tiers de confiance du territoire, c'était le préfet : quelle que soit l'agence, quel que soit l'outil, que l'entreprise soit publique ou privée, quand il y avait un grand programme, tout se terminait autour de sa table, indépendamment de ce qu'était la relation hiérarchique.
Entre le jour où nous nous sommes serré la main avec l'héritier de la famille Toyota pour l'implantation de Toyota et le premier coup de pioche, toutes autorisations acquises, il s'était passé vingt-et-un mois. Et il s'est passé trente-et-un mois pour que la première voiture sorte. Ce sont l'autorité morale de la préfecture et l'entente avec les élus qui l'ont permis. Je ne sais pas si vous réalisez ce que représente un tel chantier en termes de fouilles, d'accords syndicaux, de normes urbaines et environnementales, etc. C'était considérable.
J'ai l'impression que la France a du mal à passer à l'action sur un certain nombre de sujets. Mon sentiment est que nous sommes passés d'une action publique de producteurs de biens et de services à une action publique de contrôleurs des biens et des services produits par les autres. Derrière cela, il y a la culture - je ne mets pas en cause les organes en eux-mêmes -de l'Inspection générale des finances (IGF), du Conseil d'État, de la Cour des Comptes, de l'école de Rennes... Ce sont des gens absolument exceptionnels à titre individuel, mais concentrés sur l'essentiel du pouvoir, sans l'enrichissement que pourraient leur apporter des professeurs de sciences naturelles, des ingénieurs, des ouvriers ou des agriculteurs.
Le regard que, via cette élite - encore une fois, mon propos n'est pas d'adresser des critiques ad hominem -, nous portons sur notre société est, me semble-t-il, dirimant. Voilà dix-sept ans, lorsque l'hôpital public était dirigé par les médecins et les élus locaux, nous étions à 5 % de frais de structure. Ce taux est passé à 34 % à la suite de la décision de confier la gestion hospitalière à des administrateurs civils, issus, entre autres, de l'école de Rennes. Et je ne crois pas que ces dirigeants ne soient pas de bonne qualité. C'est avant tout un problème de système.
Je pense que les agences extrêmement opérationnelles, car centrées quasi exclusivement sur un sujet donné, avec ou sans autorité de l'État, sont des agences efficaces. En revanche, lorsqu'il s'agit d'un simple démembrement ou de systèmes de surveillance et de contrôle, on est, me semble-t-il, dans l'inefficacité ; à mes yeux, de tels contrôles sont de la responsabilité de l'État - ou, selon les cas, de la région. Je ne mettrai donc pas les agences opérationnelles et les agences de contrôle sur le même plan.
L'idée derrière la mise en place de l'ANRU était de réparer ce qui avait été fait dans le cadre de la charte d'Athènes, ce programme datant des années 1930 et ayant consisté à faire des cités sans relations extérieures, sans voitures, sans bureaux, sans commerces. C'est cette charte qui a créé les grandes zones urbaines de nos quartiers, d'ailleurs généralement situées sur de beaux territoires légèrement en dehors de la ville, avec une architecture fermée sur elle-même. Quand on arrive en ville, cette architecture, c'est déjà une cicatrice ; ce n'est pas le même habitat, et c'est l'enfermement.
En réalité, ces zones urbaines, appelées « grands ensembles », ont été créées pour de l'immigration de travail, au moment où l'on fermait les usines dans le contexte de la crise pétrolière - je prends l'exemple emblématique de Simca-Poissy, avec Chanteloup-les-Vignes -, considérant que l'intégration par le travail valait intégration globale. Avec un tel enfermement, la situation était absolument catastrophique.
À mon sens, tout le monde était d'accord pour dire que la Nation est un tout. La République est un ensemble. Il faut absolument que nous ayons un programme de soutien à cette population arrivant dans ces grands ensembles et que nous rouvrions le quartier pour le faire ressembler le plus possible au reste de la ville. C'était cela, la rénovation urbaine. Elle ne s'entendait que parce que, parallèlement, la Nation, les partenaires sociaux, la caisse d'allocations familiales (CAF), l'équivalent à l'époque d'Action Logement réalisaient, tous, les mêmes efforts en même temps, afin d'avoir une maman adulte-relais dans chaque barre HLM, 300 000 emplois-jeunes, des équipes de réussite éducative, des zones franches urbaines, ainsi que, en même temps, la rénovation du bâti.
Dans ce cadre, le concept était bien d'avoir une agence très spécifique dont le seul métier était de rénover, de réhabiliter, de résidentialiser, de détruire quand c'était nécessaire pour aérer et de reconstruire à due proportion, hors site ou sur le site.
S'agissait-il, me demandez-vous, d'une agence d'État ? Non, l'idée était autre : quand, sur un site urbain, il y a plusieurs organismes différents - songeons à l'office départemental, à l'office municipal, aux offices HLM, au département, à la ville, à l'agglomération, etc. -, il y a une masse critique de travaux, et il faut changer la donne. Cela implique que chacun, dans son périmètre ou sur sa partie de bâti, fasse ce qui a été décidé collectivement.
Dans notre conception globale, l'ANRU était un bureau de bienveillance. Le maire venait aux réunions avec l'adjoint concerné, le responsable des HLM, voire un représentant du département, et exposait ce qui était envisagé pour le quartier. Puis, l'Agence lui demandait s'il était vraiment sûr que le projet allait changer la donne. Les discussions duraient deux, trois ou quatre mois. À la fin, tous les protagonistes signaient un papier d'une seule page, et chacun - ville, département, Action Logement - s'engageait sur sa quote-part. L'objectif était non pas de concevoir l'urbanisme ou de savoir ce qu'on devait faire et qui devait le faire, mais plutôt de s'assurer que tous les trains qui devaient converger à la gare principale allaient le faire à l'heure. Et, de fait, c'est ce qui s'est passé.
Le moment a été assez extraordinaire. Il faut réaliser ce que cela représente, des grues qui reviennent dans les quartiers. D'abord, cela a créé des tensions : il y avait déjà des problèmes de drogue, de délinquance. Mais cela a aussi suscité un espoir extraordinaire et des inquiétudes : on allait démolir une barre où certains habitants avaient tous leurs souvenirs, mais c'était pour en reconstruire une autre un peu plus loin. C'était formidable de voir ces murs de HLM avec des tableaux, des fresques, des esquisses. Quand les grues revenaient, c'est la République qui revenait. C'était vraiment un programme républicain, et c'était de la bienveillance.
Puis, la machine s'est déréglée, probablement d'ailleurs - je ne vois aucun complot derrière cela - parce que l'on a essayé de bien faire.
Les équipes de l'ANRU sont, jusqu'à ce jour, exceptionnelles. Le sujet, c'est que le pouvoir « administrativo-bercyen » a décidé que le Trésor devait entrer au conseil d'administration. Je rappelle que le conseil d'administration n'est pas présidé par un membre du gouvernement. Il y a eu Jean-Paul Alduy. Toutes les tendances politiques étaient représentées. Il y avait tous les partenaires sociaux, les représentants des offices HLM, trois ou quatre représentants gouvernementaux, qui étaient donc tout à fait minoritaires. Le Gouvernement n'a pas son mot à dire sur un sujet local ; il a seulement à vérifier la raison pour laquelle l'outil a été créé et à contrôler que les trains arrivent à l'heure et que le travail est fait.
Mais c'est devenu une machine à penser, à imaginer l'urbanisme à la place des élus. La direction du Trésor a exigé d'être membre du conseil d'administration. Dès lors, d'un petit établissement public industriel et commercial (EPIC) de bienveillance, l'organe est devenu un établissement public administratif avec des accords préalables du budget et de l'État.
À partir de là, on a tout inventé, dont les « conventions de préfiguration » : avant de se mettre d'accord, il faut imaginer de se mettre d'accord sur la préfiguration de ce qu'on va faire ; cela prend deux ans et demi. Puis, il faut faire un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), pour changer les règles initiales ; cela prend encore deux ou trois ans.
Je tiens à la disposition de votre commission les chiffres officiels sur l'évolution du programme. Jusqu'en 2008-2009, la croissance est spectaculaire. Puis - n'y voyez pas un sujet politique ; c'est un sujet de culture administrative -, elle est nulle pendant sept ans.
Dans le mot « agence », il y a le plus beau et le pire. Globalement, le programme, c'était tout de même de l'ordre de 150 000 à 200 000 destructions-reconstructions, soit 200 000 familles déplacées, 450 000 résidentialisations, ce qui implique de couper des bouts de barre, de privatiser, 300 équipements publics, 20 kilomètres d'avenue pour aérer les quartiers. Cela a donc été un très grand chantier d'espoir républicain. Mais, quelle que soit la qualité des responsables de l'Agence, la technocratisation a fait que c'est devenu une machine à penser à la place des élus.
Cet exemple illustre, me semble-t-il, tous les rêves des agences et toutes les difficultés que crée parfois un État lorsqu'il finit par tout paralyser à force de vouloir tout contrôler.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans ma commune, nous sommes sortis du programme ANRU en 2008 et nous avons mené l'opération seulement entre élus locaux. Je confirme que c'est très lourd et qu'il faut une implication de la population. Mais cela marche bien ; nous n'avons pas eu de violences urbaines, alors qu'il y en avait dans des communes proches.
Votre conclusion fait un peu froid dans le dos. Elle rejoint le sentiment que nous avons à l'issue d'un certain nombre d'auditions. Le phénomène des agences a complètement dilué la notion de responsabilité. Aujourd'hui, nous ne savons plus qui décide d'une politique publique. Est-ce le ministre ? Le directeur de l'agence échappe-t-il aux contingences du temps politique ?
Comment voyez-vous l'articulation entre l'ANRU, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'ANAH ? Ces trois entités ont-elles, toutes trois, vocation à perdurer ? L'ANRU ne devrait-elle pas devenir demain un des services de l'ANCT ?
M. Jean-Louis Borloo. - Vous oubliez le quatrième acteur : la direction du Trésor.
Disons-nous clairement les choses. Pendant des années, des gouvernements se sont gargarisés d'avoir remis tantôt 5 milliards d'euros, tantôt 10 milliards d'euros. En vérité, c'est un mensonge d'État. Je ne connais pas les chiffres définitifs - vous les trouverez sans doute -, mais j'aimerais qu'ils sortent un jour.
Sur un programme de quelque 80 milliards d'euros de travaux, quelle a été la participation de l'État ? Les deux premières années, elle s'est élevée à 300 millions d'euros. C'est peu, mais c'est normal : l'État était là pour s'assurer que les trains étaient à l'heure.
Que l'État ne finance pas ne me dérange pas. Mais ce qui me dérange, c'est qu'il perturbe le fonctionnement. En l'occurrence, il a considéré que les crédits d'Action Logement devraient passer par le budget de la Nation d'abord et qu'il fallait pomper les ressources de l'organisme et l'empêcher de dépenser. Je le rappelle, de 2020 à 2024, l'État a fait voter au Parlement une ponction sans contrepartie de 1,8 milliard d'euros sur les recettes du logement social : Action Logement Services.
Non seulement la rénovation urbaine a rapporté à l'État français, TVA et autres fantaisies comprises, entre 15 milliards d'euros et 18 milliards d'euros alors qu'il n'a contribué qu'à la marge au programme, mais en plus le logement social a servi à abonder le budget général de la Nation.
« Avec tous les milliards que l'on met dans les quartiers », entend-on parfois dire. Quelle honte ! Quels milliards ? Où sont-ils ? Dans les crèches ? C'est six fois moins qu'à Courbevoie. Dans la présence médicale ? Dans la présence éducative ? Je suis en colère, parce que la France n'a pas besoin que l'on monte ses citoyens les uns contre les autres. Ne pas tendre totalement la main est une chose ; accuser en plus ce que l'on ne soutient pas en est une autre.
Quelle articulation entre l'ANRU et l'ANCT ? Je n'en sais rien. Ce que je sais en revanche, c'est qu'il faut changer radicalement les contraintes imposées à l'ANRU et revenir à l'état d'esprit de départ : l'Agence n'est pas une administration ; c'est le tiers de confiance lorsque le maire et tous les acteurs du territoire sont réunis.
Pire, grâce aux petits génies qui ont inventé ce que je viens d'évoquer, l'Insee a considéré qu'Action Logement Services, à qui l'on peut donc prendre 1,8 milliard sans contrepartie par un seul vote, n'est pas une entité autonome, mais une administration publique (APU). Donc l'ANRU est comptée dans notre déficit public national, avec les plus grandes difficultés à emprunter. Si le Conseil d'État tranche dans ce sens, il sera impossible à Action Logement Services d'emprunter. Il faudra quémander l'autorisation de faire des emprunts d'intérêt général lors de chaque examen de la loi de finances.
La décision dont je parle a enrayé le fonctionnement des bailleurs sociaux et de la rénovation urbaine, et détourné 1,8 milliard d'euros de leur fonction. En plus d'être une mauvaise manière pour les comptes publics, cela risque de se révéler catastrophique pour les capacités de mobilisation et d'emprunt.
L'ANRU pourra rester l'ANRU à la condition que l'on change radicalement les choses, que l'on allège et que l'on revienne à ce qu'elle était au début : un bureau de bienveillance.
Dans mes souvenirs, nous étions à quelque 42 milliards d'euros de travaux au début. Aujourd'hui, nous devons être autour de 80 milliards d'euros. On a voulu nous imposer des critères. J'ai dit non. J'ai précisé que nous allions simplement faire confiance : « confiance », c'est faire avec. Il n'y a pas eu deux programmes qui ont eu le même montant. Les sommes allouées ont varié de 40 millions d'euros à 700 millions d'euros. Avez-vous entendu la moindre polémique politicarde pour dénoncer le fait que l'un ait plus que l'autre ? Il n'y en a jamais eu. Tous les acteurs engagés, communistes, socialistes, écologistes, du centre, du milieu, de la droite, du dessus ou d'à côté, ont formé une fratrie ! Tout le monde connaissait les chiffres de tout le monde. Tout le monde soutenait tout le monde. Il n'y a eu ni polémique, ni affaire de corruption, ni débordement d'une nature ou d'une autre. Je pense qu'une société de la confiance est beaucoup plus efficace.
Pour répondre à votre question, je pense que la clé réside dans des agences opérationnelles centrées sur leur métier : quand on étend le champ d'application, les acteurs s'autorisent à aller vers le plus facile, par exemple en faisant un peu plus de colloques et un peu moins de réunions de quartier...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En 2018, vous aviez effectué un énorme travail sur la refonte de la politique du logement ; nous savons tous ici ce qu'il en est advenu. Aujourd'hui, que pourriez-vous proposer pour mieux coordonner les acteurs du logement, d'Action Logement au fonds national des aides à la pierre (Fnap), en passant par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) ? Comment rendre cet écosystème plus efficient ?
M. Jean-Louis Borloo. - En leur faisant confiance. Tous ceux que vous venez de mentionner existaient en 2003. À l'époque, on produisait environ 250 000 logements. Sept ans après, avec les mêmes opérateurs, on en produisait 480 000 et on lançait la rénovation urbaine, un chantier qui est sept fois celui d'Haussmann.
Nous avons la chance d'avoir - cela ne va peut-être pas lui plaire, mais je le dis quand même - une formidable ministre du logement. Je pense qu'elle est capable de fédérer l'ensemble des acteurs, publics ou privés, de contrôle, comme la CGLLS, ou de financement et de soutien, comme Action Logement et CDC Habitat. Le logement, c'est une chaîne, une fratrie.
M. Hervé Reynaud. - Vous êtes à l'origine de la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, qui a créé l'ANRU. Vingt ans plus tard, nous avons le sentiment que les lourdeurs administratives et bureaucratiques empêchent l'action. D'ailleurs, vous-même n'auriez sans doute pas beaucoup avancé en matière climatique si vous aviez attendu le feu vert de Bercy pour lancer le plan justice-climat.
Il y a pour vous - je l'ai bien compris - une forme de culture de la confiance qui se perd aujourd'hui. Mais ne pensez-vous pas aussi qu'un nouveau cycle de décentralisation, dans une logique de contractualisation et de responsabilisation, serait nécessaire pour permettre d'identifier les acteurs locaux et de renforcer l'efficacité de l'action publique ?
M. Jean-Louis Borloo. - Mille fois oui. Mais ne pensez-vous pas qu'il serait temps de faire un bilan de toutes les réformes intervenues de 1946 à nos jours ? Si je pose la question aux passants dans la rue, tout le monde me dira que la France est un pays centralisé. Or rien n'est plus faux. La cour est centralisée ; les avantages sont centralisés ; une partie des médias est centralisée ; les intellectuels ou prétendus tels sont centralisés. Mais, en termes d'action publique, la France est le pays le plus émietté au monde.
De mémoire - vous me pardonnerez si les chiffres sont approximatifs -, l'action publique, c'est grosso modo 500 milliards d'euros pour 8 000 organismes paritaires, 40 000 collectivités territoriales pour quelque 350 milliards d'euros de recettes et l'État qui fait figure de plus pauvre, avec autour de 320 milliards ou 330 milliards d'euros. Pourtant, c'est toujours lui qui impulse, dicte et accorde ou non son feu vert.
Le pays est émietté, mais l'action gouvernementale est recentrée sur Bercy, où tous les ministères sont doublés. Il y a une direction du logement et de l'urbanisme, une direction des affaires judiciaires, une direction des affaires militaires, une direction des affaires internationales, etc. Et l'énergie vient d'y être rattachée...
Je suis pour le contrôle budgétaire. Mais il pourrait être effectué par 10 000 personnes dans une tour de la Défense. Quand on se trompe dans une prévision de quelque 50 milliards d'euros à mi-chemin de la collecte, est-on vraiment qualifié pour aller contrôler ce qui se passe dans toutes les agences ?
Je pense donc qu'il est temps de revoir l'architecture gouvernementale. Les directions du budget, du Trésor, des impôts sont des directions émérites, parmi celles qui marchent le mieux au monde : bravo. Mais la prééminence intellectuelle sur les autres champs mérite d'être remise en question.
J'en viens à notre organisation paritaire. Jadis, les syndiqués représentaient 48 % à 52% de la population. À l'époque, diriger l'action publique était assez simple : l'État faisait tout, et les communistes faisaient la sécurité sociale. Les discussions étaient parfois animées, mais tout le monde finissait par se mettre d'accord : on était entre patriotes. Le poids moral syndical était considérable. Ce paritarisme a créé des avancées extraordinaires.
Simplement, c'est devenu un paritarisme de la gestion, où les négociations se font avec de jeunes gens de Bercy dans le cadre des conventions d'organisation et de gestion. Ne pourrait-on pas avoir un rôle beaucoup plus prééminent du paritarisme ?
Trouvez-vous normal que, dans une ville comme Saint-Quentin, il faille cinq équipes - celle de la ville, celle de l'agglomération, celle de la CAF, celle du département et celle de la politique de la ville - pour s'occuper des enfants des quartiers ?
Ne pourrait-on pas faire un bilan de la décentralisation, de Gaston Defferre à Jean-Pierre Raffarin et après ? N'y a-t-il pas là une forme de maquis dans lequel il est impossible d'aider les mamans et les professeurs ? Faut-il laisser ces derniers gérer tout seuls, alors qu'il y a des problèmes d'urbanisme, de logement, de santé publique ? Il faut tout un village pour élever un enfant, dit un proverbe africain. Et chez nous, nous faisons comme si c'était au seul professeur de le faire.
Nous avons une communauté de destin. Comment réorganise-t-on l'action politique de la France ? Si on transfère de l'argent, transférons le pouvoir législatif ou normatif correspondant. Sans cela, c'est inutile. Nous sommes entre deux systèmes : la France n'est pas un État fédéral, mais ce n'est plus un État centralisé ; c'est le pays le plus émietté que je connaisse.
À mes yeux, le problème est que, comme on ne sait pas, il faut contrôler, inspecter, entrer dans le système. Et le pire est que tout le monde est de bonne foi. Tout le monde se donne du mal. Tout le monde travaille. Tout le monde a peur de ne pas réussir.
Je pense que nous avons un problème de système. Il faut repartir d'une page blanche. Il ne s'agit pas seulement d'améliorer à la marge. Posons les choses : nous sommes un pays de quelque 70 millions d'habitants, sur une superficie de 650 000 mètres carrés, avec des montagnes, des forêts, des mers ; nous avons tel type de population, nous avons telles forces et telles faiblesses. Sur un sujet donné, qui est responsable ? Et qui rend compte ? À qui ? Cela peut être un parlement de province, le Parlement national, etc. Il est temps de faire ce bilan.
Je dis donc oui à la contractualisation, mais je pense que ce sera insuffisant. Selon moi, si la France est à l'arrêt, qu'il s'agisse d'économie, d'éducation, de cohésion sociale, d'action en faveur du climat, cela tient pour partie non pas à l'incapacité des dirigeants, mais à notre mode d'organisation, qui n'est pas du tout performant. Si vous ouvrez le capot de la voiture, je vous mets au défi de comprendre où sont les tuyaux ! Imaginez alors ce qu'il en est pour le citoyen.
M. Pierre Barros, président. - Au fil de nos auditions, nous essayons précisément d'ouvrir le capot de la voiture et nous nous apercevons de la complexité, qui dépasse la seule question des agences. Une réflexion sur le rôle de l'administration centrale et les modalités de mise en oeuvre des politiques publiques à l'échelon local s'impose.
Je fais partie des élus qui ont été, en quelque sorte, des « enfants de l'ANRU ». À la suite de mon élection comme maire en 2008, j'ai mis en oeuvre pendant dix ans des projets d'environnement urbain dans mon centre-ville. Cela n'a pas été simple, mais cela a été une très belle aventure. Et, effectivement, cela reposait sur un pari de bienveillance.
Selon vous, l'évolution actuelle de l'ANRU, que vous regrettez, est-elle irrévocable ? L'aviez-vous pressentie lors de la création de l'Agence ? Peut-on revenir en arrière sur la prise en main de la gouvernance par Bercy, ainsi que sur la RGPP et le new public management ?
À votre avis, quels leviers pourrait-on actionner pour que l'action de l'État et de ses services déconcentrés redevienne lisible ?
M. Jean-Louis Borloo. - Quand j'ai parlé de « page blanche », je n'ai pas dit qu'il fallait renverser la table. J'ai dit qu'il fallait mieux définir l'objectif, les missions et leurs opérateurs. Aujourd'hui, le dispositif est enkysté.
Je suis certain que le peuple de France serait d'accord pour savoir qui fait quoi et qui rend compte à qui. Mon expérience du Grenelle de l'environnement est qu'il y a beaucoup plus de malentendus que de désaccords. Je vous garantis que 80 % des Français seraient d'accord sur 80 % de la nouvelle organisation.
Certes, il faut travailler sur le passage du système actuel, qui a son histoire, ses pesanteurs, à un système parfait. Vous le savez, il est toujours très difficile de sortir de ses schémas de pensée. Nous empruntons toujours les mêmes chemins intellectuels pour réfléchir. Cela vaut pour moi, pour vous, pour tout le monde.
Après l'hippomobile, la première voiture fut une voiture électrique. La première à aller vite fut la « Jamais contente ». Puis, on a opté pour le moteur thermique, le fioul étant moins cher. Mais aujourd'hui, ce qui rend la voiture électrique populaire, ce n'est pas l'oeuvre d'un constructeur automobile ; c'est Tesla. De même, quand M. Piccard a voulu faire le tour du monde sans énergie fossile, avec son avion Solar Impulse, il est allé voir des bureaux d'études en aéronautique ; et comme ils n'ont pas cru à son projet, il est passé par un chantier naval.
Partir d'une feuille blanche, c'est définir des objectifs en nous demandant ce que nous voulons pour notre Nation à long terme, à moyen terme, à court terme. Qui s'en occupe ? Quand on transfère, transférons aussi le pouvoir normatif et choisissons un système de contrôle adapté.
Et dans l'immédiat, de grâce, rendons au préfet son rôle de tiers de confiance. Nous avons un corps d'élite de représentants de l'État central qui ont commencé comme conseillers de sous-préfecture ou comme sous-préfets. Ils sont un mix entre le territoire et la fonction publique classique.
Et il faudrait que les agences fassent deux ou trois fois par an, spontanément, un état des lieux aux préfets, ainsi qu'aux ministres. Prions d'ailleurs pour qu'il y ait un peu plus de stabilité ministérielle face à la stabilité des équipes des agences : la temporalité n'est pas neutre dans les rapports de pouvoir.
J'ai toujours pensé qu'il fallait changer radicalement le fonctionnement de l'ANRU, même si ce sera sans doute difficile. Encore une fois, ce ne sont ni le personnel ni le conseil d'administration qui sont en cause. Le problème, ce sont les contraintes qui sont imposées de l'extérieur. Comme il est toujours difficile de revenir en arrière, pourquoi ne pas imaginer une fondation d'intérêt supérieur de la Nation, avec des représentants de l'État, des régions, des départements, d'Action Logement et les partenaires sociaux ?
Pour moi, l'habitat, eu égard à tout ce qu'il représente d'un point de vue humain, est, avec l'école, l'un des deux principaux éléments du redressement de notre pays.
Mme Christine
Lavarde, rapporteur. - Vous avez
été le ministre de l'écologie qui a introduit une vision
unifiée, intégrant les transports, l'énergie, la
biodiversité, le logement, etc. En regardant le fonctionnement
de l'État en 2025, n'avez-vous pas le sentiment que le
ministère est un peu dépecé et que ses compétences
sont toutes transférées à des agences de plus en
plus
fortes, dans un partage des fonctions qui n'est d'ailleurs pas
très clairement délimité ? Ce mode de fonctionnement
vous semble-t-il plus efficace que le grand ministère de la fin des
années 2000 ?
Notre objectif partagé est d'essayer de rendre les politiques publiques efficaces. Car quitte à faire des économies pour répondre à l'impératif budgétaire, autant les faire là où cela a du sens, au lieu de pratiquer des coupes à l'aveugle.
M. Jean-Louis Borloo. - Je ne suis pas convaincu que les économies soient à trouver dans chaque ministère, dans chaque agence ou au sein de chaque opérateur. À mon sens le sujet, c'est cette désorganisation générale qui nous amène à avoir des systèmes de contrôle, de régulation, de coordination, de cabinet, de communication, de justification d'existence absolument terrifiants. J'en évalue le coût à 150 milliards d'euros. Madame le rapporteur, dans quel état est le commissariat de votre territoire ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans le même état qu'il y a vingt ans.
M. Jean-Louis Borloo. - Voilà un exemple parfait. Il y a vingt ans, dans sa grande sagesse, le ministère de l'intérieur a décidé la grande opération des commissariats de France, en commençant par ceux dont la situation était la plus dégradée, au premier rang desquels se trouvait celui de Boulogne-Billancourt. Mais quand vous avez entre 240 milliards d'euros et 250 milliards d'euros de recettes pour 350 milliards d'euros de dépenses garanties, vous n'avez pas d'argent et vous êtes dans l'obligation de faire appel à la ville, à l'agglomération, au département, à la région, au gestionnaire du fonds européen de développement régional (Feder), au ministère de l'intérieur et, évidemment, à Bercy. Et comme il y a deux ministères, il faut faire appel à l'interministériel. Cela fait huit partenaires, soit une cinquantaine de personnes. Et nous en sommes à la trente-deuxième ou trente-troisième réunion en vingt-cinq ans.
Où sont les économies en France, me demandez-vous ? Vous êtes sûrs qu'elles se trouvent à l'Ademe ? C'est notre désorganisation qui est mortelle. Et tout le monde est de bonne foi. Une réunion réussie, c'est une réunion où tous les partenaires concernés par la rénovation du commissariat sont là. Mais, entretemps, les délinquants ont changé de quartier, la bouche de métro a changé d'emplacement, le bus ne passe plus au même droit, l'école a été déplacée... Qu'est-ce qui cause le déficit de la France ? Sa désorganisation.
Quand une institution est créée, elle a besoin de vivre et de justifier son existence. Par conséquent, elle communique, elle fait appel des cabinets, etc. Ce n'est pas tenable.
Je crains le déclin inexorable si nous ne modifions pas en profondeur le mode d'organisation de l'action publique. Après les agences, on s'attaquera aux opérateurs, puis aux autorités administratives indépendantes, puis aux ministères, puis aux collectivités locales, etc. Et, à chaque fois, dans vos auditions, vous aurez le sentiment d'entendre des gens qui se donnent du mal ; car, en effet, ils se donnent du mal. Je pense que c'est ce qui est en train de vous arriver. Parce que ce n'est pas le bon angle !
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Je vous remercie de ce témoignage éclairant et édifiant, qui soulève des interrogations systémiques sur l'action publique locale. Comme élus, nous nous sommes engagés avec enthousiasme dans des projets et nous avons été confrontés à des lourdeurs administratives qui nous ont freinés. Les liens de confiance et de bienveillance se sont, en quelque sorte, transformés en relations de professeur à élève, de censeur à accusé. À qui la faute ? Comment y remédier ?
Ne légiférons-nous pas trop ? Je rejoins pour partie le président du Sénat quand il appelle à légiférer moins pour légiférer mieux. Mais ne faut-il pas revoir aussi la formation de nos élites administratives, eu égard, notamment, à cette culture du contrôle au détriment de l'action ?
La recherche permanente de l'anticipé, du parfait, aux dépens d'une forme de « bricole » n'est-elle pas paralysante ? Durant la crise du covid, c'est la « bricole » qui nous a permis de nous adapter ; nous avons mis de côté un certain nombre de formalités, qui ont sans doute été imposées avec un souci de bien faire, mais qui, en pratique, contrarient la mise en place de politiques destinées à faire le bien pour nos populations.
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie pour vos propos auxquels je souscris totalement. Sans en rester à la nostalgie d'un âge d'or perdu, vous avez mentionné deux points qui me semblent très intéressants.
Tout d'abord, il y a cette notion de confiance quand on lance des projets et le fait que l'on privilégie aujourd'hui le risque zéro. Autrement dit, toutes les parties autour de la table doivent s'engager avant même que la première pierre soit posée. Il y a un côté très professionnel à vouloir écarter dès le départ toute forme de risque et toute possibilité de modification durant le processus de réalisation du projet. Toutefois, cela peut aussi refroidir un certain nombre d'acteurs et avoir des conséquences sur la réalisation du projet, qu'il soit immobilier ou écologique. Selon vous, le fait de ne plus laisser place à l'imprévu est-il un frein ou un moteur dans la réalisation des projets ?
Ensuite, vous avez fait référence au partage des responsabilités. Aujourd'hui, les retombées en matière de responsabilité sont telles, qu'elles soient d'ordre juridique ou autre, que ceux qui acceptent de s'engager en prenant sur eux telle ou telle action ne sont pas légion. Selon vous, ce renforcement très fort de la responsabilité peut-il entraver certains projets ?
Enfin, le financement d'un projet constitue le fameux nerf de la guerre. Vous avez mentionné les huit acteurs qui pouvaient intervenir sur un projet, mais j'en ajouterai un neuvième, puisque désormais les préfectures se partagent la répartition de la DETR et du fonds vert. Chaque niveau de collectivité arrive donc, en quelque sorte, avec un morceau de financement, ou une subvention, qui lui est propre. Dans le parcours que vous avez évoqué, je n'imagine donc pas qu'une collectivité ou un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) puisse intervenir uniquement pour avaliser les décisions qui ont été prises, par exemple en matière de norme. À chaque niveau de collectivité, des fonds sont proposés pour faire aboutir le projet. Considérez-vous que le partage des subventions à tous les niveaux d'organisation des collectivités pose problème ou pas ?
M. Christian Bilhac. - J'aimerais tout simplement rappeler que le socle républicain existe dans chaque commune et qu'il s'appelle la mairie. Peut-être faudrait-il s'en tenir à ce que le maire soit le décideur, le concepteur et le réalisateur, et à ce que le préfet soit le financeur et le contrôleur. Il faut en revenir à des choses simples.
Par exemple, il y a un ministère des sports, un office régional du sport, un office départemental des sports et un office intercommunal du sport. Mais dans la commune, c'est le maire qui s'occupe du sport, avec les associations locales. À quoi servent donc tous ces échelons ? Mieux vaut en revenir tout simplement au maire.
Je prendrai aussi l'exemple de l'école en précisant que je viens d'une commune rurale. Or qu'est-ce qu'une école rurale sinon une école-mairie ? C'était cela l'école, au début de la IIIe République. La République, c'était cela : le hussard noir, le maire, l'école de la mairie et le drapeau bleu, blanc, rouge. Il faudrait en finir avec les théories fumeuses et revenir à la simplicité.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Quelle appréciation portez-vous aujourd'hui sur le principe de précaution ?
M. Jean-Louis Borloo. - Monsieur le sénateur Bilhac, j'ajouterai que, en général, l'instituteur était aussi le secrétaire de mairie.
Je considère que c'est en commençant par fixer les objectifs à atteindre pour la population sur chacun des sujets que l'on parviendra à définir l'échelon pertinent. Il faudra peut-être vingt-cinq réunions et au début tout le monde risque de s'insulter, mais je vous assure que c'est ainsi que nous pourrons rebâtir une architecture pertinente. Dans certains cas, on privilégiera le tandem maire-préfet, mais pas forcément dans toutes les agglomérations. Il faudra étudier la question et je n'ai pas d'a priori quant aux réponses possibles. Je ne suis pas pour ou contre les régions, les départements ou les préfets. Ce qui m'importe, ce sont les Français et ce qu'on fait pour les mamans, pour les enfants, etc.
Nous vivons dans un pays tout de même un peu étrange. On y méprise le sport, surtout à l'école où il est très rare que le prof de sport soit le prof principal, mais aussi à l'université où les notes en sport ne comptent pas, et pourtant, nous sommes l'un des pays les plus sportifs au monde, ou du moins l'un des plus forts dans les compétitions au niveau mondial. Nous sommes un pays d'individualistes et de râleurs, et pourtant nous sommes champions du monde dans quasiment toutes les disciplines collectives.
Comment l'expliquer sinon par le fait que le sport est porté par la commune ? L'État a créé l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), mais pour le reste le sport fonctionne par délégation à des fédérations sportives, grâce à 5 millions de bénévoles et à 120 000 éducateurs de très haut niveau. Il s'agit donc d'un milieu « autoporté » et nous pouvons constater que quand le système de contrôle français ne s'en mêle pas, nous sommes champions du monde.
Il faudra déterminer l'échelon pertinent sur chaque sujet et, sur certains d'entre eux, il pourra même y avoir deux échelons pertinents. Le Parlement existe à l'échelle nationale, mais pourquoi ne pas envisager un parlement pour le logement à l'échelle de la province ? Pourquoi faudrait-il que l'on fixe au niveau national la taille de la fenêtre des crèches à Courbevoie ? Cela n'a aucun sens.
J'ai la certitude que l'organisation peut rendre intelligent ou pas. Prenez la fonction publique, par exemple. Ceux qui y exercent forment une armée extraordinaire quand elle est mobilisée. Demandez-lui de construire une cathédrale et elle le fera. Mais pour mobiliser cette armée, il faut lui fixer un objectif et une mission, la rendre fière de cette mission et lui indiquer à qui elle doit rendre compte. Alors, elle sera prête à fournir des efforts inouïs et à travailler avec un niveau d'ingéniosité extraordinaire. Mais pour l'instant, le mode d'organisation auquel la fonction publique est soumise, c'est celui du contrôle, pas du soutien.
Mme Pauline Martin. - Je souscris entièrement à vos propos. Toutefois, pour en revenir au sport, ne croyez-vous pas que l'on s'y perd en démultipliant les responsabilités entre le ministère des sports et l'Agence nationale du sport (ANS) ?
M. Jean-Louis Borloo. - L'ANS n'est pas forcément nécessaire, mais ce n'est pas très important, car en réalité le niveau des moyens publics investis dans le sport en France est ridiculement bas. Et c'est là qu'est le drame, car le système éducatif sportif, complété par certains éléments d'ordre culturel, est le seul qui puisse sauver la jeunesse de France qui est en grand danger. Je ne peux qu'être navré quand j'apprends que 30 000 jeunes n'ont pas pu être accueillis dans un club de basket l'année dernière, à cause du manque d'encadrement et d'équipement. C'est une folie quand on connaît la situation de la cohorte annuelle des 800 000 enfants de France, dont 250 000 doivent être laissés de côté. Il suffit de regarder le budget du sport pour la Nation : ce n'est pas là que l'on trouvera des économies à réaliser et il faudrait au contraire faire de gros investissements.
M. Ludovic Haye. - Quelles sont vos préconisations au sujet du subventionnement ?
M. Jean-Louis Borloo. - À partir du moment où l'échelon est défini, le financement suivra.
M. Ludovic Haye. - Mais faudra-t-il que ce soit le conseil régional qui le décide ?
M. Jean-Louis Borloo. - Pourquoi partir de l'idée qu'il y aura forcément un conseil régional ? Il faut imaginer d'autres modes d'organisation, par exemple par bassin de vie, à un échelon un peu plus important que le département, mais bien plus petit que la région. Et dans ce bassin de vie, la représentation pourra se faire par mairie, une mairie équivalant à une voix. C'est une idée parmi d'autres, l'essentiel étant d'imaginer et de ne pas calquer. Il faut oublier les régions et les départements pour repartir de zéro. Certes, à une époque, le tandem maire-préfet fonctionnait. Mais il ne faut pas être dans la nostalgie. L'idée de ne pas ouvrir le chantier de l'organisation de notre action publique serait absurde.
Il faut bien comprendre que le Gouvernement et le Parlement sont les pauvres du système, mais ont une responsabilité morale. Ils n'ont pas de moyens et sont obligés de faire des promesses, si bien qu'ils trichent. La ponction de 1,8 milliard d'euros de dépenses que j'évoquais s'explique par le fait que la machine fuit. Il ne faut pas raisonner en pourcentage de PIB, mais en comparant les recettes aux dépenses, ce rapport établissant en l'occurrence un déficit entre 30 % et 40 %. Les responsables de Bercy le savent et c'est la raison pour laquelle ils cherchent à bloquer les dépenses partout, et surtout chez les autres.
C'est sûrement dans l'ordre des choses. En effet, quand une entreprise est en faillite, c'est toujours le moment où l'on fait le plus de réclame : on gesticule, on invite le banquier, on fait des promotions à moins 20 %... Nous en sommes là. Encore une fois, ce que je dis n'a rien à voir avec ce gouvernement ou ceux qui l'ont précédé. Mais il faudrait faire un bilan, car l'empilement des réformes qui ont été mises en place, à chaque fois pour une bonne raison, est un édifice dans lequel personne ne trouve son chemin. C'est d'ailleurs la même chose à Bercy : méfiez-vous si vous cherchez le bureau 512, car il ne se trouve pas dans le cinquième bâtiment, au premier étage, à la deuxième porte, ce serait trop facile !
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le monde kafkaïen que vous nous décrivez est à l'origine d'une multiplication tentaculaire d'agences qui ont été créées pour répondre à deux problèmes. D'une part, le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) manque de souplesse pour permettre notamment de percevoir des recettes de tiers ou signer des conventions. D'autre part, lors de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État, les ministères ont été comme dessaisis de leur objet opérationnel à travers sa direction régionale, de sorte qu'ils ont chacun voulu créer une agence propre, ne dépendant que d'eux. Pourriez-vous nous confirmer cela ?
M. Jean-Louis Borloo. - Je ne suis plus assez au fait de la situation pour vous répondre de manière pertinente sauf sur un point.
La Lolf était plutôt considérée comme une avancée quand elle a été créée, mais il est vrai que la complexité de l'engagement de l'État empêche un certain nombre de contractualisations, y compris d'ailleurs pour des programmes et des fonds européens. Qu'un ministère puisse avoir une agence opérationnelle qui dépend directement de lui ne me pose aucun problème, dès lors qu'elle est vérifiée, contrôlée et qu'elle répond à la commande. En revanche, le fait que le ministère en question n'ait aucun poids face à Bercy ne peut que perturber l'action publique. Ce ne sont pas les agences qui créent les 150 milliards d'euros de déficit, mais notre désorganisation, plus précisément notre inefficacité organisationnelle.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour ces échanges éclairants.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Patrice Vergriete (en visioconférence), président, et Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons le président et la directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). L'ANRU est l'une des agences les mieux connues du public comme des élus, dont certains ont souligné devant notre commission la qualité de vos travaux. Vous centralisez les financements destinés au renouvellement urbain, au point que votre agence est souvent identifiée aux grands projets de démolition et de reconstruction dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Pourriez-vous nous expliquer plus précisément l'articulation de votre action, tant en amont avec les financeurs qu'en aval avec les collectivités locales et les bailleurs sociaux qui assurent la maîtrise d'ouvrage des projets ?
Vous êtes également en charge du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) et de certains projets inscrits dans les programmes d'investissement d'avenir (PIA).
L'ANRU n'a plus le statut d'opérateur de l'État ; les budgets budgétaires apportés par ce dernier sont résiduels. Quelles sont vos relations avec les services de l'administration centrale, les préfets et leurs services ? L'ANRU a-t-elle une autorité de tutelle ou ne rend-elle des comptes qu'à son conseil d'administration, sous le contrôle occasionnel de la Cour des comptes et du Parlement ?
La question de l'avenir de l'ANRU se pose ouvertement. Madame la directrice générale, vous avez co-signé un rapport remis au Gouvernement en février dernier. Vous y proposez non seulement de poursuivre l'action de l'ANRU dans un troisième programme national, mais aussi d'étendre ses interventions à des territoires situés en dehors des QPV - par exemple, le tissu pavillonnaire ou les zones concernées par le recul du trait de côte. Je comprends la volonté de faire bénéficier d'autres territoires de l'expérience de l'ANRU, mais comment s'assurer qu'une telle extension ne brouille pas la perception des délimitations de compétences entre notamment l'ANRU, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos
introductif, je vous informe que cette audition est diffusée en direct
et en différé sur le site du Sénat et qu'un compte rendu
sera publié. Je dois également vous rappeler que tout faux
témoignage devant notre commission d'enquête serait passible
des
peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15
du Code pénal et de 45 000 à 100 000 euros
d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de nos
éventuels liens d'intérêts avec l'objet de la commission
d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrice Vergriete (en visioconférence) et Mme Anne-Claire Mialot prêtent serment.
Je propose que Madame Mialot intervienne, puis je compléterai éventuellement son propos introductif.
Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). - L'ANRU est effectivement une agence connue, créée il y a 20 ans et spécialisée dans la mise en oeuvre des programmes de renouvellement urbain. Notre mission a été définie par la loi du 1er août 2003. Nous intervenons sur des territoires strictement délimités, sélectionnés en raison des dysfonctionnements urbains majeurs qu'ils présentent. Nous ne sommes pas un guichet ouvert, mais une agence ciblant des territoires spécifiques.
Notre intervention s'inscrit dans un cadre partenarial fort, tant au niveau du financement que de la mise en oeuvre. Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est financé à 90 % par des acteurs autres que l'État, principalement par Action Logement et la solidarité, au travers notamment de la participation des employeurs pour l'effort de construction (dit « 1 % Logement ») ainsi que par les bailleurs sociaux en solidarité au niveau national. L'État ne contribue qu'à hauteur de 10 % au programme de renouvellement urbain.
Ce partenariat historique a justifié la création de l'Agence en 2003. Cette structure de financement se reflète dans la composition de notre conseil d'administration au sein duquel ce n'est pas l'État, mais les financeurs de l'Agence, qui sont majoritaires : Action Logement, bailleurs sociaux, représentants des collectivités et du parlement.
Au niveau local, nous finançons des projets portés par les collectivités territoriales, impliquant l'ensemble des acteurs du renouvellement urbain : collectivités, bailleurs, aménageurs et autres parties prenantes.
Notre rôle est de financer des projets urbains globaux de manière pluriannuelle. Cette garantie de crédits sur le temps long, par l'Agence, permet aux collectivités et aux bailleurs de s'engager sur des projets structurants de renouvellement urbain des quartiers.
Cette forme ad hoc a été pensée au regard de ces particularités.
Le national et le local s'articulent simplement : des critères d'intervention sont définis au niveau national par arrêté ministériel. Les projets sont ensuite élaborés par les collectivités territoriales et examinés par les équipes expertes de l'Agence. Un dialogue constant s'instaure entre nos experts et les porteurs de projets locaux, permettant d'affiner et d'optimiser les propositions.
Au niveau territorial, les projets sont portés par les intercommunalités, en collaboration étroite avec les maires et l'ensemble des acteurs locaux. Les préfets sont nos délégués territoriaux ; ils assurent le lien entre le local et le national. Ce processus permet une maturation des projets au niveau territorial. Les experts de l'ANRU apportent ensuite, si besoin, une expertise supplémentaire.
Nous sommes une agence de financement, d'expertise et de conseil, mais aussi de contrôle. Nous vérifions que les crédits sont engagés conformément aux objectifs fixés. Des revues de projet sont organisées tous les ans - tous les deux ans pour les projets les plus conséquents - afin de vérifier la bonne exécution des programmes.
Nous portons principalement un programme de renouvellement urbain : le programme national de renouvellement urbain (PNRU), voté en 2003, prolongé en 2014 par le NPNRU. Chacun de ces programmes représente 12 milliards d'euros de subventions et génère un effet multiplicateur de quatre, soit environ 48 milliards d'investissements dans les quartiers concernés.
Au fil du temps, de nouveaux programmes nous ont été confiés Le PNRQAD, que nous gérons conjointement avec l'ANAH et l'État, représente 150 millions d'euros par an pour l'ANRU. Son ampleur est bien moindre que celle du NPNRU. Le PNRQAD vise à intervenir sur les centres anciens et dégradés.
Les enjeux d'habitat privé peuvent être significatifs dans certains quartiers et nécessiter des interventions lourdes de recyclage et d'évolution ; ils ont été intégrés dans le cadre du NPNRU.
Nous avons ainsi un programme principal, le NPNRU, et un programme secondaire, le PNRQAD, que nous gérons en collaboration avec l'ANAH.
Nous sommes par ailleurs opérateur de PIA pour le compte de l'État, notamment ceux liés aux enjeux de développement durable et solidaire, tels que « Villes durables et solidaires » ou « Démonstrateurs de la ville durable ». Notre implication dans ces programmes se justifie par leur mise en oeuvre dans des quartiers que nous connaissons de manière approfondie, permettant une opérationnalisation au plus près du terrain.
S'agissant de nos relations avec l'État, nous ne sommes plus un opérateur, mais un établissement public industriel et commercial à comptabilité privée. Cette forme particulière est liée à notre mode de financement. Elle ne nous empêche pas d'être contrôlés de manière étroite par l'État. Nous sommes sous la cotutelle du ministère de la transition écologique et du ministère en charge des collectivités territoriales. Plus précisément, la cotutelle est assurée par la direction générale des collectivités locales (DGCL), la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), et la Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP). Le contrôle économique et financier est assuré par la DGCL.
Au-delà de ce contrôle de l'État, nous agissons sous le contrôle du Conseil d'administration de l'ANRU. Nos comptes sont vérifiés par un commissaire aux comptes qui, cette année encore, les a certifiés sans réserve ni observation.
Au niveau territorial, les préfets sont nos délégués. Nous entretenons un lien étroit avec ces derniers, qui sont en contact permanent avec les collectivités locales. Ce mode d'organisation est à la fois pertinent et utile, car il allie le niveau national et le terrain. Nous bénéficions également du soutien de 305 ETP dans les Directions Départementales des Territoires (DDT), travaillant sur les programmes de renouvellement urbain pour le compte de l'ANRU.
Les préfets disposent d'une délégation pour signer un certain nombre d'actes au nom de l'ANRU. Ils jouent un rôle crucial dans le pilotage et la mise en oeuvre des projets au quotidien.
La question de l'avenir de l'ANRU et de la création d'un nouveau programme de renouvellement urbain se pose de manière précise. Le gouvernement nous avait confié la mission de formuler des préconisations. Nous avons insisté sur la nécessité pour l'Agence de poursuivre les actions dans les QPV, compte tenu des fragilités socio-économiques persistantes et des dysfonctionnements urbains et environnementaux qui subsistent dans certains territoires.
Le Gouvernement nous avait également interrogés sur la possibilité d'étendre la « méthode ANRU » à d'autres défis et territoires. Dans nos recommandations, nous indiquons qu'il nous apparaît nécessaire de consolider au préalable les dispositifs existants, notamment ceux de l'ANCT et ceux de l'ANAH pour l'habitat privé. Grâce à son expertise, l'ANRU pourrait intervenir, en complément, sur d'autres enjeux ou territoires. Nous l'avons fait avec le PNRQAD pour l'habitat privé dégradé. Néanmoins, notre priorité est bien de poursuivre nos interventions dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, où se concentrent les populations les plus précaires.
M. Patrice Vergriete. - Je souhaite rebondir sur quelques points.
Monsieur le président, vous souligniez dans votre introduction que l'ANRU est l'une des agences les plus connues. Il est important d'en comprendre les raisons.
En tant que maire et président d'intercommunalité, je peux affirmer que les interventions de restructuration lourde dans les quartiers prioritaires seraient impossibles sans l'intervention de l'ANRU. Son soutien est absolument indispensable aux bailleurs, aux aménageurs et aux collectivités locales pour transformer ces quartiers. Des millions d'habitants ont vu leur vie changer grâce aux interventions de l'ANRU. Il n'est pas rare que des gens parlent de « quartiers ANRU » ou de « projets ANRU ». C'est la raison pour laquelle l'Agence est devenue une référence incontournable pour les maires et les présidents d'intercommunalité ; beaucoup considèrent sa présence comme une nécessité absolue dans le paysage urbain.
Vous soulevez par ailleurs la question des territoires prioritaires de l'ANRU. Je suis l'un des co-signataires de la lettre de mission confiée à Cédric Van Styvendael, Jean-Martin Delorme et Anne-Claire Mialot pour réfléchir à l'avenir du renouvellement urbain. En tant que ministre du Logement, je m'interrogeais sur l'opportunité d'étendre la restructuration à d'autres quartiers prioritaires de la ville. L'idée n'était pas de sortir de l'objectif prioritaire que sont les QPV : la politique de la ville demeure notre objectif prioritaire.
Lors d'une récente visite au Franc-Moisin, j'ai pu constater que les besoins de restructuration urbaine restent considérables. Les quartiers relevant de la politique de la ville nécessitent encore de profondes transformations. L'héritage moderniste ne correspond plus aux attentes actuelles de la population ni au fonctionnement d'une ville
Je me suis également interrogé sur la possibilité d'étendre l'expertise de l'ANRU à d'autres contextes urbains. Les centres-villes anciens de villes moyennes présentent parfois un bâti obsolète. L'expertise développée par l'ANRU dans la restructuration des quartiers en difficulté pourrait-elle être utile à ces territoires ? Le rapport mentionne également les zones devant s'adapter rapidement aux changements climatiques. Cette réflexion était sous-jacente dans la lettre de mission. Le rapport a tenté d'y répondre.
Notre intention n'est pas de modifier notre trajectoire prioritaire. L'ANRU reste pleinement mobilisée sur les QPV, où les besoins sont les plus évidents et les plus pressants. Néanmoins, à l'instar de ce que nous avons fait pour le PNRQAD - qui concerne marginalement d'autres quartiers - nous nous interrogeons sur la possibilité d'utiliser notre expertise, notre connaissance et nos relations avec les élus locaux au bénéfice d'autres territoires. L'objectif est d'ouvrir la question et d'en débattre avec les acteurs de territoire.
Je souhaite également insister sur la dimension partenariale de l'Agence. Lors de son audition, Jean-Louis Borloo a dû souligner l'importance des financements d'Action Logement et de la solidarité inter-bailleurs dans le programme de rénovation urbaine. En effet, 90 % du financement provient de ces acteurs via l'USH. L'État est très minoritaire dans le financement de ces programmes. L'ANRU se justifie aussi par cet intense travail partenarial, que je m'attache à faire fonctionner en tant que Président, en veillant notamment aux bonnes relations entre Action Logement, l'USH, l'État et la Caisse des Dépôts. Ce travail se fait aux côtés des collectivités locales qui, bien que n'étant pas directement dans l'ANRU, interviennent dans les projets locaux. Cette approche partenariale est une caractéristique essentielle de l'ANRU qui a permis des avancées significatives.
L'ANRU fonctionne par programmes, conformément à la volonté de Jean-Louis Borloo. Cette approche visait à renforcer la visibilité de l'action publique et la relation partenariale de l'Agence. L'idée d'un programme de renouvellement urbain, avec un début et une fin, une géographie identifiée et un ensemble de projets à mettre en oeuvre avant un éventuel nouveau programme, a donné une forte visibilité à l'action de l'ANRU dans les territoires. Les maires connaissent parfaitement les différents programmes. Cette approche a sans doute contribué à la notoriété de l'Agence que vous évoquiez dans votre introduction.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous remercie. Vous évoquiez la visibilité de l'action publique. L'extension des compétences de l'agence au recul du trait de côte ne nuirait-elle pas considérablement à cette visibilité ? Nous nous éloignons là de la problématique qui a présidé à la création de l'ANRU. Jean-Louis Borloo l'a rappelé : il s'agissait de transformer des grands ensembles conçus comme des cités ouvrières, fermés sur eux-mêmes, pour ouvrir ces quartiers et ainsi éviter qu'ils deviennent des enclaves. La question du recul du trait de côte est d'une tout autre nature.
Madame la directrice générale, vous indiquez que l'ANRU est associé au projet de ville durable. J'avoue avoir du mal à cerner son rôle spécifique. J'ai découvert que l'Agence appartient à une association nommée France Villes et Territoires durables. Cette association compte une vingtaine de membres de nature très diverses, dont le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
Je ressens une volonté de doter l'ANRU de compétences additionnelles pour justifier son existence, car sa mission initiale - transformer de grands ensembles créés dans les années 1960-1970 - arrive à sa fin. Plusieurs villes sont sorties de l'ANRU pour des raisons budgétaires, considérant qu'elles pouvaient financer seules la fin des programmes et qu'il était opportun de concentrer les moyens sur les collectivités moins dotées. Que pouvez-vous répondre à ces remarques sur ce qu'était l'Agence à sa création et ce vers quoi nous pourrions la faire évoluer ?
M. Patrice Vergriete. - L'objectif est de conserver la spécificité de l'ARU sur les territoires de la politique de la ville. Le travail n'est pas terminé, comme en témoigne la situation dans de nombreux grands quartiers d'habitat social. Il suffit de se rendre au Franc-Moisin ou à Marseille pour constater que les enjeux de la politique de la ville nécessitent encore des restructurations importantes.
L'idée n'est pas de changer la vocation de l'ANRU, mais de s'interroger sur la manière dont nous pourrions utiliser l'expertise et le savoir-faire de l'Agence dans les restructurations urbaines lourdes. En tant que ministre du Logement, j'ai soulevé cette question. Je n'ai pas suggéré que l'Agence devrait lancer demain un programme sur le trait de côte ou destiné à d'autres territoires.
J'ai longtemps été président de France Villes et Territoires Durables, avant de devenir ministre. Cette structure a vocation à travailler sur le concept de ville durable à la française. Son objectif est de rapprocher les acteurs d'une vision homogène de ce que peut être une ville durable en France. Lorsque nous procédons à des rénovations lourdes, nous intégrons désormais systématiquement les enjeux de développement durable. Cela inclut l'adaptation au changement climatique, la place accordée aux mobilités douces et, plus généralement, la conception d'une ville durable. France Villes Durables porte cette réflexion auprès de tous les acteurs. Notre vision de la ville durable en France diffère de celle de la Chine ou des États-Unis.
Je précise que France Villes Durables n'est pas un opérateur de l'État, mais une association, qui réunit divers acteurs pour réfléchir à ces concepts et définir les fondamentaux de l'urbanisme durable français.
Lorsque l'ANRU examine des projets de nouvellement urbain, nous évaluons leur cohérence avec les critères de développement durable définis en France. Toute transformation urbaine que nous soutenons intègre nécessairement les principes du développement durable.
Mme Anne-Claire Mialot. - Les interventions de l'Agence se concentrent sur les QPV, pour mettre en oeuvre les programmes de renouvellement urbain. L'exigence de contribution à la ville durable est inscrite dans la loi. Je rappelle que les deux piliers des programmes de renouvellement urbains sont, d'une part, de contribuer à la mixité sociale, et d'autre part, de contribuer à la ville durable pour améliorer la vie des habitants du quartier. Nous respectons la loi à l'origine de notre création. Notre action est circonscrite au périmètre spécifique des QPV.
Le débat sur le futur de l'Agence n'a été ouvert que par la remise d'un rapport, qui formule plusieurs préconisations. J'ignore les recommandations que le Gouvernement souhaitera retenir.
J'insiste : nous intervenons uniquement dans les QPV et, plus particulièrement, dans les 450 quartiers les plus difficiles parmi les 1 500 QPV existants. Ces quartiers concentrent les dysfonctionnements les plus lourds. Nous avons été mandatés pour financer et accompagner les collectivités dans leurs projets de renouvellement urbain.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles ont été les conséquences pour l'agence de la perte de son statut d'opérateur suite à la loi ELAN - hormis le fait que son suivi financier semble désormais plus aléatoire ? En effet, nous avons constaté que l'ANRU n'apparaissait plus dans la liste des établissements publics suivis.
Mme Anne-Claire Mialot. - Dès lors que nous relevons de la comptabilité publique, nous ne faisons plus l'objet d'un contrôle a priori par le comptable public. En tant que directrice générale, j'assume la responsabilité exécutive de l'Agence dans l'engagement et le paiement des dépenses. Ce fonctionnement accélère les paiements et facilite le déploiement des programmes.
Contrairement aux premières informations qui vous ont été remontées, nous sommes toujours soumis à un contrôle économique et financier, assuré par la Direction générale des collectivités locales. Cette dernière produit d'ailleurs un rapport annuel. Je vous invite à auditionner la DCL pour plus de détails sur leurs travaux de contrôle tout au long de l'année.
La Cour des comptes effectue également des contrôles réguliers, comme elle le fait dans toutes les agences de l'État.
Enfin, un commissaire aux comptes certifie chaque année nos comptes.
La loi ELAN a instauré la création d'un comité d'audit, composé d'experts et de représentants du Conseil d'administration. L'instance est chargée de valider annuellement un plan d'audits internes et externes ainsi qu'un plan de contrôle interne. Dans ce cadre, nous effectuons des vérifications quant à l'utilisation des fonds publics alloués aux bailleurs et collectivités locales, en étudiant notamment leur conformité. Nous conduisons également des audits internes sur nos processus de fonctionnement. Le pôle Maîtrise des risques m'est directement rattaché, ce qui me permet de diligenter des audits et des contrôles sur des sujets spécifiques.
Nos tutelles ont été attentives au plan de maîtrise des risques que nous avons déployé. Je m'attache à mettre en oeuvre cette politique de contrôle de la manière la plus exhaustive possible.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En 2024, l'Inspection générale des affaires culturelles a produit un rapport sur la culture dans les QPV. Le document critique l'ANRU pour son action isolée et constate que les bâtiments rénovés sont souvent rapidement dégradés après leur livraison, faute de coordination avec les acteurs socio-culturels locaux. Comment répondez-vous à cette critique ?
Pourquoi l'ANRU n'a-t-elle pas intégré dès sa création un volet d'accompagnement social, à l'instar de l'ancienne Agence nationale pour la cohésion sociale ?
M. Pierre Barros, président. - L'Agence nationale pour la cohésion sociale assurait effectivement un travail d'accompagnement social, reconnaissant l'importance d'associer le renouvellement urbain à un travail auprès des habitants et de leur environnement social. Cette structure s'est transformée, jusqu'à devenir l'ANCT. Pour sa part, l'ANRU s'est concentrée sur le renouvellement urbain et est désormais parfaitement identifiée sur cette activité. Cependant, la question de l'accompagnement social des habitants dans ces quartiers en transformation reste pertinente. Les structures chargées de cet aspect ont évolué au fil du temps. Estimez-vous que ce volet est suffisamment pris en compte ? Selon vous, faudrait-il recréer une structure dédiée à l'accompagnement social ?
Mme Anne-Claire Mialot. - La loi du 1er août 2003 reposait sur deux piliers : le renouvellement urbain et la politique de cohésion sociale. La loi avait cette volonté assemblière, considérant que l'intervention en matière de renouvellement urbain devait s'accompagner de plans de cohésion sociale pour permettre une approche globale et assurer un suivi dans la gestion du quartier.
La loi Lamy de 2014 renforce cette approche et accentue l'articulation entre renouvellement urbain et contrat de ville.
Concrètement, la partie « Politique de la ville » est gérée par l'ANCT, avec une forte délégation aux préfets, chargés de l'animation territoriale des partenariats. L'ANRU se concentre sur la pérennité des interventions de renouvellement urbain. Nous demandons aux collectivités territoriales de travailler des plans de gestion, ensuite présentés en comité d'engagement en vue de valider les financements. Le plan de gestion doit notamment préciser la manière dont le quartier sera entretenu, dont la qualité de vie sera garantie et dont les enjeux de sûreté et de sécurité seront pris en compte.
Dans les quartiers présentant des défis particuliers en matière de sûreté, nous adoptons une approche en trois temps afin que ces enjeux soient pris en compte dans les plans initiaux (prévention situationnelle) puis pendant la phase de travaux et, enfin, dans le plan de gestion post-travaux.
Je n'ai pas souvenir du passage du rapport que vous citez. Quoi qu'il arrive, l'ANRU demande bien aux collectivités d'établir un plan de gestion afin de veiller qu'un suivi sera assuré une fois le programme terminé. Je pense que nous pouvons collectivement nous améliorer sur ce point, car je constate lors de mes déplacements que des quartiers rénovés ne bénéficient pas d'un entretien à la hauteur des investissements réalisés. Il est important de garantir la pérennité des améliorations apportées aux quartiers.
Dans le rapport remis au Gouvernement, nous
préconisons une meilleure articulation avec la cohésion sociale.
Il est crucial d'assurer une meilleure coordination entre nos actions de
renouvellement urbain et les initiatives de cohésion sociale. Nous
finançons des écoles, mais s'il n'y a pas
de professeurs
pour assurer les enseignements, l'intérêt est plus que
limité. Nous devons adopter une approche globale et cohérente
pour maximiser l'impact de nos interventions.
M. Patrice Vergriete. - Les acteurs locaux jouent un rôle primordial dans la mise en oeuvre des projets de renouvellement urbain. L'ANRU valide et soutient les initiatives locales, mais il ne lui revient pas de définir les projets ou d'organiser la concertation avec les habitants. Le rôle de l'Agence est de. Les maires, les présidents d'intercommunalités et les bailleurs sociaux sont en première ligne sur ces sujets. En tant que maire, il est de ma responsabilité d'articuler les transformations urbaines et le volet social, de suivre l'engagement des bailleurs sociaux, d'impliquer les habitants ou encore d'interpeller l'État ou l'ANRU.
Bien sûr, l'ANRU vérifie lors des comités d'engagements que les projets intègrent la participation des habitants et les enjeux de gestion urbaine de proximité. Pour autant, la réalisation concrète relève des acteurs de terrain. L'ANRU impose l'implication des habitants dans le projet, mais il revient aux acteurs locaux de la mettre en oeuvre. Le comité d'engagement valide des projets qui émanent de ces parties prenantes. L'ANRU n'a jamais été là pour se substituer aux acteurs locaux et au suffrage universel des élections municipales.
M. Pierre Barros, président. - L'ANRU est un acteur exceptionnel pour réparer la ville lorsque cela est nécessaire. Si les objectifs politiques sont parfois discutables, ces grands ensembles traduisent l'histoire de la France d'après-guerre. Il est important de les aborder avec respect, tant vis-à-vis des décisions antérieures que vis-à-vis des habitants qui ont construit leur vie dans ces quartiers.
Qu'advient-il une fois le projet terminé ? L'ANRU offre un accompagnement important dans la gestion humaine de proximité et l'ingénierie, qui ne pourrait pas se mettre en oeuvre sans le programme. Une fois le projet fini, la collectivité n'est pas nécessairement en mesure de maintenir seule un tel niveau d'intervention. L'ANRU aide à réparer le quartier et participe à favoriser la mixité sociale en attirant les classes moyennes. Ces projets modifient en profondeur les données socio-économiques de la collectivité. Paradoxalement, la réussite du programme peut créer des difficultés, notamment si la commune n'est plus éligible à des dispositifs d'aides - la dotation globale de fonctionnement, par exemple. La démarche est positive, mais peut avoir pour conséquence de dégrader financièrement la collectivité. La rénovation urbaine emporte des changements profonds. Dans votre lettre de cadrage, portez-vous cette réflexion sur l'accompagnement des collectivités et des quartiers dans « l'après-ANRU » ? Le sujet est majeur pour l'avenir de nos politiques urbaines.
Mme Anne-Claire Mialot. - Cet aspect est fondamental, car le programme promet d'améliorer durablement la vie des habitants du quartier, au moins en ce qui concerne leur cadre de vie.
Dans la construction des politiques publiques, le suivi post-programme relève du contrat de ville passé entre l'État, la collectivité et l'ensemble des parties prenantes. Le financement de l'ANRU se limite strictement à la durée du programme, de l'élaboration du projet à sa conclusion. Nous n'intervenons pas dans la gestion quotidienne, qui relève de la responsabilité du maire et s'inscrit dans le cadre du contrat de ville - si le quartier reste en zone prioritaire.
Nous pouvons envisager d'autres modalités de fonctionnement, mais les modalités actuelles sont celles-là. Il me semble que sur les territoires dans lesquels les collectivités sont engagées, en collaboration avec l'État, les choses progressent de manière satisfaisante.
M. Patrice Vergriete. - Le principe même d'un programme est d'avoir un début et une fin. Cette approche permet de justifier clairement l'utilisation des fonds, notamment ceux provenant de partenaires comme Action Logement. Votre question sur ce qu'il advient à la fin de l'accompagnement de l'ANRU est toutefois légitime. Selon moi, elle soulève en réalité la problématique plus large du fonctionnement normal de la gestion d'une ville, entre une commune et une intercommunalité.
Prenons l'exemple de Dunkerque, où je suis à la fois maire et président de l'intercommunalité. Nous engageons des programmes ANRU. À Saint-Paul-sur-Mer, les changements sont substantiels, y compris en termes d'équilibre démographique. L'intercommunalité joue un rôle crucial, en mettant en place des mécanismes de solidarité vis-à-vis de la commune. Nous projetons l'arrivée de 20 000 emplois sur le territoire dunkerquois, ce qui suppose de construire des écoles et des logements - notamment sociaux. L'intercommunalité a mis en place un dispositif pour accompagner ces communes et les aider à faire face à ces défis.
Le territoire réel de la ville dépasse souvent les frontières administratives communales. L'ANRU intervient sur un projet bien défini ; la suite s'inscrit dans le droit commun du rapport entre la commune et l'intercommunalité.
Mme Pauline Martin. - Pourriez-vous nous fournir des informations pratiques sur votre budget, le nombre d'agents ou encore le statut de l'Agence ?
M. Hervé Reynaud. - Madame la directrice générale, lors de votre nomination, vous faisiez part de votre volonté de rester fidèle aux ambitions qui ont présidé à la création de l'ANRU. Pensez-vous y être parvenue ? Jean-Louis Borloo constate des évolutions notables. La rénovation urbaine n'est plus la grande cause nationale qu'elle pouvait être. Au fil des ans, j'ai ressenti une forme de bureaucratie et de complexification des échanges avec les territoires. Ne pensez-vous pas que l'ANRU est à la croisée des chemins ? Dans quelle mesure pouvons-nous rendre plus efficace l'action de l'Agence ?
M. Pierre Barros, président. - Quelle suite a été donnée au rapport rendu au Gouvernement ?
Les petites et moyennes collectivités peuvent-elles bénéficier de vos interventions ? Je pense notamment aux communes de moins de 10 000 habitants confrontées à des problèmes d'habitat dégradé nécessitant une rénovation, qui cherchent activement des moyens pour réaliser ces projets.
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que votre champ d'action se limite trop à l'urbanisme ?
M. Christian Bilhac. - L'urbanisme ne se limite pas au bâti : il doit appréhender la manière de vivre ensemble sur un territoire. Ne vous êtes-vous pas enfermés dans une vision de l'urbanisme qui se limite à l'habitat ?
À Montpellier, nous dynamitons des tours d'un côté, tout en inaugurant l'Arbre blanc de l'autre.
La Paillade est le quartier sensible. Il y a 40 ans, la mixité sociale y était extraordinaire, tout le monde se battait pour y vivre. Nous attribuons les difficultés actuelles à l'habitat, alors qu'il n'a pas changé. Des quartiers avec une architecture similaire ne rencontrent pas les mêmes problématiques. Nous passons à côté de quelque chose si nous nous concentrons sur l'aspect architectural. Il est essentiel d'élargir notre perspective pour comprendre pleinement les enjeux urbains.
M. Michaël Weber. - Les habitants du territoire mosellan ne comprennent pas les disparités qui existent entre deux collectivités voisines du fait des seuils d'éligibilité. D'un côté, des communes telles que Behren-lès-Forbach bénéficient d'actions et de moyens substantiels de la part de l'État, leur permettant d'opérer des changements significatifs. D'un autre côté, les communes voisines de Farébersviller et Théring n'ont pas pu bénéficier d'un accompagnement qu'elles réclament à cor et à cri. Je trouve choquant de constater de telles disparités, alors que ces collectivités font face aux mêmes problématiques. L'incompréhension de la population est forte. Nous devons nous interroger sur l'action menée afin que celle-ci soit plus juste et plus efficace.
Mme Anne-Claire Mialot. - Le NPNRU représente un investissement total de 12 milliards d'euros, comprenant 10,8 milliards d'euros de subventions pures et 3,3 milliards d'euros de prêts - considérés comme équivalents à 1,2 milliard d'euros de subventions. L'utilisation de ces 12 milliards d'euros s'étend sur une période de dix à quinze ans, selon les projets. L'année 2024 a été une phase active du programme, au cours de laquelle nous avons engagé un milliard d'euros.
Sur les 10,8 milliards d'euros de subventions, 250 millions sont alloués au fonctionnement de l'Agence pour l'ensemble de la durée du NPNRU. Notre budget annuel de fonctionnement oscille entre 22 et 24 millions d'euros selon les années, dont 14 millions d'euros de masse salariale. Ces chiffres sont présentés en toute transparence dans notre budget.
Nous comptons 135 ETP à l'échelon national, dont 115 ETP dédiés aux politiques de renouvellement urbain. Les 20 ETP restants sont affectés à la mise en oeuvre de programmes complémentaires, principalement les PIA, qui autofinancent les postes correspondants. La Direction financière concentre une cinquantaine de personnes. Ce volume reflète l'importance de nos fonctions d'engagement et de contrôle. Les autres profils sont majoritairement des experts - architectes, urbanistes, ingénieurs - chargés d'accompagner et de conseiller les collectivités territoriales dans leurs projets.
Au regard du budget que nous gérons, le nombre d'ETP en central reste relativement faible.
L'État estime qu'environ 300 ETP au sein des DDT et DREAL participent au pilotage de la politique de renouvellement urbain. Notre système s'appuie fortement sur le niveau territorial, pour la validation des dépenses et la vérification du service fait, en collaboration étroite avec les préfets et les services déconcentrés de l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je constate une légère divergence dans les chiffres que vous présentez. Le budget initial 2024 de l'ANRU porté à notre connaissance ne mentionne pas 22 millions d'euros de charges, mais 30 millions d'euros, constitués de 14,4 millions d'euros de charges de personnel et 15,7 millions d'euros de charges de fonctionnement.
Mme Anne-Claire Mialot. - Je vous prie de m'excuser pour cette confusion. La différence s'explique par le fait que je vous ai présenté le solde net, en tenant compte des refacturations sur les PIA.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les sommes refacturées sur les programmes d'investissement d'avenir sont supportées par les contribuables.
Mme Anne-Claire Mialot. - Il est important de distinguer le périmètre global de l'Agence et celui spécifique au NPNRU. Les 23 millions d'euros de frais de fonctionnement nets mentionnés concernent uniquement le programme NPNRU pour cette année. Nous avons d'autres frais de fonctionnement liés aux PIA. Nous vous fournirons les chiffres détaillés pour clarifier cette répartition.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sur ce même périmètre, j'ai noté 2,1 milliards d'euros de charges d'intervention. Ce montant correspond-il aux engagements ?
Mme Anne-Claire Mialot. - Ces 2,1 milliards d'euros représentent les engagements, et non les paiements. Nous avons payé 975 millions d'euros, mais en avons engagé 2 milliards. Le tableau transmis inclut les charges d'intervention qui, en comptabilité privée, correspondent aux engagements. Cela explique la différence que vous releviez. Nous ne sommes pas un opérateur classique de l'État ; les éléments ne sont pas exactement les mêmes en comptabilité publique et en comptabilité privée. Ce statut particulier a nécessité quelques adaptations dans la présentation de nos comptes pour répondre au format demandé dans votre questionnaire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pouvez-vous préciser vos propos, lorsque vous indiquez que l'État « estime » que 300 ETP participent au pilotage de la politique de renouvellement urbain ? Si un agent consacre 50 % de son temps au programme ANRU et 50 % au programme ANAH, nous devrions être en mesure de le déterminer avec exactitude.
Mme Anne-Claire Mialot. - Je m'excuse pour l'utilisation inappropriée du terme « estime ». Une enquête précise est réalisée chaque année auprès des services de l'État pour établir le nombre exact d'ETP affectés à nos missions. Pour l'année écoulée, ce volume s'établit à 305 ou 310 ETP. Nous vous transmettrons le tableau détaillé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces ETP ne sont pas à votre charge ?
Mme Anne-Claire Mialot. - Non, ces emplois sont gérés par les services de l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comptez-vous des fonctionnaires parmi vos effectifs ? Si oui, dans quelle proportion ?
Mme Anne-Claire Mialot. - Notre effectif est composé majoritairement de salariés de droit privé, qui représentent 84 % du total. Les 16 % restants sont des fonctionnaires en détachement, principalement en CDI. Je pourrais vous communiquer des réponses plus détaillées sur ce point.
M. Pierre Barros, président. - Comment les effectifs ont-ils évolué depuis 2003 ?
Mme Anne-Claire Mialot. - Les effectifs se sont accrus en 20 ans. La principale hausse est due à l'internalisation de la comptabilité publique, auparavant gérée par l'agence comptable. Cette évolution s'est poursuivie progressivement. Une centaine de personnes a toujours été affectée aux programmes PNRU.
Mme Pauline Martin. - Un calcul simple de 40 millions d'euros divisés par 135 ETP donne une moyenne de 100 000 euros par salarié. Comment justifiez-vous ce montant ?
Mme Anne-Claire Mialot. - La masse salariale inclut les cotisations patronales. Je ne pense pas que notre agence présente des problématiques particulières en termes de rémunération. Nous pourrons vous transmettre les données de masse salariale plus précises.
Lors de ma nomination, j'avais fait part de ma volonté de respecter les grands enjeux de l'ANRU. L'objectif était de déployer rapidement les programmes dans les quartiers prioritaires de la ville afin d'atteindre les objectifs fixés pour 2026. Il s'agissait aussi d'améliorer la vie des habitants, de favoriser la mixité sociale et de promouvoir la construction durable. Je crois que l'Agence - et vous avez été plusieurs à le dire - a montré sa capacité à porter et mettre en oeuvre des projets ambitieux. Je suis satisfaite du travail accompli par nos équipes sur le terrain.
Depuis ma prise de fonctions il y a trois ans, nous avons travaillé à la simplification des procédures et à une meilleure articulation avec les autres opérateurs, notamment dans le cadre de l'initiative « Quartiers résilients ». Nous avons également renforcé nos coopérations avec l'Ademe. A Behren-lès-Forbach, nous avons travaillé en étroite collaboration avec l'Ademe pour financer à la fois l'expansion du réseau de chauffage urbain et la réhabilitation des logements. L'objectif est ainsi d'adopter une approche globale et cohérente.
Comme nous l'avons indiqué dans le rapport sur l'avenir du renouvellement urbain que nous avons remis au Gouvernement, des améliorations restent possibles en termes de simplification, de différenciation selon les territoires et d'efficacité collective.
Je connais bien le quartier de la Paillade. Les raisons de son vieillissement prématuré sont multiples. Certains quartiers ont été construits hâtivement et se sont rapidement dégradés. D'autres n'ont pas réussi à trouver un mode de fonctionnement adéquat. L'ANRU intervient alors pour résoudre des dysfonctionnements urbains. L'urbanisme de dalle était considéré comme l'avenir dans les années 1960, mais il présente aujourd'hui de nombreux défauts.
Les interventions de l'ANRU ne se limitent pas à l'habitat. Notre action aborde la transformation urbaine dans son ensemble : habitat, équipements publics, aménagements urbains. Cette approche globale nous permet d'apporter des changements significatifs aux collectivités et aux quartiers concernés.
Nous intervenons uniquement dans les QPV, dont la définition même repose sur des notions de seuil. Dans le premier programme, l'ANRU pouvait intervenir sur des opérations isolées, plus ponctuelles, dans des quartiers plus petits. Certains suggèrent que l'Agence pourrait travailler sur ces sujets à l'avenir. Une telle orientation nécessiterait toutefois un nouveau programme, qui n'est pas encore décidé. Actuellement, nous nous concentrons sur les 448 quartiers pour lesquels nous avons été mandatés.
M. Patrice Vergriete. - En tant que maire, j'admets qu'il est parfois difficile d'accepter les décisions prises en comité d'engagement par les partenaires nationaux qui financent nos projets via l'ANRU. Pour autant, le passage devant le comité d'engagement nous oblige à être opérationnels, à réfléchir à des éléments précis du projet et à approfondir les explications. Je ne suis pas certain que nos résultats seraient aussi opérationnels sans ce process. Cette exigence d'explication et de preuve d'opérationnalité me semble être de nature à favoriser les démarches postérieures au passage devant le comité d'engagement.
Il est toujours possible d'assouplir certains aspects. Des mesures ont d'ailleurs été prises en ce sens, notamment en reportant certaines décisions à l'échelon préfectoral plutôt qu'en comité d'engagement. Néanmoins, pour les opérations importantes et les changements majeurs dans les projets, l'obligation de justifier les transformations reste cruciale.
Lorsque j'échange avec des maires insatisfaits de la procédure en comité d'engagement, beaucoup admettent finalement qu'ils n'avaient peut-être pas intégré certains éléments d'explication essentiels. Je ne crois pas que la complexité et la bureaucratisation soient si importantes. L'ANRU est l'une des structures dans lesquelles je ressens le moins ces phénomènes.
Au-delà de l'habitat, l'ANRU aide à repenser le fonctionnement global d'un quartier et son intégration dans l'agglomération. Cette approche est cruciale, car de nombreux problèmes découlent précisément du manque de connexion entre un quartier et le reste de l'agglomération.
Vous avez raison de souligner que l'ANRU ne constitue pas à elle seule la politique de la ville. Elle en est un élément essentiel, focalisé sur la rénovation urbaine. La rénovation urbaine est un processus complexe et pluriannuel, qui implique de multiples partenaires. La forte dimension technique de l'Agence n'épuise pas l'intégralité des enjeux de la politique de la ville. Les questions d'éducation, de sécurité, d'emploi, de formation et de gestion de proximité peuvent être abordées dans le cadre de l'ANRU, mais ne s'y limitent pas. Le droit commun et le contrat de ville doivent apporter les éléments complémentaires au programme de rénovation urbaine pour que celui-ci soit un succès.
Le choix de la géographie d'intervention n'appartient pas à l'ANRU, mais à l'État. En tant que ministre du Logement, j'avais souhaité ouvrir une réflexion sur l'opportunité de mobiliser l'expertise de l'Agence dans d'autres territoires. Je pensais notamment aux petites communes ou aux centres-villes de taille moyenne, où le savoir-faire de l'ANRU pourrait s'avérer bénéfique. Cette question a ensuite été reprise dans le rapport.
Nous avons toujours veillé à associer les grands projets à des projets de moindre envergure, essentiels à la structuration urbaine. Cette approche pourrait constituer une recommandation pertinente pour un éventuel ANRU 3, que j'appelle de mes voeux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En vous orientant vers des territoires plus restreints, ne risquons-nous pas d'empiéter sur le domaine de compétences de l'ANCT, tel que nous le concevons ? Comment allons-nous gérer cette potentielle confrontation d'acteurs intervenant sur des objets similaires ? Cette situation nous ramène invariablement à la question de la lisibilité de l'action publique.
M. Patrice Vergriete. - L'ANCT, à travers le programme Action Coeur de Ville, traite effectivement la question des contrats de ville. En complément, nous pouvons envisager que l'ANRU intervienne sur des projets de restructuration lourde. J'insiste sur la notion de restructuration lourde, qui suppose des interventions d'une ampleur supérieure à celles observées dans le cadre d'Action Coeur de Ville ou des contrats de ville classiques.
Dans certains territoires confrontés à un bâti très obsolète, où la réhabilitation s'est avérée insuffisante malgré plusieurs tentatives, une restructuration en profondeur pourrait s'imposer. Il ne s'agirait pas d'intervenir sur des centaines de territoires, mais sur quelques-uns qui nécessiteraient plus qu'une simple réhabilitation ou rénovation. La restructuration lourde doit-elle se limiter exclusivement aux QPV ? Cette approche reste indispensable et prioritaire pour les quartiers prioritaires de la ville, mais existe-t-il en France d'autres quartiers nécessitant une restructuration plus conséquente que ce que peuvent offrir actuellement l'ANCT, Action Coeur de Ville ou des dispositifs similaires ? Cette réflexion m'habitait lorsque j'étais ministre du Logement. C'est une question que je soumets, sans y apporter de réponse définitive.
M. Pierre Barros, président. - Je vous propose d'en rester là. Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Marc Chappuis (en visioconférence), préfet des Alpes-de-Haute-Provence, et Philippe Court, préfet du Val d'Oise
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui MM. Marc Chappuis - en téléconférence -, préfet des Alpes-de-Haute-Provence, et Philippe Court, préfet du Val-d'Oise, pour leur témoignage sur la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
M. Marc Chappuis, vous avez été directeur ou directeur adjoint de cabinet de plusieurs ministres chargés de la cohésion des territoires entre 2017 et 2022. M. Philippe Court, vous étiez entre 2018 et 2020 directeur de cabinet de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Vous avez donc été tous deux témoins et acteurs de la création de l'ANCT, dont nous avons reçu les dirigeants actuels voilà deux semaines.
Par la suite, vous avez repris des postes dans l'administration préfectorale, ce qui vous permet de voir concrètement comment se passe l'action de l'ANCT dans des territoires aussi différents que les Alpes-de-Haute-Provence et le Val-d'Oise. Nous en avons eu un aperçu vendredi dernier lors d'un déplacement dans ce dernier département, où le préfet Philippe Court était présent.
Notre mission a un périmètre large, puisqu'elle porte sur les missions des agences, des opérateurs et des organismes consultatifs. Nous nous demandons dans quelle mesure la création d'agences permet de réaliser de manière plus efficace des tâches qui pourraient être effectuées par d'autres acteurs, tels que l'État central, les services déconcentrés ou les collectivités territoriales.
Cette question se pose tout particulièrement pour l'ANCT ; je vous demanderai donc de nous expliquer quels choix ont été faits lors de la création de cette agence.
Le rapport de préfiguration de Serge Morvan était très ambitieux et prévoyait d'intégrer l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) et l'Agence du numérique, tout en se rapprochant progressivement d'autres opérateurs tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), voire Atout France et Business France. Pourquoi cette option n'a-t-elle pas été retenue ? Cela aurait sans doute été plus difficile, mais n'aurait-on pas gagné du temps ? Le directeur général du Cerema plaide aujourd'hui pour poursuivre vers une plus grande intégration de certaines de ces agences.
Par ailleurs, même à une échelle moins vaste, quelles ont été les difficultés rencontrées lors de la création de l'ANCT, avec la fusion de plusieurs entités existantes ? Le rapprochement des missions et des services est-il allé aussi vite que vous l'aviez prévu ? D'une manière générale, pensez-vous que l'ANCT a trouvé ses marques suffisamment rapidement auprès des collectivités territoriales ? Sinon, quelles leçons pourrions-nous en tirer ?
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite tous deux à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Marc Chappuis et Philippe Court prêtent serment.
M. Marc Chappuis, préfet des Alpes-de-Haute-Provence. - Ce témoignage est celui du préfet d'un département rural éloigné de Paris, où l'attente vis-à-vis de l'État est particulièrement forte, notamment en ce qui concerne l'accompagnement des projets locaux. Mon département comprend 198 communes, dont 90 % comptent moins de 1 500 habitants. J'ai consacré cinq années à l'aménagement du territoire au sein du ministère de la cohésion des territoires et douze en collectivité, notamment dans des fonctions de direction générale. Mon expérience me permet donc d'avoir un regard à la fois sur l'État et sur les collectivités.
En introduction, je souhaiterais revenir sur la genèse de la création de l'ANCT.
En mai 2017, le président de la République décide de relancer une politique d'aménagement du territoire et, en juillet de la même année, annonce au Sénat la création de l'ANCT. Cette initiative visait à répondre aux critiques récurrentes adressées à l'État, qui était accusé d'avoir abandonné toute velléité en la matière.
Le rapport d'information des sénateurs Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, publié en mai 2017, s'ouvrait sur une question : « Qu'est-ce que l'aménagement du territoire aujourd'hui ? » et se concluait par un constat sévère : « Depuis les années 1990, force est de constater que l'État a abandonné toute ambition en matière d'aménagement du territoire ». Ce diagnostic appelait une action vigoureuse pour « réinventer » une politique ambitieuse.
Il était également reproché à l'État d'être déconnecté des réalités locales, en fonctionnant fréquemment par appels à projets. Cette approche incitait les collectivités à se conformer aux priorités de l'État plutôt que de mettre en oeuvre leurs propres priorités.
La loi du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires précise que l'Agence a pour mission principale d'apporter aux collectivités une aide en ingénierie, mais aussi de porter les initiatives de l'État en matière d'aménagement du territoire. À cette époque, quatre grandes transformations étaient mises en avant : démographique, écologique, numérique et économique. Selon l'État, c'était à l'Agence d'apporter des réponses adaptées à ces enjeux.
Qu'a apporté l'Agence de nouveau ? Ayant, comme Philippe Court, été très directement associé à la conception et à la création de cette agence, je pense que son originalité réside avant tout dans son rôle d'« opérateur d'opérateurs ». En effet, l'Agence dispose de moyens propres limités, et l'essentiel des moyens qu'elle injecte dans les territoires provient des opérateurs avec lesquels elle contractualise. Par exemple, le programme Action Coeur de ville est le fruit d'un partenariat entre Action Logement, la Banque des territoires, l'ANAH, ainsi que les crédits de droit commun de l'État, dont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
L'ANCT joue ainsi son rôle en défendant une logique partenariale et contractuelle avec les collectivités. Elle part des besoins spécifiques du territoire et, en réponse, montre que les moyens existent : ils sont « sur étagère ». La répartition n'est pas effectuée a priori, mais offre, en fonction de la dynamique des projets portés par chaque collectivité, la possibilité d'accéder à des ressources considérables. Les collectivités engagées dans ces programmes l'ont bien compris, obtenant bien plus de crédits que ce qu'elles auraient pu espérer avec une répartition mécanique ou arithmétique.
Autre originalité : l'ANCT s'appuie sur le réseau territorial des préfets et des directions départementales des territoires (DDT), ce qui permet de donner toute sa dimension à l'État déconcentré et au rôle d'« effecteur » des préfets de département.
Ces caractéristiques distinguent l'Agence de trois autres types d'opérateurs : certains, comme l'Ademe ou les agences de l'eau, disposent de fonds à répartir ; d'autres, à l'instar du Cerema, dispensent aux collectivités des conseils et expertises techniques ; d'autres encore, tels que l'Office français de la biodiversité (OFB), exercent des fonctions régaliennes.
L'ANCT a plutôt été construite comme un « opérateur trait d'union » entre l'État et les collectivités territoriales. Pour ce faire, elle bénéficie d'un certain nombre de moyens d'action, hérités des opérateurs qui la composent.
En premier lieu, l'Agence possède une connaissance très fine des dynamiques territoriales, acquise au fil des décennies, notamment grâce à la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar) et à l'utilisation des cartographies.
En second lieu, elle détient une forme d'expertise souvent assez peu considérée : celle de la relation avec les collectivités territoriales et du travail avec celles-ci. Cette expertise est garantie par la structure de son conseil d'administration, qui réunit toutes les collectivités, et surtout par l'usage du contrat. Les contrats de plan, les contrats de ville et les programmes que l'Agence déploie reposent tous sur une logique contractuelle. On définit des objectifs communs, on part des réalités du territoire, puis on met en place, sur plusieurs années, les conditions pour atteindre ces objectifs. Cette logique différenciée contraste avec celle où des moyens sont injectés à partir d'une vision de l'État pour un territoire, sans véritable alliance entre l'État et les collectivités.
L'ANCT fait ainsi preuve d'originalité et de modernité, mais aussi de sobriété, puisqu'elle ne compte que quelques centaines d'agents.
J'en viens au bilan de l'action de l'Agence, cinq ans après sa création.
En tant que préfet de département, je constate que l'Agence est bien reconnue par les élus locaux, grâce aux programmes qu'elle a déployés et qui bénéficient à de nombreuses collectivités. Je citerai France Services, le New Deal mobile et les programmes territorialisés comme Action Coeur de ville, Petites Villes de demain ou Villages d'avenir.
L'ANCT est aussi très appréciée pour son soutien sur mesure en ingénierie, qui est gratuite pour les petites communes rurales - dans les Alpes-de-Haute-Provence, elles en ont largement bénéficié.
Dans une perspective plus large, on peut dire qu'en cinq ans l'Agence a permis d'orienter beaucoup plus de moyens nationaux vers les territoires, en particulier les zones rurales, perçues - à tort ou à raison - comme étant moins bénéficiaires des crédits nationaux. Même si beaucoup reste à faire, l'approche partenariale me semble comprise par les collectivités.
Si l'on examine l'aspect strictement local de l'État, je constate que les programmes proposés par l'Agence ont joué un rôle très structurant pour des services territoriaux comme les DDT. Celles-ci sont de plus en plus engagées dans l'accompagnement des projets, plutôt que de se limiter à une approche purement réglementaire qui avait pris le dessus depuis plusieurs années.
Historiquement, les DDT assuraient cet accompagnement à travers l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat), mais cela a été supprimé à la suite de plusieurs réformes de l'État territorial. Aujourd'hui, les agents des services habitat, risques ou planification, soutiennent de nombreux projets.
J'oserai une analogie : une telle démarche permet d'être sur l'adret de l'action administrative, et non simplement sur l'ubac. Dans un département de montagne, cette image prend tout son sens : l'État, souvent critiqué pour son approche excessivement normative et réglementaire de l'action publique, retrouve à travers ces programmes une dynamique plus motivante pour les équipes, qui peuvent se positionner comme des partenaires de la réussite des projets, en termes non seulement d'investissement, mais aussi, et surtout, d'ingénierie.
M. Philippe Court, préfet du Val-d'Oise. - J'apporterai un témoignage de praticien, nécessairement influencé par ses fonctions dans le département du Val-d'Oise, très urbain, mais aussi rural - en particulier le Vexin ou la Plaine de France.
Comme vous l'avez mentionné, j'ai été directeur de cabinet de la ministre de la cohésion des territoires. Ingénieur de formation, j'ai commencé ma carrière à la fin des années 1990 à la tête du service d'ingénierie publique au sein d'une direction départementale de l'équipement (DDE).
À l'époque, l'essentiel de mon activité consistait à travailler non pas à côté des collectivités, mais pour elles, en étant maître d'oeuvre, conducteur d'opérations, assistant à la maîtrise d'ouvrage. Nous réalisions, entre autres, l'aide technique à la gestion communale (ATGC), qui a précédé l'Atesat. Par la suite, j'ai occupé des postes tant au niveau central, notamment dans des fonctions chargées de la tutelle des établissements publics, qu'au niveau territorial.
Nous, les agents de l'État, avons été formés avec cette vision, très présente dans les années 1990, de la nécessité de transformer l'État en un État stratège. À cette époque, le mot d'ordre, particulièrement marquant, était que l'État devait se concentrer sur ses fonctions stratégiques. Lorsqu'il s'agissait de mettre en oeuvre des actions plus concrètes, des opérateurs étaient censés s'en charger, que ce soit des démembrements de l'État via des établissements publics ou des agences, des acteurs décentralisés comme les collectivités ou encore des acteurs du secteur privé.
Cette vision de l'État stratège s'appuyait à la fois sur la théorie de la nouvelle gestion publique, fortement influencée par des modèles étrangers, et sur d'autres théories, comme celle du polycentrisme de l'action publique, qui soutenait l'idée qu'il fallait multiplier les perspectives, publiques ou privées, sur un projet pour en saisir pleinement la portée.
Au cours des dix dernières années, on a observé un mouvement de balancier, au motif que l'efficacité n'est pas toujours synonyme d'une approche thématique, spécialisée et « verticalisée », qui, certes, permet des processus plus industriels, plus efficaces et moins coûteux. L'efficacité doit désormais tenir compte de certaines évolutions dans la conduite de nos projets.
Première évolution : les projets, publics ou privés, sont devenus bien plus complexes qu'auparavant. Il fut un temps où un projet pouvait être conduit selon un prisme, une réglementation ou un mode de financement. Aujourd'hui, on constate la forte interaction entre tous les volets des politiques publiques. Par exemple, lorsqu'on réalise une étude d'impact ou une évaluation environnementale, il faut examiner l'ensemble des effets d'une décision publique sur son environnement.
Cette complexification s'est accompagnée d'une accélération du rapport au temps, sous l'influence des quatre grandes transformations mentionnées par Marc Chappuis : démographique, écologique, numérique et économique. La puissance publique, comprenant aussi bien l'État que les collectivités locales, n'est plus le maître des horloges ; elle doit s'adapter aux évolutions et accompagner ceux qui en ont besoin.
Deuxième évolution, qui a atténué la nécessité de spécialiser l'intervention publique : le besoin de proximité. La création de l'Agence s'est produite presque simultanément avec la crise des « gilets jaunes », qui a mis en évidence ce besoin immense de proximité. Cette proximité, qui ne se limite pas à la seule dimension physique, implique d'être en mesure d'apporter, tout en respectant des principes communs - la Nation française est très attachée au principe d'égalité - des réponses différenciées en fonction des territoires, des situations ou des individus. C'est là tout l'enjeu de la différenciation. La proximité consiste aussi à être capable de moduler, d'assouplir ou d'adapter les politiques publiques.
Troisième évolution, le besoin de responsabilité. Entreprises, associations, particuliers, collectivités : tous les acteurs souhaitent qu'une personne clairement identifiable porte la responsabilité d'une décision publique et que cette personne soit également redevable, au sens de sa capacité à rendre compte et à opérer des modifications de trajectoire pour l'avenir. Le besoin de proximité irrigue désormais toutes les relations que nous avons avec les collectivités locales et les entreprises, y compris les plus grandes d'entre elles.
Quatrième évolution, enfin, le souci de lisibilité. Les acteurs ont besoin de savoir qui fait quoi, mais, surtout, de percevoir le sens de ce qui est fait. Une approche trop thématique, ou trop verticale, rend parfois l'action conduite difficilement compréhensible.
Finalement, le rôle de la puissance publique ne change pas fondamentalement : il consiste toujours, pour un lieu et un moment donné, à définir ce qui fait l'utilité publique. Et, pour cela, il faut peser l'ensemble des avantages et des inconvénients, faire un choix, l'expliciter et l'assumer.
L'ANCT a été conçue pour répondre de façon originale à ces aspirations d'efficacité, de lisibilité et de responsabilité avec, dès le départ, l'affirmation forte du préfet en tant que guichet unique. L'Agence est un opérateur original, à vocation ensemblière, dont la première mission est de concevoir des programmes, c'est-à-dire de faire dialoguer des politiques publiques a priori assez éloignées les unes des autres - je pense par exemple aux programmes concernant les cités éducatives, France Services ou Action Coeur de ville.
L'Agence est également un centre de ressources, qui fait certes beaucoup pour la cohésion des territoires ruraux - mon collègue Marc Chappuis en a parlé -, mais qui agit aussi pour les territoires urbains dans le cadre de la politique de la ville.
Je signale aussi que, lors de la création de l'ANCT, tout a été mis en oeuvre pour éviter une discontinuité d'action entre la nouvelle agence et les dispositifs précédents, sans perdre deux ans à monter la structure.
Au fond, l'ANCT est un opérateur destiné à soutenir l'action de l'État, notamment dans son côté le plus opérationnel, le « dernier kilomètre ». Cela explique aussi les choix qui ont été faits initialement : la tutelle de la direction générale des collectivités locales (DGCL), le préfet comme délégué territorial. Elle n'a pas forcément à communiquer sur elle-même.
Parmi les programmes déployés par l'Agence, plusieurs apparaissent comme des réussites : France Services, les cités éducatives, Action Coeur de ville, Petites Villes de demain ou encore le mouvement de déploiement des tiers lieux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quand vous évoquez l'État stratège, n'y a-t-il pas un fossé entre le rôle majeur que jouait jadis la Datar en matière d'aménagement du territoire et les programmes Action Coeur de ville ou Petites Villes de demain ?
M. Philippe Court. - Nous avons tous été nourris par les grandes heures de la Datar, mais, s'agissant du rôle de l'État dans l'aménagement du territoire, il me semble qu'il convient de distinguer trois périodes.
On a commencé, après la guerre, par la grande époque de l'État ingénieur. Depuis Paris, armé de son expertise technique, il savait ce qui est bon pour le pays. Dans son rôle de planificateur national, de penseur et de stratège, la Datar disposait de moyens d'action très puissants, mis au service d'une approche qui était toutefois très directive.
Est venu ensuite le temps de la décentralisation : l'État s'est alors mué davantage en juriste. Chargé de répartir au mieux les compétences, il était guidé par l'idéal du jardin à la française.
Aujourd'hui, il me semble que nous sommes engagés dans une troisième période. Les enjeux de cohésion des territoires sont sans doute moins visibles, mais toujours aussi présents. De surcroît, ils varient selon les lieux. C'est un peu le temps de l'État agronome, qui soutient l'agriculture là où il est nécessaire de le faire, qui accepte aussi de ne pas intervenir quand tout se passe bien.
Au final, la logique a quelque peu évolué, elle est devenue plus contractuelle, mais jamais l'État, sous ses différentes facettes, n'a été aussi présent dans les politiques rurales et les politiques de cohésion des territoires.
M. Marc Chappuis. - Le temps de l'État « datarien » est en effet révolu. Dans un contexte post-décentralisation, le défi est aujourd'hui pour lui de gérer des sujets complexes avec les collectivités. La question de la méthode a toujours été centrale, mais, si j'osais une analogie, je dirais que l'ANCT est aujourd'hui devenu l'opérateur par excellence de la loi 3DS - différenciation, déconcentration, décentralisation et simplification.
Différencier, c'est considérer qu'une approche sur mesure, adaptée aux besoins et aux caractéristiques d'un territoire, ne constitue pas une atteinte au principe d'égalité républicaine. Par exemple, dans le département très rural où j'exerce, les collectivités ont un fort besoin d'appui en ingénierie.
Déconcentrer et décentraliser, c'est considérer que l'État n'est plus le seul à pouvoir agir, comme dans les années 1960. Il doit tenir compte de la libre administration des collectivités locales. La logique de contrat se fonde justement sur la libre expression des volontés de l'État et des collectivités, qui ont le choix de contractualiser ou de ne pas contractualiser. Les programmes ne sont en aucun cas imposés aux collectivités locales. L'État agit donc dans une République décentralisée, selon un format déconcentré, en s'appuyant notamment sur le fameux couple maire-préfet qui a particulièrement été mis en lumière lors de la crise du covid.
Simplifier, enfin, c'est permettre aux collectivités d'accéder plus facilement aux financements - l'ANCT négocie avec de grandes institutions nationales contre Action Logement, la Banque des territoires ou l'ANRU - et à l'ingénierie, via un marché à bons de commande passé par l'Agence.
On peut toujours regretter l'État « datarien », mais la décentralisation est passée par là et l'urgence pour l'État consiste désormais à réinventer une méthode de travail qui lui permette de déployer de grandes ambitions en matière d'aménagement du territoire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous dites que le programme des cités éducatives a permis de faire dialoguer les ministères de l'éducation nationale et de la ville. Était-il vraiment nécessaire de créer une agence pour cela ? Une réunion interministérielle n'aurait-elle pas suffi ?
M. Philippe Court. - Les préfets essaient de faire le meilleur usage des outils mis à leur disposition par la loi. Entendons-nous bien, les programmes conçus par l'Agence n'ont pas d'autre vocation que de mettre en oeuvre les politiques voulues par le Gouvernement et l'État. Mais le fait d'avoir une structure pérenne et une méthode originale - l'approche transverse - est un gage d'efficacité, notamment dans les dossiers complexes. Le programme France Services, produit complexe qui a permis d'intégrer des services issus d'horizons très divers, fournit une bonne illustration du travail positif de conception réalisé par l'ANCT.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) ne pouvait-elle pas concevoir cet outil ? Les services du Premier ministre comptent dans leur périmètre plusieurs directions transversales. Il y aurait ainsi un expert de la politique de la ville à l'ANCT, un autre au ministère de la ville, idem pour la réussite éducative. Si l'on conserve le modèle de l'Agence, comment s'assurer de l'absence de doublon d'expertise et de compétences ailleurs dans la structure étatique ? Comme vous l'avez signalé, les agences ont vocation à exécuter les politiques du Gouvernement ; elles ont donc aussi vocation à s'appuyer sur des services de l'administration centrale.
M. Philippe Court. - Nous sommes tous au service du Gouvernement et du législateur, mais la culture des organisations a aussi son importance. La Datar était pétrie d'une vocation culturelle d'aménagement du territoire. L'ANCT, pour sa part, est guidée par la cohésion des territoires, conçue au sens large. Cette idée irrigue l'ensemble des programmes qu'elle conçoit et la manière dont elle dialogue avec l'administration territoriale et les collectivités locales. En la matière, elle dispose d'une valeur ajoutée, d'une compétence et d'une expertise que d'autres structures n'ont pas.
Je connais bien la DITP pour avoir travaillé au sein du ministère en charge de la réforme de l'État. L'existence même de cette structure est guidée par la transformation et la réforme de l'État, et non par les enjeux de cohésion du territoire.
Je ne conteste toutefois nullement qu'il existe au sein de l'État un certain nombre de doublons qu'il faut inlassablement essayer d'identifier et de supprimer.
M. Marc Chappuis. - L'État et les collectivités sont souvent organisés autour d'une lecture thématique des politiques publiques. Une direction est chargée des politiques éducatives, une autre des politiques de santé, une troisième de l'urbanisme... L'ANCT s'appuie sur une grille d'analyse différente, qui retient le territoire et ses différentes réalités comme point de départ de la conception des politiques publiques.
Il ne s'agit pas d'opposer ces deux logiques, mais de les articuler au mieux. La plus-value de l'Agence, c'est justement que son logiciel d'action part des territoires, selon une approche sur mesure et différenciée. Elle a par ailleurs la capacité de mobiliser tout le réseau déconcentré de l'État, ce qui est un gage d'efficacité.
On peut choisir de partir d'un besoin thématique et inviter les collectivités à répondre à un appel à projets doté d'un cahier des charges national prérédigé. On peut aussi partir du terrain, objectiver un projet de territoire, de concert avec les collectivités, et concevoir une réponse sur mesure en mobilisant différents moyens nationaux en fonction des besoins. Ce sont deux logiques différentes.
Un sujet complexe comme la revitalisation des centres-villes ne peut se réduire ni à l'action de l'État ni à celle d'une seule collectivité. Il nécessite d'agréger un certain nombre de moyens et d'agir sur une pluralité de leviers qui ne sont pas les mêmes à Digne-les-Bains, Saint-Malo ou Colmar.
L'ANCT part des organisations et apporte une lecture territoriale qui s'ajoute à la lecture thématique classique. C'est précisément ce qui fait la plus-value et la singularité de cet opérateur.
M. Cédric Vial. - Souvent présentée comme une troisième étape de la décentralisation, la contractualisation n'est-elle pas surtout une manière pour l'État de remettre la main sur des politiques qui avaient été transférées aux collectivités ? Vous dites qu'une collectivité n'est jamais obligée de contractualiser. Ce n'est pas tout à fait vrai. Elle peut certes décider de ne pas contractualiser, mais il faut alors qu'elle renonce à toute aide de l'État.
J'aimerais bien savoir, par exemple, ce qu'apportent les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) aux territoires, hormis une complexité supplémentaire, des études nouvelles à réaliser et des lignes budgétaires en moins.
La politique de contractualisation peut aussi venir entraver et complexifier la conduite de certains projets. Si l'on fait confiance aux collectivités, c'est seulement dans le cadre fixé par l'État, dont le respect sera ensuite strictement contrôlé.
Ces politiques apportent rarement des financements, mais plutôt de la visibilité et parfois de l'ingénierie, mais de l'ingénierie qui est nécessaire pour l'État pour comprendre ce que fait la collectivité. Or la collectivité, elle, sait ce qu'elle veut faire avant même la contractualisation : les études demandées par l'État servent surtout à contrôler les décisions déjà prises par les collectivités. Ces études facilitent sans doute la compréhension du dossier par les agents qui l'instruisent, mais je ne suis pas sûr qu'elles apportent une simplification ou une aide aux collectivités.
Les élus ont souvent beaucoup de mal à comprendre le rôle de l'ANCT. Je n'ai jamais rencontré une personne autre qu'un préfet pour défendre l'Agence ! Les préfets en comprennent le fonctionnement et, pour eux, elle représente des moyens mis à leur disposition. De notre côté, nous nous demandons sincèrement si toute cette ingénierie, certes nécessaire, ne pourrait pas s'organiser différemment. Pourquoi ne pas envisager par exemple de la confier directement à certains préfets, en prévoyant aussi des procédures plus souples et plus locales ?
M. Pierre Barros, président. - Cette question d'une forme de retour en arrière dans l'organisation des politiques publiques décentralisées est revenue régulièrement au fil des auditions.
Mme Pauline Martin. - Quand vous vous adressez à une commission d'enquête qui s'interroge sur l'efficience des opérateurs et que vous parlez de l'ANCT comme un « opérateur d'opérateurs », vous comprendrez aisément que nous puissions avoir quelques réserves...
Mon département, le Loiret, est le parfait contre-exemple des louanges que vous adressez à l'ANCT, qui y est presque inexistante. C'est le conseil départemental qui exerce les missions d'ingénierie territoriale auprès des collectivités et l'ANCT intervient à la marge, surtout d'ailleurs pour casser ou contraindre certains projets.
L'action de l'ANCT n'est pas lisible, en tout cas pas dans le Loiret - mais je sais que ce cas n'est pas isolé. On pourrait aussi envisager que les collectivités travaillent sur les questions d'aménagement du territoire aux côtés des départements ou d'autres services de la préfecture.
M. Marc Chappuis. - L'ANCT apporte une réponse à des besoins exprimés par les collectivités et n'a pas vocation à se substituer à l'offre des collectivités là où elle existe. Elle a été conçue pour fonctionner selon un principe de subsidiarité.
Les situations sont très variables d'un territoire à l'autre, pour des questions de moyens notamment. La disparition de l'Atesat n'a pas été compensée partout de la même manière par les intercommunalités et les départements. Certaines agences techniques départementales très développées peuvent accompagner de bout en bout les collectivités dans leurs projets. À l'inverse, dans le département où j'exerce mes fonctions, beaucoup de collectivités demandent à bénéficier du guichet ingénierie de l'Agence.
L'un des enjeux pour l'ANCT est aussi d'aider l'administration centrale et les différents ministères à déployer localement leurs politiques publiques, ce qui n'est pas forcément très simple pour certains ministères. Pour faire une analogie avec la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique, dite loi MOP, c'est un peu comme si l'Agence exerçait une maîtrise d'ouvrage déléguée pour le compte d'un ministère donneur d'ordres.
Ce que l'ANCT apporte, c'est une forme de maîtrise d'ouvrage déléguée pour opérer ces politiques publiques au nom et pour le compte d'un ministère donneur d'ordres, comme celui de la santé ou celui de l'éducation nationale. Elle propose des outils, déploie des réponses territorialisées grâce à son réseau, qui inclut l'État déconcentré - je ne parle pas seulement des préfets, il y a aussi les DDT ou les directions académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) - et met au point une méthode pour expliquer aux collectivités ce qui leur est proposé, contractualiser et, surtout, vérifier le résultat de l'action engagée. Ce n'est que cela, mais c'est déjà précieux.
Vous nous demandez si elle est, ou non, identifiée. L'ANCT, c'est l'État. Comme le soulignait Philippe Court, ce qui compte, c'est de savoir si les politiques qui lui sont confiées réussissent.
La Cour des comptes a elle-même reconnu que le déploiement de 2 800 points d'accueil France Services avait plutôt bien marché et répondait à un besoin. Certes, il n'y a pas eu que l'ANCT ; d'autres acteurs, en particulier les collectivités et La Poste, se sont engagés dans cette démarche. Mais, finalement, le résultat est plutôt convaincant. D'ailleurs, les élus de mon département semblent très satisfaits.
De même, le plan France Très Haut Débit, issu d'une initiative gouvernementale visant à accélérer la résorption des zones blanches en matière de téléphonie mobile, a lui aussi produit des résultats relativement convaincants en quelques années. Un très grand nombre de zones blanches ont été résorbées. La méthode, assez originale, reposait sur l'attribution par l'ANCT d'un certain nombre de sites dans chaque département, répartis, en lien avec les élus, en fonction des priorités décidées localement. L'autre solution aurait été de décider de la répartition des pylônes sur l'ensemble du territoire depuis Paris... En l'occurrence, cette approche déconcentrée, partenariale, contractuelle, associant les départements et les collectivités, a donné de bons résultats. Ce n'était pas forcément évident au départ.
M. Philippe Court. - Pour qu'une contractualisation réussisse, il faut qu'elle soit conçue de manière sincère. Quand on contracte, on est au moins deux. Il faut que les futurs contractants soient dès le début alignés sur les objectifs - c'est d'ailleurs le principal élément de réussite d'un contrat - et que chacun soit très ferme sur ses propres objectifs. Il est totalement légitime, dans une République décentralisée, que les collectivités indiquent ce qui est important pour elles et ce qui l'est moins, de même que le Gouvernement et l'administration ont toute légitimité pour pointer les éléments qui leur semblent prioritaires. Une contractualisation sincère, c'est un échange ; ce sont des interlocuteurs qui se comprennent, qui se respectent et qui reconnaissent chacun la légitimité de l'intervention de l'autre.
La véritable plus-value du contrat, ce n'est pas la masse d'argent apportée. Au fond, il assez simple de distribuer l'argent du contribuable ; notre histoire est nourrie de structures qui ont été créées et dotées de quelques milliards d'euros. En l'espèce, ce que l'on a voulu faire avec l'ANCT - je ne dis pas que l'organisation est parfaite -, c'est gérer des problèmes extrêmement complexes, tels que la revitalisation des centres-villes, les services publics, la politique de la ville. L'ANCT a oeuvré sans retirer quoi que ce soit à qui que ce soit.
L'approche contractuelle que je viens d'évoquer permet précisément la différenciation : là où le département ou l'intercommunalité sont engagés et où cela fonctionne, l'État intervient peu, voire n'intervient pas.
J'ai été préfet du Calvados, département qui a une grande tradition girondine. Avant même le lancement du programme France Services, le département avait mis en place des points d'information, dans un souci de rationalité budgétaire. Lors du lancement de France Services, au lieu de plaquer un modèle, je me suis adapté à l'organisation qu'avait retenue le département. Nous avons multiplié ensemble le nombre des points, dont l'appellation variait d'ailleurs selon qu'ils relevaient du conseil départemental ou de France Services, et nous avons couvert l'ensemble du territoire, dans les villes comme dans les zones rurales. En d'autres termes, même si chacun avait ses propres dispositifs, ses propres modalités d'intervention, nous avons agi dans le même sens, car nous étions alignés sur les objectifs.
Je pense que la politique de cohésion des territoires de demain repose sur cela. La clé du succès est de réunir les acteurs pour les faire agir dans le même sens. Certes, les crédits budgétaires servent à mettre de l'huile dans les rouages. Mais l'essentiel est de parvenir à trouver le cadre dans lequel les différents acteurs pourront s'aligner pour traiter des problèmes assez complexes.
M. Pierre Barros, président. - Jean-Louis Borloo, que nous avons auditionné cette semaine, a souligné combien le succès de l'Anru résidait dans sa capacité à faire converger différents acteurs, quand bien même ceux-ci monteraient dans des trains différents.
En vous écoutant, je me demandais si l'ANCT n'était pas plutôt l'Agence nationale de la cohésion « dans les » territoires, l'objectif étant non de mettre en cohésion l'ensemble des territoires à l'échelle nationale, mais de retrouver de la cohésion au sein des territoires. Étant très sensible à la manière dont on nomme les choses, je pense qu'il y a peut-être un malentendu.
J'ai longtemps été architecte ; je connais bien la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite loi MOP. Nous avons beaucoup parlé de maîtrise d'ouvrage ; il peut s'agir de l'État, de l'ANCT, des collectivités. Mais où est la maîtrise d'oeuvre ? S'il y a trop de pilotes dans l'avion, il ne faut pas s'étonner que l'on ait du mal à atterrir.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'exemple du déploiement des points France Services dans le Calvados illustre bien l'idée que j'avais en tête. L'un des avantages de l'ANCT, nous dites-vous, tient à sa capacité à s'adapter à la réalité des territoires. Mais n'y a-t-il pas déjà une instance de l'État qui connaît la réalité des territoires, à savoir le préfet ? Et pour concevoir une politique à l'échelon local, pourquoi ne pas s'appuyer sur le conseil départemental ou l'association départementale des maires ? Dans mon département, il y a chaque année une réunion des maires du département avec le préfet.
Avait-on vraiment besoin de créer l'ANCT pour élaborer des politiques territorialisées, alors qu'il existe déjà au moins deux instances à l'échelon départemental ?
M. Philippe Court. - On parle beaucoup des opérateurs, mais, encore une fois, l'important, ce n'est pas l'ANCT en soi ; c'est ce qu'elle permet de faire, ses programmes. Elle est restée une structure légère. Sa constitution n'a pas créé de surcoûts ; nous y avons veillé.
Vous me permettrez de rester modeste et de faire preuve de retenue sur le rôle du représentant de l'État. L'ANCT, c'est l'État. Il lui est fait grief d'être peu lisible, peu connue. Mais, au fond, tant mieux ! Le visage de cet opérateur, c'est le visage de l'État dans le territoire.
Le conseil départemental et l'association des maires du département ont évidemment un rôle à jouer. Mais - je vais employer des termes assez prudents - il peut arriver dans la vie publique que des collectivités départementales ne partagent pas totalement, ou pas avec la même force, les priorités politiques du Gouvernement et de l'État. Or, dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales, si la collectivité nationale estime que des politiques publiques sont importantes, pour des raisons de cohésion ou d'intérêt nationaux, il n'est pas illégitime qu'elle garde un outil pour les mettre en oeuvre ou, à défaut, les susciter.
Nous devons passer d'une culture où ce sont les projets qui s'adaptent aux guichets à une logique dans laquelle les dispositifs d'accompagnement, financiers comme réglementaires - une décision réglementaire peut également avoir un coût élevé -, permettent de nous adapter à la réalité d'un projet et d'un territoire et à nos interlocuteurs.
L'un des grands bénéfices des programmes est tout de même le fait que l'on nous ait laissé la faculté de les assouplir, de les atténuer, de les adapter, de les différencier. C'est un acquis qu'il faut conserver. Rien n'est plus insupportable que de devoir cocher toutes les cases d'un programme conçu dans une logique très thématique, très spécialisée.
La méthode d'élaboration du projet est donc une question essentielle, dans le respect des objectifs et des grands principes qui peuvent guider une politique nationale.
Mme Catherine Di Folco. - Mon département, le Rhône, a la particularité d'avoir à la fois un territoire, la métropole, concentrant beaucoup d'habitants et peu de communes et un autre, le « Rhône vert », ayant, lui, relativement peu d'habitants et beaucoup de petites communes rurales.
Chez moi, dans les monts du Lyonnais, les maires des
petites communes ne comprennent plus rien. Ils ont mis du temps à
connaître l'existence de l'ANCT. Et ils ne savent pas à quoi tous
ces différents programmes - Petites Villes de demain, Action Coeur
de ville, etc. - correspondent : un programme n'est pas
encore achevé qu'un nouveau est déjà proposé... Il
y a même une forme de concurrence qui apparaît : au sein d'une
même communauté de communes, telle commune sera éligible
à un tel
programme, quand la commune voisine sera
éligible à une autre, sans que l'on sache très bien
pourquoi. Vous indiquiez que l'ANCT était bien connue des élus
locaux. En ce qui me concerne, je n'y crois pas tellement.
Dans son propos liminaire, le président de notre commission d'enquête vous a demandé pourquoi l'idée d'une fusion de plusieurs instances n'avait pas été retenue. Je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu votre réponse...
M. Philippe Court. - Sur ce dernier point, je m'en référai à ce qu'a indiqué ici même la ministre chargée du dossier. Il a fallu arbitrer entre une grande réorganisation de structures, qui aurait été coûteuse, notamment en temps, et une structure souple, opérant sans discontinuer ; je rappelle d'ailleurs que le débat parlementaire s'est engagé sur la base d'une proposition de loi de votre ancien collègue Jean-Claude Requier. Je n'ai pas la réponse exacte à votre question, mais je pense que les choses ont dû se passer à peu près ainsi. Il est vrai que, dans notre pays, nous aimons beaucoup les réformes de structure ; nous y consacrons beaucoup de temps et d'énergie...
Mme Catherine Di Folco. - Cela permet de faire des économies.
M. Philippe Court. - Sans doute, mais on peut également en faire en arrêtant certaines politiques publiques ou en en rendant d'autres plus efficaces.
L'ANCT est un vecteur. Encore une fois, sa création n'a pas été coûteuse ; nous nous sommes servis de structures existantes. En revanche, elle a permis le déploiement de programmes dont j'entends - j'en prends acte - qu'ils peuvent être peu lisibles et mal conçus. Il ne faut pas que nous, administration territoriale de l'État, fuyions notre propre responsabilité. Si des critiques quant à la lisibilité des dispositifs sont formulées, nous avons un devoir d'explication, de simplification et d'internalisation de la complexité.
Pour ce que j'en connais, dans le Val-d'Oise, les choses sont claires. Trois communes, dont Pontoise - elle y est entrée récemment -, sont dans le programme Action Coeur de ville. Plusieurs communes sont dans le programme Petites Villes de demain ; elles sont d'ailleurs assez actives. Et plusieurs petites communes rurales sont dans le programme Villages d'avenir, ce qui répond peut-être aussi à une attente.
Mais nous avons bien un devoir d'explication, et je prends bonne note de vos observations, madame la sénatrice.
M. Marc Chappuis. - Posons-nous une question simple. Qu'est-ce qui compte ? Que l'ANCT soit connue des élus ? Ou que l'État soit identifié comme apportant des réponses concrètes à des problèmes concrets ? Au fond, si l'ANCT n'est pas connue de tous les maires, c'est ennuyeux, mais ce n'est pas vraiment grave. L'essentiel, c'est qu'un maire allant voir le préfet ou le sous-préfet pour lui faire part de ses difficultés à monter un plan de financement ou à trouver un bureau d'études puisse trouver une réponse.
L'ANCT ne fait pas de magie. Simplement, elle apporte des moyens d'agir supplémentaires qui sont intermédiés par l'État déconcentré, en s'appuyant sur la relation de confiance qui peut exister entre les élus et leur préfet ou leur sous-préfet.
Encore une fois - c'est le simple témoignage du préfet d'un département rural -, les sollicitations sont quotidiennes, parce que les projets sont complexes ou longs à sortir.
Un des mérites que les élus reconnaissent généralement aux programmes d'appui sur les centres-villes, c'est le poste d'ingénierie que nous finançons dans les collectivités. J'ai souvent été agréablement surpris que, dans une commune de 3 000 habitants lauréate du programme Petites Villes de demain, l'arrivée d'un chef de projet choisi par le maire et rémunéré dans ce cadre par l'État ait permis de débloquer toute une série de dossiers. En effet, le directeur général des services, dont la charge quotidienne est déjà importante, n'a pas nécessairement le temps de s'occuper du montage d'un projet de rénovation du centre-ville ou d'un bâtiment. Peu importe qu'aux yeux de l'élu, le déblocage de ces dossiers soit le fait de l'ANCT, du préfet ou de quelqu'un d'autre. Ce qui compte, c'est qu'il y ait pu avoir ce petit supplément d'ingénierie. C'est cela, la plus-value.
Ce que j'observe, c'est que l'arrivée de ces chefs de projet dans les collectivités, encore une fois à la main des élus - ce sont eux qui recrutent, il ne s'agit pas de postes financés dans les services de l'État -, a un effet déterminant en termes d'accélération des projets. Et je rejoins Philippe Court : le sujet n'est pas strictement financier.
J'aimerais évoquer le programme consacré aux tiers-lieux. Si nous avons des espaces de cohésion sur le territoire, nous le devons aux acteurs de la société civile et aux collectifs d'habitants, qui ont conçu des lieux hybrides dans lesquels beaucoup de choses se passent. Or l'ANCT a lancé un programme d'appui, et le groupement d'intérêt public (GIP) créé dans ce cadre, France Tiers-Lieux, a joué, je le crois, un rôle important pour faire mieux connaître et encourager cette dynamique locale. Des centaines de tiers-lieux en France ont pu en bénéficier. Cela n'a pas été très coûteux, notamment par comparaison avec d'autres politiques publiques, mais a eu un effet important, y compris pour les services de l'État local : les tiers-lieux n'étaient pas très bien identifiés - ils ne sont pas dans le coeur de nos interlocuteurs habituels -, alors qu'il s'y passe plein de choses intéressantes.
Il me paraît donc vertueux d'avoir un opérateur national qui soutient des initiatives, qui fait confiance aux acteurs du territoire pour les déployer, avec plus ou moins de succès, et qui injecte un peu de moyens supplémentaires pour les stimuler et les favoriser. Cela marche plus ou moins bien, c'est plus ou moins connu, mais je pense qu'en termes de politiques publiques, la plus-value est réelle.
M. Pierre Barros, président. - Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes relève que l'implication des préfets dans l'accompagnement et la gestion des dispositifs de l'ANCT n'est pas uniforme. Le fait que les préfets se soient saisis différemment de l'outil en montre la fragilité et semble indiquer qu'eux-mêmes ne sont pas nécessairement convaincus de sa pertinence. Quelle réaction cela vous inspire-t-il ?
M. Philippe Court. - Les politiques de cohésion des territoires sont un incontournable de l'action de l'État. Et puis, il y a le volet différenciation : l'outil est ce que l'on en fait. L'ANCT propose des programmes qui sont plastiques, qui répondent de manière plus ou moins évidente aux attentes selon les territoires, selon les personnes. Dans certains territoires, le choix des acteurs locaux fera qu'il y aura peu de répondant sur les programmes qui seront déployés ; finalement, est-ce si grave ? Dans d'autres, le répondant sera au contraire extrêmement fort, soit parce qu'il y avait déjà un préconçu - j'ai mentionné le cas du Calvados -, soit parce qu'il y a une volonté politique, soit parce que l'on aura vu l'intérêt de conduire tel ou tel programme.
C'est un pari en matière de cohésion des territoires. Nous quittons - je vous donne raison sur ce point - la vision « datarienne » consistant à dresser dans notre pays une sorte de jardin à la française, avec les mêmes processus et le même cheminement pour tous, petits ou grands, denses ou pas denses, riches ou pauvres. Cela correspond, je crois, à l'évolution normale vers une société post-décentralisation.
La question pertinente aujourd'hui est de savoir s'il y a plus de bénéfices que d'inconvénients à l'émergence de cet acteur et de ses programmes. Et, à mes yeux, on peut répondre à cette question par l'affirmative. Très concrètement, l'ANCT a apporté un soutien lors de l'élaboration des contrats de ville. À certains endroits, elle a permis de débloquer des études préopérationnelles que l'intercommunalité ne voulait ou ne pouvait peut-être pas prendre en charge. Ce bilan est donc, me semble-t-il, à valoriser.
M. Pierre Barros, président. - La question du positionnement de l'État et du rôle du préfet revient régulièrement dans nos auditions. Les collectivités, dans un besoin de décentralisation, expriment aussi un besoin d'État, très fortement, mais un « État sans État ». La volonté de mettre en oeuvre ses propres projets sur son territoire entre souvent en friction avec les objectifs nationaux de politiques publiques, qui sont nécessairement déployés par les services de l'État déconcentrés, c'est-à-dire les préfectures. De ce point de vue, je suis en empathie avec les préfets et les sous-préfets, qui se retrouvent souvent pris entre les deux.
Alors que l'ANCT aurait vocation à reconnecter les politiques publiques de l'État central et celles des collectivités, elle fait presque l'objet - nous le sentons bien - d'une forme de rejet ; je vous renvoie aux témoignages de nos collègues. Dans ces conditions, votre rôle ne doit pas être évident.
M. Philippe Court. - Je souscris à ce que vous venez d'indiquer, mais nous avons tout de même une immense chance.
D'abord, l'ensemble des services d'État, à commencer évidemment par le corps préfectoral, doit s'emparer de ces sujets, qui sont compliqués ; on ne peut pas toujours y répondre par oui ou par non tranquillement assis derrière un bureau. On peut être en échec. Il faut accepter de discuter, de concéder, de reconnaître que l'autre a raison, de modifier ses propres modes opératoires. Il faut s'y engager pleinement.
Ensuite - je le dis tout préfet que je suis -, ces programmes ont permis aux services de l'État non pas de réapprendre, mais, à tout le moins, de pouvoir continuer à dire oui. À défaut, le risque pour l'État territorial, notamment pour son coeur nucléaire, l'État opérationnel, était d'être réduit à un rôle d'interprétateur de la norme, voire, au bout d'un moment, de censeur.
En l'occurrence, nous retrouvons, sous une forme post-décentralisation, un peu de XXe siècle, lorsque les services de l'État étaient aussi aménageurs.
La chance de pouvoir dire oui, c'est quelque chose qui s'apprend, se travaille. Il y a un savoir-faire, un besoin de ressources, d'experts. Elle ne se manifestera pas partout de la même manière sur le territoire français. Dans certains endroits, il n'y a pas de besoin fondamental, car on sait faire - et tant mieux ! - sans l'État. Dans d'autres, il y a au contraire une grande attente sur la capacité fédératrice, ensemblière et partenariale de l'État. C'est ce que permet cette boîte à outils. Je trouve que c'est tout de même une plus-value à souligner.
M. Marc Chappuis. - L'ANCT invite l'État à situer différemment son action et sa plus-value auprès des collectivités sur le territoire.
Le pouvoir dont nous parlons, c'est surtout un pouvoir d'agir. Depuis quelques années, l'État a beaucoup prospéré sur une approche très réglementaire : nous avons pour mission de faire respecter, d'appliquer et de combiner des réglementations qui sont souvent complexes. Cette approche, qui est essentielle, vaut souvent un certain nombre de critiques aux services de l'État, tant localement que nationalement. Mais grâce à l'outil qui a été conçu, l'action de l'État se situe dans une approche consistant à considérer les objectifs de la collectivité.
Où est la maîtrise d'oeuvre, demandiez-vous, monsieur le président ? Bien souvent, ce sont les collectivités elles-mêmes. Ce sont elles qui investissent, qui fixent les priorités et essaient de faire aboutir la plupart des projets en question.
Comment situer l'action de l'État en référence à ces projets ? D'abord, en se mettant d'accord sur des objectifs communs ; c'est toute l'approche contractuelle que nous avons développée. Ensuite, en proposant des outils complémentaires qui ne soient pas simplement de la réglementation ou des crédits d'investissement - d'ailleurs, ceux-ci ont fortement augmenté ces dernières années, notamment avec la création du fonds vert -, mais aussi de l'accompagnement technique et de l'ingénierie.
Nous avons tout de même beaucoup diversifié et intensifié l'action de l'État sur l'ingénierie. Je pourrais mentionner l'ingénierie des bureaux d'études, mais il y a aussi les postes financés dans les collectivités - songeons entre autres aux programmes Petites Villes de demain, Action Coeur de ville, Villages d'avenir, Territoires d'industrie - et toute l'ingénierie d'accompagnement : les services de l'État, qu'il s'agisse des DDT ou d'autres opérateurs, sont orientés pour faire réussir les projets, en accompagnant les collectivités à toutes les étapes.
L'ANCT nous a demandé de publier des guides de l'ingénierie territoriale, car l'ingénierie est aujourd'hui complètement émiettée. Elle repose sur un très grand nombre de services de l'État, et toute l'ingénierie disponible localement est très diverse d'un département à l'autre. Il y a tantôt un conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), tantôt une agence technique, tantôt un syndicat d'énergie, etc.
Selon les politiques concernées, l'accès à l'ingénierie, c'est finalement souvent un problème de visibilité, d'où la commande de faire un guide de l'ingénierie. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous avons élaboré un guide de l'ingénierie en partant non pas des structures, mais des projets qui nous sont habituellement proposés par les collectivités. Ce travail a consisté à fédérer l'ensemble de l'offre d'ingénierie disponible localement et à indiquer comment nous pouvions accompagner des projets, de l'idée jusqu'au suivi des travaux. Nous avons quarante-six fiches correspondant à quarante-six dossiers, allant du déploiement d'un réseau de défense extérieure contre l'incendie à la mise en place un réseau de chaleur ou la rénovation d'un logement communal. Il s'agit donc de choses très concrètes.
C'est une manière de situer l'action de l'État comme accompagnateur et d'inviter l'ensemble des services qui disposent d'une expertise localement à la mettre à la disposition des collectivités. Cela doit être l'ambition des services de l'État sur un territoire et guider le travail sur la conception des programmes à l'échelle nationale. C'est la notion d'offre de services.
Je pense que nous en avons besoin aujourd'hui. Les sujets sont tellement complexes, les problématiques à relever sur un territoire sont tellement vastes que, sans mise en commun des moyens pour aider le maître d'oeuvre, l'opération prendra beaucoup plus de temps et, dans un certain nombre de cas, échouera.
Telle est l'ambition des politiques d'aménagement du territoire dont l'ANCT est le concepteur : mettre davantage de moyens à disposition des collectivités et de l'État, qui les accompagne sur le terrain.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour réaliser les fiches dont vous parlez, partez-vous d'un canevas préparé par l'ANCT ? Parce que si vous les rédigez vous-même à partir de rien, cela signifie que toutes les autres préfectures sont susceptibles d'en faire autant...
Je partage le sentiment qui règne dans cette salle. Nous nous demandons toujours, et beaucoup de nos interlocuteurs avec nous, quelle est la valeur ajoutée de l'ANCT. J'en parle d'autant plus librement que, dans mon département, les Hauts-de-Seine, cette agence est loin d'être la première interlocutrice des maires. Certes, comme vous l'avez rappelé, à l'origine, il y avait une proposition de loi sénatoriale ; c'est donc que nos collègues ont bien dû y voir un intérêt. Mais il se peut que le texte ait raté sa cible.
M. Marc Chappuis. - Nous avions bien un canevas national. Mais il y a un dialogue. L'ANCT, c'est une structure de tête et 100 délégués territoriaux. Je considère que c'est du dialogue entre l'ANCT centrale et ses référents territoriaux que naissent ces politiques publiques.
Philippe Court a évoqué un exemple précis dans le Calvados. Je pourrais mentionner l'initiative lancée en Eure-et-Loir qui a abouti à la création du programme Petites Villes de demain. De même, les tiers-lieux ont été inventés non par l'ANCT, mais dans les territoires ; ensuite, une impulsion nationale a fixé des lignes directrices pour que ce qui a été développé dans ces territoires puisse profiter à d'autres.
Nous devons, je le crois, accepter l'idée que les politiques publiques - je ne parle pas seulement de l'aménagement du territoire - partent souvent d'initiatives de terrain que l'on extrapole, diffuse et encourage en injectant ensuite des moyens. L'ANCT a eu le mérite essentiel de pointer une bonne pratique, de la diffuser - des guides ont été élaborés - et de la généraliser, avec une instruction de la ministre pour créer un guichet unique ingénierie autour du préfet. Nous avons besoin de ce dialogue.
Encore une fois, l'ANCT est un trait d'union entre des opérateurs nationaux, par exemple les ministères, qui conçoivent chacun dans leur domaine d'expertise un certain nombre de politiques publiques, et des territoires, incarnés par l'État déconcentré et, bien entendu, les collectivités, qui sont en général les maîtres d'oeuvre de beaucoup de ces actions. Sa plus-value essentielle est d'être ce trait d'union et de partir d'initiatives locales pertinentes pour en faire des objets de politique nationale, en embarquant au passage des opérateurs nationaux et en garantissant qu'ils vont y injecter des moyens. Avant 2017, Action Logement n'était pas dans les villes moyennes ; grâce au programme Action Coeur de ville, Action Logement a investi des milliards d'euros dans des projets qui ne seraient pas sortis sans cela.
Honnêtement, je constate au quotidien que nous disposons de beaucoup plus de capacités d'agir aux côtés des collectivités grâce à ces moyens qui sont mis à notre disposition et aux directions qui sont indiquées par l'ANCT sur un certain nombre d'objets de politiques publiques. Nous, nous sommes de modestes effecteurs ; nous traduisons ces orientations en projets concrets, en invitant les collectivités qui le souhaitent à déployer les outils proposés. Cela me paraît très précieux, d'autant plus que l'État fonctionne selon des logiques d'actions thématiques, mais n'a pas forcément toujours le logiciel pour décliner ses politiques sur l'ensemble des territoires.
M. Philippe Court. - Madame le rapporteur, l'ANCT dans les Hauts-de-Seine, c'est un peu comme M. Jourdain et la prose. Si vous ne la voyez pas souvent, c'est parce que son objectif n'est pas de s'afficher ; c'est d'avoir une action efficace en matière de politique de la ville, de cité éducative, etc. Et, en un sens, tant mieux si elle n'apparaît pas : elle n'est donc pas un élément d'archipélisation de l'action de l'État.
Je mets en garde contre une conclusion un peu radicale. Ce qui est souvent difficilement compréhensible par nos interlocuteurs, c'est l'archipélisation de l'action de l'État. En général, on aime beaucoup un acteur qui vient dispenser ses bienfaits, notamment par des financements, mais on a tendance à se retourner ensuite vers son interlocuteur habituel, c'est-à-dire l'administration départementale de l'État. Nous passons énormément de temps à essayer de coordonner les acteurs et de les faire rentrer dans les dispositifs. L'ANCT, nous la pratiquons. Peu importe qu'elle ne s'affiche pas. Ce serait injuste de lui adresser ce reproche. Son objectif n'est pas de s'afficher ; c'est de s'effacer derrière des projets sans apporter de la complexité de lisibilité en plus.
Peut-être convient-il de différencier ce qui relève des politiques, voire de leur trop grand nombre, et ce qui relève de la question de savoir qui doit les incarner et les mettre en oeuvre, et comment.
C'est, me semble-t-il, la première fois - j'ai plus de trente d'expérience - qu'est tentée une approche différente, contractuelle, ensemblière, fédératrice et, reconnaissons-le, un peu informelle. Nous passons notre temps, pour revitaliser des centres-villes, à essayer de mettre autour de la table la Banque des territoires, Action Logement, les responsables de dotations d'État gérées ministère par ministère, programme par programme, des gestionnaires de fonds, etc. Or, pour une fois, nous avons un interlocuteur qui se positionne comme un référent et un appui, et non pas comme quelqu'un qui voudrait amener un cadre, des process, des règles ; c'est quelque chose d'assez appréciable. Il faut le porter à l'actif de l'esprit qui a animé la création de l'ANCT.
J'en suis convaincu, la clé du succès les années qui viennent réside moins dans la question de l'argent que dans celle de la méthode et de la manière dont les acteurs publics convergent pour élaborer des projets et mener des politiques.
M. Pierre Barros, président. - Messieurs les préfets, nous vous remercions de vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons à présent M. Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail.
Opérateur chargé de l'accompagnement des demandeurs d'emploi, France Travail, doté d'environ 50 000 équivalents temps plein travaillé (ETPT), est de loin le plus important, à cette aune, des opérateurs recensés dans le jaune budgétaire.
France Travail est défini comme une « institution nationale publique » par le code du travail. Monsieur le directeur, dans quelle mesure ce statut peut-il être comparé à celui d'établissement public administratif (EPA) ou à celui d'établissement public industriel et commercial (Épic), sachant que vous n'êtes pas soumis à la comptabilité budgétaire ?
Vous vous distinguez aussi par votre conseil d'administration, qui réunit à parts égales des représentants de l'État, des syndicats de salariés et de ceux d'employeurs.
France Travail a un peu plus d'un an à peine, puisqu'il a été créé le 1er janvier 2024, succédant ainsi à Pôle emploi, dont l'histoire est plus ancienne : quels défis avez-vous dû affronter au cours de cette transition ? De quelle manière les missions ont-elles évolué ? Le personnel est-il le même ? Son statut a-t-il évolué ? Faudra-t-il une période de transition avant de dresser un bilan des conséquences de cette transformation ?
Notre commission d'enquête s'intéresse à tous ces aspects, afin d'évaluer les difficultés que peuvent causer concrètement les opérations de fusion ou de transformation d'opérateurs.
Nous cherchons aussi à comprendre la manière dont les missions des différents opérateurs agissant dans des domaines proches se distinguent ou, parfois, se recoupent. Pourriez-vous nous indiquer si des mutualisations seraient possibles avec France Compétences ou avec l'Unédic ? Je note que vous avez signé une convention pluriannuelle avec l'État et l'Unédic.
Enfin, notre commission d'enquête contrôle le bon usage des deniers publics. À ce titre, il est légitime de se demander pourquoi, selon les informations fournies par les organisations syndicales, France Travail semble recourir de manière croissante à l'externalisation de certaines de ses missions. Selon ces sources, ce recours s'élèverait à près de 500 millions d'euros pour l'année 2025. Confirmez-vous ces chiffres ? Si oui, pourquoi sous-traiter une partie de vos missions ? Est-ce un gain d'efficacité ? Est-ce une source d'économies ?
Lors de votre récente audition devant la commission des affaires sociales du Sénat, vous avez expliqué que la sous-traitance était généralement deux fois plus coûteuse que l'internalisation, mais qu'elle pouvait se révéler vertueuse dans certains cas. Or toutes les études sérieuses, y compris celle du sociologue Luc Behaghel, convergent pour démontrer que les opérateurs privés de placement sont non seulement plus coûteux, mais aussi moins efficaces pour favoriser le retour à l'emploi. Dès lors, pourquoi persister dans cette voie ? Pourquoi ne pas réinternaliser ces missions pour garantir un meilleur service public ?
Nous avons reçu vos réponses aux questions que nous vous avions adressées et nous avons suivi votre audition récente auprès de la commission des affaires sociales. Aussi, je vous propose de passer directement la parole à notre rapporteur, sans passer par une intervention liminaire, de manière à ce que cette audition soit un échange le plus productif possible.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thibaut Guilluy prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sur une question évoquée par le président, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), les dépenses consacrées aux prestations de sous-traitance ont connu une augmentation très significative, passant de 117 millions à 417 millions d'euros entre 2019 et 2024. Pourriez-vous préciser quelles sont les prestations concernées par cette externalisation ?
M. Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail. - Sur un budget de 7 milliards d'euros, l'essentiel des interventions est réalisé en interne par nos effectifs, soit environ 55 000 personnes. C'est la règle tant pour nos missions d'indemnisation, qui ne sont aucunement sous-traitées, que pour nos missions d'accompagnement des entreprises, et pour l'ensemble des missions que nous effectuons pour le compte d'autres acteurs et du réseau France Travail. Notre principe est de mobiliser nos équipes et nos experts.
Toutefois, nous avons parfois recours à des prestations externes. La doctrine en la matière est définie avec le conseil d'administration, dont vous avez rappelé la composition paritaire. Ce recours repose principalement sur deux critères : un besoin capacitaire et une expertise spécifique que nous ne possédons pas ou que nous possédons de manière insuffisante en interne.
Premier critère : nous accompagnons de nombreux inscrits à France Travail qui aspirent à devenir créateurs d'entreprise ; or l'accompagnement à la création d'entreprise n'est pas un savoir-faire que nous maîtrisons pleinement en interne, hormis dans certaines agences disposant de conseillers spécialisés. C'est pourquoi nous faisons appel à des partenaires extérieurs, notamment à l'association BGE ou à France Active, qui sont implantés sur l'ensemble du territoire.
Second critère : dans le cadre du dispositif « Valoriser son image » (VSI), destiné à renforcer la confiance et à remobiliser des personnes ayant connu un parcours professionnel difficile, nous sollicitons ponctuellement des prestataires extérieurs pour répondre à des besoins capacitaires, même si une partie des opérations est réalisée en interne. Sur cette prestation, le taux de satisfaction atteint 98,1 %.
D'ailleurs, toutes les prestations sont systématiquement évaluées, à l'aune d'un double critère de satisfaction des bénéficiaires et d'impact sur le retour à l'emploi, puisque chaque marché est soumis à la validation du conseil d'administration avant sa mise en oeuvre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Par « capacitaire », faites-vous allusion à un manque d'effectifs ? Si je comprends bien, vous disposez déjà d'agents compétents, mais en nombre insuffisant pour répondre aux besoins ?
M. Thibaut Guilluy. - Il existe deux types de sous-traitance : la sous-traitance d'expertise - lorsque nous ne possédons pas la compétence en interne - et la sous-traitance capacitaire - lorsque l'ampleur des missions à accomplir, pour lesquelles nous avons une compétence, dépasse nos moyens internes.
Ce besoin peut également varier selon les territoires. Par exemple, dans certains territoires, un agent maîtrise parfaitement une activité donnée, mais la demande peut être bien plus élevée que sur d'autres territoires. Dans ce cas, nous recourons à des prestataires externes pour compenser le manque d'effectifs. Ainsi, la sous-traitance capacitaire consiste à mobiliser une ressource externe sur des savoir-faire que nous détenons déjà, lorsque nos effectifs ne suffisent pas à couvrir la demande.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je suppose que vous procédez systématiquement par marché public pour garantir la mise en concurrence des prestataires ?
M. Thibaut Guilluy. - Oui, toujours.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Et vous vérifiez à chaque fois que le coût de la prestation reste inférieur à celui qu'aurait représenté le recrutement d'un ou deux conseillers ?
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » connaissant parfaitement ces sujets, nous interviendrons de manière assez dynamique sur ce point.
M. Thibaut Guilluy. - Une part significative des dépenses de prestations concerne le programme Parcours Emploi Santé. Pour 2025, cette enveloppe s'élève à environ 92 millions d'euros. Ce budget est dédié à la mise en place d'accompagnements spécialisés, mobilisant des acteurs compétents dans le domaine de la santé, lorsque celle-ci constitue le principal frein à l'emploi. Il s'agit là d'une sous-traitance d'expertise.
Contrairement à ce que j'ai pu lire, le budget des prestations tend à diminuer, alors même que les besoins augmentent, puisque, depuis le 1er janvier dernier, toutes les personnes qui sont éloignées de l'emploi sont désormais inscrites à France Travail, y compris celles qui bénéficient du revenu de solidarité active (RSA). Dès lors, certaines expertises, notamment les prestations en lien avec la santé, demeurent essentielles. Il en va de même pour l'accompagnement à la mobilité, qui constitue un frein majeur à l'accès à l'emploi des publics les plus fragiles, en particulier dans les zones rurales.
Le débat est différent pour les prestations de sous-traitance capacitaire. L'enjeu réside non pas uniquement dans le nombre d'effectifs disponibles, mais aussi dans leur formation et le développement de leurs compétences. Il s'agit de permettre l'organisation, dans les agences, des ateliers de valorisation de l'image de soi. Ces prestations ont plutôt vocation à être réinternalisées, car elles relèvent du coeur de métier des conseillers de France Travail, qui oeuvrent quotidiennement à la remobilisation et à la motivation des demandeurs d'emploi. Elles ne seront externalisées qu'en cas de besoin avéré dans certains territoires.
Les dossiers soumis au conseil d'administration
concernent le plus souvent des demandes de renouvellement. Dans ce cadre, nous
présentons d'abord les résultats et les effets en matière
d'emploi, ainsi que les coûts unitaires de chaque prestation. Si
l'externalisation relève d'un besoin d'expertise, la question ne se pose
pas ; en revanche, si l'externalisation relève d'un besoin
capacitaire, il convient de justifier le choix entre une réalisation en
interne et un recours à un prestataire. Comme je l'ai indiqué
devant la commission des affaires sociales, un équivalent temps plein
(ETP) coûte, en moyenne, 50 000 euros par an, incluant les
frais annexes tels que les locaux. À l'inverse, le coût
unitaire d'une prestation externalisée s'élève à
90 000 ou à 100 000 euros - c'est presque deux
fois plus cher. Toutefois, dans certaines
configurations, le recours
à un prestataire peut s'avérer économiquement pertinent,
notamment lorsque le volume des prestations ne justifie pas la création
d'un poste à temps plein.
Ces analyses sont d'abord examinées en comité stratégique et d'évaluation, avec des évaluations, parfois contrefactuelles. Enfin, elles sont présentées au conseil d'administration, sous le contrôle des services de l'État, de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de la direction du budget, qui veillent à optimiser les arbitrages.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelle est votre politique de recrutement des cadres dirigeants de France Travail ? Jusqu'à présent, ils étaient issus de la promotion interne ou nommés en tant que hauts fonctionnaires. Or, ces derniers mois, la doctrine semble avoir évolué, puisqu'il s'agit davantage de personnes issues du secteur privé. Est-ce parce que vous n'avez pas trouvé les compétences requises au sein de la fonction publique ou bien parce que vous n'avez reçu aucun candidat ?
M. Thibaut Guilluy. - Je n'ai pas les chiffres exacts en tête, mais la règle générale demeure celle de la mobilité interne, comme en témoigne l'ensemble des nominations que j'ai effectuées depuis mon arrivée, il y a un peu plus d'un an.
Il est vrai que nous recrutons également à l'extérieur, comme cela a toujours été le cas - et comme nous le faisons peut-être davantage aujourd'hui, mais je n'ai pas mené d'analyse spécifique à ce sujet. Nous cherchons parfois des compétences nouvelles à l'extérieur, notamment pour des postes nécessitant une expertise particulière. Ainsi, nous avons récemment recruté une membre du Conseil d'État au poste de directrice générale adjointe chargée de la gouvernance institutionnelle, des affaires juridiques et de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ; nous avons également créé le poste de directeur général adjoint chargé des opérations, qui supervise l'ensemble des directions régionales, lequel a été confié à l'ancien directeur régional d'Auvergne-Rhône-Alpes après vingt-cinq à trente ans de carrière.
Pour les directions régionales, qui occupent un rôle central dans notre organisation, seules deux nominations récentes ont concerné des personnes venues de l'extérieur. La première est une ancienne directrice du réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) des Hauts-de-France, ayant auparavant exercé à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) ainsi que dans une entreprise de recrutement. Selon moi, l'hybridation des parcours et des expériences au sein des collectifs permet de stimuler l'innovation et de croiser les regards. France Travail doit être ouvert à toutes les entreprises et aux employeurs publics, ce qui nécessite une diversité de profils.
La seconde nomination externe concerne la direction régionale de Mayotte, confiée à Éric Heller, ancien responsable de la formation des commandos marine, qui a ensuite évolué pendant dix ans dans le secteur privé avant de nous rejoindre.
Toutes les autres nominations récentes ont été effectuées en interne, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, en Bourgogne-Franche-Comté, dans les Pays de la Loire et à La Réunion. Cela reste donc bel et bien la règle, ce qui fait véritablement notre force, même si l'hybridation et la diversité des parcours professionnels favorisent l'intelligence collective.
La transformation de Pôle emploi en France Travail a ouvert de nouveaux chantiers, au-delà de l'accompagnement des demandeurs d'emploi : les enjeux des quartiers prioritaires de la ville ou du handicap, dans le prolongement des mesures issues de la Conférence nationale du handicap (CNH). Elles sont d'ailleurs mises en oeuvre par Caroline Dekerle, qui nous a rejoints après avoir exercé au sein de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), notamment en Nouvelle-Aquitaine, et travaillé aux côtés de plusieurs secrétaires d'État et ministres chargés des politiques du handicap.
En définitive, nous nous attachons à maintenir un équilibre entre mobilité interne et ouverture à des profils externes. Nous avons la chance de disposer d'une « université du management », qui joue un rôle essentiel dans le recrutement, la montée en compétences et la gestion de mobilité interne. Pour autant, nous ne devons pas nous fermer à une expertise venue de l'extérieur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans son rapport de janvier 2025 intitulé Évaluation du plan d'investissement dans les compétences (PIC), la Cour des comptes note que les préfets et les services déconcentrés ont exercé un rôle de pilotage affirmé dans la mise en oeuvre du plan, mais « au prix d'un surinvestissement personnel des agents ». Selon la Cour, le financement du PIC avait bien intégré les coûts supportés par les administrations centrales, les opérateurs et les organismes de formation, mais non ceux des services déconcentrés de l'État. Partagez-vous cette analyse ?
M. Thibaut Guilluy. - Il m'est difficile d'émettre un avis sur les moyens alloués aux services déconcentrés de l'État... Vous me placez là dans une position quelque peu délicate ! Ce qui est certain, c'est que nous travaillons main dans la main avec les préfets, ainsi qu'avec la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Drieets) et les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) au niveau régional, avec les directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) au niveau départemental.
Nous devons relever de nombreux défis, notamment en matière de formation professionnelle. Dans ce domaine, nous avons su faire preuve d'une certaine créativité, au cours des dernières années, afin de mettre en place un système qui, il faut bien l'admettre, est loin d'être d'une simplicité enfantine. Aujourd'hui, l'accès à la formation repose sur une multiplicité de dispositifs et de sources de financement. C'est un enjeu majeur et, à la suite de la mise en place de France Travail, nous travaillons activement à un meilleur partage des données et à une simplification de ces dispositifs, en lien avec les régions, les opérateurs de compétences (Opco), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et le compte personnel de formation (CPF).
Ces dispositifs sont souvent pertinents lorsqu'on les considère isolément. Cependant, pour les entreprises comme pour les demandeurs d'emploi, il peut être très complexe d'y accéder et de s'y retrouver. C'est pourquoi nous menons un important travail de simplification, en lien avec les services de l'État. Il est crucial pour nous que ces services disposent d'une expertise et d'une capacité d'action solides.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'en viens maintenant au volume des équivalents temps plein (ETP) de France Travail. Vous mentionnez 55 000 agents ; pour ma part, j'avais retenu 54 000 - nous sommes à 1 000 près...
M. Thibaut Guilluy. - Cela dépend si l'on parle en ETP ou en effectifs globaux ; ce n'est pas toujours simple à suivre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quoi qu'il en soit, lors de la fusion entre l'Assédic et l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), Pôle emploi comptait environ 44 000 ETP. Qu'est-ce qui justifie une telle hausse, en une décennie, du nombre d'agents chargés de la politique de l'emploi ?
Le rapport public annuel de la Cour des comptes, consacré aux politiques publiques en faveur des jeunes, met en regard l'existence des 437 missions locales chargées de l'insertion professionnelle des jeunes et les 4 700 ETP que France Travail consacre à cette même mission, ce qui traduirait un manque de coordination et une perte d'efficience. Que répondez-vous à ces critiques ? Comment garantir l'absence de doublons, notamment dans l'accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), désormais automatiquement inscrits auprès de France Travail depuis la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi ?
Lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, certains amendements ont visé à réduire de jusqu'à 500 ETP les effectifs de France Travail pour accompagner la baisse du chômage - ces propositions n'ont pas été retenues, mais elles pourraient être de nouveau débattues lors du prochain PLF.
Comment améliorer la productivité de France Travail et éventuellement revenir à un étiage plus proche de celui de Pôle emploi ?
M. Thibaut Guilluy. - Je citerai un autre rapport de l'IGAS et de l'IGF - nous l'avions commandé dans le cadre de la mission de préfiguration de France Travail -, qui fait un benchmark des services publics de l'emploi en Europe. Il y est établi que les niveaux de ressources allouées à France Travail sont particulièrement faibles en comparaison des autres opérateurs européens. Le ratio relevé dans le rapport faisait état, pour notre pays, de 1 conseiller pour 98 demandeurs d'emploi, contre 1 pour 38 en Allemagne - pour plus de 100 000 agents relevant de la Bundesagentur für Arbeit ; or, si la population est légèrement supérieure, le taux de chômage est bien plus faible, et l'agence est réputée être une bonne gestionnaire. La Belgique affiche un ratio similaire, autour de 1 pour 40. Autrement dit, nous faisons partie des pays qui disposent des plus faibles moyens humains affectés au service public de l'emploi, si l'on rapporte ces effectifs au nombre de demandeurs d'emploi accompagnés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce que ce rapport prend en compte les agents qui travaillent dans les missions locales et dans les autres structures ?
M. Thibaut Guilluy. - Il est toujours délicat de comparer des systèmes aussi différents. Le système allemand, par exemple, combine une partie fédérale portée par la Bundesagentur für Arbeit avec une forte décentralisation. En Suède, c'est encore un autre modèle, entièrement décentralisé. C'est précisément pour cette raison que le benchmark a adopté une méthodologie destinée à tenir compte de ces disparités.
Cela étant, les écarts sont significatifs : un ratio de 1 pour 98 d'un côté, contre 1 pour 38 de l'autre. Il ne s'agit pas de dire que nous devrions nécessairement augmenter nos effectifs, mais il est utile de disposer d'éléments de comparaison.
En matière d'affectation des effectifs, ma priorité - et celle de mon conseil d'administration - est d'assurer la meilleure efficacité possible. Nous sommes engagés depuis toujours dans des actions d'optimisation et d'économies. D'ailleurs, nous sommes reconnus comme un opérateur d'État ayant su investir dans la transformation numérique. Nous avons été parmi les premiers à intégrer l'intelligence artificielle (IA) dès 2018. Depuis mon arrivée, j'ai mis en place un plan d'efficience qui repose sur la revue des procédures, la simplification des procédures afin de réduire la charge administrative, l'exploitation des données et le recours à l'IA. Cette réorganisation, adoptée en comité social et économique (CSE), vise à réduire les fonctions support de 200 postes chaque année pendant trois ans. Ces efforts, qui s'inscrivent dans un dialogue social soutenu, permettent, au total, une réduction de 3 700 ETP, à missions équivalentes, sur les trois prochaines années.
Ces 3 700 ETP étaient nécessaires pour faire face aux missions qui sont les nôtres - il faut, de fait, mettre les effectifs en regard des missions. Les effectifs ont diminué entre 2017 et 2019, puis augmenté en 2020, notamment avec la création de 1 667 ETP dédiés au contrat d'engagement jeune (CEJ). Ce dispositif était nécessaire, et c'est pourquoi le Parlement l'a adopté : la France affichait alors un taux de chômage des ni en emploi, ni en études, ni en formation (Neet) à 25 %, parmi les plus élevés d'Europe. Initialement, un conseiller suivait 30 jeunes ; nous avons ensuite optimisé ce ratio pour atteindre un conseiller pour 50 jeunes, soit un gain d'efficience de 60 % depuis janvier 2025. Cette évolution s'est traduite par de meilleurs taux de retour à l'emploi, générant une réduction des dépenses publiques à moyen terme. Réduire le nombre de jeunes au chômage et les orienter vers les 500 000 emplois non pourvus dans notre pays constitue une mesure bénéfique pour la dépense publique.
Un autre enjeu majeur est la lutte contre le chômage de longue durée, dont le taux a longtemps été anormalement élevé en France. La ministre de l'époque, Élisabeth Borne, avait demandé à France Travail de mettre en place un plan d'action spécifique. Il s'agit du dispositif Action recrut', qui repose sur des interventions rapides dès qu'une offre d'emploi reste non pourvue pendant plus de 30 jours, ainsi que sur la généralisation des immersions professionnelles pour les demandeurs d'emploi de longue durée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ma question porte moins sur les actions déjà engagées que sur l'avenir : comment garantir qu'il n'y ait plus, demain, de doublons entre France Travail et les collectivités ?
M. Thibaut Guilluy. - Je souhaitais d'abord répondre à votre question sur l'évolution des effectifs entre 2017 et 2023 et leur répartition : ils ont été affectés à l'accompagnement des demandeurs d'emploi de longue durée, à la mise en place d'Equip'emploi, c'est-à-dire le renforcement des équipes dans les quartiers prioritaires de la ville, où les taux de chômage sont deux fois plus élevés, en particulier chez les jeunes - c'est ce qui explique en partie l'ajustement des effectifs.
D'ailleurs, on entend parfois dire que l'Allemagne mobilise plus de personnels pour l'accompagnement d'un demandeur d'emploi, et l'on pourrait croire que, plus l'on se rapproche du plein emploi, moins l'on a besoin de moyens. Pourtant, la réalité est contre-intuitive : ce raisonnement ne repose pas sur une simple règle de trois, comme certains comptables voudraient parfois nous le faire croire. Au contraire, dans un département comme la Vendée, où le taux de chômage est de 3,7 %, il faut mobiliser de nombreux acteurs et déployer de multiples actions. En effet, les demandeurs d'emploi restants rencontrent souvent des difficultés de logement, de santé ou de formation. Plus on s'approche du plein emploi, plus les situations individuelles sont complexes. Les pays qui enregistrent des taux de chômage de 5 %, 4 % ou même 3 % ont bien compris qu'il fallait investir davantage précisément lorsque le chômage est au plus bas et que les tensions sur le marché du travail sont les plus fortes.
Éviter les doublons a été la préoccupation principale de la mission de préfiguration de France Travail - et le benchmark montre que la France se distingue par une grande complexité institutionnelle et opérationnelle en matière d'orientation, d'insertion, de formation, d'emploi et de développement économique. Ayant travaillé pendant plus de quinze ans dans le domaine de l'insertion, j'ai pu accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi. Lorsque l'on est sans-abri, victime de violences ou en situation de handicap, on cumule généralement plusieurs difficultés. Or le système actuel multiplie les guichets : pour la formation, il faut s'adresser à un service ; pour le logement, à un autre. Ce paradoxe est frappant : plus une personne est en difficulté, plus elle se heurte à un système inefficace. La réforme portée par France Travail et la loi de 2023 pour le plein emploi vise précisément à corriger cette situation. Il s'agit d'inverser la logique actuelle, en proposant un accompagnement individualisé et adapté aux besoins de chaque demandeur d'emploi. Ce dispositif est plus efficace non seulement pour les bénéficiaires, mais aussi pour la dépense publique.
Concrètement, cela signifie que l'inscription à France Travail est désormais systématique. Depuis le 1er janvier, tous les jeunes accompagnés vers l'emploi sont inscrits à France Travail, afin d'éviter les doublons. France Travail n'accompagne pas tous les jeunes, car les missions locales accomplissent un travail remarquable sur le terrain. Cependant, il est essentiel que chaque jeune accompagné soit identifié. Pendant des années, on a parlé des « invisibles », mais personne n'est réellement invisible dans ce pays : c'est le système qui rendait ces personnes invisibles ! Désormais, tous sont inscrits et suivis.
L'inscription en elle-même ne change pas la vie des personnes concernées, mais elle constitue une première étape. La seconde, c'est le diagnostic socioprofessionnel, véritable révolution du dispositif. Il s'agit non plus seulement de répertorier les compétences et aspirations des demandeurs d'emploi, mais aussi d'identifier les éventuelles difficultés qu'ils rencontrent : illettrisme, illectronisme, problèmes de mobilité, de formation ou de santé. Ce diagnostic permet une orientation vers la prise en charge la plus appropriée. Une personne autonome, qui sait ce qu'elle cherche et possède les compétences requises, bénéficiera d'un accompagnement direct vers l'emploi. En revanche, ceux qui font face à des obstacles multiples ne seront plus ballottés entre différents interlocuteurs : étant inscrits à France Travail, ils seront orientés collectivement vers la prise en charge adéquate.
Les besoins diffèrent selon les départements : la situation de la Creuse n'est pas celle de La Réunion ni du Nord. C'est pourquoi des expérimentations ont été menées dans dix-huit départements afin de bâtir un modèle de co-accompagnement. La gestion du RSA relève des départements, mais, sans l'appui de France Travail pour l'emploi et des régions pour la formation, l'accompagnement des bénéficiaires du RSA ne sera pas efficace. Depuis sa création en 1988, sous l'impulsion de Michel Rocard, le RSA a vu son nombre de bénéficiaires croître sans interruption, atteignant des niveaux bien supérieurs aux prévisions initiales de 150 000 personnes. Le travailleur social, dont l'action est remarquable, accompagne pour des solutions d'urgence, mais pas sur un retour à l'emploi.
Désormais, dans les départements engagés dans cette démarche, un travailleur social et un conseiller France Travail collaborent étroitement. Le conseiller prend en charge l'accompagnement vers l'emploi et la formation professionnelle, tandis que le travailleur social s'occupe des problématiques de logement, de santé et d'accès aux droits. Le problème n'était pas tant les doublons entre les services que les trous dans la raquette, qui entraînaient une inefficacité générale. Résultat : les dépenses d'allocations explosent, atteignant 13 milliards d'euros, tandis que les budgets d'insertion des départements sont réduits à la portion congrue, car ils sont pris à la gorge. Nous souhaitons rompre ce cercle vicieux, en repensant l'organisation, en associant pleinement les départements et en réinvestissant dans l'insertion, car le retour à l'emploi reste la meilleure solution pour sortir durablement du RSA.
Cette réforme suppose également une refonte des systèmes d'information. Aujourd'hui, 103 systèmes différents coexistent, gérés par huit éditeurs. Une véritable interopérabilité est indispensable : on ne peut exiger d'un travailleur social et d'un conseiller France Travail de travailler ensemble si leurs systèmes d'information ne sont pas interopérables et si les données ne sont pas partagées.
Le même effort est entrepris avec les missions locales, dont les systèmes d'information sont actuellement distincts de ceux de France Travail. Un travail est en cours avec l'Union nationale des missions locales (UNML) pour mettre en place un système partagé, opérationnel dès début 2026. Cette avancée, qui peut sembler purement technique, est, en réalité, déterminante pour éviter la compétition entre structures et favoriser une coopération. Nous avons besoin des missions locales, des écoles de la deuxième chance, les Établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide), ou encore des associations comme les Apprentis d'Auteuil. Cette diversité constitue un atout pour le pays, dès lors que nous nous organisons mieux et que nous ne faisons pas peser sur les usagers la complexité de notre système.
Mme Catherine Di Folco. - Depuis que tous les jeunes demandeurs d'emploi sont inscrits à France Travail, n'y a-t-il pas un risque qu'ils soient comptés deux fois, lorsqu'ils sont également inscrits dans une mission locale par exemple ?
M. Thibaut Guilluy. - Non, ce risque de double comptabilisation n'existe plus, puisque les missions locales ne réinscrivent pas les jeunes chez elles. En vertu de la loi, les missions locales font partie du premier cercle de France Travail. Par exemple, à Châteauroux, dans l'Indre, France Travail et la mission locale travaillent main dans la main. Il existe des critères d'orientation : les jeunes proches de l'emploi sont accompagnés directement par France Travail, tandis que ceux qui sont confrontés à des difficultés multiples sont pris en charge par la mission locale. Cette répartition se fait aussi en fonction des capacités et des expertises de chacun sur le territoire. Il n'y a donc aucun double comptage.
Nous allons plus loin dans le partage des offres de services. Plutôt que chaque structure réinvente la même offre de services sur un même territoire, il est plus logique d'optimiser les ressources. Par exemple, France Travail dispose de services qui pourraient bénéficier aux jeunes suivis par les missions locales, et, inversement, celles-ci développent des initiatives innovantes qui pourraient être étendues - une telle mutualisation permet de rationaliser les coûts.
Enfin, un autre enjeu majeur est l'évaluation de la performance. Aujourd'hui, de nombreux acteurs de l'insertion, qu'il s'agisse de structures de l'insertion par l'activité économique (IAE), du secteur du handicap ou encore des services de l'État et de France Travail, croulent sous le poids des reportings et des documents administratifs à remplir. C'est une gabegie d'argent public. Avec France Travail, nous mettons progressivement fin à cette charge administrative. Grâce aux données sociales nominatives, nous pourrons évaluer automatiquement, gratuitement et en toute fiabilité si une personne est en emploi à trois mois, six mois, voire trois ans après son accompagnement.
Cela nous permet non seulement d'alléger la charge administrative de nombreux acteurs, mais aussi d'améliorer le pilotage de la performance. Concrètement, dans un comité local où nous constatons que des jeunes sont laissés sur le carreau, nous pouvons désormais identifier les actions à mener : s'il manque des places en mission locale, s'il faut investir davantage dans certaines actions qui ont donné de bons résultats, ou à l'inverse, arrêter des initiatives dont les résultats ne sont pas probants. Depuis le début de l'année, ces tableaux de bord prennent forme dans les comités locaux, même s'ils ne sont pas encore pleinement opérationnels. L'objectif est clair : éliminer les doublons et mettre en place un pilotage intelligent, territoire par territoire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre convention tripartite 2024-2027 acte une réduction de la subvention de l'État de 600 millions d'euros sur cette période. Est-ce le plan d'efficience que vous avez mis en place qui vous permettra de concilier ce rabot budgétaire avec les objectifs ambitieux de la convention, notamment tripler le nombre de contrôles des allocataires et multiplier par six les prospections pour les entreprises ?
M. Thibaut Guilluy. - Nous avons réalisé 500 000 contrôles des allocataires en 2023, puis 600 000 en 2024 ; nous allons dépasser le chiffre de 900 000, et en 2027, nous viserons 1,5 million de contrôles.
Par ailleurs, nous avons fait 100 000 prospections en 2023, et nous passerons à 400 000 en 2025. Nous avons déjà réalisé 250 000 prospections en 2024, notamment pour les très petites entreprises (TPE). Beaucoup de bénéficiaires du RSA n'étaient pas suivis dans notre système, mais 950 000 se sont inscrits en janvier, et, d'ici la fin du processus, ce nombre atteindra 1,2 million.
Tout cela génère un volume important de travail supplémentaire. Pour y faire face, nous avons mis en place un plan d'efficience. Bien que la subvention d'État reste la même, il y a une réduction importante des financements, notamment du PIC et du pacte régional d'investissement dans les compétences (Pric). Il faut cependant être prudent, car la réduction drastique du budget de la formation réduit conséquemment le nombre de demandeurs d'emploi pouvant être formés.
Le plan d'efficience a pour but de dégager des ETP pour accompagner les bénéficiaires du RSA, les jeunes en lycées professionnels, soit 250 000 personnes, via la généralisation du dispositif Avenir'Pro, et les mesures liées au handicap. Ce plan vise à renforcer nos équipes pour faire face à ces nouvelles missions, tout en étant solidaires des départements.
Le plan d'efficience vise aussi à gagner en productivité, notamment par le recours à l'intelligence artificielle. Par exemple, dans nos agences du Centre-Val de Loire et des Pays de la Loire, nous commençons à utiliser des outils d'IA pour mieux faire correspondre les offres d'emploi et les profils des demandeurs d'emploi. Cela permet d'automatiser une grande partie du travail de mise en relation, ce qui libère du temps pour nos conseillers. Notre objectif est d'alléger la charge administrative des conseillers pour qu'ils aient plus de temps pour accompagner les demandeurs d'emploi et les entreprises.
Prenons l'exemple de la prospection : lors du second semestre 2024, nous avons effectué 160 000 prospections. Grâce à une évaluation, nous avons constaté que cela a permis de créer 30 000 emplois nets. Un service public de l'emploi efficace crée de l'emploi. Ainsi, un conseiller de France Travail Pro peut aider certains chefs d'entreprises qui avaient abandonné l'idée de recruter ou qui l'avaient repoussée à trouver des candidats, à financer leur formation, notamment pour les seniors, les personnes en situation de handicap ou celles qui sont le plus éloignées de l'emploi. Ces actions ont permis de créer 30 000 emplois nets, en comparant avec des entreprises qui n'ont pas été visitées. Ces visites engendrent des économies d'argent public puisqu'elles permettent de réduire les coûts liés au chômage tout en générant des cotisations sociales supplémentaires.
La lutte contre les comportements abusifs mobilise également des effectifs. Le contrôle de la recherche d'emploi est, pour moi, le meilleur allié de l'accompagnement. Notre objectif est non pas de sanctionner, mais de nous assurer que les demandeurs d'emploi respectent leur engagement à chercher activement un travail, comme le prévoit la loi pour le plein emploi. Nous avons constaté que, dans 70 % des cas, les demandeurs d'emploi sont actifs ; dans 15 % des cas, il y a des sanctions parce que la personne ne fait pas les efforts nécessaires ; dans un peu plus de 15 % des cas, ce ne sont pas les demandeurs d'emploi qui manquent à leurs obligations, mais bien France Travail ou ses partenaires qui ne sont pas au rendez-vous. Il s'agit donc non pas de stigmatiser, mais de progresser collectivement. C'est d'ailleurs l'un des objectifs du passage de 500 000 à 1 500 000 contrôles de la recherche d'emploi. Cela rappelle aussi un principe fondamental : l'assurance chômage concerne les pertes involontaires d'emploi et implique, de la part du demandeur, une implication maximale dans la recherche d'un travail.
La lutte contre les comportements abusifs nous coûte très cher, et la ministre Astrid Panyosan-Bouvet négocie actuellement la révision du règlement européen 883/2004. S'agissant des travailleurs transfrontaliers, par exemple, on estime à 800 millions d'euros les dépenses liées à des situations où des personnes travaillent en Suisse ou au Luxembourg, puis reviennent percevoir une indemnisation en France, calculée sur des salaires bien plus élevés. Ces indemnités durent souvent plus longtemps, car l'incitation à reprendre un emploi en France est faible. Ainsi, depuis octobre-novembre 2024, nous avons renforcé notre suivi dans les dix-neuf agences transfrontalières, pour éviter les abus.
Nous constatons d'autres comportements abusifs à propos des ruptures conventionnelles. C'est un bon dispositif, mais certains l'utilisent comme une manière d'accéder aux droits au chômage, d'où la mise en place de contrôles plus stricts. Près de 7,5 milliards d'euros sont versés chaque année à des personnes qui ont signé une rupture conventionnelle, mais certaines d'entre elles abusent clairement du système.
C'est pour cela qu'il faut à la fois plus d'accompagnement et un meilleur accompagnement - et c'est pour cela que je plaide en faveur de davantage d'effectifs, car il s'agit d'un accompagnement avant tout humain, pour les jeunes, les personnes en situation de handicap ou les bénéficiaires du RSA. Droits et devoirs : il est indispensable de veiller à ce que l'argent apporte un service aux demandeurs d'emploi ou aux entreprises et ne tombe pas dans un panier percé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi, selon vous, le rapprochement des structures Cap emploi, chargées du maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap, ne s'est-il pas traduit par une fusion pure et simple, alors que cette question concerne tous les territoires et tous les secteurs d'activité ?
M. Thibaut Guilluy. - Je n'ai pas décidé de ce rapprochement, mais c'est un exemple typique, car il a produit d'excellents effets.
Fusionner, c'est faire un grand tout ; nous estimons, au contraire, qu'il faut préserver - en l'organisant - la diversité d'expertise. Cap emploi, intégré au réseau Conseil national handicap et emploi des organismes de placement spécialisés (Cheops), a pour mission de favoriser l'accès et le maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap. France Travail, de son côté, est un opérateur généraliste. Le rapprochement entre les deux structures a permis non seulement de conserver ces expertises, mais aussi de les démultiplier. Concrètement, nous sommes passés de 1 000 conseillers spécialisés Cap emploi à 3 000 conseillers compétents sur le handicap, grâce à la formation de 2 000 conseillers France Travail ayant développé une compétence en matière de handicap. C'est heureux, car 8,9 % des personnes inscrites à France Travail sont en situation de handicap. Or 80 % d'entre elles sont accompagnées par un conseiller de France Travail, non par Cap emploi. Selon nos enquêtes, 84 % des conseillers France Travail estiment, à la suite du rapprochement, avoir renforcé leur capacité à accompagner les personnes en situation de handicap, grâce à leurs collègues de Cap emploi.
Deuxième effet concret : le lieu unique d'accompagnement. Aujourd'hui, l'accueil des personnes en situation de handicap se fait dans les mêmes locaux, avec une offre de service unifiée. Cela permet un véritable partage d'expertise, tout en garantissant l'égalité de traitement : chacun est accueilli dans le cadre du droit commun, avec, si nécessaire, l'activation de dispositifs spécifiques via les conseillers Cap emploi.
Les résultats sont encourageants : plus de 200 000 mises à l'emploi de personnes en situation de handicap ont été enregistrées en 2024, dépassant l'objectif fixé dans la convention tripartite. Le taux de satisfaction de ces usagers atteint désormais 84 %.
Mais de nouveaux chantiers s'ouvrent avec France Travail, comme le sourcing inclusif, lancé dans treize régions, qui permet aux personnes concernées de rendre visible leur situation de handicap sur leur profil, afin de faciliter le recrutement par les entreprises.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce que vous décrivez justifierait précisément une structure unique qui intégrerait les 1 000 agents de Cap emploi à France Travail, afin d'éviter une direction des ressources humaines, un système informatique, un directeur pour 1 000 personnes, quand France Travail en compte 55 000 - d'autant que vous indiquez déjà travailler ensemble, et souvent dans les mêmes lieux.
M. Thibaut Guilluy. - Nous partageons désormais le même système d'information, les mêmes expertises, et mutualisons tout ce qui peut l'être. Il n'y a donc pas de double coût. Les lieux uniques d'accueil permettent également de rationaliser les coûts.
En revanche, en matière de pilotage, je considère que cette collaboration entre France Travail, acteur généraliste, et le réseau Cheops, expert du handicap, est saine et efficace. Le généraliste doit répondre à des publics variés : jeunes, primo-arrivants, cadres, créateurs d'entreprise. Aussi, travailler main dans la main en mutualisant des outils, des savoir-faire et des coûts dans le cadre de Cheops me semble vertueux. Je suis profondément convaincu du bien-fondé de cette gouvernance duale, mais je comprends que l'on puisse en débattre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le coût du changement du nom de l'opérateur Pôle emploi en France Travail ?
M. Thibaut Guilluy. - Le prix du logo, qui n'est pas le plus gros coût, fait souvent les manchettes du Canard enchaîné. Il se trouve que nous avons organisé un concours interne, et nos graphistes ont fait un super travail. Voilà un bel exemple d'internalisation ! Cependant, ce qui coûte réellement dans un changement de logo, c'est le changement des enseignes. Avant de commencer la préfiguration de France Travail, un appel d'offres avait déjà été lancé pour renouveler les enseignes, mais il a été stoppé une fois que la préfiguration de France Travail a été lancée. Finalement, on a relancé l'appel d'offres avec le nouveau logo, et il a fallu environ quinze mois environ pour changer les enseignes. Cela a coûté entre 1 500 et 2 000 euros par agence, en fonction de la taille, pour un total de 896 agences. Mais, indépendamment du changement de nom, ce coût était inévitable pour l'établissement.
Mme Ghislaine Senée. - France Travail est aujourd'hui, selon moi, une véritable machine de guerre. Le plan d'efficience traduit une volonté réelle de générer des économies tout en optimisant l'accompagnement des demandeurs d'emploi.
Cela étant, la charge pesant sur les agents est devenue extrêmement lourde depuis le 1er janvier. Certains d'entre eux, qui accompagnaient 170 personnes, en ont aujourd'hui 300 personnes en charge ! La situation devient tendue, et cela se ressent - un préavis de grève a récemment été déposé. Les agents tiennent encore, mais les tensions s'accumulent.
Malgré cela, France Travail fait, avec les moyens dont il dispose, un travail exemplaire. Et, sur le terrain, les équipes font preuve d'un engagement remarquable. Je tiens à saluer la qualité de votre intervention, qui en a bien témoigné.
M. Thibaut Guilluy. - Cela fait plaisir d'entendre ces propos, car une chose qui m'a frappé en quatorze mois est bien l'engagement exceptionnel des conseillers. Mon rôle consiste souvent à prévenir le surengagement. Nous sommes dans une période de profonde transformation, marquée par beaucoup d'enthousiasme et de dynamisme. Toutefois, nous avons connu une grève récemment, suivie par près de 10 % des effectifs. L'engagement est réel, mais il convient de rester attentif, dans la conduite du changement, à ne pas trop solliciter les agents.
France Travail a un statut particulier : il s'agit d'un établissement public administratif (EPA), régi par le code du travail ; la majorité de nos agents relèvent du droit privé, mais quelque 2 888 agents publics demeurent. Cette cohabitation crée des difficultés de management et, parfois, un sentiment d'iniquité entre collègues, en raison de statuts différents pour des fonctions similaires. Certes, un droit d'option avait été ouvert en 2008 ou 2009, mais à un moment où les perspectives n'étaient pas encore claires, ce qui alimente certaines tensions internes.
Je tiens néanmoins à saluer la qualité du dialogue social au sein de notre établissement. Le nombre des CSE a doublé, en raison du volume de plans de transformations à conduire pour appliquer la loi et mettre en oeuvre la réforme de l'assurance chômage, avec des étapes au 1er avril et au 1er juillet. Nos équipes ont répondu présent.
Par ailleurs, nous devons disposer d'un réel pouvoir de réaction. Le pays nous attend sur plusieurs fronts. Durant les Jeux olympiques, que beaucoup jugeaient irréalisables jusqu'à deux mois avant leur ouverture, nous avons contribué à ce qu'il n'y ait aucun incident, en permettant le recrutement de plus de 30 000 agents de sûreté, ce qui a permis à la police et à l'armée de se concentrer sur leurs missions. Aujourd'hui, nous sommes mobilisés sur le nucléaire, sur la défense, sur d'autres enjeux stratégiques. Il est essentiel de disposer d'un opérateur accessible, capable d'intervenir, quel que soit le territoire, pour garantir l'égalité des chances.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Parmi l'ensemble des compétences exercées par France Travail, certaines pourraient-elles être confiées à des opérateurs privés ?
M. Thibaut Guilluy. - Avec France Travail, nous avons profondément revu nos indicateurs d'évaluation. Auparavant, ces derniers portaient sur la satisfaction des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi, sur leur taux de retour à l'emploi, ainsi que sur la satisfaction des entreprises ayant recours à nos services. Depuis le 1er janvier, dans le cadre de la convention tripartite conclue avec l'Unédic et l'État, nous avons basculé, à leur demande, vers une évaluation fondée sur 100 % des entreprises et 100 % des dépourvus d'emploi, puisque toutes les personnes sont désormais inscrites à France Travail.
Cela reflète une proposition formulée dans le rapport de préfiguration : aligner les intérêts pour éviter toute concurrence inutile. L'objectif est simple : permettre aux entreprises de recruter plus facilement. Aujourd'hui, 57 % d'entre elles rencontrent encore des difficultés de recrutement, et 500 000 emplois restent non pourvus. Les délais sont parfois trop longs ; il faut y remédier. Le service public de l'emploi y contribue, mais il n'est pas seul. Il existe également des acteurs privés, et notre objectif est non pas de nous opposer à eux, mais bien de mieux organiser et articuler les interventions. Le partage des données est essentiel pour permettre un recrutement plus fluide, plus rapide, plus efficace.
France Travail ne peut, à lui seul, accompagner correctement les 7,2 millions de personnes inscrites. C'est pourquoi nous coopérons avec de nombreux partenaires : les acteurs du handicap, les missions locales, les départements pour les bénéficiaires du RSA, les structures de l'insertion par l'activité économique. Leurs réussites sont les nôtres, tout comme leurs difficultés. Encore fallait-il organiser ce partenariat. Cela passe par le partage des données, des systèmes d'information, mais aussi un langage commun, des méthodes convergentes. Nous avons ainsi lancé l'Académie France Travail fin octobre. Elle réunit déjà 44 000 professionnels de l'accompagnement et propose 160 modules de formation, pour renforcer les compétences et la performance collective.
La mission confiée à France Travail vise aussi à éliminer les doublons et à réduire les gaspillages d'argent public. Dans certains territoires, ce ne sont pas les moyens qui manquent : ce sont les solutions ; dans d'autres, c'est l'inverse. Il nous faut rendre visibles ces déséquilibres pour que l'État et les élus, chacun dans leur champ de compétences, puissent décider en toute connaissance de cause.
À cette fin, nous avons mis à disposition de tous les bassins d'emploi un tableau de bord précis, qui dresse un panorama des personnes sans emploi, des entreprises présentes, des actions menées. France Travail ne décide pas des politiques à mener, mais doit fournir les données nécessaires pour éclairer les choix des décideurs publics.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur général.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Stéphane Lardy, directeur général de France compétences
M. Pierre Barros, président. - Monsieur le directeur général, madame le rapporteur, mes chers collègues, après avoir entendu le directeur général de France Travail, nous recevons M. Stéphane Lardy, directeur général de France Compétences.
Créée le 1er janvier 2019, France Compétences a pour mission la gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Sa principale mission consiste à verser et à répartir les fonds mutualisés auprès des différents acteurs et institutions du champ de la formation professionnelle et de l'apprentissage. À ce titre, France Compétences reçoit le produit de plusieurs taxes affectées, pour un montant supérieur à 11 milliards d'euros, soit plus de la moitié de l'ensemble des taxes affectées à des opérateurs.
France Compétences n'est pas seulement un canal de financement. L'agence a aussi pour mission d'organiser le conseil en évolution professionnelle (CEP) pour les actifs occupés, hors agents publics, et de gérer le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique (RS). Elle émet également des recommandations sur les coûts, sur les règles de prise en charge et sur l'accès à la formation. Enfin, elle assure une veille relative aux coûts et aux règles de prise en charge en matière de formation professionnelle pour les cas où les prestataires perçoivent un financement public.
Votre établissement, monsieur le directeur général, résulte de la fusion du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop), du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et de la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).
Je vous poserai donc la même question qu'aux autres opérateurs : pouvez-vous faire un bilan de cette fusion ? Avez-vous rencontré des difficultés liées à l'existence de différentes cultures professionnelles ou de statuts du personnel hétérogènes ? Estimez-vous que cette fusion a permis soit d'améliorer le service rendu soit de réaliser des économies d'échelle ?
Peut-être ces éventuelles difficultés doivent-elles être relativisées : en effet, bien que vous soyez l'un des opérateurs qui manipulent le plus d'argent public, vous êtes aussi, selon les documents budgétaires, l'un de ceux qui ont le moins d'effectifs : 91 équivalents temps plein travaillé (ETPT) seulement. S'agit-il bien de vos effectifs complets, ou avez-vous recours à des intérimaires ou à la sous-traitance ?
Je précise que nous organisons nos auditions par domaine de politique publique - cet après-midi est consacré à la politique en faveur du travail et de l'emploi -, afin d'identifier les possibilités d'amélioration par réduction des doublons entre opérateurs, services de l'État et collectivités territoriales. Pourriez-vous nous expliquer comment s'organise le partage de compétences avec France Travail, dont nous venons de recevoir le directeur général, mais aussi avec les autres opérateurs du domaine de la formation et avec l'administration centrale et les collectivités territoriales, notamment les régions ?
Je vous proposerai de passer directement aux questions de Mme le rapporteur.
Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat ; elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Il me revient de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Lardy prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous souhaitons vous entendre sur les attributions de France Compétences.
Voici ce que la Cour des comptes observait dans un référé de 2022 : « Compte tenu de la place centrale de France Compétences dans le financement et la régulation de la formation professionnelle et de l'alternance, l'État gagnerait à l'associer plus étroitement à la préparation et au suivi des prochaines conventions pluriannuelles qu'il conclut avec les opérateurs de compétences et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui gèrent les principaux dispositifs. »
Cette recommandation a-t-elle été suivie ? Si la place de France Compétences est centrale au point qu'il soit nécessaire de l'associer à des tâches qui relèvent de la tutelle d'autres opérateurs, pourquoi ses missions ne seraient-elles pas simplement confiées à un service de l'administration centrale ?
M. Stéphane Lardy, directeur général de France Compétences. - En effet, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) organise un dialogue avec les opérateurs de compétences (Opco) dans le cadre de leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM). France Compétences n'y est pas associée.
Vous me demandez s'il serait pertinent que tel soit le cas. France Compétences n'est pas la tutelle des opérateurs de compétences. Je vois donc mal comment nous pourrions être associés au dialogue sur les contrats d'objectifs et de moyens. En tout état de cause, une telle réflexion n'a pas été engagée dans le prolongement des recommandations de la Cour des comptes.
De même, nous avons des rapports étroits avec la CDC : nous nous réunissons avec elle tous les quinze jours, notamment dans le cadre du compte personnel de formation (CPF) et du contrôle des organismes de certification. Nous entretenons également des relations avec les Opco, mais celles-ci ne sont pas de nature tutélaire : elles relèvent davantage du dialogue de gestion financière. Je ne suis d'ailleurs pas certain que France Compétences souhaiterait être associée aux COM des Opco.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous ne partagez donc pas cette recommandation de la Cour ?
M. Stéphane Lardy. - Non, car j'ignore quelle serait la valeur ajoutée de France Compétences dans la négociation des COM entre la DGEFP et les Opco. C'est d'ailleurs la réponse que j'avais apportée à la Cour des comptes lorsqu'elle m'avait auditionné.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans le même référé, la Cour des comptes souligne que le conseil d'administration ne dispose que « d'un pouvoir limité pour agir sur la situation financière de l'établissement » et suggère d'organiser le dialogue entre l'État et les partenaires sociaux dans d'autres instances. Qu'en pensez-vous ?
M. Stéphane Lardy. - France Compétences est un établissement public administratif. In fine, c'est l'État qui a la main sur les financements octroyés aux différents acteurs, au premier rang desquels figurent la Caisse des dépôts et consignations et les opérateurs de compétences.
Le conseil d'administration de France Compétences comprend des organisations syndicales de salariés, un collège des organisations professionnelles d'employeurs, des représentants de l'État issus de la DGEFP, de la direction du budget et des ministères certificateurs - enseignement supérieur, éducation nationale et agriculture -, des représentants régionaux et deux personnalités qualifiées.
Les partenaires sociaux et les représentants régionaux reprochent parfois à France Compétences de ne pas être un lieu stratégique ; mais l'agence prend bel et bien des décisions stratégiques. D'ailleurs, depuis sa création, aucune de ces décisions, y compris en matière budgétaire, n'a fait l'objet d'une opposition frontale entre deux blocs.
France Compétences a aussi une assemblée générale, créée par décret, rassemblant plusieurs structures et institutions qui ne sont pas membres du conseil d'administration. Les attributions de cette assemblée générale sont en effet réduites : le rapport d'activité y est présenté, et il s'agit plutôt d'un lieu d'expression, où sont réunis l'ensemble des chambres consulaires, France Universités, ainsi que les organisations syndicales et patronales intéressées qui ne sont pas interprofessionnelles.
J'avais suggéré que l'assemblée générale joue un rôle plus stratégique, plus que le conseil d'administration de France Compétences qui, lui, prend avant tout des décisions opérationnelles.
France Compétences est un lieu d'expertise pour les administrateurs et les membres de l'assemblée générale. Ses missions pourraient être enrichies et aider à la décision, sans qu'il faille pour autant lui appliquer tout à fait le modèle du Conseil d'orientation des retraites (COR) ; les membres du conseil d'administration sont d'ailleurs les premiers à le reconnaître.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans un rapport de 2024 sur la régulation financière des centres de formation d'apprentis (CFA), l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) recommandait de faire évoluer le rôle de France Compétences, pour faire passer cet opérateur d'une instance de régulation à une instance de contrôle, dotée d'un pouvoir de sanction administrative. Comment avez-vous reçu cette recommandation ? A-t-elle été mise en place ?
M. Stéphane Lardy. - Pour l'heure, elle n'est pas mise en place. Les CFA ont l'obligation, depuis 2018, de transmettre chaque année à France Compétences une comptabilité analytique.
Nous avons agi de façon empirique, car nous n'avions pas de liste des CFA. Nous constatons que la très grande majorité des centres de formation d'apprentis nous transmettent leurs données comptables et analytiques : ainsi couvrons-nous entre 93 % et 95 % des apprentis.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends donc que ni France Compétences ni le ministère ne disposent d'une liste exhaustive des CFA.
M. Stéphane Lardy. - Non. Des déclarations sont faites auprès des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), mais je ne dispose pas de ces documents.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En tant qu'opérateur de l'État chargé de ce domaine, vous n'êtes donc pas en mesure de consulter une liste consolidée des déclarations faites auprès des Dreets.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous devriez donc reproduire vous-même ce travail si vous souhaitiez savoir si la remontée des informations est exhaustive.
M. Stéphane Lardy. - Nous serions obligés de le faire.
En comparant l'effectif d'apprentis au cours d'une année et les déclarations, nous constatons que le taux de couverture est d'environ 93 % à 95 %.
Il faut savoir qu'il n'existe pas de sanction administrative. Il est donc possible que certains CFA ne procèdent pas à la transmission de leur comptabilité analytique. C'est un sujet que nous avons abordé avec notre tutelle.
Pour le moment, il semble que les CFA jouent le jeu, mais il est à craindre qu'en l'absence de sanction ils ne voient pas d'intérêt à continuer de le faire.
La question de la sanction apparaît dans le rapport de l'IGAS, ainsi que dans le rapport sur l'évaluation de notre actuelle convention d'objectifs et de performance (COP), rédigé dans le cadre de l'élaboration de la prochaine. Le ministère du travail se penche en ce moment même sur la création d'une sanction administrative. C'est l'existence de la sanction qui compte avant tout : peu importe que ce soit France Compétences ou un autre organe tel que l'administration centrale qui détienne le pouvoir de la prononcer. En revanche, nous devons disposer d'un droit d'alerte.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous identifié des points de frottement entre vos missions et celles de France Travail ? Vos deux agences produisent-elles des statistiques, en plus de celles que publient la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et l'Insee ? Partagez-vous des bases de données sur les bénéficiaires d'aides, ou le règlement général sur la protection des données (RGPD) s'y oppose-t-il ?
M. Stéphane Lardy. - Il existe peu de points de frottement entre nos missions respectives.
Le conseil en évolution professionnelle (CEP), consacré par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, est l'une des missions de France Compétences, qui l'exerce aux côtés de quatre autres opérateurs. Cette mission incombait auparavant au Fonds de gestion des congés individuels de formation (Fongecif) ; la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel l'a transférée à France Compétences, qui pilote désormais un marché de 400 millions d'euros sur quatre ans, par lots régionaux.
Le CEP s'adresse aux actifs occupés, pour une large majorité salariés, ainsi qu'à quelques travailleurs indépendants qui y sont également éligibles. Dans l'exercice de cette mission, nous travaillons en convention avec l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), les missions locales, Cap emploi et France Travail.
Notre système permet d'aiguiller les personnes, comme le prévoit le cahier des charges des opérateurs régionaux : lorsqu'un demandeur d'emploi interroge un prestataire régional, celui-ci doit le renvoyer vers France Travail.
En 2020, on recensait près de 100 000 entrées en CEP. En incluant les acteurs régionaux, on approche désormais des 200 000 bénéficiaires.
On pourrait considérer que le CEP relève du champ d'action de France Travail. Les concepteurs de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi avaient d'ailleurs imaginé que l'agence qui serait issue de la fusion entre les Assédic et l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) serait chargée de rendre des services aux salariés. Mais confier une partie du conseil en évolution professionnelle à France Travail reviendrait à diluer totalement le travail réalisé par les prestataires régionaux auprès des actifs salariés. Cela dit, par nature, un conseiller Pôle emploi fait du CEP.
Actuellement, le CEP des salariés est bien identifié auprès des opérateurs régionaux, qui travaillent en collaboration étroite avec les régions dans le cadre d'obligations de partenariat.
Nous n'avons pas de base de données partagées avec France Travail.
Concernant les statistiques, France Compétences réalise des évaluations et des études, mais sur ses propres objets de travail, notamment l'apprentissage. Nous avons par exemple lancé une étude approfondie sur le modèle économique des CFA.
Chaque année, nous nous coordonnons avec les administrations, notamment la Dares, le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) et France Stratégie, pour réaliser des études conjointes ou, à l'inverse, pour nous répartir les sujets. Ainsi, l'enquête formation employeur (EFE) annuelle est menée conjointement par France Compétences, la Dares et l'Insee.
Nous disposons d'une commission d'évaluation, actuellement présidée par un collège de salariés. Nous élaborons notre programme, qui est un programme partagé avec la Dares, le Céreq, l'Insee et la CDC ; nous avons par exemple réalisé avec cette dernière une étude sur les usages du compte personnel de formation.
Nous prenons donc soin d'éviter toute redondance. L'une des préconisations de la Cour des comptes était précisément de recentrer l'ensemble de nos études sur notre champ de compétence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'en viens aux questions budgétaires.
Vous n'avez que 91 ETP pour gérer un budget qui, en 2024, atteignait 15,2 milliards d'euros de dépenses pour 14,1 milliards d'euros de recettes.
Certes, 91 ETP, c'est un effectif supérieur à celui de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France). Mais avons-nous réellement besoin d'un établissement qui compte si peu d'ETP pour gérer ce qui s'apparente à un canal de financement ? Cette structure ne pourrait-elle pas être internalisée au sein du ministère du travail, quitte à confier la partie relative aux financements à l'Agence de services et de paiement (ASP) ?
M. Stéphane Lardy. - France Compétences n'est pas simplement un répartiteur ou une boîte aux lettres. Un mécanisme de péréquation assez complexe s'applique aux contrats d'apprentissage et de professionnalisation.
Les données de l'Urssaf, de la Mutualité sociale agricole (MSA) et du groupement d'intérêt public « Modernisation des déclarations sociales » (GIP-MDS) sont collectées et versées dans un système d'information spécifique, où sont répertoriés l'identifiant de la convention collective (IDCC) et les éléments relatifs à la masse salariale de l'entreprise. Pour bien répartir les contributions qui reviennent aux onze Opco, nous devons réaliser un travail très technique, qui s'appuie d'ailleurs sur l'intelligence artificielle. Nous disposons par exemple d'un système d'alerte en cas d'erreur sur l'IDCC.
Nous assurons donc la bonne répartition des enveloppes budgétaires. Je ne suis pas certain qu'il revienne à l'administration centrale de remplir cette mission. Notre compétence technique spécifique nous qualifie pour le faire.
C'est un système de péréquation qui s'applique : sur les 9 milliards d'euros alloués à l'apprentissage - alternance et professionnalisation -, nous octroyons une dotation socle aux opérateurs de compétences. Lorsque celle-ci a été consommée, en fonction de critères légaux et réglementaires, France Compétences peut verser une dotation supplémentaire destinée à financer l'apprentissage. Voilà qui implique un dialogue de gestion.
France Compétences est un établissement public administratif (EPA) particulier, puisqu'il a une comptabilité d'engagement. Nos interlocuteurs principaux sont des associations, comme les Opco ou les associations Transition Pro (ATpro). Nous sommes donc soumis à un régime de comptabilité privée. Mes équipes procèdent régulièrement à des états de rapprochement avec les Opco.
Tel est le coeur de notre mission : obtenir la bonne donnée, la traiter correctement et la répartir comme il faut.
Il arrive que l'entreprise se trompe d'IDCC. Depuis 2018, c'est l'IDCC applicable qui est retenu, et non l'IDCC appliquée. Avant la réforme, des cabinets de conseil en ingénierie pouvaient utiliser la convention collective de la métallurgie : cela n'est plus possible. Nous recevons une alerte lorsqu'une telle situation se produit. Nous informons alors les deux Opco concernés, qui doivent trouver une solution. S'ils n'y parviennent pas, la DGEFP procède à un arbitrage, car il lui revient, par arrêté, d'établir les champs de compétences.
En revanche, c'est à France Compétences de lancer l'alerte et de garantir la bonne allocation des dotations.
Nous réalisons aussi un travail de gestion. Comme les Opco, nous sommes actuellement en pleine phase d'arrêté des comptes : nous entamons un travail très technique de rapprochement bancaire.
Vous avez évoqué l'ASP. Nous avons une convention avec cette agence, car France Compétences finance également le permis de conduire des jeunes apprentis, à hauteur de 500 euros, depuis la loi de 2018. Là encore, un dialogue de gestion, qui tient compte des besoins de trésorerie, est nécessaire.
Ce dialogue de trésorerie a une dimension technique prononcée. Il est certain que l'administration centrale est compétente dans ce domaine ; cependant, notre directrice financière connaît les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) et les Opco depuis quinze ans : c'est un écosystème très particulier, qui suppose, pour s'y mouvoir, des connaissances très fines.
Je ne suis pas certain, j'y insiste, qu'il revienne à l'administration centrale de mener ce dialogue. En réalité, je vois difficilement quel autre acteur que France Compétences pourrait y pourvoir.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La raison ne tient-elle pas à ce que votre comptabilité et les mouvements que vous faites, n'entreraient que difficilement dans le cadre de la Lolf ?
M. Stéphane Lardy. - C'est le cas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ou bien encore, que vous avez besoin de compétences difficiles à rémunérer suffisamment dans le cadre d'emploi de la fonction publique ? Parce que pour ce qui est de faire du contrôle, entretenir des dialogues de gestion ou vérifier des déclarations d'entreprises, des agents de l'État le font très bien dans le cadre d'autres politiques publiques...
M. Stéphane Lardy. - Je ne connais pas suffisamment les rémunérations dans la fonction publique pour vous répondre. Nous disposons pour l'exercice de cette compétence, d'une équipe de six personnes de droit privé - à France Compétences, nous n'avons que 8 agents détachés, les autres sont des salariés de droit privé, ils relèvent du code du travail avec une grille de classification, un accord sur les conditions de travail, un comité social et économique (CSE), une négociation annuelle des salaires. Cela tient au fait que notre établissement résulte de la fusion de quatre entités, dont le Fonds paritaire, qui était une association de droit privé. Une difficulté que vous dites, effectivement, serait l'articulation entre la comptabilité d'engagement des Opco et la comptabilité publique, la situation actuelle est plus souple.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le pacte d'investissement dans les compétences, opéré par France Travail, est partiellement financé par un fonds de concours alimenté à hauteur de 1,1 milliard d'euros cette année par France Compétences. Ce fonds de concours fait l'objet chaque année de reports importants en raison notamment des fortes sous-consommations. Pouvez-vous nous expliquer la raison de cette mécanique budgétaire entre deux opérateurs du même ministère ?
M. Stéphane Lardy. - Ce pacte comprend effectivement 800 millions d'euros hors répartition budgétaire, qui sont distribués par le conseil d'administration de France Compétences - j'y étais ce matin même et nous avons signé une convention avec l'État dans ce sens. Beaucoup de membres de notre conseil d'administration, en particulier des partenaires sociaux, se demandent si ces 800 millions d'euros apportés par fonds de concours ne seraient pas mieux utilisés par le plan de développement des compétences ou les CFA. Cela diminuerait le déficit de France Compétences, mais je n'ai pas à émettre d'avis sur le bien-fondé de la loi de 2018. Un membre de notre conseil d'administration parlait ce matin d'« aveuglement», tant le fonds de concours impacte le budget de France Compétences...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Rien ne justifie cette tuyauterie budgétaire qui passe par France Compétences pour repartir vers France Travail : ne pourrait-on pas faire plus simple, plus direct ?
M. Stéphane Lardy. - Je ne suis pas un spécialiste budgétaire. Nous avions émis des interrogations sur le mécanisme du fonds de concours, qui implique un geste volontaire de celui qui le dote - mais je ne peux guère me prononcer sur le plan de la technique budgétaire...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La contribution unique à la formation professionnelle et à l'apprentissage (Cufpa) est collectée par les Urssaf et la Mutualité sociale agricole (MSA), qui la reversent à France Compétences, qui verse ensuite des dotations aux Opco, lesquels reçoivent également des contributions conventionnelles prévues par des accords collectifs de branche et des versements volontaires des entreprises. N'y aurait-il pas un moyen de simplifier ce circuit de transfert de fonds entre différents opérateurs publics : qu'en pensez-vous ? Ceci pour contribuer à la lisibilité de l'action publique, qui est aussi un sujet de notre commission d'enquête.
M. Stéphane Lardy. - On a déjà bien avancé depuis 2018 ? Les Opca collectaient jusqu'alors la contribution formation : il y avait donc 47 collecteurs. Nous sommes passés à deux : URSSAF et MSA. Le législateur a considéré à raison que la fonction de collecte n'était pas centrale pour un Opca. On a donc déjà beaucoup simplifié ; peut-on aller plus loin ? Il me semble que la mécanique est assez simple et que le principal de la simplification a déjà été fait en matière de collecte.
Mme Ghislaine Senée. - Lorsqu'on m'a confié la mission budgétaire « Travail et emploi », j'ai demandé un tableau récapitulatif de tous les dispositifs en la matière : je ne l'ai toujours pas reçu, c'est un ensemble véritablement très complexe.
France Compétences est régulièrement en déficit, d'un milliard d'euros l'an dernier, vous devez activer au dernier moment des lignes de trésorerie en dernière minute parce que vous êtes mis devant le fait accompli par la loi de finances ou d'autres décisions budgétaires. Vous ne pouvez donc pas anticiper et ce mode de fonctionnement engendre des frais, parfois des pénalités : pourriez-vous nous communiquer l'impact pour France Compétences ?
Ensuite, vous m'aviez dit, lors de l'examen de la loi de finances, que vos effectifs étaient restreints et que vous étiez confronté à une perte d'expertise et de compétences : avez-vous des difficultés sur ce plan, et des besoins supplémentaires de ressources pour faire face aux missions qu'on vous confie ?
M. Stéphane Lardy. - L'écart entre notre budget d'investissement et notre budget d'intervention, tient à ce que nous avons effectivement une fonction de répartition, laquelle ne requiert pas un grand nombre d'agents, surtout avec les formes d'automatisation dont on bénéficie aujourd'hui.
Au sein de France Compétences, la direction de la certification est la plus importante, avec à peu près de 30 agents. La direction des systèmes d'information est également nombreuse, c'est nécessaire parce que nous avons créé des systèmes d'information ad hoc pour collecter les données et piloter les opérateurs pour leur facturation et le contrôle de service fait. L'IGAS et l'IGF ont constaté nos fragilités sur ce point, même si nous avons fait des progrès puisque nous sommes passés de quatre à quatorze emplois d'informaticiens en quelques années.
France Compétences peut servir d'exemple d'une agence qui fonctionne bien, les inspections générales l'ont dit, la Cour des comptes également, ainsi qu'un rapport du Sénat. Nous sommes une petite équipe, mais chacun s'y investit entièrement et travaille beaucoup à l'accomplissement de notre mission de service public. Pour autant, nous sommes un opérateur fragile. Un exemple : pour l'analyse des comptabilités analytiques, nous utilisons le langage informatique R, qui est très spécifique ; or, notre directeur est décédé brutalement, c'était un statisticien de l'Insee qui maîtrisait très bien ce langage R et qui travaillait en binôme avec un collaborateur qui, lui, a connu des problèmes de santé. D'un coup, nous ne maitrisons plus en interne ce langage R pourtant nécessaire dans nos relations avec les opérateurs, qui nous demandent par exemple des simulations avec leur comptabilité analytique. Je dois recruter, mais les profils que je recherche sont très spécifiques et rares, la situation perdure depuis le mois d'octobre dernier, le marché des data scientists est très tendu et la rémunération que je peux offrir n'est certainement pas dans le haut du panier...
Nous avons donc des fragilités, peut-être trop de missions, certaines sont très chronophages - nous instruisons 2 300 dossiers en certification chaque année, avec une commission par mois, c'est beaucoup. Nous contrôlons les certificateurs, c'est aussi une tâche importante. On nous a demandé beaucoup en six ans, nos agents sont très investis, nous sommes fragiles. Mme Borne, quand elle était ministre du travail, m'avait demandé un rapport sur les commissions professionnelles consultatives, pour voir comment rapprocher les critères de l'enregistrement sur demande et ceux des enregistrements de droit, qui sont plus simples. Un décret est en préparation, nous devrions avoir une mission nouvelle et mieux définie, j'ai demandé 8 ETP pour l'accomplir - nous avons créé un système d'information de certification professionnelle, pour que les commissaires disposent d'un même dossier numérique -, je n'ai obtenu que 5 ETP, c'est écrit dans un « bleu » de Matignon mais ma tutelle ne m'a toujours pas doté de ces emplois et je dois lui dire que sans eux, France Compétences ne pourra pas assumer cette nouvelle mission dont le décret est en cours de finalisation. Les compétences requises sont très spécifiques, il faut connaitre les référentiels d'activité, l'environnement de la décision publique, savoir tenir des positions en commission... Un « bleu », c'est bien, mais je sais d'expérience que cela ne suffit pas, il y a bien des cas où il ne se passe rien - et je ne peux pas me le permettre pour ces emplois. Autre exemple, un décret va nous permettre de doter les opérateurs sur besoins de trésorerie, au lieu des dotations trimestrielles que nous faisons et qui ne sont pas toujours bien ajustées. J'ai demandé et finalement obtenu un poste supplémentaire de contrôleur de gestion, alors que c'est une tâche très importante : nous ne demandons pas beaucoup et nous obtenons à peine le nécessaire, de haute lutte. Nous sommes fragiles, mais je pense que nous sommes à quelques emplois du bon calibrage : lors de la création de France Compétences, nous visions 100 emplois, nous sommes à 91.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je vous comprends bien, vous ne pouvez pas mettre en place les recommandations faites par le rapport des inspections générales de l'an dernier, pour renforcer le contrôle de la certification des compétences ?
M. Stéphane Lardy. - Sur le contrôle de la certification, j'ai deux salariés et un intérimaire. Nous contrôlons les certificateurs, pas les organismes de formation. Un exemple : nous contrôlons ETS Global, qui est certificateur des organismes habilités à délivrer des titres TOEIC - Test of English for International Communication - et TOFL - Test of English as a Foreign Language. Autre exemple, avec la Caisse des dépôts et consignations, nous réunissons un groupe de travail deux fois par mois pour examiner la consommation de CPF ; un outil d'intelligence artificielle alerte sur les mouvements inhabituels dans le recours à certains organismes, on regarde alors ce qu'il en est ; cela peut tenir, par exemple, au fait que l'organisme présente des informations erronées sur la formation, nous alertons alors le certificateur en le menaçant de le déréférencer s'il ne fait pas corriger les informations erronées par l'organisme de formation. Je ne sais pas combien il nous faudrait de contrôleurs : nous avons des outils d'alerte automatique, nous recevons des informations de la part de concurrents qui estiment qu'un organisme ne respecte pas les règles, ou de la part des Dreets. Nous faisons aussi des contrôles sur échantillons. Par exemple, lorsqu'un certificateur certifie un très grand nombre d'organismes de formation, nous vérifions sa capacité à assurer un contrôle effectif. Nous avons fait 35 procédures de mises en demeure l'an passé, ce qui correspond à environ 2 500 organismes de formation. Si nous avions plus de contrôleurs, nous ferions mieux, mais je sais que nous n'obtiendrons jamais 15 ou 20 contrôleurs ; nous sommes à trois contrôleurs, nous faisons ce que nous pouvons.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les sommes mobilisées pour la formation professionnelle viennent d'une cotisation obligatoire et sont très importantes. On peut cotiser toute sa vie sans jamais bénéficier de formation - considérez-vous que les contrôles sont suffisants ?
M. Stéphane Lardy. - Je ne sais pas répondre à cette question, je ne sais pas ce que serait le bon niveau de contrôle. Il y a des gens qui se forment, d'autres qui ne se forment jamais.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il faut un contrôle au moins sur la qualité des formations...
M. Stéphane Lardy. - C'est un enjeu différent. Il faudrait plus de contrôle, en effet. Toutefois la régulation du CPF a été mise en oeuvre. Il y a eu des engagements jusqu'à 2,7 milliards d'euros en 2017, nous sommes désormais autour de 2 milliards d'euros. La Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) a longtemps fonctionné comme une chambre d'enregistrement, sans quasiment de filtre. La situation a changé, la CNCP exerce plus de contrôle. Les fraudes, elles, ont surtout lieu sur le répertoire spécifique, avec les certifications transverses par exemple en ressources humaines, où l'on trouve beaucoup de choses, y compris de la sophrologie... Nous avons aussi de nouvelles procédures par exemple avec la Caisse des dépôts, pour la régulation des dépenses - nous sommes à 1,9 milliard d'euros pour cette année et je pense que c'est un plateau, nous démontrons que la régulation, ça marche.
Reste, cependant, la question de la qualité pédagogique des formations, quel que soit le domaine. Nous avançons, un décret est en cours de rédaction pour renforcer les critères d'enregistrement pour la certification - il y avait cinq critères, nous sommes désormais à neuf critères, il y aura désormais la maquette pédagogique, c'est un élément supplémentaire. Il y a des progrès à faire, également, dans l'articulation entre les branches professionnelles et l'Éducation nationale.
M. Pierre Barros, président. - Merci pour votre présence.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Frédérique Alexandre-Bailly, directrice générale de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons à présent Mme Frédérique Alexandre-Bailly, directrice générale de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep).
L'Onisep est un établissement public administratif (EPA) qui comprend un service central, implanté à Lognes, et des directions territoriales dans chaque région académique. Il élabore et met à disposition des utilisateurs la documentation nécessaire relative à l'orientation scolaire et professionnelle. Il participe également aux études et recherches destinées à faciliter l'information et l'orientation, ainsi qu'à améliorer la connaissance des activités professionnelles.
Notre commission d'enquête nous conduit à étudier les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, notamment afin d'identifier de possibles recoupements de compétences avec d'autres opérateurs, les services de l'administration centrale ou déconcentrée et les collectivités territoriales.
Pourriez-vous, madame, indiquer la manière dont l'action de l'Onisep s'inscrit dans le paysage des opérateurs de l'État, à la fois dans le domaine de l'éducation et du travail ? Quelles sont ses relations avec les services de l'administration centrale et déconcentrée ?
L'Onisep a eu un contrat d'objectifs et de performance (COP) sur la période 2021-2023. Un nouveau COP a-t-il été signé ? De quelle manière s'exerce la tutelle des ministres de l'éducation et de l'enseignement supérieur ?
Cela ne vous a certainement pas échappé, votre établissement a été évoqué devant notre commission d'enquête par M. Laurent Dejoie, représentant de Régions de France. Ce dernier expliquait que les compétences de l'Onisep devraient être transférées en quasi-totalité aux régions. Que pensez-vous de cette déclaration ? Deux jours plus tard, un préfet considérait au contraire que, l'éducation étant une compétence de l'État, l'Onisep était fondé à informer les jeunes sur les débouchés qui s'ouvrent à eux.
Compte tenu des compétences de la région, estimez-vous que la coordination entre vos services et cet échelon local est suffisante ? Le représentant de Régions de France regrettait l'absence de concertations lors du développement de la plateforme numérique Avenir(s), ce qui aurait posé des difficultés techniques selon lui.
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, je vous indique que la présente audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passif des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit sept ans d'emprisonnement et 45 000 à 100 000 euros d'amende. Par ailleurs, je vous demande de nous faire part de vos éventuels liens ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite maintenant à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Frédérique Alexandre-Bailly prête serment.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly, directrice générale de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions. - L'Onisep est un opérateur à la fois très connu - tout élève a reçu ses petits guides d'information et les a souvent oubliés dans son cartable - et peu connu, notamment dans ses missions.
Il s'agit d'une structure ancienne, créée par un décret du 19 mars 1970, qui a repris les missions du Bureau universitaire de statistiques et de documentation scolaire et professionnelle. Celui-ci était un service d'information et d'aide à l'orientation des étudiants, mis en place dans les années 1930 et transformé en établissement public en 1954.
L'Onisep est placé sous la double tutelle du ministère de l'éducation nationale et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ses missions ont été de nouveau précisées par un décret du 18 juillet 2023, publié après l'adoption de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, qui prévoyait déjà un partage de compétences avec les régions sur l'information, les métiers et les formations.
L'Onisep emploie 306 équivalents temps plein (ETP), dont 211 au siège et 95 dans les dix-sept directions territoriales.
Son budget annuel s'élève à 30 millions d'euros. Il est utilisé pour mener à bien trois missions de service public.
La première mission, que nous appelons data, est issue de son histoire. Elle consiste à tenir à jour la base nationale des données de toutes les formations initiales diplômantes et certifiantes, en relation avec les métiers auxquels elles préparent.
Cette mission est assurée par des équipes territoriales qui actualisent, au fil de l'eau, les données sur les formations de leur territoire et les font remonter au siège, afin qu'elles y soient validées, fiabilisées et intégrées sous un format propice à leur utilisation. Nous mettons en oeuvre une ingénierie élevée pour assurer l'exactitude et l'homogénéité des données. Celles-ci sont surtout transmises aux régions, soit directement sous forme d'open data, soit sous forme d'extraction. Cela dépend de ce que les régions nous demandent, dans le cadre d'un dialogue structuré. Nous organisons ainsi deux réunions chaque année et transmettons, grâce à un outil numérique partagé, les informations au gré des questions qui nous sont posées.
Ces données servent aussi à alimenter et à compléter les outils nationaux d'affectation, à savoir Affelnet et Parcoursup. Elles permettent à tout élève ou étudiant d'avoir accès à une information construite de la même façon, et donc comparable, d'un territoire à un autre. Cela garantit non seulement la complétude de l'information, mais aussi une parfaite égalité entre les citoyens.
L'Onisep transmet également des informations nationales qui indiquent les prérequis, les modalités d'accès et les poursuites d'étude après chaque type de diplôme. C'est cette même base nationale qui, sous forme d'open data, est utilisée par certaines start-up pour déployer un modèle économique allégé dans le domaine de l'orientation, très consommateur de temps et d'expertise.
Se priver de cette ingénierie, en la confiant aux régions ou au secteur privé, poserait un risque de perte d'économies d'échelle et fragiliserait le service public.
L'information constitue la deuxième mission de l'Onisep. Il s'agit de produire de la documentation, comme on le disait autrefois. Aujourd'hui, celle-ci reste en partie imprimée, mais elle est surtout numérique, pour rendre les données lisibles.
Cette mission d'éditorialisation s'effectue uniquement au siège, depuis le transfert d'une partie de la compétence d'information sur les métiers et sur les formations aux régions. Ce transfert a impliqué le départ effectif de 155 personnels de l'Onisep, dont le salaire a été ôté de la subvention pour charge de service public (SCSP) de l'opérateur, pour être reversé aux régions.
Le site onisep.fr reçoit 44 millions de visites annuelles et est régulièrement cité en premier dans toutes les enquêtes conduites en matière d'orientation. Notre travail d'éditorialisation passe également par des vidéos, car nous savons que les jeunes en sont très friands. Elles leur permettent de mieux appréhender la réalité des métiers et des formations.
Les valeurs du service public, en particulier la neutralité et l'objectivité dans la présentation des métiers, ainsi qu'une attention experte à déjouer les biais, notamment ceux qui sont liés au genre ou à l'appartenance sociale, assurent au public une représentation exhaustive et neutre de l'ensemble des formations et des métiers. Nous veillons à ce que nos informations soient détaillées de manière suffisante et formulées dans un registre de vocabulaire adapté aux adolescents. En outre, nous nous efforçons de présenter de manière lisible les différentes politiques publiques qui concourent à modifier les règles du jeu de l'orientation, telles que la réforme du lycée général et technologique.
Troisième et dernière mission : l'Onisep, en tant que support de la politique d'orientation de ses ministères de tutelle, contribue à guider les jeunes et leurs accompagnateurs.
Il fournit ainsi des supports pédagogiques nécessaires à l'éducation et à l'orientation. À l'époque actuelle, on n'oriente plus les jeunes de force : s'orienter - j'insiste sur la forme pronominale du verbe - est une chose qui s'apprend. Un jeune doit comprendre qu'il ne peut pas faire ses choix sur un coup de dé, au moment des procédures de sélection nationales. Ce qui compte pour les jeunes, ce n'est pas d'être pris dans une formation plus ou moins prestigieuse pour se comparer à leurs camarades ; ils doivent surtout s'assurer qu'ils pourront obtenir un diplôme et s'insérer dans un emploi qui leur convient. Pour cela, le ministère de l'éducation nationale a instauré, dès 2005, un parcours éducatif, renommé parcours Avenir en 2015, qui permet aux jeunes de progresser sereinement dans la connaissance de soi, des métiers et des formations.
Pour garder une trace de ce cheminement, le ministère avait déjà demandé en 2015 à l'Onisep de créer un portfolio des parcours éducatifs. Ce dernier a ensuite servi de base à l'élaboration de la plateforme Avenir(s) en 2020, comme socle de la politique nationale d'orientation. L'éducation gratuite à l'orientation, qui relève de la stricte compétence de l'État, favorise l'égalité des chances et d'accès à des formations et à des métiers moins reliés à l'appartenance sociale ou territoriale. Elle vise, par exemple, à rétablir plus d'égalité dans l'orientation des jeunes issus des territoires ruraux.
Au-delà du principe d'égalité des chances, il y a un enjeu sociétal très fort. La plateforme Avenir(s) est financée sur le plan France 2030 à la suite d'une décision prise par le Premier ministre en décembre 2021. En décembre 2024, elle a été ouverte à tous les élèves, depuis la cinquième jusqu'à la terminale, qu'ils étudient dans un établissement de l'éducation nationale, du ministère de l'agriculture, de l'enseignement privé sous contrat ou de l'enseignement français à l'étranger, ou bien auprès du Centre national d'enseignement à distance (Cned). Elle est le socle du parcours Avenir. Une progression est définie avec des objectifs par niveau scolaire, qui ont été travaillés en lien avec l'éducation nationale. Il s'agit pour les enseignants de pouvoir faire cheminer les élèves et leur faire acquérir peu à peu toutes les compétences nécessaires pour s'orienter.
Elle comporte également un portfolio de compétences que l'élève peut enrichir tout au long de sa scolarité et reporter ensuite sur les portfolios de l'enseignement supérieur et le passeport de compétences du ministère du travail.
La plateforme Avenir(s) fait maintenant l'objet d'un
dialogue approfondi avec chaque région, sous le patronage de
Régions de France et du cabinet de la ministre d'État, afin
qu'elle s'articule avec les outils et
les dispositifs des
régions et de leurs partenaires. Les directeurs territoriaux de l'Onisep
sont chargés de son déploiement, en cohérence avec les
particularités de leur territoire, et pilotent le dialogue avec les
régions.
Les responsables d'accompagnement pédagogique, qui exercent au sein de nos directions territoriales, forment les enseignants et les autres membres des équipes éducatives à l'accompagnement des élèves. Ils interviennent ainsi au stade de la formation initiale dans les universités, au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), mais aussi au stade de la formation continue, dans le cadre des plans nationaux et des plans académiques de formation.
L'Onisep donne la possibilité de poser une question d'orientation directement à une personne, dont la voix et l'expertise vont permettre de mieux appréhender les possibilités et les démarches à suivre. Ce service a été créé en 2006 sous l'appellation Mon orientation en ligne. Des numéros verts ont ensuite été mis en place, à la demande des ministères de tutelle. J'ai en particulier à l'esprit les numéros verts Parcoursup et Mon Master, auxquels 10 % des candidats de chacune des deux plateformes font appel.
L'Onisep est, depuis cinquante ans, le support expert de la politique nationale d'orientation des jeunes : collégiens, lycéens et étudiants. Il se renouvelle en permanence eu égard aux évolutions des politiques publiques et de la société.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans son rapport public annuel relatif aux politiques en faveur de la jeunesse, la Cour des comptes alerte sur la nécessité de clarifier les compétences de l'État et des régions en matière d'orientation, notamment en raison des confusions qui ont été créées par la loi du 5 mars 2014. Plusieurs régions ont créé des agences régionales de l'orientation et des métiers, dont les actions recoupent directement celles de l'Onisep. Lors de son audition, le responsable de Régions de France a d'ailleurs spontanément cité l'orientation comme exemple de doublon.
Quelles clarifications pourrait-on envisager ? Le maintien du réseau territorial de l'Onisep est-il justifié ? Ce réseau représente environ un tiers de vos effectifs et entraîne des coûts de fonctionnement important, d'autant que l'Onisep bénéficie d'une subvention de 40 millions d'euros, tandis que les Centres d'information et de documentation pour la jeunesse (CIDJ) ne reçoivent que 6 millions d'euros.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - L'Onisep ne perçoit pas une subvention de 40 millions d'euros : elle bénéficie d'un budget total annuel de 30 millions d'euros, dont une subvention de 21 millions d'euros.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez donc 10 millions de ressources propres ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Non, nous disposons de recettes fléchées, soit 3,6 millions à 4 millions d'euros de ressources propres.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - De qui ces recettes fléchées proviennent-elles ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Elles proviennent surtout du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour la gestion du numéro vert Parcoursup, et du ministère du travail, dans le cadre des conventions que nous avons conclues, en particulier avec le ministère du travail.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous vivez donc bien avec 26 millions de ressources de l'État et environ 4 millions d'euros de ressources propres.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - C'est exact.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces éléments clarifient notre compréhension du budget de l'Onisep. Qu'en est-il de la question des doublons ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - J'ai pris connaissance du rapport public annuel de la Cour des comptes sur les politiques en faveur de la jeunesse. Nous attendons encore les conclusions de la consultation annuelle sur l'orientation lancée par Alexandre Portier, lorsqu'il était ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel. Elles devraient apporter des clarifications sur la répartition des compétences. Pour l'heure, je ne peux pas vous en dire plus sur ce sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela ne vous empêche pas d'avoir un avis, notamment sur la pertinence de maintenir 95 agents à l'échelon régional.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Le maintien des ETP dans les directions territoriales est lié aux deux missions que les ministères de tutelle et l'Onisep ont décidé de conserver au sein des académies et que nous ne partageons pas avec les régions. En effet, sur les trois missions relatives respectivement aux données, à l'information et à l'accompagnement, seule la mission relative à l'information est partagée avec les régions. Les 155 personnels qui ont quitté l'Onisep entre 2020 et 2022 pour mettre en oeuvre la loi de 2018 travaillaient tous sur cette mission : à l'époque, les guides académiques étaient conçus par chaque équipe régionale.
Nous avons conservé en régions les missions qui ne sont pas partagées avec les collectivités territoriales, c'est-à-dire la mission d'élaboration et d'actualisation des données et la mission d'accompagnement pédagogique.
Les ETP dont nous disposons sur le terrain nous permettent d'être en vraie relation avec les établissements scolaires et universitaires. Nous pouvons ainsi mieux observer les évolutions de la formation et écouter les besoins des accompagnateurs.
Nos personnels à l'échelon régional ne sont pas sur une compétence en matière d'information. Seuls les personnels du siège travaillent à l'élaboration d'une information nationale exhaustive, qui n'est pas exactement la somme des informations régionales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quid des conseillers d'orientation dans les établissements scolaires ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Ces conseillers ne relèvent pas de l'Onisep, contrairement à ce que l'on pense. Les conseillers d'orientation, qu'on appelle aujourd'hui les psychologues de l'éducation nationale, ou psys-EN, sont répartis entre les centres d'information et d'orientation (CIO) et les établissements scolaires, où ils rencontrent les élèves.
Cela dit, les psys-EN et les professeurs documentalistes utilisent notre documentation nationale, via le site L'Atlas de l'Onisep. Ils peuvent ainsi obtenir des informations précises pour accompagner les jeunes et leur famille.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi un jeune en recherche d'informations devrait-il s'adresser à un professionnel qui a le titre de psychologue ? J'ai du mal à comprendre cette dénomination.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Les jeunes s'adressent au CIO.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je comprends bien, l'Onisep fournit des données à ces psychologues, mais interagit-il directement avec eux ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - L'Onisep contribue parfois à former les psys-EN. Nous travaillons avec eux et les écoutons, car ils rencontrent les jeunes et nous remontent quelquefois de l'information. En outre, les psys-EN participent aux groupes de réflexion et d'étude des besoins. Hormis ces quelques interactions, nous n'avons pas de relation fonctionnelle ou hiérarchique avec ces psychologues, car ils sont placés sous la responsabilité directe des académies.
Je note que vous m'avez invitée à m'exprimer le même jour que les responsables de France Travail et de France Compétences. Nous sommes bien d'accord : l'un des objectifs de l'orientation est de faire en sorte qu'il y ait moins de chômage et que les jeunes puissent s'insérer dans la vie active de la meilleure façon possible. Le problème est que nous nous adressons à des adolescents qui se cherchent d'abord eux-mêmes avant de chercher une formation. Plus ils sont jeunes, plus il est difficile de leur parler d'orientation. Il faut donc mener un travail progressif en amont, afin que les choix de formation ne soient pas pris à la dernière minute.
Précisément, les parcours éducatifs permettent aux jeunes de mieux se connaître et de parler d'eux, mais aussi de découvrir les multiples formations et métiers. Il s'agit bien de faire le lien entre ces trois éléments.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce que vous dites est très juste. Une réforme des programmes au collège a été engagée pour permettre aux élèves de découvrir les métiers. L'Onisep intervient-il dans ce cadre, aux côtés de l'éducation nationale ? Comment les choses s'articulent-elles avec les lycées ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Il s'agit bien d'une politique nationale, qui prévoit que tous les jeunes, à partir de la cinquième, doivent découvrir un certain nombre de métiers, afin d'élargir leurs horizons et d'éclairer leurs choix.
Cette politique nationale vient mobiliser la compétence de la région en matière d'information sur les métiers. Cela pose donc, comme toujours dans l'éducation nationale, la question de l'articulation entre différents acteurs.
J'ai été rectrice d'académie par le passé. Ainsi, je connais bien la répartition des compétences éducatives : les écoles primaires relèvent des communes ; les collèges, des départements ; les lycées, des régions. En dépit de ces différences, il n'y a qu'un seul enfant qui grandit et traverse les cursus scolaires. Ainsi, les acteurs communaux, départementaux et régionaux doivent veiller à l'articulation de leurs politiques, pour assurer aux jeunes de disposer des éléments qui leur permettront de faire des choix.
Encore une fois, c'est aux jeunes de s'orienter. Dès lors, il n'est pas concevable qu'ils n'aient pas de choix. Il faut donc garantir une logique, une cohérence et une progression.
Les rapports de la Cour des comptes, du Parlement et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) révèlent tous le niveau considérable d'anxiété chez les jeunes, qui s'interrogent sur leur avenir et ont le sentiment de ne pas être suffisamment accompagnés.
L'Onisep, à cet égard, joue un rôle de support des accompagnateurs. Nos personnels ne sont pas assez nombreux pour accompagner directement les jeunes, même si le numérique et la plateforme Avenir(s) renforcent leur autonomie. Nous veillons donc à ce que les régions et les professionnels qui travaillent au contact des jeunes, notamment au sein des CIO, disposent des bonnes informations. Nous permettons ainsi aux jeunes de réunir les trois éléments dont ils ont besoin : s'orienter, s'informer et être accompagnés dans les moments les plus difficiles, afin de naviguer dans le système et d'acquérir les bonnes compétences.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez répondu à la question de l'articulation entre l'Onisep et la région, mais qu'en est-il de l'articulation avec les CIDJ ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Il faut distinguer le CIDJ, le centre départemental d'information jeunesse (CDIJ) et le centre régional information jeunesse (CRIJ), qui font partie réseau Info Jeunes France, avec lequel nous travaillons et avec lequel d'ailleurs nous pourrions signer une convention à l'avenir.
Contrairement à l'Onisep, ces structures abordent de façon transversale les enjeux relatifs à la jeunesse : les droits, le logement, la santé, par exemple ; le maillage est exceptionnel : des points d'information jeunesse sont présents dans tout le territoire.
Nous envisageons de former les conseillers des points d'information jeunesse au vocabulaire de la plateforme Avenir(s) ; d'ailleurs, une première expérimentation a déjà été menée avec le CRIJ de Nouvelle-Aquitaine. L'idée est de pouvoir y accueillir les jeunes avec un vocabulaire et des outils qui sont non pas scolaires, mais adaptés à leurs compétences. Par exemple, un jeune pourrait y présenter son portfolio de compétences et demander conseil sur les démarches à suivre. Le réseau Info Jeunes, décentralisé, a une présence humaine sur le territoire que nous n'avons pas.
S'agissant du dialogue avec les régions sur la plateforme Avenir(s), il a été rompu, mais ce n'était pas le cas au départ : nous avons intégré les régions dans la gouvernance d'Avenir(s) et c'est même inscrit dans la convention que nous avons signée avec l'Agence nationale de la recherche (ANR). François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire et président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France, était présent au premier comité d'orientation stratégique d'Avenir(s).
Au début, nous avions pour idée d'articuler nos compétences avec les régions, mais, après la présentation des maquettes de la plateforme Avenir(s) en décembre 2023, nous avons eu le sentiment que leur engagement était moindre. Il y a eu une rupture de dialogue, notamment à cause des changements ministériels successifs : nous avions réussi à le renouer avec Nicole Belloubet, alors ministre de l'éducation nationale, mais ce n'est qu'après la dissolution, lorsque les réunions ont enfin pu reprendre, lorsqu'Anne Genetet a reçu Régions de France le 5 novembre 2024, que nous nous sommes réunis, d'abord le 12 novembre, puis à quatre reprises en décembre - et deux autres fois à la suite de la nomination du nouveau Gouvernement. La semaine passée, nous avons tenu un comité de pilotage réunissant l'ensemble des régions, et non simplement les cinq régions pilotes.
La bonne nouvelle, c'est qu'une fois que les agents des
régions ont vu ce qu'était réellement Avenir(s), ils ont
compris que les compétences ne se recoupaient pas et que nous pouvions
les articuler pleinement. Le processus est totalement gratuit pour les
régions, car cela fait partie du financement d'Avenir(s). Nous
respectons les meilleures normes
internationales
d'interopérabilité, avec des branchements
d'API et des solutions techniques adaptées. Nous accompagnons, s'il le
faut, les régions qui ne suivent pas encore ces normes.
L'objectif est que les élèves puissent bénéficier à la fois de l'information nationale, qui est la base de nos dispositifs pédagogiques, et de l'information régionale, qui affine et colore l'accompagnement. D'ailleurs, nous avons même commencé à inventer des solutions communes avec la région Grand Est afin de construire un service commun qui profitera directement aux élèves.
Après un début de dialogue un peu compliqué, nous sommes désormais sur la bonne voie. Dès la rentrée 2025, les articulations entre la plateforme nationale et les informations régionales devraient être pleinement fonctionnelles et mises au service des élèves.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce que la plateforme Avenir(s) a vocation à devenir le site d'information unique des entités publiques sur l'orientation ? Un certain nombre de sites publics traitent déjà de ce sujet.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Avenir(s) n'est pas un site d'information, mais une plateforme pédagogique. Elle ne propose aucune information ; elle ne fait que rediriger les élèves vers les informations dont ils ont besoin.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment est-elle accessible ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Elle est accessible uniquement sur authentification : seuls les élèves, leurs professeurs et les chefs d'établissement y ont accès. Les parents, par exemple, ne peuvent pas aller sur Avenir(s) pour obtenir des informations sur tel ou tel bac. Il s'agit d'un dispositif pédagogique, auquel les élèves se connectent pour accéder à leur parcours éducatif et recevoir les informations pertinentes au moment où c'est pertinent pour eux, à la différence des autres sites - publics, privés ou associatifs -, où l'information est tellement pléthorique que les jeunes s'y noient.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment l'élève se connecte-t-il exactement ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Il se connecte d'où il veut avec ses identifiants...
M. Pierre Barros, président. - C'est comme l'espace numérique de travail (ENT) ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Oui, il peut se connecter depuis l'ENT ou depuis le site de l'Onisep, grâce à ÉduConnect, qui fonctionne comme FranceConnect.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'information n'est pas directement accessible via une recherche dans un navigateur, mais elle l'est pour les élèves et leurs parents lorsqu'ils travaillent ensemble sur l'orientation, n'est-ce pas ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Oui, bien sûr.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À terme, ne faudrait-il pas rationaliser les informations publiques pour les rendre plus accessibles ? Avec l'essor de l'intelligence artificielle, on pourrait imaginer un outil centralisant et hiérarchisant ces informations. Les élèves, à cet âge, ne sont pas assez aguerris pour sélectionner les informations pertinentes.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - La politique du numérique pour l'éducation des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, mise en oeuvre par le même service, a pour objet de rationaliser et d'urbaniser, comme disent les informaticiens. Ainsi, lors de la création de la plateforme Avenir(s), nous avons décidé de supprimer tous nos sites satellites ; il y en avait jusqu'à douze, créés au fur et à mesure des nouvelles politiques publiques : le site des cordées de la réussite, un site « Nouvelles Chances » pour l'obligation de formation des 16-18 ans, ou encore la plateforme de simulation Horizons 21.
Nous souhaitons garder uniquement le site onisep.fr et la plateforme Avenir(s). Le premier servira mieux le grand public et les parents, puisqu'ils y trouveront des informations sur les manières d'accompagner leurs enfants et sur les politiques publiques. Par exemple, le site propose des vidéos d'explication aux parents, disponibles en huit langues - nous avons ajouté l'ukrainien après le début de la guerre -, sur le fonctionnement de l'école en France. Toutes ces informations sur le système éducatif, les paliers d'orientation et d'autres aspects seront enrichies pour aider les parents à comprendre le parcours éducatif de leur enfant chaque année.
Sur les sites des dispositifs d'affectation, tels qu'Affelnet, Parcoursup, et Mon master, beaucoup d'informations sont également disponibles, mais elles ne sont pas redondantes, car nos données sont reliées : le site Parcoursup renvoie vers celui de l'Onisep. En back office également, certaines données sont communes, notamment celles qui concernent les sites d'orientation après la troisième, lesquelles sont fournies par l'Onisep.
Je ne connais pas d'autres sites d'orientation pour les jeunes qui seraient fournis par d'autres ministères.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je pense notamment au site InserJeunes.
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Les informations qui y sont présentées, tout comme celles qui concernent le dispositif InserSup, sont disponibles sur parcoursup.gouv.fr ou sur onisep.fr. Nous pourrions probablement faire mieux et peut-être supprimer certains sites, mais l'essentiel est que tout soit mis en réseau et en circulation.
Actuellement, nous travaillons sur un avenant au COP 2021-2023, couvrant les années 2024 et 2025, tout en amorçant la préparation du COP 2026-2028. Dans ce cadre, une réflexion est en cours sur la stratégie à adopter en matière d'intelligence artificielle (IA), en tenant compte de l'évolution des usages des jeunes, qui interrogent de plus en plus une IA plutôt que de consulter directement notre site. Il est établi que la moitié des accès à notre site résulte déjà de recherches effectuées via des moteurs de recherche. Lorsqu'un utilisateur cherche une formation, il ne pense pas nécessairement à se rendre d'emblée sur le site de l'Onisep.
Cette évolution des pratiques va s'intensifier avec l'essor de l'intelligence artificielle. Or un problème majeur se pose : le rythme d'évolution des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur est annuel, si bien que l'information devient rapidement obsolète. Si un utilisateur consulte une IA gratuite dont les données s'arrêtent à une période antérieure - par exemple deux ans auparavant -, il risque d'obtenir des informations périmées. Cela soulève la question de la mise en place d'une IA souveraine, alimentée par nos données et d'autres sources publiques, garantissant l'actualisation des informations disponibles.
Nous nous interrogeons également sur l'opportunité de développer une intelligence artificielle spécifique au ministère de l'éducation nationale ou d'opter pour une IA du service public en général. À ce stade, aucune décision n'a été prise, la réflexion étant encore en cours dans le cadre du futur COP. Toutefois, des efforts significatifs ont déjà été consentis. Nous avions notamment répondu à un appel à projets dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) en partenariat avec le moteur de recherche Qwant, afin de recenser et de valider l'information en matière d'orientation issue de divers sites. Ce projet devait permettre de créer un portail d'orientation sous l'égide de l'Onisep. Toutefois, Qwant s'est retiré du projet à la suite d'un changement de stratégie. Nous avons néanmoins poursuivi nos travaux et, grâce aux fonds restants, développé le site L'Atlas, qui est un portail dédié aux professionnels capables d'exploiter des données complexes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans un rapport publié en 2024, la Cour des comptes a souligné que la part des ressources propres de l'Onisep tendait à diminuer. Cette évolution a-t-elle vocation à se poursuivre ? Relève-t-elle, par exemple, de la politique d'ouverture des données ? Ou bien s'explique-t-elle par d'autres facteurs ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Tout d'abord, cette diminution n'a pas vocation à durer, car elle n'est pas soutenable.
Plusieurs raisons concourent à cette situation. Il est complexe de générer un chiffre d'affaires lorsque l'on est tenu de fournir ces données gratuitement. Nous appliquons rigoureusement la politique d'ouverture des données - nos tutelles en conviennent -, ce qui empêche toute valorisation directe de nos données. En revanche, il reste possible de valoriser une valeur ajoutée. Depuis quatre ou cinq ans, nous travaillons sur ce sujet, en particulier sur l'exploitation des données issues des réponses aux questions posées pendant plus de dix ans sur la plateforme Mon orientation en ligne. Nous avons analysé ces données, afin d'identifier les interrogations récurrentes des usagers. L'objectif est de développer un agent conversationnel, un bot, capable de répondre à ces questions, générant ainsi une valeur ajoutée potentiellement commercialisable. Nous commencerons par l'utiliser en interne, afin de garantir son efficacité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le coût de cette réflexion sur la valorisation n'excède-t-il pas le gain potentiel que vous pourriez en retirer ?
Mme Frédérique Alexandre-Bailly. - Cette question a été soulevée par les inspecteurs généraux venus nous rencontrer dans le cadre d'une mission sur la soutenabilité économique des opérateurs du ministère de l'éducation nationale ; leurs conclusions sont en cours de finalisation et ne nous ont pas encore été communiquées.
La Cour des comptes nous a également recommandé de mettre en place une comptabilité analytique, que nous sommes sur le point d'achever. Elle nous permet d'objectiver les coûts de production et de diffusion de certaines de nos publications, qui s'avèrent trop élevés.
La mise en place de cette comptabilité analytique nous offre une meilleure visibilité et permet d'envisager des pistes de redressement. Plusieurs actions ont déjà été engagées : historiquement, les productions de l'Onisep étaient monolithiques, s'adressant à un public très large ; désormais, nous adaptons nos publications aux usagers, puisqu'elles sont plus numériques, moins en format papier, et conçues pour chaque tranche d'âge. Les collégiens, par exemple, ne lisent pas de longs textes ; il est donc nécessaire de leur proposer des contenus plus visuels, intégrant de la data visualisation, des illustrations, etc. Nos publications comportaient auparavant des témoignages illustrés de photos - des véritables reportages -, dont la réalisation et l'actualisation étaient très coûteuses. Cette offre n'était pas suffisamment adaptée à la diversité de nos publics. Une réorganisation complète du service éditorial a été menée afin de moderniser notre production et de répondre aux attentes de notre tutelle, notamment en retrouvant une dynamique de recettes propres. Les ventes ont cessé de chuter l'année dernière. Cependant, la tendance nationale sur le marché du livre est à la baisse. Les usagers achètent de moins en moins de livres, ce qui renforce la nécessité d'une numérisation accrue de nos services.
Une difficulté supplémentaire réside dans la conciliation entre logique commerciale et exigence d'égalité des chances : il reste très difficile de déployer de l'ingénierie sur des produits payants, alors même que nous souhaiterions les rendre accessibles gratuitement aux élèves. Nous nous orientons donc vers une stratégie de type business to business (B2B), en proposant nos produits à de grandes entités susceptibles de les redistribuer aux élèves. Ainsi, nous avons recruté - et c'est une première - un responsable commercial, lequel a contacté les acheteurs centralisés des médiathèques, afin d'intégrer nos publications dans les bibliothèques municipales.
Enfin, une autre explication du déficit constaté depuis 2020 tient à une erreur de calcul de la subvention. Celle-ci avait été fondée sur le salaire moyen, alors que les 155 personnels quittant l'Onisep étaient les plus jeunes. Le niveau de rémunération des agents restants s'est donc révélé bien supérieur à celui qui avait été anticipé, entraînant un glissement vieillesse technicité (GVT) plus important.
Le déficit résulte enfin de la perte d'opportunités publicitaires dans nos guides. Chaque académie disposait d'un guide incluant des encarts publicitaires locaux : cette activité représentait environ un million d'euros de recettes.
La restructuration engagée pour répondre à cette situation a nécessité du temps. Il ne faut pas sous-estimer le processus d'accompagnement de 155 agents, soit près des deux tiers des effectifs régionaux de l'Onisep. Cela ne s'est pas fait instantanément. Il a fallu ménager une stratégie positive, remobiliser les équipes, se recentrer sur les atouts de l'institution. La crise du Covid a également compliqué et retardé ces transformations.
Aujourd'hui, une évolution profonde est en cours, tournée vers des publications plus ciblées, moins coûteuses, plus numériques, afin de restaurer une marge de manoeuvre commerciale.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie d'avoir contribué à notre commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Claire Giry, présidente-directrice générale, MM. Vincent Cottet et Thibault Cantat, directeurs généraux délégués de l'Agence nationale de la recherche (ANR)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons aujourd'hui Mme Claire Giry, présidente-directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), accompagnée de MM. Vincent Cottet et Thibault Cantat, directeurs généraux délégués.
L'ANR est un établissement public à caractère administratif (EPA) placé sous la tutelle du ministère chargé de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui met en oeuvre le financement de la recherche sur projets. Vous êtes également un opérateur important du plan France 2030.
Notre commission d'enquête étudie les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, afin d'identifier des doublons, des chevauchements et de faire des propositions d'amélioration. La pression budgétaire se fait en effet de plus en plus forte pour diminuer les dépenses des ministères et de leurs opérateurs, et l'incertitude économique et géopolitique actuelles, qui atteint un niveau rarement atteint, renforce cette pression. Il est donc crucial d'avoir une compréhension parfaite du rôle et de l'utilité de chacun de ces opérateurs afin d'éviter des « coups de rabot » contre-productifs.
Dès notre première réunion, nous avons laissé hors du champ de notre commission d'enquête les organismes d'enseignement et de recherche, en considérant que leurs missions devaient de toute manière continuer d'être conduites, quelle que soit leur organisation administrative. En revanche, nous nous intéressons à des opérateurs qui, sans réaliser eux-mêmes des travaux de recherche de manière directe, participent à leur financement ou, de manière générale, à l'organisation administrative du monde de la recherche. C'est pourquoi nous vous avons demandé de venir.
Je vous demanderai donc de nous expliquer ce qu'apporte - ou ce que n'apporte pas - le statut d'agence pour exercer vos missions, par rapport à l'administration centrale. Est-il plus facile de lancer des appels à projets dans le domaine de la recherche lorsqu'on dispose d'une certaine autonomie pour gérer son budget ou pour recruter ? Toutefois, cela n'entraîne-t-il pas des risques de doublons avec le ministère chargé de la recherche, puisque lui aussi a besoin, comme vous, d'avoir une bonne connaissance des milieux de la recherche ?
De même vis-à-vis d'autres agences, identifiez-vous des chevauchements et avez-vous des propositions d'amélioration ? Je pense par exemple à l'Ademe, qui porte aussi des dispositifs d'appels à projets. D'une manière générale, quels sont vos liens avec d'autres opérateurs en lien avec le monde de la recherche et des entreprises, comme la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance ? Entretenez-vous également des liens avec les territoires qui accueilleront les projets sélectionnés, soit directement, soit par l'intermédiaire des préfets ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc, ainsi que vos collaborateurs, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Giry, MM. Thibault Cantat et Vincent Cottet lèvent la main droite et disent « Je le jure ».
Mme Claire Giry, présidente-directrice générale de l'ANR - Je vais préciser les fonctions de l'agence et notre rôle dans l'écosystème de la recherche et de l'innovation.
L'ANR, établissement public administratif sous tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, est liée à ce dernier par un contrat d'objectifs et de performance. Notre conseil d'administration inclut des représentants de ce ministère, ainsi que ceux chargés du budget et de l'industrie, et d'autres institutions de recherche.
Créée en 2005, l'ANR célèbre ses 20 ans cette année. Nos deux missions principales sont le financement de la recherche sur projet et, depuis la création du premier programme d'investissements d'avenir (PIA), nous sommes devenus un opérateur majeur de France 2030, gérant le financement et le suivi des projets d'enseignement supérieur et de recherche.
Concernant notre mission première de financement de la recherche sur projet, nous recevons environ 8 000 propositions par an. Ces projets sont évalués par des experts scientifiques selon le principe internationalement reconnu de l'évaluation par les pairs. Nous sélectionnons les meilleurs projets, les plus innovants et les plus prometteurs pour la recherche française. Un projet moyen financé par l'ANR s'étend sur cinq ans et bénéficie d'un financement de 500 000 euros.
Ce mécanisme de financement de la recherche coexiste avec d'autres modalités. À titre d'exemple, les institutions de recherche financent des dotations aux laboratoires, mais notre financement sur projet garantit que ces fonds arrivent directement dans les laboratoires et soutiennent la meilleure recherche. Nous apportons une valeur ajoutée en dynamisant la recherche française et en créant un cercle vertueux qui finance ce qui est le mieux évalué. Ce système favorise également l'acculturation à la recherche sur projet, mode de financement international, en incitant à formaliser les idées, à réfléchir aux collaborations et aux objectifs. Cela est crucial pour la participation des équipes françaises au programme Horizon Europe. Pour ce faire, notre budget d'intervention actuel s'élève à 1,2 milliard d'euros.
Ce mécanisme garantit l'exigence et l'ambition scientifique tout en dynamisant notre écosystème. La plupart des pays de recherche en Europe disposent d'une agence similaire, à l'exception notable de l'Italie.
Notre priorité est d'optimiser l'efficacité du système en réduisant les efforts administratifs pour tous les acteurs impliqués. Nous finançons tous types de projets dans tous les domaines scientifiques, selon une approche curiosity-driven, pour utiliser le terme consacré. Nos financements couvrent 57 axes différents, émanant d'universités, d'écoles et d'organismes de recherche, parfois en partenariat avec des entreprises pour 20 % des financements accordés.
Bien que la majorité de nos appels soient axés sur une logique curiosity-driven ou bottom-up, certains sont ciblés sur des questions spécifiques pour encourager des jeunes chercheurs à prendre leur autonomie, ou sur des sujets précis tels que la maladie de Charcot ou l'intelligence artificielle. Nous collaborons avec diverses entités étatiques, telles que l'Agence de l'innovation de défense (AID) ou la direction générale de l'offre de soins (DGOS) au ministère de la santé, ou régionales sur des thèmes d'intérêt commun, comme la résilience face à la crise Covid, l'impact local du changement climatique ou le chlordécone.
Notre second pan d'activité consiste à être opérateur des PIA et, aujourd'hui, de France 2030. Nous mobilisons notre savoir-faire pour organiser l'évaluation de projets sur des axes de travail très ciblés, correspondant aux 10 priorités de France 2030. Dans ce cadre, nous gérons 9 milliards d'euros sur les 54 milliards du programme, avec un décaissement annuel de 1 à 2 milliards d'euros.
Notre métier exige une grande adaptabilité, alliant gestion de volume et approches sur mesure. Nous accordons une importance capitale à la transparence et à l'équité envers les laboratoires et les scientifiques, notamment en vérifiant rigoureusement les liens d'intérêt des experts mobilisés pour maintenir la confiance de la communauté scientifique et de nos partenaires internationaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ayant été directrice générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) au sein du ministère, percevez-vous une différence significative dans votre rôle actuel de PDG de l'ANR ? Cette question prend en compte le fait que la DGRI compte près de 300 agents, dont un service entier dédié à la contractualisation avec les organismes de recherche.
Mme Claire Giry. - Le poste que j'occupe actuellement est un métier tout à fait différent. Le point commun entre ces deux fonctions est effectivement le nombre de personnels rattachés à chaque entité. Pour autant, les rôles au quotidien s'avèrent extrêmement différents.
En tant que directrice générale de la recherche et de l'innovation, mon rôle consistait à assurer la fonction de tutelle des organismes de recherche et de l'ANR elle-même : organiser la nomination des dirigeants, préciser leur lettre d'objectifs, mettre en place les contrats d'objectifs, de moyens et de performances : la loi de programmation pour la recherche a en effet créé une dimension de moyens dans ces contrats, ce qui permet à l'ANR d'avoir un budget d'intervention plus élevé qu'il y a quelques années. Il me revenait aussi, à la DGRI, de préparer les conseils d'administration, y siéger et préparer les positions de l'État dans ces conseils. D'autres fonctions étaient liées à la recherche réglementée telle que la question de l'encadrement de l'expérimentation animale ou de l'utilisation des OGM.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quels éléments ne permettraient-ils pas d'internaliser les missions des agents de l'ANR au sein de la DGRI ? Il y a 20 ans, l'ANR n'existait pas, et nous réalisions tout de même des travaux de recherche en France.
Mme Claire Giry. - L'objectif de cette distinction tient à ce que le ministère se concentre sur la stratégie, les grandes orientations pour la recherche en termes de dispositifs ou de mécanismes de financement. Dans ce contexte, l'agence exerce un rôle très opérationnel : réception des projets de recherche, organisation de comités d'expert, choix d'experts, vérification de leurs éventuels liens d'intérêt. Aujourd'hui, ce rôle n'est pas considéré comme relevant d'un ministère. Ce dernier impulse la vision stratégique, l'orientation politique, tandis que l'ANR met en oeuvre une partie de cette politique, sa propre programmation étant arrêtée par le ministère de la recherche.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment votre politique de communication est-elle organisée ? Disposez-vous d'équipes internes dédiées ou faites-vous appel à un prestataire extérieur ? Sur certains des communiqués de presse, il n'est pas fait mention de l'État - seule l'ANR est mentionnée. Comment l'expliquez-vous ? Par ailleurs, nous avons lu dans un de vos communiqués de presse les propos suivants : « Ce projet d'un million d'euros est co-financé par l'Agence nationale de la recherche à hauteur de 500 000 euros. » Cette phrase est-elle tout à fait complète alors même que, selon la documentation budgétaire, les ressources de l'ANR correspondent à une subvention pour charge de service public. Ou disposez-vous dans ce cas de ressources propres, distinctes de l'argent du contribuable, permettant d'affirmer que l'ANR, en son nom, a effectivement financé le projet ?
Mme Claire Giry. - L'argent que nous dépensons est l'argent de l'État.
Notre communication est assurée par notre direction de la communication interne et se déploie de diverses manières. Nous organisons des colloques scientifiques basés sur les projets que nous finançons, afin d'animer la communauté scientifique autour de grands thèmes. Ces événements permettent aux porteurs de projets d'une même thématique d'échanger, ce qui est bénéfique pour eux et nous aide à évaluer l'impact de ces projets. Nous nous efforçons d'impliquer toutes les parties prenantes dans ces colloques. Récemment, nous avons organisé un colloque sur la recherche en sécurité, associant des acteurs opérationnels tels que la gendarmerie et les armées. Au-delà de la sphère purement scientifique, dans le cadre de nos programmes Sciences et Sociétés, nous travaillons également à établir une relation directe avec les citoyens pour promouvoir la recherche et l'intérêt de la science, ce qui fait partie intégrante de nos missions. Pour certains événements spécifiques, nous faisons appel à des prestataires externes.
Notre communication primordiale s'adresse aux bénéficiaires, laboratoires et chercheurs. Nous les informons du lancement de nos appels et organisons des webinaires pour expliquer nos procédures - la simplification de nos appels à projets, et le fonctionnement de nos différents instruments, notamment pour les programmes européens. En prévision de notre nouveau plan triennal, nous allons organiser une série de rendez-vous de l'ANR sur le terrain et via des webinaires.
Nous publions également des communiqués de presse pour annoncer de nouveaux appels, particulièrement lorsqu'ils sont atypiques ou nouveaux, ou pour présenter certains résultats.
Concernant les cofinancements mentionnés, il pourrait s'agir d'appels lancés en partenariat avec des régions ou d'autres opérateurs. Dans ces cas, nous cofinançons en finançant une partie de l'appel, chaque partenaire finançant les bénéficiaires par son propre canal, mais c'est l'ANR qui organise l'évaluation et établit la liste des projets. Nous collaborons également avec l'Agence française de développement (AFD) ou l'AID, pour lesquelles nous opérons les appels avec leur financement.
Il est important de préciser qu'au moins 95 % de notre budget provient de la subvention pour charge de service public. Nous bénéficions d'un peu de cofinancement européen dans notre propre budget, car nous gérons des appels pour des partenariats européens sur des thématiques majeures telles que l'eau, le cerveau et l'alimentation, impliquant plusieurs agences à l'échelle européenne, avec un possible abondement de la Commission européenne.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'utilisez-vous que le logo ANR et pas le logo de l'État dans ces communications ? Vos communiqués sont-ils validés ou envoyés pour information au cabinet ou à la tutelle au préalable, ou disposez-vous d'une totale liberté de communication ?
Mme Claire Giry. - En tant qu'établissement public, nous disposons d'une autonomie en matière de communication. Néanmoins, pour des sujets particulièrement sensibles ou politiques, nous nous concerterions avec le cabinet du ministre. Notre communication se concentre principalement sur nos appels à projets et nos activités opérationnelles. Il me semble que nous apposons le logo de l'État sur nos communications, conformément à une directive récente. Notre communication s'inscrit naturellement dans celle de l'État, mais sans nécessiter de validation politique systématique pour nos opérations courantes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aborde maintenant la question de la pluri-annualité. Estimez-vous que la loi de programmation de la recherche (LPR) a amélioré la visibilité de l'agence sur ses crédits d'intervention à moyen terme ? Quels sont les outils et indicateurs permettant d'évaluer la réalisation du contrat d'objectifs et de performance État-ANR qui s'achèvera en 2025 ? Avez-vous déjà des pistes pour son renouvellement et des objectifs qui vous auraient été assignés ?
Mme Claire Giry. - La LPR a effectivement amélioré la visibilité de l'ANR. Elle prévoit une augmentation du budget d'intervention de l'agence de plus d'un milliard d'euros entre 2021 et 2027. Nous suivons cette trajectoire, malgré un léger infléchissement en 2024 et 2025. Le budget est passé de 780 millions d'euros en 2021 à 1,2 milliard d'euros aujourd'hui, offrant une visibilité accrue à l'agence et surtout aux communautés scientifiques. Le taux de sélection des projets a augmenté de 18 % avant la LPR à 24,3 % en 2024, une nette amélioration par rapport à des taux inférieurs à 10 % en 2014.
La LPR a également instauré le versement d'un préciput aux institutions de recherche, s'élevant à 30 % du montant alloué aux projets, avec une progression prévue à 40 % d'ici 2027. Ce mécanisme encourage les institutions à développer des politiques de recherche ambitieuses.
Concernant notre contrat d'objectifs et de performance État-ANR actuel, nous avons atteint la majorité de nos objectifs, avec une année restante pour finaliser. Ce COP incluait des actions structurelles comme la création d'une direction de la stratégie et des données, l'amélioration de notre démarche qualité, et le développement d'instruments de financement pour l'innovation, tels que les laboratoires communs et les chaires industrielles. Les moyens sont ceux prévus par la LPR.
Pour le futur COP, nous avons remis un rapport en juin dernier, puis avons reçu une visite en novembre. Nous attendons à présent un rapport des experts mobilisés par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Ce COP sera nourri de ce que le ministère attend de nous. Nous avons eu des échanges informels avec le ministère et la DGRI. Les axes de travail envisagés comprennent le renforcement de l'attractivité de la recherche, particulièrement pour les jeunes chercheurs, la simplification des dispositifs d'innovation, une meilleure articulation avec les instruments européens, et la poursuite des efforts de simplification administrative.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant les crédits d'intervention, pouvez-vous confirmer que la subvention est l'outil le plus approprié pour tous vos projets ? N'y aurait-il pas des cas où une avance remboursable ou un prêt serait plus adapté qu'une subvention ?
Mme Claire Giry. - Nos financements sont essentiellement destinés aux acteurs de la recherche publique : organismes de recherche, universités et écoles. Nous finançons très peu d'industriels directement. Nos instruments favorisant la recherche publique-privée ne financent que la partie académique des projets. Le seul cas où nous finançons des entreprises concerne les projets de recherche collaborative, dans le strict respect des règles d'aides d'État. Nos crédits, positionnés en amont de la chaîne de l'innovation, ne se prêtent pas à d'autres modalités de financement comme les avances remboursables ou les prêts. Ces outils seraient plus adaptés à des phases de développement plus avancées, relevant davantage des compétences d'organismes comme Bpifrance.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Concernant les appels à projets, bien que vous soyez un établissement public administratif, vous n'êtes pas une autorité indépendante. Disposez-vous d'une totale liberté pour déterminer la politique de recherche ? Que pourrait-il se passer en cas d'alternance politique ? C'est une question essentielle, car un système fondé uniquement sur des appels à projets pourrait permettre une réorientation complète de la recherche simplement en modifiant la nature de ces appels.
Mme Claire Giry. - C'est un point important à considérer. Notre décret stipule que le ministère arrête notre programmation, un terme peu conventionnel qui ne signifie pas qu'il la définit, mais qu'il la valide. En pratique, nous organisons des comités de pilotage de la programmation que nous coprésidons avec le ministère de la recherche, impliquant ses différents services thématiques. Ces instances, auxquelles participent plusieurs institutions de recherche et ministères concernés, définissent notre programmation. Celle-ci est principalement guidée par la curiosité scientifique. Notre rôle consiste essentiellement à décrire les champs scientifiques d'intérêt, sans nécessairement spécifier des sujets précis. La majeure partie de notre budget d'intervention est destinée aux projets émanant des laboratoires, à condition qu'ils s'inscrivent dans les axes que nous mettons en avant. Bien que nous ne soyons pas une autorité publique indépendante, notre processus décisionnel implique une collaboration étroite avec les communautés scientifiques et les acteurs de la recherche. Le ministère valide in fine notre programmation après son passage devant notre conseil d'administration. Cette approche collaborative est indispensable pour maintenir une relation harmonieuse avec les communautés scientifiques et éviter un débat scientifique plus large, voire un divorce d'avec les communautés scientifiques, qui pourrait survenir si notre démarche était trop directive.
M. Pierre Barros, président. - Votre explication soulève plusieurs réflexions. Premièrement, concernant les compétences scientifiques de l'ANR, il semble que les porteurs de projets soient évalués par leurs pairs, ce qui peut potentiellement engendrer un conflit de postures. En effet, les membres des jurys sont eux-mêmes chercheurs, ce qui peut parfois créer une situation délicate.
En outre, de nombreux chercheurs se plaignent de consacrer plus de temps à la gestion des demandes de financement et à la rédaction d'appels à projets qu'à leurs activités de recherche proprement dites. Cette perception, même si elle peut être exagérée, mérite notre attention.
Par ailleurs, j'ai bien noté que l'ANR effectue un travail de sélection basé sur une commande politique du ministère. Cependant, ne serait-il pas plus bénéfique d'avoir un système plus autonome, plutôt que cette approche descendante ? Enfin, considérant que seulement 25 % des dossiers sont retenus, comment les 75 % restants procèdent-ils ? Cette situation ne risque-t-elle pas de pousser les chercheurs vers des financements alternatifs, notamment privés, qui obéissent à des logiques différentes en termes de commandes, d'intérêts et parfois même d'orientations politiques ?
Mme Claire Giry. - Vos questions soulèvent plusieurs points importants. Concernant le temps consacré par les chercheurs aux demandes de financement, nous reconnaissons que la recherche par projet a effectivement un coût en termes de temps. Cependant, l'avantage majeur de cette approche est d'acheminer les fonds directement aux laboratoires, tout en garantissant le financement de l'excellence scientifique. Il est important de noter que les projets ANR ne représentent qu'une partie du financement d'un laboratoire, généralement autour de 20 %. Les laboratoires bénéficient également de dotations de leurs tutelles, parfois de contrats industriels, de projets européens et d'autres sources de financement. Obtenir un projet ANR est également source de fierté et un critère d'excellence pour un laboratoire.
Nous sommes conscients de la charge administrative que cela représente et nous nous efforçons constamment de simplifier nos procédures. Des mesures ont déjà été mises en place et nous travaillons actuellement avec le ministère de la recherche sur de nouvelles initiatives de simplification ambitieuses.
L'ANR n'est pas la seule structure qui lance des appels à projets : cette procédure est souvent favorisée parce qu'il est plus facile de faire porter le refus d'un projet par un comité d'experts que par un choix de pilotage particulier. Le ministre a fait passer des messages afin que les appels à projets relèvent en priorité de l'ANR.
Concernant le taux de sélection de 20 %, nous avons mis en place un système de mémoire permettant aux projets bien classés, mais non retenus, de postuler à nouveau l'année suivante, avec la possibilité d'améliorer leur proposition sur la base des évaluations reçues. Nous avons également instauré un processus de sélection en deux étapes pour réduire la charge de travail initiale des chercheurs. Avec un taux de sélection de 25 %, nous estimons avoir atteint un équilibre raisonnable entre l'effort demandé et les chances de succès, ce qui semble être bien accueilli par la communauté scientifique.
Quant à l'évaluation par les pairs, bien que cela puisse sembler curieux dans d'autres domaines, c'est une pratique essentielle et universelle dans la recherche. Seuls des scientifiques spécialisés peuvent véritablement apprécier la nouveauté et la pertinence d'un projet de recherche. Les risques de conflits d'intérêts sont atténués par la collégialité des comités et la multiplicité des expertises pour chaque projet.
M. Thibault Cantat, directeur général de l'ANR délégué à la science. - Le recours aux experts et aux comités est crucial pour l'évaluation pertinente des projets que nous examinons. Ces experts ont naturellement des intérêts dans leur domaine. Notre préoccupation principale est de prévenir les conflits d'intérêts. Nous avons donc mis en place une méthodologie rigoureuse pour les détecter. À titre d'exemple, un expert ne peut pas évaluer un projet impliquant des participants avec lesquels il a collaboré, ce qui constituerait un conflit d'intérêts direct. Nous examinons attentivement les publications et les projets communs pour garantir l'absence de tels conflits. Notre objectif est d'avoir des experts de leur domaine, mais sans compromis sur leur impartialité dans l'évaluation.
Mme Claire
Giry. - Concernant notre relation avec le
ministère, je tiens à clarifier un point important. Bien que
le ministère, en tant que tutelle, valide notre programmation, nos
appels à projets ne suivent pas une approche descendante stricte. Notre
méthode consiste à adapter chaque domaine scientifique aux
évolutions récentes. Par exemple, l'importance accordée
à l'intelligence artificielle a considérablement
évolué ces dernières années. Nous discutons de
ces ajustements avec les acteurs de la recherche et le ministère de la
recherche. Ce dernier définit certaines priorités, comme l'IA,
les maladies rares, ou les infrastructures de recherche, pour lesquelles il
nous demande d'avoir un taux de sélection légèrement
supérieur. Nous allouons alors un peu plus de fonds pour augmenter le
nombre de projets dans ces domaines. Toutefois, il ne s'agit pas d'orientations
drastiques ou très précises. Nous maintenons un dialogue avec le
ministère, qui valide in fine
nos propositions.
L'appel lui-même reste extrêmement large, couvrant 57 axes
scientifiques, afin que tous les domaines de recherche puissent y trouver
leur place.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Un rapport d'information sénatorial de 2017, rédigé par Michel Berson, soulignait une certaine dispersion de l'agence due à l'augmentation de ses missions, notamment depuis qu'elle est devenue opératrice des PIA. Que répondez-vous à cette observation ? Je suis particulièrement interpellée par votre responsabilité dans l'action « Nouveaux cursus à l'université », qui vise à soutenir la diversification de l'offre de formation en licence. Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi cette tâche incombe à l'ANR plutôt qu'au ministère directement. C'est un exemple parmi d'autres qui soulève des questions sur la répartition des compétences.
Mme Claire Giry. - L'implication de l'ANR dans les investissements d'avenir découle de notre expertise dans l'organisation de comités d'experts pour évaluer des projets, compétence similaire à celle requise pour France 2030 et nos missions antérieures. Bien que certains projets, comme les instituts hospitalo-universitaires ou les innovations, restent dans nos domaines de compétence habituels, d'autres, notamment en formation, ont nécessité une adaptation. Pour le programme « Nouveaux cursus à l'université », par exemple, nous avons dû recruter du personnel spécialisé. Cette mission est réalisée pour le compte de France 2030, avec un pilotage interministériel étroit impliquant le ministère de la recherche.
Notre valeur ajoutée réside dans notre maîtrise de la gestion de comités internationaux, un aspect peu développé dans le domaine de la formation et relativement nouveau pour le ministère de l'enseignement supérieur. De plus, l'organisation d'appels à projets n'était pas une pratique courante pour le ministère, habitué à une relation de tutelle et de subvention avec les universités. L'ANR a été choisie pour apporter une approche plus neutre, éloignée des pressions politiques potentielles, en se concentrant sur des critères d'évaluation objectifs pour des projets innovants. Bien que les décisions finales reviennent au Premier ministre et au ministère, notre évaluation fournit une base indépendante et impartiale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment gérez-vous cette double tutelle de fait, entre le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) pour les crédits de France 2030 et votre ministère pour le reste de vos activités ?
Mme Claire
Giry. - Notre relation avec le SGPI
s'apparente à celle d'un opérateur pour compte de tiers. Notre
tutelle officielle reste le ministère de l'enseignement supérieur
et de la recherche. Avec le SGPI, nous avons une convention qui régit
notre collaboration. Nous leur fournissons régulièrement des
indicateurs et des rapports sur les projets. Ils peuvent assister
à
nos réunions, mais ne sont pas membres du conseil
d'administration et n'exercent pas de tutelle directe. Nous répondons
à leurs commandes sans qu'ils ne nous donnent d'orientations
particulières.
M. Vincent Cottet, directeur général de l'ANR délégué à l'administration et au budget. - Les processus financiers pour les actions que nous menons dans le cadre des investissements d'avenir et de France 2030 sont spécifiques. L'ANR agit comme opérateur pour le compte de l'État. Les décisions de financement sont prises par l'État, via le Premier ministre ou par délégation, et non par la présidence de l'ANR. Notre rôle consiste à gérer l'ingénierie des appels à projets, le conventionnement et le financement. Ce cadre juridique particulier est régi par des conventions spécifiques pour chaque action. D'un point de vue budgétaire, ces opérations sont traitées distinctement en tant qu'opérations pour compte de tiers.
Mme Agnès Canayer. - Premièrement, quel est le budget global de l'ANR ? Deuxièmement, les projets financés concernent-ils exclusivement les sciences dites « dures » ou incluent-ils également les sciences humaines et sociales ? Enfin, comment assurez-vous la coordination pour que les projets soient entièrement financés, au-delà de la part que vous apportez ?
M. Ludovic Haye. - Tout d'abord, je vous remercie pour vos explications très claires. Dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), j'ai eu l'occasion d'échanger avec de nombreux organismes de recherche. Ce milieu, bien que passionnant, n'est pas toujours aussi harmonieux que nous pourrions le penser. Nous observons parfois une certaine compétition entre le CNRS, les instituts Carnot et d'autres structures, notamment autour des publications scientifiques. Cette « course à la publication » peut influencer les politiques de subventionnement, créant des tensions entre les organismes. Dans une optique de simplification, qui implique souvent une réorganisation, comment envisagez-vous une rationalisation qui permettrait à tous ces acteurs de travailler dans la même direction, en réduisant la concurrence ?
Mme Claire Giry. - Le budget d'intervention est d'un milliard d'euros - notre budget de fonctionnement étant comparativement négligeable. Ce dernier s'élève à 57 millions d'euros et couvre les salaires, les locaux, l'organisation des comités d'experts, leurs déplacements et autres frais connexes.
M. Vincent Cottet. - Notre budget de gestion, qui englobe les dépenses de personnel, de fonctionnement et d'investissement pour l'ensemble de l'agence, y compris la gestion des investissements d'avenir et France 2030, s'élève à 57 millions d'euros pour 2024. Ce montant est financé par une subvention du ministère via le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », ainsi que par un subventionnement direcct des frais de gestion directs. Nous avons notamment conclu une nouvelle convention avec l'État pour le financement des frais de gestion liés aux actions d'investissement d'avenir et de France 2030, qui constituent une part importante de notre activité. En parallèle, notre budget d'intervention atteint 1,2 milliard d'euros. S'y ajoutent les actions en comptes de tiers, principalement représentées par les PIA et France 2030.
Mme Claire Giry. - Concernant les domaines scientifiques, notre champ d'action est vaste et diversifié. Nous couvrons 57 axes scientifiques, allant des sciences humaines et sociales à la santé, en passant par la physique, les capteurs, la chimie, l'environnement, et bien d'autres disciplines. Notre financement se concentre sur les coûts additionnels des projets. Concrètement, nous prenons en charge les équipements, les frais de fonctionnement liés au projet, ou encore le recrutement de post-doctorants spécifiquement pour la recherche en question. Nous ne finançons pas les chercheurs permanents déjà en poste dans les laboratoires.
M. Vincent Cottet. - En effet, notre aide ne couvre pas les salaires des personnels permanents, qu'il s'agisse de fonctionnaires titulaires ou de personnels en contrat à durée indéterminée (CDI). Nous finançons uniquement des contrats à durée déterminée (CDD) additionnels. Les établissements contribuent déjà en apportant les salaires des personnels permanents impliqués dans les projets. À titre indicatif, les déposants déclarent plus de 900 millions d'euros de masse salariale de personnel permanent sur les projets financés par l'ANR annuellement.
Le cycle de vie d'un projet comprend plusieurs étapes clés. Après la phase cruciale de sélection, le projet est conventionné et fait l'objet de versements à l'établissement. Pour la clôture, nous exigeons un relevé de dépenses garantissant que les fonds ont été utilisés exclusivement pour le projet. Un rapport scientifique et d'autres documents spécifiques, comme l'accord de consortium en cas de participation d'une entreprise, sont également requis. Cette procédure nous permet de vérifier la bonne exécution du projet, tant sur le plan scientifique que financier, et de ne financer que les dépenses effectivement réalisées.
Mme Claire Giry. - Il ne s'agit pas à proprement parler de cofinancements. Nous pouvons considérer que l'institution de recherche hébergeant le laboratoire contribue au financement du projet. De plus, le préciput permet de couvrir une partie des frais de gestion et d'hébergement de l'institution.
Concernant la compétitivité de la
recherche, bien qu'il existe une certaine concurrence au niveau national,
l'enjeu principal se situe à l'échelle mondiale. Notre objectif
est de renforcer notre recherche pour qu'elle soit compétitive sur les
sujets les plus cruciaux. Notre financement permet non seulement le
fonctionnement des équipes de recherche, mais aussi la formation de
jeunes chercheurs et doctorants, favorisant ainsi une recherche guidée
par la curiosité. Cela crée un environnement de recherche
fertile, qui publie, reconnu internationalement, capable d'attirer de nouveaux
talents et
de répondre aux besoins émergents dans des
domaines spécifiques, comme l'intelligence artificielle. Notre
rôle se concentre sur le soutien aux projets et aux laboratoires, sans
intervenir dans la compétition entre institutions.
M. Ludovic Haye. - Le système actuel vous semble-t-il satisfaisant ?
Mme Claire Giry. - L'écosystème de la recherche est complexe. Nous nous efforçons de simplifier nos dispositifs et de les rendre plus accessibles. Dans cette optique, nous avons créé un portail commun en collaboration avec cinq autres agences : l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut national du cancer (Inca) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) - Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Lancé en 2021 dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, ce portail centralise tous les appels à projets. Depuis sa création, 500 appels ont été publiés et 87 % des projets émanent de l'ANR. Cette initiative vise à offrir une meilleure visibilité aux chercheurs sur l'ensemble des opportunités de financement disponibles.
Nous travaillons actuellement sur un projet plus ambitieux, en collaboration avec le ministère de la recherche, pour harmoniser nos processus et simplifier les démarches des chercheurs. L'objectif est de créer un environnement unifié pour le dépôt de projets, quel que soit l'organisme de financement : le « Dites-nous une fois » de l'administration doit progresser aussi dans le monde de la recherche. Il faut standardiser la présentation des CV et des informations sur les laboratoires. Cette approche vise à rendre le financement de projets plus accessible et efficace pour la communauté scientifique.
Concernant la complexité du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment la complexité de la gestion des projets dans les unités mixtes entre organismes et universités, l'ANR n'a pas vraiment de prise sur ces aspects structurels.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne serait-il pas plus simple que vous soyez l'unique porteur d'appels à projets, éliminant ainsi la multiplicité des sources de financement comme l'Ademe, l'Anses, et autres ? La recherche devrait-elle être centralisée sous votre égide ou rester répartie entre différents organismes ?
Mme Claire
Giry. - Nous sommes capables d'organiser
des appels à projets répondant à divers types d'attentes,
comme nous le faisons déjà pour différentes entités
étatiques et régionales. Une centralisation des appels à
projets sous notre responsabilité est envisageable, bien que cette
question n'ait pas été formellement posée jusqu'à
présent. Nous ne sommes pas demandeurs d'une telle
réorganisation, mais ce n'est pas non plus inconcevable. La voie que
nous avons privilégiée jusqu'ici consiste à travailler en
collaboration avec
les autres agences pour développer des
approches communes et un portail unique. Cette stratégie de
coopération et d'harmonisation reste notre priorité actuelle.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous indiquez que cette possibilité n'est pas exclue. Selon vos propos, l'ANR serait donc en mesure de traiter dès à présent les appels à projets dans le domaine de la santé, de l'environnement et de l'agriculture dès lors qu'ils relèvent de la recherche.
Mme Claire Giry. - Cette option pourrait être étudiée. Je ne maîtrise pas nécessairement tous les détails de ces types d'appels, mais nous pourrions envisager cette possibilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-il possible que des laboratoires soient sous la tutelle d'autres ministères, par exemple un laboratoire de recherche sous la tutelle du ministère de l'Agriculture ?
Mme Claire Giry. - Absolument. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) est sous la double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de l'agriculture. C'est également le cas pour les écoles vétérinaires et les écoles d'agronomie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je faisais référence spécifiquement aux laboratoires, pas aux agences. L'INRAE n'est pas un laboratoire en soi, mais une structure qui englobe effectivement des laboratoires.
Mme Claire Giry. - L'INRAE a des laboratoires. Nous parlons aussi des laboratoires rattachés aux écoles vétérinaires ou aux écoles d'agronomie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour clarifier un autre point, quel est le statut prédominant des agents de l'ANR ? S'agit-il principalement de contractuels ou de fonctionnaires ? Et dans le cas des fonctionnaires, quel est leur statut spécifique ?
Mme Claire Giry. - Les fonctionnaires sont très minoritaires au sein de l'ANR. Sur un effectif total de 400 personnes, nous ne comptons que 20 fonctionnaires. Pour des raisons historiques liées à la création de l'agence, la majorité de notre personnel est en CDI. Plus précisément, sur les 367 équivalents temps plein travaillés (ETPT), nous avons 287 CDI, 23 titulaires de la fonction publique, et une cinquantaine de CDD. Ces derniers nous permettent de nous adapter à certaines demandes spécifiques, notamment pour la mise en place de nouveaux dispositifs ou pour les partenariats européens.
M. Hervé Reynaud. - Au fil de nos auditions, nous avons souvent entendu des discours évoquant la nécessité de conventions de coordination et le besoin de clarification dans les collaborations entre agences. Cela donne l'impression d'une complexification croissante plutôt que d'une efficacité avérée. Actuellement, les agences ne jouissent pas nécessairement d'une bonne réputation. Comme vous avez également travaillé au sein du ministère, quelle est selon vous la véritable raison d'être de l'ANR ? Comment pourrions-nous gagner en efficacité tout en identifiant des sources d'économies nécessaires ? L'écosystème de la recherche apparaît complexe, et les élus seront amenés à prendre des décisions concernant ces dépenses dans un univers qui n'est pas toujours bien connu ou qui ne semble pas spontanément pertinent.
M. Christian Bilhac. - Ma question fait suite à celle de mon collègue. Vous avez mentionné que l'ANR avait vingt ans. Je souhaiterais connaître ce que vous considérez comme sa plus grande réussite.
Mme Claire Giry. - Concernant les conventions, il est vrai que le dernier contrat d'objectifs de l'ANR comportait déjà un important volet de simplification. L'un des changements majeurs a été le remplacement des conventions de financement avec les établissements par de simples notifications. Cette mesure a considérablement allégé le processus de transfert des financements vers ces institutions. Nous poursuivons cette démarche de simplification en utilisant des actes attributifs, qui sont beaucoup plus concis et simples que les conventions traditionnelles.
Nous continuons à apporter des améliorations. Bien que ces changements n'entraînent pas nécessairement d'importantes économies en termes d'effectifs, ils permettent aux institutions de recherche de réallouer des ressources vers la recherche elle-même, réduisant ainsi le temps que les chercheurs consacrent aux tâches administratives.
Nous examinons des pistes de simplification concernant les relevés de dépenses. En discussion avec le ministère, nous envisageons d'alléger considérablement ces relevés, partant du principe que les établissements publics sont déjà soumis à des contrôles rigoureux de leurs dépenses. Pour certaines actions, nous pourrions même adopter des modes de financement forfaitaires, considérant que la réalisation de certains objectifs du projet suffit, sans nécessité de vérifier le détail des dépenses.
Ces simplifications visent à réduire la charge administrative tant pour les chercheurs que pour les équipes qui les soutiennent, ce qui est également bénéfique pour notre organisation.
M. Vincent Cottet - Pour préciser le processus des projets, la phase de dépôt et de sélection reste primordiale. Les chercheurs sont pleinement conscients de l'importance cruciale de cette étape pour sélectionner les meilleurs projets. Par la suite, nos procédures ont été progressivement simplifiées et allégées.
Pour les projets collaboratifs, qui sont nombreux, nous établissons désormais des contrats individuels avec chaque partenaire. Cette approche évite la nécessité d'un contrat global suivi de conventions de reversement, ce qui constitue une simplification significative. Chaque partenaire dispose ainsi de son propre acte attributif.
Comme l'a mentionné Claire Giry, nous sommes passés à la signature d'un acte unilatéral de l'ANR pour les projets n'impliquant pas d'entreprises, ce qui élimine le besoin de circuit de signature du côté du bénéficiaire. De plus, les versements sont automatisés. En conséquence, le bénéficiaire n'a aucune démarche de gestion à effectuer, hormis la conduite du projet lui-même. Ce n'est qu'à la clôture du projet que nous demandons le relevé de dépenses et le rapport scientifique. Ainsi, une fois le projet sélectionné, tout se déroule de manière transparente pour le bénéficiaire jusqu'à la phase de clôture, où il doit rendre compte de l'avancement du projet.
Mme Claire Giry. - J'aimerais évoquer deux autres pistes de simplification. La première consiste à réduire le nombre d'appels à projets. Le ministre préconise que, lorsqu'il y a des appels à projets étatiques, ils soient centralisés à l'ANR. En effet, nous constatons que divers acteurs, tels que les universités, peuvent être amenés à lancer leurs propres appels à projets internes, notamment pour distribuer des fonds spécifiques ou utiliser le préciput que nous leur versons.
Parfois, y compris dans certains dispositifs que nous gérons, le premier réflexe est de recourir à des appels à projets, même pour distribuer des sommes relativement modestes. Je pense que nous devrions collectivement nous interdire cette pratique au sein de l'enseignement supérieur et de la recherche lorsqu'elle n'est pas justifiée. Il apparaît essentiel d'adopter un processus proportionné à l'objectif visé.
Par exemple, ce matin en comité de direction, nous avons discuté d'une demande d'aide pour évaluer la distribution de thèses. Je ne suis pas convaincue que ce soit la méthode la plus appropriée. Pour attribuer un certain nombre de thèses dans un domaine donné, il serait peut-être plus judicieux de s'appuyer sur les institutions de recherche pour qu'elles sélectionnent elles-mêmes les candidats. Nous pourrions alors évaluer la pertinence d'un programme proposé par une institution qui s'engage à déployer, par exemple, 20 thèses sur un sujet spécifique. C'est ce type de proposition que nous devrions évaluer et financer. Je souligne l'importance de développer des réflexes au sein des communautés scientifiques et des institutions. Bien que cela puisse sembler anodin, c'est en réalité crucial.
Une autre approche consisterait à financer des projets plus conséquents. Nos projets actuels durent déjà cinq ans. Néanmoins, le montant moyen alloué n'a pas évolué malgré la loi de programmation de la recherche. En augmentant le financement de ces projets, nous pourrions, pour un même effort d'évaluation et de formalisation de la part des chercheurs, accroître les montants moyens de 30 %. Cette stratégie permettrait aux équipes de solliciter des financements moins fréquemment, tout en rendant l'effort de candidature plus rentable. Il est à noter que ces montants moyens sont restés stables depuis cinq ans.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Procédez-vous systématiquement à une analyse du coût de mise en place de chaque appel à projets ? Cette analyse devrait inclure la rédaction du cahier des charges, la convocation des comités de sélection, l'évaluation et le suivi, afin de s'assurer que la somme allouée n'est pas inférieure au coût de la structure.
Mme Claire Giry. - Nous ne réalisons pas nécessairement cette analyse sous cette forme précise à chaque fois, mais notre expérience nous permet d'en avoir une estimation fiable. Nous partageons régulièrement ces informations avec nos tutelles, notamment lors de notre conseil d'administration annuel. Le coût moyen de notre processus d'évaluation s'élève à 1 700 euros par projet soumis et à environ 6 000 euros par projet retenu, pour un financement moyen de 500 000 euros. Ces coûts sont supportés par l'ANR dans le cadre de notre budget de fonctionnement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces montants semblent peu élevés. Cela signifie que la rédaction d'un cahier des charges ne nécessite que très peu de temps.
Mme Claire Giry. - C'est précisément l'avantage de notre appel à projets générique. Nous utilisons un cahier des charges unique pour l'ensemble des domaines scientifiques, ce qui optimise ce travail.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En réalité, ce processus est donc amorti.
Mme Claire Giry. - Vous avez raison, nous observons effectivement un effet d'échelle. Nous recevons 8 000 projets et en finançons 2 000, ce qui permet cet amortissement. C'est un aspect important à considérer. Je souhaite également aborder le sujet des partenariats européens, qui nous préoccupe. Dans le cadre de ces mécanismes européens que j'évoquais précédemment, concernant l'eau, l'environnement et d'autres domaines, plusieurs agences programment et cofinancent un appel à projets, parfois avec un complément de la Commission. Ces processus sont extrêmement lourds. Pour suivre ces partenariats et participer à toutes les réunions de programmation conjointe au niveau européen, ce qui est en soi une excellente idée, nous devons mobiliser 2 à 3 personnes. Cela représente une charge considérable pour un résultat final de 3 projets financés à hauteur de 1,5 million d'euros. Dans ces cas, les coûts moyens par projet que je vous ai mentionnés sont largement dépassés, révélant des mécanismes excessivement complexes. C'est une problématique que nous gardons constamment à l'esprit.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En résumé, les partenariats européens ne sont pas rentables.
Mme Claire Giry. - Cette question est actuellement débattue dans le cadre de la réflexion sur le futur programme-cadre. La logique de partenariat et de programmation commune s'avère très lourde. Chaque partie cherche à ajuster des détails, ce qui entraîne de nombreuses réunions pour des résultats souvent limités. C'est intéressant en théorie, mais peu efficace en pratique.
Pour répondre à votre question sur l'impact de notre action sur la recherche française au cours de ces 20 années, nous avons effectivement quelques success stories à présenter. Nous avons notamment mis en avant un projet remarquable lors du Forum mondial de l'IA. Pour notre vingtième anniversaire, nous préparons la mise en lumière de plusieurs projets phares. Nous observons que certains porteurs de projets que nous avons accompagnés depuis nos débuts ont vu leurs idées initiales évoluer vers des initiatives plus ambitieuses. Certains ont créé des start-ups, d'autres ont gagné en reconnaissance dans leur domaine. Cependant, nous restons humbles quant à notre rôle. Ces chercheurs évoluent au sein de laboratoires, d'équipes et d'institutions qui les emploient et les financent. Notre contribution consiste à permettre la réalisation de projets et à financer leur curiosité et leurs avancées scientifiques. Nous ne pouvons pas nous attribuer seuls l'origine de tel ou tel grand résultat. Notre impact s'inscrit dans un écosystème plus large.
M. Thibault Cantat. - Évaluer l'impact de nos actions est complexe, particulièrement dans le domaine de la recherche fondamentale. Les retombées sont multiples et variées : publications scientifiques, participation à des congrès, dépôts de brevets, amélioration de la compétitivité économique des entreprises. Nous observons également des impacts plus diffus, notamment sur les trajectoires de carrière des chercheurs. La diversité de ces impacts constituerait en soi un sujet de recherche.
Pour illustrer plus concrètement, 78 % de notre budget est consacré à l'appel à projets générique, qui finance des projets issus de la curiosité des chercheurs, évalués et sélectionnés par leurs pairs. Nous lançons également des appels spécifiques pour répondre à des priorités contextuelles, comme ce fut le cas lors de la crise du Covid-19 ou pour traiter le problème de l'accumulation des sargasses dans les Caraïbes. L'impact de ces projets dépasse le cadre strictement scientifique ou économique. Par exemple, 11 % des publications issues des projets sur les sargasses ont été utilisées dans l'élaboration de politiques publiques, notamment aux Nations Unies. Cela démontre que l'impact de la recherche fondamentale peut s'étendre jusqu'aux politiques publiques, de manière parfois imprévisible. C'est cette diversité d'impacts qui fait la richesse de notre action.
Mme Claire Giry. - Nous développons de plus en plus notre travail sur l'évaluation de l'impact. Nous savons quantifier les publications et les brevets issus de nos projets, car ceux-ci sont cités dans les publications. Plus récemment, nous avons également développé la capacité d'identifier les rapports de politiques publiques qui citent des publications issues de travaux que nous avons financés. Cette approche est particulièrement pertinente dans certains domaines scientifiques, notamment les sciences humaines et sociales et les sujets liés à l'environnement. Nous souhaitons approfondir davantage cette analyse d'impact.
Mme Pauline Martin. - Dans la continuité de ce qui vient d'être dit, je souhaiterais savoir si vous disposez d'un taux d'échec, pour ainsi dire. J'ai bien noté que vous avez maintenant des outils pour identifier les impacts, mais y a-t-il effectivement des projets qui n'aboutissent pas ?
Mme Claire Giry. - Concernant les projets financés, il arrive, bien que rarement, que des aléas surviennent. Ces imprévus peuvent inclure le départ d'un chercheur, des conflits au sein des équipes, ou des changements dans la nature du projet. Dans ces situations, nous engageons un dialogue avec les institutions et les consortiums concernés pour évaluer la viabilité du projet. L'interruption complète d'un projet est extrêmement rare. Généralement, on trouve des solutions alternatives, comme le remplacement d'un membre du consortium, permettant ainsi la poursuite de la dynamique de recherche.
Il est normal et inhérent à la nature de la recherche que certains projets rencontrent des impasses scientifiques. Dans ces cas, nous demandons aux équipes de nous en informer afin d'engager un dialogue pour réorienter le projet.
Nous évaluons constamment l'efficacité de nos instruments de financement. Par exemple, concernant les laboratoires communs entre la recherche publique et les partenaires industriels (LabCom), nous avons constaté une baisse des soumissions. Après analyse, nous avons repositionné ce dispositif pour le rendre plus accessible aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux start-ups. Cette adaptation a permis de relancer l'intérêt pour cet instrument dès la deuxième année.
Nous procédons régulièrement à l'évaluation de nos instruments. Actuellement, nous examinons les chaires industrielles pour optimiser leur fonctionnement. Pour les programmes de recherche collaboratifs avec les entreprises, nous réfléchissons à raccourcir le cycle d'examen des projets. Notre objectif est de rendre ces programmes plus attractifs pour les entreprises en accélérant le processus d'évaluation. Cette réflexion s'inscrit dans notre démarche continue d'amélioration de nos dispositifs.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie pour votre participation à cette commission d'enquête et pour la qualité de vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Jérôme Fournier, chef de service et adjoint à la directrice, Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport, Omar Mokeddem, chef de la mission financière, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet, adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport, et M. Joris Rivière, adjoint au chef du bureau des établissements du sport
M. Pierre Barros, président. - Cette matinée est consacrée aux agences dans le domaine de la politique du sport. Avant de recevoir tout à l'heure le directeur général de l'Agence nationale du sport (ANS), nous entendrons maintenant, pour la direction des sports, MM. Jérôme Fournier, chef de service et adjoint à la directrice, Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport, Omar Mokeddem, chef de la mission financière, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet, adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport, et M. Joris Rivière, adjoint au chef du bureau des établissements du sport. La mention de l'Agence dans l'intitulé d'un bureau du ministère témoigne de son importance.
Notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Notre objectif est d'aller plus loin que les propos à l'emporte-pièce, en examinant finement les cas où il serait possible de simplifier l'organisation et d'améliorer le service rendu.
Aussi, nous nous intéressons à la manière dont la direction des sports s'appuie sur ses opérateurs, à savoir, selon le projet annuel de performances (PAP), les trois écoles nationales des sports, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), le musée national du sport (MNS) et l'ANS. S'agit-il bien des organismes que vous considérez comme les opérateurs du ministère ou exercez-vous une tutelle, au moins secondaire, sur d'autres établissements ?
Plus généralement, de quelle manière exercez-vous la tutelle sur ces établissements ? Selon les principes de l'État stratège, l'administration de tutelle définit la politique publique sous l'autorité du ministre et l'opérateur la met en oeuvre. Cette distinction vous semble-t-elle clairement respectée ? Proposeriez-vous de faire évoluer le statut de ces établissements ou la répartition des compétences entre eux et avec l'administration centrale ou déconcentrée ?
Vous semblez avoir beaucoup de points communs avec l'ANS, jusqu'à vos intitulés, qui sont très proches. De quelle manière les compétences de l'ANS se distinguent-elles des vôtres ? Quelle est votre capacité d'action ? Pourriez-vous comparer vos effectifs avec ceux de l'Agence ?
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jérôme Fournier, Franck Laudillay, Omar Mokeddem, Mme Élisabeth Gaillard-Giraudet et M. Joris Rivière prêtent serment.
M. Jérôme Fournier, chef de service à la direction des sports, adjoint à la directrice. - Je vous prie d'excuser Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports, qui devait être présente ce matin, mais qui a été empêchée. Nous sommes venus en nombre pour la représenter ; j'espère que nous serons à la hauteur.
Si l'État partage aujourd'hui très largement la compétence en matière de sport avec les collectivités territoriales, il joue historiquement un rôle central dans la politique sportive. Celle-ci s'appuie sur des principes fondateurs qui ont été posés en 1975 avec la loi dite Mazeaud, puis réaffirmés en 1984 par la loi dite Avice, et rappelés plus récemment encore par la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. Cette dernière confirme un principe essentiel : le développement du sport pour tous, ainsi que le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France constituent des missions d'intérêt général.
Dans ce cadre, l'État et ses opérateurs assurent un rôle central, à la fois de régulation et d'impulsion, en vue de promouvoir une pratique physique et sportive sécurisée et de qualité, accessible à toutes et à tous, à tous les niveaux, sur l'ensemble du territoire.
L'action de l'État dans ce domaine se déploie en interaction étroite avec l'ensemble des acteurs : les collectivités territoriales, le mouvement sportif, le tissu associatif et le secteur marchand. C'est dans ce contexte que la direction des sports joue un rôle central. Depuis quelques années, un repositionnement de cette direction a été engagé pour en faire une direction d'état-major. Elle se voit ainsi confortée dans ses missions de pilotage, d'observation et d'évaluation des politiques publiques du sport, ainsi que dans ses missions régaliennes.
Les missions de la direction des sports couvrent un champ étendu. Elles comprennent la production normative, la coordination de l'action conduite par les services déconcentrés en matière de contrôle et de police administrative.
La direction a également pour mission de piloter l'Agence nationale du sport, d'exercer la tutelle des établissements du sport, d'accompagner les fédérations sportives, de délivrer et de contrôler leur agrément, ainsi que la délégation qui leur est confiée, et d'assurer la reconnaissance du haut niveau des disciplines sportives.
Elle intervient aussi dans la sécurisation des pratiques sportives, dans le contrôle des établissements d'activités physiques et sportives, ainsi que dans celui des éducateurs sportifs. Elle agit pour la prévention et la protection des publics, notamment dans la lutte contre toutes les formes de violences, d'incivilités, de dérives, dans la prévention du séparatisme et de la radicalisation.
La direction des sports est également engagée dans la promotion de l'éthique sportive, en particulier dans la prévention des manipulations sportives et du dopage. Elle intervient pour l'élaboration des diplômes et des certifications pour les métiers de l'encadrement sportif. Elle joue enfin un rôle régulateur dans le domaine du sport professionnel.
Pour exercer l'ensemble de ces missions, la direction des sports s'appuie sur trois réseaux essentiels : d'abord, le réseau des services déconcentrés, intégrés dans les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) ; ensuite, le réseau des établissements du sport ; enfin, le réseau des conseillers techniques sportifs (CTS), en particulier des directeurs techniques nationaux (DTN), agents de l'État exerçant leur mission auprès des fédérations sportives.
Il convient également de souligner que la direction des sports, administration centrale, agit résolument dans une logique interministérielle. Les activités physiques et sportives irriguent de nombreuses politiques publiques majeures : santé, éducation, inclusion des personnes en situation de handicap, cohésion sociale, développement durable, formation, emploi, égalité, mixité, lutte contre les discriminations, prévention des violences, pour ne citer que celles-ci. Il revient donc à la direction des sports de valoriser la dimension sportive dans l'ensemble de ces politiques.
Au-delà de l'animation de ses réseaux, la direction des sports collabore au quotidien avec de nombreux partenaires publics et privés : collectivités territoriales, mouvement sportif, institutions, monde économique. Tous sont des interlocuteurs importants.
S'agissant des agences, l'Agence nationale du sport constitue un opérateur du ministère, dont la direction des sports assure le pilotage et la tutelle. Nous pourrons y revenir plus en détail, puisque s'agissant d'un groupement d'intérêt public (GIP), sa tutelle est différente de celle qui est exercée sur d'autres opérateurs.
D'autres établissements relèvent de la tutelle du ministère : l'Insep, qui est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, mais aussi des établissements publics administratifs, à savoir l'École nationale des sports de montagne ; l'École nationale de voile et des sports nautiques ; le Musée national du sport ; l'Institut français du cheval et de l'équitation, dont la tutelle est exercée conjointement par le ministère des sports et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Enfin, la direction des sports pilote un réseau d'établissements publics locaux : les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (Creps) au nombre de dix-sept, répartis sur l'ensemble du territoire. Il s'agit d'établissements publics locaux de formation.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les Creps sont aussi sous la tutelle des régions.
La création de l'Agence nationale du sport a entraîné une réorganisation importante de la direction des sports. Comment a-t-elle été vécue par vos agents ? Considérez-vous qu'elle soit achevée ? Permet-elle une articulation satisfaisante avec l'ANS au point d'éviter tout risque de chevauchement de compétences ?
M. Jérôme Fournier. - L'histoire de l'ANS est encore récente, puisqu'elle n'a été instituée que le 24 avril 2019, ce qui est court à l'échelle des organisations administratives.
Cette création fait suite à une demande du Premier ministre, en 2017, d'engager une démarche de confiance envers le mouvement sportif français. L'objectif était de donner davantage d'autonomie aux fédérations sportives et au Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ainsi qu'aux acteurs locaux, tout en recentrant l'action de l'État sur des missions essentielles : coordination, réglementation et contrôle, notamment dans le champ de l'éthique.
Missionnés dans ce cadre, Mme Laurence Lefèvre et à M. Patrick Bayeux ont remis en août 2018 un rapport dans lequel ils ont notamment recommandé la création d'une Agence nationale du sport, dans la forme que nous connaissons aujourd'hui. L'intention était double : transformer profondément le modèle sportif français et préparer dans les meilleures conditions possible les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, afin d'en assurer la réussite, mais aussi d'en transmettre l'héritage et de construire un modèle au service de la haute performance sportive.
Selon les rapporteurs, pour améliorer la coordination des acteurs et créer un environnement plus souple, il fallait instaurer une gouvernance collégiale. Celle-ci s'incarne aujourd'hui dans le statut même de l'Agence, constituée en groupement d'intérêt public, et dans ses différents collèges.
Dans l'exposé des motifs de la loi de 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il a été souligné ceci : « La perspective de l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques en France en 2024 constitue une occasion exceptionnelle pour faire évoluer le modèle sportif français. Ce modèle, dont les fondements remontent aux années 1960, doit être en phase avec les nouvelles attentes des pratiquants et des acteurs sportifs représentés dans toute leur diversité et, plus largement, avec les enjeux de notre société. »
La création de l'Agence, sous la forme d'un groupement d'intérêt public, avait donc pour objet de mettre en place une gouvernance collégiale et concertée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La réorganisation de la direction des sports issue du décret du 19 décembre 2019 est-elle achevée ? Comment a-t-elle été vécue par les agents de la direction des sports ? Son articulation avec l'ANS est-elle satisfaisante ? Pouvez-vous nous assurer qu'il n'existe aucun doublon entre les deux structures ?
J'ai consulté les organigrammes respectifs de la direction des sports et de l'Agence nationale du sport, et j'y ai identifié des chevauchements, parfois mot pour mot, ou quasiment, dans les intitulés des missions. Ces similitudes apparaissent également dans les descriptions publiées sur votre site internet et sur celui de l'ANS.
M. Jérôme Fournier. - Au moment de la création de l'Agence, en 2019, une phase de redéfinition en profondeur des périmètres respectifs de l'Agence et de la direction des sports a été engagée.
Cette réorganisation a notamment impliqué le repositionnement de plusieurs agents de la direction des sports et a eu un impact significatif sur le fonctionnement de cette dernière.
Dès la constitution de l'Agence, un outil central a été mis en place pour structurer les relations entre les deux entités : la convention d'objectifs et de moyens (COM). La première convention, conclu pour la période 2020-2024, a permis, dès 2020, de clarifier de façon précise les missions confiées à l'Agence, en les assortissant d'indicateurs de suivi, eux-mêmes alignés, pour la plupart, sur le PAP du ministère des sports.
Pour identifier les recouvrements éventuels entre les champs d'action de l'Agence et ceux de la direction des sports, un travail de cartographie des missions respectives des deux entités a été engagé en 2022 et finalisé en juin 2023. Parallèlement, nous avons élaboré un protocole de travail entre la direction des sports et l'Agence nationale du sport qui a été signé le 4 janvier 2023. Ce protocole encadre de manière rigoureuse les modalités de collaboration entre les deux structures. Ce double travail - cartographie des missions et protocole d'organisation - a permis de préciser clairement la répartition des compétences entre l'Agence et la direction.
S'il subsiste parfois des sujets communs, c'est parce que la direction des sports, dans son rôle de tutelle, intervient sur des missions régaliennes, de coordination, d'impulsion et de pilotage, notamment dans le domaine du sport de haut niveau. L'Agence, quant à elle, agit comme opérateur, chargé de la mise en oeuvre et du déploiement des politiques publiques qui lui sont confiées.
Cette complémentarité peut entretenir une certaine confusion, mais le travail que nous avons engagé a permis de clarifier la situation.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Combien d'agents la direction des sports comptait-elle avant et après la création de l'ANS ?
M. Jérôme Fournier. - Aujourd'hui, la direction des sports compte 142 équivalents temps plein (ETP). Nous vous communiquerons ultérieurement le nombre exact d'agents avant la création de l'ANS ; je ne l'ai pas en tête.
M. Franck Laudillay, sous-directeur du pilotage et de l'animation des réseaux du sport. - Je précise que les effectifs de l'Agence proviennent de plusieurs services. Une partie est issue de la direction des sports au sens large, ce qui inclut également des cadres techniques ; une autre part provient de l'Insep ; une autre part importante est issue de l'ex-Centre national pour le développement du sport (CNDS), établissement qui préexistait à l'ANS et qui intervenait dans le développement des pratiques sportives. Ainsi, sur les 70 équivalents temps plein travaillé (ETPT) constituant le plafond d'emplois de l'Agence en 2025, près de 25 sont issus du CNDS.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce que vous comptez les DTN dans les 142 ETP ? D'ailleurs, quelle est leur autorité de tutelle ?
M. Jérôme Fournier. - Dans ces 142 ETP, nous ne comptons que les agents affectés à la direction des sports.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce sont donc uniquement ceux qui travaillent dans les locaux du XIIIe arrondissement, n'est-ce pas ?
M. Jérôme Fournier. - Tout à fait.
Par ailleurs, 1 442 conseillers techniques sportifs sont soit affectés au sein des Drajes, soit rattachés au centre de gestion opérationnelle des cadres techniques sportifs (CGOCTS), qui constitue un service à compétence nationale placé sous l'autorité de la direction des sports, mais dont les effectifs ne sont pas comptabilisés parmi ceux de l'administration centrale. Il s'agit néanmoins d'agents de l'État, qui exercent leurs missions directement auprès des fédérations sportives : c'est dans ces effectifs que sont inclus les DTN.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Autrement dit, les CTS affectés dans les Drajes ont pour autorité hiérarchique le délégué régional, tandis que ceux qui relèvent du service à compétence nationale sont placés sous l'autorité hiérarchique de la responsable de ce service ; est-ce bien cela ?
M. Jérôme Fournier. - Les CTS affectés dans les Drajes relèvent hiérarchiquement du recteur de région académique, et par délégation du délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports.
En revanche, les CTS et les DTN affectés au CGOCTS sont placés sous l'autorité hiérarchique de la direction des sports, et par délégation de sa responsable.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi avoir créé un service à compétence nationale ?
M. Jérôme Fournier. - Le service à compétence nationale, où sont affectés environ 350 CTS, permet à la direction des sports de disposer d'une structure opérationnelle capable d'assurer la gestion courante des 1 442 CTS : suivi des congés, gestion des arrêts maladie, évaluations, organisation du temps de travail. Il s'agissait de créer une entité suffisamment agile pour assurer une gestion administrative de proximité.
Je précise que la gestion des ressources humaines de notre direction est assurée par les services du secrétariat général du ministère de l'éducation nationale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans son rapport de 2022 intitulé L'Agence nationale du sport et la nouvelle gouvernance du sport, la Cour des comptes évoque les avantages possibles de la fusion entre la direction des sports et la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva), car il s'agit de deux petites directions d'administration centrale, comparativement aux autres. Qu'en pensez-vous ?
M. Jérôme Fournier. - La direction des sports et la Djepva sont deux directions d'administration centrale, dont l'ensemble des fonctions support - juridiques, financières, et de ressources humaines - relèvent du secrétariat général du ministère de l'éducation nationale.
Nous dépendons donc de la direction générale des ressources humaines, de la direction des affaires financières, de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, et du service de l'action administrative et des moyens, qui gère les agents des deux directions d'administration centrale.
Le rapprochement entre la direction des sports et la Djepva permettrait de mutualiser certains moyens et compétences. Par exemple, dans chacune de ces directions, des agents travaillent sur les affaires internationales, sur la certification et la formation, ou encore sur des dispositifs d'observation. Il pourrait donc exister des synergies intéressantes.
Dans le cas des conseillers techniques sportifs, le besoin d'un service à compétence nationale resterait, selon nous, pertinent dans tous les cas. La gestion de ces cadres est très spécifique. Placés sous l'autorité hiérarchique de la direction des sports, ils exercent leurs missions au sein des fédérations, avec lesquelles ils ont un lien très étroit : cette position particulière exige une connaissance fine du métier et une gestion adaptée à leurs spécificités.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les fédérations sportives bénéficient de subventions de l'État. Dès lors, qu'est-ce qui empêche que les CTS soient mis à disposition des fédérations et que leur gestion courante soit assurée par les directions des fédérations, au même titre que leurs propres agents de droit privé, recrutés et rémunérés sur leur budget propre ?
M. Jérôme Fournier. - Les fédérations sont des associations régies par la loi de 1901. Ce sont des structures juridiquement indépendantes, qui ne sont ni des opérateurs ni des organismes de l'État. Cela n'empêche pas l'État d'exercer une forme de tutelle sur elles, entendue ici au sens d'un contrôle, pour trois raisons principales.
D'abord, parce que les fédérations sportives bénéficient d'un agrément délivré par le ministre des sports. L'État vérifie donc la manière dont les fédérations mettent en oeuvre les missions de service public qui leur sont confiées à ce titre.
Ensuite, certaines fédérations bénéficient d'une délégation de service public. Aussi, elles sont chargées de délivrer les titres, d'assurer la réglementation technique et sportive des disciplines concernées, d'inscrire les sportifs sur les listes de haut niveau, entre autres responsabilités. L'État doit donc contrôler la manière dont les fédérations exercent les compétences issues de la délégation de service public.
Enfin, l'État intervient dans les fédérations dont les disciplines sont reconnues comme relevant du sport de haut niveau.
Ces trois éléments justifient l'existence d'un contrôle, mais il reste que les fédérations sont d'abord des associations autonomes, pleinement libres dans l'élaboration et la conduite de leur projet fédéral.
Par ailleurs, l'État a choisi de placer des agents de l'État, les CTS, au sein même des fédérations. Au reste, nous rappelons régulièrement, tant aux CTS eux-mêmes qu'aux présidents des fédérations, qu'ils sont des agents de l'État. Les fédérations déploient des missions de service public et mettent en oeuvre des politiques portées par le ministère des sports, ce qui explique la présence des CTS.
Au-delà de leur gestion opérationnelle,
assurée par le CGOCTS, leur rattachement hiérarchique à la
direction des sports ou aux Drajes permet à l'État de les
mobiliser sur des priorités de l'État, par exemple la
réduction
des inégalités d'accès
à la pratique, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la
promotion de l'éthique et de la probité, la féminisation
du sport, entre autres.
Placés sous l'autorité de l'État, ils peuvent ainsi être mobilisés pour porter ces politiques au sein des fédérations. Ce modèle, certes atypique, fait pleinement partie de l'organisation du sport en France. Il incarne concrètement l'action de l'État au coeur même du tissu fédéral.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous délivrez un agrément aux fédérations. Vous êtes donc capables de vérifier qu'elles mettent bien en oeuvre les politiques prioritaires de l'État...
Combien de personnes travaillent au sein du service à compétence nationale, sans compter les CTS, pour assurer la gestion de ces derniers ?
M. Jérôme Fournier. - Il y a cinq ou six agents ; nous vous préciserons le nombre exact.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Par ailleurs, estimez-vous que l'éclatement actuel de la gouvernance de la politique du sport, entre la direction des sports, l'Agence nationale du sport et d'autres acteurs, constitue un frein à la conduite de politiques interministérielles ? Je pense, par exemple, à la politique de sport santé.
M. Jérôme Fournier. - L'Agence nationale des sports et la direction des sports sont complémentaires. La direction des sports participe à la conception, à la définition, mais aussi au déploiement des politiques du ministre des sports, dont elle constitue le bras armé. Il s'agit avant tout d'une direction d'administration centrale, chargée de mettre en oeuvre, de contrôler, d'observer et d'évaluer les politiques publiques portées par le ministère.
L'Agence nationale du sport, quant à elle, remplit trois fonctions principales. Premièrement, il s'agit d'incarner la gouvernance collégiale. L'ANS comporte quatre collèges : le collège des représentants de l'État, le collège des associations représentant les collectivités territoriales, le collège des représentants du mouvement sportif et le collège des représentants des acteurs économiques. Ce cadre permet un dialogue structuré dont l'ensemble des parties prenantes se félicitent.
Deuxièmement, il s'agit d'un opérateur qui déploie les politiques publiques qui lui sont confiées. Le travail de clarification, au travers de la cartographie et du protocole de coopération, sur la délimitation précise des compétences entre l'Agence et la direction des sports est sans doute à poursuivre.
Troisièmement, l'Agence a pour fonction de
mobiliser des ressources diversifiées, au-delà des seuls
crédits budgétaires de l'État. L'Agence
bénéficie ainsi de financements issus de taxes affectées,
comme la taxe sur les paris sportifs ou la taxe dite Buffet, mais aussi de
contributions apportées par
des membres de ses
collèges, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou des
partenaires privés. Or une direction d'administration centrale ne
pourrait agréger des financements d'origines diverses.
L'Agence représente donc un levier d'action puissant, notamment en matière de soutien au sport de haut niveau, de financement des équipements sportifs ou encore de déploiement des projets sportifs territoriaux, qu'il s'agisse du financement de l'emploi ou autre.
Cette structuration permet de produire des effets de synergie que nous considérons comme positifs pour la conduite des politiques publiques que nous portons.
M. Pierre Barros, président. - Vous participez au financement des équipements sportifs ?
M. Jérôme Fournier. - Oui, l'Agence nationale du sport aujourd'hui - le CNDS hier - porte des programmes de soutien aux équipements sportifs. Deux grands programmes ont été mis en oeuvre récemment : le plan 5 000 terrains de sport, qui a été suivi, l'année dernière, par le lancement d'un nouveau programme, le plan 5 000 équipements sportifs - Génération 2024. Ce dernier vise à accompagner le financement d'équipements sportifs. Les moyens budgétaires du ministère sont mobilisés à cette fin et mis à disposition de l'Agence pour permettre le déploiement de ces dispositifs.
M. Pierre Barros, président. - Quels sont les types d'équipement financés ?
M. Jérôme Fournier. - Trois catégories d'équipements sont financées par le programme Génération 2024.
La première catégorie est celle des équipements dits structurants : il s'agit d'infrastructures tels que les piscines, les gymnases, les dojos, des équipements à vocation supra-communale, souvent envisagés à l'échelle départementale, voire régionale. Dans ce cadre, l'État finance et accompagne la réflexion sur la nature des équipements à créer et leur localisation, notre objectif étant de couvrir les territoires carencés en infrastructures sportives.
La deuxième catégorie est celle des équipements sportifs de proximité. Il s'agit d'installations de plus petite dimension, telles que des skate-parks, des City stades ou autres, implantés à l'échelle infradépartementale.
La troisième catégorie concerne l'aménagement des cours d'école. L'objectif est de favoriser la pratique physique dans le cadre scolaire, en réaménageant les cours pour les rendre plus inclusives.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - N'est-ce pas paradoxal que le financement de tels aménagements relève du ministère des sports, alors même que l'enseignement de l'éducation physique et sportive, notamment à l'école primaire, relève directement de la compétence de l'éducation nationale ? Les professeurs des écoles assurent cet enseignement, sauf lorsque les collectivités décident de mettre en place des éducateurs des activités physiques et sportives (Étaps).
M. Jérôme Fournier. - Nous travaillons en étroite coordination avec le ministère de l'éducation nationale ; pour les cours d'école, nous collaborons avec les équipes éducatives. Pour autant, le bâti scolaire relève, en principe, de la compétence du bloc communal. Aussi, nous accompagnons les collectivités dans la mise en oeuvre de projets qui intègrent les politiques publiques portées par le ministère des sports, et cela vaut tant pour les équipements sportifs de proximité que pour les aménagements des cours d'école. L'intervention de l'État vise à inciter les collectivités à concevoir les équipements sportifs sous un angle plus innovant, afin de favoriser l'accès à la pratique pour le plus grand nombre, d'aller vers des publics féminins. Par exemple, dans une cour laissée en l'état, sans aménagement, les garçons jouent au milieu, repoussant les autres élèves vers les côtés de la cour. La démarche de cour inclusive consiste à rechercher des solutions innovantes, grâce à des aménagements simples, qui ne sont d'ailleurs pas très coûteux. L'expérience montre que de petits réaménagements réduisent ces effets d'éviction et développent la pratique sportive, en cohérence avec les priorités de notre politique publique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pensez-vous qu'un maire peut raisonnablement comprendre tous ces financements ? D'un côté, on lui demande de verdir la cour de récréation, au nom de l'adaptation au changement climatique, et d'y créer des îlots de fraîcheur ; de l'autre, il doit proposer une cour inclusive au titre de l'égalité entre les enfants, et y intégrer des équipements sportifs. Dès lors, en plus de sa demande de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), il devra déposer un dossier auprès de l'Agence de l'eau, de l'ANS, et d'autres opérateurs, et l'on ne sait même pas si quelqu'un contrôlera le taux global de financement du projet. Pour les petites communes, la démarche est d'une grande complexité, d'autant que l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) empêche d'agrandir la cour de l'école !
Ne faudrait-il pas rationaliser ce système et envisager un guichet unique de financement ? Une seule entrée, qui puisse agréger les différents volets d'un projet - environnemental, éducatif, sportif - et permettre une lecture cohérente ?
M. Pierre Barros, président. - Beaucoup de maires nous écoutent, et nombreux sont ceux qui ont des idées concrètes pour des équipements de proximité. Sur le fond, tout le monde adhère au sens de ces dispositifs, mais, concrètement, qui accompagne les élus et leurs services dans la qualification du projet, sur le plan pédagogique, éducatif, et sportif ? Qui les aide à l'améliorer ? Qui les guide dans le montage et leur apporte des contributions financières ?
M. Jérôme Fournier. - L'Agence nationale du sport s'appuie, pour le traitement des dossiers d'équipements, sur le réseau des services déconcentrés du ministère, notamment les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES), qui accompagnent et instruisent les demandes déposées auprès de l'Agence. Il s'agit bien d'agents de l'État, affectés dans ces services, qui exercent ce rôle de proximité.
Nous partageons entièrement votre constat : la multiplication des lignes de financement, des processus, des dossiers à remplir, crée une complexité réelle pour les collectivités. Lorsqu'un projet concerne, par exemple, une piscine ou un gymnase, le montage financier implique généralement de mobiliser plusieurs sources : les crédits de l'Agence nationale du sport, mais aussi d'autres dispositifs de l'État, comme la DETR et la DSIL.
Nous analysons plusieurs pistes qui viseraient à aller vers la mise en place d'un guichet unique, regroupant les différentes lignes budgétaires de l'État mobilisables pour le financement des équipements sportifs.
Nous partageons avec vous la nécessité de simplifier les procédures, notamment pour les services des collectivités qui sont chargés des demandes de financement.
Cela étant, même dans l'hypothèse d'un guichet unique, une fusion totale des différentes lignes budgétaires risquerait d'entraîner la perte de l'expertise sportive sur les équipements concernés.
Par exemple, le ministère dispose d'un outil qui permet d'identifier les territoires carencés en équipements sportifs, dit Data ES, qui permet d'identifier très précisément le niveau de couverture en équipements sportifs, territoire par territoire, et par type d'équipement. Cette analyse est importante.
Par ailleurs, un équipement sportif se conçoit en fonction non seulement des usagers quotidiens, mais aussi de son articulation avec les clubs, les comités, les ligues, voire les fédérations, en particulier lorsqu'il s'agit d'équipements structurants. Ces acteurs peuvent être déterminants, sur les conditions de pratique ou sur l'organisation de la performance sportive.
Autrement dit, construire un guichet unique implique non seulement de rapprocher les calendriers et de standardiser les procédures, mais aussi de préserver un regard expert sur les équipements, la mobilisation des financements, selon chaque type d'équipement. La DSIL ne finance pas seulement des équipements sportifs.
M. Hervé Reynaud. - Comme l'a rappelé le président en préambule, notre objectif est de mener un travail de fond. Vous êtes venus en nombre, mais en lisant l'intitulé de vos services je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression d'une bureaucratie assez lourde et de l'existence de doublons.
Selon vous, comment pourrait-on optimiser l'articulation entre la direction des sports et l'Agence nationale du sport, dont la création est récente ?
Le domaine du sport appelle une action publique réactive et opérationnelle. Il est essentiel que le travail engagé ne soit pas altéré par le sentiment, encore trop fréquent, d'une tuyauterie administrative complexe.
M. Pierre Barros, président. - Mme Gaillard-Giraudet, l'intitulé de votre poste, à savoir « adjointe au chef du bureau des services territoriaux et de l'Agence nationale du sport », illustre le besoin d'interface avec les collectivités territoriales, mais aussi avec l'ANS. Aussi, pourriez-vous nous dire combien de personnes et quelle part du temps de travail sont consacrées à cette fonction ?
M. Cédric Vial. - Vous évoquiez l'utilité de conserver dans les fédérations sportives des agents de l'État sous ce statut, et non en détachement ou en mise en disposition, ce qui vous permet de conserver un lien hiérarchique avec eux. Qui a formellement l'autorité fonctionnelle sur les CTS missionnés dans les fédérations ? Au fond, pour qui travaillent-ils réellement, lorsqu'ils sont intégrés dans ces structures ?
Votre réponse sur les cours d'école ne m'a pas convaincu : le guichet unique est l'argument de celui qui n'en a pas ! Le sujet peut sembler mineur, mais il n'en est pas moins réel.
M. Jérôme Fournier. - L'histoire de l'Agence est encore récente, et nous sommes à un moment charnière, puisqu'il était prévu, dans sa convention constitutive, de procéder à un bilan, après les Jeux olympiques, de ses cinq années d'existence. Ce bilan est en cours de préparation, et nous pourrons en tirer toutes les conclusions pour optimiser notre organisation.
Il s'incarnera principalement par la mise en place d'une mission conjointe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale des finances (IGF). Cette mission vient d'être lancée ; ses conclusions sont attendues d'ici à la fin de l'année 2025.
Cette évaluation devra confirmer, ou non, la pertinence des choix opérés en 2019, en particulier le recours au modèle du groupement d'intérêt public et les modalités de gouvernance mises en place, ainsi que les réalisations portées par l'Agence depuis sa création.
Parallèlement, plusieurs autres rapports sont en cours de finalisation, tous attendus pour 2025. Nous avons notamment reçu les conclusions d'une mission d'inspection générale interministérielle portant sur les relations entre les préfets, les services déconcentrés de l'État et les opérateurs, qui comporte des éléments spécifiques sur l'Agence. Une mission d'audit interne, actuellement menée par l'IGESR, évalue l'exercice de la tutelle par la direction des sports sur l'Agence nationale du sport.
L'ensemble de ces travaux devrait permettre, le moment venu, de faire évoluer certains équilibres.
Nous partageons le constat selon lequel des marges de progression subsistent dans nos relations avec l'Agence. Cela concerne notamment les lignes de partage entre les missions dévolues à l'Agence pour mise en oeuvre et celles qui relèvent encore du giron de l'État. Pour le formuler en termes plus techniques et budgétaires : certaines missions pourraient continuer à être portées par les services déconcentrés de l'État, via les budgets opérationnels du programme 219 « Sport », plutôt que d'être transférées à l'Agence.
On pourrait ainsi s'interroger sur l'intérêt qu'il y aurait à confier directement à l'État certaines actions plutôt que de les externaliser via l'Agence. Des ajustements sont envisageables.
Cela étant, en matière de gouvernance et de tutelle, nous estimons avoir atteint aujourd'hui un certain niveau de maturité. Depuis 2019, plusieurs outils ont été mis en place : un protocole de travail, une cartographie des missions et une comitologie structurée avec des rendez-vous réguliers. S'il a pu exister, au moment de la création de l'Agence, des tensions ou des incompréhensions avec la direction des sports, le pilotage et le dialogue sont aujourd'hui plus fluides.
Néanmoins, des marges de progrès existent encore, notamment en ce qui concerne la précision des indicateurs assignés à l'Agence dans sa convention d'objectifs et de moyens. On pourrait renforcer les indicateurs relatifs aux priorités stratégiques de l'État : mieux cibler les territoires les plus carencés, mieux atteindre certains publics, et surtout, mieux évaluer les effets des politiques menées. Cela implique probablement un travail plus poussé sur les projets sportifs fédéraux. Il nous faudrait mieux analyser, au travers de ces projets, la manière dont les moyens de l'État, alloués aux fédérations via l'Agence, servent effectivement les objectifs de politiques publiques prioritaires. Aujourd'hui, il nous manque encore des instruments suffisamment fins pour apprécier et évaluer pleinement l'action conduite par les fédérations dans ce cadre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les fédérations ont deux interlocuteurs : vous, qui délivrez l'agrément, et l'ANS, qui finance.
M. Jérôme Fournier. - Notre périmètre d'action est clair. L'année dernière, par exemple, nous avons mené un travail approfondi - une première depuis la création de l'Agence - sur les délégations sportives. Ce travail a conduit la direction des sports à rencontrer l'ensemble des fédérations délégataires, à dresser un bilan détaillé de la mise en oeuvre de leur délégation, et à formuler des demandes précises, lorsque des manquements ont été identifiés.
Sur ce point, il n'y a pas de doute : la direction des sports conserve l'autorité. Nous intervenons sur des sujets régaliens, tels que la transparence, les déclarations auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ou encore le respect des processus démocratiques internes aux fédérations.
L'Agence nationale du sport, pour sa part, dispose, dans sa relation avec les fédérations, d'outils contractuels : les contrats de développement et les contrats de performance. Au travers de ces instruments, elle évalue la mise en oeuvre des politiques qu'elle finance.
On peut donc considérer que les rôles sont bien répartis, et que ce fonctionnement est désormais stabilisé.
Cela étant, nous identifions aussi des pistes d'amélioration. Dans nos échanges avec les fédérations délégataires, nous constatons que leur travail fait naturellement écho aux actions menées par l'Agence dans le champ de la performance ou du développement de la pratique. Nous aurions donc tout intérêt à renforcer une approche plus intégrée entre la direction des sports et l'Agence, notamment en organisant des temps communs avec les fédérations, afin de mieux croiser nos regards.
Les sujets sont, à mon sens, bien identifiés. Dès lors qu'il s'agit d'une délégation accordée à une fédération, on ne peut faire abstraction de ce que l'Agence met en oeuvre à ses côtés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - N'est-ce pas la preuve qu'il y a un véritable problème de coordination ? Ce sont les fédérations qui gèrent le sport, en dehors du sport à l'école et des sportifs occasionnels. Or si la coordination entre la direction des sports et l'Agence avec les fédérations ne fonctionne pas, alors une grande partie du sport dans notre pays s'en trouve fragilisée.
M. Christian Bilhac. - Quand je regarde l'état du sport dans notre pays, je me demande où passe l'argent. Il y a ici les crédits du ministère des sports, là les sommes importantes brassées dans le milieu du sport, là-bas encore les financements des départements ou des régions. Pourtant, dans toutes les communes, dans toutes les associations de sport pour tous, on entend le même constat : « On n'y arrive pas ! On doit quémander trois sous pour acheter un ballon ou pour repeindre un vestiaire. » Des milliers d'enfants ne trouvent pas un club de basket ou un dojo. Malgré tout cela, on continue comme si de rien n'était. Tout va très bien, madame la marquise !
Pourtant, les problèmes sont bien réels : l'obésité infantile progresse, beaucoup d'enfants ne pratiquent aucun sport. Au reste, combien d'écoles bénéficient d'Étaps pour encadrer le sport scolaire ? J'ai beaucoup de respect pour les professeurs des écoles, mais faire de l'éducation physique et sportive, ce n'est pas leur métier !
Je trouve votre discours empreint d'autosatisfaction, alors que la situation, au contraire, mériterait une mobilisation forte.
En tant que maire, j'ai fait beaucoup d'efforts pour développer le sport de tous les jours, mais dans une solitude totale. Que répondez-vous à cela ?
M. Cédric Vial. - Selon vous, que fait concrètement l'Agence que la direction des sports ne pourrait pas faire ? Par exemple, la gestion de l'aide aux équipements est une mission que les services déconcentrés de l'État ont toujours été capables de remplir. De la même manière, l'expertise, l'accompagnement des collectivités, les projets de cour d'école : tout cela pourrait être pris en charge sans qu'il soit nécessaire de créer un guichet supplémentaire ou une structure intermédiaire.
M. Pierre Barros, président. - Nombre de collectivités, même lorsqu'elles ont le projet d'installer un équipement sportif ambitieux, ne savent pas à qui s'adresser ; l'Agence nationale du sport est mal connue. Les financements, quand ils existent, sont souvent cachés derrière de nombreux autres. La question de l'illisibilité des moyens que vous évoquez mérite donc d'être posée.
M. Jérôme Fournier. - Les CTS sont placés sous l'autorité hiérarchique d'une autorité administrative, soit le délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports, soit la directrice des sports. En parallèle, ils relèvent de l'autorité fonctionnelle du directeur technique national, qui est lui-même un agent de l'État placé sous l'autorité de la directrice des sports. Ce partage d'autorité est formalisé par une lettre de mission, signée conjointement par l'autorité hiérarchique et l'autorité fonctionnelle. Ce document fait l'objet d'une concertation, à l'échelon national, avec le président de la fédération concernée et la directrice des sports. Lors de la nomination d'un DTN, par exemple, la directrice des sports reçoit le président de la fédération pour établir ensemble cette lettre de mission.
Quand j'étais moi-même directeur régional, nous recevions les présidents de ligue pour présenter le rôle du CTS et la lettre de mission associée. C'est donc un cadre formalisé, stable, connu, et partagé.
Vous m'interrogez sur les résultats. Sur ce point, restons humbles. Oui, le ministère des sports s'inscrit dans une logique de performance. Sans doute avons-nous des marges de progrès. Mais nous pouvons tout de même observer un certain nombre d'effets concrets de nos politiques publiques. Je pense par exemple à tout ce que nous déployons en matière de sport santé. Le sport en club, avec licence, augmente significativement. Le développement de la pratique féminine se confirme. Notre action, notamment post-Jeux olympiques, sur l'accès à la pratique d'activité physique pour les personnes en situation de handicap porte également ses fruits. Peut-être ces résultats vous paraissent-ils insuffisants, mais, à nos yeux, ils sont positifs et encourageants.
Je l'ai indiqué, un travail s'engage sur le partage entre ce que nous faisons et ce que fait l'ANS. Nous examinerons cette question au cours de l'année : je n'ai pas encore la réponse à ce stade. D'ailleurs, les arbitrages appartiendront à la ministre. Mais nous avançons.
Nous défendons l'idée d'un guichet unique, afin que des moyens aujourd'hui spécifiques à l'Agence s'inscrivent dans un circuit administratif plus standard, avec des lignes de crédits mieux connues des collectivités, de type DSIL ou DETR. Cela permettrait non seulement de faciliter l'accès aux ressources de l'ANS, mais également de renforcer la connaissance que les collectivités ont de celle-ci, même si elles la sollicitent déjà fortement. Nous avons peut-être simplement un effort à faire pour mieux expliquer nos cibles et nos objectifs en matière de financement des équipements sportifs.
M. Pierre Barros, président. - Qu'en est-il de l'interface ?
M. Jérôme Fournier. - La direction des sports s'appuie sur trois réseaux pour déployer ses politiques publiques : celui des services déconcentrés, celui des établissements et celui des CTS.
La sous-direction du pilotage et de l'animation des réseaux du sport est constituée en trois bureaux. Le bureau des établissements du sport travaille plus particulièrement avec l'Insep, les écoles nationales, le musée national du sport et les Creps. Le bureau des fédérations sportives assure le lien, notamment, avec les fédérations sur les sujets d'agrément, de délégation et de reconnaissance du sport de haut niveau. Et le bureau des services territoriaux assure l'animation du réseau des directions régionales et des services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et au sport, ainsi que la tutelle de l'ANS ; aujourd'hui, ce bureau, c'est trois agents, un chef de bureau et un chargé de mission. Le pilotage de l'ANS inclut des réunions bilatérales, en général entre la directrice des sports et l'adjoint au directeur de l'ANS, tous les quinze jours, ainsi que des rencontres en trilatéral, avec le cabinet de la ministre, assez régulières.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions de vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M.
Frédéric Sanaur, directeur général
de l'Agence
nationale du sport
M. Pierre Barros, président. - Notre matinée est consacrée à l'organisation des agences et opérateurs dans une politique publique où ils jouent un rôle particulièrement important : le sport. Après avoir reçu des représentants de l'administration centrale, avec la direction des sports, nous accueillons le directeur général de l'Agence nationale du sport (ANS), M. Frédéric Sanaur.
Monsieur le directeur général, notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences et opérateurs de l'État, ainsi qu'aux organismes consultatifs. Il ne s'agit pas de supprimer pour supprimer ou de fusionner pour fusionner ; nous cherchons à examiner quelles sont les structures qui fonctionnent et quelles sont celles pour lesquelles il existe des marges d'amélioration.
L'intitulé de votre agence est particulièrement large, puisque l'ANS concerne le sport dans son ensemble. Il sera donc utile que vous nous précisiez la délimitation exacte des compétences de cette agence et que vous nous indiquiez de quelle manière elle se distingue des autres opérateurs du ministère des sports.
D'une manière plus générale, je vous demanderai de nous rappeler les conditions de création de l'ANS, en 2019. A-t-elle repris des compétences de l'administration centrale ou d'autres opérateurs ? Si oui, comment s'est passée concrètement la transition, par exemple pour la gestion des personnels et de leur statut ?
Le mode de financement et la nature juridique de votre agence nous intéressent également. L'ANS est un groupement d'intérêt public (GIP), alors que la quasi-totalité des opérateurs sont des établissements publics. Quelle est la raison d'être de ce statut ? Est-il cohérent avec l'origine des financements ?
Il est indiqué sur votre site internet que le budget pour 2025 est de 415,2 millions d'euros. Ce budget inclut-il bien les conséquences des votes de la loi de finances pour 2025, sachant qu'au cours des débats, les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », notamment ceux de l'ANS, ont évolué de manière importante ? Pouvez-vous détailler l'origine de vos recettes entre crédits budgétaires de l'État, produit des taxes affectées et autres ressources ?
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Sanaur prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'audition de la direction des sports nous a déjà permis de comprendre ce que vous faites dans les grandes lignes. Je souhaite vous interroger sur les liens entre votre action, celle de la direction des sports, dont nous venons d'entendre des représentants, et celle des autres services de l'État. Concrètement, comment s'articulent les actions des conférences régionales du sport, que vous animez et qui ont été déployées depuis 2021, et celles des services déconcentrés de l'État ?
Vous pourrez aussi répondre à une critique qui vous a été adressée dans un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) au sujet de la rédaction des circulaires, indiquant que l'ANS aurait battu un record de volumétrie, avec une instruction annuelle de 167 pages destinée aux services déconcentrés de l'État en 2022.
M. Frédéric Sanaur, directeur général de l'Agence nationale du sport. - Les conférences régionales du sport, puis les conférences des financeurs ont été installées à la suite de l'adoption de la loi du 1er août 2019 relative à la création de l'Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, et de la parution d'un décret du 20 octobre 2020. Ce dernier précise que les services déconcentrés, délégués territoriaux de l'ANS, sont chargés du secrétariat de ces conférences. Il s'agit, précisément, de veiller à l'articulation entre l'agence, organisme national, ses délégués territoriaux au niveau territorial et l'ensemble de la gouvernance du sport - mouvement sportif associatif, collectivités territoriales, autres représentants de l'État, acteurs du monde économique et social, etc. - dans la mise en oeuvre des politiques d'intervention à l'échelon territorial. Si l'ANS a un rôle d'animation de l'ensemble de ces conférences, elle n'intervient pas de manière opérationnelle : une personne suit la coordination de l'ensemble de ces conférences à l'échelon national.
Notre mode d'intervention, ce sont des notes de service
diffusées en début d'année, une fois le budget initial
voté, pour élaborer le cahier des charges. Pour rappel, le
délégué territorial de l'Agence nationale du sport est le
préfet de région et le délégué territorial
adjoint est le délégué
régional
académique à la jeunesse, à
l'engagement et aux sports (Drajes). Ces notes permettent d'engager l'ensemble
de nos dispositifs et programmes d'intervention.
Vous avez évoqué l'année 2022. Selon les années, en fonction des orientations données par le conseil d'administration de l'ANS, et en lien étroit avec les priorités ministérielles, il peut y avoir 15, 16, voire 17 appels à projets. Nous sommes donc obligés d'apporter un certain nombre d'éléments, non seulement pour fournir le maximum d'indications aux porteurs de projets - associations sportives, collectivités territoriales, etc. -, mais également pour adresser des instructions aux services déconcentrés chargés de la mise en oeuvre des dispositifs.
Sans doute y a-t-il une marge de simplification. Nous nous sommes déjà engagés en ce sens. En 2024, il y a eu 16 appels à projets, contre 7 cette année. Cette réduction est liée aux mesures que nous avons adoptées pour renforcer la lisibilité du dispositif aux yeux des acteurs souhaitant déposer un dossier.
M. Pierre Barros, président. - Combien de dossiers déposés par les collectivités sont-ils retenus chaque année ?
M. Frédéric Sanaur. - Sur les équipements sportifs, le taux en 2024 est d'environ un sur troisnous avons retenu 3 000 projets, ce qui correspond à quelque 2 000 dossiers de collectivités territoriales. Le ratio est d'environ un sur trois, contre plutôt un sur quatre à l'époque du Centre national pour le développement du sport (CNDS), car il y a un peu plus de moyens. Surtout, ces financements s'inscrivent - c'était le souhait des collectivités locales et des élus - dans des programmes pluriannuels : un dossier qui n'a pas été retenu une année peut l'être l'année suivante ou deux ans plus tard.
M. Pierre Barros, président. - Instruisez-vous directement les dossiers ? Cela doit être un travail colossal.
M. Frédéric Sanaur. - En effet, c'est un travail très important.
Une partie est gérée à l'échelon national, notamment dans l'interaction avec les fédérations. Par exemple, sur le projet de 1 000 dojos, nous avons un interlocuteur à l'échelon national, la fédération française de judo, qui agit directement dans plusieurs régions. Notre service des équipements sportifs instruit les dossiers avec elle. C'est le cas de figure le plus simple.
Mais, pour la très grande majorité
- environ 80 % - des financements, les crédits sont
territorialisés. Ce sont donc le préfet et la Drajes, avec les
services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et
aux sports (SDJES), qui sont les interlocuteurs des collectivités
locales sur l'instruction des dossiers. La mairie s'adresse d'abord au SDJES.
Une fois le dossier instruit,
il passe à
l'échelon régional pour transmission au niveau national et mise
en paiement s'il est acté - c'est là qu'il y a une
articulation, Mme le rapporteur - au sein de la conférence
régionale du sport.
M. Cédric Vial. - La pratique des appels à projets est critiquée, notamment par les collectivités, car elle nécessite d'opérer une veille constante et de disposer d'ingénierie, ce qui implique d'avoir une taille critique. Bien souvent, il faut que le projet soit prêt dès que l'appel est lancé, ce qui suppose de l'avoir préparé à un moment où il n'y avait pas de ligne de crédits ouverte... Cela conduit donc à des effets d'aubaine : des collectivités reçoivent des financements pour des projets qu'elles auraient lancés de toute façon.
Allez-vous continuer à travailler ainsi ? Qu'envisagez-vous pour essayer de simplifier un petit peu les choses et de rendre cette politique plus lisible et plus pérenne ?
M. Frédéric Sanaur. - À l'époque du CNDS, nous étions sur des programmes annuels. En moyenne, sur les dix dernières années, entre 35 millions d'euros et 40 millions d'euros par an étaient orientés vers le financement des équipements sportifs. Depuis la création de l'ANS, nous sommes plutôt entre 100 millions d'euros et 120 millions d'euros de cofinancement.
C'est l'aspect « pluriannualité » qui est important. Du temps du CNDS, la campagne était lancée au mois de février, les dossiers étaient déposés à la fin du mois de juin, pour une instruction de juillet à octobre et une validation au conseil d'administration de novembre ; il n'était pas possible d'obtenir des financements sans s'inscrire dans ce calendrier. Aujourd'hui, nous sommes dans un mode de financement au long cours : on lance le programme en janvier, on dépose le dossier en février ou en juillet et on peut avoir des commissions d'instruction beaucoup plus rapprochées, autour des conférences régionales des sports ou des conférences des financeurs. Cela dépend des régions : certaines font une commission annuelle, quand d'autres en font deux, voire trois. Nous préconisons d'en faire plutôt trois, mais cela augmente les temps de concertation, de comitologie et d'instruction. L'important, c'est la pluriannualité : celui qui n'est pas prêt pour déposer son dossier en juillet peut le déposer plus tard et avoir une chance d'être retenu dès la première commission de l'année suivante.
Vous évoquez la taille des collectivités. Sur trois années de mise en oeuvre du plan 5 000 terrains de sport, environ 8 500 équipements sportifs ont déjà été financés, pour un montant global d'environ 300 millions d'euros. Cela représente quelque 4 000 collectivités, de la commune de 100 habitants à la grande ville de 100 000 habitants ou beaucoup plus. C'est la preuve qu'il y a un chemin possible. Certes, ce n'est pas toujours facile. Des efforts de la part du maire et des services administratifs - il peut d'ailleurs s'agir du service technique ou du service des bâtiments lorsqu'il n'y a pas de service des sports - s'imposent parfois.
Nous sommes dans la proximité avec les élus chargés du sport et les directions territoriales concernées. En effet, les collectivités sont les bénéficiaires de nos financements. Je le rappelle, plus de 80 % des équipements sportifs leur appartiennent. Ce sont elles qui investissent le plus, pour près de 6 milliards d'euros. Nous venons en appui, en soutien, avec cette approche pluriannuelle.
En 2022, lors du lancement du plan 5 000 terrains de sport, toutes les collectivités n'avaient pas en tête de rénover ou de construire des nouveaux équipements. Or, comme je l'ai indiqué, nous avons financé plus de 8 500 équipements sportifs. Si l'État n'avait pas donné l'impulsion via l'ANS, il n'y aurait pas eu la même dynamique autour de tous ces terrains de basket, skate-parks, parcours de sport santé, terrains multisports, etc.
M. Pierre-Alain Roiron. - J'entends ce que vous dites, y compris sur la pluri-annualité, mais le vrai problème, notamment pour les collectivités qui n'ont pas de service des sports, c'est la connaissance des appels à projets. Beaucoup de maires ignorent jusqu'à l'existence même de votre agence. Je pense qu'il vous faut faire mieux connaître vos plans pluriannuels.
Mme Anne-Sophie Patru. - Nous souffrons, me semble-t-il, d'un excès de complexité. Aujourd'hui, pour déposer une demande de subvention sur un équipement sportif, il y a besoin d'une liste interminable de documents, avec un avant-projet sommaire (APS) voire définitif (APD), mais il ne faut surtout pas démarrer l'opération sur le plan juridique sous peine de risque de ne pas pouvoir bénéficier des fonds. Je peux vous assurer qu'il est parfois totalement impossible de respecter concrètement vos délais. En avez-vous conscience ? Que comptez-vous faire pour simplifier le système ? Cela en est décourageant. Les communes qui investissent dans le sport le font par conviction, mais beaucoup n'ont pas de service des sports. Les élus se démènent pour obtenir des subventions. Nous avons l'impression qu'il n'existe aucun service capable de nous aider à l'échelon local.
M. Frédéric Sanaur. - Pour une structure nationale comme la nôtre, pouvoir parler à 35 000 collectivités, à 160 000 associations sportives affiliées à des fédérations et presque autant non affiliées à des fédérations, à plusieurs milliers de sportifs de haut niveau et à 115 fédérations, c'est effectivement un enjeu important.
Il est toujours difficile d'avoir un message qui soit diffusé partout. Nous utilisons les différents canaux à notre disposition : actions médiatiques, communication sur les réseaux sociaux ou via les services, qui ont aussi leurs limites, régionaux et départementaux de l'État, etc. Les conférences régionales du sport ont souvent une antenne départementale. Nous nous appuyons aussi sur les associations nationales d'élus chargés du sport et de directeurs des sports.
Depuis notre création, nous sommes présents au Salon des maires. C'est un cadre pertinent pour prendre le pouls et savoir si les élus connaissent, ou non, notre structure et nos dispositifs. Au début, en 2019 et 2020, beaucoup nous demandaient qui nous étions et ce que nous faisions. Mais, depuis 2022, avec le lancement du plan 5 000 terrains de sport, pour lequel un dossier sur trois est retenu, des centaines, voire des milliers de maires viennent nous voir et connaissent très bien notre action : beaucoup ont déjà été soutenus ou sont en train de déposer un dossier. Nous essayons de nous rendre disponibles pour faire connaître nos dispositifs. Mais, effectivement, nous gagnerions à les faire connaître encore plus.
Jadis, j'ai moi-même été fonctionnaire territorial. J'ai passé plus de dix ans dans les services des sports de collectivités locales à monter des dossiers. Nous sommes en train de faire un travail de mise en cohérence des cahiers des charges et les listes de pièces à demander lorsque l'on monte un dossier. D'ailleurs, il n'y a pas un décalage énorme entre ce que nous demandons dans la sphère sportive et ce qui est réclamé aux collectivités pour bénéficier de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Certes, les listes peuvent être un peu longues. Mais c'est parce que nous essayons d'avoir un pilotage national, afin de pouvoir orienter nos actions, flécher les financements et aider à la décision des autorités politiques et de notre conseil d'administration pour faire des équipements structurants. Sans cela, des éléments nous manqueraient à l'échelon national pour l'observation et le pilotage des dispositifs. D'ailleurs, avec le développement de financements plus généraux, il y a un risque d'avoir une lecture de la politique sportive un peu moins fine et précise.
Le conseil d'administration a voté qu'il y aurait un accusé de réception au dépôt du dossier, ce qui permet d'engager les travaux et de simplifier un peu ces règles administratives. Celles-ci nous sont imposées ; nous ne les inventons pas. Nous essayons de répondre à la réglementation administrative en vigueur lorsque nous devons attribuer des subventions publiques, afin de pouvoir en rendre compte ensuite devant le Parlement et les différents corps de contrôle.
Nous soutenons chaque année plusieurs milliers de collectivités qui arrivent à monter des dossiers, en lien avec les services départementaux, les services régionaux, voire avec nous à l'échelon national lorsqu'il y a un accompagnement à apporter. Nous essayons d'être disponibles et réactifs pour que les dossiers puissent être déposés et soutenus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aimerais aborder le financement de l'ANS. Comment justifiez-vous que vos dépenses de personnel aient augmenté de plus de 19 % sur la période 2020-2023 ? Avez-vous recruté des agents à la direction des sports après avoir identifié des doublons ? Comment gérez-vous vos relations avec cette dernière pour vous assurer qu'il n'y a pas deux personnes qui s'occupent du même dossier ?
M. Frédéric Sanaur. - Lors de la création de l'ANS - j'ai été préfigurateur de janvier 2019 à avril 2019 -, l'objectif était bien de réunir l'expertise des services qui pouvaient exister en matière de haute performance au sein de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), d'où le transfert d'un certain nombre d'agents de cet organisme, et celle des personnels issus de la direction des sports et de l'ensemble des personnels du CNDS.
De mémoire, au début, il y avait 28 équivalents temps plein (ETP), ce qui a permis de constituer le noyau initial des personnels de l'ANS. Ce nombre est très vite passé à 42, afin de pouvoir absorber les nouvelles missions qui nous ont été confiées : il fallait des services chargés du suivi des ressources humaines, des aspects juridiques, de l'agence comptable. Il est ensuite passé à 52, à 62, puis à 70 en 2023, avant d'être fixé à 71 en 2024 et, pour l'instant, en 2025.
Les dépenses de personnel ont augmenté, parce que nous avons eu besoin de plus d'ETP pour pouvoir faire face aux missions qui nous ont été confiées. Je pense notamment à la multiplication des appels à projets, en fonction des sollicitations de notre conseil d'administration ou des impulsions qui pouvaient être données politiquement par les ministres : pratique sportive féminine, parasport, plan de relance, comité interministériel de la ville, etc. C'est l'avantage d'un outil comme le nôtre de pouvoir évoluer en fonction de la situation, du contexte et des impulsions politiques.
Je le rappelle, un budget autour de 450 millions d'euros, cela représente, en fonction des années, entre 35 000 et 40 000 subventions. Il y a donc une charge administrative à la fois pour les porteurs de projets, qui déposent des dossiers, et pour nos équipes au niveau national, qui doivent payer, s'assurer que les projets soutenus sont bien en conformité avec ce pour quoi ils ont été financés au départ et répondent aux normes réglementaires et administratives.
Globalement, sur les 71 ETP, il y a entre 25 et 30 personnes sur le sport de haut niveau et de haute performance, entre 20 et 25 personnes sur le développement des pratiques sportives et le reste sur des fonctions support. Plus de 2 000 sportifs de haut niveau sont soutenus chaque année, et il y a plus de 70 fédérations. Nous avons une vingtaine de personnes qui instruisent un très grand nombre de dossiers de soutien aux clubs - un peu plus de 15 000 clubs sont soutenus -, à l'emploi - cela représente près de 5 000 emplois sportifs - et aux différents projets d'équipement sportif et d'aide au financement associatif.
Cela concerne uniquement le pilotage national. Il y a en complément les services départementaux et régionaux, qui instruisent également en première intention des dossiers, pour lesquels nous venons simplement apporter une instruction finale.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les services départementaux jouent-ils un rôle de « préfiltre », en sélectionnant certains dossiers pour vous les transmettre parce qu'ils sont intéressants pour le territoire, et en en bloquant d'emblées d'autres ?
M. Frédéric Sanaur. - C'est possible.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je ne vous demande pas si c'est possible ; je vous demande si les choses fonctionnent ainsi.
M. Frédéric Sanaur. - Ce n'est pas toujours aussi simple. Il y a une multitude d'appels à projets différents. Lorsque le dossier est soutenu, il est suivi par les services en proximité, mais il est mis en paiement à l'échelon national. Et nous pouvons tout à fait voir les dossiers qui ne sont pas retenus, grâce aux outils informatiques et aux plateformes de gestion. Mais nous ne sommes pas en gestion directe d'un projet qui n'est pas soutenu en proximité, puisqu'il n'est pas mis en paiement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour la conférence régionale, ce sont les services départementaux qui font la pré-instruction ?
M. Frédéric Sanaur. - Dans le cas des équipements sportifs ou de l'emploi sportif, c'est bien le cas. Ensuite, le débat sur le financement des projets s'effectue en conférence des financeurs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu à la question des éventuels doublons entre la direction des sports et l'ANS.
M. Frédéric Sanaur. - Lors de la création de l'ANS, certains effectifs de la direction des sports - en l'occurrence, il s'agissait d'ETP sur le sport de haut niveau - ont été absorbés. Il a fallu que l'ANS comme la direction des sports trouvent un équilibre dans leur fonctionnement. Nous avons mis en place une cartographie de ce que fait l'agence et de ce que fait la direction des sports.
Parfois, le travail est complémentaire. La direction des sports met aussi en oeuvre un certain nombre de règles et de réglementations liées au code du sport, ce que ne peut pas faire l'ANS. Typiquement, nous identifions les sportifs de haut niveau, nous les aidons financièrement dans leur parcours, mais c'est la direction des sports qui a la responsabilité de les mettre sur liste ministérielle.
Nous avons évidemment d'autres interactions, comme Jérôme Fournier a pu vous l'expliquer. Une convention d'objectifs et de moyens entre l'État et l'ANS spécifie bien qui fait quoi, avec un certain nombre d'indicateurs de résultats et de livrables.
En outre, les différentes notes de service que vous évoquiez tout à l'heure sont partagées et validées par la direction des sports avant leur diffusion, afin de pouvoir être ensuite communiquées à l'ensemble de l'écosystème sportif et aux services déconcentrés de l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comment l'ANS peut-elle identifier les sportifs de haut niveau - je pensais que c'était le rôle des conseillers techniques sportifs (CTS) - alors que ses effectifs ne sont pas très nombreux ?
M. Frédéric Sanaur. - Ce travail, nous l'effectuons bien entendu en lien permanent avec les fédérations sportives et les directions techniques nationales, dans lesquelles on retrouve les CTS.
Nous avons une action complémentaire. Plusieurs milliers de sportives et de sportifs de haut niveau sont sur la liste ministérielle. Les fédérations identifient ensuite celles et ceux qui nécessitent un soutien renforcé, afin de leur permettre de se concentrer de manière quasi exclusive sur leur carrière sportive : ce n'est évidemment pas la même chose selon que le sportif est de niveau national ou de niveau européen, international, olympique ou paralympique. Puis, avec les fédérations, nous identifions ceux qui peuvent figurer dans un cercle encore plus réduit, celui de la haute performance. Nous parlons là de 600 à 800 sportifs à très fort potentiel qui nous semblent pouvoir intégrer l'équipe de France olympique ou paralympique, voire qui nous semblent susceptibles d'aller chercher une place sur un podium mondial.
En lien permanent avec les directions techniques nationales, nos experts chargés de la haute performance identifient ces sportifs, afin d'actionner des dispositifs d'accompagnement permettant de les soutenir. Il peut s'agir de solliciter une entreprise partenaire autour d'une convention d'insertion professionnelle, d'obtenir un aménagement de leur emploi, de trouver des financements pour les aider dans leur préparation sportive. Ils peuvent avoir besoin de préparateurs physiques, de coachs mentaux, de soins, etc. Nous orientons nos financements de manière à maximiser leurs chances de réussite dans les différentes échéances sportives.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce qu'il vous semble normal que l'État soit minoritaire au conseil d'administration de l'ANS, alors que plus de la moitié de son budget provient de fonds publics, en intégrant la subvention pour charges de service public et la fiscalité qui vous est affectée ?
M. Frédéric Sanaur. - C'est le fruit des travaux préparatoires ayant conduit à la création de l'agence, notamment le rapport de 2018 rédigé par la directrice des sports de l'époque. Il s'agissait de trouver un équilibre entre les différents acteurs engagés dans cette politique et de définir une gouvernance partagée. La forme juridique du GIP a été, à l'époque, privilégiée pour cette raison et il a été décidé que les droits de vote se répartiraient entre l'État, les collectivités territoriales et le mouvement sportif, qui disposent chacun de 30 %, les acteurs économiques ayant les 10 % restants. Toutefois, pour le sport de haut niveau, l'État a 60 % des droits de vote, les trois autres collèges se répartissant les 40 % restants.
Nous vivons cette gouvernance partagée au quotidien de manière très dynamique et fluide, même s'il est vrai que le niveau de financement et le pourcentage des droits de vote ne sont pas en corrélation. Je peux témoigner que ce sont les orientations de l'État, régulièrement rappelées par le ministre en conseil d'administration, qui sont mises en débat et qui prévalent. Comme la très grande majorité des financements provient de l'État, c'est sa parole qui est écoutée quand il faut procéder à des économies ou à des réorientations. La plupart des votes se font à l'unanimité et, depuis le début, nous réussissons à voter les budgets et à les mettre en oeuvre.
M. Pierre Barros, président. - Au fond, qu'apporte la forme juridique du GIP ? La possibilité de recevoir des ressources diversifiées, notamment privées ? Pourtant, le financement de l'agence provient très majoritairement de l'État.
M. Frédéric Sanaur. - Le financement provient très majoritairement de l'État en proportion, parce que nous sommes à des montants significatifs : environ 400 millions d'euros. Les capacités financières de nos douze membres fondateurs sont très diverses : l'État, l'Assemblée des départements de France, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), France urbaine, Régions de France, des organisations du monde économique et du mouvement sportif. Certains de ces acteurs contribuent au financement, tels que le Comité national olympique et sportif français, le Comité paralympique et sportif français ou le Medef, mais ce n'est pas le cas de l'ensemble des structures, parce que leur budget ne le permet pas.
Néanmoins, nous avons l'ambition de renforcer les partenariats et de diversifier encore plus nos sources de financement - c'est d'ailleurs un objectif qui nous est fixé par le ministère des sports -, mais cela n'atteindra jamais de tels montants. En 2024, nos ressources externes se sont élevées à 17,7 millions d'euros, soit 4 % de notre budget. Nous avons déjà une dizaine de partenaires privés.
Certaines fédérations sportives apportent aussi des contributions. Par exemple, la Fédération française de football, qui avait autrefois son propre système de financement, et l'ANS ont décidé de créer un seul guichet pour le financement d'équipements sportifs.
Parmi les contributeurs publics, je peux citer le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, la Métropole du Grand Paris, la ville de Marseille, le GIP « Les entreprises s'engagent » ou France Travail.
Développer les partenariats privés demande cependant de mettre en place une ingénierie ad hoc pour répondre aux demandes spécifiques de ces acteurs. Les partenariats sont évidemment une bonne chose, ils permettent par exemple d'hybrider avec le monde économique, mais nous devons veiller à ne pas complexifier les choses et à conserver des actions et des financements lisibles pour chacun. J'évoquais tout à l'heure le chiffre de dix-sept appels à projets ; cela vient aussi du fait que des partenariats sont noués à un moment ou à un autre - par exemple avec La Française des jeux pour la Coupe du monde de rugby ou avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) - et que les enveloppes financières ne sont pas nécessairement fusionnables ou mobilisables au moment où nous lançons les campagnes générales d'information. Les partenariats ont une conséquence sur la complexité, voire la lisibilité des dispositifs.
M. Cédric Vial. - Vous avez été préfigurateur de l'agence : comment avez-vous déterminé son périmètre ? Qu'est-ce qui vous a conduit à penser que l'agence ferait mieux et peut-être moins cher que l'État ou le CNDS ? Aujourd'hui, avec le recul, diriez-vous que la création de l'agence a apporté ou non une plus-value ? Quelles sont les différences entre la grille de salaires à l'agence et la grille du traitement des fonctionnaires ?
M. Pierre Barros, président. - Dans l'arrêté du 4 octobre 2019 portant approbation de la convention constitutive du GIP dénommé « Agence nationale du sport », il est indiqué qu'une évaluation sera réalisée après la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Cette évaluation est-elle en cours ? Pourrait-elle aboutir à un autre partage des compétences ? Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le ministre des sports de l'époque, Gil Avérous, jugeait lui-même inutile la conférence des financeurs et suggérait qu'il faudrait l'intégrer au sein du ministère...
M. Frédéric Sanaur. - Quand j'ai été nommé préfigurateur, les concertations et les débats préparatoires étaient terminés et le rapport publié à la fin de l'année 2018 posait clairement différents constats : le modèle de la haute performance s'essoufflait et les résultats des derniers Jeux olympiques étaient moins bons que les précédents ; la gouvernance du sport devait être revue pour mieux associer l'ensemble des acteurs, notamment les collectivités territoriales ; le lien entre le sport de haut niveau et le développement général du sport devait être repensé.
J'ai alors été chargé d'installer le GIP - cette forme juridique était mentionnée dans ma lettre de mission -, d'en définir les contours, de recruter le personnel, d'organiser les premières assemblées générales et réunions du conseil d'administration.
Est-ce mieux ou moins bien que le services de l'État ? En fait, c'est différent ! Nous ne sommes pas dans une administration centrale, placée sous l'autorité directe du ministre et de son cabinet et devant agir en interministériel. Des personnes d'origines plus variées sont autour de la table : des élus locaux, des parlementaires, des chefs d'entreprise, des représentants de fédérations sportives, etc. Le regard est donc davantage pluriel. C'est un point qui me semble particulièrement novateur.
M. Cédric Vial. - Comment sont nommés les membres du conseil d'administration ?
M. Frédéric Sanaur. - Ils sont nommés par les douze membres fondateurs que j'ai cités tout à l'heure, auxquels s'ajoutent quatre parlementaires désignés par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Les débats au conseil d'administration concernent la stratégie à adopter, la définition des programmes, leur mise en oeuvre opérationnelle, etc. Dès le départ, le mouvement sportif et les collectivités locales voulaient être autour de la table et avoir un droit de vote. Cette gouvernance vise à donner plus d'autonomie et de responsabilité au mouvement sportif.
Je n'ai pas en tête la grille de traitement de la fonction publique de l'État. La présidente, nommée sur proposition du ministre par le conseil d'administration, est bénévole. La rémunération du directeur général, qui est nommé de la même manière, est définie par les ministères du budget et des sports. Le manager général de la haute performance est nommé par le conseil d'administration sur proposition du ministre et après avis du directeur général.
J'ai connu plusieurs postes très différents dans le secteur du sport : en administration centrale, en collectivité locale, en cabinet ministériel. Avec le recul, j'estime que la structure ANS nous donne des leviers supplémentaires d'action et plus de moyens, même à périmètre constant. Le budget du CNDS, en intégrant la haute performance, atteignait environ 270 millions d'euros ; nous étions à 449 millions en 2024.
Nous avons aussi développé la mission d'expertise aux côtés des fédérations et des directions techniques nationales, notamment dans le cadre de la préparation des Jeux de 2024. Nous mettons en oeuvre davantage de programmes, nous accompagnons davantage de sportifs et d'associations, nous soutenons davantage de projets d'équipements. Ainsi, le CNDS accompagnait environ 250 projets d'équipements par an, nous le faisons aujourd'hui pour plus de 2 000 ; le CNDS se concentrait sur des projets entre 500 000 euros et 1 million, tandis que nous finançons des projets plus petits. Nous allons chercher des partenaires privés, nous diversifions le modèle et nous tentons de simplifier les procédures.
Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, mais nous avons clairement augmenté la voilure. L'agence est plus centrale que ne l'était le CNDS et nous pouvons davantage influencer sur la mise en oeuvre des politiques sportives, en étant à la fois contributeur et acteur.
C'est peut-être au sujet de la conférence des financeurs, telle que définie par le législateur, que l'on n'est pas allé au bout de l'ambition. Cette mise en commun des moyens entre l'État, les différentes strates de collectivités et les acteurs privés, voire associatifs, fonctionne à certains endroits, alors qu'ailleurs chaque acteur veut conserver ses financements et ses orientations propres sans les mettre en commun. Il y a encore des choses à approfondir au niveau territorial.
En outre, s'agissant du développement des partenariats, l'ingénierie à mettre en place est assez lourde. Nos programmes n'ont pas la visibilité des Jeux olympiques ou des grandes compétitions : nous mettons en oeuvre des programmes à dimension sociale, tendant à la résorption des inégalités territoriales. Certaines entreprises sont intéressées, dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale, mais il nous revient de renforcer notre action pour sensibiliser celles qui le sont moins. Nous sommes limités en termes de ressources humaines sur ce plan. Tout cela fait partie de notre feuille de route pour les prochains mois.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La démarche de fusion d'opérateurs - Audition de MM. Christophe Aubel, directeur général délégué de l'Office français de la biodiversité, ancien directeur général de l'Agence française de la biodiversité (en visioconférence), Christian Charpy, président de chambre à la Cour des comptes, ancien directeur général de Pôle Emploi, délégué général de l'instance nationale provisoire chargée de sa mise en place, et Roch-Olivier Maistre, président de chambre à la Cour des comptes, ancien président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel
M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, cette audition diffère par sa nature des auditions que nous avons tenues ces dernières semaines, car il ne s'agit pas d'examiner le fonctionnement d'une agence particulière ni même celui d'un secteur de politique publique. C'est plutôt une sorte d'atelier au cours duquel nous nous demanderons comment fusionner des opérateurs et nous nous interrogerons sur les difficultés et les conditions de réussite d'une telle opération.
L'un des motifs qui a justifié la création de cette commission d'enquête est en effet le sentiment que les agences se sont multipliées, voire ont proliféré depuis les années 1990. Il en résulte une augmentation des coûts selon certains, en tout cas, une moindre lisibilité de l'action publique. Dès lors, une solution fréquemment évoquée est de fusionner des agences.
Depuis le début de nos travaux, nous cherchons à aller au-delà d'analyses trop simples, voire simplistes. Bien des fois, nous avons constaté que la fusion de deux opérateurs n'était pas aussi simple qu'une addition sur un coin de table. On voudrait en effet que 1+1 fassent un peu plus que 2 en efficacité, et un peu moins de 2 en coût pour les finances publiques. En pratique, une fusion prend du temps, et les économies, si elles surviennent, sont tardives.
Le directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) nous a par exemple indiqué qu'il avait fallu entre six et sept ans pour fusionner onze organismes - certes, le nombre était important, mais ceux-ci étaient dotés de statuts homogènes. Le directeur de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour sa part, a considéré que, cinq ans après la création de l'agence, le sujet de la fusion était désormais clos.
Nous avons donc réuni trois personnalités qui, à partir de leur expérience, peuvent nous apporter un témoignage sur les difficultés et les conditions de réussite d'une fusion d'opérateurs ou d'entités publiques en général, afin d'inspirer les réflexions de notre commission d'enquête. Messieurs, je vous remercie d'être venu à ce que l'on peut qualifier de master class.
Monsieur Christophe Aubel, vous êtes directeur général délégué à l'Office français de la biodiversité (OFB), organisme dont nous avons déjà reçu le directeur général. Nous vous avons invité en premier lieu parce que vous avez assuré l'installation de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) en 2016. Vous avez ensuite dirigé cette agence avant qu'elle ne soit elle-même fusionnée à l'intérieur de l'OFB. Vous avez ainsi une vision complète du processus sur le moyen terme. Quelles leçons tirez-vous de ces fusions successives ?
Monsieur Roch-Olivier Maistre, vous êtes actuellement président de chambre à la Cour des comptes. Auparavant, vous avez été notamment chargé, à la fin de 2014, d'une mission sur le rapprochement de Unifrance et de TV France International, deux structures de promotion à l'international, dont la fusion a été effective seulement en 2021. Savez-vous pourquoi cela a pris autant de temps ? Vous avez surtout été, entre 2022 et 2024, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), elle-même issue de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Comme M. Aubel le fera pour l'AFB et l'OFB, vous pourrez nous apporter votre témoignage sur ce processus.
Enfin, monsieur Christian Charpy, vous êtes également président de chambre à la Cour des comptes. Vous avez exercé de nombreuses fonctions au cours de votre carrière. Pour ce qui nous concerne aujourd'hui, vous avez notamment été directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) entre 2004 et 2008, jusqu'à sa fusion avec l'Unédic au sein de Pôle emploi, dont vous avez été le directeur général jusqu'en 2011. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience et des difficultés que vous avez alors rencontrées ? Depuis cette date, vous avez réintégré la Cour des comptes, où vous avez conduit et suivi de nombreux travaux qui vous permettront sans doute d'élargir nos discussions, par exemple au sujet de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Celle-ci a fait l'objet d'un rapport important en 2018, dix ans après sa création à partir de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP).
Messieurs, avant de vous laisser la parole pour un court propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Aubel, Christian Charpy et Roch-Olivier Maistre prêtent serment.
M. Christophe Aubel, directeur général délégué de l'Office français de la biodiversité, ancien directeur général de l'Agence française de la biodiversité. - Je vous brosserai rapidement un tableau de la manière dont cette fusion a été réalisée, afin d'éclairer les quelques enseignements que nous pouvons en tirer pour répondre à votre question, monsieur le président.
L'AFB a démarré son existence le 1er janvier 2017 ; elle a cessé d'exister lors de sa fusion avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) le 1er janvier 2020, pour devenir l'OFB. Ses trois années d'existence ont été précédées d'une longue phase de préparation et de préfiguration.
L'AFB elle-même regroupait l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), l'Agence des aires marines protégées (AAMP), la tête de réseau des Parcs nationaux de France, et le groupement d'intérêt public de l'Atelier technique des espaces naturels (Aten). Ces quatre établissements n'en ont plus fait qu'un, qui a lui-même fusionné avec l'ONCFS. Ces regroupements visent à répondre aux enjeux relatifs la biodiversité. Sans faire un long développement, je vous rappelle qu'il s'agit du fonctionnement du vivant et la biodiversité qui rendent la terre habitable pour les humains que nous sommes.
Dans un premier temps, l'idée de créer l'AFB est apparue à la demande des parties prenantes, lors du Grenelle de l'environnement, en 2007, soit dix ans avant sa création. Le groupe de travail n° 2 présidé par le sénateur Jean-François Le Grand et la sénatrice Marie-Christine Blandin, dans une belle dynamique collective - il a souvent été dit que ce groupe de travail était celui qui avait permis d'atteindre le plus de consensus lors du Grenelle -, a en particulier lancé deux sujets phares : la trame verte et bleue, qui existe toujours dans les territoires, et l'expression du besoin de créer une agence dédiée à la biodiversité.
Le groupe de travail n'a pas précisé quels établissements regrouper ou comment procéder à la création de cette agence ; de façon consensuelle, il a simplement exprimé le besoin d'une agence pour accompagner et conseiller en matière de biodiversité. À l'époque, les acteurs économiques et les collectivités territoriales faisaient souvent un parallèle avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : si, pour les questions liées à l'énergie et aux déchets, ils pouvaient s'adresser à l'Ademe, pour les enjeux liés à la biodiversité, ils n'avaient pas d'interlocuteur.
Lors du Grenelle, après l'arbitrage du ministre, décision a été prise de nommer une mission parlementaire pour définir ce que pourrait être une agence de la biodiversité. Toutefois, cette mission parlementaire n'a jamais été nommée. Pour débloquer le sujet, M. Jean-Louis Borloo avait lancé une mission sur l'évaluation de l'organisation des opérateurs publics dans le domaine de la protection de la nature, confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et à l'inspection générale des finances (IGF). Cette mission confirmera la nécessité de créer une structure dans ce domaine, mais ses travaux n'eurent pas de suite concrète.
Le deuxième temps de la création de l'AFB a lieu pendant la campagne des élections présidentielles de 2012. La société civile relaie le besoin d'une agence et M. François Hollande, candidat, confirme par écrit qu'il créera une telle agence s'il est élu. À l'issue de la conférence environnementale de 2012, le président de la République annonce la création de l'agence, et en décembre, la ministre Delphine Batho nomme MM. Bernard Chevassus-au-Louis et Jean-Marc Michel préfigurateurs et leur confie la tâche de rédiger un rapport conduisant à la création de cette agence.
Le rapport, remis en février 2013, conclut que le statut d'établissement public administratif est le plus adapté. Plusieurs scénarios sont envisagés : une agence des aires protégées, une agence d'animation et d'appui, une agence de pilotage stratégique. La ministre demande aux auteurs du rapport de creuser le deuxième scénario. En avril 2013, un second rapport est ainsi rendu, où il est proposé que l'Onema, Parcs nationaux de France, l'Agence des aires marines protégées et l'Aten, ainsi que la Fédération des conservatoires botaniques nationaux, soient regroupés pour former une seule agence. Le rapport préconise par ailleurs un rapprochement important avec le service du patrimoine naturel du Museum national d'histoire naturelle (MNHN), et un travail en collaboration étroite avec l'ONCFS.
En octobre 2014, la ministre Ségolène Royal lance une mission de préfiguration, confiée à M. Olivier Laroussinie, qui était jusqu'alors directeur général de l'Agence des aires marines protégées, assisté d'un scientifique, M. Gilles Boeuf, de deux élues régionales, Mmes Annabelle Jaeger et Marie Legrand, et d'un proche des acteurs économiques, M. Delannoy. Une mission complémentaire a été confiée à des parlementaires, MM. Serge Letchimy et Victorin Lurel, sur ces enjeux dans les collectivités d'outre-mer.
Le rapport est rendu en juin 2015, après une
vaste consultation des parties prenantes, notamment deux jours d'ateliers
réunissant 150 personnes à Strasbourg, ainsi qu'une
journée spéciale consacrée aux outre-mer. Il
précise
les besoins en matière de connaissances, d'appui
aux politiques publiques, de police, de mobilisation et d'accompagnement
de la société, en restant dans le même champ que celui
ouvert par MM. Chevassus-au-Louis et Michel.
Il faudra ensuite attendre le 8 août 2016 pour que la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages soit promulguée, créant l'agence le 1er janvier 2017.
Dans ce laps de temps, entre la remise du rapport et la promulgation de la loi, la ministre décide de ne pas conserver M. Laroussinie. Je suis alors nommé non pas préfigurateur, mais directeur d'installation. Les travaux ayant commencé depuis longtemps, l'organigramme est déjà décidé, les chefs de direction voire de service sont nommés, et il convient, dans la continuité, de ne pas remettre en cause ce que M. Laroussinie a préfiguré. Ma mission était également de relancer une dynamique : tous les collègues des établissements concernés, qui attendaient la fusion depuis un certain temps, commençaient à se décourager. Ils avaient beaucoup travaillé, et certains doutaient, alors que la loi n'avait pas encore été publiée, que l'agence soit un jour créée. Nous avons finalement créé l'Agence française pour la biodiversité, issue de la fusion de nombreux établissements - en plus des quatre que j'ai cités, il faut également ajouter la Fédération des conservatoires botaniques nationaux et le service du patrimoine naturel du MNHN -, pour répondre à l'enjeu majeur de la biodiversité et mobiliser la société.
Quelles leçons tirer de cette expérience ?
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai aussi participé à la création de l'OFB. J'ai donc deux expériences : une première très longue, avec la création de l'AFB, que je viens de vous décrire ; une seconde bien plus rapide, avec celle de l'OFB, qui a duré un an. Dans les deux cas, ces délais ne sont pas entièrement satisfaisants. Une durée d'environ deux ans me semble préférable pour réaliser la création d'une agence au périmètre préalablement défini.
D'une part, ce délai permet de faire des consultations en externe, notamment avec les diverses parties prenantes à l'origine de la création de l'agence, en particulier les collectivités et les acteurs économiques. Le travail de préfiguration a permis de positionner l'AFB pour ces diverses parties prenantes, alors que chacun des établissements fusionnés avait déjà son propre public. Il a fallu notamment convaincre les marins et le monde de l'eau qu'ils ne perdaient pas quelque chose avec la fusion, mais que, parce que la biodiversité ne se sectorise pas, l'on serait plus efficace après une telle opération.
D'autre part, ce délai de deux ans est nécessaire pour embarquer en interne les agents. Vous l'avez dit, monsieur le président, réaliser une fusion n'est pas si facile : il faut prendre soin des agents en place, qui ont fait du bon travail, et il faut leur rappeler que la fusion signifie non pas que le travail qu'ils réalisaient n'était pas bon, mais qu'il faut faire autrement. Tant pour la création de l'AFB que pour celle de l'OFB, dont les moyens sont encore supérieurs, nous avons également abordé de nouvelles dimensions pour répondre aux enjeux majeurs liés à la biodiversité, l'effondrement de celle-ci étant l'autre défi de la transition écologique, avec le dérèglement climatique. Là encore, il faut du temps pour expliquer pourquoi un changement est nécessaire face à des enjeux nouveaux, qui ne sont pas nécessairement appréhendés par tout le monde.
M. Roch-Olivier Maistre, président de chambre à la Cour des comptes, ancien président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - J'évoquerai d'abord la fusion entre le CSA et la Hadopi. C'était une réforme pleine de sens - ce qui est important pour une fusion. Dix ans après la création de la Hadopi, il y avait un consensus entre tous les acteurs du secteur culturel, du secteur audiovisuel et tous les observateurs de se doter d'un outil plus efficace de lutte contre le piratage.
À l'époque où la Hadopi a vu le jour, le piratage se faisait essentiellement par échange de fichiers entre particuliers, du peer to peer. Maintenant, il se fait principalement via des sites de streaming illicites. Par exemple, vous allez sur internet pour demander la retransmission du match entre le PSG et un autre club, retransmis sur une chaîne privée, et une liste de sites apparaît. Nous devions impérativement nous doter de nouveaux outils.
Ensuite, il fallait un outil plus pertinent. Adosser la Hadopi, petite structure, à un acteur plus puissant comme le CSA avait du sens administrativement. Surtout, il y avait une vraie cohérence, car le CSA avait pour mission historique de contrôler les obligations qui incombent aux acteurs de l'audiovisuel pour financer la création - cinéma et production audiovisuelle. Le CSA, désormais l'Arcom, chaque année, vérifie que les éditeurs s'acquittent bien des obligations législatives et réglementaires. Il y avait une cohérence à confier au même organisme le contrôle d'un bout de la chaîne à l'autre : la fixation des obligations de financement, le contrôle de ces obligations, le contrôle du droit des auteurs, la protection des oeuvres et la lutte contre le piratage. La première condition de réussite, qui a été remplie, était que la réforme avait du sens et qu'il y avait une adhésion pleine et entière des deux parties pour ce rapprochement, aussi bien le collège et la présidence de la Hadopi que le collège et la présidence du CSA de l'époque.
Deuxième élément de réussite, nous avons pu construire une préfiguration sur un temps relativement long. Les réformes audiovisuelles prennent souvent un peu de temps...
Un premier projet de loi du ministre Riester, en 2019, a connu quelques péripéties ; son processus législatif a été interrompu par le covid. La fusion n'est intervenue que par la loi votée à l'automne 2021. Entre la présentation du projet initial et la mise en oeuvre s'est écoulé un certain temps. Dès que le projet de loi du Gouvernement a été mis sur la table, nous avons signé une convention de préfiguration entre le CSA et la Hadopi, avec des groupes de travail pour couvrir l'ensemble des thématiques : rapprochement des personnels et des systèmes d'information, organisation financière, organisation administrative...
Nous avons mené l'accompagnement social, indispensable dans un processus de ce type, pour rassurer les équipes et consulter les organes représentatifs des deux instances.
Cette longue préfiguration a permis une maturation sans difficulté.
Troisième condition de réussite : grâce à cette préfiguration, nous avons organisé la nouvelle structure de telle sorte qu'on ne soit pas dans une simple juxtaposition de l'ancien CSA et de la Hadopi, mais d'imbriquer réellement les compétences.
L'organigramme de l'Arcom a été revu. Son collège comprend désormais neuf membres, soit deux de plus que le CSA : un membre désigné par le vice-président du Conseil d'État et un membre désigné par le premier président de la Cour de cassation. Le vice-président du Conseil d'État a désigné M. Denis Rapone, président sortant de la Hadopi, qui a porté d'emblée, au sein du collège, la culture, les valeurs et les intérêts de la Hadopi.
De même, dans l'organisation administrative, nous avons créé très tôt une direction de la création pour couvrir la compétence globale, de la fixation des obligations de financement jusqu'à la protection du droit des auteurs. L'encadrement de la Hadopi s'est retrouvé dans l'organigramme du CSA. Nous n'étions pas dans une fusion-absorption, mais une fusion actée volontairement par les deux parties.
Quatrième point, cette réforme est source d'efficience. Les coûts induits par la réforme - nous vous donnerons des précisions par écrit - ont été pris en charge par la structure, sans abondement budgétaire supplémentaire. Nous avons utilisé pour cela les fonds de roulement conjoints des deux structures. Ces coûts sont dus d'abord à l'augmentation de deux membres du collège de l'Arcom, qui sont des membres permanents ; nous avons aussi accueilli la Hadopi dans la tour Mirabeau, local historique du CSA, à surface constante, mais il a fallu réaménager les espaces, le cloisonnement, ainsi qu'acheter du mobilier. Ces coûts ont été pris en charge par la structure elle-même, mais nous avons économisé le loyer de la Hadopi. L'opération a été conduite de manière efficiente.
Dernier constat : nous menons une action beaucoup plus efficace en matière de lutte contre le piratage. L'Arcom a vu le jour en janvier 2022. Grâce au législateur, elle a été dotée d'un dispositif très pertinent de lutte contre le piratage qui permet aux ayants droit, en début de championnat, par exemple à l'éditeur Canal+, d'aller devant le juge en désignant une série de sites piratant les contenus sportifs. Le juge rend, dans des délais extrêmement courts, une ordonnance de blocage des sites correspondants et la décision de justice, en application de la loi, vaut pour l'ensemble du championnat, et non uniquement pour la compétition visée.
Sur la base de cette première décision du juge, quand des sites miroirs apparaissent ensuite, l'éditeur n'a pas besoin de revenir devant le juge ; il se tourne vers l'autorité administrative qui peut ordonner, à son tour, le blocage. On a une chaîne quasi continue, automatique et informatisée entre la décision de justice et les fournisseurs d'accès qui procèdent au blocage. Les ayants droit disent qu'il y a un avant et un après Arcom, avec une lutte beaucoup plus efficace. Cette lutte elle est loin d'être achevée : nous constatons des phénomènes de transformation des techniques de piratage auxquels l'Arcom doit s'adapter.
Les résultats sont là : depuis 2022, plus de 5 000 sites illicites ont été bloqués pour du piratage sportif ; les chiffres sont aussi très impressionnants pour le piratage culturel des films.
Voilà mon expérience de réforme, celle d'un vieux serviteur de l'État. C'est un exemple vraiment parlant d'une réforme réussie.
J'avais conduit une mission concernant Unifrance il y a quelques années, qui a finalement abouti, mais avec un décalage chronologique important. Lorsque j'ai proposé la réforme, nous avions deux outils de soutien à l'exportation de nos oeuvres : un pour le cinéma, un pour la production audiovisuelle. J'avais proposé de fusionner les deux structures en une seule. La difficulté de l'époque était culturelle. Le monde du cinéma regardait le secteur audiovisuel avec un certain recul. Il y avait ceux qui faisaient de l'art et ceux qui faisaient du business. L'idée de se mélanger, aujourd'hui banale - les producteurs de cinéma font de la production audiovisuelle, et les plateformes de streaming sont l'illustration parfaite de la convergence des deux secteurs - a pris du temps.
Il y avait des réflexes de boutique : à chacun sa structure, avec la volonté de ne pas mélanger les torchons et les serviettes. Il y avait aussi peut-être, à ce moment-là, une volonté politique insuffisamment armée. L'idée était bonne et a fini par aboutir. Cela donne une structure de soutien à l'exportation de nos oeuvres qui a beaucoup de sens dans les festivals à l'étranger : nous présentons nos oeuvres, globalement, avec beaucoup de pertinence.
M. Christian Charpy, président de chambre à la Cour des comptes, ancien directeur général de Pôle emploi, - Vous nous avez demandé de vous faire part des conflits d'intérêts éventuels. Je précise que je parle devant vous à titre personnel et que je n'engage pas la Cour des comptes. C'est important, notamment au regard des questions que vous m'avez posées sur Pôle emploi, en lien avec le rapport de la Cour des comptes de 2020. J'avais pris soin, à l'époque, de me déporter de ce rapport, même si j'avais quitté Pôle emploi depuis un certain temps. Je n'avais pas jugé nécessaire de participer ni à sa rédaction ni à son approbation. Je m'exprime donc en toute liberté et partagerai des opinions qui peuvent être quelque peu dissonantes sur le sujet.
J'ai réalisé trois séries de fusions dans ma carrière.
Dans les années 1995, j'ai été chargé de fusionner Radio France International (RFI) et Radio Monte Carlo Moyen-Orient, chaîne en langue arabe, et Radio Paris-Lisboa, en 1995. C'était une petite fusion qui concernait le secteur audiovisuel.
Puis, en 1998, pour une plus grosse fusion, j'ai été nommé à la tête de l'Agence française du sang, qui visait à fusionner 40 centres de transfusion sanguine, groupements d'intérêt public (GIP) rassemblant 150 personnes morales différentes, de droit public et de droit privé, et environ 8 000 personnes. Il fallait les réunir dans un seul établissement public à caractère administratif mais également sui generis, à comptabilité privée et avec des personnels de droit privé.
La troisième fusion, assez lourde, était celle de l'ANPE et des Assédic pour former Pôle emploi. J'ai une certaine habitude et sais combien réaliser une fusion est compliqué.
En conséquence, la première chose à faire, avant de créer un établissement, est d'être certain que cela soit nécessaire ; le supprimer est très compliqué. Je prends deux exemples : dans les années 2000, c'était la mode des agences de sécurité sanitaire. On en a créé une sur l'alimentation, une sur l'environnement et une sur le travail. En 2004-2005, j'avais proposé au ministre de l'environnement de fusionner les trois en une seule. Cela a été impossible. Le ministre ne voulait pas abandonner l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement. Cela a finalement été réalisé plus tard, en fusionnant d'abord les agences de l'environnement et du travail, puis en ajoutant l'alimentation, pour aboutir à la création de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Il en est de même pour les autorités administratives indépendantes (AAI). Auparavant, nous avions le Médiateur de la République, le Défenseur des droits, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), sans oublier le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Lors de la réforme, la loi a fusionné ces entités en laissant de côté le CGLPL, mais cela a été extrêmement compliqué à l'époque, car chacun avait son pré carré et ses personnes à défendre.
Avant de créer un nouvel établissement, il est crucial de savoir s'il est possible de confier cette compétence - si elle est nécessaire - à un autre établissement existant, plutôt que de créer une nouvelle structure, puis, dix ans plus tard, de songer à les fusionner.
On ne fusionne pas uniquement pour faire des économies : cela ne marche pas à chaque fois et il faut un projet qui fasse sens, comme le disait Roch-Olivier Maistre. Le projet d'Établissement français du sang (EFS) faisait sens et a été créé sans grande difficulté. Je suis convaincu, et plus personne ne le met en cause aujourd'hui, que le projet de création de Pôle emploi faisait sens. On ne l'a pas fait pour des raisons d'économies ou de mutualisation. Ce sont des changements tels qu'il faut un projet derrière.
Pour réaliser ces fusions, il faut une raison pour le faire, et elles sont à chaque fois différentes. L'EFS rassemblait 150 personnes morales différentes, donc 150 employeurs, avec un patrimoine considérable et un personnel de très grande qualité. Nous avons fait cette fusion, car on sortait du drame du sang contaminé. En 1993, on avait commencé par créer une agence de sécurité sanitaire, l'Agence française du sang, puis on a voulu passer à l'étape supérieure pour renforcer la sécurité sanitaire, pour assurer l'autosuffisance de la France en produits sanguins labiles et aussi pour améliorer l'efficience. La loi de juillet 1998 a créé l'EFS. Cela s'est fait sans drame particulier, même si c'était techniquement très compliqué : les professionnels de la transfusion sanguine voyaient que cela avait du sens, compte tenu des drames du sang contaminé quinze ans plus tôt qui les avaient profondément marqués.
Les choses sont différentes pour Pôle emploi. Le sujet de fusion entre l'assurance chômage et l'ANPE est quasiment aussi vieux que la création de l'ANPE en 1968 : au fond, ces structures s'adressaient à peu près au même public. Certes, elles apportaient des services différents - les Assédic fournissaient les allocations et l'ANPE aidait au retour à l'emploi et au recrutement -, mais cela faisait sens.
Ce projet a suscité énormément de réserves de la part des partenaires sociaux de l'Unédic, qui ne voulaient pas que l'État entre dans l'organisation de l'assurance chômage. Ils ne voulaient pas, avec quelque raison, payer la fusion pour les autres.
Des étapes préalables ont permis que le jour de décision de la fusion, celle-ci puisse se dérouler sans drame. Les Assédic et l'Unédic avaient commencé à entrer dans la logique de l'accompagnement des demandeurs d'emploi indemnisés, en se disant que, s'ils étaient mieux accompagnés, et elles étaient prêtes à payer pour cela, ils resteraient moins longtemps à l'assurance chômage et cela ferait économiser de l'argent. C'était une première étape dans les années 2000 avec la création du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) et le projet d'action personnalisé (PAP) : les Assédic ont commencé à se préoccuper du retour à l'emploi en s'appuyant notamment sur l'ANPE.
Ensuite, ces structures géraient des systèmes d'information qui traitaient à peu près les mêmes personnes : autant les rapprocher, voire les fusionner. Mon prédécesseur à l'ANPE, qui était contre la fusion, avait décidé pendant dix ans de créer un système informatique concurrent pour ne plus s'appuyer sur celui des Assédic. Heureusement, le projet n'a pas réussi à aboutir. Nous nous sommes appuyés sur des systèmes d'information communs pour la gestion des demandeurs d'emploi. Cela a permis, lors de la fusion, de ne pas avoir les difficultés que l'on peut rencontrer ailleurs.
Ces petits pas réalisés, il restait une très forte opposition, essentiellement des partenaires sociaux de l'Unédic et une très grande méfiance des personnels.
Durant la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy a annoncé son projet de fusionner l'ANPE et les Assédic, de la même manière qu'il annonçait son projet de fusion de la direction générale de la comptabilité publique et la direction générale des impôts, deux grands projets menés de front. Ceux qui connaissaient le sujet étaient assez dubitatifs sur le succès de cette promesse de campagne. Mais le président Sarkozy l'a fait, dans un temps assez bref.
La préparation est essentielle pour une fusion, et elle ne doit pas être trop longue. La loi créant l'EFS a été votée le 1er juillet 1998, pour une fusion à réaliser avant le 1er janvier 2000, soit seize mois après. Objectivement, pas grand-chose n'était prêt...
La fusion entre l'ANPE et les Assédic a été encore plus rapide : la loi a été votée en février 2008, et la fusion a eu lieu le 19 décembre 2008. En outre, il y a eu un peu de retard à l'allumage, avec la volonté de créer une instance de préfiguration, et je n'ai été nommé que deux mois après le vote de la loi. La préparation de la fusion s'est concentrée sur six mois.
La phase de préparation, comme l'on dit les autres intervenants, sert pour l'extérieur et les parties prenantes. Mon problème essentiel était surtout de faire adhérer le personnel en interne. Ces structures étaient très lourdes : l'ANPE rassemblait 25 000 personnes, les Assédic 15 000, soit 40 000 personnes au total. Il fallait faire adhérer l'ensemble du personnel au dispositif. J'ai organisé des réunions interrégionales durant lesquels je rassemblais tout l'encadrement régional ou interrégional des deux structures, de l'animateur d'équipe au directeur régional, pour leur expliquer le processus de fusion et les amener, sinon à y adhérer tous, du moins à mieux connaître le dispositif et limiter leurs craintes. J'avais commencé ce travail à l'ANPE avant la décision de fusion, mais il n'avait pas été réalisé du côté des Assédic. Il a fallu rétablir les équilibres. C'était un sujet majeur.
Second sujet, majeur, l'ANPE était une structure de droit public, avec des syndicats et du personnel de droit public, tandis que les Assédic étaient des associations de droit privé, avec du personnel et des syndicats de droit privé. Il a fallu conduire toute la procédure de consultation des instances, qui a été très compliquée. J'ai même accéléré de dix jours la fusion, car je savais qu'il y aurait une action en référé pour empêcher la convocation du conseil d'administration qui créait la fusion. Il y a eu un référé, je suis passé devant le Conseil d'État et nous avons obtenu l'autorisation.
Le processus de création de Pôle emploi est passé par une très forte concertation en interne et une négociation très ardue avec les syndicats.
Quand les structures font de 8 000 à 40 000 personnes, il faut créer toute la chaîne hiérarchique, le système d'information, l'organisation matérielle - où installer les gens - ; cela prend beaucoup de temps. Parfois, on peut avoir des surprises. Dans le cas de l'EFS, l'un des sujets majeurs n'était pas le transfert des biens, prévu par la loi, mais le transfert des passifs, ceux de la transfusion sanguine : toutes les contaminations... Si on laissait les contentieux aux structures précédentes tout en les dépouillant, cela aurait été impossible à gérer. Il a fallu rapatrier tous les contentieux.
Lorsque les structures sont anciennes, installées, avec un passif, un personnel nombreux, des projets, la fusion est compliquée et il faut bien réfléchir avant de la faire. Il ne faut pas un temps de préparation trop long. Dans un cas, cela a été de seize mois, dans l'autre huit mois. C'est très court et très prenant. On ne fait pas tout bien le premier jour. La phase post-fusion n'est donc pas toujours très facile.
M. Pierre Barros, président. - Merci d'avoir remis la question du sens au coeur de notre réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il est très intéressant de voir que vous faites des constats communs alors que vous venez d'horizons différents.
M. Aubel, à la différence de MM. Charpy et Maistre, vous n'aviez pas une longue carrière dans l'appareil d'État avant de devenir préfigurateur de l'AFB. Voyez-vous cela comme une chance et un facteur de réussite de la fusion, afin de marier ensemble des cultures assez différentes ? Les agents de l'Onema ne faisaient pas du tout la même chose que ceux des Aires marines protégées, encore moins ceux qui étaient à l'Aten. Comme préfigurateur, vaut-il mieux choisir quelqu'un du sérail ou quelqu'un qui le connaît mais qui n'est pas directement dedans ?
Avec le recul, est-il judicieux d'avoir fait coexister au sein de l'OFB deux missions différentes, à savoir la police et le conseil ? La mission de police a été renforcée par la fusion avec l'ONCFS : aux anciens gardes-pêche, on a ajouté les anciens gardes-chasse.
M. Maistre, vous nous avez bien expliqué qu'il faut créer des agences si cela fait du sens. A-t-on besoin vraiment d'une structure spécifique pour promouvoir la création artistique, alors qu'il existe déjà de nombreuses structures au sein de l'État qui promeuvent l'économie française à l'étranger ?
Cette question s'adresse aux trois intervenants : quel regard portez-vous sur la circulaire de 2019, qui détermine la doctrine de l'État sur la création d'agences ou d'opérateurs ?
M. Christophe Aubel. - Je n'ai pas la même carrière que les deux autres intervenants et me garderai bien d'en faire une généralité.
Personnellement, j'avais la légitimité de connaître le sujet de la biodiversité et ses enjeux. Cela renvoie au besoin de sens. La principale raison pour créer une agence de la biodiversité, même s'il existait déjà des opérateurs sur des parties de biodiversité, c'était le tournant des années 2010 avec l'année internationale de la biodiversité, la COP biodiversité qui commençait à faire parler d'elle avec pas mal de décalage par rapport à la COP climat. On se rend compte alors que la biodiversité est un enjeu majeur, qu'il faut traiter de façon différente et avec l'ensemble de la société et des acteurs. C'est cela qui donnait du sens - et, pour qu'une fusion marche, il faut en effet donner du sens.
J'avais cette légitimité, après quinze ans de carrière dans la biodiversité et auparavant quinze ans de bénévolat dans la biodiversité, avec des responsabilités nationales.
Autre atout - et ce n'est pas une question d'être ou non haut fonctionnaire - je ne venais d'aucun des quatre établissements. Je ne pouvais pas être soupçonné de défendre les intérêts de l'un d'entre eux. Il y avait notamment la peur que l'Onema, le plus gros, écrase les autres. Ne pas être issu des structures fusionnées est intéressant.
Dans le domaine de la biodiversité, nous avons besoin de travailler avec des personnes très différentes : associations, chasseurs, agriculteurs, entreprises, collectivités... Nous avons donc besoin d'avoir dans nos équipes dirigeantes des profils différents.
Je suis convaincu que s'occuper à la fois de la police et du conseil, en matière de biodiversité, est un atout. D'abord, la police exercée par nos collègues inspecteurs de l'environnement est une police technique, qui doit s'appuyer sur la connaissance des écosystèmes. Il ne s'agit pas seulement de connaître la réglementation, mais aussi les territoires, et de savoir où sont les enjeux. Être dans une structure où les mêmes font aussi des recherches, en s'appuyant sur leurs collègues de la direction de la recherche et de l'appui scientifique, est un atout.
Ensuite, le rapport de 2010 de l'Ipbes (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), le Giec de la biodiversité, a mis en avant plusieurs actions allant de l'accompagnement des acteurs à une réflexion sur les changements de pratiques, mais aussi la réglementation et son respect. Nous avons besoin de tout cela pour répondre aux enjeux de biodiversité. Ce continuum, qui était la force de l'AFB, a été renforcé par l'OFB, avec le renfort des collègues de l'ONCFS, plus nombreux, pour les missions de police. Nous pouvons jouer sur tous les leviers.
L'actualité le montre : pour être une police de la nature acceptée, il faut la rattacher aux enjeux. Elle doit aussi être une police pédagogique. Être l'interlocuteur dans différents domaines, en faisant appel à tous les leviers possibles, de la connaissance au financement de projets, en passant par la police, est un atout. Je ne vois pas bien comment on pourrait être efficace si on séparait les deux. L'acceptabilité de la police en pâtirait, même s'il existe un débat sur ce sujet en ce moment, pour de nombreuses raisons, y compris sociétales et non uniquement liées à l'établissement. Je suis convaincu qu'on peut faire les deux. Les agents des Parcs naturels régionaux et ceux de l'Office national des forêts (ONF) sont aussi assermentés et ont des missions de police, même si nos collègues de l'OFB en font davantage.
M. Roch-Olivier Maistre. - L'Arcom est un cas de figure particulier d'une coconstruction de réforme conjointe par deux parties qui étaient d'accord. In fine, c'est un peu le CSA qui a absorbé la Hadopi, puisque le CSA comptait 300 collaborateurs, contre 50 pour la Hadopi, mais avec des nuances : le président de la Hadopi est devenu membre du collège de l'Arcom, et la secrétaire générale de la Hadopi est devenue directrice générale adjointe de l'Arcom. Ils ont trouvé naturellement leur place dans l'organigramme.
Conduire cette réforme en mettant à sa tête un tiers extérieur aurait plutôt compliqué le processus. Là, nous avions une démarche volontaire des deux parties, qui est un cas de figure rare dans l'administration, un peu miraculeux, mais qui a bien fonctionné.
Unifrance est un peu particulier, car il s'agit d'une structure associative. Les professionnels eux-mêmes organisent la promotion du cinéma et de la production audiovisuelle français à l'étranger, avec une contribution financière de l'État à l'association, un peu comme le Festival de Cannes, association qui rassemble tous les acteurs du cinéma avec un soutien étatique. Toutefois, une imbrication plus étroite avec les opérateurs économiques publics qui promeuvent nos intérêts économiques à l'étranger aurait du sens. Je ne sais pas s'il existe actuellement une collaboration, mais cela aurait du sens.
M. Christian Charpy. - Vous nous avez interrogés sur le choix des profils retenus pour reprendre les structures au terme de la fusion.
J'ai évoqué un retard entre le vote de la loi et la nomination du responsable de l'instance nationale provisoire relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi. En effet, pour éviter de donner le sentiment que l'un des opérateurs aurait pris le pas sur l'autre, le Gouvernement avait souhaité retenir une candidature extérieure. La recherche n'a pas abouti et j'ai finalement été choisi. Comme je venais de l'ANPE, certaines craintes se sont exprimées sur une éventuelle absorption des Assédic par l'opérateur dont j'étais issu.
Aussi, dans l'instance nationale provisoire comme dans la
direction de Pôle emploi, j'ai suivi une stricte parité. La
direction générale comptait six directeurs généraux
adjoints, venant pour moitié de chacune des deux structures. Chacun
avait une légitimité assurée : le directeur
informatique était ainsi issu de l'Assédic, car il gérait
le plus gros des deux systèmes
d'information. À
l'inverse, les questions relatives à l'accompagnement aux demandeurs
d'emploi relevaient plutôt du domaine de l'ANPE et ont été
confiées à des personnalités de cet ancien
opérateur.
En revanche, il a été plus complexe de choisir les profils pour les vingt-deux directions régionales métropolitaines, qui rassemblaient plusieurs milliers de collaborateurs. J'ai donc fait appel à un cabinet extérieur et j'ai veillé au respect d'un bon équilibre dans la représentation entre les deux structures, entre les hommes et femmes, et entre les affinités des différents partenaires sociaux. Il est essentiel de partager la gouvernance pour que personne ne se sente exclu du dispositif.
Madame le rapporteur, je ne me souviens pas de la doctrine de 2019 que vous évoquez. J'ai le souvenir de la circulaire de Jean-Marc Ayrault de 2013, qui encadrait la création des agences. À mon sens, on ne crée une agence et on n'opère une fusion que si cela a un sens. Je note d'ailleurs que le domaine régalien, dont je m'occupe aujourd'hui à la Cour des comptes, compte peu de structures extérieures. Il en existe quelques-unes, comme l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui a un objet assez technique : on a finalement préféré confier à une agence le soin de gérer la mécanique informatique de création des cartes d'identité et des passeports. Cela a parfois été compliqué. En revanche, on trouve beaucoup d'opérateurs dans le monde du social, de la santé, de l'emploi, de l'environnement...
M. Roch-Olivier Maistre. - ... et de la culture. Le ministère de la culture est organisé autour d'un réseau d'opérateurs considérable.
M. Christian Charpy. - On aurait pu imaginer transformer la DGFiP en agence. Je n'en vois pas l'intérêt, mais la question aurait pu se poser. Dans certains pays, c'est une agence qui s'occupe des prélèvements fiscaux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, on ne fait pas de fusion dans le but de faire des économies. En revanche, une fois que la fusion est réalisée, on peut s'interroger sur son bilan financier.
Dans les différentes fusions que vous avez opérées, les premières années ont pu être marquées par des surcoûts, liés par exemple à l'harmonisation des politiques salariales par le haut. Est-ce bien le cas ? Dans un second temps, ces fusions ont-elles conduit à une diminution des coûts par économies d'échelle ?
M. Roch-Olivier Maistre. - Les fonctions support de la Hadopi étaient très modestes et ont rapidement été redistribuées vers des fonctions métiers. Cela n'a posé aucune difficulté, puisqu'on les comptait sur les doigts d'une main.
La dynamique de l'Arcom est particulièrement forte. En six ans de mandat, j'ai connu quatorze textes de loi et six directives et règlements européens de grande envergure. Je citerai seulement la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), qui a intégré dans le champ de la régulation Netflix, Disney+ et Amazon Prime - ces acteurs financent désormais la production audiovisuelle et cinématographique française -, et le Digital Services Act (DSA), dans le cadre duquel l'Arcom, en tant que coordonnateur des services numériques pour la France, a été chargée de déployer de nouvelles compétences, ce qui a nécessité une augmentation du nombre de postes.
Je ne doute pas de l'efficience de cette opération. Dans les années à venir, l'intelligence artificielle sera incontestablement un instrument au profit de la régulation, y compris dans le domaine de la lutte contre le piratage.
C'est un exemple rare de réforme qui s'est faite de manière fluide et qui s'est révélée rapidement opérationnelle : alors que la loi a été votée en octobre 2021, dès le 5 janvier 2022, nous procédions aux premiers blocages de site de streaming illicites.
Néanmoins, l'Arcom est une petite structure : il est bien plus facile de fusionner 350 personnes que les effectifs de l'ANPE et de l'Assédic.
M. Christian Charpy. - La Cour des comptes avait publié un rapport sur le coût de la fusion au début des années 2010.
S'agissant de la création de Pôle emploi, des économies ont en effet été réalisées. D'abord, le nombre de sites accueillant le public est passé d'environ 1 600 sites à moins de 1 000. La restructuration immobilière a été massive, ce qui joue beaucoup.
En parallèle, nous avons absorbé d'autres réformes. Le recouvrement des contributions d'assurance chômage, assuré par les Assédic, a été transféré à Pôle emploi à sa création, avant d'être attribué un an plus tard à l'Urssaf, sans que les près de 1 500 personnes qui en avaient la charge ne soient transférées.
En outre, une très forte augmentation du chômage a eu lieu à cette période. La vraie difficulté de la fusion, en réalité, a été la crise des subprimes. La loi a été adoptée en février 2008 ; en juillet, l'économie a commencé à s'effondrer et, dès septembre, on comptait 100 000 demandeurs d'emploi supplémentaires chaque mois, pour atteindre rapidement 1 million. La charge a été massive pour la structure.
Par ailleurs, le redéploiement a permis d'allouer des moyens d'accompagnement plus forts pour les demandeurs d'emploi non indemnisés, qui n'avaient par exemple droit à aucune formation.
Il y a aussi eu des conséquences économiques négatives, concernant notamment les ressources humaines. Les différentiels de rémunération étaient de l'ordre de 20 % à 25 % entre l'Assédic, qui payait mieux ses collaborateurs, et l'ANPE. Le choix d'une convention collective avec un droit d'option avait été retenu. On ne pouvait pas baisser le salaire des employés de l'Assédic. Le président de la République avait par ailleurs donné publiquement pour instruction de prendre le meilleur des deux systèmes : autant dire que la négociation n'a pas été facile ! L'alignement s'est donc plutôt fait vers le haut pour l'ensemble des personnels. À l'inverse, nous avons aussi fait des économies, puisque les agents de l'Assédic cotisaient à hauteur de 6 % environ au chômage. En tant qu'établissement public, cette cotisation n'était plus nécessaire. Ce gain a en partie couvert le coût de la convention collective.
M. Christophe Aubel. - L'AFB n'a pas existé longtemps et l'OFB est une agence encore récente. Cependant, nous avons récupéré beaucoup de responsabilités en matière de systèmes d'information liés aux données sur la biodiversité. Des missions et attributions nouvelles ont ainsi été conférées à l'établissement, sur ce sujet, mais aussi en matière de ressources humaines, comme l'organisation de concours.
Sur l'immobilier, un travail de réduction des implantations est en cours.
Par ailleurs, quand des petites structures sont fusionnées avec de plus grosses, certains processus sont sécurisés, notamment en matière de fonctionnement budgétaire. Il faut le prendre en compte dans la bonne utilisation des deniers publics, grâce à l'amélioration des compétences ou l'obtention d'une masse critique pour passer des marchés publics plus intéressants.
M. Christian Charpy. - Dans le cas de l'Établissement français du sang, l'économie majeure concernait les consommables, car l'uniformisation des tailles des poches de prélèvement nous a permis de baisser de 30 % à 40 % leur prix.
M. Roch-Olivier Maistre. - Raymond Soubie le dit souvent : « Je ne connais pas de renégociation de conventions collectives qui se traduise par une remise en cause des droits acquis. »
M. Pierre-Alain Roiron. - M. Maistre, la fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l'Arcom a donné lieu à un élargissement des compétences de la structure. N'en avez-vous pas tiré plus d'autonomie vis-à-vis du régulateur ?
M. Roch-Olivier Maistre. - Je connais bien cette instance de régulation, car je faisais partie du cabinet du ministre de la culture lorsque le Parlement a adopté la loi de 1986, qui est quelque peu l'équivalent, pour le secteur audiovisuel, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Historiquement, la régulation a eu du mal à
se mettre en place. Jusque dans les années 1980, l'audiovisuel
était sous monopole de l'État. Lorsque le paysage s'est ouvert,
depuis le mouvement des radios libres jusqu'à l'émergence
progressive des premiers acteurs privés de la télévision
- TF1, puis Canal+ en 1984 -, la création d'une
autorité de régulation a été nécessaire.
Pourtant, il a fallu trois alternances politiques pour que ce
schéma
de régulation soit politiquement
accepté : la première autorité a vu le jour
en 1982, la seconde en 1986 au moment de la cohabitation, et la
troisième en 1989 lors de l'alternance suivante.
Pourtant, quarante ans plus tard, le débat sur l'affirmation de l'indépendance de l'autorité ne se pose plus. Ses décisions sont parfois contestées, ce qui est bien légitime dans le cas d'une autorité qui agit dans le champ d'une liberté publique. Cependant, l'Arcom fait partie des autorités administratives indépendantes les plus importantes et son objet figure parmi les plus sensibles, puisqu'il implique des précautions particulières, sous le contrôle du juge.
L'intégration de la Hadopi dans son périmètre a conforté la dynamique de l'Arcom, d'autant plus qu'elle est intervenue au moment où des missions considérables lui étaient confiées par le législateur. Je pense à la protection des mineurs à l'égard des sites pour adultes, sur laquelle nous enregistrons enfin les premiers succès, ainsi qu'à la régulation des réseaux sociaux, qui n'est encore qu'à ses débuts.
L'indépendance est clairement affirmée. La réforme l'a confortée, car le collège est désormais composé de neuf membres, désignés par cinq autorités différentes ; il se renouvelle par tiers tous les deux ans et les membres sont encadrés par des règles de déontologie très strictes.
Mme Ghislaine Senée. - Quelles préconisations pourriez-vous faire à vos ministères de tutelle ?
M. Roch-Olivier Maistre. - L'Arcom n'a pas de tutelle, en tant qu'autorité publique indépendante.
M. Christian Charpy. - La tutelle est surtout exercée par le ministère de l'emploi, au travers du ministre, de son cabinet et de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Évitons de demander trop de choses aux opérateurs : il faut les laisser un peu vivre ! La succession des plans finit par apporter trop de complexité. À l'ANPE, il a fallu faire un plan pour les chômeurs de moins de 25 ans, ensuite un plan pour les chômeurs de longue durée, et au bout d'un moment cela devient très difficile à gérer.
Par ailleurs, il est nécessaire d'établir un critère de redevabilité : quand on crée des emplois dans la structure parce que le chômage augmente, il faut accepter d'en supprimer une partie si la conjoncture s'améliore. Au moment de la crise des subprimes, 2 000 emplois supplémentaires ont été créés. Deux ans plus tard, j'en ai retenu 1 500 : cela me paraissait normal. Lorsque les structures sont trop grosses, elles ne sont plus gouvernables.
Par ailleurs, il ne faut pas intégrer trop
d'objets dans le périmètre de la fusion. Je n'étais pas
forcément d'accord pour récupérer
les 1 000 collaborateurs de l'Agence nationale pour la formation
professionnelle des adultes (Afpa), dont le coeur de compétence
était quelque
peu différent de celui de Pôle emploi,
un an après la fusion. Quant au transfert aux Urssaf du
recouvrement de l'assurance chômage, de même, il a impliqué
de trouver un nouveau métier pour les 1 500 agents qui en
avaient la charge.
Enfin, un organisme unique a été créé pour suivre les chômeurs. Il est essentiel de les accueillir dans un site unique. Cependant, cela ne signifie pas qu'un unique conseiller doive s'occuper de l'indemnisation et de l'accompagnement à la fois.
M. Roch-Olivier Maistre. - Il est important de conserver une forme de constance et de stabilité dans les orientations. L'administration fonctionne bien quand elle est commandée correctement. Il n'y a rien de pire que d'hésiter dans la dynamique !
M. Christophe Aubel. - Je souscris à ces propos. L'OFB est signataire d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) sur cinq ans. Il est impératif de conserver cette boussole sans le modifier trop souvent par des plans nouveaux.
Dans notre domaine, il faut éviter de se dire que l'opérateur pourra prendre en charge toutes les missions que l'administration n'est pas en mesure de réaliser. M. Charpy l'a dit : il faut laisser vivre les opérateurs, tout en gardant à l'esprit un objectif de redevabilité. Évitons le pilotage quotidien et le micro-management : il vaut mieux conserver des axes stratégiques. Cela n'empêche pas l'opérateur de rendre compte de ce qu'il fait.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles compétences actuellement déléguées à des agences devraient-elles être ramenées à des administrations centrales ou déconcentrées ? Quelles fusions auraient-elles dû être évitées ? A contrario, quelles structures devraient-elles être réunies ?
M. Christian Charpy. - L'essentiel est de ne pas créer une agence pour régler le moindre problème : c'est malheureusement l'un des travers de notre administration et de l'État français.
Parmi les fusions auxquelles j'ai assisté, dans le domaine de la sécurité sanitaire, de l'emploi ou de la protection sociale, il ne me semble pas que des erreurs manifestes aient été commises. J'ai sans doute une interrogation sur la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dont je trouve le mode de fonctionnement et de gestion très complexe.
À l'exception des autorités administratives indépendantes, les petits opérateurs qui comptent moins de 50 personnes n'ont souvent pas de raison d'être. À l'inverse, interrogeons-nous sur les moyens de piloter les structures de plus de 50 000 collaborateurs et d'assurer leur redevabilité.
Personne ne voudrait revenir sur la fusion de l'ANPE et des Assédic ou sur celle de la direction générale de comptabilité publique (DGCP) et de la direction générale des impôts, pour créer la DGFiP. Pour autant, il faut toujours mettre les structures sous tension. Sans cela, elles se bureaucratisent. Je ne suis pas l'évolution de France Travail, mais je me demande si on ne donne pas trop de missions à cette agence. L'accompagnement des personnes très éloignées de l'emploi relève sans doute plus du domaine du social. Par exemple, j'ai toujours refusé de prendre en charge ce que font les missions locales, qui sont beaucoup plus insérées dans le territoire. Faisons preuve d'un peu de raison.
M. Pierre-Alain Roiron. - Au lieu de créer une nouvelle agence, on pourrait toutefois parfois se contenter d'attribuer de nouvelles missions à une structure existante.
M. Christian Charpy. - On peut le faire, tant que l'on ne tente pas de faire rentrer des ronds dans des carrés.
Par ailleurs, quand on dirige une structure qui fonctionne bien, on peut être tenté de prendre en charge de nouvelles fonctions. Il ne faut pas perdre de vue le principe de spécialité.
M. Christophe Aubel. - L'AFB, puis l'OFB, sont l'aboutissement d'une démarche collaborative avec l'ensemble des parties prenantes - État, collectivités territoriales, acteurs économiques - qui a démontré tout son sens : ceux qui ont été intégrés avaient des raisons de l'être, et personne n'en a été exclu. Cette décennie de mouvements me paraît aujourd'hui nécessaire : la création de cette agence a permis un changement d'échelle sur la biodiversité. Elle reste récente. Désormais, il importe de la faire fonctionner correctement, à la fois en interne et au sein de l'écosystème existant.
En outre, l'OFB comme les tutelles doivent être capables de prioriser leurs missions. Notre agence existe, parce que la manière de prendre en compte la biodiversité a évolué depuis la loi de 1976. Or nous avons un rôle à jouer dans cette priorisation.
M. Roch-Olivier Maistre. - Les autorités administratives indépendantes ont chacune leur raison d'être : l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ont toute une mission spécifique.
Un rapprochement ou une fusion entre l'Arcom et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ? C'est en effet un modèle de régulation global, regroupant l'audiovisuel et les télécommunications, qui prévaut en Italie, en Espagne ou en Grande-Bretagne, où l'Office of Communications (Ofcom) regroupe 1 800 employés, contre 360 pour l'Arcom et 160 au sein de l'Arcep.
Nous avons résolu cette question avec l'Arcep de manière optimale, en signant une convention entre les deux autorités, en réunissant les deux collèges chaque semestre pour traiter des sujets d'intérêt commun et en créant un service commun entre les deux structures, dont la direction est affectée, chaque semestre, en alternance, à l'Arcep ou à l'Arcom, notamment pour conduire des études en commun.
Les exemples étrangers m'ont donné la conviction que ces deux champs de régulation restent assez différents. Dans les télécommunications, la régulation a une nature technique et économique, tandis qu'elle a davantage trait au contenu dans le champ audiovisuel. D'ailleurs, ces exemples ont une organisation en silo, avec deux domaines de compétences.
Je ne suis donc pas certain qu'un réel bénéfice puisse être tiré de cet éventuel rapprochement, mais la question peut se poser.
Dans le monde de la culture, qui compte un très grand nombre d'opérateurs, il faut en effet s'interroger sur la bonne articulation entre l'administration centrale et ces structures. Il importe de bien distinguer le rôle de chacune. Pour que les opérateurs soient efficaces, les directions d'administration centrale doivent rester repliées sur leur mission de conception, d'élaboration de la norme, de préparation de la loi et des textes réglementaires, et de l'exercice de la tutelle. Nous avons choisi d'adopter une gestion déléguée : suivons donc la logique jusqu'au bout. Sans cela, c'est la thrombose pour certaines administrations centrales, qui veulent continuer à remplir certaines de missions attribuées à des opérateurs.
M. Pierre Barros, président. - Votre contribution nous est précieuse. Je vous remercie d'avoir alimenté notre réflexion.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de
représentants d'organismes de sécurité sociale - MM.
Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de
l'assurance maladie (CNAM), Nicolas Grivel, directeur général de
la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et Damien Ientile,
directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité
sociale
(ACOSS - Urssaf Caisse nationale)
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi les dirigeants de trois grands organismes de sécurité sociale, à savoir MM. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et Damien Ientile, qui dirige l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), que l'on désigne aussi sous l'appellation Urssaf Caisse nationale.
Alors que la CNAM et la CNAF gèrent les branches maladie et famille de la sécurité sociale, l'Acoss joue un rôle plus transversal en pilotant la collecte et la redistribution des cotisations et contributions sociales qui permettent aux autres agences de remplir leurs missions.
Notre commission d'enquête s'intéresse aux agences et opérateurs de l'État, pas de la sécurité sociale. Il ne s'agit donc nullement pour nous de remettre en cause ou de proposer des transformations de ces organismes, mais de faire un « pas de côté » par rapport à nos travaux habituels afin de voir ce qui pourrait nous inspirer dans le fonctionnement de la sécurité sociale.
La structure des administrations de la sécurité sociale est en effet très différente de celle des administrations de l'État. Dans les organismes que vous dirigez, messieurs, un établissement public national joue en effet le rôle de tête de réseau et les politiques sont mises en oeuvre par d'autres établissements, par exemple des caisses régionales, qui sont souvent de statut privé, mais chargées d'une mission de service public.
Vous pourrez par exemple nous exposer comment l'État et ses opérateurs pourraient - ou non - s'inspirer de ce mode d'organisation en réseau, nous expliquer quel est son impact sur la gouvernance des organismes, sur la manière dont les objectifs fixés au niveau national sont transmis et mis en oeuvre localement, et sur la gestion des personnels, en fonction du statut de ces derniers.
Vous avez également, tous les trois, une très bonne connaissance de la sphère de l'État puisque vous avez occupé précédemment des positions importantes dans des cabinets ministériels, voire dans des directions centrales ou des opérateurs de l'État : M. Fatôme a ainsi été directeur de la sécurité sociale entre 2012 et 2017, et M. Grivel directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) entre 2014 et 2021. Vous pourrez donc tracer un parallèle entre les opérateurs de la sécurité sociale et ceux de l'État, établir les différences et nous indiquer, peut-être, ce qui marche dans vos organismes et ce qui pourrait être transposé au sein de l'État.
Je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Thomas Fatôme, Nicolas Grivel et Damien Ientile prêtent serment.
M. Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM. - Je dirige la CNAM depuis août 2020, tête d'un réseau qui est d'abord départemental avec les 102 caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) qui constituent la colonne vertébrale de notre organisation.
N'oublions pas, d'ailleurs, la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) qui justifie l'existence des caisses régionales que sont les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (Cramif) en Île-de-France.
À ce réseau départemental s'ajoute un réseau régional du service médical, composé de médecins conseils et de praticiens conseils de l'assurance maladie. De surcroît, nous sommes partie prenante des caisses générales de sécurité sociale en outre-mer.
L'assurance maladie compte aujourd'hui 60 000 collaborateurs, auxquels s'ajoutent les personnels des Unions pour la gestion des établissements de caisses d'assurance maladie (Ugecam), soit près de 15 000 collaborateurs.
En l'espace de vingt ans, nous avons perdu 27 % de nos effectifs et avons rendu environ 1 000 emplois par an grâce aux gains de productivité permis par la dématérialisation et la numérisation.
Nous gérons les remboursements de près de
66 millions d'assurés, pour un total de plus de 250 milliards
d'euros de prestations, ce qui fait de nous un service public de masse, avec
1,4 milliard de factures liquidées, 45 millions de personnes
disposant d'un compte Ameli et près de 30 % des assurés
ayant activé leur espace santé. Nous recevons quotidiennement
plusieurs centaines de milliers d'appels, cette relation avec les
assurés étant centrée sur les missions de base,
c'est-à-dire les remboursements des prestations.
Depuis un certain nombre d'années, ces missions se sont enrichies et sont retracées dans la convention d'objectifs et de gestion (COG), c'est-à-dire la feuille de route signée pour la période 2023-2027. Celle-ci définit les six axes d'action de la branche, à savoir la qualité de service, l'accès aux droits et aux soins, la prévention, la transformation du système de santé, la lutte contre la fraude et la gestion interne de la branche.
Notre réseau est constitué de caisses dotées de la personnalité morale et qui emploient des agents de droit privé - et non des fonctionnaires -, cette réalité étant insuffisamment connue. La gouvernance de l'assurance maladie présente de plus des spécificités, la loi de 2004 relative à l'assurance maladie ayant confié des pouvoirs spécifiques au directeur général, qui est également le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam), qui négocie avec les professionnels de santé.
Le réseau de la CNAM est unique puisqu'il s'articule autour d'organismes dotés de leur propre personnalité morale et qu'il veille dans le même temps à assurer l'égalité devant le service public, qui est l'une de nos missions principales. Cet équilibre est l'une de nos forces et se décline sous forme de partenariats au niveau territorial, tant avec nos partenaires des autres branches qu'avec les agences régionales de santé (ARS), ainsi qu'avec les collectivités territoriales, qui sont de plus en plus impliquées dans les sujets ayant trait à la santé.
M. Nicolas Grivel, directeur général de la CNAF. - La CNAF est organisée de manière assez similaire, avec une caisse d'allocations familiales (CAF) par département. La branche famille gère pour son propre compte un certain nombre de prestations, et une série d'autres prestations pour le compte de l'État et des départements.
Nous versons environ 100 milliards d'euros de prestations par an, la moitié pour le compte de la sécurité sociale - il s'agit des prestations familiales au sens large -, l'autre moitié pour le compte de l'État et des départements, ce qui recouvre l'allocation aux adultes handicapés (AAH), les aides au logement ou encore le revenu de solidarité active (RSA).
En outre, nous disposons d'une capacité d'action pour des financements de services aux familles dans le cadre du fonds national d'action sociale (FNAS), ce qui nous permet notamment de financer des crèches et des centres de loisirs.
Notre action se décline de la même
manière que la CNAM dans la mesure où nous avons également
conclu une COG avec l'État sur la période 2023-2027, ladite
convention étant déclinée via des contrats avec
chacune
des CAF, dotées d'un conseil d'administration
paritaire. En sus des organisations syndicales et patronales, les associations
familiales y sont représentées, ce qui constitue l'une de nos
spécificités.
J'y ajoute le fait que nos politiques - notamment d'action sociale - revêtent un caractère très partenarial, au travers de relations très fortes avec les collectivités locales, notamment avec les communes et les intercommunalités. Cet outil partenarial nous permet de transcrire nos actions dans des contrats territoriaux et des conventions territoriales, afin de définir les politiques de manière concertée et d'améliorer les services rendus aux familles.
Nous nous appuyons également sur une articulation assez forte avec les services de l'État au niveau local, puisque le préfet préside le comité départemental des services de familles, qui élabore un schéma départemental associant l'ensemble des parties prenantes. Ce dispositif nous permet de réinventer en permanence nos outils d'ingénierie sociale et d'adapter notre action aux territoires.
Pour terminer, je souligne notre forte capacité de collaboration avec des organismes tels que les Urssaf, afin de mener des projets transversaux.
M. Damien Ientile, directeur de l'Urssaf Caisse nationale. - L'Urssaf représente la branche recouvrement de la sécurité sociale et est composée d'une caisse nationale - l'Acoss, également connue sous le nom d'Urssaf Caisse nationale -, à la tête d'un réseau de 21 Urssaf régionales et de cinq caisses de sécurité sociale outre-mer.
Cet ensemble compte près de 16 000 salariés de droit privé, qui remplissent plusieurs missions, à commencer par l'accompagnement des entreprises et des travailleurs indépendants dans la collecte des cotisations et des contributions sociales, principalement assises sur la masse salariale. Cette mission concerne 11 millions d'usagers, qui vont du particulier employeur recourant au chèque emploi service universel (Cesu) à l'entreprise du CAC 40 en passant par les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME), les artisans. Dans ce cadre, 500 milliards d'euros sont collectés et redistribués chaque année.
Notre deuxième mission a trait à la fiabilisation des données sociales individuelles, l'Urssaf ne collectant pas uniquement de l'argent, mais également des données précises pour les 26 millions de salariés qui sont déclarés chaque mois. Les données correspondantes sont fiabilisées et mises en conformité par l'Urssaf, qui joue un rôle pivot dans ce domaine et transmet ces informations au monde de la protection sociale, ce qui permet de sécuriser les droits individuels acquis par les cotisations, mais aussi de participer à des projets tels que la solidarité à la source.
J'en viens à notre troisième mission, relative à la gestion de la trésorerie de l'ensemble de la sécurité sociale et à l'intervention sur les marchés financiers : l'Urssaf Caisse nationale centralise en effet la collecte remontant des territoires et la redistribue, principalement aux autres caisses de sécurité sociale, mais aussi à 27 organismes de protection sociale et à plus de 800 attributaires au total.
Afin de couvrir la période qui sépare les dates de collecte - le 5 et le 15 du mois - des dates des versements les plus importants - allocations familiales, pensions de retraite -, nous devons en effet gérer la trésorerie sur les marchés financiers, trésorerie qui sert également à financer le déficit du régime général.
La dernière mission que je souhaite mettre en exergue est souvent placée sous le feu des projecteurs : il s'agit de la lutte contre la fraude, avec une très forte attention portée au travail dissimulé, qui fait partie des priorités qui nous ont été fixées.
Pour commencer à répondre à vos questions, monsieur le président, nous bénéficions aussi d'une COG valable sur cinq années, de 2023 à 2027, ce qui a l'avantage de fournir de la visibilité et de permettre une action pluriannuelle.
En outre, notre fonctionnement en réseau présente plusieurs avantages, dont la faculté à laisser de l'autonomie et de la souplesse au niveau local, mais aussi des possibilités de mutualisation fort intéressantes.
Enfin, nos conseils d'administration sont composés à parts égales d'organisations patronales et d'organisations syndicales qui participent à notre gouvernance et à l'élaboration de notre stratégie, nous permettant d'être connectés avec les réalités socio-économiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous semblons nous éloigner du champ de la commission d'enquête en vous auditionnant, mais nous sommes intéressés par votre capacité de collecter et de verser des prestations de montants considérables avec des frais de gestion assez faibles rapportés au nombre d'agents employés, notamment si on les compare avec les mutuelles. C'est à ce titre-là que nous souhaitons vous entendre, afin de déterminer si certaines bonnes pratiques pourraient être importées dans la sphère étatique.
Vous avez chacun mentionné à plusieurs reprises l'échelon départemental de vos organisations : pouvez-vous nous indiquer le nombre moyen d'agents que comptent ces structures départementales ?
Par ailleurs, travaillez-vous ensemble sur le terrain et pouvez-vous préciser ce que recouvre la souplesse que vous évoquiez au sujet de l'échelon local ?
Toujours en matière de gestion, le nombre d'emplois au sein de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a diminué assez fortement grâce aux nouvelles technologies, qui ont permis de remplacer du travail relativement basique de saisie et de contrôle par des automates : le même processus a-t-il eu cours au sein de vos organisations ?
Avez-vous d'ailleurs des échanges avec le payeur de prestations et de recouvrement qu'est ladite DGFiP, ainsi qu'avec des opérateurs tels que l'Agence de services et de paiement (ASP) ?
M. Thomas Fatôme. - Une CPAM de taille moyenne compte environ 450 équivalents temps plein (ETP), là où une caisse telle que celle de Lyon emploie 1 000 ETP. Si ce nombre d'agents peut paraître important, je rappelle que nous traitons 33 millions d'appels par an et que nous devons accompagner les assurés en leur proposant différents canaux, dont l'accueil physique, l'accueil téléphonique et l'accès numérique.
Pour ce qui est de l'animation du réseau, les COG se déclinent en contrats pluriannuels de gestion (CPG), par le biais desquels nous donnons aux caisses locales des moyens sur plusieurs années afin d'atteindre des objectifs déterminés. Il s'agit d'outils de pilotage de la performance assez puissants, les caisses se comparant en termes d'accès aux droits et de délai de versement des prestations, dans le cadre d'une véritable émulation.
D'autres opérateurs publics recourent à cet outil de pilotage, mais il me semble que nous avons poussé cette logique assez loin, en précisant d'ailleurs que l'atteinte des objectifs déclenche le versement d'un intéressement pour nos agents.
Oui, la dématérialisation et la numérisation nous ont permis de dégager des gains de productivité considérables, le passage à la carte Vitale ayant constitué un progrès considérable par rapport aux feuilles de soins au format papier.
De surcroît, la sécurité sociale a déployé des systèmes d'information partagés tels que la déclaration sociale nominative (DSN) et le dispositif de ressources mensuelles (DRM), qui nous ont permis de simplifier la vie des employeurs et des assurés. La plupart des informations sont ainsi préremplies lorsqu'une demande de complémentaire santé solidaire (C2S) est formulée, et je précise que la mise en oeuvre du prélèvement à la source, qui a été un grand succès du service public et de la DGFiP, n'aurait pas été possible sans la DSN.
Concernant les automates, nous utilisons des outils très proches de ceux de la DGFiP. Ils permettent d'effectuer des tâches simples et font gagner du temps à nos techniciens. Nous avons beaucoup utilisé ces outils pendant la période du covid, l'ensemble du contact tracing ayant reposé sur des automates.
M. Nicolas Grivel. - Nous adoptons un mode de fonctionnement similaire pour ce qui est de la déclinaison contractuelle des objectifs, des indicateurs et du pilotage. L'utilisation des nouvelles technologies nous permet en réalité d'assumer des missions supplémentaires, les CAF ayant par exemple récupéré la gestion de la prime d'activité et de l'aide d'urgence pour les victimes de violences conjugales, sans oublier la mise en place de l'intermédiation financière pour les pensions alimentaires.
Pour ce qui concerne la solidarité à la source, sujet au coeur de notre actualité commune, nous nous appuyons sur les acquis du prélèvement à la source. Toutes les personnes qui déclarent trimestriellement des ressources pour bénéficier du RSA ou de la prime d'activité bénéficient désormais de déclarations préremplies, ce qui permet de limiter les erreurs.
L'ensemble des acteurs de la sécurité sociale a travaillé de concert afin de mener à bien cette réforme, avec un appui de nos collègues de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et de France Travail, ce qui prouve la force de ce modèle.
S'agissant de l'ancrage départemental, nous sommes très attachés à la présence locale et à notre partenariat très fort avec les collectivités, notamment via le conseil départemental, interlocuteur privilégié sur les sujets de politique sociale.
Enfin, les CAF locales comptent 250 à 300 agents en moyenne, avec des variations en fonction des enjeux départementaux. Je souligne l'importante mutualisation à l'oeuvre dans notre réseau, par exemple en jumelant des plateaux de production et en confiant à une caisse le traitement de prestations pour le compte d'une autre CAF, ce qui permet de venir en aide à des caisses qui peinent à recruter ou à fidéliser des salariés. Nous jouons de fait un rôle dans l'aménagement du territoire par le biais de cette mutualisation, l'activité des CAF étant essentiellement départementale, mais également consacrée en partie à ces mutualisations régionales ou nationales. Cette solidarité du réseau constitue une force et contribue à notre efficacité.
M. Damien Ientile. - La souplesse et l'autonomie commencent au niveau de l'organisation dans la mesure où toutes les Urssaf ne sont pas organisées à l'identique. Si la réglementation doit bien sûr être appliquée de manière harmonisée, les directeurs des Urssaf disposant d'une certaine latitude pour organiser la production et atteindre les objectifs fixés.
Comme l'indiquaient mes collègues, une culture du résultat prévaut dans nos organisations, le niveau d'atteinte des objectifs étant mesuré et faisant l'objet de comptes rendus réguliers. Nous portons donc une attention particulière aux résultats obtenus, en laissant une marge d'autonomie quant aux moyens à employer : par exemple, la solidarité à la source représente une mission nouvelle pour les Urssaf puisqu'elles doivent traiter et corriger les signalements effectués par les demandeurs de RSA et de prime d'activité lorsqu'une erreur est repérée dans les montants préremplis. Cette mission n'est pas forcément mise en oeuvre de la même manière dans chaque caisse. Chaque directeur se voit assigner l'objectif de traiter 95 % des signalements dans les vingt premiers jours du mois : s'il n'est pas atteint, nous déterminons si l'organisation doit être modifiée ou non.
Autre exemple très positif d'autonomie régionale : le dispositif Help, inventé par l'Urssaf de Lorraine. Lorsqu'un travailleur indépendant éprouve des difficultés à payer ses cotisations, c'est parfois aussi qu'il a un problème d'accès aux droits, par exemple dans le domaine de la santé, de la famille, ou même de la retraite. Le principe du dispositif Help est assez simple : le travailleur indépendant explique à l'un des partenaires de la sécurité sociale ses difficultés et il reçoit une réponse globale, adaptée à sa situation. Le dispositif ayant bien fonctionné en Lorraine, nous l'avons généralisé dans toute la France.
Pour répondre à votre question sur les gains de productivité, il y a bien sûr la digitalisation. Nous avons développé des robots qui permettent d'exécuter des tâches automatisables, des chatbots ou des voicebots capables de répondre au téléphone ou par écrit à des demandes simples. Nous déployons de nouveaux outils pour améliorer l'ergonomie et faciliter la tâche de nos salariés, et nous avons aussi adopté un modèle très intéressant de mutualisation sans centralisation. Par exemple, la paie est gérée pour l'ensemble du réseau dans trois Urssaf seulement, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et Centre-Val-de-Loire, y compris pour la Caisse nationale, qui ne gère pas sa propre paie. C'est vrai aussi pour certaines fonctions métiers. Par exemple, le Cesu est intégralement géré par l'Urssaf Rhône-Alpes. Quant aux artistes-auteurs, qui relèvent d'une législation particulière, leur gestion métier a été confiée à l'Urssaf du Limousin. Ce modèle, qui permet à la fois de réaliser des gains d'efficience et de maintenir une activité dans les territoires, mérite d'être mis en valeur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Puisque vous avez, tous les trois, occupé des fonctions au plus haut niveau de l'État, si le système que vous décrivez fonctionne, n'est-ce pas aussi parce que vous gérez des agents de droit privé, et non des agents de droit public ? Pouvez-vous d'ailleurs me confirmer que tous les agents qui interviennent dans la sphère de la sécurité sociale sont bien des agents de droit privé ? N'y a-t-il aucun fonctionnaire en position de détachement, même aux postes de direction ?
M. Nicolas Grivel. - Nos caisses emploient en effet très majoritairement des salariés de droit privé, dans le cadre d'une convention collective. Certains agents effectuent toute leur carrière chez nous, d'autres une partie seulement. Il y a quelques fonctionnaires, notamment dans les caisses nationales - nous-mêmes, et quelques-uns de nos collaborateurs, qui sont généralement en position de détachement -, mais cela reste vraiment très minoritaire.
Le statut de droit privé n'est toutefois pas un objectif en soi. Il se trouve que nous fonctionnons dans ce cadre, qui nous permet aussi de nous appuyer sur le savoir-faire et l'expertise des agents formés dans les écoles spécialisées, notamment celle de Saint-Étienne, mais, pour ma part, je crois que c'est plus notre cadre d'action spécifique que le cadre d'emploi de droit privé qui permet d'expliquer nos résultats. Heureusement, des réformes sont aussi possibles dans un cadre d'emploi de droit public, comme l'a montré l'exemple de la DGFiP.
J'insiste sur la visibilité d'action. Le fait de disposer d'un cadre pluriannuel, que j'ai également connu à l'Anru et que nous connaissons dans nos fonctions actuelles, est absolument décisif dans notre capacité d'action. Nous pouvons faire des choix qui seront coûteux dans un premier temps, mais rentables à plus long terme. C'est vrai en interne comme en externe. Quand on négocie avec un élu local sur un projet de crèche, par exemple, et qu'on lui annonce qu'on pourra le soutenir dans la durée, cela change la nature de la discussion. Cette visibilité est particulièrement importante pour mener à bien des projets longs et complexes comme la solidarité à la source, sur lequel nous travaillons depuis deux ans et demi, en dépit des vicissitudes de la vie politique et administrative, parce qu'il était inscrit dans la COG. Cette capacité à se projeter est vraiment très importante dans la conduite du changement.
M. Thomas Fatôme. - Le droit privé impose également un certain nombre de contraintes, ce qui est normal et souhaitable. Il existe ainsi des obligations en matière de dialogue social : lorsqu'une transformation est envisagée, il faut informer les représentants du personnel, les consulter, permettre des expertises, etc. Autant d'éléments qui n'ont pas d'équivalent dans le secteur public. Le secteur public peut conduire plus rapidement des transformations radicales. Pour notre part, nous sommes soumis à une convention collective, au droit du travail, et nous disposons d'instances nationales de dialogue social. Toute transformation doit s'inscrire dans ce cadre.
Je reviens aussi sur le cadre pluriannuel, car il me paraît essentiel. La COG ne constitue pas seulement un document stratégique, mais aussi et surtout un document budgétaire. En pratique, nous ne renégocions pas chaque année les moyens avec l'État, ce qui représente, en toute honnêteté, une forme de privilège, dont il convient évidemment de ne pas abuser. Ce dispositif traduit en réalité un accord avec l'État sur une trajectoire budgétaire.
Ainsi, la COG 2023-2027 de l'assurance maladie prévoit de rendre 1 700 emplois sur la période. C'est une contrainte importante. Dans le même temps, nos crédits de fonctionnement et d'investissement, notamment dans le domaine informatique, augmentent sensiblement - et c'est heureux, car nous avons d'ambitieux projets informatiques à mener d'ici 2027. Certes, des discussions ont lieu chaque année avec la tutelle, la direction de la sécurité sociale, la direction du budget, selon le contexte du moment, mais, à l'échelle de la sphère publique, notre cadre pluriannuel constitue une rareté. Cela tient aussi à la loi de financement de la sécurité sociale, qui garantit une lisibilité budgétaire. À mes yeux, cette stabilité importe davantage que le statut juridique privé des personnels.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Merci, vous avez répondu très clairement. La COG, dans son intitulé, pourrait être comparée aux COP (contrats d'objectifs et de performance), mais, en réalité, ce sont deux mondes très différents. D'ailleurs, parmi les personnes que nous avons auditionnées, plusieurs ont regretté de ne pas bénéficier d'un tel cadre pluriannuel, déplorant leur difficulté à se projeter à moyen terme. En effet, pour nombre d'entre eux, le budget est revu chaque année à l'occasion du vote de la loi de finances, dès lors qu'ils dépendent d'une part significative de financement public.
J'aurais maintenant une question plus spécifique pour la CNAF. Monsieur Grivel, vous avez évoqué le transfert de certaines missions initialement assumées par les départements, telles que la protection maternelle et infantile (PMI) ou la certification des assistantes maternelles, entre autres. Il semble que, dans les faits, lorsque les CAF prennent le relais, les coûts diminuent. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Pensez-vous qu'une rationalisation de l'action sociale à l'échelle locale serait envisageable, en confiant davantage de missions aux CAF - pas uniquement le paiement des prestations, mais aussi leur gestion et leur pilotage ? Pourriez-vous nous décrire comment s'articule actuellement la relation entre les CAF et les départements ? Est-il exact, comme certains l'ont laissé entendre lors de précédentes auditions, que l'efficacité de ces politiques dépend souvent davantage des personnes en poste que du cadre institutionnel ? Ou bien existe-t-il des « frottements » communs à tous les départements, et qui plaideraient pour une simplification et une rationalisation ?
M. Nicolas Grivel. - Avant d'entrer dans les exemples concrets que vous mentionnez, permettez-moi de rappeler que nos relations avec les conseils départementaux sont particulièrement importantes, car ils portent une politique sociale très large.
Le sujet le plus lourd demeure la gestion du revenu de solidarité active (RSA). Le paiement de cette prestation est confié aux CAF par les départements ou directement par l'État dans les territoires où le RSA a été recentralisé - c'est le cas de certains départements d'outre-mer et de métropole. Le financeur est différent, mais la gestion quotidienne et les modalités de versement restent inchangées pour nos équipes.
Cette mission est lourde, mais elle s'appuie sur une collaboration étroite et précise avec les départements. Elle reflète aussi les différences de politiques départementales et les consignes parfois différentes adressées aux CAF, d'où l'intérêt de disposer d'organismes à l'échelle départementale, capables de s'adapter au contexte local.
Cela étant dit, le RSA - ou ses
prédécesseurs - n'a jamais été directement
versé par les départements eux-mêmes. Il ne s'agit donc pas
d'une reprise d'activité, mais plutôt d'une
délégation logique aux CAF, qui ont aussi l'avantage de bien
connaître les familles bénéficiaires du RSA, car elles sont
souvent allocataires d'autres prestations. Cela nous permet d'avoir une
approche cohérente, simplifiée, et plus accessible pour les
usagers.
Un changement de situation familiale, par exemple, est
immédiatement pris en compte dans le calcul du RSA, mais aussi pour les
aides au logement ou les allocations familiales.
Les relations avec les départements peuvent néanmoins parfois se tendre, en particulier lorsque leurs finances sont sous pression, comme c'est le cas actuellement. La dynamique des dépenses liées au RSA et la volonté d'accompagner plus efficacement les bénéficiaires vers l'emploi, notamment dans le cadre de France Travail, peuvent être source d'inquiétudes.
Nous entretenons aussi des relations étroites avec les services de la protection maternelle et infantile (PMI), car nous sommes financeurs des services aux familles, en particulier ceux de la petite enfance. Globalement, la collaboration se passe bien, même si les PMI sont parfois confrontées à des difficultés de moyens et de charge de travail. Cela a conduit à quelques expérimentations, comme l'agrément des établissements d'accueil des jeunes enfants par les CAF, mais ces initiatives demeurent ponctuelles et non pérennisées à ce stade. Nous y trouvons un certain intérêt, même si la question des moyens reste centrale : sans ressources supplémentaires, il nous est difficile d'assurer durablement des missions pour le compte d'autres acteurs. Le sujet reviendra très certainement sur la table, car les PMI peinent à assurer l'intégralité de leurs missions, tandis qu'un léger élargissement de notre périmètre dans certains domaines permettrait de créer des synergies utiles et de simplifier les démarches pour les familles. Mais cela suppose de clarifier les ressources disponibles.
Nous travaillons également avec les départements sur de nombreuses autres thématiques, notamment l'accompagnement des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), en particulier à leur sortie du dispositif.
Enfin, au plan financier, il ne s'agit pas uniquement d'une question de rentabilité, mais aussi de productivité et de cohérence dans la gestion des aides. Ces logiques de simplification ont, me semble-t-il, tout leur sens.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Des travaux sénatoriaux conduits par Pascale Gruny proposaient en 2019 la création d'une structure unifiée, France Santé Travail, pour répondre à l'éclatement important des structures en matière de santé, de sécurité et de travail. Quel est le point de vue du directeur de la CNAM sur ce sujet ?
M. Thomas Fatôme. - Je me permettrai de m'appuyer ici sur la position des partenaires sociaux. Dans un accord national interprofessionnel conclu l'année dernière, ils ont réaffirmé leur attachement à l'existence d'une branche accidents du travail et maladies professionnelles distincte, dotée de moyens et de missions propres. Cette branche incarne une logique transversale de gestion du risque, qui va de la prévention à la réparation, et qui a du sens, y compris pour l'assurance maladie. Le projet de tout regrouper n'était d'ailleurs pas très clair sur le devenir de cette branche ni sur la cohérence de ses missions dans un cadre global.
Cela étant, sur le terrain, nous travaillons étroitement avec les services de santé au travail, notamment à travers les Carsat. La loi de 2021 a renforcé ces coopérations, en particulier autour de la prévention de la désinsertion professionnelle. Malgré la fragmentation du paysage et la diversité des acteurs, la coopération est importante au niveau local. Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu'un regroupement de toutes ces structures dans une même instance permettrait vraiment de gagner en efficacité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Puisque M. Ientile évoquait tout à l'heure les enjeux de trésorerie, je souhaiterais lui poser une question concernant la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) : quel intérêt voyez-vous à maintenir cette mission dans votre périmètre plutôt que de la transférer à l'Agence France Trésor (AFT) ?
M. Damien Ientile. - La répartition actuelle des responsabilités est la suivante : la trésorerie de court terme est assurée par l'Urssaf Caisse nationale. Cette fonction consiste principalement à gérer l'écart entre le moment où les cotisations sont versées par les entreprises et celui où les fonds sont reversés aux organismes prestataires. Cela constitue un besoin permanent, chaque mois, même en l'absence de déficit.
Mais dans les faits, le déficit du régime général, inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale, se matérialise progressivement au cours de l'année. Il doit donc également être financé via des instruments de trésorerie de marché, dans un cadre limité à des emprunts de court terme, puisque nos outils ne nous permettent pas d'emprunter au-delà de vingt-quatre mois.
À ce jour, nous portons un encours de dette d'environ 40 milliards d'euros, avec une maturité moyenne de 1,5 à 2 mois. Toutefois, si ce volume d'endettement continue de croître, nous atteindrons une limite au-delà de laquelle les outils de court terme ne seront plus adaptés. C'est pour cette raison que, par le passé, une partie de cette dette a été transférée à la Cades, laquelle est plutôt rattachée à l'AFT, qui gère également la dette à court et long termes de l'État.
Aujourd'hui, le schéma est donc clair : la dette de court terme relève de l'Urssaf, la dette de long terme de la Cades. Se pose dès lors la question, éminemment politique, de savoir à quel moment une partie de cette dette doit migrer de l'Urssaf vers la Cades, en fonction de sa nature et de sa temporalité.
S'agissant de savoir pourquoi cette mission de trésorerie de court terme revient à l'Urssaf et non à l'AFT, la raison me semble en être que cette fonction est intimement liée à notre coeur de métier, la collecte. Il s'agit d'une gestion quotidienne, au plus près des flux. Chaque jour, nous émettons environ 1 milliard d'euros de titres, en fonction des remontées de cotisations et des besoins de financement des caisses prestataires, à qui nous versons les fonds dans un délai maximal de vingt-quatre heures, souvent même dans la journée. Cette mécanique très précise ne tolère aucun grain de sable dans les rouages.
Le système fonctionne, il est éprouvé depuis plus de vingt ans. L'Urssaf Caisse nationale est un acteur reconnu sur les marchés, notamment celui du commercial paper, où elle figure parmi les plus importants émetteurs mondiaux, étant régulièrement primée pour la qualité de leur signature. Le tout est assuré par une équipe restreinte. Il n'en demeure pas moins, comme je l'ai indiqué, que des questions importantes vont se poser à l'avenir.
M. Ludovic Haye. - Vous n'êtes ni une agence ni un opérateur, mais il nous paraissait essentiel de vous entendre. Merci d'avoir rappelé l'étendue de vos missions. Trop souvent, l'on réduit encore la CAF aux seules allocations familiales, l'assurance maladie au remboursement des soins, et l'Urssaf à la collecte des prélèvements. Vous avez aussi rappelé les volumes financiers considérables que vous manipulez au quotidien, ce qui est d'autant plus important dans un contexte où l'on cherche à réaliser des économies.
Je souhaiterais me focaliser sur la lutte contre la fraude. Disposez-vous d'estimations - j'insiste sur le terme - du montant global de la fraude dans vos différents organismes ? Et, surtout, travaillez-vous à une harmonisation des chiffres ? Je me souviens d'une réunion consacrée aux arrêts de travail jugés abusifs, au cours de laquelle l'agence régionale de santé (ARS), l'Ordre des médecins et la CPAM sont arrivés avec leurs propres chiffres, sans jamais parvenir à les faire converger, au point que la réunion s'est terminée sans qu'on ait vraiment abordé le fond du problème. Comment améliorer la coordination des données entre acteurs pour traiter au mieux ce sujet ?
Mme Pauline Martin. - J'avais la même question sur la fraude.
Monsieur Grivel, ayant dirigé l'insertion et la transformation des politiques sociales au sein du département du Loiret durant plusieurs années, je dois dire que je n'ai pas constaté une très grande collaboration entre la CAF et le département, notamment sur la mise en place du dossier social unique, qui visait à mieux appréhender les problématiques des habitants, tous profils confondus.
Monsieur Fatôme, je suis ravie de vous rencontrer, votre nom revenant très fréquemment ces temps-ci. Vous seriez, notamment, le cost-killer des taxis... J'aimerais connaître votre stratégie d'économies pour les années à venir, car c'est un point central pour notre commission. Vous avez aussi mentionné un mécanisme d'intéressement tout à l'heure : pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Damien Ientile. - En ce qui concerne les Urssaf, la fraude la plus répandue reste celle liée au travail dissimulé.
Nos contrôles se répartissent en deux types.
D'une part, le contrôle d'assiette, qui consiste à vérifier que les cotisations sont correctement déclarées et calculées. Il s'agit d'un contrôle factuel, très bienveillant, qui peut même s'apparenter à du conseil. Il est instruit à charge et à décharge. En 2024, les Urssaf ont d'ailleurs restitué 160 millions d'euros aux entreprises à la suite de trop-perçus.
D'autre part, nous menons une lutte spécifique contre le travail dissimulé, avec des inspecteurs spécialisés ainsi que des experts juridiques en recouvrement ou en procédure pénale. Chaque Urssaf dispose d'une équipe dédiée à cette mission.
Le travail dissimulé peut prendre la forme d'une non-déclaration de salariés, et donc d'une absence de paiement de cotisations, ou d'une sous-déclaration des heures travaillées. Il engendre un triple préjudice : pour la sécurité sociale, qui voit ses ressources amputées ; pour les entreprises en règle, du fait d'une concurrence déloyale ; pour les salariés non déclarés, qui perdent des droits à la retraite ou à l'assurance maladie.
Nous estimons le montant total des cotisations éludées à environ 6 milliards d'euros par an, même si ce chiffre reste une estimation, compte tenu de la nature même de la fraude. En 2024, les redressements ont atteint 1,6 milliard d'euros. Dans le cadre de notre COG, nous visons un total de 5,5 milliards d'euros de redressements cumulés. Ces chiffres sont partagés avec le Haut Conseil du financement de la protection sociale, avec lequel nous sommes alignés sur les définitions et les estimations.
La lutte contre la fraude est éminemment partenariale. Nous coopérons avec les autres caisses de sécurité sociale, qui peuvent, lors de leurs contrôles, repérer des situations suspectes et nous les transmettre. Nous travaillons aussi avec la DGFiP, avec l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), rattaché à la Gendarmerie nationale, et avec l'inspection du travail.
Nous identifions également des formes de fraude hors travail dissimulé, plus difficiles à quantifier, mais que nous étudions de plus en plus. Je pense notamment aux fraudes à l'affiliation. Nous avons ainsi constaté la création massive de fausses entreprises, notamment dans le secteur des ambulanciers. Cela ne cause pas immédiatement de préjudice financier pour les Urssaf, mais ces structures peuvent ensuite servir à percevoir indûment des prestations auprès d'autres caisses. Dès que nous détectons ces situations, nous les signalons à la CNAM et aux organismes concernés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce que vous venez de nous exposer est particulièrement intéressant, notamment s'agissant des interactions entre vos différentes caisses. J'aimerais mieux comprendre leur fonctionnement concret. Par exemple, si la CNAF détecte un fraudeur, existe-t-il un système d'alerte automatique permettant de signaler cette information aux autres organismes ?
Par ailleurs, quel identifiant utilisez-vous dans ce cadre ? J'avais compris que le numéro de sécurité sociale constituait aujourd'hui un identifiant unique, mais qu'il ne pouvait être utilisé qu'au sein du champ de la sécurité sociale. Comment, dès lors, opérez-vous un croisement avec la DGFiP, qui fonctionne, pour sa part, avec un numéro fiscal ? En effet, il serait pertinent que tout organisme payeur de prestations soit informé lorsqu'un bénéficiaire est en situation de fraude, quel que soit le guichet d'origine. Je pense également à l'ASP, qui verse beaucoup d'argent, y compris à des particuliers. Est-elle intégrée à ce type de dispositif ? Concrètement, comment s'opère le transfert d'informations entre caisses ? Existe-t-il un mécanisme automatique ou cela relève-t-il encore d'échanges manuels ? Car je suppose que vous ne communiquez pas ces informations par simple appel téléphonique.
M. Damien Ientile. - À l'heure actuelle, les transmissions d'informations ne sont pas automatisées, sauf dans quelques cas très limités. De manière générale, elles sont effectuées de façon spontanée, sur la base de listes ou de signalements encadrés par des conventions. Il existe par exemple une convention entre la CNAF et l'Urssaf Caisse nationale, qui prévoit ces échanges d'informations dans le respect du droit en vigueur.
À cela s'ajoutent des conventions locales, conclues entre organismes à l'échelle départementale ou régionale. Lorsqu'une CAF réalise un contrôle et identifie qu'un allocataire a perçu des prestations indues en raison de revenus non déclarés, un signalement est transmis. En 2023, ce type de démarche a donné lieu à 2 700 signalements adressés à l'Urssaf, qui peuvent ensuite engager des investigations sous l'angle du travail illégal.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si je vous comprends bien, nous restons donc dans un système encore largement manuel, fondé sur des conventions locales. L'ASP, en tant que structure nationale sans déclinaison territoriale, ne semble donc pas en mesure d'être intégrée dans ces échanges. Concrètement, cela signifie que les agents qui instruisent des dossiers à l'ASP ne disposent d'aucune information sur l'existence éventuelle de fraudes dans d'autres domaines de la sphère publique.
M. Nicolas Grivel. - Votre question est légitime, mais elle mérite d'être précisée selon les cas. Lorsqu'une fraude détectée par un organisme n'a pas d'impact direct sur un autre, la transmission d'informations n'est pas toujours nécessaire. Par exemple, une fraude à la conjugalité, où un allocataire ne déclare pas vivre en couple, affecte nos prestations, mais ne concerne pas l'Urssaf.
En revanche, lorsqu'une situation de travail
dissimulé est mise au jour, elle donne lieu à un signalement vers
l'Urssaf, voire la DGFiP. En ce qui concerne l'ASP, nous avons moins
d'interconnexions à ce stade, mais, avec la DGFIP, les flux
d'échanges sont considérables. Nous recevons en
masse
les données fiscales des allocataires. Avant
même la mise en oeuvre de la solidarité à la source, ces
données constituaient déjà notre principal levier de
contrôle des ressources déclarées par les
bénéficiaires.
Nous opérons une vérification en comparant les revenus déclarés par l'allocataire avec ceux que nous fournit la DGFiP, avec un décalage d'environ un an. En cas d'incohérence, nous engageons une procédure de régularisation : l'allocataire est invité à s'expliquer, et, en l'absence de justification recevable, nous procédons aux suites nécessaires.
Dans l'autre sens, nous transmettons également des flux d'informations importants vers la DGFiP. Le véritable enjeu est celui du moment de la détection de la fraude. Si la détection est précoce, l'information peut être intégrée dans les flux automatisés. En revanche, lorsqu'elle intervient plus tardivement, à la suite d'enquêtes complexes, elle nécessite un traitement plus manuel, en dehors des canaux automatisés.
C'est pourquoi notre dispositif repose sur deux volets : un traitement industriel, à grande échelle, et un traitement sur mesure, pour les cas les plus sensibles ou complexes. En matière de fraudes organisées, le facteur humain reste déterminant. Nous ne pensons pas manquer d'échanges d'informations. Au contraire, ces échanges sont aujourd'hui une source majeure de détection.
S'agissant des montants, les estimations restent difficiles. Par échantillonnage, nous évaluons la fraude globale entre 3 et 4 milliards d'euros, en tenant compte des incertitudes inhérentes aux méthodes. Cette hausse s'explique moins par une explosion réelle de la fraude que par une amélioration de nos capacités de détection. En 2023, 450 millions d'euros de fraudes ont été détectés, contre 300 millions deux ans plus tôt.
Nous avons créé un service national de lutte contre la fraude à enjeux, qui vient en appui aux 700 contrôleurs de la CAF. Ce service regroupe une quarantaine de spécialistes de haut niveau, issus de la police, de la gendarmerie, des douanes, du secteur bancaire, etc. Il permet de détecter des fraudes complexes, souvent organisées, où les allocataires eux-mêmes sont parfois victimes - usurpation d'identité, vol de RIB, ou schémas impliquant de faux micro-entrepreneurs européens cotisant sans activité réelle afin de bénéficier indûment de prestations.
Dans ces cas, les sanctions sont lourdes, y compris au plan pénal. Le nombre de condamnations augmente, et cela renforce l'effet dissuasif. La solidarité à la source, enfin, contribue aussi à prévenir la fraude, puisque l'administration indique directement aux usagers les ressources qu'elle connaît déjà, limitant les tentations de fausses déclarations.
Pour ce qui est du Loiret, je regrette si nous n'avons
pas su faire preuve de la réactivité ou de l'innovation attendue.
Il n'est pas toujours facile de répondre aux diverses initiatives
départementales dans le cadre d'action
très
normé qui est le nôtre. Mais nous serions heureux de renforcer
notre partenariat avec le conseil départemental du Loiret, qui par
ailleurs nous doit pas mal d'argent au titre du RSA. Nous aurons l'occasion d'y
revenir.
M. Thomas Fatôme. - Pour compléter sur le volet de la fraude, la situation de l'assurance maladie est particulière. En effet, les trois quarts des fraudes détectées ont pour origine les professionnels de santé. Cette tendance se confirme année après année. En 2024, nous avons réussi à détecter 630 millions d'euros de fraudes, un résultat en forte hausse.
Depuis trois ans, nous menons une évaluation globale des fraudes à l'assurance maladie, qui concernent aussi bien les professionnels, les assurés, les entreprises, que la complémentaire santé solidaire (C2S) ou encore les arrêts de travail, parfois obtenus au moyen de fausses entreprises. Ces évaluations, reprises l'an dernier dans le rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale, estiment les montants entre 1,5 et 2 milliards d'euros, mais elles ne sont pas encore exhaustives.
Nous remboursons 250 milliards d'euros de prestations par an. Dès lors, la fraude, même faible en proportion, représente rapidement des montants très significatifs. En trois ans, les résultats de détection ont été multipliés par trois. Pour poursuivre cette dynamique, nous avons recruté 60 enquêteurs judiciaires dans des pôles interrégionaux, avec des responsabilités spécifiques conférées par la loi, notamment l'intervention sur les réseaux sociaux grâce à des cyberenquêteurs. Nous avons, nous aussi, intégré des policiers et gendarmes à nos équipes pour renforcer nos capacités d'investigation.
Nous travaillons également étroitement avec les branches lorsqu'un sujet d'intérêt commun se présente, en particulier dans le cadre de notre convention de partenariat avec la CNAF, en cours de refonte. L'échange n'est pas systématique non plus. Par exemple, lorsqu'il s'agit de fraude aux arrêts de travail, il n'y a pas forcément lieu de transmettre des éléments à la branche famille. En revanche, s'agissant de fraudes à la résidence, il peut y avoir un intérêt à partager certaines informations.
Ces coopérations s'organisent également avec les caisses nationales et tendent à se professionnaliser davantage.
En décembre dernier, nous avons mis à
disposition, en open data, un jeu de données relatif aux
arrêts de travail, croisé selon des critères d'âge,
de secteur d'activité ou encore de durée. Cette démarche
s'inscrit dans notre politique générale de mise à
disposition d'informations en libre accès. Sont ainsi accessibles,
via le site data.ameli.fr, les bases de données Data
pathologies et Data professionnels de santé libéraux. Si vous
souhaitez connaître le nombre de pédiatres dans la Manche, les
honoraires moyens des radiologues ou encore la densité de
médecins généralistes en
région
Rhône-Alpes, toutes ces informations sont
disponibles. Nous comptons poursuivre cette dynamique en ouvrant encore
davantage de données à l'avenir.
Je ne sais pas ce qui me vaut le surnom de cost killer, mais veiller au respect de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), tel qu'il est voté par le Parlement, fait partie des missions de l'assurance maladie. Cela se traduit par une série de plans d'action allant de l'accompagnement et de l'évolution des pratiques des professionnels de santé jusqu'au contrôle, notamment des arrêts de travail.
Ainsi, plus de 1 000 médecins généralistes, dont les prescriptions d'arrêts de travail sont deux à trois fois supérieures à celles de leurs confrères pour des patientèles standardisées, ont fait l'objet de démarches spécifiques. Nous convoquons chaque année plus de 300 000 assurés ciblés, chez lesquels un risque est détecté, notamment pour des arrêts de travail potentiellement injustifiés. Ce ciblage s'avère pertinent : dans 20 à 25 % des cas, les arrêts se révèlent injustifiés, ou du moins la personne n'est plus malade au moment de la convocation.
S'agissant des transports de patients - qu'il s'agisse de transports sanitaires ou de taxis - le Parlement a voté, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, un objectif d'économies de 300 millions d'euros sur les véhicules sanitaires légers (VSL), les ambulances et les taxis. Nous travaillons actuellement à l'évolution des dispositifs conventionnels, tant pour les VSL que pour les ambulances et les taxis. Les dépenses de transport de patients s'élèvent à près de 6 milliards d'euros et progressent fortement, sous l'effet conjugué de la dynamique démographique, de l'augmentation des affections de longue durée (ALD) et du resserrement du maillage hospitalier.
La première mesure, relativement simple à mettre en oeuvre, consiste à généraliser le transport partagé. De nombreux pays font mieux que nous dans ce domaine. Il ne s'agit pas de remplir un van avec huit patients, mais, déjà, en mettant deux personnes plus souvent dans un VSL ou un taxi, nous pourrions réaliser des économies substantielles, tant pour l'assurance maladie qu'en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
Dans cette optique, nous travaillons avec les taxis à la définition d'un nouveau modèle tarifaire, plus efficace, qui permette de rembourser davantage de trajets tout en réduisant les retours à vide et les temps d'attente. Ces discussions sont en cours avec les quatre fédérations de taxis.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je retiens de cet échange la grande pertinence de votre système de convention d'objectifs et de gestion (COG). Je me place ici du point de vue du politique. Lorsque les gouvernements restaient en place cinq ans, soit la durée habituelle d'une COG, on pouvait considérer que le gouvernement en fonction avait discuté et validé ce contrat, lequel encadrait pour cinq années le fonctionnement de vos organismes. Dans un contexte où, désormais, les ministres se succèdent à un rythme beaucoup plus soutenu, le ministre de la santé nouvellement nommé se retrouve à appliquer une COG qu'il n'a pas du tout négociée.
Or, si j'ai bien compris, ces documents sont relativement intangibles. C'est d'ailleurs ce qui vous permet de disposer de véritables outils de pilotage : vous connaissez votre trajectoire de financement, votre trajectoire d'effectifs ; vous fixez vos objectifs et vous pouvez les déployer dans la durée. Dès lors, ne ressentez-vous pas une forme de tension entre le politique et vous-même ?
M. Thomas Fatôme. - Les conventions d'objectifs et de gestion constituent un outil central, un véritable cadre de référence. Chaque année, notamment avec la direction de la sécurité sociale, nous examinons les indicateurs de l'année écoulée, identifions les bonnes performances et relevons les domaines dans lesquels des difficultés persistent. Il s'agit d'un outil structurant.
Cependant, ce cadre n'a rien d'immuable. Il ne nous arrive que rarement de répondre au ministre que nous ne ferons pas telle chose car elle n'est pas inscrite dans les 750 pages la COG. Et heureusement ! Le Parlement adopte des lois, le pouvoir politique porte des projets et notre rôle consiste précisément à les mettre en oeuvre.
Les conventions couvrent une période de cinq ans : elles doivent donc s'adapter aux réalités du pays, qu'elles soient économiques ou sociales, car les circonstances peuvent évoluer rapidement. Nous parvenons à maintenir un équilibre entre ce cadre de référence et les projets de plus court terme.
Les projets de système d'information en sont un bon exemple. Ils forment le socle technique qui rend possible, par exemple, la dématérialisation de la carte Vitale sur smartphone - cela peut sembler simple, mais nécessite en réalité plusieurs années de développement. Il en va de même pour l'ordonnance numérique : derrière un simple QR code se cache une réforme complexe.
Nous bénéficions d'un dialogue de gestion fluide, qui nous permet de faire évoluer notre action, mais ce cadre nous donne aussi les moyens d'affirmer que tout ne peut être réalisé du jour au lendemain : les structures dont il est ici question sont vastes et requièrent une gestion inscrite dans le temps long.
M. Nicolas Grivel. - Pour un ministre, disposer d'une COG déjà lancée et structurée constitue souvent une chance. Cela signifie que, sur un certain nombre de sujets, les bases sont posées. On ne part pas de rien, sans moyen, dans l'obligation d'ouvrir des négociations avec Bercy ou d'attendre le prochain budget pour espérer, éventuellement, faire avancer un projet. Là, plusieurs orientations sont déjà tracées.
Je citerai, par exemple, nos discussions avec la ministre chargée de la ville concernant notre action dans les quartiers. Sur ces sujets, les choses sont claires : développement des crèches, animation de la vie sociale, soutien aux centres sociaux... Ce sont des axes forts, bien établis.
À l'inverse, lorsqu'une priorité politique émerge en cours de période de convention, nous en discutons les modalités de mise en oeuvre. Lors de la précédente convention, l'intermédiation financière des pensions alimentaires a ainsi été créée ex nihilo. Il s'agit d'une mission de service public, inexistante jusqu'alors, visant à prévenir les impayés. Nous mettons désormais en place, de manière systématique, l'intervention de la CAF en tant qu'intermédiaire entre les deux parents lors de la procédure de séparation ou de divorce. Cette mesure n'était pas prévue dans la convention, mais elle a pu être intégrée. Des moyens supplémentaires ont été alloués. La discussion a eu lieu et cela ne nous a pas empêchés de mener à bien d'autres actions en parallèle.
Je citerai également le doublement de la prime d'activité pendant cette même période, mesure adoptée à la suite du mouvement des gilets jaunes. Elle a été intégrée à la convention en cours, des choix et des priorisations ont été opérés.
Cette visibilité et cette capacité à initier des projets dans la durée sont fondamentales. Sans COG, dans le contexte d'instabilité gouvernementale que vous évoquiez, nous hésiterions parfois à lancer certains projets, car, une fois l'impulsion donnée, le travail à fournir est immense, avec des résultats livrés deux ans plus tard. Si le ministre en poste n'est plus le même ou que le moment politique n'est pas favorable, le projet risque d'être abandonné. C'est bien ce qui permet de bâtir sur le long terme.
Il existe au demeurant une continuité entre les COG. Certains sujets sont lancés en fin de période afin qu'ils deviennent les projets phares de la convention suivante, à condition qu'ils bénéficient d'une confirmation politique. Il s'agit de poser les fondations nécessaires pour garantir cette continuité. Cette capacité d'adaptation constitue l'un des atouts majeurs de l'exercice.
Cela étant dit, il ne s'agit en rien d'un mécanisme miraculeux. Négocier une COG représente un travail considérable, assorti d'incertitudes réelles. Il ne s'agit pas ici de prétendre avoir conçu un modèle parfait, sans aucune déperdition d'énergie. Bien au contraire, l'élaboration de ces conventions engendre parfois de fortes tensions et suppose de véritables négociations.
Toutefois, plutôt que de répéter cet exercice chaque année, à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres domaines, l'énergie mobilisée est ici investie dans une projection sur cinq ans. Cette temporalité constitue une véritable force.
Ayant moi-même connu un système fondé non pas sur une COG, mais sur une convention tripartite avec le financeur Action Logement, je peux affirmer que ce cadre offre une visibilité accrue. Lorsqu'il s'agit de convaincre des élus de s'engager dans des projets ambitieux, qui nécessitent dix années de travail et transforment durablement leur ville, il est indispensable d'apporter des garanties. Si l'on ne peut pas assurer que des moyens seront disponibles dans deux ans, aucun élu ne s'engagera. C'est pourquoi cette visibilité constitue un élément véritablement décisif.
M. Damien Ientile. - Les COG offrent un cadre à la fois lisible et suffisamment souple pour intégrer les politiques publiques nouvelles, qu'elles soient décidées par le Gouvernement ou votées par le Parlement. Elles permettent ainsi de concilier visibilité budgétaire et agilité opérationnelle.
En matière de financement, l'exemple le plus parlant demeure celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Chaque année, une mesure nouvelle y figure. Cette année, il s'agissait notamment de la réforme des allègements généraux et de la création d'un versement mobilité régional. Concrètement, chacune de ces mesures implique la mise en place d'un nouveau projet de système d'information.
Cela conduit, comme l'ont souligné mes collègues, à un échange responsable avec l'administration de tutelle. À enveloppe donnée, en contrepartie d'une mesure nouvelle, un autre projet devra être dépriorisé, ou l'ambition initiale d'un projet informatique en cours devra être revue à la baisse. Ce dialogue oblige à exercer pleinement sa responsabilité.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions de ces échanges.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Clément Beaune, Haut-Commissaire au plan et commissaire général à la stratégie et à la prospective
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons à présent M. Clément Beaune, ancien ministre, pour ses fonctions actuelles de Haut-Commissaire au plan (HCP) et de commissaire général au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), également appelé France Stratégie.
France Stratégie est une institution autonome placée auprès du Premier ministre, qui contribue à l'action publique par ses analyses et ses propositions sur les grands enjeux environnementaux, économiques et sociaux, notamment via des exercices de prospective et des évaluations de politiques publiques. C'est l'héritier du Conseil d'analyse stratégique, qui avait lui-même pris la suite de l'ancien Haut-Commissariat au plan, après la fin de la planification dans les années 1990.
L'actuel Haut-Commissariat au plan a été recréé par décret du 1er septembre 2020. Il est rattaché, pour sa gestion administrative et financière, au secrétariat général du Gouvernement. Il est chargé d'animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État et d'éclairer les choix des pouvoirs publics. Il dispose à cet effet du concours de France Stratégie.
Il existe donc déjà des liens importants entre ces deux organismes.
Monsieur le Haut-Commissaire, notre commission d'enquête s'intéresse de manière générale aux missions des agences et opérateurs de l'État, ainsi qu'aux organismes consultatifs. S'il est beaucoup question, dans le débat public, de supprimer ou fusionner des agences et d'en réduire drastiquement le nombre, nous cherchons d'abord à mieux comprendre ce mode de mise en oeuvre des politiques publiques. Nous ferons ensuite des propositions qui iront dans un sens ou dans un autre.
Nous avons déjà reçu plusieurs responsables ou anciens responsables d'agences qui nous ont décrit la manière dont ils avaient conduit la fusion de plusieurs organismes et exposé les multiples problèmes qui se sont posés : suivi opérationnel des activités, construction d'une entité commune, gestion de personnels aux statuts souvent variés.
Vous avez d'ores et déjà annoncé la fusion du Haut-Commissariat au plan et de France Stratégie. Pouvez-vous, aujourd'hui, nous indiquer dans quel délai cette fusion sera réalisée, quelles en seront les modalités et quel est le sens que vous lui donnez ? La réduction des coûts et des emplois doit-elle, selon vous, être un objectif en soi, sachant qu'il s'agit de montants limités par rapport à d'autres agences que nous avons auditionnées ?
Toutefois, au-delà du cas des organismes que vous dirigez, pouvez-vous nous faire part de votre vision sur l'action publique de manière générale, à partir des travaux déjà menés par le Haut-Commissariat au plan ou par France Stratégie. Croyez-vous ainsi à la pertinence du modèle de l'agence d'État, tel qu'il a été mis en place dans les années 1990 à partir du postulat suivant : l'administration centrale doit incarner l'État stratège, qui définit les grandes orientations des politiques publiques, et laisser à des agences autonomes la mise en oeuvre de ces politiques. Si ce modèle est toujours d'actualité, comment expliquez-vous les nombreuses critiques dont les agences font aujourd'hui l'objet ? De quelle manière faudrait-il le faire évoluer pour améliorer non seulement l'efficacité des politiques publiques, mais aussi la perception qu'en ont les citoyens ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite en disant « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Clément Beaune prête serment.
M. Clément Beaune, Haut-Commissaire au plan et commissaire général à la stratégie et à la prospective. - Je suis heureux de retrouver les salles et les couloirs du Sénat, pour la première fois en tant que Haut-Commissaire au plan et commissaire général de France Stratégie - sans doute aussi pour la dernière fois dans cette double qualité, puisque la fusion des deux entités est engagée. J'y reviendrai.
Cette fusion, que j'ai annoncée en prenant mes fonctions, devra être conduite dans les prochaines semaines, dans le respect des procédures, notamment de consultation sociale, que nous engageons dans les jours à venir. Beaucoup parlent de fusions ; peu les mettent en oeuvre. Nous, nous le faisons. J'en exposerai l'ambition, car une fusion n'est pas un projet en soi, mais un outil au service d'un projet. Au travers de celle-ci, nous voulons montrer un exemple de rationalisation et d'efficacité.
Comme vous m'y avez invité, je souhaite revenir brièvement sur la question des agences et opérateurs publics en général.
Les opérateurs de l'État, au sens juridique et budgétaire du terme, représentent moins de 5 % de la dépense publique totale. Il s'agit d'un enjeu important, mais qui ne saurait occulter le poids majoritaire des dépenses sociales, locales, ou encore du reste du budget de l'État.
Je n'ai pas de réponse exhaustive à la question de savoir si le recours aux agences constitue toujours une solution pertinente, ou, au contraire, s'il faut en rejeter le principe. L'action publique, à laquelle je suis associé depuis plusieurs années, subit des effets de balancier, parfois des effets de mode.
Lorsque j'étudiais encore l'action publique sans y participer directement, on citait, à l'appui de rapports documentés - je pense notamment au rapport Pébereau, remis au ministre Thierry Breton - le modèle d'« agencisation » des pays d'Europe du Nord, et notamment la Suède, comme une forme moderne, efficace et adaptée d'organisation de l'action publique. Ceux qui critiquent aujourd'hui un peu vite ce modèle gagneraient parfois à relire leurs propres déclarations. Il y a quelques années encore, l'idée largement admise était qu'externaliser certaines missions de l'État au profit des agences ou opérateurs constituait un moyen de mieux gérer les deniers publics.
Je reste donc prudent face à la mode inverse qui semble s'installer. Votre commission d'enquête jouera, je n'en doute pas, un rôle utile pour éclairer ce débat.
Pourquoi, au fond, avons-nous développé ces agences ? J'en ai eu l'illustration dans le domaine des transports, dont j'ai eu la charge durant quelques mois. Ce développement ne tient pas seulement à des comparaisons européennes ou à des effets de mode. Il convient aussi de le considérer comme une réponse aux limites de l'État en tant que personne morale.
Il faut rappeler que ce type de gestion n'est pas nouveau. Vous le savez mieux que moi : plus de la moitié des opérateurs de l'État recensés dans les documents budgétaires relèvent des secteurs de l'enseignement supérieur, de la recherche ou de la culture. Cette organisation autour de structures dotées d'une personnalité morale distincte de celle de l'État central n'est pas une invention récente. Il y a bien eu, au cours des vingt dernières années, une tendance à ce type d'organisation.
Je prendrai un exemple que je connais bien et qui a fait récemment l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale : l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). Pourquoi a-t-on créé l'Afit France ? L'État éprouvait des difficultés à s'inscrire dans le temps long. On parle parfois de « débudgétisation ». C'est un fait : l'Afit France gère des moyens qui pourraient tout à fait être confiés au ministère des transports, mais cette agence a été créée parce qu'il était difficile, dans le cadre du débat budgétaire et politique, de garantir la pérennité des crédits d'une année sur l'autre pour des missions d'investissement.
Autrement dit, la création d'un opérateur ne résulte pas toujours d'un choix organisationnel. Elle révèle parfois une défaillance de l'État dans sa capacité à projeter son action dans le long terme. L'agence devient alors un symptôme, voire une tentative de remède à cette difficulté structurelle.
C'est pourquoi il faut se méfier de certaines idées simplistes. Je me permets ici une remarque directe à propos des débats récents à l'Assemblée nationale autour du projet de loi de simplification de la vie économique. J'ai l'impression que nous avons vu apparaître un « Milei du pauvre », qui, sous couvert de rationalisation, assène des coups de hache nocturnes sur les opérateurs et agences, au nom d'un principe de simplification qui ne fait pas toujours grand cas de leur utilité réelle.
Certaines fusions sont nécessaires, mais il faut se rappeler que la France a une longue expérience de regroupement d'administrations ou d'opérateurs. Et souvent, ces fusions ont entraîné plus de coûts que d'économies : lorsque les grilles salariales ou les pratiques sociales sont alignées par le haut, le bénéfice social est indiscutable, mais l'impact sur les finances publiques est plus nuancé. Aussi, restons vigilants face aux approches trop rapides ou démagogiques.
J'aurais dû le préciser plus tôt, le Haut-Commissariat au plan et France Stratégie ne sont stricto sensu ni des agences ni des opérateurs. Ce sont deux services du Premier ministre, aujourd'hui distincts, demain réunis, dotés d'une autonomie de gestion budgétaire, mais dépourvus de personnalité morale.
Je dirai quelques mots à présent sur le Plan. Je parle ici du Plan de manière unifiée, car les deux structures s'inscrivent dans une histoire commune qui remonte à 1946. L'année 2025 marque les 80 ans de plusieurs institutions, fondées parfois par le Conseil national de la Résistance ou dans les premiers mois du gouvernement provisoire, sous l'autorité du général de Gaulle. C'est le cas de la sécurité sociale, du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du Plan, institué en janvier 1946 sur l'initiative du général de Gaulle, qui en confia la responsabilité à Jean Monnet.
C'est l'une des rares institutions qui a traversé deux Républiques et qui a survécu à 53 gouvernements et à toutes les alternances politiques. Cela ne suffit pas à justifier son maintien, mais cela témoigne de l'utilité de sa mission.
À l'origine, il s'agissait d'une planification stricto sensu. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans une économie administrée ou nationalisée. Pourtant, dès l'origine, l'ambition allait au-delà : il s'agissait aussi de proposer une réflexion prospective, une vision à long terme, au service de l'État, du gouvernement et, plus largement, du débat public. C'était également un lieu de dialogue, notamment avec les partenaires sociaux - une vocation que nous entendons raviver à la faveur de cette nouvelle étape.
Cette « ardente obligation », comme disait le général de Gaulle, pourrait être assumée par les ministères ou le Parlement - madame le rapporteur, vous présidez d'ailleurs la délégation à la prospective du Sénat -, mais, dans les faits, cette fonction reste peu exercée au sein de l'État. La France est ainsi en retrait par rapport à d'autres pays européens, notamment l'Allemagne.
Il est donc nécessaire de conserver une structure généraliste, interdisciplinaire, comme l'a toujours été le Plan, pour porter cette réflexion de long terme.
C'est l'esprit de France Stratégie, créée en 2013, et du Haut-Commissariat au plan, institué en 2020. Ce rôle de prospective et de dialogue doit être maintenu. J'en conviens, ma position n'est pas neutre, mais je constate que cette fonction suscite un intérêt croissant en Europe. La planification, une idée neuve en Europe ! Le modèle espagnol, très proche du nôtre, s'appuie déjà sur un commissariat au plan. Tous les pays européens, à des degrés divers, disposent d'organes chargés de la planification et de la prospective.
Dans les débats budgétaires récents, personne n'a proposé la suppression des outils de prospective généraliste. Des débats ont eu lieu sur les structures elles-mêmes, mais personne n'a demandé la suppression conjointe de France Stratégie et du Haut-Commissariat au plan. Au contraire, les récentes discussions parlementaires ont mis en évidence un besoin d'élargir leur périmètre, en leur rattachant notamment le secrétariat général pour l'investissement et celui pour la planification écologique. Ce n'est pas ma proposition, mais je la mentionne comme un signe du consensus.
Sur la fusion elle-même, j'y insiste, elle est nécessaire. Il importe de conserver l'esprit de planification, mais il serait peu lisible et peu efficient dans un contexte de rigueur budgétaire de maintenir durablement deux structures. Nous voulons préserver un double héritage : une expertise scientifique de planification et une « boîte nationale à idées », selon l'expression de Jacques Delors, tournée vers 2035 ou 2050.
Cette fusion a été annoncée par Michel Barnier à l'automne dernier, puis confirmée par François Bayrou à son arrivée à Matignon. Le processus est engagé et sera effectif au début du mois de juin, dans le respect des obligations de consultation sociale.
Dès à présent, avant même la fusion, nous réalisons un effort significatif d'économies : une baisse de 12 % des dépenses de fonctionnement est attendue pour 2025. France Stratégie, qui compte 73 agents à la fin avril, enregistrera cette année une réduction de 4 emplois. Et, conformément aux instructions du Premier ministre, nous poursuivrons en 2026 les efforts de réduction des dépenses et des effectifs. Je ne suis pas en mesure d'en préciser l'ampleur à ce stade, mais je suis pleinement conscient qu'une fusion implique de poursuivre et d'amplifier cet effort.
France Stratégie et le HCP représentent respectivement 1,08 % et 0,06 % du budget alloué aux services du Premier ministre. Nous serons exemplaires dans la gestion de la dépense publique, mais nous ne saurions servir de bouc émissaire. Ainsi, il n'est pas question que nous réalisions seuls les 40 milliards d'euros d'économies aujourd'hui attendues ; nous y contribuerons à notre juste mesure.
Plusieurs caractéristiques de notre institution seront renforcées dans le cadre du projet de fusion, tel qu'il est envisagé. Le HCP est une structure unifiée interministérielle et interdisciplinaire qui n'a pas d'équivalent au sein de l'État. Ses missions sont ancrées dans le long terme, ce qui est essentiel à l'heure de la transition écologique, démographique, géopolitique, numérique et technologique.
On assimile souvent le HCP à la Cour des comptes, mais cette dernière est une entité indépendante, en vertu de la Constitution. Le HCP, quant à lui, est directement rattaché au Gouvernement et au Premier ministre. Ainsi, près de la moitié des rapports que nous produisons sont des commandes ministérielles ou primoministérielles. Nous jouissons toutefois d'une indépendance garantie par décret, notamment sur le plan scientifique. Dès lors, nos études sont réalisées de façon autonome, sans consigne ou influence politique.
Le HCP joue un rôle essentiel de carrefour ou de « ruche », pour reprendre l'expression de Jean Monnet, notamment dans le cadre du dialogue social. Il n'est ni une structure de négociation d'accords de branche ou d'entreprise, ni un conclave qui chapeaute la négociation du moment. Néanmoins, il a vocation à réunir les partenaires sociaux, à échéance régulière, pour discuter de divers sujets : retraites, démographie, qualité ou quantité de l'emploi dans l'économie française, grandes transitions, etc.
Au-delà des partenaires sociaux, nous oeuvrons à établir le dialogue avec les associations d'élus et les associations non gouvernementales. Voilà ce qui fait l'ADN unique de notre organisme depuis 1946, et nous souhaitons le raviver.
Bientôt, le HCP et France Stratégie formeront une seule structure. France Stratégie est un modèle efficace qui anime un certain nombre d'autres organismes indépendants. Pour ces derniers, nous assurons des fonctions support, dans une logique d'économies et de mutualisation. Je souhaite que la coordination entre le HCP et France Stratégie soit renforcée par le décret de fusion. Il serait bon que nous puissions nous rapprocher du Conseil d'orientation des retraites (COR), du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), du Conseil d'analyse économique (CAE) et d'un certain nombre de hauts conseils sociaux.
Si le processus de fusion parvient à son terme, nous ajouterons à notre nouvelle structure le Conseil national du numérique (CNNum), aujourd'hui placé sous l'autorité de la ministre chargée du numérique. Nous pourrons ainsi bénéficier de l'efficacité qui fait la force du réseau France Stratégie et réaliser des économies sur les dépenses.
Enfin, nous souhaitons que le nouvel ensemble mis en place ait une dimension européenne renforcée. En effet, les contributions ou les comparaisons européennes sont à même d'éclairer notre action sur le temps long.
À l'occasion des 80 ans du Plan, nous devrions offrir à cet organisme une nouvelle jeunesse, plutôt que d'avoir de mauvaises discussions à son sujet, voire d'envisager sa suppression.
Je conclurai en reprenant la pensée de Pierre Massé, Haut-Commissaire au plan, qui a notamment été chargé de lancer les travaux de prospective. Il estimait que le regard sur l'avenir était le premier temps de l'action : telle est la mission du HCP aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Compte tenu de vos anciennes fonctions ministérielles, je souhaite vous interroger sur l'Afit France, qui emploie aujourd'hui environ huit agents chargés de gérer des milliards d'euros. En tant qu'ancienne fonctionnaire du ministère des transports, j'avoue ne pas comprendre la raison d'être de cette structure, car ses projets sont redondants avec ceux de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM).
Seriez-vous choqué par une réinternalisation de l'Afit France au sein du ministère des transports ? Bien entendu, j'entends vos réserves sur la capacité de l'État à penser les choses sur le temps long. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, nous avons ponctionné la trésorerie dite dormante. C'est la preuve que les opérateurs situés hors du périmètre ministériel ne sont pas préservés de toute coupe budgétaire.
De manière générale, les agences n'ont pas été conçues parce qu'elles ajoutaient une quelconque plus-value, mais parce qu'elles permettaient de répondre à un problème du moment qu'on ne savait pas gérer au sein des structures ordinaires de l'État. Par souci de simplification, nous avons créé un nouvel outil, l'Afit France, sans se demander s'il devait disparaître un jour, une fois les problèmes résolus.
Au-delà de cette agence, nous réfléchissons à la pertinence de toutes les structures parallèles à l'État qui opèrent avec très peu d'effectifs et gèrent parfois des sommes très importantes. Cela nous amène à nous poser la question de la mutualisation.
Nous devons également nous interroger sur le remplacement des personnels en cas d'agents défaillants. On ne peut pas remplacer du jour au lendemain un agent bénéficiant d'un arrêt maladie, puisqu'il est amené à revenir très vite sur son poste. Or cela peut créer un vide dans la mise en oeuvre de l'action publique.
M. Clément Beaune. - J'ai beaucoup d'estime pour le président actuel de l'Afit France, Franck Leroy, qui fait un excellent travail. Une chose est sûre, ce n'est pas cet organisme qui supportera l'ensemble des efforts qui seront inscrits dans le projet de loi de finances pour 2026, surtout qu'il n'emploie que huit agents.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces derniers pourraient être réintégrés au ministère des transports...
M. Clément Beaune. - C'est probablement ce qui se passerait en cas de suppression de l'opérateur, dès lors qu'on doit offrir aux agents publics de la continuité et de la stabilité. Si nous traitons la question sous l'angle des finances publiques, l'éviction de l'Afit France est un faux sujet. En revanche, s'il s'agit de rationaliser la gestion publique dans la durée, vous posez une vraie question, madame la rapporteur. La rebudgétisation doit être la fin de l'histoire ; je le dis à la fois comme ancien ministre des transports et comme responsable public.
L'existence d'une agence telle que l'Afit France ne m'a absolument pas choqué lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des transports. En revanche, je m'étais étonné du mauvais état des routes nationales, en raison de l'absence d'un outil de gestion pluriannuelle.
Si nous supprimions l'Afit France et que nous procédions à la réinternalisation de ses missions et de ses personnels au sein du ministère, nous dégraderions la gestion des infrastructures de transport, faute de garantir la pluriannualité. Reste qu'il existe peut-être des moyens plus intelligents pour gérer divers crédits que de créer une agence en parallèle du ministère.
Pour ma part, je plaide pour l'adoption de lois de programmation en matière de transports. La conférence de financement des mobilités, « Ambitions France Transports », parviendra peut-être elle-même à cette conclusion ; je laisserai le ministre Tabarot et le Gouvernement en décider.
L'Afit France est davantage le symptôme que la cause. Elle constitue sans doute une réponse imparfaite au problème réel de manque de pluriannualité qui frappe le secteur des transports. L'annualité budgétaire est un principe démocratique, mais, vu les évolutions qui se sont produites ces vingt dernières années, depuis la « révolution de la Lolf » - la loi organique relative aux lois de finances -, nous devrions y ajouter la pluriannualité. Or nous n'y sommes pas parvenus : plusieurs crises se sont succédé et le débat parlementaire national, qui demeure souverain, n'a pas abouti à une décision en ce sens.
Néanmoins, nous avons réussi à introduire de la pluriannualité dans certains domaines, tels que la défense : aujourd'hui, la loi de programmation militaire (LPM) est respectée. J'y insiste, des lois de programmation en matière de transports, ou ne serait-ce que des débats pluriannuels sur les crédits du ministère, surtout lorsqu'ils sont concernés par des dépenses d'investissement, sont nécessaires.
Vous avez raison, madame la rapporteur : une agence n'est pas une garantie de stabilité, comme nous avons pu le constater lors de débats budgétaires récents.
L'Afit France, qui vient de célébrer ses vingt ans, a davantage été un outil de pluriannualisation que de dégradation de la gestion de l'infrastructure. Toutefois, je n'ignore pas qu'elle constitue une réponse partielle et imparfaite.
Il faut trancher entre deux solutions : soit nous transférons tout au ministère des transports dans le cadre d'une bonne programmation, en espérant que le Gouvernement n'engage pas de coupes budgétaires trop importantes, soit nous créons une vraie agence disposant de pouvoirs étendus - elle associerait les collectivités et les parlementaires, disposerait d'effectifs plus nombreux et posséderait un conseil d'administration -, au risque de dévitaliser le ministère. Il s'agirait d'une agence de gestion des infrastructures qui, à l'instar d'un opérateur de recherches universitaires, accomplirait ses missions dans la durée. Encore une fois, je reconnais que le système intermédiaire actuel est imparfait.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La question de la pluriannualité est un sujet qui revient souvent dans nos débats. De toute évidence, elle a des aspects très positifs pour les opérateurs : leur budget étant fixé sur plusieurs années, ils peuvent réduire le nombre de leurs équivalents temps plein (ETP) si on le leur demande et mettre en oeuvre telle ou telle politique.
Le problème, c'est qu'une très grande partie du budget de la Nation se trouve préempté avant même toute discussion budgétaire. Cela soulève des difficultés lorsque le cadre budgétaire devient un peu plus contraint chaque année.
Nous en sommes tous convaincus, un opérateur qui a de la visibilité est capable d'engager de véritables stratégies en matière de transformation et de réduction de ses moyens. En effet, il connaît ses objectifs et ne découvre pas à la dernière minute, le 31 décembre, les moyens qui lui sont alloués pour l'année à venir.
Toutefois, cette pluriannualité manque de souplesse et empêche les opérateurs de se réorganiser. Aujourd'hui, en vertu du cadre financier pluriannuel (CFP), le budget européen est fixé et corseté sur plusieurs années. En conséquence, si un événement se produit, nous ne savons plus comment faire pour discuter avec nos partenaires européens.
L'idée des pères fondateurs du Plan était de permettre à l'État de jouer un rôle de stratège, en dessinant le futur du pays et en engageant de grands projets d'aménagement, tels que la mise en place du réseau de lignes à grande vitesse (LGV).
Nous disposons aujourd'hui d'outils qui devraient nous permettre d'être beaucoup plus réactifs. Or force est de constater que nous sommes incapables de conduire des nouveaux projets en matière de transports, alors que les échelles envisagées sont beaucoup plus courtes. Je pense notamment à l'aménagement de petits tronçons autoroutiers, à la desserte de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et au changement du matériel roulant pour les RER.
À l'occasion de la fusion du HCP et de France Stratégie, envisagez-vous de reconstituer la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) ? Cette question a son importance, car nous ne savons pas où nous allons, en dépit du nombre d'opérateurs qui représentent l'État à l'heure actuelle.
M. Clément Beaune. - La Datar était un outil essentiel. Quitte à me référer à une institution désuète, j'assume de parler de « plan » et d' « aménagement du territoire ». Précisément, parmi les axes de travail que j'ai présentés le 10 avril dernier, le HCP entend oeuvrer à la décarbonation et à l'aménagement du territoire. Je suis convaincu que les infrastructures contribuent à la transition écologique et que notre pays a encore besoin de grands projets, notamment en matière de transports, d'énergie, de télécommunications et d'infrastructures. Cela dit, il n'est pas question de renouer avec les projets de reconstruction qui ont marqué la fin des années 1940 et le début des années 1950.
Les projets de transport ne sont pas ralentis en raison de l'absence de vision d'ensemble ; ce sont plutôt nos procédures qui sont en cause. Voilà pourquoi je souhaite que le HCP lance un travail très large sur ce sujet, associant les entreprises de construction, les élus locaux, les parlementaires et des organisations non gouvernementales.
Le droit au recours, qui peut s'exercer tout au long de la vie d'un projet, fait parfois obstacle au développement des infrastructures : autoroutes, LGV et projets de lignes de fret, tels que la ligne transalpine Lyon-Turin. Cela crée une situation sous-optimale, pour le dire en des termes économiques. Les délais de procédure sont longs et on déplore une absence de sécurité juridique, alors que la protection du droit de l'environnement n'est pas meilleure que chez nos voisins européens.
Je ne pense pas que la réponse à ces
difficultés consiste à écraser les procédures
environnementales de consultation. Ces dernières sont définies
par un cadre européen ; on peut toujours le faire évoluer,
mais cela n'est pas si simple et rapide. Il y a surtout une attente sociale qui
dépasse la question écologiste, au sens militant du terme. Les
projets d'aménagement de LGV ou
de lignes à haute tension
ne sont pas systématiquement bloqués par des associations
écologistes radicales. Il arrive aussi que des associations locales et
des élus se mobilisent. Cela révèle une évolution
sociale profonde.
Nous ne reviendrons pas à la phase de reconstruction des années 1950, au nom de laquelle on imposait un projet depuis Paris, qui était réalisé en quelques mois sous l'égide du HCP ou de la Datar.
Il n'empêche que nous pourrions aller plus vite et apporter davantage de sécurité juridique, sans rogner sur les exigences environnementales. Certains de nos voisins, notamment l'Allemagne, vont plus vite que nous, notamment pour la conduite des projets industriels, alors qu'ils sont soumis au même cadre européen.
Il faudrait améliorer la situation en conciliant les impératifs écologiques et la nécessité de conduire des grands projets. Je mènerai un travail en ce sens, dans le cadre d'une commission qui réunira différentes parties prenantes pendant plusieurs mois. Nous tenterons ainsi de proposer certaines évolutions juridiques. Le Parlement sera libre de se saisir ou non de nos recommandations, dans le respect du cadre européen.
L'absence de vision renforce le problème. Il n'existe pas de plan Freycinet du XXIe siècle. Le HCP ne pourra pas agir seul. Il nous faudra donc travailler avec des associations d'élus, des ingénieurs, des entreprises de construction et des associations. L'idée est d'identifier, à titre indicatif, une vingtaine de grands projets d'infrastructures indispensables, dans tous les domaines confondus, qui devraient être réalisés d'ici à 2050 ou 2060.
Beaucoup de travaux de planification sont débattus au Parlement : en témoigne la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, dite LOM. En outre, des membres du Sénat et de l'Assemblée nationale participent au Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et plusieurs travaux en matière énergétique ont été conduits par Réseau de transport d'électricité (RTE). Bref, on voit que la planification trouve sa place dans des domaines bien plus nombreux qu'il y a cinquante ou soixante-dix ans. En revanche, on manque d'une vision globale telle que celle de la Datar ou du Plan.
Sans revenir à des époques révolues, je rêverais qu'on puisse organiser au Parlement, tous les cinq ans, un débat indicatif sur les grandes orientations démographiques, écologiques et technologiques. Cela permettrait de dessiner des cartes, à la manière de Freycinet, sous le regard de tous. Il n'y a pas lieu de procéder à un vote sur chaque quantité produite, secteur par secteur, comme on le faisait dans les premiers temps du HCP : ce n'est ni souhaitable ni faisable. En revanche, il est indispensable d'avoir une vision et une ambition globales.
On échoue à faire adhérer nos concitoyens à la transition écologique, parce qu'on ne leur donne pas à voir les types de projets qui doivent être réalisés. Ainsi, beaucoup ont le sentiment qu'on fait les choses par petits bouts, qu'on place des pièges - pensez au débat sur les zones à faibles émissions (ZFE), par exemple. Au-delà de la planification stricto sensu, seule une vision globale autour de projets positifs permettra d'emporter l'adhésion de nos concitoyens.
Bref, le HCP s'efforcera de soumettre à la représentation nationale et au Gouvernement un plan d'ensemble pour la réalisation de grandes infrastructures et nous nous occuperons également des concessions autoroutières.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Des structures de l'État sont déjà chargées de contrôler les concessions autoroutières. Dans ces conditions, on ne comprend pas pourquoi le HCP devrait intervenir.
Dans votre propos liminaire, vous avez dit vouloir contribuer à réduire les moyens des services du Premier ministre, alors que le HCP en représente une part infime. Comment allez-vous vous y prendre pour déployer un modèle destiné à desserrer les contraintes budgétaires ?
M. Clément Beaune. - Nous avons significativement réduit nos effectifs, sans pour autant dégrader la qualité de notre mission. Ainsi, depuis 2015, France Stratégie a supprimé 39 ETP ; elle emploie aujourd'hui 73 agents. Cette évolution nous a notamment contraints à être plus sélectifs dans nos travaux. Il me semble qu'on peut arriver à concilier une ambition forte avec des effectifs en léger recul. Nous ferons des efforts, mais nous assumerons davantage notre rôle de plateforme.
Vous avez évoqué les concessions autoroutières. Vous le savez, c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. La conférence de financement des mobilités, qui prendra fin à la mi-juillet, abordera cette question sous un angle essentiellement financier.
Les concessions autoroutières posent des questions de société très lourdes : veut-on des contrats courts ou sur long terme ? Doit-on choisir un mode de gestion publique ou privée ? Les autoroutes doivent-elles être gérées en concession ou en régie ? Il nous faudra répondre à toutes ces interrogations dans les deux ou trois années qui viennent.
Dans cette perspective, la mission du HCP consiste à éclairer le débat public. L'Autorité de régulation des transports (ART), qui est l'un des opérateurs d'excellence au sein de l'État, nous permettra d'ailleurs d'y voir plus clair sur la question des concessions autoroutières.
Le HCP ne va pas refaire le travail technique qui a été accompli par l'ART. En revanche, il doit dialoguer avec les partenaires sociaux, les parlementaires, les associations d'élus et les personnes qui disposent d'un savoir académique ou connaissent les pratiques étrangères. On sait, par exemple, que l'Espagne a choisi un modèle d'autoroutes gratuites, ce qui présente beaucoup d'inconvénients par ailleurs.
Bref, l'ensemble de ce travail ne peut pas être assuré par un régulateur, à savoir l'ART.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je ne vois pas ce qui lui interdit de le faire ! Ayant moi-même travaillé au sein d'une autorité de régulation, je sais qu'on peut engager un dialogue entre les représentants des consommateurs ou des industriels et les fonctionnaires du ministère. Aucune règle ne l'interdit.
Notre commission d'enquête a pour objet d'identifier tous les domaines où les services de l'État se chevauchent, ce qui semble être le cas en matière de concessions autoroutières. Or, en se saisissant de cette question très particulière, le HCP se déjugerait, puisqu'il se départirait de son rôle de superviseur et de plateforme. Il conviendrait plutôt de se demander pourquoi l'organisme chargé de cette politique publique n'accomplit pas les actions que vous décrivez.
Si nous voulons que l'État joue son rôle de stratège, veillons à ce qu'une seule et même entité - en l'occurrence, le HCP - ne se perde pas dans un niveau de détail trop important en s'occupant de politiques ciblées.
M. Clément Beaune. - L'ART a un rôle limité : elle ne peut pas proposer des options ou des scénarios trop précis, parce qu'elle a des missions différentes du HCP, qui opère comme une sorte de think tank.
Le coeur du sujet est de savoir qui fait quoi. Il faudrait organiser un débat civique large sur la question des concessions autoroutières, personne n'en doute. En tant que Haut-Commissaire au plan, je conserve une approche très pragmatique : nous refusons d'intervenir lorsqu'un organisme a déjà agi, et mieux que nous. Nous tenons systématiquement à nous inspirer d'un premier travail et nous y ajoutons éventuellement ce qui manque.
En matière de gestion de l'eau, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) reconnaissent que les travaux réalisés par France Stratégie sont les plus précis et les plus qualitatifs.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Aurait-il été gênant que ces travaux soient menés par l'Ademe ?
M. Clément Beaune. - Je vous laisse en juger ; ces travaux auraient pu aussi être conduits par un collectif des agences de l'eau. De même, de nombreux travaux en matière énergétique ont été entrepris par RTE, mais ils auraient très bien pu être réalisés par le ministère de la transition énergétique ou France Stratégie.
Si l'ART publie un nouveau rapport sur les concessions autoroutières en mentionnant quatre scénarios possibles pour l'après-2030, je proposerai que le HCP n'intervienne pas. Je ne cherche pas à élaborer des rapports supplémentaires pour le plaisir, mais, encore une fois, le débat sur les concessions autoroutières est important et l'ART est le socle du travail qui doit être mené en ce domaine.
Il existe deux façons de rationaliser les opérateurs en matière de planification. Soit on met en place un outil unique de planification, soit, pour des raisons historiques et de compétences, on conserve les organismes actuels. Plutôt que de perdre du temps à essayer de faire un jardin à la française parfait avec une seule structure, on peut travailler à évincer les activités redondantes.
On considère souvent que la fusion est la meilleure façon de rationaliser et d'éviter les doublons, mais elle se révèle parfois coûteuse et il est parfois plus efficace de demander à deux organismes distincts de cesser des activités redondantes. Pour ma part, je crois davantage à la rationalisation par la mission.
M. Cédric Vial. - J'ai plusieurs questions à vous poser.
Premièrement, considérez-vous le Haut-Commissariat au plan et France Stratégie comme véritablement indépendantes du pouvoir politique, ou vos travaux répondent-ils au contraire à des commandes des pouvoirs publics ? Vous dites tracer des feuilles de route à long terme, mais il y a cinq ans, le gouvernement auquel vous apparteniez jugeait qu'il fallait sortir du nucléaire, alors qu'on estime aujourd'hui qu'il faut le redévelopper. Quelle aurait été la stratégie du Haut-Commissariat au plan sur un tel sujet ? Aurait-il tracé une ligne indépendante de celle du Gouvernement, permettant de ne pas subir ces vicissitudes relatives aux grandes orientations stratégiques de l'État ?
Ma deuxième question concerne les rendus du Haut-Commissariat. Qu'est-ce qui aurait été différent si cette instance n'avait pas existé ces dernières années ? Quels effets notables ses réflexions et ses rapports ont-ils eus sur l'action de l'État ? C'est un peu flou pour nous.
Troisièmement, vous vous placez dans l'héritage du Plan et dites viser une stratégie à long terme, mais dans votre édito au programme de travail de France Stratégie, vous dites vouloir créer « des “notes flash” sur des questions d'actualité et des contributions extérieures pour faire émerger une pluralité d'avis et de propositions ». Cela me semble en décalage avec les propos que nous venons d'entendre. Vous indiquez aussi vouloir organiser « des débats d'opinion entre grands témoins et des débats citoyens partout en France », mais avec quels moyens et dans quel objectif ? Vous mentionnez aussi la création d'une nouvelle antenne à Bruxelles ; est-ce toujours d'actualité, et à quoi cette antenne pourrait-elle servir ? D'ailleurs, qu'est devenue l'antenne de Pau ?
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie de la fusion que vous annoncez : même si elle ne répondra pas aux besoins de 40 milliards d'euros annoncés par le ministre Lombard, les petits ruisseaux font les grandes rivières, et votre annonce a déjà le mérite d'exister...
Le terme « temps » est revenu à plusieurs reprises dans votre propos liminaire. On se représente souvent le Haut-Commissariat au plan plus comme un organisme coûteux que comme une source d'économies. En effet, quand un pays imagine un projet à cinq ou dix ans, il pense souvent en premier lieu aux coûts et non aux économies que le projet peut engendrer. Là où des économies sont possibles, selon moi, c'est dans la réalisation des projets. En raison de votre expérience, monsieur le Haut-Commissaire, pourriez-vous préciser comment l'harmonisation européenne pourrait aider à réaliser des économies ? Il est certes délicat d'obtenir des chiffres, et vous ne pourrez peut-être pas me répondre immédiatement. Toutefois, ce matin, j'assistais à une réunion sur le spatial : l'Italie, l'Allemagne, la France ont des projets dans ce domaine. S'il y avait une véritable entente européenne, les économies se chiffreraient en milliards d'euros. Comment y parvenir ?
En ce qui concerne la prospective, bien malin qui pourrait dire quelle sera l'énergie du futur. Le général de Gaulle, à une autre époque, avait fait le pari du nucléaire. Vous l'avez dit, faire et défaire a toujours un coût. Comment se fixer une ligne de conduite sur le nucléaire ? La filière est fortement mise à mal, et il faut éviter de la tuer. À un certain moment, on a cru que les énergies renouvelables pourraient pallier les difficultés du nucléaire, mais ce n'est pas le cas.
M. Michaël Weber. - Je suis assez gêné, car la planification est un sujet extrêmement important. Dans les années 1960, ainsi que Mme le rapporteur le rappelait, la mise en place de la Datar visait à répondre à des problématiques concernant l'évolution de la société et l'organisation des territoires qui sont assez similaires à celles que nous connaissons aujourd'hui : c'est la déprise des territoires ruraux et l'attractivité des villes qui ont justifié que l'on s'intéresse à l'aménagement du territoire, aux transports, à l'urbanisme, à l'économie. À mon sens, nous avons détruit cet outil. Le Haut-Commissariat au plan et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) sont interrogés sur ce sujet, mais il me semble que nous avons énormément besoin de planification. Monsieur le Haut-Commissaire, vous avez pris l'exemple de l'autoroute A69. Si nous disposions d'une planification partagée et si l'État exprimait une volonté d'aménagement ou clarifiait les orientations principales en matière d'infrastructures de transport ou numériques, le débat ne se poserait pas de la même façon, et les problèmes liés aux délais de recours et aux réactions de la population ne se poseraient sans doute pas.
Je me demande donc ce que nous avons raté. Vous avez habilement indiqué avoir réfléchi à une fusion, mais pour quelle efficacité ? Si l'on n'arrive pas à corriger le tir en matière de vision stratégique pour l'État, cela ne me semble pas présenter beaucoup d'intérêt. Je suis donc gêné : comment répondre à ce besoin de planification tout en ayant moins de moyens, par cohérence avec les difficultés du moment ?
M. Clément Beaune. - Monsieur Vial, nous sommes au service du Premier ministre. Le commissaire général de France Stratégie et depuis 2020 le Haut-Commissaire au plan - j'ai encore les deux casquettes pour quelques semaines - sont nommés en conseil des ministres, sur la proposition du Premier ministre, par le Président de la République. Le cadre de notre action dépend donc évidemment des choix du Président de la République et du Premier ministre.
Il y a toutefois une double garantie d'indépendance. Nous avons d'abord l'obligation de publier l'intégralité de nos travaux, ce qui est heureux, car nous sommes un service public. Nous n'avons pas de rapport caché. Nous ne sommes donc pas dans la même situation que les inspections ministérielles, qui adressent leurs rapports au ministre, celui-ci décidant souverainement si ces études sont destinées à l'information de ses équipes ou s'il s'agit d'outils de contribution au débat public, susceptibles d'être publiés. Nos études contribuent toutes au débat public, et une fois qu'une étude est lancée, aucun retour en arrière n'est possible.
En outre, lors de la modification du décret créant France Stratégie, en 2017, une charte scientifique a été rédigée pour garantir le respect de l'indépendance et des standards académiques et scientifiques dans la réalisation de ses études. L'an dernier, la moitié de nos études répondaient à des commandes d'un ministre ou du Premier ministre. Toutefois, ces commandes ne portent pas sur le message, mais sur le sujet : nous choisissons librement la façon dont nous réalisons nos études et les messages que nous publions. Il y a ensuite un choix de nomination : comme tout directeur d'administration, si notre travail ne convient pas au gouvernement ou au Président de la République, nous pouvons être remplacés, ce qui me semble sain.
Nous sommes donc une sorte de « think tank d'État », notre indépendance étant assurée par des garanties scientifiques essentielles et par le fait que nous soyons au service du débat public. J'y attache personnellement beaucoup d'importance, et je souhaite mettre dans le débat certains sujets dont j'estime qu'ils serviront non seulement au Gouvernement, mais aussi à l'ensemble des partis politiques et de la représentation nationale, sans être pour autant le porte-voix d'un département ministériel ou du Gouvernement.
Plus largement, je ne pense pas qu'il soit pertinent de conférer à l'entité issue de la fusion le statut d'autorité administrative indépendante. Celui-ci garantit l'indépendance d'autres organismes produisant des évaluations de politiques publiques, celle de la Cour des comptes étant en particulier garantie par la Constitution, mais un tel statut ferait courir le risque d'une confusion des genres. Il est essentiel si l'organisme s'attache à une forme de régulation, car cela lui permet d'assurer qu'il n'est soumis aux intérêts ni publics ni privés, que son président ne cherche pas à être reconduit ou à durer. Toutefois, pour un organisme de réflexion, l'indépendance me semble suffisamment garantie par la publicité de ses rapports et par leur qualité scientifique. J'irai même un peu plus loin : si nous publiions des études sans intérêt ou dont les chiffres seraient faux, cela se verrait. Nous sommes donc en quelque sorte régulés par l'exigence scientifique.
Depuis la création du Haut-Commissariat au plan à l'automne 2020, dix-neuf études ont été réalisées. Chacun pourra juger si ce nombre est ou non suffisant. Je ne porterai pas de jugement uniquement sur le fondement de ce chiffre, mais c'est plus que ce qui est parfois avancé. Ces travaux ont été éclairants dans le débat et les choix publics sur deux thèmes en particulier. Un rapport rendu sur le rôle du nucléaire dans la souveraineté énergétique a contribué au débat de manière importante. Une étude sur la question démographique a été également rendue à un moment où ces questions et leurs impacts sur les services, les politiques et les comptes publics n'étaient pas encore au centre du débat.
Nulle contradiction entre l'ambition du long terme et les « notes flash » que je défends : il s'agit de notes que nous produisons rapidement, qui peuvent ensuite donner lieu à un rapport plus long. Je ne voudrais pas que nous soyons cantonnés à produire une étude tous les dix-huit mois, sans aucun écho dans le débat public. Nous sommes payés par le contribuable, et nous devons justifier notre utilité au service de tous. Il nous faut donc éclairer les débats du moment pour être utiles dans le temps long, qu'il s'agisse de l'effort de défense, ou du débat sur le rétablissement d'un service civique ou national. Nous ne saurions répondre aux crises du moment, aux actualités du jour, ni soumettre une proposition au débat parlementaire ou à une réglementation. Éclairer le débat sur le temps long ne signifie pas être déconnecté des préoccupations du moment. Sur les questions démographiques, écologiques, sur le nucléaire, la réindustrialisation ou sur les conséquences de consacrer 3,5 % ou 5 % du PIB à l'effort de défense en 2035, cela revient à examiner des décisions qui sont prises maintenant, mais qui ont des conséquences sur le temps long.
Nous produisons ces notes rapidement pour éclairer les décisions qui se prennent dans les semaines ou les mois qui suivent, afin de contribuer à éclairer le débat public en exposant les effets dans le temps long des décisions actuelles. Comme je le dis à mes équipes, nos travaux doivent être à la fois ancrés dans le temps long et connectés au débat d'actualité. J'insiste sur cet « en même temps » : nous ne devons pas étudier des sujets sur le temps long qui n'ont aucune résonnance dans l'actualité, ou faire des propositions pour faciliter la réalisation du budget 2026 - c'est au ministère des finances et au Parlement d'en décider. En revanche, il relève de notre travail d'énoncer une stratégie de finances publiques à l'horizon de 2030 ou de 2035, avec d'autres experts, bien entendu. Nous avons d'ailleurs été missionnés par Amélie de Montchalin et Éric Lombard pour proposer des scénarios de finances publiques à l'horizon de 2035, ce qui ne correspond pas au travail quotidien du ministère ou de la direction du budget. Avec ces « notes flash », nous ne voulons pas faire le buzz chaque jour, mais éclairer rapidement des débats qui ont des conséquences sur le temps long.
J'assume le côté vintage des exercices du plan que vous avez évoqués. Je le disais, nous n'ajouterons pas notre grain de sel dans les discussions de la secrétaire générale de la CGT avec le président du Medef, dans celles des organisations syndicales dans une entreprise, une branche ou au sein du conclave. En revanche, il me semble utile de demander à des personnalités défendant des modèles sociaux opposés de discuter plusieurs heures sur l'horizon de 2030 ou de 2035, ainsi que cela a été fait depuis Jean Monnet. Alors que l'opinion est polarisée, fragmentée, voire assez vindicative, notre travail est aussi d'organiser et de rendre possibles des débats entre des responsables locaux et des élus nationaux, pour désamorcer les questions relatives aux dépenses locales. Je vous rassure, cela ne sera pas le coeur de notre métier. Je suis d'ailleurs en train de recevoir l'ensemble des organisations représentatives, patronales et syndicales, qui sont toutes intéressées pour discuter du modèle social, du financement des retraites et du grand âge à l'horizon de 2035. Il n'y a pas d'autre lieu pour tenir ces discussions, à condition que cela débouche sur des propositions pour le débat public.
L'antenne de Pau sera prochainement clôturée. En revanche, une présence modeste - il s'agit d'une personne - à Bruxelles serait utile pour porter à l'échelle de l'Europe nos idées sur la souveraineté européenne, sur le renforcement du budget de défense européen. Dans un effort d'économies, nous pouvons y contribuer en lien avec d'autres organisations : j'ai proposé au directeur du centre d'analyse, de prévision et de stratégie du Quai d'Orsay que cette personne soit notre employé conjoint, pour éviter que chaque boutique n'ait son ambassadeur à Bruxelles. En matière de planification, il faut renforcer notre connexion avec les institutions européennes pour mieux vendre nos idées et se saisir des idées présentes dans le débat européen, à condition que les frais de personnels ne soient évidemment pas démesurés.
Nous sommes des éclaireurs, et non des décideurs publics. L'exemple du secteur spatial est très pertinent : sur un tel secteur, peu importe que cela soit nous ou des ministères qui fassent ce travail, mais il faut réfléchir à une stratégie de lanceur européen plus intégrée que les fragmentations croissantes que nous avons observées ces dernières années entre la France, l'Italie et l'Allemagne, car cela constitue une source d'économie. En réponse à la mission confiée par Éric Lombard et Amélie de Montchalin, nous éclairerons les scénarios de finances publiques à l'horizon de 2035, mais nous ne déciderons pas des sources d'économies prochaines. Le Gouvernement et le Parlement décideront. J'espère que notre travail, public, sera utile tant pour le Gouvernement que pour le Parlement, et qu'il permettra d'identifier des pistes d'économies. Lorsque nous exposons les choix de finances publiques impliqués par un effort militaire, nous contribuons - je l'espère - au débat public, avant que le Gouvernement et le Parlement ne disposent. Nous sommes des éclaireurs face aux décideurs, conformément à l'ADN du plan.
Pour revenir sur les propos de plusieurs intervenants, je pense que nous pouvons mener à bien nos missions avec assez peu d'effectifs, à condition de conserver notre fonctionnement en plateforme. Sous Jean Monnet, il y avait moins de 20 ETP au Plan. Je rassure mes équipes, je ne veux pas que nous soyons aussi peu nombreux, mais il me semble que nous pouvons faire beaucoup avec des effectifs relativement modestes, parce qu'ils sont de très grande qualité, mais aussi parce que si nous sommes un agrégateur, nous pouvons être le lieu où se retrouvent des compétences et des expertises sans doublons.
Je ne prétends pas que si le plan avait fait une étude de plus ou de moins, cela aurait tout changé sur la démographie médicale ou la stratégie énergétique. Nous pouvons néanmoins mettre un peu de cohérence et de stabilité dans le débat. Il y a quelques jours, je présentais devant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale un rapport sur la réindustrialisation. Nous avons fait une étude très utile en la matière : si l'on veut d'ici à 2030 ou à 2035 consacrer 12 % du PIB à l'industrie et non plus 10 % - la marche semble modeste -, il faut beaucoup de foncier disponible, ce qui impliquerait un nouveau débat sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN), il faut des productions électriques supplémentaires, il faut des compétences d'ingénieur et de technicien. Pour que la stratégie de réindustrialisation ne reste pas une posture, plusieurs autres politiques publiques doivent donc en découler. Sur le plan énergétique, par exemple, il faudra bien évidemment relancer la filière nucléaire, mais il faudra aussi augmenter nos capacités de production d'énergies renouvelables, notamment avant 2035, date avant laquelle les nouveaux réacteurs ne seront pas disponibles. Ces choix restent politiques, mais des cohérences internes doivent être respectées : si l'on veut réindustrialiser le pays tout en maintenant nos ambitions de transition énergétique, il faut les deux énergies, le nucléaire et les renouvelables. Nous pouvons éclairer ce type de débat, en montrer les cohérences ou les incohérences.
Monsieur Weber, sans entrer dans le détail des projets, il me semble que la réalisation des grands projets dans de bonnes conditions et dans des délais rapides et la vision d'ensemble sur la cartographie de nos infrastructures sont deux problèmes distincts. Cette cartographie est nécessaire, mais elle n'accélérera pas elle-même les projets ou ne diminuera pas les oppositions à leur égard. Je vous rejoins toutefois : sans adopter un Gosplan, si nous avions une vision d'ensemble au lieu d'avoir de temps en temps des lois d'orientation des mobilités, des travaux du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) sur l'infrastructure de transports, d'autres travaux sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), si une carte de France unifiée des grandes infrastructures pouvait être présentée au Parlement ou au Conseil économique, social et environnemental (Cese), cela faciliterait l'information et peut-être en partie l'acceptabilité des projets.
En matière d'acceptabilité, il me semble que d'autres outils doivent être mobilisés. Je ne crois pas qu'il faille écraser les procédures environnementales ou d'urbanisme. En revanche, pour reprendre l'exemple de l'A69, une des raisons qui expliquent qu'un projet devient inacceptable, c'est la durée induite par les recours. J'ai souvent été confronté à des associations qui, de bonne foi, me disaient qu'un projet était pertinent il y a 25 ans, mais qu'il ne l'est plus aujourd'hui. On a mis dix ans à réaliser les études, dix ans à discuter, cinq à faire les recours - je caricature volontairement, mais il y a un lien entre la rapidité d'exécution et l'acceptabilité. Je ne dis pas qu'il faut tout écraser, mais je suis convaincu - cela tient peut-être d'une naïveté enthousiaste - que l'on peut faire des projets tout aussi concertés, plus rapides et plus sécurisés juridiquement.
Par ailleurs, il s'agit d'une discipline collective. Je ne cherche pas à nous assigner une place trop importante : il faut que les responsables politiques et publics - je me considère encore comme tel - rappellent tous qu'il n'y a pas de projet d'infrastructure sans inconvénient. Il faut le dire à ceux qui cherchent la pierre philosophale de projets d'infrastructure sans inconvénient environnementaux, climatiques ou de biodiversité : elle n'existe pas. Il y a toujours un bilan socio-économique et écologique à mener, mais il faut avoir le courage de dire que tout choix a des avantages et des inconvénients. Chacun a son avis sur les LGV Lyon-Turin ou Bordeaux-Toulouse ou sur l'A69. À la fin, il est normal qu'il y ait un débat politique. Lorsque j'étais ministre des transports, j'étais favorable à l'A69, car très majoritairement, les élus locaux y étaient très majoritairement favorables. J'ai estimé que respecter la volonté locale relevait d'une éthique politique et démocratique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avant de vous saisir d'un sujet, vérifiez-vous si une autre agence de l'État n'est pas mieux équipée que vous pour mener ce travail ? Vous avez parlé des scénarios de finances publiques à l'horizon de 2035 : même si vos agents sont hautement compétents, il faut pour établir de tels scénarios disposer de modèles et de données. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est une instance indépendante. Pourquoi ne pas lui confier cette mission, et pourquoi ne la remplirait-elle pas mieux que vous ?
Nous sommes là pour rationaliser, et donner aux citoyens le sentiment que l'État a une voix unique, qu'il n'y a pas de doublons, lesquels sont à l'origine du sentiment de méfiance de nos concitoyens, entraînant les votes contestataires. Autant je partageais votre vision sur le besoin de recréer une instance de planification portant une vision globale, autant sur les sujets particuliers que vous avez évoqués j'ai l'impression que le travail du commissariat fusionné viendrait à chaque fois en doublon de structures dont ces missions constituent pourtant le coeur de l'activité.
M. Hervé Reynaud. - Nous sommes dans une période paradoxale : nous manquons d'anticipation, de prévisibilité, de planification, mais lorsque l'on parle d'agences et d'organismes d'État, le Haut-Commissariat au plan est immédiatement dans le collimateur. Ne pensez-vous pas que c'est parce que ces travaux de planification sont largement partagés par d'autres administrations susceptibles de produire des rapports ? Plusieurs parlementaires ont émis des doutes sur le bilan de votre prédécesseur et sur l'impact des avis du Haut-Commissariat au plan dans le débat public. Quels éléments pourriez-vous apporter pour répondre à ces critiques ? L'antenne de Pau a probablement été créée pour convenance personnelle : c'est le genre d'éléments qui décrédibilisent votre démarche. La création d'une antenne à Bruxelles semble plus adaptée.
M. Christian Bilhac. - Pour ma part, je suis un supporter inconditionnel du Plan et de Jean Monnet. Le Plan et la Datar ont permis l'aménagement touristique du Languedoc, avec la mission conduite par Pierre Racine. Toutefois, avec Jean Lecanuet, le Plan commençait déjà à ne pas être fringant. Quelques semaines avant votre naissance, monsieur le Haut-Commissaire, le Plan a été froidement et cyniquement exécuté par M. Mitterrand, alors Président de la République, qui a enfermé le cadavre du Plan et son gardien Michel Rocard dans un placard fermé à double tour. Depuis, nous en sommes restés là.
On ne peut pas dire qu'il y a eu une planification pour le déploiement de la fibre. Nous avons nationalisé les pertes et privatisé les profits. Le système de partage entre les opérateurs et les collectivités locales coûtera demain une fortune à ces dernières.
Vous avez cité plusieurs infrastructures, auxquelles vous auriez pu ajouter la LGV entre Montpellier et la frontière espagnole, pour laquelle les réunions se succèdent depuis trente ans, sans qu'un mètre de rail ait été posé. Bientôt se tiendra un débat sur le ferroutage - on pourrait faire un rapport. Soit, mais permettez-moi d'être direct : ne deviendrez-vous pas une succursale ou un concurrent du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) ? Je dois demander un renforcement des étagères de mon bureau, tellement leurs rapports arrivent en nombre, sur tous les sujets !
Un dernier mot au sujet de la représentation à Bruxelles : veuillez m'excuser, mais même s'il est difficile de suivre l'activité ministérielle, je pensais qu'il y avait un ministre des affaires européennes. N'est-il pas le représentant des intérêts français à Bruxelles ?
M. Clément Beaune. - Madame la rapporteur, je vous répondrai : Oui. Je veux que nous ne nous saisissions d'aucun sujet traité ailleurs, même si je ne peux pas entièrement garantir que chaque recoin d'étagère de chaque ministère est vérifié.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Malgré mon tropisme pour les questions d'infrastructures et de transport, je suis respectueux des formes : le Premier ministre et le ministre des transports ouvriront la conférence de financement des mobilités, dont l'atelier n° 2 est consacré aux concessions autoroutières. Cet exercice se terminera en juillet prochain. Soit tout aura été dit, et je ne demanderai pas de travail sur ce sujet, soit sur la base de ce socle un travail utile pourra être mené, et nous nous y emploierons.
Pour l'exercice de finances publiques, nous sommes un éclaireur, mais aussi un prestataire public - je l'assume. Cette commande a été faite par les ministres de l'économie et des comptes publics, Éric Lombard et Amélie de Montchalin. Juste avant ma nomination, ils ont réclamé un travail sur les grandes tendances de finances publiques, car leurs services étaient déjà très occupés pour réaliser le budget annuel. Ils ont même demandé, de manière utilement audacieuse, si ce travail pouvait être mené conjointement avec la Cour des comptes. Cela soulève une question statuaire, et le premier président de la Cour des comptes décidera comment nous pouvons travailler ensemble, tout en respectant son autonomie constitutionnelle. Je suis à sa disposition.
Si Bercy ne me demandait pas ce travail et dégageait des ressources internes pour le mener, cela m'irait très bien. Lorsqu'il s'agit de temps long, qu'il faut faire intervenir des compétences interdisciplinaires et réaliser des comparaisons européennes, nos services sont utiles. Je précise qu'aucun rapport du Haut-Commissariat au plan n'est rédigé sans concertation avec les administrations concernées. Nous ne rédigerons pas dans notre coin un rapport sur la stratégie de finances publiques pour 2035 sans travailler quotidiennement avec les directions du budget ou du Trésor. Monsieur Vial, c'est aussi l'avantage d'être au sein de l'État, avec un certain degré d'autonomie - nous sommes un animal hybride -, au service des politiques publiques. Si un travail est fait ailleurs, nous ne le faisons pas. Vu de Sirius, on peut considérer qu'il y a assez de travaux et d'effectifs consacrés à la planification et au temps long, mais il me semble qu'en réalité il n'y en a pas assez. Ainsi que M. Haye l'a indiqué, ces quelques effectifs - il s'agit sûrement de 200 à 300 personnes, sur les 5 millions d'agents publics - sont source d'efficacité et d'économies, s'ils remplissent bien leur mission. Si en 1946, dans un contexte autrement plus difficile, la dernière décision du général de Gaulle a été de créer un Commissariat général au plan, alors qu'il y avait quelques autres urgences à gérer, c'est qu'il considérait que cette boîte à idées était utile. À nous et à moi de prouver aujourd'hui que tel est toujours le cas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande donc humblement de juger sur pièces : je suis prêt à vous présenter chacun de nos travaux publics et disponibles pour les assemblées. Nous sommes souvent sollicités par des commissions permanentes ou par des commissions d'enquête pour nourrir des travaux parlementaires. Des parlementaires de différentes sensibilités considèrent que nos travaux peuvent utilement éclairer le débat. Nous sommes un acteur complémentaire et prestataire, de petite taille, ce que je revendique, car c'est ainsi que nous restons économes et efficaces.
Monsieur Bilhac, je vous remercie d'être un supporter inconditionnel du Plan. Là encore, vous ne croirez que ce que vous verrez. Monsieur Reynaud, pour des raisons amicales ou hiérarchiques, je ne me lancerai pas dans un inventaire des réalisations de mon prédécesseur au Haut-Commissariat au plan ou de mes prédécesseurs à France Stratégie, car mon jugement subjectif n'apporterait pas grand-chose. Là encore, je vous demande de juger sur pièces et de regarder les dix-neuf rapports produits, dont plusieurs ont eu un impact important dans le débat public. Il est toujours difficile de mesurer l'impact exact d'études de prospective dans le débat public, ce qui a toujours été le cas pour toutes les structures d'étude et de prospective.
Je l'assume, nous devons avoir une représentation très modeste à Bruxelles. Le ministre des affaires européennes s'y rend régulièrement, mais n'y réside pas, alors que l'agent qui y sera détaché sera le représentant de l'équipe de France, de la représentation permanente à Bruxelles, du secrétariat général des affaires européennes, du ministre des affaires européennes, du centre d'analyse, de prévision et de stratégie sous l'autorité du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. C'est pour cette raison que j'ai moi-même proposé que cette personne soit un outil supplémentaire au service du Quai d'Orsay et des instances parlementaires. Il y a beaucoup moins de Français présents à Bruxelles que d'Allemands qui y défendent les intérêts des différents Länder ou le gouvernement fédéral. Leur sens de l'équipe est massif lorsqu'il s'agit notamment des normes industrielles, alors qu'en France nous sommes insuffisamment nombreux et coordonnés. Il faut au moins une personne au service de l'équipe de France.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous vous remercions de vos explications et de vos projections. Il serait intéressant que vous consolidiez le coût complet de fonctionnement de votre structure. La secrétaire générale du Gouvernement nous a indiqué que jamais personne n'avait mesuré le coût de fonctionnement des structures administratives qui ne disposent pas d'une ligne budgétaire dédiée. J'ai entendu que vous étiez peu nombreux, mais que vous vous appuyiez beaucoup sur les ministères avec lesquels vous travaillez. Il serait utile que chacun de vos rapports précise combien d'heures de travail ont été nécessaires à sa rédaction, au-delà des agents du Haut-Commissariat, pour que nous nous fassions une idée de ce que coûte la structure de planification et de prospective. Nous ne remettons pas en cause son utilité, mais nous voulons qu'elle soit la plus efficiente possible dans la sphère publique.
M. Clément Beaune. - Cela ne devra pas prendre trop de temps, car sinon vous nous reprocheriez d'être occupés par des missions peu utiles, mais nous relevons le pari, madame la rapporteur.
J'y insiste, ce modèle de prestataire, de plateforme ou de carrefour, qui date de 1946, est assez économe et efficace. Si j'avais une conviction à partager, en tant qu'engagé du service public, je considère que l'on y manque, en l'état, d'un sens du temps long. Nous ne sommes pas tout seuls, et cette mission peut être remplie ailleurs, mais force est de constater qu'il semble plutôt y avoir pas assez de personnels qui se consacrent à cette tâche.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions du temps que vous avez accordé aux travaux de notre commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement
MARDI 6 MAI 2025
z M. Pierre Barros, président. - Nous recevons M. Bruno Bonnell, ancien député, pour ses fonctions actuelles de secrétaire général pour l'investissement, accompagné de Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe.
Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) est chargé, sous l'autorité du Premier ministre, d'assurer la cohérence et le suivi de la politique d'investissement de l'État au travers du déploiement du plan France 2030. Rappelons que ce plan représente une enveloppe totale supérieure à 50 milliards d'euros, dont 40 milliards d'euros pour financer des investissements stratégiques et 10 milliards d'euros pour financer les écosystèmes d'innovation. Vous pourriez d'ailleurs, monsieur le secrétaire général, revenir sur ce point particulier.
Notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Si le SGPI ne relève pas de ces catégories - c'est un service du Premier ministre -, il est au contact de plusieurs grands opérateurs à qui est confiée la mise en oeuvre du plan France 2030, tels que Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). C'est en recevant ces opérateurs que nous avons ressenti le besoin de nous adresser également à vous, afin de mieux évaluer le rôle qu'ils jouent, compte tenu des montants financiers en jeu : chacun d'entre eux gère plusieurs milliards d'euros au titre du plan France 2030, pour des investissements qui ont pour objectif de jouer un rôle stratégique dans l'évolution à moyen terme de l'économie.
Il serait donc utile, dans un premier temps, que vous nous rappeliez le cadre dans lequel se passent vos relations avec ces opérateurs : selon quelles procédures ont-ils été choisis après l'approbation initiale du plan France 2030 par le Parlement ? Des réallocations de crédits ont-elles lieu entre opérateurs, lorsqu'une action se révèle infructueuse ? Quel contrôle exercez-vous à l'égard des opérateurs et assimilez-vous ce contrôle à une forme de tutelle, en plus de celle qu'exercent les ministères pour les activités courantes de ces opérateurs ?
Nous vous poserons également des questions que nous posons souvent aux opérateurs ou à ceux qui travaillent avec eux : était-il indispensable que les différents programmes du plan France 2030 soient confiés à des agences, et non à l'État central lui-même ou à des organismes indépendants, voire privés ? D'une manière générale, pensez-vous que la forme juridique de l'opérateur permet à ce type d'action d'être exercée avec plus d'efficacité que si elle était confiée à l'administration centrale ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Bonnell et Mme Géraldine Leveau prêtent serment.
Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe pour l'investissement. - Je précise que je représente l'État au conseil d'administration de l'établissement public industriel et commercial (EPIC) Bpifrance.
M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Le plan France 2030 a été annoncé par le Président de la République en octobre 2021 sous la forme d'une dizaine d'objectifs d'innovation de pointe. Parmi ces derniers figuraient notamment le développement d'un premier lanceur satellitaire à orbite basse, la fabrication en France de 2 millions de véhicules électriques d'ici à 2030 ou encore la présentation d'un prototype de petits réacteurs nucléaires. L'allocation des fonds de ce plan était donc ciblée sur ces objectifs précis, en complément de stratégies d'accélération qui avaient été engagées, quant à elles, par le dernier programme d'investissements d'avenir, le PIA 4, dans un certain nombre de domaines d'innovation sur lesquels nous reviendrons.
Le plan se déploie via des opérateurs sélectionnés pour leur expertise sectorielle ainsi que, d'une façon générale, pour leurs capacités en matière de ressources humaines, d'ingénierie et d'efficacité opérationnelle.
Le premier opérateur est Bpifrance, partenaire de l'innovation industrielle et des start-up. Bpifrance a démontré à plusieurs reprises sa capacité à déployer rapidement des fonds d'amorçage, de croissance ou d'industrialisation.
Le deuxième est l'Agence nationale de la recherche, qui dispose d'une expérience dans le financement de la recherche académique, et dont les processus d'évaluation interne sont particulièrement rigoureux.
L'Ademe est le troisième opérateur. Elle intervient sur tous les projets liés à la transition écologique, c'est-à-dire à l'énergie, aux mobilités, à l'économie circulaire ou encore à la décarbonation.
Enfin, le quatrième opérateur est la Banque des territoires, bras armé de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour tout ce qui concerne les enjeux territoriaux, et en particulier les projets relevant de stratégies d'accélération à vocation sociale, éducative ou de cohésion.
Voilà donc les quatre opérateurs avec qui nous travaillons. Je ne sais pas si le terme de tutelle est adapté, je préfère pour ma part parler d'une forme de délégation. Nous déléguons ainsi à ces opérateurs un certain nombre de budgets et de responsabilités, notamment la sélection de nos différents lauréats.
Le mécanisme selon lequel fonctionne France 2030 est le suivant. Nous émettons des appels à projets à partir des thèmes et objectifs qui nous ont été assignés à l'origine, sur des sous-ensembles de ces objectifs. Les sociétés répondent à ces appels par l'intermédiaire des différents opérateurs que je viens de citer et ce sont les opérateurs eux-mêmes qui sélectionnent les candidats, en fonction de critères d'excellence, pour en faire des lauréats France 2030.
Les opérateurs font donc le travail de sélection et de diffusion de l'information. Ils présentent au Premier ministre les candidats qu'ils ont choisis pour que celui-ci entérine, par ce que l'on appelle une « décision Premier ministre », ce passage du statut de candidat à celui de lauréat. Ils contractualisent alors avec les lauréats, afin que nous puissions débloquer les fonds de soutien économique.
Nous intervenons de trois manières : sous forme de subventions ; par des avances remboursables, c'est-à-dire des prêts, avec possibilité de remboursement en cas de succès des projets ; et, dans des cas particuliers, en consolidant les fonds propres des entreprises lauréates. Je précise que la mécanique qui conduit éventuellement à investir en fonds propres dans les différentes structures passe par des comités d'investissement qui sont indépendants de l'État et qui sont soumis aux règles classiques des comités d'investissement « avisés » : ces comités agissent indépendamment de toute influence de l'État.
Vous nous avez interrogés sur l'efficacité de ce mécanisme. Je donnerai simplement un ordre de grandeur : nous avons engagé, en trois ans et demi, plus de 38 milliards d'euros sur les 54 milliards d'euros du plan initial, et sélectionné 7 500 lauréats, soit un candidat sur trois ou quatre. Ainsi, les 7 500 sélections représentent au minimum 25 000 dossiers à traiter. Si nous devions le faire en interne, il nous faudrait recruter des centaines d'agents.
Mme Géraldine Leveau. - Notre schéma d'emplois est de 56 équivalents temps plein (ETP) et le SGPI emploie au total 70 agents, sachant que nous en mettons un certain nombre à disposition des ministères.
M. Bruno Bonnell. - Avec une telle équipe opérationnelle de 70 personnes, il nous serait impossible de gérer nous-mêmes les milliers de dossiers que nous recevons. Les opérateurs sont donc indispensables dans la mise en oeuvre du plan France 2030.
Vous avez posé par ailleurs une question plus technique sur l'allocation de l'enveloppe du plan : 40 milliards d'euros d'un côté, 10 milliards de l'autre. Je laisse la secrétaire générale adjointe y répondre.
Mme Géraldine Leveau. - Avant cela, je rappelle que la loi de finances qui a créé les programmes d'investissements d'avenir, auxquels a succédé le plan France 2030, impose que l'argent soit distribué par des opérateurs. Ce mécanisme a été prévu par le législateur et intégré à la loi de finances. Deux opérateurs sont désignés par la loi, l'Ademe et la Caisse des dépôts et consignations, les dix autres ayant été précisés par décret. D'un point de vue réglementaire, nous pouvons donc avoir recours à douze opérateurs. Toutefois, comme l'a rappelé le secrétaire général, nous avons décidé, dans le cadre de France 2030, de limiter le nombre d'opérateurs à quatre, pour une meilleure lisibilité, un meilleur suivi, un meilleur pilotage et une meilleure performance. Nous avons ensuite distribué les dispositifs en fonction des compétences de chacun.
Quant à la répartition entre les objectifs stratégiques et le soutien aux écosystèmes, elle se fait via les deux programmes budgétaires qui sous-tendent la mission. Nous échangeons régulièrement avec vos collègues de la commission des finances à ce sujet.
Dans les grandes lignes, le soutien structurel à l'innovation s'appuie sur deux jambes. La première soutient les entreprises innovantes et relève du périmètre de Bpifrance. L'autre jambe, le soutien aux écosystèmes d'enseignement supérieur et de recherche, est logiquement confiée à l'Agence nationale de la recherche. La répartition est en réalité budgétaire. Nous pouvons décider, dans le cadre de l'autorisation parlementaire, de revoir la distribution des enveloppes entre opérateurs et de rétablir des crédits, mais nous ne pouvons pas le faire sans en informer le Parlement.
Il en va de même quand il s'agit de modifier le corpus juridique de France 2030, et donc le cadre conventionnel qui nous lie aux opérateurs. Le secrétaire général l'a dit, nous n'exerçons pas une tutelle sur ces derniers. En revanche, nous entretenons avec eux une relation conventionnelle : une convention par action budgétaire et par opérateur est signée entre le Premier ministre et les ministres concernés, en général les ministres de tutelle de ces opérateurs. Par exemple, pour ce qui est de Bpifrance, la convention est signée par le ministre chargé de la transition écologique, le ministre de l'économie et des finances, le ministre chargé de la recherche, et évidemment le Premier ministre, dont nous dépendons.
Ce cadre conventionnel fixe les missions qui sont attendues de l'opérateur - éligibilité, instruction des dossiers, contractualisation, communication et diffusion d'informations -, mais aussi, évidemment, les modalités d'évaluation et les conditions du retour financier à l'État. Le secrétaire général l'a en effet rappelé, nous distribuons une partie des aides sous forme d'avances récupérables. Il faut donc que nous constations les recettes quand elles reviennent et tout cela mérite d'être suivi.
Nous avons accompli un important travail de simplification, si l'on songe que dans le cadre des trois premiers PIA nous avions 110 conventions différentes avec les opérateurs, 110 comitologies et autant de frais de gestion différents. Rien n'était harmonisé. Le principe retenu pour France 2030 consiste à signer une convention par action budgétaire, sachant qu'une même action peut faire intervenir plusieurs opérateurs. Il y a, dans ces cas-là, plusieurs bénéficiaires : une convention chapeau fixe la gouvernance et une convention financière par opérateur détermine des frais de gestion forfaitisés et harmonisés. Nous ne raisonnons plus, dans ce cadre, en pourcentage de chaque action. Auparavant, les frais de gestion pouvaient varier de 1 % à 12 % des actions. Je n'étais pas en poste à l'époque et nous avons du mal à en connaître les raisons, mais ces taux étaient fixés par avance.
Nous avons donc décidé de forfaitiser les tâches : nous rémunérons l'opérateur pour le travail de cadrage des dispositifs, puis, pour chaque dossier, nous le rémunérons pour l'éligibilité, pour l'instruction, pour la contractualisation, pour le suivi et pour l'évaluation. En gros, chaque tâche vaut « x » et, tous les ans, en fonction du nombre de dossiers, nous rémunérons les opérateurs 10 x, 100 x, etc. Le taux journalier moyen varie selon l'opérateur, puisqu'il relève de leur politique salariale et de leur statut, société anonyme, EPIC ou établissement public administratif, comme l'ANR. Grâce à ce travail de forfaitisation des frais de gestion, nous sommes capables de suivre très finement ce que coûte réellement France 2030 en frais de gestion. Cette information figure d'ailleurs dans le jaune budgétaire que nous vous transmettons tous les ans au moment de l'examen du projet de loi de finances.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le secrétaire général disait que la gestion des dossiers en interne exigerait mille emplois supplémentaires. En réalité, ces emplois, nous les retrouvons à l'Ademe, à l'ANR ou à Bpifrance, sauf qu'ils ne sont pas visibles dans les effectifs du SGPI : les personnes qui instruisent les dossiers sont payées indirectement, via les frais de gestion. Ce fonctionnement requiert donc bien de la masse salariale.
Par ailleurs, permettez-moi de remarquer qu'un taux de sélection d'un sur trois n'est pas exceptionnel. La concurrence n'est pas rude pour être lauréat de France 2030 ! Il ressort des auditions que nous avons menées que le taux de sélectivité peut être beaucoup plus faible.
Ma première question porte sur le fonctionnement. Aujourd'hui, vous vous appuyez sur quatre opérateurs pour traiter de sujets divers et variés, qui sont bien plus larges que le périmètre de quatre politiques publiques. Trouvez-vous cela efficace et efficient ?
Je prendrai un seul exemple : on est venu demander à l'Ademe de s'occuper de sujets forestiers qui ne relèvent pas du tout de son coeur de compétence. Pour répondre à l'injonction, l'Ademe a dû recruter des agents. N'aurait-il pas été plus pertinent de se tourner directement vers l'opérateur public qui s'occupe des forêts, à savoir l'Office national des forêts (ONF) ? J'ai choisi ce cas d'école, car nous l'avons déjà évoqué dans le cadre de notre commission d'enquête, mais nous pourrions multiplier les exemples, même si cela nous inviterait à réinterroger la nature même de France 2030. Certes, il est plus simple pour le SGPI de n'avoir que quatre interlocuteurs. Est-ce toutefois très rationnel, dès lors qu'il s'agit de traiter sinon des niches, du moins des sujets qui ne sont pas au coeur des politiques publiques sur lesquelles interviennent les opérateurs concernés ?
M. Bruno Bonnell. - Tout d'abord, j'ai parlé non pas de mille personnes, mais de centaines d'agents, et je le confirme. Leur statut n'est pas tout à fait le même que s'ils étaient employés en interne. Si nous versons des frais de gestion aux opérateurs, c'est pour qu'ils gèrent eux-mêmes les personnes qu'ils emploient afin d'exécuter la tâche qui leur est confiée.
Votre deuxième remarque porte sur la sélectivité. Nous parlons ici d'innovation. C'est un domaine très particulier dans lequel on lance des appels à projets, par exemple sur des matériaux très spécialisés ou sur des technologies très avancées qui sont d'une complexité folle. Le fait même que l'on reçoive des candidats et que le taux de sélectivité soit d'un pour trois à un pour quatre signifie surtout que la dynamique d'innovation est intéressante dans notre pays. Et nous en tirons le meilleur.
J'en viens à votre question. Géraldine Leveau a mentionné que nous recensions, avant France 2030, pas moins de 110 conventions, avec toute la documentation, le suivi, la complexité et la comitologie qui vont avec, et dont nous pourrions débattre de l'efficacité. C'est donc au nom de l'efficacité qu'il a été décidé de ramener le nombre d'opérateurs à quatre. Je n'étais pas en fonction à l'époque ; cette décision appartient à mon prédécesseur, mais je lui en sais gré. L'objectif était de simplifier le rapport à l'État et de confier à l'opérateur la responsabilité de la gestion des dossiers. C'est la raison pour laquelle j'évite de parler de tutelle. Nous signons donc une convention avec les opérateurs, et il est arrivé que certains refusent des dossiers au motif qu'ils n'avaient pas la compétence requise pour les traiter. Si un opérateur a la liberté de refuser un dossier, il a aussi la liberté de dire qu'au contraire il l'assume et trouvera les moyens de le traiter.
Je précise également que, dans certains domaines, une délégation d'un opérateur vers un autre est possible. Tel est le cas par exemple avec le Centre national d'études spatiales (Cnes). On ne demande pas aux opérateurs d'être omniscients, mais de gérer un dossier pour l'État dans un cadre contractuel.
Mme Géraldine Leveau. - En ce qui concerne les dossiers forestiers, l'Ademe était en effet opérateur de nos crédits, l'ONF ne faisant pas partie de la liste établie par décret. Modifier ce décret en Conseil d'État pour un dispositif qui, certes, représente une somme importante - 40 millions à 50 millions d'euros -, mais reste plutôt modeste eu égard à la maille de France 2030, c'eût été d'une trop grande complexité administrative.
Comme vous le savez, madame le rapporteur, l'ONF ne gère que le domaine public, et donc les forêts domaniales. Or le dispositif de France 2030 était étendu à l'ensemble des forêts privées. C'est donc à cette partie qu'a été consacrée l'expertise de l'Ademe. Sur l'enveloppe dévolue à l'ONF, l'argent a certes transité par l'Ademe, mais il n'y a pas eu d'expertise : nous avons fait confiance à l'ONF, dont le dossier a été validé en l'état. Ce dispositif ne s'inscrivant d'ailleurs pas tout à fait dans la logique de France 2030, nous avons demandé au Premier ministre d'y mettre un terme. Finalement, il a été repris en propre par le ministère de l'agriculture. Il s'agissait là d'une des « bizarreries » initiales du plan France 2030. Sur ce dossier, l'opérateur compétent était en effet l'ONF.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez dit que les opérateurs instruisaient les dossiers et que vous leur faisiez confiance. À quel moment le SGPI s'attache-t-il à vérifier que le choix des dossiers par les opérateurs est cohérent avec les choix de politique publique du Gouvernement ? L'une de mes collègues a fait état d'un dossier qui a été rejeté par l'opérateur, alors même que le discours national allait plutôt dans le sens d'une acceptation. En un mot, comment gérez-vous le fait que le SGPI est un service placé directement sous la tutelle du Premier ministre ?
M. Bruno Bonnell. - La confiance n'exclut pas le contrôle. Nous contrôlons les opérateurs au travers de process équitables. Les dossiers sont présentés en fonction d'un cahier des charges qui est défini par l'appel à projets, donc par l'État : l'État intervient dans la définition du cahier des charges et dans la rédaction de l'appel à projets. Sur cette base, les candidats présentent leur dossier. Les opérateurs organisent ensuite des jurys, indépendants de l'État et dans lesquels nous n'intervenons pas, pour juger de la qualité du dossier. Le jury juge ainsi de la qualité technologique du dossier, puisqu'il s'agit d'innovation, mais également de la pérennité et de la capacité à faire de la structure candidate.
On ne peut pas nous reprocher une chose et son contraire. Oui, nous sommes sélectifs. Les frustrations dont vous êtes destinataires, en tant qu'élus, émanent systématiquement des candidats qui n'ont pas été retenus. J'ai moi-même été élu pendant suffisamment longtemps pour le savoir. Aujourd'hui encore, je reçois des appels provenant de mon ancienne circonscription : on m'interroge sur les raisons pour lesquelles telle ou telle candidature n'a pas été retenue.
Les critères de sélection, disais-je, sont définis par l'État via l'appel à projets, mais la sélection incombe à des jurys indépendants. À aucun moment nous n'intervenons dans leur décision souveraine. Le faire serait, me semble-t-il, une grave erreur.
La politique publique définie pour France 2030 consiste à atteindre des objectifs. C'est là la mission principale et impérative à laquelle s'attelle toute l'équipe du SGPI. En revanche, il n'y a aucune intervention, ni du secrétaire général, ni de la secrétaire générale adjointe, ni d'aucun membre de l'équipe, sur la décision individuelle de soutien : il y a simplement un constat qui est fait.
Je précise qu'une entreprise ou un projet qui n'a pas été retenu en première instance peut se présenter à nouveau une deuxième fois après avoir pris conseil auprès de nos conseillers, des ministères ou encore à l'extérieur. Nous veillons à indiquer aux candidats qui n'ont pas été retenus les motifs de cette décision. Il est du reste arrivé que des candidats soient retenus au deuxième tour, après avoir présenté un dossier amélioré.
Mme Géraldine Leveau. - L'alignement sur les politiques publiques se fait évidemment au moment de la définition du cahier des charges ; une fois que l'opérateur a instruit les dossiers et nous propose un classement, c'est la gouvernance interministérielle de France 2030 qui propose au Premier ministre d'investir ou non dans un projet. D'une manière générale, dès lors que l'opérateur a estimé qu'un dossier n'était pas bon, nous ne le « rattrapons » pas, puisqu'il a été expertisé. Si, en revanche, un projet a été bien noté par l'opérateur, mais ne correspond pas à l'objectif de politique publique, alors il ne sera pas retenu. « À l'entrée », nous définissons les objectifs et le cahier des charges ; « à la sortie », nous vérifions l'adéquation des projets avec les objectifs de politique publique.
Par ailleurs, il arrive que certaines entreprises, bien que répondant complètement au cahier des charges, n'aient pas besoin de l'État pour réaliser leur projet, et il arrive aussi qu'elles le comprennent mal. Le premier critère que nous examinons est en effet le caractère incitatif de l'aide d'État. Notre doctrine est précisée dans la loi, mais aussi dans les cahiers des charges et dans les textes plus généraux relatifs à France 2030 : si l'aide de l'État n'est pas incitative, si le projet peut se faire sans nous, alors nous ne soutenons pas le projet. Nous avons du mal à expliquer ce point aux entreprises, mais il y a là un élément très important, que nous considérons très attentivement et dont dépend notamment le respect des règles de concurrence fixées par la Commission européenne.
Mme
Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous
le sentiment qu'il est simple, pour les entreprises, de s'orienter dans ce
schéma assez complexe des interlocuteurs publics qui sont susceptibles
de les soutenir ? Lorsque j'étais rapporteur du programme des
investissements d'avenir, j'ai visité des entreprises qui ne
connaissaient même pas l'existence de cette structure. Je pourrais
m'amuser à dresser une petite liste : il y a les directions
régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des
solidarités (Dreets), pour l'appui et l'aide au développement
régional ; Bpifrance et la Caisse des dépôts et
consignations, via la Banque des territoires notamment, pour les
levées de fonds ; la direction générale des
entreprises (DGE), qui s'occupe de la réglementation et de l'orientation
vers les financements ; le réseau French Tech, qui oriente le
développement ; le réseau Business France, pour
l'aide
à l'export ; le SGPI, pour l'innovation. Cela
vous semble-t-il simple ? Une entreprise est-elle capable aujourd'hui
d'aller toquer à la porte du SGPI sans être déjà
passée par un interlocuteur de proximité, sa Dreets par
exemple ?
M. Bruno Bonnell. - Avant d'être député et secrétaire général pour l'innovation, j'ai été chef d'entreprise pendant trente-cinq ans. Vous m'offrez la réponse sur un plateau. Évidemment que c'est compliqué, mais les aides que nous apportons au titre de France 2030 atteignent des montants qui s'approchent des chiffres d'affaires des entreprises que nous aidons. De deux choses l'une : soit l'aide est incitative et nécessaire, et dans ce cas l'effort est justifié ; soit l'entreprise n'a pas besoin de cette aide, et ce n'est pas grave si les démarches sont complexes. Elles le sont, évidemment : c'est un examen, un concours. C'est de l'argent des Français - notre argent - qu'il s'agit. Je n'ai pas envie de distribuer les subventions à la légère.
La liste que vous avez dressée mélange divers sujets. Il faut tirer un grand coup de chapeau aux supports locaux et régionaux de France 2030, dont nous n'avons pas assez parlé. Je veux parler des préfets et des sous-préfets référents, notamment, qui abattent un travail de terrain extraordinaire et se rendent disponibles auprès des entreprises pour les inciter à concourir et leur expliquer la procédure. Sachez qu'il n'y a pas un seul département français, outre-mer compris, où une aide France 2030 n'a pas été allouée. Nous le devons aux préfets, qui ont été extraordinaires.
Mme Géraldine Leveau. - La création des sous-préfets France 2030 est une nouveauté qui date de janvier 2023. Grâce à eux, nous améliorons nettement l'information transmise localement aux entreprises.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agit-il de sous-préfets uniquement dédiés à France 2030 ou le modèle est-il le même que pour les fameux sous-préfets à la relance ?
Mme Géraldine Leveau. - Je parle ici des sous-préfets référents « France 2030 et à l'accélération des implantations industrielles ». Il s'agit souvent soit de secrétaires généraux d'arrondissement, soit de secrétaires généraux de préfecture.
M. Bruno Bonnell. - Cela fait partie de leur mission.
Mme Géraldine Leveau. - En effet, il ne s'agit pas de postes supplémentaires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si j'ai bien compris, il y a dans chaque préfecture un membre du corps préfectoral dont l'une des missions est d'être le référent France 2030 ?
M. Bruno Bonnell. - Absolument.
Mme Géraldine Leveau. - Nous les réunissons de façon régulière, une fois par trimestre, pour les informer des appels à projets qui sont publiés, ou des lauréats sur leur territoire. Ils nous font remonter des questions, qui peuvent être très générales ou qui portent sur des dossiers très précis. Nous échangeons également quotidiennement avec nos collègues des services déconcentrés, qu'il s'agisse des préfectures ou des directions régionales des entreprises, qui sont sous l'autorité des préfets. Ce dispositif nous a permis d'améliorer nettement la circulation de l'information.
M. Bruno Bonnell. - Il faut aussi saluer Bpifrance pour son implantation territoriale : plus de 90 % des entreprises la connaissent et s'adressent d'abord à elle lorsqu'elles ont besoin de renforcer leurs fonds propres.
J'ai visité cinquante-neuf départements et rencontré tous les acteurs de terrain : les préfets de département, les préfets de région, les autorités locales, les représentants des chambres de commerce et d'industrie, les responsables locaux du programme Territoires d'industrie... J'ai réalisé un important travail de communication pour faire connaître notre action de soutien à l'innovation. En effet, à la différence de ce que faisait l'État dans le cadre du plan de relance, nous n'investissons pas dans les bâtiments, dans les usines, dans les infrastructures, dans les capacités de production. Voilà qui a tendance, initialement, à susciter une certaine incompréhension chez beaucoup de chefs d'entreprise ; puis ils comprennent quel est notre rôle.
Nous avons aussi considérablement simplifié les procédures. Ainsi avons-nous réduit à deux pages, dans certains appels à projets, le format du « pré-dossier ». C'est ce qui explique que 61 % des aides de France 2030 sont attribuées à des TPE, à des PME et à des ETI et 19 % à de grands groupes, le solde restant bénéficiant à des acteurs institutionnels, notamment à des centres de formation et de recherche. Ainsi, 2 milliards d'euros ont été consacrés au plan Compétences et Métiers d'avenir : 160 centres ont déjà été ouverts, ce qui représente 240 000 places de formation, notre objectif étant d'en créer 1 million dans les nouvelles technologies - l'hydrogène, le nucléaire, la bioproduction, la nouvelle agriculture, etc.
Mme Géraldine Leveau. - Lors de la création de France 2030, dans le prolongement du PIA 4, nous avons réalisé un travail de communication global, afin que les entreprises comprennent qu'elles étaient aidées par l'État par l'intermédiaire de Bpifrance, et non uniquement par cette dernière. Les entreprises peuvent d'ailleurs nous solliciter directement sur le site internet de France 2030. Nous recevons ainsi des demandes quotidiennes de leur part. Le dispositif n'est sans doute pas encore parfait, mais les entreprises parviennent de plus en plus à nous contacter directement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - France 2030 a pris la suite du PIA 4. Les PIA 1 et 2 s'inscrivaient dans une logique extrabudgétaire. Désormais les crédits sont votés chaque année, lors de l'examen du projet de loi de finances et de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Dans ce contexte, pourquoi ces crédits d'innovation ne sont-ils pas portés par les ministères qui conduisent les politiques publiques ? Pourquoi a-t-on préféré les centraliser au sein du SGPI ? Les domaines d'intervention concernés sont très variés. Ainsi, l'innovation dans le système hospitalo-universitaire pourrait relever du ministère de la santé et du ministère de la recherche. Autre exemple : un volet important de France 2030 concerne la décarbonation de l'industrie. Pourquoi la DGE ne s'en charge-t-elle pas ?
M. Bruno Bonnell. - Nous travaillons dans un cadre pluriannuel...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est le cas aussi d'autres politiques !
M. Bruno Bonnell. - Certes, mais je tiens à le préciser, car votre question comportait, me semble-t-il, une ambiguïté quant au respect du cadre budgétaire.
J'ai indiqué, dans mon propos liminaire, quels étaient nos objectifs. Nous souhaitons, par exemple, réussir à concevoir un avion bas-carbone d'ici à 2030. Cela implique un effort de recherche et d'industrie pour réduire l'empreinte carbone, trouver les matériaux adéquats, travailler sur la motorisation, mettre au point des carburants de synthèse, etc. À quel ministère faut-il dès lors confier ce programme, à celui de la recherche ou à celui de l'industrie ? Je pourrais multiplier les exemples.
L'interministérialité permet de renforcer l'efficacité de l'État. De cette manière, on peut plus facilement mobiliser toutes les énergies en vue d'atteindre un objectif précis. Aucune décision n'est prise par le SGPI sans que ses instances de gouvernance - le comité exécutif (Comex), où siègent tous les directeurs d'administration centrale de tous les ministères, et les comités de pilotage opérationnels, auxquels participent les services ministériels - ne soient consultées. Par exemple, toute décision d'un montant supérieur à 15 millions d'euros doit être validée par le Comex. Elle doit donc faire l'objet d'une discussion entre tous les directeurs d'administration centrale. Le Comex se réunit tous les mois. Loin d'exclure les ministères, nous les rassemblons et les coordonnons pour prendre des décisions rationnelles.
Je ne vous cache pas que les arbitrages sont parfois un peu surprenants. Vous avez évoqué la décarbonation. Les discussions peuvent être nourries sur ce sujet entre le ministère de l'industrie et le ministère de l'écologie.
L'arbitrage interministériel peut être bénéfique, étant entendu que l'innovation est une question complexe. À la rattacher, selon les domaines, à chaque ministère pris isolément, on prendrait le risque de revenir à une logique de travail en silo et on se priverait de la capacité à coordonner les différentes initiatives. Il faudrait alors inventer des comités Théodule de coordination, alors que nous faisons déjà ce travail : telle est notre mission, tout simplement !
Mme Géraldine Leveau. - Le SGPI a été créé pour veiller à la cohérence de la politique d'innovation de l'État. Si chaque ministère était responsable d'un microsujet spécifique, l'action d'ensemble serait sans doute peu cohérente, et l'on aurait du mal à atteindre les objectifs qui ont été fixés. Dans les arbitrages budgétaires réalisés au sein de chaque ministère, l'innovation ne serait sans doute pas prioritaire par rapport aux dépenses de fonctionnement. L'existence d'une instance interministérielle permet de procéder à des arbitrages, puisque, in fine, c'est le Premier ministre qui décide. La capacité d'innovation de l'État est ainsi préservée.
M. Pierre Barros, président. - Le SGPI, qui est rattaché au Premier ministre, voire au Président de la République - car on connaît l'engagement de ce dernier en faveur de cette politique -, permet de sécuriser des projets et des moyens. Comme vous l'avez évoqué tout à l'heure, les sommes en jeu sont considérables : 50 milliards d'euros, dont 10 milliards pour les écosystèmes d'innovation. Le dispositif bénéficie ainsi d'une force de frappe financière importante.
Cependant, il arrive que cela ne fonctionne pas. Je pense à l'entreprise STMicroelectronics. On sait que les semi-conducteurs sont essentiels pour la réalisation de data centers, l'implantation des nouvelles technologies sur notre territoire et le développement de l'intelligence artificielle. Voilà deux ans, un projet d'investissement de plusieurs milliards d'euros avait été annoncé, qui devait aboutir à la création d'un millier d'emplois en France. Pourtant, la société a annoncé, il y a deux jours, que 1 000 emplois allaient être supprimés. Que s'est-il passé ? Que deviennent les aides qui ont été versées par l'État pour aider cette société ? Que pensez-vous des recommandations de la Cour des comptes, qui proposait, en avril 2024, de verser des avances remboursables plutôt que des subventions, afin que l'argent consacré à un projet puisse être remboursé avant d'être réemployé pour soutenir un autre projet ?
M. Bruno Bonnell. - Transformer en profondeur le tissu industriel français après quarante années de désindustrialisation implique de prendre des risques : c'est écrit dans la doctrine du SGPI. Certaines technologies ne marchent pas ; il faut l'accepter.
M. Pierre Barros, président. - En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une question de technologie !
M. Bruno Bonnell. - Si : je vais vous expliquer pourquoi. Certaines innovations technologiques, tout simplement, ne marchent pas. Les fonds d'investissement spécialisés dans l'innovation enregistrent un taux d'échec moyen de leurs investissements largement supérieur à 30 %. Pour ce qui concerne les PIA, le taux d'échec s'élève en moyenne, à ce jour, à 10 %. Notre performance est donc meilleure que celle des fonds privés. Si ce taux ne change pas, cela signifie que dans une dizaine d'années, lorsque les derniers décaissements du plan France 2030 auront été réalisés, c'est-à-dire vers 2035 environ, on se sera trompé dans 10 % des cas ; inversement, on aura eu raison dans 90 % des cas !
Je ne suis pas l'avocat de STMicroelectronics. Je connais néanmoins très bien ce dossier. Cette entreprise emploie 12 000 personnes ; aucun emploi ne sera supprimé en France ; les départs auront lieu sur la base du volontariat. Les entreprises subissent parfois des retournements de cycle et doivent alors faire face à des situations compliquées. Cela arrive ; il ne faut pas caricaturer la situation.
Les sommes que nous avons investies dans l'entreprise visent à garantir son avenir via la construction d'un site de production de puces de nouvelle génération. Toutefois, le marché des microprocesseurs est cyclique et est en train de se retourner. STMicroelectronics doit prendre des mesures pour faire face à des difficultés conjoncturelles. Devons-nous pour autant cesser d'investir dans cette entreprise, et donc mettre en péril 12 000 emplois ?
Il s'agit d'un fleuron français ; nous n'en avons pas beaucoup dans le domaine de l'électronique ! L'État a décidé de soutenir cette entreprise pour mettre au point les technologies du futur. Notre aide, d'un montant de 1 milliard d'euros, sera versée progressivement, par jalons, en fonction de performances contractualisées. Nous n'avons pas versé une aide à l'entreprise en lui disant : « Merci, on vous fait confiance, roulez ! ». Des jalons sont prévus, comme dans tous les contrats de France 2030. Pour certains programmes, les derniers versements interviendront seulement en 2035 ou en 2036.
La France a choisi de se lancer dans l'innovation : nous recréons des emplois industriels, nous formons des milliers de talents. Nous prenons des risques pour développer des technologies très avancées. Il ne faut pas confondre cette action publique de long terme avec l'action de court terme des entreprises, qui doivent faire face, au quotidien, aux attentes du marché.
Notre travail est de nous demander si nous nous sommes complètement trompés en investissant, et, le cas échéant, d'utiliser les versements jalonnés restants comme leviers de changement. Nous devons faire la part entre ce qui relève de la situation conjoncturelle, d'une part, et ce qui relève de l'investissement dans l'avenir, d'autre part.
J'en viens à votre question sur les avances remboursables. Nous avons hérité du plan de relance. Bercy considérait que les subventions étaient le meilleur moyen pour aller vite dans l'exécution du plan. C'est pourquoi, au début du plan France 2030, on a privilégié les subventions.
Nous avons inversé cette logique. Désormais, dans les nouveaux projets, la répartition est équilibrée entre les subventions et les avances remboursables. Nous souhaitons d'ailleurs porter la part de ces dernières à 70 %. On nous a même demandé de privilégier l'aide en fonds propres : nous y travaillons, mais cela prendra un peu de temps, en raison de problèmes techniques d'allocation budgétaire. Mais, en effet, pourquoi l'État n'entrerait-il pas au capital des entreprises, afin de pouvoir tirer les bénéfices de son action lorsqu'elles se développent ? Toutefois, il faut aussi souligner qu'entrer au capital d'une entreprise implique des responsabilités, surtout en cas de difficultés. Il faut donc trouver le bon équilibre.
Le plus important dans France 2030, c'est l'impact sociétal : création d'emplois, développement des territoires, aménagement du territoire. Les retombées dépassent le cadre des entreprises aidées. À Dunkerque, le projet de gigafactory représente 17 000 emplois. Il faudra construire des écoles, de nouveaux logements, etc. L'activité économique locale sera stimulée.
Certes, nos investissements sont risqués, mais nous investissons sur l'avenir - c'est essentiel. Je ne vous cache pas toutefois que nous avons eu à prendre des décisions difficiles dans certains dossiers : lorsque nous avons estimé qu'un contrat n'était pas rempli, nous l'avons arrêté avant son terme. Cela se produira de plus en plus. Nous estimons que, d'une manière ou d'une autre, nous rencontrerons des problèmes sur 10 % des 7 500 dossiers que nous gérons. Cela fait partie du jeu lorsqu'on prend le risque d'investir dans l'innovation. Mais je rappelle que 90 % de nos investissements sont des succès.
M. Hervé Reynaud. - Avec le plan France 2030, l'ambition est d'investir dans les technologies du futur et de susciter l'innovation dans les territoires. J'ai pu constater l'engagement des sous-préfets référents France 2030 dans le département de la Loire.
Il importe de veiller à ce que les projets soutenus se concrétisent. Des financements sont annoncés, mais il faut s'assurer qu'ils aboutissent à des résultats. Cela suppose de mettre en place une animation territoriale renforcée. L'approche initiale du plan a-t-elle évolué à cet égard, pour ce qui est notamment du personnel dédié ? La mise en oeuvre du plan nécessite des évaluations continues et constantes. Cela aboutit-il à boursoufler l'administration du dispositif ? Quelle est l'efficacité de l'organisation retenue ?
Le Président de la République a annoncé le lancement du plan Choose France for Science, afin que la France devienne un refuge pour un certain nombre de chercheurs étrangers, notamment américains. L'État va investir à cette fin 100 millions d'euros supplémentaires, mais ils seront prélevés sur les crédits de France 2030. Ne s'écarte-t-on pas de l'objectif initial de ce plan ?
Mme Géraldine Leveau. - Non, l'organisation n'est pas boursouflée. Les sous-préfets qui exercent la mission de référent France 2030 le font en plus de leurs attributions classiques de sous-préfet, de secrétaire général de préfecture ou de sous-préfet d'arrondissement.
France 2030 n'aurait aucun sens si les projets ne se concrétisaient pas. Ceux-ci font l'objet d'un suivi. Lorsqu'une entreprise dépose un dossier de candidature, elle nous indique l'impact de son projet en matière d'emploi, de décarbonation, etc. Durant toute la vie du projet, nous vérifions, avant chaque versement programmé d'une partie de l'aide, que les objectifs sont bien atteints. C'est crucial, même si cela peut paraître compliqué et lourd pour les entreprises.
Nous suivons le projet au quotidien et nous pouvons ainsi réaliser les évaluations in itinere et ex post réclamées par le législateur. Nous établissons annuellement des tableaux de bord de suivi. Le comité de surveillance des investissements d'avenir est ainsi en train de préparer une évaluation qui sera remise au Parlement à la fin de l'année. Ce suivi au quotidien nous permet d'évaluer les projets et de nous assurer que les objectifs du plan sont bien atteints. L'organisation actuelle est donc nécessaire.
M. Bruno Bonnell. - Un comité de surveillance des investissements d'avenir composé de quatre sénateurs, de quatre députés et de dix personnalités qualifiées a été institué. Il se réunit une fois par trimestre sous l'égide de son président Éric Labaye. Il réalise un travail permanent d'évaluation ; son rapport devrait être remis au Parlement à la fin de l'année.
Le plan Choose France for Science n'est pas le fruit d'une improvisation : il procède d'une véritable stratégie. Nous voulons attirer les meilleurs talents dans certains domaines, tels que les sciences de la vie, le quantique, le spatial, le nucléaire, etc. Nous serons très sélectifs dans nos choix.
Les crédits n'ont pas été pris au hasard sur France 2030. France 2030 dispose en effet d'un budget consacré à la recherche, destiné à soutenir l'effort dans les domaines prioritaires que j'ai cités. Nous mobilisons par exemple des crédits pour financer des chaires de recherche dans la santé ou la réalisation de doctorats dans d'autres secteurs. Il s'agit de rassembler et de réallouer ces crédits afin d'accroître leur impact et de mettre en oeuvre le plan annoncé par le Président de la République. Dans la presse, la somme mobilisée est considérée tantôt comme importante, tantôt comme négligeable. Nous jugerons en fonction des résultats, c'est-à-dire en fonction du nombre de scientifiques de très haut talent que nous attirerons. Ce plan suscite l'intérêt de nombreux scientifiques : le site internet a été consulté plus de 30 000 fois et plusieurs centaines de candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le processus de sélection sera très exigeant.
Mme Géraldine Leveau. - En réalité, le dispositif existait déjà. Le contrat entre l'État et l'Agence nationale de la recherche (ANR) prévoyait la possibilité de financer des chaires de recherche pour des chercheurs étrangers, afin de les faire venir en France.
M. Michaël Weber. - Je ne me prononcerai pas sur la pertinence du montant annoncé dans le cadre du plan Choose France for Science : peut-être est-il satisfaisant, mais ce montant de 100 millions d'euros peut aussi faire sursauter les scientifiques qui travaillent sur le terrain et qui regrettent la réduction des moyens qui leur sont alloués. Ce plan a-t-il été bien préparé ? Nous devons trouver les moyens d'accompagner nos scientifiques dans la durée, avant d'en accueillir de nouveaux.
Vous avez dit, voilà quelque temps, que la France était devenue un paradis pour l'entrepreneuriat. Il y a quelques années, on entendait des critiques sur le manque d'agilité de la France. Que s'est-il passé depuis ? Comment qualifieriez-vous l'agilité à la française par rapport à l'agilité à la Elon Musk, ce dernier ayant souhaité réduire considérablement le poids de l'administration aux États-Unis ? Comment le SGPI contribue-t-il à renforcer notre agilité ?
En tant que président de l'association des communes forestières de Moselle, j'ai l'impression que, pour ce qui est du volet forestier, nombre de crédits de France 2030 ont été mal utilisés, pour ne pas dire gâchés, grevés par de très nombreux problèmes techniques. Des moyens considérables ont été utilisés pour réaliser des plantations forestières, mais la moitié des plants n'ont pas pris ! C'est de l'argent public mal utilisé.
Je voulais aussi vous interroger sur l'hydrogène vert, dont on parle beaucoup. Des projets ont été annoncés, en Moselle par exemple, mais ils n'aboutissent pas. Nous nous interrogeons sur l'énergie nécessaire pour produire de l'hydrogène vert. Peut-être s'apercevra-t-on finalement que produire de l'hydrogène vert est beaucoup trop coûteux, tant financièrement que du point de vue de l'énergie consommée.
M. Bruno Bonnell. - Je veux tout d'abord vous dire qu'aucun crédit de recherche de France 2030 n'a été touché : nous disposons de la même enveloppe qu'initialement pour la recherche de pointe et de rupture. Les budgets qui ont été touchés ne relèvent pas de mon autorité et je me garderai bien de me risquer à vous répondre.
Vous avez parlé d'Elon Musk : je ne suis pas Elon Musk ! Faire émerger 7 500 projets d'innovation issus de 25 000 candidatures, dans de nombreux secteurs très différents, avec une équipe de 70 personnes qui s'appuient, selon un lien de confiance, sur des opérateurs et sur les services préfectoraux : voilà l'agilité à la française.
Cette performance soutient la comparaison avec ce que l'on peut observer dans les pays qui sont de notre taille : elle mérite d'être saluée - je le dis à l'attention des équipes qui ont permis cette réussite. Si cette mission avait été assurée dans des conditions plus classiques, elle aurait mobilisé davantage de personnes et pris davantage de temps. À l'heure où, de l'autre côté de l'Atlantique, à l'exception peut-être de la Californie, les scientifiques se sentent perdus, la France a fait le choix de l'innovation : le choix d'aller de l'avant.
En ce qui concerne les forêts, je ne dispose pas encore des chiffres qui me permettraient de vous répondre, et nous devons examiner les choses de manière globale. Vous le savez, chacun de nos dossiers est analysé et évalué et tel sera évidemment le cas pour celui que vous évoquez. Il est normal que l'on sache si l'argent public a été gâché ou non. Pour autant, en France, nous avons souvent un penchant à refaire le match après le coup de sifflet final ! Fallait-il faire ce que nous avons fait, faire autrement, ne rien faire ?
M. Michaël Weber. - Nous sommes nombreux à avoir dit que cela ne marcherait pas !
M. Bruno Bonnell. - L'évaluation le dira. Personnellement, je n'ai pas cette expertise.
Je dirai cependant, de manière générale, qu'il est tout à fait possible que nous ayons fait des erreurs, en particulier au regard du nombre de dossiers que nous avons gérés. Je parlais d'une zone de 10 % d'échecs : cela représente une somme considérable, mais, selon moi, l'argent n'est pas gâché, parce que cela signifie que nous avons eu 90 % de réussites !
Pour ce qui est de l'hydrogène, je veux commencer par rappeler qu'il s'agit d'un gaz essentiel pour le XXIe siècle, en particulier pour décarboner l'industrie. Quand on mélange du carbone et de l'hydrogène, on peut produire toutes sortes de produits : de l'alcool, du carburant de synthèse, des médicaments, etc. En vérité, nous n'avons pas le choix : nous avons besoin d'hydrogène - l'hydrogène est indispensable à l'industrie de demain.
Bien sûr, l'hydrogène carboné ne sert à rien, puisqu'il revient à fabriquer de l'hydrogène en émettant du CO2. Il faut donc produire de l'hydrogène décarboné, ce que nous pouvons faire en France à partir de l'énergie nucléaire ou d'énergies renouvelables ; s'enclenche alors un cycle vertueux.
Que se passe-t-il en France avec l'hydrogène ? Nous avons fait notre job d'encouragement des innovations, mais l'anticipation des usages a été trop forte : les voitures électriques se développent plus vite que les véhicules à hydrogène ; concernant l'avion à hydrogène, Airbus a repoussé l'échéance de plusieurs années sans donner de date précise ; quant au train à hydrogène d'Alstom, il n'est pas non plus pour tout de suite.
M. Michaël Weber. - Il en circule tout de même !
M. Bruno Bonnell. - Certes, mais, comme c'est le cas pour les voitures, ils coûtent beaucoup plus cher. Je ne peux pas nier l'existence de voitures à hydrogène, mais elles sont très chères et tombent souvent en panne !
C'est pourquoi, après analyse de la situation, nous avons décidé de lever le pied et nous en avons informé le Gouvernement. L'hydrogène ne sera pas prêt pour 2030, mais il le sera probablement dans les années qui suivent. Il y aura donc un décalage dans la mise en oeuvre de certains projets. Cela ne signifie pas que les projets sont abandonnés : simplement, nous devons gérer le temps et l'argent public de manière efficace.
Ce serait une grave erreur de penser que l'hydrogène décarboné n'est pas un gaz du futur et que nous n'en aurions pas besoin. D'ailleurs, en la matière, chaque pays a sa propre stratégie. Par exemple, les Allemands produisent leur hydrogène décarboné grâce à des panneaux solaires installés dans des pays du Golfe persique, puis le font transiter en bateau vers Hambourg et circuler ensuite dans le pays via les gazoducs qui ne sont plus utilisés pour le gaz russe depuis le début de la guerre en Ukraine. De son côté, la France a choisi de fabriquer le sien à partir de l'énergie nucléaire. C'est sous ce prisme que, dans ce domaine, il faut appréhender la dynamique actuellement à l'oeuvre.
Il faut bien prendre en compte le fait que nous travaillons à l'échelle d'une génération. Tous les sujets dont nous parlons - la conquête de l'espace, le petit nucléaire, l'hydrogène, la bioproduction, etc. - sont à cette échelle.
Par exemple, France 2030 soutient l'entreprise Biose Industrie, qui est située à Aurillac et qui est le leader européen de la fabrication de médicaments à partir de micro-organismes. À l'échelle d'une génération, des décalages de quelques années sont monnaie courante, mais il ne faut pas perdre le cap : nous pilotons un gros bateau, ce qui suppose de ne pas donner de coups de barre !
M. Michaël Weber. - Je ne remets aucunement en cause le potentiel de l'hydrogène, mais je m'inquiète de la stratégie française. En particulier, nous n'en avons aucune pour l'hydrogène dit blanc ou natif. Pourtant, des scientifiques affirment qu'il y en a en France. Je connais bien la situation de l'Allemagne, puisque je suis élu d'un département frontalier, et je m'interroge : pourquoi nous concentrer uniquement sur l'hydrogène décarboné et ne rien faire sur l'hydrogène blanc ?
M. Bruno Bonnell. - À ce jour, l'hydrogène blanc en est au stade de la recherche. France 2030 accompagne des programmes sur ce sujet et nous sommes les seuls à le faire.
M. Michaël Weber. - Mais ce n'est pas à l'échelle !
M. Bruno Bonnell. - Mais l'hydrogène blanc est très bas dans l'échelle TRL (technology readiness level), qui mesure la maturité d'une technologie ! Des autorisations d'exploration ont été accordées, mais les recherches ne sont pas très concluantes pour l'instant et nous devrons sûrement attendre plusieurs années avant de savoir si nous disposons de gisements exploitables.
Le seul exemple de gisement d'hydrogène blanc opérationnel dans le monde se trouve au Burkina Faso, où il alimente un village. Laissons l'hydrogène blanc se développer à son propre rythme. Pour le moment, cette technologie est un peu prématurée.
Mme Géraldine Leveau. - Se posent aussi, en la matière, des questions de prévention des risques, à propos desquelles nous finançons des projets.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au-delà du cas particulier de l'hydrogène blanc, avez-vous l'impression que les actions de France 2030 s'inscrivent dans une stratégie de l'État clairement définie ?
Mme Géraldine Leveau. - France 2030 est une politique prioritaire du Gouvernement et tous nos indicateurs se retrouvent dans les politiques des différents ministères.
Je vais vous donner un exemple : la stratégie hydrogène actualisée, justement. Elle a été écrite à plusieurs mains entre les ministères concernés et le SGPI. Nous ne faisons jamais rien tout seuls dans notre coin. De manière générale, la différence avec les PIA tient justement dans le souci de cohérence entre la politique d'investissement de l'État et les autres politiques publiques.
Concernant le renouvellement forestier et les plantations, il a été décidé d'encourager les propriétaires fonciers à adopter des pratiques favorisant la transition écologique, en créant des puits de carbone plutôt qu'en plantant des sapins en rangée. Je suis désolée si vous avez des retours négatifs.
Notre objectif est de veiller au quotidien à ce que nos actions soient cohérentes avec ce que demande le Gouvernement. Les ministères nous rappellent régulièrement cette exigence.
M. Christian Bilhac. - Vous avez évoqué un pré-dossier de deux pages, mais qu'en est-il du dossier lui-même ?
On trouvait, dans un bilan, la présentation du projet de décarbonation du site d'ArcelorMittal à Dunkerque. Où en est-on ?
Un ami proche a bénéficié d'une aide pour sa start-up, qui a réuni un capital d'un peu moins de 1 million d'euros et qui en vaut aujourd'hui 62 millions... Compte tenu de notre situation budgétaire, je ne serais pas choqué s'il lui était demandé de rembourser l'aide qu'il a reçue !
Je suis élu de l'Hérault, je suis donc sensible à la question du vieillissement de notre flotte de Canadair, qui a bien du mal à lutter contre les feux de forêt. Êtes-vous impliqués dans les projets de bombardiers d'eau made in France ?
M. Bruno Bonnell. - Concernant le dossier de la protection civile, je suis conscient qu'il s'agit d'un vrai problème, mais je ne peux pas faire davantage de commentaires publics à ce jour.
Votre question sur ArcelorMittal est importante et complexe. L'aide que nous pourrions apporter de notre côté dépend d'un seul élément : la décarbonation du site de Dunkerque, qui représente à lui seul autour de 5 % de l'ensemble de l'impact carbone de la France. En temps normal, pareil investissement, si important pour la qualité de vie des riverains comme pour l'atteinte de nos objectifs nationaux de décarbonation, est toujours accompagné par l'État. En tant que citoyen, j'estime que la décision annoncée récemment par l'entreprise n'est pas raisonnable, mais cela doit-il nous priver d'un tel projet de décarbonation ?
Je rappelle que l'État projette d'y participer à hauteur de 850 millions d'euros et ArcelorMittal à hauteur de plus de 3 milliards d'euros. Voilà qui témoigne de l'effet de levier essentiel de nos financements. En moyenne, pour 1 euro d'argent public attribué, 1,3 euro d'argent privé est dépensé. On ne peut d'ailleurs pas accorder de financement public s'il n'y a pas, en face, d'apport privé.
Il faut mener des négociations avec les dirigeants d'ArcelorMittal, et l'effort de l'État dans le projet de décarbonation doit être mis sur la table, mais cet argent n'est pas destiné à sauver des emplois : il doit servir à la conduite d'un projet essentiel qui consiste à décarboner ce site pour le rendre performant et durable. Le dossier est entre les mains du ministre chargé de l'industrie.
Mme Géraldine Leveau. - Pour l'instant, nous n'avons rien décaissé ; il y a simplement une promesse et un calendrier. Si ArcelorMittal ne réalise pas ses investissements en faveur de la décarbonation ou ne commande pas ses fours à une date précise, l'aide de l'État sera annulée.
M. Bruno Bonnell. - L'enjeu est donc différent de celui, technologique, que j'évoquais tout à l'heure à propos de STMicroelectronics. En l'espèce, il s'agit de décarboner un site extrêmement polluant et de modifier complètement un process industriel.
À la question du pré-dossier et du dossier, je répondrai de la même manière que précédemment : quand une PME ou une ETI est à la recherche de plusieurs millions d'euros, c'est évidemment compliqué pour elle, comme quand elle cherche un gros client. Mais le pré-dossier en deux pages permet aux entreprises d'économiser beaucoup de temps dans le cas où elles s'avèrent ne pas être éligibles : le cas échéant, on le leur dit tout de suite et elles n'ont pas à préparer le dossier proprement dit, qui est effectivement plus lourd à réaliser - s'agissant d'argent public, c'est tout de même assez logique.
M. Christian Bilhac. - Souvent, les entreprises, en particulier les PME ou les start-up, n'ont pas la logistique nécessaire pour monter tous ces dossiers. Alors même que l'on peut trouver beaucoup d'informations dans des bases de données existantes ou sur internet, on demande toujours des tonnes de paperasse ! C'est une folie.
De surcroît, cette paperasse ne supprime pas du tout le risque. D'ailleurs, je ne vous critiquerai pas pour ce qui concerne la prise de risque : elle me semble naturelle. Un entrepreneur qui ne prend pas de risque, cela s'appelle un rentier !
Il est normal de s'assurer que l'argent public est dépensé de manière correcte et efficace, mais pourquoi cette manie française de dossiers toujours plus épais, toujours plus rébarbatifs ? De la même manière que l'on trouve, dans la fonction publique, des spécialistes des concours, il existe, en matière de dossiers administratifs, des « chasseurs de prime » qui vivent de cette folie.
Mme Géraldine Leveau. - À la demande du secrétaire général, nous avons beaucoup simplifié les procédures. Par exemple, les pièces justificatives ne sont plus exigées que lorsque les entreprises ont été déclarées lauréates et sélectionnées ; auparavant, elles étaient demandées dès le début de la procédure. En outre, les attestations liées aux obligations fiscales et sociales sont générées par une interface de programmation d'application, une API, que nous avons mise en place avec les services fiscaux : les entreprises n'ont plus à les fournir elles-mêmes.
Pour autant, cette simplification peut aussi entraîner des retards : une fois sélectionnées, les entreprises tardent parfois à nous transmettre les documents nécessaires. Quand il y a de l'argent en jeu, il est normal de demander des pièces justificatives. En tout cas, nous avons en moyenne perdu soixante jours dans le processus de contractualisation, ce qui nous est parfois reproché, alors que ce sont en fait les entreprises qui tardent à nous transmettre les documents. La simplification que nous avons mise en place a finalement entraîné des process plus longs...
Mme Pauline Martin. - Je vais revenir aux fondamentaux de cette commission d'enquête, qui a pour vocation de déterminer l'efficience des agences et opérateurs de l'État.
Une vision claire ressort de votre présentation, mais le rapport de la Cour des comptes pointe un manque de transparence sur les financements que vous apportez. Le fait de travailler avec des opérateurs est-il à cet égard un élément d'explication ?
J'aimerais savoir aussi pourquoi vous avez choisi quatre opérateurs sur les douze que vous avez cités. Y allait-il d'un problème d'efficience ou de champ de compétences ? Je prendrai l'exemple de Bpifrance, qui fait un très bon travail dans certains domaines. Cependant, il nous a été indiqué que la volonté de Bpifrance de se diversifier entamait peut-être son efficacité, ce qui pourrait affecter sa bonne réputation.
Mme Géraldine Leveau. - Le décret qui fixe la liste des opérateurs pour les PIA date de juin 2010. Il mentionnait par exemple les grands organismes de recherche comme le Centre national d'études spatiales (Cnes), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera). Ce choix n'a pas été fait pour France 2030.
M. Bruno Bonnell. - Je ne suis pas directeur général de Bpifrance et les choix stratégiques de cet organisme appartiennent à son conseil d'administration. Ce que je peux dire, c'est que Bpifrance a réveillé le monde de l'entreprise en France et que c'est un excellent opérateur sur l'innovation ; beaucoup de gens compétents y travaillent et ils ont fait un très bon travail.
Bpifrance a vécu une crise de croissance qui lui a été beaucoup reprochée, mais elle a le rôle ingrat de dire non trois fois sur quatre. De plus, dans les levées de fonds en France, si Bpifrance ne participe pas, les investisseurs ne suivent pas. Elle a donc le double rôle ingrat de dire non aux subventions et aux avances remboursables, tout en étant indispensable aux levées de fonds des entreprises.
Nous avons des désaccords avec Bpifrance, nous bataillons tous les jours avec elle, mais c'est une cible facile, alors qu'elle est extrêmement efficace.
J'ajoute, pour rebondir en partie sur la question de M. Bilhac, que j'aimerais bien que les entrepreneurs qui ont bénéficié d'argent public et qui ont réussi investissent davantage dans des fonds d'investissement pour soutenir à leur tour des projets entrepreneuriaux. La France - la situation est assez différente dans nombre d'autres pays - a cruellement besoin de ce type de fonds privé. L'État, via Bpifrance notamment, doit combler l'absence d'un tissu d'investisseurs privés, auxquels il doit se substituer. Je ne comprends pas qu'on me dise qu'il n'y a plus d'argent à mettre dans les entreprises du fait que les avantages fiscaux liés à l'impôt de solidarité sur la fortune ont disparu avec lui...
On amuse la galerie avec une émission de télévision destinée à trouver des associés pour quelques milliers d'euros, mais, quand une jeune entreprise a vraiment besoin de trouver des capitaux pour développer une innovation fondamentale, c'est l'État qui prend le risque ! Avec France 2030, l'État dit à ces entrepreneurs : vous trouvez un euro, je vous en donne un en subvention. Mais, souvent, ils reviennent vers nous, en nous expliquant qu'ils n'ont pas trouvé cet apport.
Dans le même temps, il est difficile d'obliger quelqu'un à renvoyer la balle, car, si son projet ne marche pas, il sera le premier à demander l'aide de l'État : « Vous êtes actionnaire, soutenez-nous ! » Tout cela relève donc d'abord d'une éthique : « l'État m'a aidé, j'ai réussi, je vais maintenant aider de jeunes entrepreneurs ».
Nous avons une grande difficulté, en France, concernant la mobilisation du capital privé. D'ailleurs, nous verrons bien ce qui se passera de ce point de vue pour le secteur de la défense.
Mme Géraldine Leveau. - Cet entrepreneur qui a réussi a malgré tout créé de la valeur et des emplois, il a payé des impôts et des cotisations sociales, ce qui est bénéfique pour les finances publiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous indiquez être en désaccord permanent avec Bpifrance. Dans quelle mesure pouvez-vous refuser les frais de gestion qui vous sont proposés par les quatre opérateurs en question ? Comment remettez-vous en question le nombre de jours-homme proposé pour instruire tel dossier ainsi que les coûts salariaux correspondants ?
M. Bruno Bonnell. - Soyons clairs, je ne suis pas en guerre permanente avec Bpifrance. Même quand il y a un partenariat, une complicité et une vision partagée sur un certain nombre de sujets, il arrive que l'on ne soit pas toujours d'accord !
Mme Géraldine Leveau. - Une convention financière prévoit des forfaits en fonction des tâches. Ainsi, quand nous lançons un appel à projets, nous fixons un forfait de cadrage à un certain montant, que nous versons ensuite. Nous ne calculons donc pas en nombre de jours-hommes.
Au départ, pour créer la convention financière qui nous lie à l'opérateur, nous avons évalué combien il fallait de jours-homme pour instruire un dossier. Nous avons élaboré une grille de cotation de nos dispositifs, en les répartissant en trois catégories selon leur niveau de complexité. Le dispositif des concours d'innovation, par exemple, qui existe depuis très longtemps, coûte moins cher à l'État qu'un dispositif très complexe comme celui qui concerne ArcelorMittal. Ensuite, nous prenons en compte le nombre de dossiers reçus, X dossiers équivalant à X vérifications d'éligibilité. S'il y a eu Y dossiers éligibles, il y aura Y dossiers instruits et nous multiplions par Y le forfait que nous avons fixé.
Tout cela est suivi au quotidien par nos équipes métiers. Par exemple, le dispositif « décarbonation » est piloté par le conseiller chargé de l'hydrogène et de la décarbonation de l'industrie, qui sait à toutes les étapes combien il y a eu de dossiers reçus, de dossiers éligibles et de dossiers instruits.
Nous avons déterminé les forfaits par tâche, mais il existe une clause de revoyure tous les deux ou trois ans, en fonction des opérateurs et des conventions collectives. Il n'est donc pas compliqué de remettre en question les frais proposés, puisque nous avons défini leur coût en amont. Dans le cas d'une demande spécifique nécessitant davantage d'expertise, ou une analyse juridique très forte pour laquelle il faut mandater un cabinet d'avocats, nous payons au réel. C'est aussi le cas pour les dépenses de communication : nous établissons tous les ans un plan de communication avec chaque opérateur, puis nous validons les devis et nous payons au réel. Tel n'était pas le cas auparavant, lorsque nous recevions une facture tous les ans. Nous signions alors une sorte de service fait et cela suffisait. Aujourd'hui, nous savons à l'euro près combien nous ont coûté les frais de gestion.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions de votre contribution.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. C'est la première des auditions de membres du Gouvernement auxquelles nous procéderons. En effet, nous recevrons, le jeudi 15 mai, Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, puis, le 5 juin, M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Nous prévoyons enfin de recevoir Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, à une date non encore déterminée.
Monsieur le ministre, votre audition est particulièrement importante pour nous, car vos trois attributions ont fait l'objet de débats dans le cadre de nos travaux :
- si nous étudions les agences, les opérateurs et les organismes consultatifs de l'État, c'est bien pour trouver la meilleure manière d'assurer la mise en oeuvre de l'action publique, soit par l'administration centrale et décentralisée, soit par des organismes plus autonomes ;
- dans ce cadre, nous avons vite identifié la question de la fonction publique comme très importante, car les agences, c'est d'abord du personnel, de droit public ou privé, qu'il faut réorienter ou reclasser lors de toute opération de fusion ou de transformation ;
- enfin, le thème de la simplification revient dans presque toutes nos auditions, car la complexité du paysage des opérateurs, qui s'ajoute à celle de l'organisation administrative nationale, suscite incompréhension et méfiance chez les citoyens, les entreprises et les élus locaux ; nous l'avons constaté lors de nos deux déplacements dans le Val-d'Oise et dans le Loiret.
En outre, le Premier ministre a lancé le 21 février dernier, avec Mme de Montchalin et vous-même, un processus de revue des missions des ministères et de leurs opérateurs. Ceux-ci devaient recenser leurs missions, puis soumettre à la mi-avril un « projet de contrat de simplification et d'efficience ». Ce calendrier a-t-il été respecté ? Quelles conclusions en avez-vous tirées pour ce qui concerne les agences et opérateurs de l'État ?
Vous représentez également le Gouvernement pour l'examen en séance publique du projet de loi de simplification de la vie économique, qui a été interrompu à l'Assemblée nationale, mais qui doit reprendre à la fin du mois. Quelles leçons en tirez-vous pour les pistes de réforme de l'action publique, notamment en ce qui concerne les commissions consultatives ?
Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer les propos de votre collègue, Mme de Montchalin, qui a annoncé, le dimanche 27 avril dernier, que le Gouvernement supprimerait, d'ici à la fin de l'année, un tiers des agences et des opérateurs de l'État qui ne sont pas des universités, en vue d'une économie de 2 à 3 milliards d'euros. Puisque vous êtes les deux ministres paraissant chargés du dossier, pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit bien d'un objectif partagé au sein du Gouvernement et nous donner plus de détails sur les organismes concernés et sur la manière dont vous comptez arriver à un tel montant d'économies ?
Avant de passer la parole à Mme le rapporteur, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Marcangeli prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais commencer par une question simple : lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, au début du mois d'avril, vous avez déclaré que le Gouvernement serait « défavorable, par principe, à toute suppression d'opérateur ou d'agence » ; pouvez-vous nous expliquer ces propos ?
M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - J'ai dit dans le cadre de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique que nous ne procéderions à aucune suppression, pour une bonne et simple raison : nous respectons votre travail et nous respectons la parole donnée. Le 21 février dernier, lorsque le Premier ministre a réuni l'ensemble des directeurs de service et des directeurs de cabinet des ministres, pour lancer le processus de refondation de l'action publique, nous avons demandé que l'État fasse le point sur son fonctionnement, sur ses missions et sur l'efficience et l'éventuelle redondance de celles-ci. Dans le cadre de cette mission, nous avons souhaité nous interroger sur nos agences et autres opérateurs.
Parallèlement à cela, à
l'Assemblée nationale, j'ai indiqué en commentaire de chaque
amendement de suppression d'une agence ou d'un opérateur qu'il fallait
attendre le rapport de votre commission d'enquête, qui constituera pour
nous une aide à la décision. Or, comme les conclusions
de
la mission lancée le 21 février devraient
concorder, peu ou prou, avec le contenu de votre rapport, madame le rapporteur,
je pense que nous pourrons unir nos forces, travailler de concert pour y voir
plus clair.
Je commence ce travail avec une méthode, fondée sur l'écoute et sur l'attente de vos conclusions. Je veux suivre une démarche, non de bloc contre bloc, mais de bon sens et qui transcende les clivages politiques. Je souhaite que l'on se réinterroge objectivement sur la performance de notre système. Je ne veux pas que l'on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable, et je souhaite travailler dans la précision et le respect de la réalité. En effet, nos compatriotes, qui entendent parler depuis des mois ou des années des opérateurs, savent-ils que, parmi ces derniers, se trouvent les universités ou encore l'École polytechnique, ce centre de formation des élites dont notre pays a tant besoin ? Je serai donc totalement étranger à toute forme de caricature dans le cadre de mes travaux sur cette mission, chère au Sénat.
Chaque projet de transformation devra être rigoureusement justifié par trois éléments : d'abord, la lisibilité de l'action publique ; ensuite, la compatibilité culturelle et organisationnelle entre les structures concernées ; enfin, un plan de ressources humaines clair, car, lorsque l'on parle d'opérateurs ou d'organismes, on parle avant tout de femmes et d'hommes. Je suis certes le ministre de la simplification, mais je suis aussi le ministre de la fonction publique, des agents publics. Or, au sein de ces opérateurs, de nombreux agents publics sont présents.
J'ai proposé au Premier ministre une approche différenciée selon la typologie des opérateurs. J'en évoque ici rapidement les grandes lignes, car nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.
Il existe d'abord les opérateurs performants, la catégorie A : je pense, par exemple, que personne ne remettra en question l'existence et l'organisation actuelle de Polytechnique.
Viennent ensuite les opérateurs redondants, la catégorie B : ce sont ceux qui contribuent à la perte de lisibilité que j'évoquais à l'instant.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je me permets de vous couper : quelle est la définition d'un opérateur performant ? d'un opérateur redonnant ? d'un opérateur de catégorie C ? En outre, quels sont les critères utilisés pour classer les opérateurs entre ces trois catégories ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Les opérateurs performants seront ceux qui seront considérés, par votre commission d'enquête et par le Gouvernement, comme remplissant leur mission et apportant une véritable valeur ajoutée à la fonction publique.
Les opérateurs redondants sont ceux qui contribuent, disais-je, à une perte de lisibilité de l'action publique, du fait de compétences qui se recoupent ou de synergies demeurées inexploitées. Dans ce cas, des fusions ou des rapprochements peuvent avoir du sens, même si ce n'est pas une solution miracle, puisque les fusions ne divisent pas les effectifs par deux ; il faut en effet avoir à la fois une vision en matière de ressources humaines et une vision comptable.
Enfin, il y a les opérateurs qui ont été créés pour l'agilité ; c'est la catégorie C. Or, même lorsqu'une activité a été externalisée au sein d'un opérateur pour contourner certaines rigidités, il faut aussi, je le pense, se poser la question de sa réinternalisation, car celle-ci peut permettre de renforcer la prise directe des autorités politiques sur ces opérateurs. Les ministères ne doivent pas se déposséder de leurs talents et de leurs compétences.
Toutefois, tout cela doit être examiné au cas par cas. Je le répète, je souhaite disposer d'une vision minutieuse de chacun des opérateurs, de chacune des entités. En effet, si l'on se lançait dans une opération purement chiffrée, fondée sur des pourcentages, on n'irait pas véritablement au fond des choses. La gestion des opérateurs doit donc se faire ainsi : si l'externalisation demeure justifiée, conservons ce mode de fonctionnement ; en revanche, si telle ou telle activité doit revenir sous l'autorité du ministre, il ne faudra pas s'interdire de la réinternaliser. Il y existe aussi des opérateurs dont les missions sont identiques ou proches ; il faudra alors les mettre en réseau.
Telle est la méthode que je souhaite appliquer dans le cadre de ma mission, afin d'atteindre un objectif que nous devons tous partager : parvenir à plus de lisibilité dans notre action publique, dans le fonctionnement de nos institutions et dans les dépenses qui y sont associées, afin que nous puissions rendre des comptes à nos concitoyens.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la réunion du 21 février dernier, au cours de laquelle on a demandé aux ministres et aux directeurs d'administration centrale d'examiner les actions de leurs directions respectives et des opérateurs placés sous leur tutelle. À cet effet, des tableaux leur ont été transmis qui, si j'ai bien compris, ont depuis lors été restitués. Une partie des documents a été communiquée aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres.
J'ai cru comprendre que vous disposiez d'autres tableaux, notamment la classification des opérateurs en trois catégories ; est-ce bien le cas ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Oui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous serai reconnaissante de bien vouloir les transmettre à la commission d'enquête.
Quelle sera la suite de la démarche ? Est-il
prévu une analyse critique des tableaux, qui sont remplis par les
parties prenantes elles-mêmes ? On peut légitimement se
demander si ces dernières ne chercheront pas à défendre
leur propre cause... Dès lors, une procédure d'audit externe
est-elle prévue ?
Existe-t-il en outre une forme
d'harmonisation ? En effet, un ministère au périmètre
très large est susceptible d'avoir un regard plus sévère
sur ses opérateurs qu'un ministère doté d'un petit
périmètre.
Par ailleurs, quels sont les services transversaux du Gouvernement qui sont mis à contribution ? Nous avons compris que la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) était au coeur de la réflexion ; est-ce bien le cas ?
Enfin, quelles sont les prochaines étapes ? Vous avez évoqué un rapport pour fin juin ou début juillet ; est-il prévu des réunions d'étape, par exemple du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - J'ai adressé, le 21 mars dernier, un courrier à l'ensemble de mes collègues en tant que ministre de la simplification, dans lequel j'évoque ce sujet, mais aussi, plus largement, l'ensemble des questions susceptibles d'être portées en binôme avec moi en matière de simplification de la vie de nos concitoyens. Ainsi, la semaine dernière, par exemple, j'étais à l'hôtel de Roquelaure, où siège le ministre François Rebsamen, pour annoncer des mesures de simplification relatives aux élus locaux. Nous avons participé à une réunion en binôme, dans cet état d'esprit.
Parmi les requêtes que j'ai adressées aux ministres dans le courrier du 21 mars dernier, j'ai demandé que chacun fasse le point sur l'ensemble des agences et opérateurs dépendant de son ministère, au titre des politiques publiques dont ils ont la charge. Je dois bien avouer que, pour l'instant, la présentation de certains plans ministériels demeure incomplète. Je ne citerai pas de noms, mais, pour quelques ministères, une seconde réunion devrait avoir lieu au cours de ce mois.
Comme toujours, les arbitrages seront rendus in fine par le Premier ministre, avec, très vraisemblablement, une validation des plans à la mi-juin. Cette validation serait probablement actée par le comité interministériel de la transformation publique, qui se réunirait à ce moment-là. Cela reste toutefois à confirmer, compte tenu du grand nombre de comités interministériels à organiser d'ici à la fin de l'été. Ce CITP intégrerait les plans de transformation ministérielle, en lien avec les plans ministériels du numérique attendus d'ici à la tenue du salon VivaTech, au cours de la deuxième semaine de juin.
Je vous transmettrai naturellement copie du courrier adressé à l'ensemble de mes collègues du Gouvernement le 21 mars dernier.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je souhaite revenir sur la question des ressources humaines. Lors de nos auditions, nous avons entendu deux messages contradictoires.
D'une part, certains nous ont expliqué que l'une des causes de la création des agences avait été la volonté de contourner le cadre statutaire de la fonction publique, en permettant le recrutement d'agents contractuels ou d'agents publics en détachement avec des rémunérations plus élevées, afin d'attirer des compétences spécifiques.
D'autre part, d'autres intervenants nous ont affirmé que tout cela n'était plus d'actualité, que l'on percevait maintenant la même rémunération, qu'on soit placé en position normale d'activité (PNA) dans son administration d'origine ou détaché auprès d'un opérateur.
Qui croire ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut d'abord veiller à un point essentiel, c'est en tout cas ma position : ces opérateurs, ces agences, ne doivent pas déposséder les ministères de leurs meilleurs talents. Selon moi, les meilleurs profils des administrations centrales n'ont pas vocation à être systématiquement captés, attirés par les avantages que peuvent offrir, notamment en matière salariale et statutaire, ces opérateurs. Bien sûr, passer par ces structures peut constituer une étape enrichissante dans la carrière d'un haut fonctionnaire, mais, je le répète, je préfère que les meilleurs soient au service de l'État central.
Par ailleurs, il faut le dire, il y a eu, dans la recherche d'agilité - puisque nous parlons ici de ressources humaines -, une certaine forme de dérive. Il devient nécessaire de mieux encadrer les régimes indemnitaires et les avantages spécifiques parfois accordés, parce que nous le devons à nos concitoyens, à nos compatriotes. Il conviendra donc sans doute de faire évoluer le processus d'identification, d'audition et de nomination des dirigeants de tutelle, en s'inspirant d'un schéma analogue à celui qui est actuellement en vigueur pour les directeurs d'administration centrale.
L'emploi de contractuels doit faire l'objet d'un examen tant au sein des opérateurs que de l'État, en s'appuyant sur le cadre posé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Même s'il offre de plus importantes marges de manoeuvre en matière de gestion, le recours à ces contrats n'enlève rien au constat : un opérateur doit piloter sa masse salariale et se tenir à un plafond d'emploi.
Le Gouvernement n'est pas opposé à cette forme de recrutement, mais il est nécessaire de veiller à un équilibre entre fonctionnaires et contractuels. Les proportions doivent être comparables à celles qui sont constatées dans les ministères.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'abord, vous n'avez pas vraiment répondu : qui dois-je croire ? La situation a-t-elle changé ?
Ensuite, j'entends que tous les meilleurs profils ne doivent pas aller dans les agences. Toutefois, ils regardent les rémunérations proposées selon les missions, ces dernières étant parfois très similaires entre les directeurs d'administration centrale, d'agence ou d'opérateur. La feuille de paie à la fin du mois fait la différence !
Enfin, vous évoquiez le cadre instauré par la loi de 2019 et l'équilibre qui doit s'observer. Comment pouvez-vous dès lors expliquer que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) compte seulement 4 % d'agents publics, le reste de l'effectif étant constitué de contractuels ? Il ne semble pas que le ratio soit le même pour le ministère de la transition énergétique (MTE).
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Je vous demande en toute logique de me croire, puisque vous avez rappelé tout à l'heure à quel point je pourrais, en cas de mensonge, avoir des difficultés !
Comment réaliser un suivi ? C'est le ministre de la simplification qui vous l'assure : le système est très complexe. L'État, par l'intermédiaire des ministères de tutelle, exerce déjà un contrôle rigoureux, même si je pense - une fois encore, je n'engage pas la parole du Gouvernement - qu'il faut faire mieux. En effet, il est attesté que des dérives existent dans certains organismes. En cohérence avec le discours du Gouvernement sur les finances publiques, que vous avez pu encore entendre lors de la séance de questions au Gouvernement de cet après-midi, le contrôle doit s'effectuer à tous les étages.
L'idée est d'unifier davantage le suivi et la gestion des ressources humaines à l'échelle de l'administration centrale et des agences. Cet objectif pertinent soulève des enjeux de mise en oeuvre complexes. À ce titre, la commission interministérielle d'audit salarial du secteur public (CIASSP) suit l'évolution de la rémunération moyenne des personnes en place (RMPP) de quatre-vingt-cinq organismes, fournissant des comparaisons utiles aux tutelles. Il serait souhaitable, de mon point de vue, d'élargir ce dispositif et de lui conférer de réels leviers pour renforcer son efficacité. Si l'arbitrage du Premier ministre suit la position de mon ministère, le Gouvernement sera amené à agir de la sorte.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce stade, il reste des actions à mener, étant donné - vous semblez aller en ce sens - qu'il existe des écarts de rémunération entre l'administration centrale et les opérateurs.
Le Gouvernement, par votre intermédiaire, a déposé un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique visant à créer une clause d'extinction automatique des comités consultatifs. Estimez-vous que la même clause devrait être mise en place pour les structures plus pérennes ou en tout cas bénéficiant d'un statut juridique, tels les opérateurs et agences ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - La clause d'extinction est adaptée aux instances consultatives : il est normal de questionner, à échéances régulières, leur utilité et bien-fondé. Pour les opérateurs qui gèrent une politique publique, une approche identique n'a pas de sens, car, par la nature même de leur mission d'intérêt général, leur action s'inscrit dans le temps long.
Toutefois, l'approche du Gouvernement est analogue dans sa finalité : nous demanderons à l'ensemble des opérateurs qui seront maintenus de produire dans les trois ans un bilan formel d'activité. Si un opérateur ne satisfait pas aux obligations de performance, l'idée est que, automatiquement, le dirigeant ne soit pas reconduit : il aura des comptes à rendre. Si, à l'avenir, nous faisons planer cette menace, le compte rendu d'activité sera fait et il sera fait correctement.
L'introduction d'un moratoire sur la création de comités et de commissions consultatives, et/ou sur celle d'agences peut être étudiée. Quoi qu'il en soit, sans être formalisé, le moratoire, de fait, existe. Le Gouvernement sera vigilant concernant les demandes de création d'organismes et gardera tout à la fois une capacité d'adaptation en cas de besoin exceptionnel ; je pense aux organismes créés spécifiquement pour faire face aux crises.
À ce titre, même s'il ne s'agit pas d'une agence ou d'un opérateur, j'ai eu toutes les peines du monde à convaincre certains députés de supprimer le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, voilà quelques semaines, à l'Assemblée nationale. J'ai même eu quelques difficultés à supprimer le comité de contrôle et de liaison covid-19 ! Puisque beaucoup de députés ont affirmé que c'était folie de ma part, vous imaginez bien les résistances quand il s'agira des opérateurs et agences.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Précisément pour cette raison, nous pourrions inverser la logique. Si, d'après vous, la limitation de la durée de vie des organismes est justifiée pour les comités consultatifs sans l'être forcément pour les autres structures, comment expliquer que soit créé l'établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) sans clause d'extinction ? Leur objet est pourtant limité dans le temps. Maintenez-vous que l'idée d'une clause d'extinction n'est pas pertinente ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut procéder au cas par cas. Lorsqu'un opérateur est créé en fonction d'un objet précis - ceux que vous citiez ne sont pas totalement inadaptés à la démonstration -, une clause d'extinction doit figurer dans l'acte de naissance de la structure pour y mettre un terme à la fin des travaux ou à la disparition de la menace.
En revanche, puisque certains problèmes se
poseront toujours, certaines politiques publiques devront toujours être
menées. Peut-être vos travaux et ceux du Gouvernement se
rencontreront-ils et mèneront-ils à
des fusions
d'agences ou d'opérateurs qui font peu ou prou la même chose ou
qui ont le même périmètre ? Quoi qu'il en soit, il ne
me semble pas de bonne politique de prévoir une clause d'extinction pour
toute nouvelle structure.
En effet, si une telle clause existe, il faudra créer, après l'extinction de l'ancien organisme, dont les missions s'inscrivent dans le temps long, un nouveau. Par conséquent, il faudrait plutôt mettre en place un mécanisme permettant de séparer le bon grain de l'ivraie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de parler de politiques publiques, enjeu central de toutes nos auditions et de nos travaux. Au travers des agences, il est question en creux de simplification administrative : quel interlocuteur étatique pour les citoyens, les entreprises ou les collectivités ? En décembre dernier, Véronique Louwagie s'était vu confier une mission temporaire ayant pour objet la simplification administrative comme source de réduction des dépenses de l'État. Quelle suite a été donnée à cette mission, étant donné qu'elle n'a pas pu la mener à bien ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - En effet, ma collègue Louwagie a été nommée au Gouvernement alors qu'elle était chargée de cette mission.
D'abord, le Premier ministre a parlé de simplification dans son discours de politique générale et ce week-end encore dans un hebdomadaire, dans le cadre d'une interview qui a fait parler, signe d'une attention particulière du Gouvernement au sujet.
Ensuite, j'ai moi-même communiqué sur la simplification en marge du conseil des ministres et défini une feuille de route, mon ministère travaillant en binôme avec les autres, dans le cadre de la mission de refondation de l'action publique, lancée le 21 février dernier.
En outre, Boris Ravignon, le maire de Charleville-Mézières, a été nommé pour une nouvelle mission de recherche de simplification.
Enfin, le Gouvernement partage pleinement le double enjeu décrit dans le rapport d'information La rationalisation de notre administration comme source d'économies budgétaires, corédigé par les députés Véronique Louwagie et Robin Reda.
Le Premier ministre indiquera l'agenda de la mission de transformation de l'action publique. Par ailleurs, la mission de Mme Louwagie est susceptible d'être reprise. J'ai entendu quelques rumeurs - je ne peux attester de leur véracité aujourd'hui - selon lesquelles le suppléant de la ministre pourrait éventuellement en être chargé. À ce stade, le Gouvernement s'appuie sur la méthode définie le 21 février en la matière et sur les travaux de M. Ravignon, que j'ai rencontré personnellement. Ce dernier a d'ailleurs été le premier à prendre la parole lors du Roquelaure de la simplification de l'action des collectivités, avant même M. Rebsamen et moi-même.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends que vous avez pris connaissance du rapport parlementaire de nos collègues de l'Assemblée nationale, mais que rien n'a été acté dans un sens ou dans un autre concernant la mise en oeuvre des préconisations qui y figuraient.
La mission temporaire de simplification, telle qu'elle était initialement prévue à la fin de l'année 2024, est pour l'instant abandonnée, mais Boris Ravignon, qui a déjà remis un rapport l'année dernière sur la question, est chargé de poursuivre des travaux en la matière.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Ses précédents travaux portaient surtout sur les collectivités.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quand il est question des collectivités, il est aussi question de simplification.
Dans le cadre de vos travaux, vous êtes-vous interrogé sur la taille critique ou la taille opportune d'une structure oeuvrant en dehors du giron de l'État ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - De toute manière, il faudra se poser la question. Durant l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique, des parlementaires en faveur de la suppression de diverses structures ont parlé, en commission et dans l'hémicycle, de recréer la grande délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar). Il s'agirait ainsi d'arrêter la multiplication à tous les étages des agences et des opérateurs. Je ne citerai pas les vilains petits canards, que je ne considère pas comme tels, mais certains organismes reviennent souvent dans la bouche des élus, notamment locaux. Face au nombre de structures, on aimerait avoir le bon numéro de téléphone pour savoir à qui s'adresser ! Aussi, il serait bon de disposer d'un organisme regroupant la crème de la crème.
La taille critique d'un organisme dépend du nombre d'agents dans son service. Il ne faudrait pas créer des États dans l'État : si une agence devait compter à l'avenir un effectif tel qu'elle en deviendrait plus puissante qu'un ministère, cela affaiblirait le politique. Il faut faire particulièrement attention. Parallèlement, avoir toute une constellation d'agences et d'opérateurs destinés à réfléchir sur un sujet n'est pas non plus la solution : le saucissonnage risque d'entraîner la dilution.
Il faut trouver le juste équilibre. C'est là tout l'objectif de la remontée d'informations que le Gouvernement a demandé à l'ensemble des services de l'État, centralisés et déconcentrés, au mois de février dernier. De même, je suivrai de très près les conclusions qui seront rendues par votre commission d'enquête.
Je ne citerai aucun nom de structure car cette pratique provoque le désordre : dès que vous prononcez le nom d'un organisme, des anticorps se forment ! Pas plus tard qu'hier, je discutais avec un haut commis de l'État qui avait, en son temps, essayé d'impulser de grandes fusions et rapprochements. Il a échoué parce qu'un organisme, qui s'est vraiment senti dans le viseur, a réussi à sauver sa peau - je vous prie de m'excuser pour l'expression -, entraînant une contagion : les autres se sont demandé pourquoi ils seraient visés. Il est donc de bonne méthode de ne pas créer de résistances. Pour ce faire, il faut ne montrer personne du doigt.
Le travail que vous menez sera une source d'inspiration. J'irai même plus loin, madame la rapporteure, messieurs les sénateurs : vous vous êtes bien aperçus que le Gouvernement est toujours enclin à donner la main aux parlementaires, notamment dans la production législative. Il ne me paraît pas totalement infondé qu'une proposition de loi, plutôt qu'un projet, donne le « la » et permette, en coconstruction avec le Gouvernement, d'avancer sur le sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Envisagez-vous de faire évoluer le cadre d'emploi de la fonction publique ? Fusions et suppressions ne signifient pas automatiquement économies, notamment dans les structures employant des agents publics. Quelles pistes avez-vous identifiées ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. Au bout de quatre mois et demi de présence au Gouvernement, j'ai constaté que chaque ministère avait son propre climat et que le cadre d'emploi pouvait varier en fonction des directions. Il n'y a pas d'unité de ce point de vue : cela manque de lisibilité. Je le mesure, d'ailleurs, pour une autre réforme, celle des complémentaires santé et prévoyance.
Je ferai une première proposition de regroupement. Il existe à l'heure actuelle cinq instituts régionaux d'administration (IRA) : j'en demanderai la fusion en un seul établissement, ils sont prévenus. Voilà l'état d'esprit qui sera le mien dans le cadre des travaux que nous mènerons.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous vous attaquez à un sujet facile : la diversité des cadres d'emplois dans les IRA est extrêmement faible. Vous ne risquez pas de vous heurter à l'alignement par le haut des rémunérations, ce qui a toujours été le problème des fusions antérieures.
M. Laurent Marcangeli, ministre. On gravit toujours la montagne par le début, puis on monte ensuite vers les cieux.
M. Hervé Reynaud. - L'objectif de cette commission d'enquête est de rechercher des économies, mais aussi et surtout de trouver de l'efficacité dans l'action publique. Le 28 avril dernier s'est tenu le Roquelaure de la simplification. Les sources de complexité dans l'action publique résident dans l'empilement des strates. Il existe plusieurs catégories d'instances. Nous sommes tombés d'accord sur les comités Théodule : il faut prévoir une clause d'extinction ou d'obsolescence, avec une revue d'effectifs régulière qui nous permettrait de mettre à jour l'ensemble de ces instances pour les laisser s'éteindre lorsqu'elles ont fait leur oeuvre.
Dans le cadre de la démarche de simplification, vous avez également déclaré : « Notre pays est obèse de sa bureaucratie. Pendant des années, nous avons essayé les régimes minceur et la médecine douce. Il nous faut désormais passer à une étape supérieure. » Pouvez- vous nous en dire plus sur cette démarche, qui me paraît plus brutale et ambitieuse ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. En ce qui concerne la clause d'extinction pour les comités Théodule, la rédaction législative qui a été retenue me pose un problème en tant que juriste. Je vous invite à la revoir. En interministériel, nous avions proposé d'autres rédactions, notamment issues de mon cabinet, mais ce n'est pas la version qui a été retenue. Cependant, le principe, pour moi, est le bon. Il existe des travaux redondants, il faut trouver une formule qui nous permette de mettre en place une clause d'extinction. Nous pourrions parvenir à une écriture plus performante en commission mixte paritaire.
L'administration comporte des personnes formidables que je croise dans chaque déplacement, dans nos hôpitaux, dans nos prisons, dans nos établissements scolaires, dans nos collectivités territoriales. Ici, au Sénat, vous savez très bien le trésor que représentent des agents publics communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux.
Cela étant, notre manière de fonctionner provoque parfois des excès. C'est un peu comme le cholestérol : il y a le bon et il y a le mauvais. Le mauvais cholestérol de la fonction publique consiste en une forme de bureaucratie, avec des normes qui se contredisent et qui rendent dingues nos concitoyens, nos entreprises, nos associations, nos élus locaux, leur enlevant parfois l'envie d'avancer sur leur projet, voire même de commencer l'ébauche d'une réflexion de projet. Les agents publics de ce pays ne sont pas non plus les premiers supporters de cette manière de fonctionner. Ils appliquent la réglementation pour éviter la faute professionnelle, mais dans 95 % des cas, ils aimeraient bien, eux aussi, faciliter la vie des gens qu'ils reçoivent à leurs guichets. L'obésité bureaucratique, c'est aussi cela.
J'ai défini une méthode. D'abord, il y a ce que le Gouvernement doit faire. Charité bien ordonnée commence par soi-même : nous avons du travail au niveau réglementaire. Je suis issu de la tradition parlementaire. Les parlementaires ont un examen de conscience à réaliser sur chaque texte pour mieux rédiger les textes. J'ai cité tout à l'heure la clause d'extinction : elle m'interroge réellement en tant que juriste.
Nous procédons aussi souvent à diverses
dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue), dont
le périmètre est très large. Je proposerai qu'on le
fasse aussi pour des éléments de simplification à
intervalles réguliers. Cela aurait du sens, car je vous le dis
franchement : il n'y aura pas de grand soir. À quelqu'un qui me
demandait si un jour la simplification s'arrêtera, j'ai
répondu : « jamais ! » La simplification ne
peut
pas s'arrêter, parce qu'il s'agit d'un examen de conscience
permanent. C'est une forme de revue des politiques publiques existantes et
des productions législatives.
Je pense qu'on peut aussi envisager de saisir les Français par référendum sur des éléments de simplification. Le référendum est un outil dont nous n'usons pas véritablement. Le dernier s'est déroulé voilà vingt ans. En matière de simplification, la saisine du peuple est une piste, à mon sens, à ne pas balayer d'un revers de main.
Il existe également un problème en matière de surtransposition. J'ai participé à trois salons de l'agriculture, deux en tant que président de groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et le dernier en tant que ministre. Nous sommes tous attachés à nos terres agricoles et au travail effectué par celles et ceux qui en vivent et nous font vivre. La colère qui s'exprime est souvent due à notre tendance à surtransposer des normes européennes et à les rendre encore plus compliquées qu'elles ne le sont déjà.
Préventivement, sur la production normative, tant au niveau gouvernemental qu'au niveau parlementaire, il faut donc faire attention à être le moins bavard possible. Par ailleurs, les décrets d'application doivent être publiés dans les temps et rédigés correctement. Nous pourrions aussi envisager de grands moments annuels à travers des textes suffisamment larges. Enfin, comme s'il s'agit d'un sujet d'importance pour la Nation, pourquoi ne pas en appeler au peuple par voie référendaire ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous êtes ministre de la fonction publique : êtes-vous en mesure de nous dire où se trouvent l'ensemble des agents publics ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. Bien sûr que non. Je ne dispose pas de chiffres exacts, mais il existe un nombre suffisamment important d'agents publics sans affectation pour que cela m'interpelle en tant que ministre. Il s'agit souvent de personnalités dotées du statut de haut fonctionnaire : ils pourraient être beaucoup plus utiles s'ils avaient une affectation.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous l'intention de prendre des mesures pour mieux connaître l'emplacement des agents publics et leur statut ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. Je ne suis pas frileux, mais il convient de faire preuve de méthode. Ne mettons pas le feu à tout. Il s'avère que les ministres vont et viennent assez rapidement ces derniers mois. Or j'ai besoin de temps : la question doit être traitée ministère par ministère. Je ne vous dis pas que nous sommes dans une anarchie complète et que plus rien n'est piloté - ce serait gravissime. Mais il est vrai qu'un certain nombre de choses ne sauraient être comprises par nos compatriotes, car elles ne sont pas non plus totalement bien comprises par les ministres. Différentes strates se sont superposées les unes aux autres : rationaliser prendra du temps. J'ai demandé à la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) de réaliser une cartographie RH. Il n'est pas acceptable que certains de nos agents soient en sommeil et passent sous les radars alors qu'ils doivent encore des années de service à la collectivité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La Diese, qui a été créée il n'y a pas si longtemps, ne remplit donc pas encore parfaitement ses missions ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. Les outils qui souffrent le plus sont ceux dont nous ne nous servons pas. La création de la Diese est récente : il faut la solliciter et lui confiant des missions.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - On a créé la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Force est de constater qu'un grand nombre de structures publiques sont obligées de faire appel à de l'expertise privée, alors même que nous avons la Diese pour les grands projets de transformation, la direction interministérielle du numérique (Dinum) pour les grands projets informatiques, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) pour l'expertise technique, etc. Comment expliquez-vous que les structures publiques n'arrivent pas à trouver l'expertise dont elles ont besoin parmi les autres structures publiques, et que nous continuons à recourir à des cabinets de nature privée ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. Je commencerai par un exemple précis. La semaine dernière, à Marseille, le Premier ministre, en compagnie de votre ancien collègue, le ministre des transports, Philippe Tabarot, a annoncé un plan structurel en matière de transports. La méthode organisationnelle aurait pu être confiée à une entreprise externe. Cependant, ce sont mes services, notamment la DITP, qui ont été mandatés en tant qu'agence de conseil interne pour mener à bien cette mission confiée par le Premier ministre au ministère des transports. Cela implique, notamment, l'organisation de nombreuses consultations d'élus locaux et d'entreprises.
Depuis un certain temps, nous avons divisé par trois les dépenses liées à l'utilisation de cabinets externes. Personnellement, je suis convaincu qu'il faut privilégier l'action interne chaque fois que possible. Je ne sais pas si nous parviendrons à internaliser entièrement la production, mais la DITP - que je cite à titre d'exemple - a produit des résultats notables. C'est une direction qui a fait preuve d'efficacité, notamment dans le cadre de la revue d'effectifs demandée par le Premier ministre le 21 février dernier. La DITP a respecté les délais et a coordonné l'ensemble des missions.
De plus, France Simplification, placée sous l'égide de la DITP, devrait commencer à prendre son essor. À terme, notre objectif est de réduire au maximum les coûts liés au recours à des opérateurs extérieurs.
Mme
Christine Lavarde, rapporteur. - Merci
d'avoir évoqué la question de l'usage du français. Je vous
ai interpellé sur le sujet : je suis toujours en attente de la
réponse sur la réforme du concours
de
l'Institut national du service public (INSP) et de la note
éliminatoire de l'anglais, ce qui est assez absurde pour des hauts
fonctionnaires censés promouvoir la pratique du français,
notamment à Bruxelles !
On observe un éclatement des structures qui versent de l'argent aux citoyens, aux entreprises, aux collectivités. Ce gouvernement, dans la continuité des derniers gouvernements, a fait de la lutte contre la fraude une priorité. En tant que ministre de la transformation publique, vous semblerait-il judicieux de regrouper ces structures de paiement ? Je ne parle pas de l'instruction, car il y aura ensuite des questions techniques à vérifier, notamment pour s'assurer que l'on verse bien de l'argent à un citoyen qui a le droit de le percevoir. Il faudra également une version consolidée pour savoir combien l'État a versé à chacun au terme d'un exercice budgétaire.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - La remontée d'informations nous permettra d'y voir un peu plus clair. L'évaluation, qui va évoluer dans le cadre de la refondation de l'action publique, a en effet pour objectif de déterminer qui verse quoi, comment les dispositifs fonctionnent, et s'ils sont efficaces et propres. Il s'agit d'avoir la vision la plus claire possible.
Ma position est la suivante : lorsqu'il y a des soupçons de fraude ou lorsque les informations qui nous sont transmises, et dont votre commission d'enquête sera également destinataire, font état d'une mauvaise utilisation de l'argent public, alors il ne faut pas hésiter à agir. Il existe, en revanche, des organismes payeurs qui font bien leur travail.
Je considère, à titre personnel, qu'en matière d'argent public le Gouvernement doit avoir la main. Bien sûr, des garde-fous doivent exister afin d'éviter le fait du prince. Mais quand des montants importants sont susceptibles d'être utilisés, chacun doit assumer sa responsabilité et celle-ci ne doit pas être diluée.
M. Pierre Barros, président. - Depuis février, nous avons auditionné de nombreux acteurs - chercheurs, représentants du corps préfectoral et des administrations, opérateurs -, ce qui nous a donné une vision globale de l'organisation de l'État : celui-ci s'est organisé depuis une bonne trentaine d'années en tant qu'État stratège, tandis que la mise en oeuvre relève des opérateurs, lesquels ont parfois du mal à trouver des relais locaux. Ou plutôt, les relais locaux ont des difficultés à trouver un interlocuteur opérationnel du côté de l'État, qui s'est désinvesti de l'opérationnalité au profit des opérateurs. Il existe donc un dysfonctionnement dans la mise en oeuvre des politiques publiques conçues stratégiquement par l'?État.
Les représentants de la Diese nous ont
expliqué qu'il était conseillé aux agents d'administration
centrale de passer, dans le cadre de leur parcours professionnel, par les
opérateurs pour redonner du sens à leur travail.
Cela m'interpelle très fortement, et je mets ceci en relation avec
le déficit d'attractivité des administrations centrales. La
création d'opérateurs ne
permet-elle pas de
répondre au problème du manque d'intérêt de
certaines tâches et de sortir de la stratégie pour participer
à l'opérationnalité, qui redonne du sens à diverses
fonctions ?
Quant au corps préfectoral, il souhaite non pas tant reprendre la main que savoir ce qui se passe réellement sur leur territoire. Il arrive en effet souvent que des projets se mettent en place sans qu'ils y soient complètement associés - ils ne siègent pas forcément dans les conseils d'administration des opérateurs. Pourtant, lorsque lesdits projets se heurtent à des difficultés, ce sont eux qui se font critiquer sur le terrain. On sait bien qu'un maire ou un préfet sont à portée de critique, mais ce n'est légitime que s'ils sont associés aux projets.
Les collectivités ont aujourd'hui de grandes difficultés à récupérer l'ingénierie locale de mise en oeuvre des politiques publiques édictées par l'administration centrale, l'État, les préfectures, les sous-préfectures et les collectivités elles-mêmes. Les comités d'agglomération sont presque devenus des opérateurs de l'État en vue de cette mise en oeuvre et les préfectures sont complètement dépouillées de leurs capacités opérationnelles. Cela nous a été confirmé lors des auditions que nous avons menées et nous l'avons vécu en tant qu'élus locaux. Au-delà de la question de la simplification, et même s'il est satisfaisant de réfléchir de façon stratégique sur le temps long, il convient aussi de redéployer les moyens dans les territoires, là où l'on a besoin de faire le travail.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Monsieur le président, je m'intéresse depuis longtemps à ces sujets, car je connais le terrain : j'ai siégé dans un conseil départemental, présidé une agglomération, été maire d'une commune de 75 000 habitants et conseiller régional. Je connais donc ce schéma, notamment dans une zone périphérique qui est de surcroît une île, la Corse, et je sais comment les choses fonctionnent.
Le modèle que je défends est départementaliste : le bon échelon est, selon moi, le préfet de département, auquel beaucoup de clés doivent être remises dans le cadre de la politique de déconcentration. Ainsi, l'amélioration de la simplification est le résultat d'une expérimentation. Celle-ci peut être menée au niveau régional, ce qui a du sens dans la région Corse, par exemple. Mais c'est moins simple dans les régions de grande taille, dont certaines ont été créées par la loi du 16 janvier 2015, et ce même si nous avons d'excellents préfets de région qui sont de grands serviteurs de l'État.
Le bon échelon dans le cadre de la déconcentration est donc, selon moi, le préfet de département, qui est aussi le représentant de l'État, lorsque le territoire présente une véritable unité opérationnelle. Il convient donc de lui confier de nombreuses missions ; mais pas toutes - je suis ainsi attaché au rôle du recteur d'académie, qui est important. En période de crise, cette question est revenue avec force et prégnance dans les débats.
Je citerai un exemple d'expérimentation sur le terrain : le département du Cher a été choisi pour expérimenter la présence d'agents des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans les maisons France services. Ce projet intéressant a pu voir le jour grâce au soutien du président du département, mais aussi au travail mené par le préfet de ce département.
Dans le cadre de France Simplification, ce sont souvent les préfets de département qui font remonter les enjeux du terrain. Je pense notamment à la question du délai pour organiser des funérailles, lequel a été allongé parce qu'un préfet avait été touché par une situation particulière - une personne qui était à l'étranger n'avait pu se rendre aux obsèques d'un proche. On peut aussi citer l'achat de véhicules d'occasion par les collectivités locales ou l'État déconcentré, qui est désormais possible grâce - là encore - à la mobilisation d'un préfet.
Le préfet de département est donc le bon échelon.
Quant aux difficultés rencontrées par les élus locaux, je ne les connais que trop. Et des décisions prises par le passé concernant le corps préfectoral ont ainsi eu des répercussions. Je suis issu d'un territoire à la fois urbain et rural : ma circonscription comprend 49 communes ; la commune-centre, dont j'étais maire, compte 75 000 habitants, mais ma commune d'origine a 50 habitants. En Corse, le fait que la « préfectorale » ne soit plus celle que l'on connaissait il y a quelques années et que les conseils départementaux aient été supprimés, cela « donne le blues ». Le contact avec les élus de proximité qu'étaient les conseillers départementaux, et auparavant les conseillers généraux, n'existe plus. Nombre d'élus sur le terrain ne parviennent plus à obtenir les informations dont ils ont besoin et ne savent plus vers qui se tourner lorsqu'ils ont une difficulté.
Pour ma part, je crois au corps préfectoral au niveau départemental. La préfectorale régionale peut être très utile dans bien des domaines, mais pour ce qui est de la simplification et de la présence de l'État, le département est le niveau idoine.
M. Pierre Barros, président. - Ce dossier est inépuisable pour les élus locaux que nous sommes. Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cet échange.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Structures intervenant en matière de développement d'infrastructures de transport - Audition de MM. Rodolphe Gintz, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), Franck Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire générale de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, et M. David Valence, président du conseil d'orientation des infrastructures (COI)
M. Pierre Barros, président. - Notre ordre du jour appelle la tenue d'une table ronde sur le financement des infrastructures de transport, pour laquelle nous recevons trois acteurs importants du secteur : M. Franck Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et également président de la région Grand Est, accompagné de Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire générale ; M. David Valence, président du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) ; enfin M. Rodolphe Gintz, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM).
Notre commission d'enquête nous a conduits à étudier diverses agences contribuant aux politiques publiques, mais nous abordons pour la première fois le secteur des transports, et nous souhaitons comprendre comment les opérateurs sont associés à la mise en oeuvre de cette politique, si les règles sont claires dans ce jeu entre l'État, les agences et les collectivités, et si l'État conserve sa capacité de pilotage et d'impulsion face aux agences.
L'Afitf fait l'objet d'une attention particulière, l'Assemblée nationale ayant récemment voté un texte en faveur de sa suppression. Messieurs Leroy et Valence, vous avez co-signé une tribune dans laquelle vous expliquez que l'Afitf assure la fiabilité et la stabilité des financements sur la durée. Mais l'agence ne semble pas à l'abri des régulations budgétaires, puisque ses ressources ont été réduites de près de 400 millions d'euros fin 2024, et de 400 millions supplémentaires cette année.
Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire, il m'appartient de vous rappeler que cette audition est diffusée en direct sur le site du Sénat.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Rodolphe Gintz et Franck Leroy, Mme Katrin Moosbrugger et M. David Valence prêtent serment.
M. Franck Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). - L'Afitf a été créée en 2005 et j'en préside le conseil d'administration depuis moins d'un an. Elle a pour objectif principal de sécuriser et de garantir les engagements de l'État en matière d'infrastructures de transport, dont certaines nécessitent des chantiers s'étendant sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. La sécurité des financements étatiques apportée par l'Afitf est déterminante pour les territoires concernés et les entreprises de travaux publics et de l'industrie ferroviaire.
L'Afitf finance par ailleurs, par des moyens essentiellement tirés des transports carbonés, des investissements dont les deux tiers bénéficient à des transports alternatifs à la route. Cette dimension vertueuse du financement est importante. L'Afitf aurait dû être bénéficiaire de l'écotaxe, finalement supprimée, et il a fallu trouver des recettes alternatives pour financer ces infrastructures prioritaires. La conférence des financements récemment lancée par le ministre des transports fait suite à d'autres travaux qui ont permis d'identifier un besoin d'investissement de 100 milliards d'euros pour remettre à niveau les infrastructures de transport français.
L'Afitf gère un budget d'environ 4 milliards avec une équipe extrêmement réduite : quatre postes permanents, un apprenti et une personne en intérim. Cette équipe travaille en étroite relation avec les services du ministère des transports et la DGITM, permettant une gestion optimale du financement des infrastructures.
M. Rodolphe Gintz, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM). - J'occupe le poste de DGITM depuis le 2 janvier 2024 et j'ai assuré l'intérim de la présidence de l'Afitf jusqu'à la nomination de M. Leroy l'été dernier.
Dans le cadre de la refondation de l'action publique, le Premier ministre nous a demandé de définir les missions de la DGITM. Elles sont au nombre de cinq.
Premièrement, nous veillons sur l'un des patrimoines les plus importants des Français. Les infrastructures de transport figurent en effet parmi les actifs immobilisés les plus significatifs des comptes de l'État : routes, participations publiques dans les chemins de fer, voies navigables, etc. Notre mission consiste à nous assurer que ces infrastructures sont entretenues, exploitées et développées de manière optimale afin de servir les besoins du pays et de ses habitants. Nous exerçons cette mission selon des modalités très variées, depuis l'exécution directe par nos services jusqu'à des concessions opérées par des opérateurs privés bénéficiant d'un contrat de service public.
Deuxièmement, nous veillons à la qualité de service des infrastructures.
Troisièmement, puisque les transports représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre, notre préoccupation majeure est leur contribution à la décarbonation.
Quatrièmement, nous assurons la résilience de nos réseaux face à divers chocs : changement climatique, mobilité militaire et, pour certaines infrastructures, conséquences des guerres commerciales.
Cinquièmement, nous nous assurons que les collectivités territoriales disposent des ressources financières, techniques et humaines pour faire fonctionner le système de transport.
Quatre opérateurs, très différents, se trouvent sous la tutelle de la DGITM : l'Afitf, qui comprend quatre ou cinq agents et gère 4 milliards d'euros ; la Société des grands projets, anciennement Société du Grand Paris, qui compte environ 1 000 employés et un budget de 5 milliards d'euros pour déployer le réseau du Grand Paris et, depuis fin 2023, les services express régionaux métropolitains ; Voies navigables de France, qui emploie 4 000 personnes pour entretenir, gérer et valoriser la voie d'eau avec un budget de 700 millions d'euros ; enfin l'Établissement public de sécurité ferroviaire à Amiens, dont la centaine d'agents joue un rôle majeur dans l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire.
J'ai entendu beaucoup de critiques sur l'Afitf. Elles ne portent pas sur son fonctionnement, ni sur le respect des règles budgétaires, puisque l'agence applique scrupuleusement les règles de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), ni sur la transparence, puisque beaucoup de ses données sont publiques. La critique principale, qui est politique, porte sur la décision prise en 2004 par l'État de recourir à des ressources affectées de manière pérenne pour assurer de la visibilité sur le financement des infrastructures, dans une logique de redistribution des recettes carbonées vers des investissements décarbonés.
La DGITM dispose de plusieurs outils de pilotage de ces opérateurs : définition du cadre stratégique, financier et technique, contractualisation, participation aux conseils d'administration et définition des objectifs des managers exécutifs déterminant la part variable de leur rémunération.
M. David Valence, président du conseil d'orientation des infrastructures (COI). - Je dois signaler qu'outre mes fonctions de directeur du COI, je remplis des missions pour Voies navigables de France et suis membre invité du conseil d'administration de l'Afitf.
Le COI a été créé par la loi d'orientation des mobilités en 2019, formalisant un besoin ressenti depuis les années 2000 de disposer d'une expertise dépassant les clivages politiques sur les arbitrages en matière d'infrastructures de transport. Il fait suite à plusieurs initiatives antérieures comme le schéma national d'infrastructures de transport (SNIT), la commission Mobilité 21 et un premier COI, qui avait remis un rapport en 2018 avant que son cadre soit inscrit dans la loi en 2019.
Le COI n'a pas de salarié ni d'existence permanente, et se réunit uniquement sur saisine du ministre des transports. Sa composition, fixée par décret, inclut des personnalités qualifiées, des représentants d'associations d'élus, trois sénateurs et trois députés.
Sous ma présidence depuis janvier 2021, le COI a produit trois rapports : d'abord un rapport sur la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire, avec des recommandations largement suivies par le Gouvernement et le pouvoir législatif, ensuite un rapport sur les attentes des territoires, dans la perspective de préparer les contrats de plan État-région (CPER), en prenant beaucoup de temps pour rapprocher les points de vue, enfin un rapport remis en 2023, le plus connu, intitulé « Investir plus et mieux dans les infrastructures de transports pour réussir la décarbonation », portant sur la programmation des infrastructures. Les principales recommandations de ce dernier rapport privilégient les investissements dans les infrastructures existantes plutôt que le lancement de grands projets nouveaux.
Lorsque les recommandations sont signées de toutes les parties prenantes, on apporte un élément important au débat. J'ai toujours considéré que l'indépendance du Conseil garantissait la valeur de ses travaux. Avec l'ensemble des membres, nous avons fait preuve d'indépendance et parfois de résistance face aux demandes gouvernementales.
S'agissant de l'Afitf, la gouvernance actuelle des infrastructures de transport en France peut sembler baroque, mais elle s'évertue à répondre à deux questions simples : d'une part, comment évaluer et arbitrer ? d'autre part, comment sécuriser et contrôler la réalisation de ce qui a été arbitré ? Le COI se concentre uniquement sur la première question. Concernant la seconde, l'Afitf est en partie née du constat que les infrastructures de transport s'adaptent mal à l'annuité budgétaire.
Une partie des critiques adressées à l'Agence concerne en réalité les lacunes dans l'information au Parlement. Bien que des présentations régulières par le Gouvernement soient prévues par certains textes, elles n'ont finalement pas lieu, créant chez les parlementaires un sentiment de dépossession de leur pouvoir délibératif. Cette frustration se manifeste par une hostilité ponctuelle envers l'Afitf, dont l'objectif est pourtant de sécuriser des décisions politiques sur le long terme.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi le COI ne figure-t-il pas dans le jaune budgétaire relatif aux commissions et aux instances consultatives ? Par ailleurs, qui rédige les rapports du COI, pour quel nombre de jours-fonctionnaires ?
M. David Valence. - Le COI ne dispose d'aucun moyen budgétaire. Il ne se constitue que sur saisine, lorsque le Gouvernement exprime le besoin d'un éclairage consensuel et informé sur les transports. D'ailleurs, on pourrait envisager que le Parlement puisse également le saisir.
Concernant l'écriture des rapports, sont nommés par arrêté ministériel un rapporteur général issu de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), donc d'un corps d'inspection et non de l'administration centrale au sens strict du terme. La rédaction est assurée par le président de la section transport de l'IGEDD, avec deux rapporteurs généraux adjoints, dont un issu de la DGITM. La rédaction est très itérative, avec plusieurs passes de lecture par les membres du Conseil afin de garantir l'accord de chacun.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En somme, c'est l'IGEDD qui fait office d'agent du COI. On pourrait presque calquer la section de transport pour avoir les effectifs du COI. Ou inversement, on pourrait se passer du COI en sollicitant directement l'IGEDD pour les rapports, ce qui n'empêche pas de consulter différents acteurs.
M. David Valence. - Pour rendre un arbitrage sur un sujet porteur de tensions - par exemple sur le contournement routier d'une ville ou l'ouverture d'une ligne de TGV - il est préférable de construire un large consensus politique. Ce consensus, ni l'Inspection générale ni l'administration centrale ne sont en mesure de le produire face à des élus naturellement préoccupés par l'aménagement de leur territoire, ou face à des associations oeuvrant à la décarbonation.
Dans de nombreux pays européens, il existe un organe de conseil gouvernemental composé d'experts et de personnalités politiques et issues de la société civile, qui formule des recommandations sur les infrastructures de transport. Certains pays, comme la Grande-Bretagne, affectent des moyens à cet organe. Dans tous ces pays, cette entité fait des propositions pour nourrir une loi de programmation ou un document pluriannuel élaboré par le Gouvernement puis discuté au Parlement, élément que nous n'avons pas en France. Ces pays disposent également d'une agence percevant des recettes affectées pour sécuriser les décisions parlementaires sur le long terme, généralement pour dix ans avec une évaluation à mi-parcours.
Mme
Christine Lavarde, rapporteur. - Y a-t-il
d'autres instances que le COI dont la DGTIM ou l'IGEDD assure en quelque sorte
le secrétariat ? Je me souviens en avoir supprimé une
qui ne se réunissait jamais mais figurait
toujours dans les
bleus budgétaires. Existe-t-il d'autres objets non identifiés
parce que prétendument non coûteux ? Le COI a un coût, il
mobilise le temps et les ressources de l'Inspection générale.
M. Rodolphe Gintz. - Le COI ne figure en effet pas dans le jaune budgétaire : c'est un oubli. Nous en avons pris conscience à la faveur de votre questionnaire, puisque la DGITM n'avait pas été consultée pour ce document budgétaire. Nous avons informé la direction du budget de la nécessité d'y faire figurer le COI, aux côtés des cinq autres comités dont la DGITM assure le secrétariat : le Comité des usagers du réseau routier national, la commission consultative pour la délivrance de l'attestation de capacité dans le domaine fluvial, la Commission nationale d'évaluation de la sécurité des ouvrages routiers, la Commission nationale des sanctions administratives et la commission ferroviaire d'aptitude. Par ailleurs, j'estime que l'agent mis à disposition du COI représente un ETP à temps plein pendant la durée du rapport.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Une agence est normalement créée pour assurer une certaine autonomie dans la mise en oeuvre d'une politique publique. Est-ce que cette description s'applique à l'Afitf ? Quelles sont vos marges de manoeuvre par rapport à l'administration centrale ? Vous avez mis en avant le besoin de visibilité sur le temps long pour justifier la création de l'Afitf, mais les derniers exercices budgétaires contredisent cet argument. L'existence de l'Afitf est-elle toujours justifiée en tant que structure indépendante ?
Par ailleurs, j'ai remarqué dans l'organigramme de la DGITM qu'il existe un directeur de projet chargé de la conférence nationale de financement des mobilités. Quel est son rôle par rapport à l'Afitf ? Cette personne dispose-t-elle d'une équipe ?
M. Franck Leroy. - Je laisserai M. Gintz répondre sur ce dernier point. Le terme d'autonomie est discutable concernant l'Afitf. Notre mission est d'assurer le financement des engagements pris par l'État. L'Afitf n'engage des investissements qu'une fois que l'État a signé des engagements, qu'il s'agisse de contrats de plan avec les régions ou de grands projets d'infrastructures comme les nouvelles lignes TGV par exemple. En d'autres termes, nous ne jouissons pas d'une autonomie décisionnelle, puisque nous ne finançons pas des infrastructures qui n'auraient pas été validées par le ministre des transports ni, sur le plan administratif, par la DGITM.
En revanche, l'Afitf dispose d'une autonomie relative à ses financements. À l'exception des fonds reçus dans le cadre du plan de relance, l'Afitf ne perçoit pas d'argent du ministère des transports, sauf dans le cadre du plan de relance, mais bénéficie de taxes qui lui sont affectées, principalement la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui représente un peu plus de 1,2 milliard d'euros en 2025, bien que cette taxe diminue progressivement puisqu'elle est liée à la consommation de produits fossiles. Nous percevons également une taxe d'aménagement du territoire prélevées sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, les amendes radar, et une contribution des entreprises autoroutières - contribution d'ailleurs contestée juridiquement par ces sociétés.
Ce système de redevances permet à l'Afitf d'être théoriquement préservée des arbitrages budgétaires de l'État, lui permettant ainsi de continuer à financer les engagements pris par l'État indépendamment de sa situation budgétaire.
M. Rodolphe Gintz. - Le terme d'autonomie ne me paraît pas complètement adapté en son sens étroit. L'autonomie suppose, étymologiquement parlant, de décider soi-même sa loi, ce qui n'est pas possible dans notre organisation institutionnelle, puisque nous appliquons bien évidemment les lois de la République. Aussi je préfère parler de liberté et de responsabilité, termes d'ailleurs issus des textes législatifs.
Les agences disposent d'une marge de manoeuvre confiée par le pouvoir législatif dans un cadre défini. Nos recettes, bien qu'elles ne proviennent pas directement du ministère, sont votées par le Parlement chaque année, qui peut décider de les augmenter ou de les diminuer selon les priorités définies en matière d'infrastructures de transport.
Depuis la création de l'Afitf, à l'exception de la dotation en capital liée à la vente des sociétés d'économie mixte de concessions d'autoroutes, les recettes tendent à augmenter : elles sont de moins en moins carbonées et servent à financer des dépenses qui le sont de moins en moins.
En 2024 et 2025, l'Afitf a participé à l'effort de redressement des finances publiques avec une réduction de ses recettes et de ses dépenses. Toutefois, sur le temps long, cette contribution au rétablissement des comptes publics ne remet pas en cause la mission fondamentale de l'agence : assurer une stabilité dans la durée. Cette programmation pluriannuelle permet à tout l'écosystème industriel de bénéficier d'une visibilité indispensable au regard du temps requis pour la réalisation des infrastructures.
Quant au directeur de projet chargé de la conférence nationale de financement des mobilités, il a pour mission de nous aider à coordonner en interne la production des éléments de contribution pour les ateliers de Ambition France Transports. Il intervient uniquement pendant la durée de cette mission et n'interagit pas avec l'Afitf.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel est le statut d'Ambition France Transports ?
M. Rodolphe Gintz. - Il s'agit d'une conférence lancée par le ministre, portant sur le financement des infrastructures de transport.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je note que l'existence de cette conférence prouve qu'on est capable de créer des structures souples et dépourvues de responsabilité juridique, afin de faire dialoguer les acteurs.
Nous constatons que deux entités publiques interviennent sur le financement du volet Mobilités des CPER : les services déconcentrés du ministère, via les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), et l'Afitf. Cette double intervention est-elle efficace ?
M. Franck Leroy. - En amont, le COI intervient afin d'éclairer les choix gouvernementaux par sa capacité à créer un dialogue interpartisan. En aval, l'Afitf a pour mission de s'assurer que l'État honore ses engagements pris dans le cadre des CPER. Elle ne joue donc qu'un rôle d'exécutant, et non de décisionnaire.
La moitié des membres du conseil d'administration de l'Afitf sont des représentants de l'administration de l'État, l'autre moitié comprenant deux parlementaires, quatre représentants des collectivités territoriales, qui sont les autorités organisatrices des mobilités concernées, et trois personnes qualifiées. Un équilibre et une discussion s'opèrent entre les différentes directions de l'État et les représentants des collectivités territoriales chargées de la gestion d'infrastructures de communication et de services de transport. Il me paraît sain que l'État confie la présidence de l'Afitf à quelqu'un qui n'appartient pas à la sphère étatique mais qui représente les collectivités territoriales partenaires, ce qui apporte de la transparence sur le financement des infrastructures de transport.
L'Afitf s'appuie donc sur un double principe : sécuriser les financements sur le long terme et garantir une parfaite transparence. À cet égard, l'Agence consigne tous les éléments dans son rapport, et elle est auditionnée par les commissions du Parlement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez indiqué que l'Afitf fonctionnait avec quatre permanents. Êtes-vous certains d'être, à vous quatre, en mesure d'examiner en détail le volet mobilités de tous les CPER ? Ou bien vous êtes extrêmement productifs, ou bien vous n'avez pas le temps d'analyser les détails comme le font les Dreal.
M. Rodolphe Gintz. - Le rôle des Dreal est d'assurer la partie technique en appui des préfets dans le cadre de la négociation des CPER. Elles sont sur le terrain pour définir et sélectionner les bons projets, sous l'autorité du préfet, mandaté par le Premier ministre. L'Afitf, quant à elle, opère la répartition financière permettant d'assurer la réalisation des CPER, la DGITM répartissant les crédits région par région. Ce processus vise à s'assurer de l'adéquation entre l'ambition politique, les CPER et les moyens financiers.
Les sommes reçues par l'Agence sont, après le vote des conventions financières par le conseil d'administration, soit transformées en fonds de concours transitant par le programme 203 « Infrastructures et services de transports », soit directement versées sous forme de subventions aux maîtres d'ouvrage comme Voies navigables de France ou SNCF Réseau.
M. David Valence. - L'Afitf a été créée notamment parce que les opérateurs comme SNCF Réseau n'engagent réellement leurs moyens qu'après signature d'une convention de financement. Un CPER ne vaut pas commande de lancement des travaux pour SNCF Réseau. Cette société a besoin qu'une convention soit signée par une structure lui garantissant les financements à deux ou trois ans, délai minimum pour programmer de grands investissements comme la régénération du réseau ferroviaire. La signature par notre agence sécurise ces recettes et confirme que les travaux seront effectivement financés.
Il importe de souligner que tout atermoiement en matière d'infrastructures de transport représente un coût potentiellement élevé. Lorsque des équipes projets se mobilisent pendant plusieurs années pour un investissement et que celui-ci est soudainement différé pour des raisons budgétaires, cela engendre des coûts considérables pour les finances publiques.
Contrairement à un événement ponctuel tel que Ambition France Transports, le COI est en mesure d'examiner en profondeur des projets précis et de bâtir un consensus autour d'eux. Le rapport du COI 2de 023 traite de questions spécifiques, à l'image du contournement routier de Tarascon-sur-Ariège ou la remise en eau du canal de Briare. Ces sujets nécessitent un regard qui n'est pas seulement technique et administratif, mais qui doit intégrer des enjeux de conseil en matière d'intérêt public et représenter différentes sensibilités, afin que le Gouvernement et le législateur puissent effectuer leurs choix de manière éclairée.
Mme Pauline Martin. - Vous avez évoqué tout à l'heure la part variable de la rémunération des managers exécutifs en fonction de leurs objectifs. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
M. Rodolphe Gintz. - L'un des outils à disposition des responsables d'administration vis-à-vis de leurs opérateurs est de fixer des objectifs annuels. La réalisation de ces objectifs donne lieu à une évaluation chiffrée qui déclenche une part variable de rémunération, ce qu'on appellerait un bonus dans un autre contexte. Ma propre rémunération comporte une part variable dépendant de l'atteinte des objectifs que le ministre me fixe chaque année. Lorsqu'on cherche à aligner une stratégie avec une équipe de management, il peut être utile de savoir que le dirigeant doit se tenir à une feuille de route avec des objectifs quantitatifs dont dépend en partie sa rémunération.
M. Hervé Maurey. - Rapporteur spécial du budget de la mobilité, je suis aussi co-pilote de l'atelier routes dans la conférence des mobilités.
Il est généralement reproché aux agences des coûts élevés parfois injustifiés, une contribution au démembrement de l'État et une complexification des processus décisionnels. Mais ni le COI ni l'Afitf ne sauraient encourir de tels reproches.
J'ai moi-même siégé dans le premier COI, créé par Élisabeth Borne, alors ministre des transports, pour hiérarchiser les investissements non financés annoncés sous les précédentes mandatures. Les fonctionnaires préparent et proposent, puis les élus font des choix politiques, comme l'a rappelé M. Valence. Le Gouvernement reste libre de suivre ou non ces recommandations. C'est pourquoi l'on ne saurait réduire le COI à une simple expression des corps de l'État.
On peut certes adresser à l'Afitf des critiques portant sur la transparence, la gouvernance ou la non-consommation de crédits par le passé. Mais sa principale vertu est de sécuriser des crédits spécifiquement affectés à la mobilité, et empêcher ainsi qu'ils ne soient subitement réorientés vers d'autres politiques.
Ses recettes sont partiellement modulables par le Parlement, notamment la TICPE, mais d'autres recettes restent affectées quoi qu'il arrive, comme le milliard d'euros provenant des sociétés d'autoroutes. Cette sanctuarisation est précieuse pour l'indispensable visibilité sur la régénération des infrastructures.
À l'avenir, nous aurons peut-être encore plus besoin d'une telle structure, car le Premier ministre a repris l'idée émise par le rapport de la commission des finances de récupérer une partie des revenus autoroutiers pour l'ensemble des mobilités ou la voirie non concédée. Une structure dédiée sera nécessaire pour garantir que ces fonds restent affectés à la politique des mobilités.
M. Rodolphe Gintz. - Les dépenses de personnel et de fonctionnement de l'Afitf sont dérisoires rapportées aux 4 milliards d'euros qu'elle gère. Sans doute faudrait-il mieux expliquer le fonctionnement de l'Agence, et son dimensionnement n'y concourt pas, j'en conviens.
Le Parlement vote chaque année les ressources fiscales de l'Agence : la TICPE, la taxe sur les exploitants des infrastructures de transport de longue distance, comprenant les infrastructures aériennes et les autoroutes, et la taxe d'aménagement du territoire. En revanche, ses ressources propres, comme la contribution volontaire exceptionnelle des sociétés d'autoroutes et la redevance domaniale, ne sont pas votées annuellement.
À propos du vote au Parlement sur les taxes affectées à l'Afitf, il convient de remarquer une spécificité : ce vote a lieu lors de l'examen de la première partie du budget, alors que le débat sectoriel sur les mobilités se déroule en seconde partie.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je profite de votre remarque sur les dépenses de personnel de l'Afitf pour signaler que, d'après le jaune budgétaire, elles s'élèvent à 70 000 euros, ce qui me semble improbable pour quatre personnes.
Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire générale de l'Afitf. - Ce montant représente uniquement les indemnités du président et de l'agent comptable. Comme les personnels sont mis à disposition, leur coût relève du fonctionnement et n'apparaît pas dans le jaune budgétaire. Nous préciserons dans les réponses à votre questionnaire que ces dépenses représentent près de 400 000 euros.
M. Franck Leroy. - Les personnels sont mis à disposition et remboursés par l'Afitf au ministère des transports.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ces subtilités du jaune budgétaire sont incompréhensibles pour les citoyens.
J'en reviens aux questions de gouvernance. Le COI siège au conseil d'administration de l'Afitf, et l'Afitf siège à celui du COI. Dès lors, pourquoi ne pas fondre ces deux structures en une seule ? Puisque le COI n'existe guère formellement, peut-être pourrait-il s'attribuer les missions de l'Afitf tout en conservant la même procédure de recours aux équipes de l'IGEDD ?
M. Franck Leroy. - Les rôles du COI et de l'Afitf sont très différents. Le premier conseille et mène des études en amont des décisions politiques, la seconde est une agence comptable qui, une fois les engagements pris par le ministère, assure les partenaires de l'État du financement de ces investissements. L'Afitf effectue du contrôle budgétaire et établit des conventions financières avec des porteurs de projets, alors que le COI réfléchit à l'avenir des transports à long terme et aux choix stratégiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si l'Afitf n'est qu'une simple agence comptable, quel est l'intérêt de disposer d'un conseil d'administration où siègent des parlementaires et des représentants de collectivités ? Je ne connais aucune autre agence comptable dotée d'un conseil d'administration.
M. Franck Leroy. - Nous ne nous contentons pas de vérifier des factures, nous engageons l'Afitf avec des partenaires comme SNCF Réseau ou Voies navigables de France. Nous validons des engagements qui auront force exécutoire pour le compte de l'État dans les années à venir. Notre principal avantage, comme mentionné précédemment, est de disposer de recettes affectées votées par le Parlement ; ce qui nous permet de vérifier que tous les engagements signés sont bien gagés par des fonds disponibles, soit immédiatement soit au cours des années suivantes.
M. David Valence. - En dehors des saisines explicites, des consultations informelles régulières sont menées auprès de certains membres du COI par le ministre des Transports. Ces consultations sont importantes, car le rôle du Conseil est de proposer un consensus politique sur des arbitrages techniques qui ne devraient pas être proposés au ministre uniquement par des techniciens. Les trois derniers ministres des transports connaissent bien le COI pour y avoir siégé et comprennent cette méthode de construction d'arbitrage.
Le législateur n'a pas envisagé un rapprochement entre l'Afitf et le COI, car ce dernier doit rester libre par rapport à la volonté de l'exécutif. Il doit être en mesure d'éclairer l'État en toute connaissance de cause avec une garantie de détachement. L'Agence, qui met en oeuvre les politiques de l'État, n'a pas le même positionnement institutionnel, ce qui justifie cette séparation.
M. Franck Leroy. - Le COI dispose d'une pleine liberté pour proposer des options, et ce point est essentiel. L'Afitf, elle, ne saurait jouir d'une telle liberté, elle doit au contraire être tenue par les engagements de l'État et doit s'assurer que les financements sont disponibles. Si le COI était aux ordres du Gouvernement, il serait inutile puisque sa ligne de réflexion serait prédéfinie, ce qui n'est pas le cas.
M. David Valence. - Cette indépendance, si elle n'est pas toujours confortable vis-à-vis du Gouvernement, est essentielle pour la crédibilité du COI, notamment concernant des projets territoriaux sensibles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au-delà de l'Afitf et du COI, avez-vous le sentiment que l'organisation des transports entre l'administration centrale, l'administration déconcentrée et les multiples opérateurs est lisible, efficace et rationnelle pour les entreprises et les collectivités ? S'agissant de la Seine, une berge est gérée par Haropa et la berge d'en face par Voies navigables de France.
M. Rodolphe Gintz. - De toute évidence, comme le montre votre exemple, le système des transports est complexe, notamment au regard des interfaces entre autorités organisatrices et opérateurs. Faut-il en améliorer la gestion et faire preuve de davantage de pédagogie ? Je le pense. Faut-il créer une structure plus dimensionnée régissant l'ensemble des sujets, comme c'est le cas dans certains pays ? Ce n'est pas ma vision. Certes, les interfaces sont perfectibles et gagneraient à être simplifiées. Mais supprimer toutes les interfaces ne me semble pas souhaitable, sauf à créer une sorte de boîte noire encore moins lisible.
M. David Valence. - Quand j'ai qualifié de « baroque » la gouvernance des infrastructures de transport, je ne voulais pas nécessairement pointer une inutile complexité. Cette gouvernance paraît baroque vue de l'extérieur, mais en réalité les acteurs du secteur, les opérateurs, les instances, ne sont pas si nombreux et finalement se côtoient et se connaissent.
Davantage que de simplification, il me semble que nous
manquons avant tout de débats parlementaires autour de la
stratégie et des arbitrages en matière d'infrastructures de
transport. Ces débats existent dans tous les pays étrangers.
Lorsque le législateur décide de supprimer une agence, cela
me
paraît caractériser avant tout sa volonté
d'ouvrir une discussion publique sur ces arbitrages, et trahir l'absence d'un
étage à cette fusée décisionnelle que nous
décrivons aujourd'hui.
M. Franck Leroy. - Il est certain que des marges de progression existent. Pour améliorer la lisibilité de l'action de l'Afitf, nous allons signer un nouveau contrat d'objectifs et de performance avec le ministère. Par ailleurs, je réitère ma demande d'obtenir une lettre de mission en tant que président du conseil d'administration, de manière à clarifier les attentes du ministère. Cela permettrait de mieux comprendre le rôle de l'Afitf, son fonctionnement et les objectifs que l'État lui assigne, sachant qu'elle doit rendre des comptes non seulement à l'État mais à l'ensemble de ses administrateurs, y compris les parlementaires.
M. Pierre Barros, président. - Cette organisation, qualifiée de baroque par M. Valence, n'a-t-elle pas été mise en place afin d'accompagner une ouverture à la concurrence et un fonctionnement de marché ? Ou bien aurait-elle été de toute manière nécessaire, même en restant dans une sphère purement publique pour les transports ?
M. Rodolphe Gintz. - Par définition, l'Afitf finance la part publique des infrastructures. Les sujets d'ouverture à la concurrence sont rarement évoqués puisque notre rôle se cantonne à ce volet public. L'Afitf n'est pas amenée à délibérer sur la partie exploitation ni sur les modalités de celle-ci.
M. Franck Leroy. - J'ajoute qu'à l'époque de la création de l'Afitf, en 2005, il n'était pas question d'ouverture à la concurrence, du moins telle qu'on l'entend aujourd'hui.
M. David Valence. - J'aimerais attirer votre attention sur la concomitance entre la création de l'Afitf et la publication du premier rapport de l'École polytechnique fédérale de Lausanne sur le réseau ferroviaire, qui a mis en lumière la dégradation des infrastructures de notre pays. Ce rapport et le suivant ont mené au constat que nous étions davantage préoccupés, en France, par l'annonce de nouvelles infrastructures censées résoudre tous les problèmes d'aménagement du territoire, que par l'entretien du patrimoine existant qui, je le rappelle, est constitué du premier réseau routier d'Europe, du deuxième réseau ferroviaire et à grande vitesse, et du premier réseau navigable.
L'Afitf finance certes de grands projets, mais aussi des opérations de régénération des réseaux. Cette volonté de sécuriser des recettes pour éviter les ralentissements ou les interruptions de service, bien que moins médiatisée, est absolument nécessaire. Sécuriser des moyens pour les réseaux structurants constitue probablement l'une des raisons d'être de cette architecture.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie, madame et messieurs, d'avoir répondu aux questions de notre commission d'enquête.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons ce matin Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Cette audition était très attendue. En effet, depuis le 27 avril dernier, madame la ministre, vous tenez en suspens les médias et l'ensemble des services publics, à la suite de votre annonce, au micro de CNews et d'Europe 1, de votre volonté de supprimer un tiers des agences et opérateurs de l'État d'ici à la fin de l'année, et de présenter aujourd'hui au Sénat les contours de votre plan.
Cette annonce est d'autant plus surprenante que, vous le savez, notre commission d'enquête mène depuis plusieurs mois un travail approfondi en vue de formuler des propositions sur la rationalisation des périmètres d'intervention des agences et opérateurs de l'État, ainsi que sur les économies qu'une organisation plus efficiente pourrait permettre de réaliser.
Votre audition de ce jour revêt donc une dimension toute particulière.
Vous avez évoqué entre 2 et 3 milliards d'euros d'économies qu'offrirait cette réorganisation. Au lendemain de votre annonce, nous vous avons demandé des précisions sur les modalités de calcul de ces chiffres. Or force est de constater que les documents que vous nous avez transmis sont très généraux, voire quelque peu confus. Ils ne permettent pas de déterminer clairement les économies envisagées, les agences concernées et les critères retenus pour leur éventuelle suppression.
Votre présence nous permettra, à n'en pas douter, de mieux comprendre pourquoi vous voulez supprimer un tiers des agences - et pas un quart ou la moitié - et comment vous arrivez à ce montant d'économies : s'agit-il de supprimer certaines missions de politiques publiques que les agences exercent, et, dans ce cas, lesquelles ? Ou pensez-vous que des fusions d'agences ou de services permettent de réaliser des économies d'échelle se chiffrant en milliards d'euros ?
Je rappelle que M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, que nous avons reçu la semaine dernière, a affirmé : « Je ne veux pas que l'on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable. » L'approche est-elle différente entre vos deux ministères ?
Au cours de la présente audition, notre rapporteur ainsi que les sénateurs qui le souhaitent vous interrogeront afin d'approfondir quatre grandes thématiques : d'abord, votre connaissance du fonctionnement de ces agences ou opérateurs, et du nombre de fonctionnaires et d'agents qui les composent ; ensuite, la méthode envisagée pour procéder à leur suppression ou à leur fusion ; puis votre méthode de calcul des économies annoncées dernièrement ; enfin, votre analyse de la gouvernance de ces entités.
Il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée, en direct et en différé, sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Amélie de Montchalin prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Madame la ministre, je partirai des propos que vous avez tenus sur CNews le 27 avril dernier. À l'issue de ces déclarations, nous vous avons demandé de nous transmettre certains documents, mais ceux-ci ne nous ont pas permis de vérifier les différents chiffres que vous avez mentionnés. J'y reviendrai donc, point par point, et vous inviterai à les préciser.
La première thématique portera sur le nombre de fonctionnaires ou d'agents, ainsi que sur la connaissance des agences, des opérateurs et des comités dits « Théodule », qui sont au coeur des travaux de notre commission d'enquête.
Ma première question porte sur le chiffre de 180 000 agents. Comment l'avez-vous calculé ? En effet, après avoir analysé le tableau que vous nous avez transmis, nous n'arrivons pas à retrouver ce chiffre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. - Je me réjouis d'être parmi vous aujourd'hui. Je pense que nous menons collectivement un travail très convergent et légitime.
En préambule, je souhaiterais vous exprimer une gêne par rapport à l'idée que la préparation d'un budget et les objectifs que se fixe le Gouvernement puissent donner lieu à des faux témoignages. Je tiens à le redire : nous sommes en train de réaliser un travail méthodique qui me conduit à penser que nous sommes tout à fait en mesure de rendre les politiques publiques plus lisibles et plus efficaces.
Si, comme je l'ai fait dans les médias, j'annonce un objectif de 2 à 3 milliards d'euros d'économies d'ici à 2027, et si, in fine, nous ne l'atteignons pas, cela ne signifie pas que j'aurais menti. Nous préparons un budget et nous sommes fixé des objectifs qui reposent sur des éléments crédibles, utiles et concourant à une meilleure efficacité des politiques publiques. Mais, en définitive, ce sera le Parlement, en toute souveraineté, qui décidera d'accorder ou non les crédits, de les réduire par rapport à nos recommandations, ou d'aller au-delà de ces dernières.
Je tiens simplement à m'assurer que nous évoluons bien dans un cadre où les ministres peuvent présenter des objectifs, qui seront ensuite suivis ou non d'effets selon les décisions des parlementaires, dans le cadre de l'examen du budget.
Quant au chiffre de 180 000 agents, il correspond au nombre d'agents figurant dans le schéma d'emploi des opérateurs, à l'exclusion des universités et de France Travail.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous prenons note de cette information. Nous procéderons donc à de nouveaux calculs. Pourquoi avoir exclu France Travail ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - France Travail et les universités sont des opérateurs qui comptent un grand nombre d'agents et remplissent des missions fondamentales. Les emplois prévus dans le cadre de la loi de finances initiale (LFI) s'élèvent à 402 000, dont quelque 170 000 dans les universités et 50 000 dans France Travail. La soustraction de ces chiffres conduit au résultat que je vous ai présenté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si vous excluez les universités, pourquoi avez-vous conservé les différents centres de recherche, qui figurent eux aussi dans la liste ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ai choisi de communiquer de cette manière, notamment parce que certains centres de recherche peuvent être amenés à établir des rapprochements utiles en termes de politiques publiques. Quant aux universités, elles ont fait l'objet de nombreux rapprochements et de projets de loi visant à les faciliter. Je précise, et c'est un choix personnel, que notre projet ne vise aucunement à relancer un projet de fusion des universités.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Disposez-vous d'un document vous indiquant, pour chaque agence, la pyramide des âges des agents ? Vous avez déclaré que vous souhaitiez le non-remplacement des départs à la retraite, afin d'éviter les licenciements massifs. Pouvez-vous nous fournir la trajectoire de réduction des effectifs de fonctionnaires, année après année ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je n'ai pas la trajectoire sous les yeux.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Disposez-vous du document ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne l'ai pas pour chaque opérateur, mais je dispose des données pour la fonction publique, ainsi que par ministère de manière générale. Et nous savons qu'un certain nombre de remplacements de fonctionnaires peuvent être modulés ou limités dans le temps. Je compte bien répondre à toutes vos questions, madame le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons déjà connaissance du rapport écrit de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), mais rien ne nous garantit que la pyramide des âges des opérateurs soit strictement identique à celle des ministères auxquels ils sont rattachés. Nous restons dans le flou. Existe-t-il des documents au sein du ministère dont nous n'aurions pas eu connaissance ? Votre réponse corrobore ce que nous avons déjà entendu : aujourd'hui, personne ne connaît la pyramide des âges de ces opérateurs, et presque personne ne sait vraiment qui y travaille.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sur la question du coût des ressources humaines (RH), et afin que nous puissions avoir un débat éclairé, il me semble nécessaire de revenir aux objectifs et à la méthode de manière macro. Vous me posez des questions précises et y répondre de façon fragmentée pourrait effectivement donner une impression un peu trop impressionniste, si je puis dire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela fait plus de quatre mois que nous travaillons sur ce sujet ; nous commençons à bien cerner les grands objectifs. Nous avons lu toutes les déclarations du Gouvernement et auditionné certains de vos collègues. Nous avons des questions assez précises pour pouvoir formuler des préconisations cohérentes, argumentées et étayées.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis entièrement disponible. Je vous propose simplement de préciser, de manière un peu plus macro, l'objectif, l'intention et la méthode. Sinon, mes réponses détaillées risqueraient de vous paraître un peu déconnectées de l'ensemble.
Pourquoi avons-nous créé des agences dans notre pays ? Pour des raisons diverses.
Premièrement, il existait un mythe selon lequel certains pays avaient réussi à réduire leurs dépenses publiques en créant des agences. Mais cela s'était accompagné de la suppression de ministères, ce que nous n'avons pas fait.
Deuxièmement, à une époque, on a pensé que recruter des contractuels plutôt que des fonctionnaires permettrait de faire des économies. Le statut des agents est en effet un enjeu essentiel. Mais aujourd'hui, cet argument ne tient plus vraiment, car la part des contractuels au sein des ministères est importante.
Troisièmement, des structures plus autonomes et un pilotage plus managérial - je reprends des termes historiques - devaient permettre de gagner en efficacité. Le travail de votre commission d'enquête est essentiel pour examiner l'efficience des structures, car il n'est pas prouvé que cette vision soit, de facto, appliquée.
Quatrièmement, certains ont vu dans les agences un moyen d'éloigner un peu le pilotage des politiques publiques du regard des parlementaires, notamment par le biais d'un processus budgétaire moins transparent. Lorsque j'étais députée, membre de la commission des finances, j'ai moi-même soutenu le lancement de travaux d'évaluation et de contrôle comparables aux vôtres. Il n'est pas normal, et je le dis en tant que ministre chargée des comptes publics, qu'un certain nombre d'éléments échappent encore au suivi des parlementaires.
Le travail que vous accomplissez aujourd'hui est essentiel. Mais il ne devrait pas être nécessaire de recourir à une commission d'enquête pour avoir accès à ces informations de base, telles que le nombre d'opérateurs, leur budget et les types d'engagements pris. Le « jaune » budgétaire vous est certes communiqué, mais à mes yeux, il n'est pas satisfaisant.
Notre priorité, et je rejoins totalement les propos de Laurent Marcangeli, n'est pas d'ordre comptable : nous n'avons pas d'objectif chiffré, « au doigt mouillé ». Il ne suffit pas d'annoncer une économie de 3 milliards d'euros. Ce n'est pas l'esprit de notre démarche.
L'approche du Premier ministre, et c'est pourquoi nos travaux sont très convergents et utiles, est centrée sur l'efficacité des politiques publiques, l'efficacité des organisations publiques, l'efficacité de ce que les Français, les collectivités, les entreprises perçoivent de leur côté, ainsi que sur une revue de nos priorités.
Votre travail est très complémentaire, car votre commission réalise un travail que nos services, à ce stade, ne font pas de la même manière : vous évaluez l'efficience des organisations, avec une revue très précise et détaillée des budgets, des structures et des performances.
Je tiens à le préciser pour les personnels de ces opérateurs : je n'ai pas pour projet - j'ai été ministre de la fonction publique, et je crois au dialogue social - de me lancer dans un exercice de « serpette » ou de « tronçonneuse », en annonçant la suppression de 10 000 emplois sous prétexte qu'il est difficile de le faire dans les ministères. Ce n'est pas notre approche.
Notre démarche repose sur une logique d'efficacité. Les agents de certains opérateurs constatent les nombreuses redondances, lourdeurs et complexités. Je partage avec eux la conviction qu'ils doivent pouvoir offrir un service public de grande qualité et d'efficacité.
Notre approche peut être résumée en cinq points clés.
Premier point : nous avons 196 opérateurs, qui pourraient être considérés comme faisant partie de 14 réseaux. Je désigne ainsi des opérateurs ayant les mêmes missions, mais répartis sur différents territoires. Laurent Marcangeli a évoqué les instituts régionaux d'administration (IRA), qui forment les attachés d'administration. L'idée serait de centraliser la politique de formation des attachés sous une seule organisation disposant de la personnalité morale et d'un budget, avec des antennes locales sur le territoire.
Un très bon exemple de cette approche est celui des parcs marins : vous avez un organisme national des parcs marins et, sur le terrain, des parcs marins locaux. Cela n'empêche pas la mise en place de conseils consultatifs locaux ou l'ancrage territorial auquel vous êtes très attachés. Mais, sur un plan budgétaire, comptable et d'efficacité, ce modèle présente un intérêt.
Lorsqu'on évoque des fusions, il ne s'agit pas de dire : « On va créer un grand IRA. » Il faut plutôt tenir compte de ce qui existe déjà, à l'instar des parcs nationaux, des agences régionales de santé (ARS), ou encore des écoles d'architecture. Ce n'est pas nécessairement le modèle que nous allons adopter, mais cette piste est intéressante pour gagner en efficacité.
Dans ce cadre, les enjeux liés aux RH ne concernent pas la suppression d'effectifs. Il pourrait néanmoins y avoir quelques suppressions en raison de la redondance des structures juridiques, telles que celles qui sont chargées de convoquer le conseil d'administration.
Deuxième point : rapprocher, et donc fusionner - et rationaliser - les opérateurs ayant des missions très proches.
Un exemple bien connu concerne le rapprochement de France Stratégie et du Haut-Commissariat au plan (HCP), ou encore de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Dans ces cas, vous réalisez de petits gains opérationnels : les missions ne sont pas réduites, mais pour l'efficacité, la lisibilité et le pilotage ministériel, vous faites d'importants progrès.
Troisième point : assumer des suppressions sur des missions qui sont échues, ce qui ne signifie pas qu'elles aient échoué. Par exemple, nous souhaitons que le projet concernant l'Institut national de la consommation (INC) aille à son terme. D'autres revues sont envisagées. Dans cette même logique, nous voulons encadrer de manière stricte la création de nouvelles entités, en leur fixant des objectifs limités dans le temps.
Quatrième point, la « reministérialisation » de certaines missions.
« Reministérialiser », ce n'est pas « reparisianiser ». Certains opérateurs nationaux ont des réseaux très vastes et, dans de nombreux cas, les préfets agissent comme représentants territoriaux, mais ne gèrent pas directement les agents. Cela crée une architecture complexe, car les agents territoriaux sont censés être sous une forme d'autorité fonctionnelle, ou du moins sous la coordination des préfets. Il serait envisageable de « reministérialiser » les missions d'un certain nombre d'agences et d'opérateurs. Par exemple, des petits opérateurs, qui remplissent des missions très régaliennes, pourraient trouver leur place au sein des ministères parisiens. D'autres opérateurs, qui ont des réseaux très étendus, ont fait du préfet leur représentant local. Pourquoi ces agences ne seraient-elles pas directement sous son autorité ?
Autre cas intéressant : les collectivités. Certains opérateurs accomplissent des missions que les collectivités prennent déjà en charge, ou qu'elles souhaiteraient assumer elles-mêmes. On pourrait envisager un système où, plutôt que de confier à un opérateur national la tâche de signer des conventions avec chaque département ou région pour coordonner les agents, on applique le principe de subsidiarité. Cela permettrait d'éviter les redondances, tant dans l'administration de l'État que dans le cadre des collectivités.
Le cinquième point, qui est plus budgétaire, consisterait à conserver les opérateurs comme agents de dissémination et de diffusion de la politique, mais en récupérant complètement les crédits alloués. Cela impliquerait de « reministérialiser » ces crédits et de les réinscrire intégralement dans la loi de finances, afin de garantir une meilleure gestion sur les enjeux que vous connaissez bien, madame la rapporteur, dans un contexte de pilotage budgétaire très contraint.
Pour ce qui est des agents, je veux être rassurante : je n'ai pas d'objectif précis - 10 000, 5 000, 12 000 ? -, car cela n'aurait aucun sens. Le Gouvernement a engagé deux processus distincts : le premier a été lancé par le gouvernement de Michel Barnier, sous la houlette du secrétariat général du Gouvernement (SGG), en collaboration avec la direction du budget et la direction interministérielle de la transformation publique. Ce processus a été porté par les secrétaires généraux des ministères, qui ont eux-mêmes proposé des réorganisations afin de redonner de l'efficacité à leurs structures, ce qui a donné lieu à certaines informations que nous avons communiquées.
Depuis le 15 février, le Premier ministre a demandé à chaque ministre et à chaque directeur d'administration centrale de mener un exercice de refondation de l'action publique, avec une revue « ligne à ligne » des missions. Dans ce cadre, nous identifions les missions prioritaires et celles qui ne le sont pas. Veut-on en faire une politique pilotée nationalement, ou une politique pilotée plutôt au niveau préfectoral ? Certaines missions pourraient-elles être confiées aux collectivités ? Dans cette organisation, avons-nous besoin d'autant d'acteurs différents ? Ne serait-il pas pertinent de recentrer les choses ? Par exemple, j'ai lancé une revue des dépenses sur l'ingénierie territoriale, un sujet que vous connaissez très bien ; je pourrai vous transmettre la lettre à ce sujet, si cela n'a pas déjà été fait.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au vu de la nature des documents que nous avons reçus, je ne suis pas certaine nous puissions aboutir à toutes les conclusions que vous venez de nous décrire...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La revue des dépenses a été lancée le 28 janvier, sous ma signature, en collaboration avec l'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), ainsi que l'Inspection générale de l'administration (IGA).
Cette mission se concentre sur la rationalisation des interventions des opérateurs de l'État au profit des collectivités en matière d'ingénierie, qui est un domaine que vous connaissez très bien. Nous avons demandé à ces inspections d'examiner comment mieux organiser, voire rationaliser, les actions de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), tout en prenant en compte les initiatives de certaines collectivités. L'objectif n'est pas de dire aux collectivités ce qu'elles doivent faire, mais de réfléchir à une organisation plus efficiente.
L'idée n'est pas non plus de supprimer la mission de soutien de l'État à l'ingénierie territoriale. Mais est-il pertinent d'avoir quatre opérateurs qui accomplissent des missions similaires, avec des coûts importants et une certaine confusion ? Le but n'est pas d'agir de manière précipitée, d'où la répartition des 3 milliards d'euros sur plusieurs années, jusqu'à l'horizon 2027, avec certaines actions dès 2025, et d'autres dès 2026.
Ce travail implique un tiers des plus de 300 opérateurs, hors universités, qui peuvent être réorganisés selon les cinq axes précités : des rapprochements via les réseaux ; la rationalisation ou la fusion d'opérateurs aux missions très proches ; un certain nombre de suppressions ; la « reministérialisation » au niveau central ou territorial ; des échanges avec les collectivités pour leur permettre de reprendre des personnels, des compétences et des financements correspondants. Nous prévoyons également une « rebudgétisation », qui constitue une forme de fusion budgétaire. À chaque étape, des enjeux humains, technologiques et immobiliers seront pris en considération.
J'ai la conviction qu'il est possible d'obtenir un gain de productivité de 2 % sur l'ensemble des dépenses des opérateurs, non pas à coup de rabot, mais plutôt par une réorganisation et une rationalisation. J'insiste sur ce point : je ne suis pas ici pour sortir la « serpette » ou la « tronçonneuse ». Mon objectif est que cette réorganisation aboutisse à un meilleur fonctionnement et permette aux collectivités, aux entreprises et aux contribuables français de s'y retrouver.
M. Pierre Barros, président. - Nous partageons ces objectifs. Cependant, notre commission d'enquête va au-delà du simple contrôle et de l'évaluation ; elle s'inscrit dans le cadre de la Constitution. Tout ce que vous évoquez fait déjà l'objet de nos travaux depuis très longtemps, et de façon plus précise ces derniers mois.
Les intentions et objectifs sont importants, mais notre priorité aujourd'hui est de comprendre comment vous atteignez les chiffres annoncés. Lors de précédentes auditions, nous avons échangé avec des experts sur ces sujets, mais ce qui nous intéresse ici, madame la ministre, c'est d'obtenir des réponses concrètes. Nous devons avancer de manière pragmatique et obtenir des éléments qui nous permettent de progresser collectivement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai lu en détail certaines fiches du programme de refondation de l'action publique. Le document, que j'ai sous les yeux, comporte 68 pages et constitue essentiellement un catalogue des directions. Pour chaque direction, on y indique le nombre d'équivalents temps plein (ETP), leurs missions, les intitulés des sous-directions et les indicateurs extraits des projets annuels de performances (PAP). Comment comptez-vous refonder l'action publique à partir d'un tel document ?
Seules deux pages, relatives à un seul opérateur, suggèrent des perspectives d'évolution et une réflexion sur l'articulation entre la sphère déconcentrée et la sphère nationale. Pourtant, il ne s'agit que d'un seul opérateur parmi la dizaine qui relève du périmètre du ministère. Tout le reste du document n'est constitué que de chiffres, qui sont essentiellement une concaténation d'informations déjà disponibles dans les PAP ou sur les sites internet des différents ministères.
Si vous disposez d'autres documents plus approfondis que ces fiches transmises aux commissions des finances des deux chambres, je vous invite à nous les communiquer, afin que nous puissions disposer d'éléments consolidés au début du mois de juillet.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Madame le rapporteur, le travail que vous évoquez est en cours et se déroule en trois étapes clairement définies par le Premier ministre. La première étape est la photographie actuelle des missions des ministères - la concaténation à laquelle vous faites référence. Elle n'apprend rien à ceux qui, comme vous, évaluent et contrôlent régulièrement l'action publique, puisqu'elle présente simplement une vision statique des priorités actuelles des ministères.
La deuxième étape, en cours, vise à refonder l'organisation administrative. Chaque semaine, une réunion se tient sous l'autorité du directeur de cabinet du Premier ministre, en présence des directeurs de cabinet concernés, notamment celui du ministre de l'action et de la transformation publiques, Laurent Marcangeli, de mon propre directeur de cabinet, ainsi que des représentants des différents ministères. En temps voulu, le Premier ministre annoncera les décisions qui en découleront.
Comme je l'ai indiqué à la radio, nous menons sérieusement ce travail, et non de façon théâtrale ; il ne s'agit pas non plus de donner l'impression de nous occuper. Avant le 14 juillet, conformément à ses engagements, le Premier ministre présentera un plan global visant à maîtriser et réduire le déficit public. Par ce plan, nous n'entendons pas recourir à une logique de rabot ou nous contenter d'ajuster le budget précédent en fonction de l'inflation. Au contraire, notre démarche consiste à repenser en profondeur notre organisation.
Madame la rapporteur, soyez assurée que je vous transmettrai volontiers les documents pertinents dès lors qu'ils seront suffisamment aboutis pour être utiles à votre commission d'enquête. À ce stade, il serait prématuré de communiquer les comptes rendus de réunions de travail qui ne comportent pas encore de véritables arbitrages. Au cours de ces réunions, chaque ministère indique, à la suite du travail mené par leur secrétaire général, le nombre d'emplois et les orientations envisagées.
Après la photographie des missions et des priorités - première étape - et la refondation de l'organisation administrative - deuxième étape -, la troisième étape sera la budgétisation. Autrement dit, nous tirerons les conséquences budgétaires de ces deux premières étapes ; elles seront intégrées dans un plan pluriannuel, comme l'a souhaité le Premier ministre.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Sachant que cette audition est très suivie, permettez-moi de revenir brièvement sur la question initiale concernant les 180 000 agents. Il semble que vous ayez omis de mentionner certains éléments, sans lesquels le chiffre de 180 000 ne peut être atteint. À partir du tableau qui nous a été transmis, nous parvenons précisément au chiffre de 184 339 agents, en soustrayant les agents des universités, ceux de France Travail, ceux du réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) ainsi que ceux des autres opérateurs relevant de l'enseignement supérieur. Par conséquent, le réseau des Crous est également exclu du champ de votre réforme.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je confirme, madame la rapporteur, avoir exclu la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Lorsque je me suis exprimée à la radio, j'ai évoqué le chiffre de 180 000 agents, non de 184 000. Par ce chiffre, j'ai souhaité montrer aux Français que de nombreux agents étaient concernés, et qu'au regard des effectifs de la fonction publique, il devenait nécessaire de mieux les connaître, de mieux piloter leur gestion.
Mme Christine
Lavarde, rapporteur. - Nous nous interrogeons sur
la situation du réseau des Crous, lequel fait partie des
14 réseaux d'opérateurs, regroupant 196 structures, que
vous avez évoqués. Il y a une question de cohérence :
il ne paraît pas pertinent d'inclure ces établissements
dans
une première catégorie pour les exclure
ensuite du périmètre des réformes envisagées. Ce
point mérite d'être précisé, sachant que les
chiffres seront minutieusement vérifiés et repris
ultérieurement.
Je souhaite également vous interroger sur la qualité des informations disponibles, notamment dans les « jaunes » budgétaires. La liste de ces annexes budgétaires a été fixée par l'article 179 de la loi de finances initiale pour 2020, qui précise clairement que le jaune sur les opérateurs présente, pour chaque opérateur, des données telles que la masse salariale et les emplois. Or, en pratique, ces informations ne sont fournies que par catégorie d'opérateurs. Par exemple, nous avons de telles données pour l'ensemble des universités, mais pas pour chacune d'entre elles. Cette pratique n'apparaît donc pas cohérent avec l'article 179 de la LFI de 2020. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne suis pas en mesure d'expliquer précisément cette situation, n'étant pas responsable de ces publications à l'époque considérée - j'ai pris mes fonctions le 23 décembre 2024. Cependant, lorsque j'étais parlementaire, j'ai défendu fermement la possibilité pour les assemblées de disposer de plus de moyens d'évaluation et de contrôle.
Votre constat révèle que notre organisation administrative actuelle est trop touffue. Il met en évidence que les tutelles elles-mêmes n'ont qu'une connaissance partielle des données relatives aux emplois, aux salaires, aux grilles et aux pyramides d'âge. Est-ce satisfaisant ? Non. Est-ce que cela doit nous pousser à agir ? Oui. Est-ce un moteur de l'action que je mène ? Absolument.
Ce que vous indiquez est exact : certaines informations nous manquent encore. Je vous encourage - c'est utile pour tout le monde - à interroger directement les ministères et les directions concernés. Il est essentiel de disposer de la vision la plus précise possible et d'enrichir l'information disponible.
Comme je l'ai indiqué, la doctrine initiale ayant justifié la création des agences visait à ce qu'elles soient moins pilotées par le Parlement, ce qui n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi j'évoque la reministérialisation de certains opérateurs ainsi que la rebudgétisation, dès le premier euro, de l'ensemble de leurs crédits. À défaut, vous ne pouvez exercer votre mission de contrôle dans des conditions acceptables. D'ailleurs, en tant que ministre chargée des comptes publics, je voudrais bien, en cours d'année, ralentir ou repositionner certaines dépenses, à l'image de ce qui se pratique dans les ministères ; or ce n'est plus possible. La photographie dont vous disposez, qui est un bilan, reflète une gestion annuelle qui, à mes yeux, n'est pas satisfaisante.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous partageons pleinement ce constat. Pourriez-vous nous préciser quels organismes seront concernés par le projet Information financière des organismes de l'État (Infinoé), destiné à regrouper toutes les données des opérateurs et des structures parapubliques ? Comment améliorera-t-il leur pilotage par l'État ? Quel calendrier prévoyez-vous pour son déploiement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous transmettrai par écrit une réponse précise, après consultation de la direction du budget, concernant le périmètre exact et le calendrier précis du projet Infinoé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Est-ce un sujet majeur, selon vous ? De notre point de vue, cela répond à un manque, qui constitue l'un des principaux obstacles à notre mission et, j'en suis certaine, à la vôtre également.
Ce projet n'est pas nouveau ; il ne date pas du mois de février, il a même été reporté à plusieurs reprises. Il ne semble donc pas figurer parmi les priorités de déploiement du ministère de l'économie et des finances, alors même qu'il viendrait combler une lacune essentielle. Sans portage politique, le projet n'avancera pas, je le crains...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est un projet porté par la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui tient les comptes de l'ensemble des acteurs publics, y compris des hôpitaux et des collectivités.
S'agissant du portage politique, je défends avec une grande vigueur l'amélioration de l'usage de la donnée comptable, aussi bien dans les opérateurs que dans les hôpitaux et les collectivités.
C'est l'un des sujets du comité d'alerte que nous avons réuni, pour avoir une vision en temps réel, plus fine. Compte tenu de la volatilité budgétaire dans la période actuelle, nous devons avoir - et le Parlement aussi - une vision beaucoup plus fine de l'exécution budgétaire.
Ce sujet soulève deux questions : comment l'exercice des tutelles est-il fait ? Comment dispose-t-on de données précises, utilisables, à la fois budgétaires et financières ?
Dans le cadre de la réforme de la formation des cadres supérieurs de l'État, nous avons renforcé, au sein de l'Institut national du service public (INSP), les modules relatifs à l'exercice de la tutelle.
Par ailleurs, les commissaires du Gouvernement du contrôle général économique et financier (CGefi) siègent au sein des conseils des opérateurs. Eux-mêmes se trouvent parfois confrontés à des canaux de remontée d'informations peu structurés, insuffisamment automatisés - d'où les projets en cours de réforme des systèmes d'information.
Le portage politique de cette démarche existe bel et bien, madame la rapporteur.
Vous m'avez demandé quel est le périmètre exact des opérateurs qui seraient concernés et de ceux qui ne le seraient pas ; c'est précisément pourquoi je parle de fusion, de rapprochement, de réministérialisation, de rebudgétisation.
Vous en conviendrez, les Français trouveront qu'il y a quelque chose d'assez cocasse à constater que l'on mobilise des ressources publiques pour gérer une complexité que l'État a lui-même engendrée, et dont il peine aujourd'hui à assurer le suivi.
La revue des politiques publiques nous conduit à interroger la viabilité même de cette organisation fragmentée. J'apporterai une réponse écrite à votre question sur ce projet, qui vise à exploiter les données comptables de la DGFiP à des fins de suivi budgétaire et financier et qui intégrera le plus d'informations possible.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous invite également à regarder le partage bizarre des responsabilités en matière de contrôle financier des opérateurs entre le CGefi, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et la direction du budget.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vos recommandations et vos observations sur des sujets qui vous semblent, sinon bizarres - le mot est trivial -, mais...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Surprenantes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En tout cas, vos remarques m'intéressent vivement et contribueront utilement à notre réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez indiqué ne pas disposer, à ce stade, d'un objectif chiffré concernant la réduction d'effectifs susceptible de résulter des réorganisations en cours. Pourtant, chacun ici sait qu'une part significative de la réduction de la dépense publique reposera sur une diminution de la masse salariale des fonctionnaires, qui constitue un poids important dans notre budget.
Comment envisagez-vous l'articulation entre deux dynamiques qui, de prime abord, peuvent sembler contradictoires : la réduction des effectifs, d'un côté, et le renforcement de certains services publics, de l'autre ? Vous avez vous-même exclu France Travail, qui compte près de 50 000 agents, du périmètre concerné. D'ailleurs, l'amendement défendu par la ministre du travail et de l'emploi du gouvernement Barnier lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, visant à réduire 500 postes sur ces 50 000, n'a pas été maintenu.
De plus, les plus gros opérateurs ont été sortis d'office du champ de votre réflexion ; l'effort pèsera donc sur les plus petits. Dans cette perspective, envisagez-vous également de mettre fin à certaines politiques publiques, ou du moins de ne plus en confier la mise en oeuvre au secteur public ?
Mme Amélie
de Montchalin, ministre. - Le fait de retirer tel ou tel
organisme d'un périmètre de comptage ne signifie pas que celui-ci
serait sanctuarisé, exclu de toute réforme, ni qu'il
échapperait à notre examen.
Je suis en contact
avec l'ensemble des ministres au sujet de leur organisation respective, y
compris avec Philippe Baptiste, notamment sur sa manière de soutenir les
universités.
Dès que l'on parle d'opérateurs, les exemples de France Travail et des universités s'imposent immédiatement, et l'on en conclut, à tort, qu'il n'y aurait rien à revoir : j'ai retiré ces deux opérateurs du débat, car il s'agit là de grands services publics, qui ont des processus et des revues budgétaires qui leur sont propres, et qui font l'objet de débats lors de l'examen du PLF.
Faut-il supprimer certaines missions ? Ce n'est ni un totem ni un tabou ; parfois l'État n'est plus attendu sur une politique publique, ni légitime à s'y maintenir s'il n'apporte plus de valeur ajoutée, en particulier lorsque les collectivités ou d'autres acteurs publics remplissent déjà ce rôle.
Dans certains domaines, notamment ceux qui reposent sur la distribution de crédits, nous disposons, via les opérateurs, d'outils de subvention. Mais de nombreux rapports, y compris les vôtres, interrogent la pertinence de ce mode de financement. Dans bien des cas, il serait plus approprié de recourir à des garanties, à des avances remboursables ou à des prêts bonifiés.
Si nous aboutissons à la conclusion qu'un financement ne doit plus reposer exclusivement sur une subvention, cela implique mécaniquement une redéfinition du rôle de l'opérateur chargé de distribuer celle-ci. À l'inverse, des structures comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui interviennent à travers des prêts bonifiés ou via la Banque des territoires, pourraient voir leur rôle renforcé pour atteindre certains objectifs de politique publique.
Notre démarche - elle peut vous sembler simpliste - consiste à répondre de manière rigoureuse à plusieurs questions : que doit faire l'État ? quels outils budgétaires doit-il mobiliser pour être efficace ? Il s'agit parfois d'une subvention - est-ce normal qu'elle soit, quelquefois, versée par quatre opérateurs publics ? -, parfois d'un prêt, d'une garantie, ou encore d'un fonds européen ; d'ailleurs, et cela me met mal à l'aise, certains opérateurs sont un doublon exact des régions s'agissant de l'activation des fonds européens.
Vous ne m'entendrez pas annoncer, alors que j'ai prêté serment devant votre commission d'enquête, la suppression de la politique de transition écologique ou de celle de la formation des adultes ; la question est celle de l'organisation, de l'efficacité, de la pertinence de chaque euro engagé - il n'y a pas d'argent public, il n'y a que l'argent des Français. Nous devons garantir que chaque euro versé au pot commun soit utilisé de la manière la plus efficiente possible.
Lorsque le précédent gouvernement a
décidé de supprimer l'Institut national de la consommation, il a
estimé que ce champ ne relevait plus d'une gestion publique telle
qu'elle existait jusqu'alors. Cette orientation me semble
pouvoir
être assumée, sans pour autant verser dans une logique de
« serpette » ou de
« tronçonneuse » - ce ne sont pas mes
mots, et ce n'est pas mon approche.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de nous l'apprendre, un module consacré à l'exercice de la tutelle a été intégré aux formations de l'INSP : nous saluons cette avancée.
Même si ce n'est plus votre portefeuille actuel, vous avez été ministre de la transformation et de la fonction publiques ; aussi, pouvez-vous nous dire s'il existe d'autres initiatives visant à renforcer les compétences de la haute fonction publique, notamment pour faire mieux avec moins, à l'avenir ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je peux évoquer mon expérience en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques entre juillet 2020 et mai 2022, qui explique en grande partie la motivation et l'énergie que je déploie actuellement.
Après le premier confinement, lorsque le ministère de la transformation publique a été créé, l'idée d'avoir des opérateurs spécialisés, présents sur tout le territoire, semblait pertinente, particulièrement dans une phase de relance. Ainsi, sous l'autorité du Premier ministre Jean Castex, en lien avec le ministre Bruno Le Maire, nous avons mis en place des sous-préfets spécifiquement chargés de la relance - j'avais été auditionnée ici même par Mme Françoise Gatel. Ce choix a été beaucoup débattu, mais pourquoi l'avions-nous fait ? Parce qu'il fallait créer des chefs de projet capables de déployer une politique publique d'ampleur et d'urgence sur le terrain, tout en surmontant la complexité organisationnelle et en facilitant le lien entre collectivités, entreprises et État, afin de mettre d'accord les opérateurs entre eux et d'accélérer les processus.
Cette expérience a conduit Jean Castex et moi-même à intégrer pleinement la question des tutelles et du pilotage opérationnel de l'action publique au coeur de la formation continue des cadres supérieurs de l'État et du cursus de l'INSP. Cette question a été intégrée dans la feuille de route de l'INSP et de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese).
À l'époque, nous avons constaté que de nombreux administrateurs civils, pourtant formés par l'État, n'étaient plus connus ni suivis lorsqu'ils rejoignaient des opérateurs ou des agences. Une partie de la mission de la Diese consiste précisément à cartographier ces compétences pour renforcer la résilience et l'efficacité opérationnelle de l'État, notamment en temps de crise, en évitant de recourir systématiquement à des agents extérieurs.
Cette réflexion a été nourrie par
les débats intervenus pendant la crise sur l'externalisation de
certaines missions. J'ai moi-même été auditionnée
à ce sujet par une commission d'enquête du Sénat. Il
était apparu que
nous ignorions parfois l'existence
même de certaines compétences disponibles au sein de
l'État, faute de les avoir recensées, ce qui avait conduit
à recourir massivement à des consultants externes.
Ma conviction, en tant que ministre de la fonction publique, était qu'il fallait renforcer la formation sur la tutelle, harmoniser les méthodes et doter l'État d'une doctrine unifiée en matière budgétaire, afin d'améliorer les remontées d'informations, qui ne doivent pas reposer uniquement sur les rapports des commissaires du Gouvernement siégeant dans les conseils d'administration, mais s'appuyer aussi sur des outils structurés.
Est-il encore possible de progresser ? Oui. En avons-nous terminé ? Non. Mais je suis convaincue que nous devons collectivement porter une vision d'évaluation, de réorganisation et d'efficience. Je ne suis pas sur la défensive ; au contraire, je suis volontariste : je souhaite que les Français, les parlementaires et l'ensemble des responsables publics disposent d'une organisation administrative plus lisible et plus performante.
Il faut sans cesse rappeler aux hauts fonctionnaires qu'ils ne gèrent pas de l'argent public, mais qu'ils gèrent l'argent des Français ! Cet argent n'est pas versé par une main invisible ; il est voté par le Parlement, dans le cadre des lois de finances. Il appelle donc la plus grande exigence en matière de transparence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous vérifié si les orientations que vous aviez données à la Diese ont été effectivement mises en oeuvre ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même si je n'étais plus ministre, j'ai suivi avec intérêt ce dossier. La Diese fait une meilleure évaluation des fonctionnaires ; la tutelle est également mieux évaluée.
Des avancées ont également été enregistrées sur les objectifs assignés aux fonctionnaires, ainsi que sur leurs feuilles de route et sur les résultats attendus.
Des progrès ont été réalisés sur la cartographie des compétences, même si elle n'est sans doute pas encore exhaustive. Mais cette dynamique a permis à l'État de reprendre conscience de ses compétences. Et le fait que l'on ait aujourd'hui recours à moins de consultants tient aussi au fait que l'on a mieux identifié les ressources internes. Sommes-nous arrivés au bout ? Sûrement pas, mais c'est un levier de transformation utile que nous devons continuer à activer.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela ressortait des travaux que nous avons pu mener.
M. Pierre Barros, président. - En tant que sénateurs, nous sommes beaucoup sur le terrain ; aussi, les questions qui nous mobilisent sont d'ordre opérationnel.
Certes, il est possible de définir des objectifs, d'élaborer une stratégie, de se donner des moyens de contrôle - ces éléments s'inscrivent dans le périmètre même des travaux de notre commission d'enquête et rejoignent, madame la ministre, vos propres objectifs, que nous partageons sans réserve.
Toutefois, si, sur le terrain, les services ne disposent pas des moyens opérationnels nécessaires pour mettre en oeuvre les dispositifs envisagés, qu'il s'agisse de fusions, de suppressions ou d'autres mesures, ce sont, in fine, les services déconcentrés de l'État, les maires et les directions générales des services des collectivités territoriales qui subiront les conséquences de ces carences.
Notre commission d'enquête s'attelle à un travail de fond. Viendra peut-être, en conclusion, le moment de produire des chiffres. Mais, à ce stade, la difficulté réside dans le fait que des chiffres ont déjà été communiqués par le ministère, sans que nous puissions encore comprendre précisément selon quelle méthode ils ont été établis. Le travail semble d'ailleurs toujours en cours, et il est probable qu'il ne connaîtra pas de fin véritable, tant il engage une réflexion structurelle.
Nous tentons, avec honnêteté, de construire une méthodologie rigoureuse, de réunir l'ensemble des éléments nécessaires à une évaluation solide. L'objectif est non pas de produire une donnée chiffrée, mais de dégager une orientation claire, une organisation rationnelle des structures existantes, afin d'améliorer l'effectivité du déploiement des politiques publiques.
Si nous échouons à mener un travail de qualité à ce stade, ce sont les politiques elles-mêmes qui risquent d'être rabotées à terme.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous allons passer maintenant au thème des suppressions ou fusions des opérateurs. Avez-vous connaissance d'une sorte de « Nutri-score des opérateurs », selon la comparaison reprise dans la presse, avec des catégories précises telles que A pour les opérateurs performants, B pour ceux qui seraient redondants, C pour ceux qui, créés pour l'agilité, seraient potentiellement réinternalisables ?
Avez-vous participé à cette classification, laquelle diffère de celle, composée de cinq catégories, que vous nous avez décrite précédemment ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ignore s'il y a trois, cinq, huit ou douze catégories. Ce qui importe, c'est que cet exercice de refondation repose sur deux processus complémentaires. L'objectif est de disposer d'une vision aussi complète, aussi exhaustive et surtout, aussi peu arbitraire que possible.
Le premier processus s'appuie sur les remontées des secrétaires généraux, qui ont une connaissance fine des opérateurs relevant de leur champ de politiques publiques. Ils ont pu identifier les opérateurs qui fonctionnent efficacement, comme ceux qui rencontrent des difficultés manifestes.
Actuellement, 58 opérateurs, soit 16 % du nombre total d'opérateurs hors universités, perçoivent un financement de l'État inférieur à 20 millions d'euros ; cela représente seulement 1 % des financements globaux. Parmi ces 58 opérateurs, 33, soit 10 % du total des opérateurs, reçoivent moins de 10 millions d'euros, pour un poids budgétaire de 0,2 %. Cette analyse nous a notamment conduits à nous interroger sur l'efficacité et la nécessité de ces opérateurs de petite taille.
Cette réflexion rejoint, monsieur le président, votre remarque sur le déploiement : lorsque l'on dispose d'un opérateur de très petite taille, sa capacité à couvrir tout le territoire - jusqu'au dernier kilomètre, jusqu'au dernier village de France - de manière équitable est structurellement limitée.
Le second processus consiste en un travail d'analyse plus global, que vous avez évoqué sous le nom de Nutri-score. Il s'agit non pas d'un indicateur aussi standardisé, mais d'une méthode d'évaluation que nous avons mise en oeuvre, qui peut paraître simple, voire rudimentaire, mais qui repose sur une construction par colonnes.
La première colonne recense les réseaux d'opérateurs. Au sein de ces réseaux, certains peuvent faire l'objet d'un jugement favorable : « Cela fonctionne bien ainsi. » Je pense, à titre d'exemple, aux agences de l'eau. Il s'agit d'un réseau pour lequel certains nous disent : « Mieux vaut maintenir les six agences de bassin plutôt que de les fusionner dans une structure unique. »
Je ne sais s'il faut appeler cela un Nutri-score, mais il s'agit bel et bien d'une appréciation qualitative du fonctionnement et de la pertinence des opérateurs concernés.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'un de vos collègues nous a indiqué disposer d'un tableau comportant des colonnes intitulées A, B et C. Nous avons demandé à obtenir ce document, mais il ne nous a pas été transmis, du moins pas sous cette forme.
Confirmez-vous que cette classification n'existe pas, ou, à tout le moins, que vous n'en avez jamais eu connaissance ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'ignore si cette classification s'appelle « A, B, C » ou « vert, rouge, jaune » ; ce que je peux vous assurer, c'est qu'un travail méthodique est en cours.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué, de manière plus précise, des colonnes correspondant à des opérateurs potentiellement redondants, agiles, ou susceptibles d'être réinternalisés. Cette typologie s'inscrit clairement dans les cinq axes que vous avez décrits précédemment.
Elle ne correspond en rien à la classification
« A, B, C » mentionnée par l'un de vos
collègues. Il s'agit simplement de savoir s'il existe deux
démarches distinctes, ou si votre approche est bien celle qui est
reflétée
dans les documents que ce ministre nous a
transmis, lesquels relèvent, d'ailleurs, de l'égide du
Gouvernement et non d'un ministère en particulier - ce qui, du
reste, est cohérent avec vos propos.
Nous pourrons donc conclure de cette audition que la classification dite Nutri-score « A, B, C » n'existe pas.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous confirme ne pas avoir connaissance d'une classification « A, B, C » des opérateurs. En revanche, je connais le tableau de travail sur lequel nous nous appuyons, qui nous permet de progresser, d'affiner l'analyse - comme vous avez pu le constater - selon une méthode structurée et rigoureuse.
Je le répète ici comme je l'ai dit à la presse : lorsque je déclare qu'un tiers des opérateurs représentent 3 milliards d'euros, c'est parce que le travail que nous conduisons montre qu'au moins un tiers des opérateurs figure d'ores et déjà dans les colonnes de ce tableau. Mon objectif est clair : aller jusqu'au bout de cette démarche.
Derrière bon nombre des projets de fusion, de rapprochement ou de réorganisation que nous étudions se trouvent des missions d'inspection, parfois conduites depuis plusieurs décennies. Autrement dit, l'État a déjà mobilisé des fonctionnaires de grande qualité pour examiner ces situations, évaluer les doublons éventuels, diagnostiquer les dysfonctionnements ou les insuffisances d'organisation.
En tant que ministre des comptes publics, je considère que, si ces travaux existent et aboutissent à des conclusions claires, il est de notre responsabilité de les mettre en oeuvre. J'assume publiquement - devant vous et ailleurs - que l'ensemble de ces travaux sont sérieux et qu'ils nous montrent qu'au moins un tiers des opérateurs se situe dans des configurations pour lesquelles des améliorations sont manifestement possibles.
Dans la plupart des cas, des missions d'inspection ont déjà été diligentées. Du temps, de l'énergie et des moyens publics ont été investis. Je souhaite que ces travaux aboutissent ; heureusement, le Premier ministre a cette même volonté. Il y a un moment politique ; vous-même avez été en avance sur ces sujets depuis plusieurs années et vous accomplissez un travail utile ; il me semble que nous devons saisir ce moment politique, budgétaire et collectif. C'est pourquoi je tiens à ce que les objectifs que je fixe soient bien compris, car ils sont atteignables.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela m'amène à ma question suivante, qui porte sur le chiffre d'un tiers, que vous avez évoqué le 27 avril et que vous venez de rappeler à l'instant.
Vous nous indiquez qu'un tiers des agences, opérateurs et autres structures figure dans ce tableau de travail. Toutefois, il me semble que vous raisonnez sur un périmètre sans doute plus restreint que le nôtre. En effet, jusqu'à présent, il n'a jamais été question des comités Théodule, commissions consultatives ou autres instances.
Si l'on considère que ce tiers regroupe les structures présentes dans le tableau, vous avez mentionné, à juste titre, que certaines - comme les agences de l'eau - y figurent également. Or, au regard de vos premières analyses, il ne serait pas pertinent de les regrouper au sein d'une structure unique.
Comment conciliez-vous, dès lors, l'idée d'un tiers concerné par des projets de suppression ou de fusion avec le fait que ce même tiers inclut des opérateurs dont le maintien sous forme actuelle semble justifié ? Autrement dit, à l'intérieur de ce tiers, certains opérateurs ressortent du champ des réformes possibles. Faut-il y voir un tiers, une moitié, un quart ? L'évaluation paraît fluctuante.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Prenons un exemple simple : lorsque les cinq instituts régionaux d'administration sont regroupés en un seul, cela fait bien cinq qui deviennent un.
Aujourd'hui, environ un tiers des opérateurs font l'objet d'un examen attentif. Il s'agit d'entités pour lesquelles il paraît possible d'envisager, selon les cas, une fusion de réseaux, un rapprochement entre structures aux missions proches, une suppression, une reministérialisation d'une partie de leurs missions. Cela peut également concerner une rebudgétisation, parfois sur la totalité, parfois uniquement sur une partie de leurs crédits.
Concrètement, cela signifie qu'un tiers des opérateurs relèvent désormais d'un périmètre sur lequel le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, estime qu'il faut faire différemment. La nature et l'ampleur de ces transformations feront naturellement l'objet d'un travail commun avec vous, parlementaires, dans le cadre des débats budgétaires.
Aujourd'hui, nous travaillons sur un noyau d'environ 60 opérateurs, en excluant les grands réseaux déjà identifiés, lesquels font l'objet de travaux menés en parallèle.
Ce tiers n'implique en rien une politique de coupes généralisées. Il s'agit du périmètre d'analyse active. Et sur ce point, madame la rapporteur, vous soulevez un élément central. Il faut, pour que chacun comprenne bien - y compris les Français qui nous écoutent -, clarifier des distinctions qui, dans le débat public, sont souvent confondues. On regroupe en effet sous le même terme des entités très différentes.
Premièrement, il y a ce qu'on appelle, dans le langage courant, les « comités Théodule ». Il s'agit d'organismes consultatifs, souvent juridiques ou réglementaires, qui participent à l'élaboration des normes. Ils interviennent en amont du processus normatif. Leur caractéristique principale est qu'ils ne gèrent pas d'argent public. Leur budget, lorsqu'ils en ont un, se limite à du fonctionnement.
Deuxièmement, on trouve les opérateurs de l'État et les agences. Ceux-là disposent de comptabilités budgétaires ou privées, exécutent des missions de service public, et interviennent à partir de crédits publics. Ce sont eux qui relèvent directement de mon champ d'action en tant que ministre chargée des comptes publics.
Troisièmement, il y a les autorités administratives indépendantes (AAI), qui disposent de pouvoirs de régulation.
Or, dans le débat public, ces trois catégories sont souvent amalgamées. Mon rôle, en tant que ministre des comptes publics, est de me concentrer sur ceux qui gèrent effectivement de l'argent public : examiner comment ils le mobilisent, comment ils le déploient et dans quelle mesure leur gestion est efficace.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de nous réexpliquer qu'environ un tiers des opérateurs fait l'objet d'un examen, pouvant conduire à des modifications de périmètre. C'est une approche sensiblement différente de celle qui consisterait à évoquer systématiquement des fusions ou des suppressions.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il peut s'agir d'une fusion avec un ministère, avec un autre opérateur, avec une collectivité territoriale ; il peut aussi s'agir d'une fusion budgétaire.
Lorsque je m'exprime sur CNews un dimanche matin, je ne suis pas devant une commission d'enquête du Sénat. Le mot « fusion » a beaucoup d'acceptions différentes.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agissant d'un sujet particulièrement sensible dans l'opinion - une partie de nos concitoyens estiment qu'il faudrait tout supprimer d'un seul coup -, il faut faire attention au sens que l'on donne aux mots. En vous écoutant, certains ont ainsi pu estimer que vous vouliez supprimer un tiers des opérateurs. Au reste, on ne sait même pas s'il s'agit d'un tiers de 400 ou de 1200 opérateurs.
Nous parlons ici en techniciens, parce que nous travaillons sur ces sujets depuis plusieurs mois, mais il faut rester très rigoureux si nous voulons éviter de nourrir l'idée - fausse - qu'il serait possible, d'un simple d'un coup de tronçonneuse de tout supprimer du jour au lendemain.
Votre réponse était très précise sur la question relative au tiers, qu'il faut entendre comme un périmètre indicatif de structures actuellement à l'étude, dont les missions, l'organisation ou l'articulation budgétaire avec leur ministère de tutelle pourraient évoluer.
Je souhaiterais maintenant revenir sur l'une de ces petites structures, l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite Agence bio. Le Sénat avait voté sa suppression, mais le Gouvernement n'a pas souhaité retenir cette orientation. Pourquoi ?
Cet exemple est intéressant, car il interroge la logique même d'une revue fondée uniquement sur des critères quantitatifs. Sur un fichier Excel, il est facile d'établir un tri selon le nombre d'agents ou le volume budgétaire. Cela permet de produire des catégories, dans lesquelles est entrée l'Agence bio ; d'ailleurs, pourquoi sa suppression a-t-elle été proposée, s'agissant d'un groupement d'intérêt public (GIP), ce qui n'est pas ce qui coûte le plus cher à l'État ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cet exemple montre qu'il faut aborder ces questions autrement. L'objectif n'a jamais été de supprimer la politique de soutien à l'agriculture biologique en France, ni de désigner telle ou telle agence comme un bouc émissaire ou une cible symbolique.
Ce que révèle ce cas, c'est qu'une intervention isolée, hors d'un cadre cohérent et d'un objectif explicite, ne peut produire les effets attendus. Notre objectif est clair : rendre les politiques publiques plus efficaces, et garantir une utilisation optimale de l'argent public. Il s'agit aussi, je le dis très directement, de permettre aux ministres d'exercer pleinement, devant le Parlement, leur responsabilité en matière de pilotage.
Le budget annuel de l'Agence bio est, je crois, de l'ordre de 3 millions d'euros, alors que les crédits consacrés au soutien à l'agriculture biologique se chiffrent en centaines de millions. Le débat a révélé une confusion : certains ont laissé entendre que, sans agence, il n'y aurait pas de politique. Heureusement, toutes les politiques publiques ne nécessitent pas la création d'une agence spécifique pour exister.
Aussi, notre approche se fonde d'abord sur le constat d'une telle confusion. À ce propos, votre travail est précieux, car il permet de déconstruire l'idée selon laquelle une politique publique ne pourrait exister que si elle dispose de sa propre agence ou l'idée inverse, selon laquelle fusionner, réintégrer ou restructurer un opérateur reviendrait à supprimer cette politique. Tel est le premier enseignement que nous avons tiré de ce débat.
Deuxième enseignement : ces réformes doivent être menées de manière globale et coordonnée, au risque de donner l'impression que nous désignons arbitrairement des boucs émissaires, ce qui ne correspond pas à notre démarche.
Troisième enseignement : le débat a fait émerger de nombreuses questions relatives à l'organisation du soutien à l'agriculture biologique. On y trouve l'Agence de services et de paiement (ASP), FranceAgriMer, le ministère de l'agriculture, les fonds européens, et l'Agence bio. On voit bien que le sujet dépasse très largement le cas de cette seule agence.
Aujourd'hui, le travail engagé dans les
ministères consiste précisément à cartographier ces
missions connexes ; je pense, pour la politique publique de l'agriculture
biologique, aux missions de l'Institut national de
l'origine et de la
qualité (Inao), de l'Agence bio, de l'Office de développement de
l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), du ministère
lui-même, et de l'ASP pour le versement des aides.
La volonté du Premier ministre n'est pas de tailler à la tronçonneuse pour faire un joli bosquet ; il demande qu'on identifie, pour chaque politique publique - en l'occurrence, le soutien à la transition agroécologique -, les moyens les plus cohérents pour atteindre les objectifs fixés. Certaines décisions pourront être mises en oeuvre dès le projet de loi de finances pour 2026. D'autres nécessiteront davantage de temps, voire un texte de loi. C'est cette méthode que nous appliquons.
Cet exemple nous appris qu'il fallait aborder ces sujets avec une autre méthode, au service de notre objectif qui est non pas de supprimer par principe, mais d'améliorer le fonctionnement des politiques publiques, et de renforcer la lisibilité de leur pilotage pour le Parlement.
D'ailleurs, je doute que quiconque dispose aujourd'hui d'une vision exhaustive des crédits publics, français et européens, mobilisés en faveur de la politique de l'agriculture biologique. Ce manque de visibilité n'est pas acceptable.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La fusion récente entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a coûté 65 millions d'euros. Anticipez-vous clairement de tels surcoûts dans vos réflexions actuelles ? Comment prévoyez-vous de faire coïncider ces dépenses avec l'objectif global d'économies de 40 milliards d'euros ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce qui est certain, c'est que si l'on s'en tient à ce constat, alors rien ne sera entrepris, car, bien entendu, la transformation a un coût.
Je rappelle que notre objectif reste un déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2029. J'assume donc pleinement, devant vous, que notre démarche s'inscrit dans le cadre d'un plan pluriannuel. Rien ne pourra être engagé de façon instantanée, mais refuser d'agir sous prétexte que la dépense initiale est élevée, c'est renoncer à toute réforme durable.
C'est précisément pourquoi je défends l'idée que les économies doivent être envisagées sur une trajectoire de moyen terme, et non sur une seule année budgétaire.
L'exemple du rapprochement entre l'ASN et l'IRSN est à ce titre révélateur. Il s'agit bien d'un processus de fusion, mais qui s'inscrit dans un contexte particulier : la politique publique concernée est en pleine expansion. Le programme nucléaire est relancé, les petits réacteurs modulaires (SMR) sont en cours de développement, et de nouvelles technologies apparaissent.
Le contrefactuel, c'est-à-dire le niveau de dépenses que nous aurions atteint si les deux structures avaient été maintenues dans un contexte de croissance, n'est pas clair ; et nous ne l'avons pas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour éclairer précisément ce point, je souhaite rappeler que les 65 millions d'euros supplémentaires évoqués ne correspondent pas à une extension de la politique publique. Le périmètre est resté constant. Ces coûts résultent directement du processus de fusion entre deux structures juridiques distinctes.
D'abord, cette opération a impliqué une harmonisation des rémunérations par le haut. On a fusionné deux entités dont les statuts juridiques étaient différents. Ensuite, on a procédé à une refonte complète du système d'information, car les deux structures disposaient de systèmes informatiques incompatibles. Il a donc été nécessaire de construire une nouvelle architecture.
Ces surcoûts relèvent donc exclusivement de la logique même de la fusion : il a fallu faire en sorte que deux agents exerçant des responsabilités comparables perçoivent une rémunération équivalente.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous avons accepté ces coûts dans ce cas précis parce que nous savons que la politique publique concernée est confrontée à la forte croissance du secteur, que l'ambition est réelle, et que des dépenses supplémentaires sont inévitables. Cette dynamique justifie d'autant plus les investissements consentis.
Ce serait tout à fait différent si l'on procédait à une telle réorganisation pour une politique publique dépourvue de priorisation ou d'ambition nouvelle.
C'est exactement ce que nous analysons aujourd'hui : la fusion juridique de telles structures doit être regardée à deux fois ; la reministérialisation des crédits, par exemple, ne génère pas de coûts spécifiques. La mise en réseau, en revanche, peut entraîner des coûts, même si les structures concernées partagent un même cadre juridique. Le rapprochement entre le Haut-Commissariat au plan et France Stratégie, dont M. Clément Beaune a esquissé les contours, en est une illustration. Ce type de réorganisation permet d'identifier des gains réels, notamment à propos du périmètre, et d'éviter les doublons.
C'est précisément pour cette raison que nous sommes réunis ici aujourd'hui. Trop souvent, l'annualité budgétaire a constitué un frein à la mise en oeuvre de nombreux projets de transformation, qui n'ont pas pu aboutir.
Entre 2020 et 2022, alors ministre de la transformation
et de la fonction publiques, je disposais du fonds pour la transformation de
l'action publique (Ftap). Cet instrument, souvent contrôlé et
évalué - à juste titre -
était
à l'époque le seul levier permettant de
financer, sur plusieurs exercices, des projets à fort potentiel de
rendement budgétaire, mais nécessitant un investissement initial
élevé.
C'est dans ce cadre, par exemple, que nous avons soutenu plusieurs projets de modernisation des systèmes d'information. Je pense notamment à la facturation électronique ou encore à la numérisation des déclarations d'urbanisme via la plateforme PLAT'AU. Ce projet, certes coûteux au départ, a permis des gains notables, notamment en matière de ressources humaines et d'efficience organisationnelle.
Le Premier ministre a d'ailleurs évoqué, dans sa déclaration de politique générale, la nécessité de disposer à nouveau d'outils pluriannuels permettant de porter des projets dont la rentabilité s'inscrit dans un horizon de trois à cinq ans. C'est une position que je défends à la fois comme ministre des comptes publics et comme ancienne ministre de la transformation publique. Il me semble que l'avis des parlementaires sur l'utilité ou non de tels instruments serait éclairant.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ma question était la suivante : vos annonces, au mois de juillet prochain, sur les réorganisations de périmètres seront-elles accompagnées d'une estimation du surcoût temporaire qu'elles entraîneraient pour chaque projet ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous remercie de me faire part d'une telle demande.
C'est dans le cadre du projet de loi de finances que seront traduits les projets que nous porterons. Je prends bonne note de votre observation, afin que la présentation budgétaire soit aussi transparente que possible.
Nous veillerons à ce que, pour chacun des projets envisagés, vous disposiez d'une vision claire des gains d'efficacité attendus, ainsi que des conditions de leur soutenabilité budgétaire. J'assume pleinement que cela puisse, dans certains cas, s'accompagner de surcoûts temporaires.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agissant de la fusion entre l'ASN et l'IRSN, heureusement que l'adoption du projet de loi de finances a été décalée de deux mois, car, en novembre, les questions statutaires liées à l'harmonisation financière n'étaient pas encore réglées. Peut-être n'avaient-elles pas été suffisamment anticipées...
Il est essentiel de disposer de toutes les informations au moment où l'on engage une réorganisation ou une fusion. Nous sommes tous conscients, ici, de la nécessité de faire des économies, de réorganiser, et de la complexité de ces opérations ; mais la transparence demeure indispensable.
Elle l'est d'autant plus que certains, dans le
débat public, défendent encore l'idée qu'il suffirait
d'agir à la tronçonneuse, de supprimer purement
et
simplement, comme si l'on pouvait passer de 100 à 0. Ce n'est
évidemment pas le cas. Il importe donc que chacun mesure les tenants et
les aboutissants de chaque décision.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En une phrase, madame le rapporteur : les économies doivent être fondées sur des réformes. Le rabot permanent ne produit plus d'effet. Si l'on souhaite engager de véritables transformations, il faut envisager des réformes de périmètre de l'action publique, des réformes d'organisation, ou encore des évolutions dans les outils publics mobilisés.
Je le répète : tout ne peut pas reposer sur la subvention publique. Ce modèle est illogique et inadapté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En mars 2023, le Président de la République a prononcé un discours sur le plan France ruralités dans lequel il a appelé à un « réarmement territorial de l'État », afin de répondre au sentiment d'abandon exprimé dans de nombreux territoires.
Or chacun ici sait que certaines suppressions de structures peuvent être perçues, sur le terrain, comme un recul de la présence de l'État et des services publics. J'ai bien compris que tel n'était pas votre objectif et que vous souhaitiez, au contraire, renforcer l'administration déconcentrée.
Pouvez-vous confirmer que votre projet de réforme ne vise en aucun cas une recentralisation bureaucratique ou un retour vers Paris, mais bien un renforcement durable de la présence de l'État dans les territoires, en cohérence avec cette ambition présidentielle ?
M. Pierre Barros, président. - Nous avons auditionné le corps préfectoral dans le cadre de nos travaux, et le sujet mérite une attention particulière. Je crois, par ailleurs, que nous sommes écoutés ce matin par de nombreux agents de l'État, en particulier au sein du corps préfectoral.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Oui, oui et oui ! Madame la rapporteur, ce que vous venez de dire correspond exactement à la ligne que je défends depuis 2020, aux côtés de Jean Castex à l'époque, que le Premier ministre actuel porte également, et sur laquelle le Président de la République n'a jamais varié : une partie du sentiment d'abandon des territoires s'est nourrie, vous le savez, de ces créations d'agences.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'agencification, comme l'on dit...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ces agences ont parfois conduit à une forme de régionalisation, sans diminution apparente des effectifs, mais avec une présence humaine amoindrie sur le terrain. Cela a pu entraîner de la confusion, d'autant plus que certaines approches étaient contradictoires.
Oui, nous portons une ambition claire de renforcement de l'administration territoriale de l'État, fondée sur l'agilité et la différenciation. Je me suis exprimée devant vous, en 2022, aux côtés de Mme Jacqueline Gourault, dans le cadre du projet de loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), dont le rapporteur était, au Sénat, l'actuel président de votre groupe politique. Cette vision est au coeur de mon action, et les équipes qui m'entourent la partagent pleinement. La question centrale est celle de l'efficacité et de la clarté de l'action publique.
Ce qui m'inquiète profondément, c'est la baisse du consentement à l'impôt. Si les Français ont sentiment de ne plus en avoir pour leur argent, c'est que les politiques publiques que nous déployons, et qui sont coûteuses, ne touchent plus nos concitoyens, qui ne les comprennent plus.
Je le dis très clairement : la reministérialisation ne saurait être synonyme de reparisianisation. Lorsque le préfet est désigné comme délégué territorial d'une agence ou d'un opérateur, il est légitime de s'interroger sur la pertinence de ne pas lui confier directement la responsabilité de certains agents. Parfois, cette organisation a du sens ; parfois, elle n'en a aucun. Lorsque ce n'est pas pertinent, il faut pouvoir y renoncer. Lorsqu'elle l'est, il faut pouvoir l'assumer.
Cette réflexion, je la mène avec le Premier ministre, avec François Rebsamen et d'autres membres du Gouvernement. Nous constatons que certaines structures relèvent aujourd'hui d'un véritable doublon entre l'État et les collectivités. Dans plusieurs cas, des opérateurs ou des agences ont été créés pour exercer des missions déjà remplies par les départements, les régions ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il faut alors s'interroger : est-ce justifié ?
Dans certaines situations, il serait plus cohérent de transférer les compétences à la collectivité concernée, avec les moyens humains correspondants, afin d'avoir un chef de file clairement identifié pour la politique publique. Vous connaissez, en tant que parlementaires, la réalité de ces chevauchements. En tant que sénateurs, vous voyez, chaque jour, des exemples de ce que j'appellerais une fausse décentralisation, avec un double financement - État et collectivité - qui peut apparaître confortable, mais qui, en réalité, nuit à l'efficacité.
Je préfère une organisation plus rapide, plus claire, avec une autorité de coordination unique. Nous avons aujourd'hui des opérateurs - et vous les connaissez - dont l'apport spécifique, par rapport à l'action des collectivités, peut légitimement être interrogé.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous remercie d'avoir précisé le fond de votre pensée et d'être revenue sur les propos que vous avez tenus le 27 avril. Il y a manifestement eu une mécompréhension, notamment en raison de la manière dont vos déclarations ont été rapportées par certains médias. Par exemple, le journal Le Monde vous cite en indiquant que « le Gouvernement souhaite “d'ici à la fin de l'année proposer dans le budget [2026]” la suppression ou la fusion d'un tiers des agences et des opérateurs de l'État ». Cela a le mérite de clarifier les choses : cette réforme ne relève donc pas du prochain projet de loi de finances.
Sur le fond, je perçois un véritable rapprochement entre votre démarche et les constats que nous tirons progressivement au fil de nos auditions au sein de cette commission d'enquête.
Ma question de fond est la suivante : comment parvenez-vous à estimer que ces réorganisations généreraient entre 2 milliards et 3 milliards d'euros d'économies ?
Nous attendons les annonces que vous avez évoquées à ce sujet. Et, pour être claire, je suis tout à fait favorable au recentrage de l'ingénierie au coeur des collectivités territoriales. Les territoires disposent aujourd'hui de compétences, ils ont besoin d'une ingénierie renforcée pour mettre en oeuvre leurs projets eux-mêmes. Cela renforcerait très probablement l'efficacité de l'action publique.
Mais dans le même temps, comment concilier ce principe avec l'idée, par ailleurs exprimée, selon laquelle les collectivités doivent consentir des efforts significatifs sur leurs dépenses de fonctionnement ?
Nous sommes aujourd'hui dans un contexte où les compétences techniques les plus recherchées - dans l'ingénierie, dans l'intelligence artificielle, dans la gestion des données - deviennent de plus en plus coûteuses. Il y a donc une tension croissante sur les ressources humaines, que les collectivités doivent affronter, alors même qu'on leur demande de réduire leurs charges de fonctionnement, voire qu'on les accuse de dépenses excessives.
Comment, dans ces conditions, réussir à compenser les transferts de compétences, tout en réalisant des économies à hauteur de 2 milliards à 3 milliards d'euros, et en réorganisant certains opérateurs, en créant des réseaux, voire en conservant certaines structures ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je maintiens intégralement les propos que j'ai tenus à la radio. Notre objectif est de disposer d'une feuille de route claire d'ici au projet de loi de finances pour 2026, car celle-ci aura des conséquences budgétaires en 2026, d'autres en 2027. La transformation d'un tiers des structures ne se fera pas au 1er janvier 2026, mais cette échéance doit marquer un tournant majeur dans notre approche.
J'ignore combien de temps nous resterons en fonctions,
car nous sommes, par définition, au service du pays, et c'est un honneur
immense : aucun jour n'est inutile. Nous menons donc ce travail avec
méthode, en concertation. Les copies devront, à un moment,
être partagées ; il faudra aussi
voir de quelle
manière les parlementaires souhaitent s'engager. Mais, in fine,
il faut décider. Sinon, nous pourrions organiser cette même
commission d'enquête chaque année.
S'agissant du chiffre de 2 milliards à 3 milliards d'euros, je rappelle que, grâce notamment à l'impulsion du Sénat - et je tiens à souligner le rôle de plusieurs groupes politiques dans ce sens -, nous avons inscrit, dans le projet de loi de finances pour 2025, une réduction des crédits alloués aux opérateurs, par rapport à leur trajectoire tendancielle.
On dit : « 5 milliards », mais l'on pourra toujours débattre de ce qui relève de la tendance et de ce qui constitue un effort réel. Mais, dans tous les cas, un effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement, y compris pour les opérateurs, a bien été engagé.
En tant que ministre des comptes publics, je dois répartir équitablement l'effort collectif qui nous permettra d'atteindre un déficit public de 3 % du PIB en 2029. Il serait incohérent que les ministères contribuent à cet effort sans que les opérateurs y participent.
L'effort de productivité sous-jacente que nous visons correspond à environ 2 % de la dépense publique pilotable par an. C'est également l'ordre de grandeur retenu pour les collectivités territoriales sur leurs dépenses de fonctionnement. Cela constitue, au fond, l'effort nécessaire pour retrouver une trajectoire soutenable.
Ces 2 %, je le précise, sont inférieurs à la croissance nominale attendue. Dans un pays comme le nôtre, avec une hypothèse de 1,5 % d'inflation et 1,5 % de croissance, cela correspond à une croissance nominale de 3 %. L'effort consiste donc à ralentir la progression des dépenses de fonctionnement, afin qu'elles croissent moins vite que le PIB.
Cette logique est appliquée à toutes les dépenses pilotables de l'État. Il est évident que certains secteurs - la défense, notamment, ou ceux qui relèvent de lois de programmation - ne peuvent être soumis à cette règle de manière mécanique. Mais, pour le reste, nous devons nous y tenir.
S'agissant des crédits des opérateurs, qui s'élèvent à 64 milliards d'euros, un effort de 2 % représente environ 1,3 milliard par an. À l'horizon de deux ans à deux ans et demi, cela nous conduit à une économie cumulée de 2 à 3 milliards d'euros.
Je pourrais me contenter de transmettre aux opérateurs une simple consigne : « Vous devez atteindre l'objectif de 2 % ; débrouillez-vous ! » Mais cela ne fonctionnerait pas ; les agents publics n'en peuvent plus ! Et l'expérience montre que, lorsque les ministères ont tenté de procéder ainsi, les résultats n'ont pas été au rendez-vous.
Nous identifions des doublons, des opérateurs aux missions redondantes, des structures dont l'utilité n'est plus avérée. Pour atteindre ces 2 milliards à 3 milliards, nous devons procéder à une réorganisation fondée sur l'efficacité des politiques publiques. Cette économie globale reposera à la fois sur des gains de productivité dans le fonctionnement courant, sur des fusions, des rapprochements, et sur des redéploiements de crédits.
Je prends un exemple très concret : de nombreux opérateurs ne contribuent pas aujourd'hui à la réserve de précaution. Or, lorsqu'il a fallu procéder à un décret d'annulation budgétaire, nous nous sommes heurtés à cette absence de levier. Certaines politiques publiques déléguées aux opérateurs échappent au champ de cette réserve interministérielle. Pour un ministre des comptes publics, c'est un vrai sujet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je souhaite, madame la ministre, que nous puissions disposer du tableau Excel qui vous a permis d'estimer les économies entre 2 milliards et 3 milliards d'euros. Car, de notre côté, nous observons que de nombreuses structures disposent certes de budgets importants, mais que la part réellement consacrée à leurs dépenses de fonctionnement, qu'il s'agisse de la masse salariale ou des frais liés aux locaux, y est extrêmement faible.
Dès lors, même en appliquant un effort de 2 % sur ces structures, l'économie en valeur absolue reste très limitée, voire irréaliste.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je parle aussi des crédits d'intervention.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il faut le dire clairement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je l'assume pleinement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les économies envisagées sur les opérateurs ne relèvent pas, pour l'essentiel, des seules dépenses de fonctionnement. Faire croire que ces 2 milliards à 3 milliards pourraient être ainsi obtenus, c'est alimenter le discours de ceux qui pensent qu'il suffirait de passer un « coup de tronçonneuse » pour régler le problème. Or ce n'est pas le cas.
La réalité, si l'on veut parvenir à l'équilibre budgétaire en 2026, c'est qu'il faudra remettre en cause certaines politiques publiques. Et cela change considérablement la nature du message politique porté.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Non, madame le rapporteur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si ! Lorsque l'on diminue les crédits d'intervention, ce sont des subventions qui sont réduites, qu'elles s'adressent aux particuliers, aux collectivités ou aux entreprises. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas le faire ; simplement, cela doit être annoncé avec honnêteté : on ne peut laisser croire que la seule réorganisation du fonctionnement des structures permettrait de générer 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies. J'entends bien votre objectif de maîtrise des dépenses publiques - et je le partage. Je dis simplement qu'il faut le présenter honnêtement, avec ses implications concrètes. Nous dépensons trop, j'en conviens, mais il faut annoncer votre plan avec honnêteté.
Si vous nous indiquez que ces économies porteront effectivement sur les crédits d'intervention, sur les dépenses de personnel ou de fonctionnement, alors oui, cet objectif devient crédible. Mais nous ne disposons d'aucun document permettant de vérifier que ces 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies seront réalisés sur les seules dépenses de fonctionnement.
M. Pierre Barros, président. - Dans ces conditions, quelle est la différence, concrètement, avec une stratégie de rabot ou de serpe ? Si l'on ne se limite pas à un travail sur l'organisation, mais que l'on procède aussi à un réexamen du déploiement des politiques publiques, en quoi cela ne relève-t-il pas, finalement, d'un rabot généralisé ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'exemple de l'ingénierie me semble particulièrement éclairant - une mission a été lancée sur ce sujet, nous pourrons, si vous le souhaitez, vous transmettre la lettre de mission. Les conclusions du rapport définitif étaient prévues pour le 30 avril, mais le rapport n'est pas encore prêt ; dès qu'il le sera, nous vous en présenterons les résultats.
Il n'est pas question de supprimer la politique publique d'aide à l'ingénierie. Chacun d'entre vous inaugure régulièrement des projets sur le terrain ; c'est une excellente chose : notre pays investit, innove, agit pour ses citoyens. Cependant, est-il normal que, pour chaque projet, les crédits d'intervention, les aides à l'ingénierie et les divers dispositifs de soutien soient financés par trois, quatre, parfois cinq financeurs différents ?
Aujourd'hui, un maire peut se retrouver à devoir solliciter le Cerema, l'Ademe, l'ANCT, son agence départementale d'ingénierie locale, voire sa région, via des dispositifs comme le chèque rural, pour être aidé à faire une étude complexe...
Si, pour une politique donnée, un seul opérateur est désigné comme responsable exclusif de sa mise en oeuvre, alors vous réalisez, de fait, des économies de fonctionnement auprès des structures qui n'auront plus à s'en charger. Les personnels concernés pourront être redéployés vers l'opérateur unique mandaté. Et surtout, lorsque cinq financeurs interviennent sur un même projet, il est probable que la somme totale des crédits d'intervention excède ce qui serait nécessaire si un seul opérateur gérait l'ensemble.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Lorsque vous indiquez que le crédit ou la subvention totale diminuera, cela signifie bien que le niveau de soutien public baissera. Nous sommes d'accord sur ce point.
Nous avons d'ailleurs observé des cas concrets où, du seul fait de la multiplicité des cofinanceurs, le taux de financement final atteignait, voire dépassait, les 80 %.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Exactement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce n'est pas normal, et je pense que nous pouvons en convenir.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce sont ces économies que je veux aller chercher.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'accord, mais ces cas restent exceptionnels.
Pour notre part, au regard de l'ensemble des documents et des données dont nous disposons à ce jour, nous maintenons qu'il ne nous semble pas possible d'atteindre 3 milliards d'euros d'économies sur la seule part des dépenses de fonctionnement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne ferai pas ces 3 milliards d'économies en réduisant uniquement les dépenses fonctionnement...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Effectivement, vous ferez ces 3 milliards d'euros d'économies en diminuant également les enveloppes de crédits d'intervention distribuées aux bénéficiaires.
Cela signifie, concrètement, qu'il y aura un taux de subvention moindre. Si l'on réduit la subvention d'un projet qui bénéficie d'un cofinancement de 80 %, ce taux global d'aide diminuera ; or l'enveloppe d'argent public reste la même, de sorte qu'elle peut alors être redéployée vers un autre projet.
Mme Pauline Martin. - Madame la ministre, je crois que nous partageons, dans l'ensemble, un certain nombre de constats.
Et, avec un peu de prétention, je dirais que cette commission d'enquête a peut-être eu le mérite de secouer quelque peu les réflexions de l'État, et c'est une bonne chose.
Au-delà des économies potentielles, je voudrais savoir si, dans les documents dont vous disposez - ou peut-être dans ceux dont la commission d'enquête dispose, mais qui ne nous ont pas encore été communiqués -, vous avez identifié des enveloppes d'intervention qui ne sont pas utilisées. Il pourrait alors être légitime de s'interroger sur le bien-fondé de certaines politiques publiques.
Ne pensez-vous pas que les ARS gagneraient à être véritablement placées sous l'autorité des préfets ? Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et cette situation pose de réelles difficultés dans les territoires.
Nous avons également auditionné l'ANCT, présentée comme « l'opérateur des opérateurs ». Cette formule illustre bien ce que vous disiez : l'ingénierie apportée par l'ANCT est, en pratique, souvent mise en oeuvre par les conseils départementaux eux-mêmes. Je vous rejoins pleinement sur ce point.
Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de thématiser davantage certaines interventions ? Je pense à la formation : l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), les groupements d'établissements publics locaux d'enseignement (Gréta), le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) - toutes ces structures déploient, parfois avec quelques différences, des politiques très similaires sur le terrain. Il me semblerait utile de porter un regard plus global sur ce secteur.
M. Pierre Barros, président. - Vous le voyez, madame la ministre, les membres de notre commission d'enquête se sont posé beaucoup de questions, et nous avons auditionné tous les acteurs précédemment cités.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Oui, il y a bien des phénomènes de sous-exécution. Et c'est un véritable sujet budgétaire, car ces sous-exécutions génèrent des excédents de trésorerie qui, à terme, donnent lieu à des prélèvements. Ces prélèvements sont parfois vécus par certains acteurs comme une forme de spoliation, ce qui n'est pas acceptable.
C'est pourquoi, sur plusieurs politiques publiques, nous souhaitons procéder à une rebudgétisation. Cela ne signifie en rien que les agents perdront leur mission ou leur rôle, mais simplement que l'argent public sera mieux géré.
Hier encore, j'ai reçu des informations du CGefi concernant des reports budgétaires. Certains reports, issus de sous-exécutions, sont considérés comme automatiques. Or dans notre cadre budgétaire, ces reports doivent être annulés, repris, précisément pour éviter une accumulation excessive de trésorerie.
C'est un sujet budgétairement fondamental, et je suis certaine que votre commission aura des observations à formuler à ce propos, notamment en matière de suivi, de transparence et de pilotage.
S'agissant des ARS, ce n'est pas le coeur du sujet de cette audition, mais la question que vous soulevez relève d'une réflexion de fond, que vous avez d'ailleurs bien située : il s'agit à la fois de la tutelle, du pilotage, mais aussi, plus globalement, des chaînes de commandement, en temps normal comme en temps de crise.
On peut parfaitement imaginer que ces chaînes de commandement ne soient pas les mêmes dans ces deux contextes. Ce sont des réflexions que nous avons menées, notamment durant la gestion de la crise sanitaire, et qui se sont révélées, à bien des égards, instructives.
Sur l'ANCT, je ne reviendrai pas plus longuement. Mais ce qui est certain, c'est qu'il faut simplifier. Et cette simplification aura, mécaniquement, un impact sur certains crédits d'intervention. Non pas qu'ils disparaîtront automatiquement, mais dans de nombreux cas, une partie de ces crédits sert simplement à couvrir le temps passé à constituer les dossiers. À partir du moment où l'on en fait un seul, on simplifie l'ensemble.
Le dossier unique proposé par M. Éric Woerth dans son rapport me paraît être une excellente idée. Dès lors qu'il existe un dossier unique, il n'est plus nécessaire que quatre administrations différentes l'instruisent. C'est ce type d'organisation simplifiée qui permet de générer des économies.
La thématisation, c'est exactement ainsi que nous abordons les politiques publiques, secteur par secteur. Prenons la formation des adultes : qui fait quoi ? Comment ces missions sont-elles réparties ? Est-ce la bonne organisation ? Et comment peut-on la faire évoluer ? Je pourrais également évoquer, à titre d'exemple, la politique de soutien à l'agriculture biologique.
Je tiens à dire, madame la rapporteur, à l'attention de celles et ceux qui nous écoutent, qu'il ne s'agit pas de supprimer les dispositifs ou les structures mentionnées. Mais les agents de ces entités savent eux-mêmes - et ils me l'ont dit lorsque j'étais ministre de la fonction publique - qu'ils se heurtent parfois à des lourdeurs, à des lenteurs, à des procédures qui les empêchent de remplir pleinement leur mission de service public, du fait de notre propre désorganisation, lourdeur et bureaucratisation.
C'est bien dans cet esprit que nous menons cette démarche. Et je le redis : votre connaissance du terrain est précieuse. Elle complète utilement les remontées que nous recevons de nos services. C'est ensemble, dans les prochaines semaines, que nous devons parvenir à formuler des propositions convergentes, parfois complémentaires, et je n'espère pas concurrentes.
Je veux le redire : vous avez un rôle précurseur depuis plusieurs années. Je considère que nous vivons un moment politique et budgétaire important, que nous devons saisir pour conduire un travail rigoureux, non caricatural, non arbitraire.
Et, dans tous les tableaux - les vôtres, les nôtres -, il apparaît qu'environ un tiers des structures mériterait d'être réorganisé. Cela ne signifie pas leur suppression, mais une capacité collective à mieux s'organiser.
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie, madame la ministre, de vos éclairages et de l'ensemble de vos interventions, qui confirment, au travers de vos différentes responsabilités ministérielles, votre engagement constant en faveur de la simplification, de l'efficacité, de la transparence - ce que l'on qualifie désormais d'efficience - de l'action territoriale.
Depuis le début de nos travaux, l'adage qui pourrait peut-être résumer notre démarche serait : les petits ruisseaux font les grandes rivières. Je crois qu'à aucun moment nous n'avons écarté, ni même occulté, une piste d'économie dès lors qu'elle trouvait une véritable signification sur le territoire.
Cela dit, et c'est sans doute mon profil scientifique qui m'y conduit, je souhaite revenir sur ce que l'on appelait à l'école les ordres de grandeur. Un million, c'est 106 ; un milliard, 109. Or, depuis le début de nos auditions, les fois où il a été question de milliards ont été rares - à ma connaissance, deux.
La première, ce fut lors de l'audition de M. Jean-Louis Borloo, qui nous a invités à engager une réflexion structurelle sur l'efficacité des politiques publiques. La seconde, avec les directeurs de l'Urssaf, de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à qui nous avons posé la question du coût de la fraude. À notre grande surprise, ils nous ont répondu avec des estimations précises, indiquant que la lutte contre la fraude permettrait, à elle seule, de dégager entre 12 milliards et 16 milliards d'euros d'économies sur l'ensemble des trois régimes.
Dans ce contexte, je souhaite revenir à l'annonce que vous avez formulée, madame la ministre, et sur laquelle vous avez déjà apporté plusieurs précisions. Pouvez-vous nous confirmer que l'objectif de 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies repose bien sur une véritable réforme des politiques publiques ? Disposez-vous, à ce jour, d'éléments concrets ou d'annonces à nous présenter à ce sujet ?
Enfin - et c'est, à mes yeux, un point particulièrement important -, je souhaite évoquer ce que j'appelle le syndrome du bon élève dans les territoires.
Dans l'outil de classement évoqué tout à l'heure, que l'on a parfois désigné, par commodité, sous le terme de Nutri-score, pouvez-vous nous confirmer que la qualité de gestion des agences, des organismes ou des collectivités territoriales sera prise en compte comme critère d'évaluation ?
Les élus locaux nous le disent, tout le monde ne gère pas de la même manière. De nombreux élus locaux ont anticipé, sur cinq ou dix ans, les évolutions budgétaires, avec sérieux et responsabilité. Puisque la pluriannualité a été évoquée à plusieurs reprises, il serait légitime que ces efforts soient reconnus et que ceux qui ont fait preuve de bonne gestion ne soient pas traités de la même manière que ceux qui ne l'ont pas fait.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis la ministre des comptes publics d'un pays dont les dépenses se comptent en milliards. Et, sur ce point, je vous rejoins pleinement : les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Concrètement, si l'on applique un effort de productivité de 2 % par an, dans un contexte où la croissance nominale - et donc celle des recettes - s'établit autour de 3 %, alors, sur le périmètre concerné, on parvient bien aux 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies annoncés, sans qu'il soit nécessaire de supprimer un tiers des crédits. Que cela soit bien clair.
Le seul guide de notre action, c'est l'efficacité des politiques publiques. Chaque euro dépensé doit l'être parce qu'il est utile, déclencheur, structurant - et non par simple inertie ou reconduction mécanique.
Vous me demandez si j'ai, à ce stade, des annonces concrètes à faire en matière de réforme des politiques publiques. J'y ai déjà fait allusion, mais je peux être plus explicite.
Prenons le champ de l'écologie. Selon les thématiques, et Mme le rapporteur connaît parfaitement ces sujets, les évolutions technologiques ont permis à certains modèles économiques d'être quasiment rentables. Dans ces cas-là, le recours à des outils tels que le prêt, la garantie ou l'avance remboursable s'avère plus pertinent que la subvention.
À l'inverse, sur des sujets comme l'adaptation au changement climatique - et je n'ai pas besoin de vous en faire un dessin -, il est évident que la rentabilité directe est quasi inexistante. On parle ici de coûts évités. Cela suppose donc une organisation différente de la politique publique, avec des dispositifs de soutien adaptés.
Cela signifie aussi que les outils budgétaires que nous consacrons aux agences et aux opérateurs doivent évoluer dans le temps. Une politique publique, au moment de son amorçage, ne nécessite pas les mêmes moyens que lorsqu'elle entre en phase de maturité.
Je pense notamment à l'Ademe, dont l'action a toujours été précieuse. Elle a su faire évoluer ses outils au fil des années. Lorsqu'on était aux prémices de la transition énergétique, la rénovation thermique ou les énergies renouvelables nécessitaient un soutien direct massif. Mais aujourd'hui, le prix des panneaux solaires ou du mégawatt installé n'a plus rien à voir avec celui d'il y a quinze ou vingt ans.
De même, en matière de maîtrise de l'énergie, de sobriété énergétique, d'accompagnement des industries, les technologies ont progressé, les ratios ont changé. Il y a trente ans, la dimension de communication et d'appropriation par le public nécessitait des dispositifs très différents de ceux dont nous avons besoin aujourd'hui.
Cela implique une évolution des compétences, une transformation des outils, et une adaptation constante des leviers budgétaires.
Les annonces que j'ai à vous faire aujourd'hui
tiennent dans ce constat : nous menons un travail sérieux. Et je
tiens à remercier les équipes du ministère de
l'économie, de la direction du budget, de la DGFiP, de la
direction
générale du Trésor - tous ceux qui
oeuvrent à la construction d'un budget exigeant, qui ne se limite pas
à reconduire le budget précédent augmenté
de x %. Notre objectif est précisément de sortir de
cette logique de rabot.
Vous évoquez, monsieur le sénateur, une question qui ne relève pas directement du périmètre de cette commission d'enquête. Si M. le président m'y autorise, je vous répondrai que nous souhaitons donner aux collectivités territoriales de la prévisibilité.
L'objectif de parvenir à 3 % de déficit public en 2029 doit être l'occasion de changer fondamentalement notre rapport au temps.
Un maire, une collectivité, agit sur un horizon de mandat - six ans. L'État, lui, raisonne à l'échelle de l'année budgétaire. Cette dissymétrie temporelle est à l'origine de nombreuses incompréhensions, frustrations, voire d'une grande animosité.
Il faut recréer un cadre prévisible. C'est tout le sens de la conférence financière des territoires que nous avons ouverte, sous l'autorité du Premier ministre, la semaine dernière, au ministère de l'aménagement du territoire, autour de François Rebsamen. Cette conférence a réuni l'ensemble des associations d'élus, des sénateurs - notamment vos collègues Bernard Delcros et Jean-François Husson - et a posé les bases de ce nouveau cadre.
Cette prévisibilité valorise la bonne gestion : les collectivités qui ont eu une bonne gestion en milieu de mandat seront en mesure de faire davantage que celles qui n'auraient pas anticipé. Nous souhaitons recréer un cadre de prévisibilité.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous nous confirmez, madame la ministre, que ce chiffre de 2 milliards à 3 milliards d'euros ne résulte pas, à ce stade, des premiers travaux de refondation de l'action publique, ni d'un arbitrage interministériel formel.
Il s'agit plutôt d'une estimation fondée sur le volume global des crédits concernés : cette économie est jugée possible parce qu'elle ne représenterait qu'un pourcentage limité de la masse budgétaire totale.
Mais, aujourd'hui, nous ne savons pas encore quelle part de cette économie relèvera de la suppression ou de la transformation de structures existantes, et quelle part proviendra d'une réduction des crédits d'intervention.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous le confirme : c'est bien ainsi que ce montant est atteignable.
Nous sommes en train de mener ce travail, mais toujours
dans une logique de service rendu aux Français. Je le dis, je le
redis : si l'on ne clarifie pas cette démarche, on se ment à
soi-même, et l'on ment aux Français
sur
la manière de faire des économies. Car il ne
s'agirait alors pas d'économies durables, mais d'ajustements
temporaires, qui, comme les champignons après la pluie, finiraient par
réapparaître.
Je refuse que l'on se donne l'illusion de maîtriser durablement la dépense publique si l'on n'aborde pas les causes structurelles.
Vous évoquez un tableau Excel : ce document existera bien, au moment de la présentation du projet de loi de finances. Bien sûr, nous travaillons avec des simulations, des données, des projections. Mais, sur le fond, ce sont aussi les ministères eux-mêmes, au travers de leurs secrétaires généraux, qui disposent d'une vision précise de l'allocation des ressources.
Et ils expriment parfois une certaine frustration, car ils constatent eux aussi que certaines structures ont été conçues pour répondre à des besoins d'hier, et qu'il faut aujourd'hui les adapter à ceux d'aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous attachez une grande importance du travail parlementaire : en juin 2023, une mission d'information sur la rationalisation de notre administration comme source d'économies budgétaires, dont les rapporteurs étaient Mme Véronique Louwagie et M. Robin Reda. Par leur recommandation n° 10, ils préconisaient de réduire d'un tiers la subvention des opérateurs employant moins de 250 agents.
La faisabilité de cette recommandation a-t-elle été étudiée par vos services ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est précisément pour cela que je vous ai parlé des opérateurs dont le budget est inférieur à 20 millions, voire à 10 millions d'euros.
Cela dit, nous ne souhaitons pas appliquer une réduction d'un tiers de manière uniforme à tous les opérateurs.
Certaines petites structures sont particulièrement performantes, bien organisées. Il n'y aurait aucun sens à leur retirer un tiers de leur budget. À l'inverse, lorsque l'on constate qu'une part significative du budget d'un opérateur est absorbée par son propre fonctionnement, cela soulève une vraie question : est-ce là une organisation optimale ?
Dans de tels cas, on peut envisager qu'un ministère ou un secrétariat général reprenne certaines fonctions mutualisables : les ressources humaines, les systèmes de paye, les systèmes d'information, la cybersécurité, la protection des données... Je ne vous fais pas un dessin : dès lors qu'une structure consacre une part trop importante de ses moyens à sa propre existence administrative, il devient légitime de s'interroger sur son modèle.
Je tiens toutefois à le rappeler très clairement : ce n'est pas parce qu'un opérateur est de petite taille qu'il disparaîtra dans le cadre du projet de loi de finances.
Mais les dirigeants de ces structures, eux-mêmes, savent que des besoins d'investissement existent, notamment sur le plan numérique ou en matière de cybersécurité. Dans certains cas, il peut avoir du sens de les adosser à une structure plus grande - non par souci de gigantisme, mais parce que cela permet de réaliser des gains de gestion qui peuvent ensuite bénéficier directement à la mission centrale de l'opérateur.
Les agents en poste dans ces structures savent parfaitement de quoi il s'agit. Ils expriment d'ailleurs, souvent, la même intuition : sans dénaturer leur mission, il serait possible de s'organiser autrement, plus efficacement.
Par définition, les plus petites structures font l'objet d'une attention particulière. Beaucoup d'entre elles s'inscrivent d'ailleurs dans des réseaux. C'est pour cette raison que nous avons également examiné les enjeux liés à ces réseaux.
Lorsqu'on observe qu'une dizaine, parfois une douzaine d'organismes, disposant chacun d'une personnalité morale, d'une structure juridique autonome et d'un budget propre, exercent les mêmes missions sur des zones différentes du territoire, la question se pose : ne pourrait-on faire autrement ?
L'exemple des parcs marins est, de ce point de vue, particulièrement éclairant. On y trouve une organisation du service public qui demeure efficace, tout en étant fortement ancrée dans les territoires, ce qui est, je le redis, une condition essentielle.
Prenons le cas du parc marin des îles : il ne mobilise pas les mêmes acteurs au sein de son conseil de pilotage que celui qui intervient dans la zone des calanques, et c'est parfaitement normal. Mais la structure fonctionne, et elle le prouve. Elle constitue un exemple de gouvernance différenciée, territorialisée, mais cohérente dans son ensemble.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les parcs marins sont un objet récent dans l'histoire administrative française - ceci explique peut-être cela.
M. Christophe Chaillou. - Madame la ministre, à plusieurs reprises, vous avez insisté sur l'importance de s'adresser aux Français, de leur faire comprendre, d'expliquer, notamment dans le contexte d'une baisse du consentement à l'impôt et d'une perte de sens de l'action publique.
Je suis de ceux qui considèrent que ce lien avec nos concitoyens est, aujourd'hui, largement fragilisé par une forme de surenchère dans les annonces, souvent non suivies d'effets.
Vous avez d'ailleurs déclaré tout à
l'heure, ce qui m'a interpellé, qu'en vous exprimant sur CNews, vous
aviez annoncé la suppression ou la fusion d'un tiers des agences ou
opérateurs de l'État, dans l'objectif de dégager
3 milliards d'euros d'économies. Vous l'avez dit explicitement.
J'ai sous
les yeux vos propos rapportés dans la
presse : vous avez annoncé que « d'ici à la fin
de l'année un tiers des agences et des opérateurs de
l'État allaient être fusionnés ou
supprimés. »
Sur le fond, nous sommes nombreux à partager votre constat sur la nécessité de renforcer l'efficacité des politiques publiques, et sur l'exigence de justification de chaque euro dépensé dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. Mais je crois aussi qu'annoncer de tels objectifs de manière aussi catégorique, avant même d'avoir exploré et présenté les pistes concrètes, peut desservir votre message. Cela relève du slogan, et c'est précisément ce type de démarche qui contribue à fragiliser le lien avec les citoyens. Car, en définitive, lorsqu'on dressera le bilan, on constatera probablement que ces objectifs sont, dans les faits, extrêmement difficiles à atteindre.
Pourquoi ne pas poser, en préalable, les grandes lignes de réflexion, dont certaines, d'ailleurs, ont été évoquées au fil de votre intervention, plutôt que d'annoncer d'emblée des chiffres et des intentions aussi marquées ?
J'ai une autre question sur la place des collectivités territoriales dans ce processus.
Dans votre propos liminaire, vous n'avez à aucun moment mentionné l'hypothèse d'un transfert ou d'une reprise de missions d'agences par des collectivités territoriales. Par la suite, vous y êtes brièvement revenue, en évoquant, d'une part, la fusion possible entre un opérateur et une collectivité, et d'autre part, l'intégration d'un opérateur au sein d'une collectivité.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces pistes ? Car certaines collectivités se sont déjà positionnées en indiquant qu'elles étaient prêtes à reprendre des compétences. De plus, certaines régions ont, au fil du temps, créé leurs propres agences, ce qui pose la question des doublons.
Ce sujet intéresse donc à la fois les collectivités candidates à de nouveaux transferts, mais aussi toutes celles qui bénéficient actuellement du soutien de ces agences et qui s'interrogent sur ce qu'il adviendra si ces structures venaient à disparaître ou à être profondément modifiées.
Quelle place entendez-vous donner aux collectivités territoriales dans ce processus de rationalisation ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne suis pas ici pour faire de la parlotte. J'ai rejoint ce gouvernement dans un moment difficile - tout le monde prédisait que nous serions en fonction pour quinze jours. Mon objectif, dans ces conditions, est non pas de multiplier les prises de parole dans les médias, mais d'être utile.
Ce qui nuit à notre démocratie, c'est l'entretien, par les responsables politiques, du sentiment ou de la réalité de l'impuissance de l'action publique.
Lorsque je dis que, d'ici à la fin de l'année, un tiers des structures identifiées comme illisibles par nos concitoyens - ce que certains appellent un maquis administratif - fera l'objet d'une clarification, d'une suppression, d'un rapprochement ou d'une fusion, je parle d'une réalité concrète. Il peut s'agir de missions redéfinies, de structures consolidées, de réseaux réorganisés. C'est un travail minutieux, mais nécessaire.
J'essaie précisément de faire le contraire du slogan : je ne suis pas dans la production de rapports conceptuels ou de grandes constructions théoriques. Je ne suis pas dans le commentaire, je suis dans l'action : chaque jour, dans mon bureau, je cherche à répondre à une question concrète : comment faire en sorte que l'organisation publique fonctionne mieux pour les Français ?
Pourquoi ai-je annoncé ce chiffre d'un tiers ? Si l'on se contente de dire : « j'y travaille », on suscite immédiatement le soupçon de l'inaction. Si l'on promet de tout supprimer à la tronçonneuse, on tombe dans l'absurde. Le juste équilibre, c'est de dire : « Voilà ce que nous avons déjà identifié comme faisable, de manière réaliste et sérieuse. » Et je crois que vous partagez ce constat : il est possible de réaliser 2 milliards à 3 milliards d'euros d'économies par le biais de réorganisations ciblées. Ces réorganisations ne sont pas synonymes de coupes brutales. Je ne suis pas en train d'expliquer que France Travail ou les universités seraient dans mon périmètre, et encore moins que leur suppression permettrait de dégager des marges. Ce n'est pas sérieux, et cela n'aurait aucun sens.
Je crois, très précisément, qu'il nous faut incarner non pas une forme de bougisme, mais une capacité à travailler et à décider en lien avec vous, parlementaires, dans la recherche d'un consensus utile à notre pays.
Le Premier ministre formulera des propositions. Vous en ferez également, j'en suis certaine, et c'est vous qui, dotés de la légitimité parlementaire, serez souverains.
Peut-être ce tiers évoluera-t-il, car au fur et à mesure que nous avançons dans le travail de fond engagé depuis plusieurs mois, nous constatons que le potentiel de rationalisation pourrait être supérieur. Mais l'objectif, au travers de cette annonce, est aussi de donner aux Français un signal clair : nous sommes capables de regarder en face une organisation devenue illisible - un véritable maquis - et de remettre de l'ordre, avec méthode et discernement.
Ce que je vous dis n'est pas un slogan - depuis que j'ai l'honneur de servir notre pays, j'ai toujours veillé, dans ma pratique politique, à ne jamais me dédire. Ce n'est donc pas un effet d'annonce ; c'est l'affirmation d'un cap, et la conviction que nous sommes capables d'agir concrètement.
S'agissant des collectivités territoriales, j'ai bien évoqué leur rôle dès le début de mon intervention. J'ai affirmé qu'il ne s'agissait pas de reparisianiser l'action publique. Repenser la tutelle, c'est aussi envisager des rapprochements entre agences et collectivités. Appelons-les fusion, intégration, transfert - peu importe : chaque situation exige des modalités spécifiques, adaptées aux réalités locales.
Et toutes les collectivités ne souhaitent pas la même chose. Certaines régions, certains départements se déclarent volontaires pour reprendre des compétences. D'autres sont plus prudents. Les collectivités territoriales peuvent faire des propositions. Lors d'une visite à Vichy, j'ai pu observer que le maire et la métropole avaient réuni dans un même lieu tous les dispositifs d'aide à la rénovation du logement : l'Agence nationale de l'habitat (Anah), MaPrimeRénov' et les aides locales à la pierre. C'est une forme de fusion par rapprochement géographique. Juridiquement, chacun conservait son autonomie, mais tous travaillaient dans un même lieu. Peut-on aller plus loin ? Peut-on inciter à ce type de regroupement ? Ce sont des pistes ouvertes.
Je pense aussi à la région Grand Est, qui, avec l'Ademe, a mis en place la structure commune Climaxion. Faut-il se contenter de conventions ? Faut-il envisager, dans certains cas, la fusion pure et simple des structures ? Ce sont des questions légitimes.
Je suis également élue régionale d'Île-de-France. J'ai vu des agences régionales être supprimées, d'autres être créées. Et parfois, je m'interroge franchement : n'a-t-on pas, délibérément, doublonné des dispositifs existants ? C'est une autre forme de dysfonctionnement.
Sur tous ces sujets, nous avons besoin de vous, parlementaires. Il serait absurde de construire ce chantier de manière verticale. La différenciation territoriale peut être une réponse pertinente, à condition qu'elle ne se traduise pas par une complexité coûteuse. Il faut que cela reste lisible et utile.
M. Sébastien Fagnen. - Vous avez évoqué de possibles fusions, notamment entre l'ANCT et le Cerema, hypothèse qui a été évoquée au cours de nos auditions.
Mais, comme Mme le rapporteur l'a bien démontré à partir d'exemples concrets, ces fusions n'engendrent pas systématiquement des économies. Elles peuvent même générer des surcoûts significatifs, comme l'illustre la fusion entre l'IRSN et l'ASN, qui s'est traduite par un surcoût de 65 millions d'euros à périmètre constant - bien éloigné de l'effet de levier attendu, et sans lien avec les investissements prévus dans la relance de la filière nucléaire.
Dans le cas, encore hypothétique à ce jour, d'une fusion entre l'ANCT et le Cerema, il y a tout lieu de penser que les coûts inhérents à la réorganisation dépasseront largement les économies potentielles que pourrait générer le fonctionnement de la nouvelle entité une fois stabilisée.
Ma question est donc la suivante : dans le cadre de ces pistes d'économies, quel serait l'impact pour les collectivités territoriales ? Car, bien souvent, les agences cofinancent des postes, et toute modification de leur architecture affecte directement les équilibres locaux.
Ma seconde question porte sur les relations entre les agences, les opérateurs de l'État et les cabinets de conseil privés. À la suite des travaux engagés par nos collègues Arnaud Bazin et Éliane Assassi, une agence interne de conseil a été créée au sein de l'État, et vous connaissez bien ce sujet.
Le Sénat a joué un rôle déterminant de lanceur d'alerte. Mais aujourd'hui, quels sont les outils de contrôle pour encadrer le recours aux cabinets privés ?
Je citerai un exemple très récent : l'Agence des participations de l'État (APE) a lancé un appel d'offres concernant la relance de la filière nucléaire et le financement du nouveau nucléaire français, pour une mission de 36 mois, dont le coût s'annonce particulièrement élevé.
Or, sur ce sujet stratégique, l'APE, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), la direction générale du Trésor, la direction générale des entreprises ou la direction du budget ont déjà travaillé en profondeur, produit des scénarios, et disposent de compétences solides.
Et au-delà de la question budgétaire, il y a une interrogation essentielle : celle de la souveraineté. Est-il normal de recourir à un cabinet de conseil pour une mission aussi sensible ?
M. Pierre Barros, président. - Sur ce sujet, il y a des chiffres. Ceux que vous aviez donnés le 19 janvier 2022, lors de votre audition par la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, étaient plus qu'approximatifs. Pourriez-vous être plus précise à présent ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - J'avais alors répondu sous serment, et personne, à ma connaissance, n'a considéré que j'avais caché quoi que ce soit au Sénat.
Nous n'avons pas créé un opérateur ou un cabinet de conseil autonome. Cette entité n'est qu'un volet de l'activité de la direction interministérielle de la transformation publique ; elle a le nom d'agence, mais n'a pas, heureusement, de personnalité morale ni de budget séparé. Nous n'avons pas créé d'agence pour supprimer des coûts, ce qui aurait été très baroque.
L'APE est un service à compétence nationale, qui répond totalement à la circulaire ministérielle, j'espère vous rassurer sur ce point. Quant au processus à suivre pour tous les appels d'offres et à la nécessité d'avoir recours à un acteur extérieur à l'État, une circulaire a été révisée dans les dernières semaines, qui porte notamment sur les enjeux de recours à des prestataires pour l'informatique et les logiciels. Je n'ai pas connaissance de l'appel d'offres évoqué par Mme le rapporteur, je ne suis pas ligne à ligne ce qui se fait, mais je suis persuadé que l'administration se conforme en la matière à la circulaire et aux recommandations. Vous avez un pouvoir de contrôle du bon respect des normes dans les procédures suivies, de la justification de ce recours à un prestataire extérieur par le manque de compétences spécifiques nécessaires en interne. Je ne saurais vous en dire plus.
En revanche, il est très pertinent de se pencher - c'est d'ailleurs l'objet, me semble-t-il, de travaux de votre rapporteur - sur les opérateurs qui, pour des raisons statutaires ou administratives, se trouvent en dehors du périmètre juridique de l'application du principe de moindre recours à l'externalisation et peuvent avoir des politiques internes différentes de ce que nous appliquons dans les ministères, non seulement pour le recours aux cabinets de conseil, mais aussi pour les systèmes d'information et les achats de solutions logicielles.
Je viens de signer, avec mes collègues Clara Chappaz et Laurent Marcangeli, une nouvelle instruction, notamment à destination des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels (CBCM) afin qu'aucune solution logicielle ne soit plus retenue si elle ne respecte pas la norme SecNumCloud. Le contexte géopolitique nous impose cette exigence si l'on veut garantir une protection effective de l'ensemble de nos données publiques. Une dérogation à cette règle ne pourra être envisagée qu'en cas de besoin impérieux, signalé formellement au CBCM et validé par une double expertise, dont celle de la direction interministérielle du numérique (Dinum).
Ce sujet constitue un angle pertinent pour identifier les freins juridiques auxquels nous nous heurtons encore aujourd'hui, notamment en matière d'équipement et d'outillage numérique. Il s'agit là d'une des difficultés que nous rencontrons au sein des ministères, tandis que nos opérateurs disposent de marges de manoeuvre opérationnelles plus larges, alors même qu'ils relèvent de notre tutelle. Ce paradoxe mérite d'être examiné. J'ai bien des idées, mais votre appui en la matière pourrait être requis afin de faire évoluer nos pratiques internes : tout n'est pas de niveau réglementaire, des modifications législatives pourraient être requises.
Il faut distinguer entre plusieurs approches : le contrôle budgétaire dans l'exécution ; l'organisation et l'armature de l'administration publique ; enfin, le rôle essentiel du Parlement dans cette architecture.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je veux à présent vous interroger sur la gouvernance.
Ma première question découle d'un ressenti
largement partagé par les personnes que nous avons auditionnées.
Beaucoup constatent que Bercy occupe une place croissante dans la gouvernance
et dans le contrôle des opérateurs publics. Cela traduit-il une
volonté affirmée de mieux les contrôler ? Cette
prédominance de votre ministère ne va-t-elle pas à
l'encontre
de la nature même des agences, censées
fonctionner dans un cadre de relative autonomie ? Partagez-vous ce
constat, vous qui êtes à la tête du ministère
régulièrement incriminé en la matière ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le terme « incriminé » me semble un peu fort...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La question revient tout de même très souvent ! Presque systématiquement, lorsque nous auditionnons un responsable d'entité publique, il finit par nous dire : à la fin, c'est toujours le Budget qui décide. On ne gère alors plus véritablement une politique publique ; on gère la décision de votre ministère.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Que l'argent des Français constitue le juge de paix ultime, cela ne me choque pas. Il faut que toute politique publique soit financée. Je le répète ici : il n'y a pas d'argent public, il n'y a que l'argent des Français.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Peut-être, mais il faut alors aussi poser la question de la cohérence globale de la politique nationale. On ne peut pas continuer d'afficher des politiques publiques si les moyens de les mener manquent. Si tel est le cas, il faut avoir le courage de dire que l'on renonce à cette politique, qu'on la fait sortir du giron de l'État.
M. Pierre Barros, président. - Et cela impose un débat public, parlementaire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est exactement pourquoi vos travaux sont nécessaires ; il faut un plus grand contrôle parlementaire et budgétaire de la manière dont tout cela fonctionne, afin que vous puissiez faire des choix souverains.
Je souhaite revenir sur la nature des différents types de subventions, car cela explique en partie pourquoi l'enjeu du contrôle budgétaire a pris une place croissante au cours des dernières années. Les 64 milliards d'euros que j'évoquais précédemment se répartissent en réalité en trois grandes catégories.
D'abord, 23 milliards d'euros correspondent à des subventions pour charges de service public. Elles sont censées financer essentiellement des dépenses de fonctionnement. Néanmoins, comme vous le savez très bien, ces sommes sont parfois utilisées comme des crédits de paiement pour couvrir des engagements antérieurs, dont la nature n'est pas toujours connue de l'administration centrale. Certains opérateurs demandent que leur soient alloués en loi de finances des crédits correspondant à des engagements pris sur la base d'une programmation extrêmement difficile à suivre, tant pour le ministère que pour les parlementaires. Un exemple en est le fonds Chaleur de l'Ademe. Un tel fonctionnement a pour conséquence une rigidification considérable et complique fortement le pilotage budgétaire.
Ensuite, 20 milliards d'euros correspondent à des dépenses d'intervention déléguées aux opérateurs. Ce volet soulève plusieurs difficultés, notamment en matière de gestion des reports ou de la réserve. Cette méthode aboutit parfois à des niveaux de trésorerie très élevés, dont la lecture est complexe, y compris pour la direction du budget. Il n'est pas toujours aisé de distinguer la part de cette trésorerie qui est effectivement destinée à honorer des engagements concrets de celle qui constitue une réserve de précaution. Or, ces deux finalités n'ont pas la même portée ni la même légitimité.
Enfin, 21 milliards d'euros sont issus de taxes affectées. Ces ressources, par définition, ne sont pas justifiées au premier euro ; elles ne peuvent pas toujours être intégrées à une gestion efficiente des périmètres ministériels. Les bases de certaines de ces taxes affectées sont très dynamiques, un plafond n'est pas toujours fixé ; on se trouve donc parfois face à des opérateurs ainsi dotés de moyens financiers importants, qu'ils considèrent comme les leurs, mais il s'agit, là aussi, de l'argent des Français ! Il est donc pertinent de s'interroger sur une éventuelle amélioration de la flexibilité de gestion de ces sommes.
Que la direction du budget, dans ce maquis organisationnel et budgétaire, se sente tenue d'exercer une vigilance constante dans l'intérêt des Français me semble parfaitement légitime. Par ailleurs, les commissaires du Gouvernement sont très souvent actifs, à juste titre, au sein des opérateurs concernés.
Il est essentiel, j'y insiste, que l'on fasse un bon usage de l'argent des Français. Vous posez en l'occurrence une question qui rejoint pleinement notre propre réflexion : si l'on veut un pilotage intelligent, l'outil budgétaire ne saurait suffire. Il faut le faire reposer sur les projets, sur la substance même des politiques publiques, sur les missions. C'est tout l'objet du travail que nous menons. À défaut d'un tel pilotage, on se retrouve enfermé dans un pilotage strictement budgétaire, contraint par une logique de plafonds, qui engendre de la frustration pour toutes les parties prenantes, y compris les ministères. C'est un sous-optimum caractérisé. D'où l'importance des efforts que nous engageons.
Mon souhait, c'est que, dans un cadre futur, tout cela soit mieux pilotable pour les ministères, plus lisible pour le Parlement et plus transparent pour les Français. Nous pouvons, me semble-t-il, partager cet objectif.
Un autre élément mérite d'être souligné : nous avons, en France, la passion de l'égalité, ce qui, parfois, se traduit par une forme d'égalitarisme. Il arrive ainsi que certains ministères eux-mêmes réclament un traitement homogène, arguant qu'ils ne sauraient être traités différemment des autres. Cela conduit parfois à adopter des règles trop uniformes, qui s'avèrent elles aussi sous-optimales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Dans votre réponse, vous êtes revenue sur une autre critique, là encore formulée de manière quasi unanime.
Ainsi, l'existence d'un opérateur - l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) - nous a été justifiée hier après-midi par le fait qu'il dispose de ressources propres et parallèlement d'effectifs très réduits : quatre agents, dont nous avons découvert qu'ils sont en réalité rémunérés sur le budget du ministère concerné. Ses ressources lui permettraient d'engager des projets dans la durée. D'autres structures auditionnées ont tenu un discours similaire, justifiant leur qualité d'opérateur par la capacité d'exprimer une vision pluriannuelle.
Comment, dans ce contexte, concilier votre exigence, parfaitement légitime, de pilotage global de la dépense publique avec le besoin, fréquemment exprimé, que la parole de l'État vaille engagement dans la durée, notamment s'agissant des politiques publiques à forte composante d'investissement, comme les projets d'infrastructure ?
La directrice du budget nous a expliqué que, selon elle, la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) permet de gérer la pluriannualité, à condition d'en faire bon usage. Pourtant, à les entendre, aucun des directeurs d'établissements que nous avons auditionnés ne semble en mesure de maîtriser la complexité de la Lolf : tous affirment manquer de véritables outils de pluriannualité, y compris pour ce qui concerne les moyens humains mis à leur disposition. L'un d'entre eux nous a même expliqué que ce qui l'a le plus aidé, à son entrée en fonctions, c'est d'avoir dû signer un contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui lui imposait de réduire ses effectifs de 100 postes par an. Il avait une feuille de route claire, il ne découvrait pas un nouvel objectif à la présentation de chaque PLF.
Dès lors, ne jugez-vous pas nécessaire de repenser en profondeur la manière dont l'État négocie et délègue ses moyens, afin de sortir d'une gestion strictement annuelle ? Certes, l'ouverture des crédits demeure, conformément à la Lolf, soumise à l'annualité du PLF. Mais ne pourrait-on envisager que cette procédure s'inscrive dans le cadre d'un COM sanctuarisé, sur lequel l'État ne pourrait pas revenir ? Nous avons ressenti cette tension entre annualité et pluriannualité dans toutes nos auditions.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous touchez là au coeur d'une interrogation qui constitue une véritable source de réflexion pour moi. Je veux vous exposer les arbitrages complexes que nous devons rendre. La problématique est exactement la même que pour les collectivités qui fonctionnent sur des cycles de six ans, alors même que le principe d'annualité impose que le Parlement revoie le budget chaque année.
Il existe un ministère qui maîtrise particulièrement bien la gestion pluriannuelle dans le cadre de la Lolf : c'est le ministère des armées. La loi de programmation militaire comporte des autorisations d'engagement qui créent, de facto, de la pluriannualité. On peut considérer ce type de loi comme une forme de COM, qui fonctionne : nous avons su, dans ce cadre, réaliser bien des choses pour notre défense, sans que le ministère ait eu besoin de créer des agences. La direction générale de l'armement (DGA) est dans le giron de l'État, alors qu'elle gère des programmes pluriannuels.
C'est aussi le cas du secrétariat général pour l'investissement (SGPI), service administratif chargé du plan France 2030, tâche éminemment pluriannuelle. Il délègue certes des crédits aux opérateurs, mais il les gère par des autorisations d'engagement.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Certes, mais rappelez-vous l'annonce faite la semaine dernière en vue du sommet Choose France : elle a directement remis en cause les crédits gérés par le SGPI, puisque les 100 millions d'euros promis par le Président de la République seront prélevés sur une enveloppe dont l'objet était tout autre. C'est une réaffectation, effectuée sans aucun vote du Parlement, de crédits censés être sanctuarisés !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La question de l'horizon temporel est l'une de celles qui se posent. La Lolf nous offre, pour gérer la pluriannualité, l'outil des autorisations de programme, dont bien des exemples montrent qu'il fonctionne.
Le cas de l'Afit France est intéressant. Cet opérateur bénéficie de taxes affectées, par le biais d'un compte d'affectation spéciale (CAS). Au prétexte que cela coûte un peu moins cher à l'État, on crée des structures juridiques potentiellement très lourdes, sans grande lisibilité, ce qui rend le contrôle parlementaire plus difficile.
Les COM sont de très bons outils, qui peuvent contribuer à une meilleure performance budgétaire. Mais ils présentent aussi un inconvénient majeur : la rigidification de la dépense publique.
Je ne reviendrai pas sur les débats de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le dérapage budgétaire des exercices 2023 et 2024. Mais on constate que, alors que l'on souhaitait ralentir la dépense publique, la structure de celle-ci le rend extrêmement difficile. Les crédits aux collectivités sont garantis, de même que ceux de la sécurité sociale. L'État se retrouve dans la situation d'assureur de dernier ressort, avec un périmètre pilotable toujours plus restreint par rapport aux dépenses préengagées. Dans le monde volatile où nous sommes depuis cinq ans, entre le covid, l'envolée des prix de l'énergie et les tensions commerciales, la pluriannualité garde certes des avantages, notamment pour les structures qui savent bien la gérer, mais je vois aussi la rigidification qu'entraîne ce modèle et le recul du contrôle parlementaire annuel : vous votez des dispositions de moins en moins mordantes.
Certains disent que nous allons vers un « tout petit État » : c'est ce qu'il reste une fois que l'on a retiré les lois de programmation, les opérateurs et les engagements pluriannuels. Le périmètre effectivement pilotable d'une année sur l'autre devient très réduit. C'est à mes yeux un problème crucial, car l'investissement public en dépend.
La pluriannualité, nous savons la gérer dans le cadre de la Lolf comme en dehors de ce cadre. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons lancé une conférence de financement des transports : dans certains cas, il peut y avoir un intérêt à créer des structures ad hoc. Mais c'est moins pertinent pour des subventions. C'est bien pourquoi nous parlons aujourd'hui de rebudgétisation. Je doute que la bonne méthode soit de créer des structures déléguées, qui s'engagent sans que l'on sache vraiment à quoi, et auxquelles on est ensuite contraint de verser les crédits de paiement parce que la promesse a été faite. C'est pour moi une interrogation : je n'ai pas de solution évidente à apporter.
On justifie la création de telles structures, adossées à un CAS, par la souplesse qu'elles permettraient, notamment pour les reports de crédits, mais je ne sais pas si c'est un gain réel. Je n'ai pas de certitude sur ce sujet, dont je reconnais l'importance ; il m'occupe donc beaucoup. C'est ce qui m'a conduit, avec le Gouvernement, à faire des propositions visant à améliorer la prévisibilité financière pour les collectivités. Avec elles, on devrait pouvoir progresser, parce qu'elles s'administrent librement et disposent déjà de comptes pluriannuels.
Pour l'État, sincèrement, je suis très preneuse de vos réflexions et de vos propositions. Une évolution de la Lolf est peut-être à envisager. Ce ne sera pas pour les trois prochains mois, mais cela peut être un sujet très intéressant de débat.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur l'hypothèse d'une mutualisation de l'ensemble des fonctions support des agences ? Dans cette perspective, nous n'aurions plus qu'un gestionnaire des ressources humaines, un gestionnaire des achats et un gestionnaire de l'immobilier, au lieu d'avoir un métier de ce type dans chacune des structures.
Une autre solution consisterait à rattacher aux ministères de tutelle l'ensemble de ces fonctions - cela permettrait de mieux identifier les fonctionnaires.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Votre question rejoint l'idée des réseaux : quand il est question d'exercer des missions similaires, la mutualisation des fonctions support fait sens.
J'exerce la tutelle sur la direction des achats de l'État (DAE) et nous tâchons d'encourager très fortement les achats mutualisés - nous ne parvenons pas à les imposer, ce qui est un peu étrange en termes de structuration administrative -, car certains opérateurs achètent à des prix élevés.
Je souhaite également que l'immobilier s'inscrive dans une réflexion collective, de manière à limiter les surcoûts. En matière de ressources humaines, j'ai néanmoins tendance à me méfier des grandes cathédrales et distinguerai la partie « paye » de la fonction de suivi des carrières.
Dans le temps qui m'est imparti, et dans le contexte de l'adoption tardive du budget, le Premier ministre et moi-même nous sommes orientés vers une revue des politiques publiques, c'est-à-dire un travail à caractère opérationnel.
Nous tâcherons d'avancer sur l'idée de réseaux et de mutualisation, en particulier en ce qui concerne la protection cyber : des représentants d'AAI m'ont contactée en soulignant l'absurdité de développer des schémas de cybersécurité séparés. Ce sujet illustre bien l'intérêt d'une mutualisation non pas forcée, mais encouragée.
De manière générale, je me méfie de l'argument simpliste selon lequel nous pourrions réaliser des économies en fusionnant toutes les structures : vous êtes bien placés pour savoir qu'il ne s'agit pas toujours d'une solution miracle.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le versement des aides est actuellement plutôt éclaté, l'ASP n'en prenant en charge qu'une partie. Avez-vous envisagé une recentralisation de cette fonction ? Dans une telle hypothèse, serait-elle exercée par l'ASP ou au sein de la DGFiP ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il s'agit d'un sujet sur lequel je travaille activement, car la fraude aux aides publiques représente un enjeu considérable. Les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques ont d'ailleurs été votées hier à l'Assemblée nationale à une quasi-unanimité.
Outre de nombreuses critiques portant sur certains délais, la fonction paiement-versement ne répond pas toujours aux attentes de nombreux secteurs. Un rapport de l'IGF de 2022 a été consacré à cet enjeu des versements et des paiements en 2022.
J'échange à ce sujet avec la directrice de la DGFiP, car si nous voulons éviter de suspendre les aides en cas de suspicion de fraude, il est préférable d'avoir un système de contrôle efficace. Dès lors qu'elle sera promulguée, la proposition de loi nous donnera de nombreux outils, mais il faudra que nous traquions mieux ces fraudes.
Certaines missions ont été centralisées : Tracfin, par exemple, est un service qui interagit largement avec nous. Il n'en reste pas moins que l'enjeu des paiements est crucial et qu'il faudra surmonter les inquiétudes qui émergent dès lors qu'il est question d'une reprise en main par Bercy.
Une nouvelle mission d'opérationnalisation du rapport que je mentionnais s'apprête donc à être lancée et nous devrons progresser dans la lutte contre la fraude. Les collectivités, qui utilisent déjà l'outil de facturation électronique de la DGFiP, pourraient d'ailleurs être très intéressées par un service centralisé de ce type, qui leur permettrait d'économiser des frais bancaires tout en renforçant la sécurité des paiements.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons évoqué une série d'évolutions structurantes dont le vecteur législatif est le PLF, qui obéit à un calendrier précis. Dans la mesure où les travaux de revue des politiques publiques ont été décalés, comment pouvez-vous assurer à la représentation nationale que toutes les dispositions figureront dans le texte initial et n'arriveront pas par amendement, sans étude d'impact ?
Nous parlons en effet de changements structurants dans la manière de conduire les politiques publiques ou porteurs de conséquences pour les agents publics. Dès lors qu'il est question d'une fusion de structures ou d'une refonte de la chaîne de paiement, par exemple, nous devrons recevoir un minimum d'informations. Dans la configuration actuelle, vous devriez donc connaître les articles du PLF initial au début du mois de juillet afin qu'ils puissent être envoyés au Conseil d'État et que les analyses d'impact soient réalisées.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le PLF ne peut pas porter l'ensemble des évolutions que vous citez. Je rappelle que la création d'une foncière de l'État avait été considérée comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel, alors qu'un gain budgétaire évident était en jeu.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette mesure avait été déposée par voie d'amendement et ne figurait pas dans les articles initiaux du PLF.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je souhaite que les parlementaires puissent voter en disposant d'informations étoffées et des avis requis. Il me semble que de nombreux sujets que nous avons évoqués devraient figurer dans un ou plusieurs textes ad hoc, qu'il s'agisse d'une proposition de loi d'initiative issue de vos travaux ou d'un projet de loi dans le cas où des fonctions régaliennes seraient concernées.
De manière générale, j'ai toujours dit que l'effort se déploierait sur plusieurs années, à rebours des discours selon lesquels il serait aisé de réduire immédiatement les dépenses. En effet, des enjeux de ressources humaines sont à prendre en considération et il faut prendre le temps d'aboutir à une vision partagée, par le biais du dialogue social.
L'objectif du Premier ministre consiste à être en mesure de présenter des arbitrages au début de l'été, afin que nous puissions travailler dans le cadre d'un calendrier que j'espère resserré. Pour ce qui concerne, une fois encore, le tiers d'opérateurs pour lesquels nous envisageons une fusion ou d'autres évolutions, de très nombreux rapports et études ont déjà été écrits : il relevait donc de ma responsabilité de ministre des comptes publics de dire qu'il est temps d'agir pour de bonnes raisons, c'est-à-dire en faveur de la bonne utilisation de l'argent des Français.
In fine, l'aiguillon budgétaire de la réduction du déficit nous oblige à agir et à ne pas nous contenter de fragiles coups de rabot, qui ne nous permettraient pas d'enrayer la progression de la dette publique.
Voilà la vision que souhaitais exposer, en toute sincérité. Je vous remercie pour votre travail et je pense que nous aurons l'occasion d'avancer de concert pour rendre toutes ces réflexions tangibles et opérationnelles, car le pire serait de parler beaucoup et de n'agir que très peu.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Merci, mais je note que le Président de la République a fêté ses huit ans de mandat et que des trajectoires très ambitieuses de redressement des comptes publics étaient évoquées lors de son arrivée. Pour autant, les mesures identifiées pour améliorer l'efficience et l'efficacité n'ont pas été mises en oeuvre.
Je vous crois volontiers lorsque vous évoquez le nombre impressionnant de rapports dont vous disposez, car nous savons que les inspections générales travaillent, mais pourquoi nous réveillons-nous uniquement maintenant ? Le montant de la dette, désormais supérieur à 3 300 milliards d'euros, a sans doute joué un rôle dans cette prise de conscience, mais la dette existait déjà avant le covid et une bonne gestion aurait pu consister à commencer à la rembourser.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sans être dans une posture défensive, je me permets de reprendre la chronique du quinquennat allant de 2017 à 2022 : Édouard Philippe a accompli un énorme travail de rationalisation, de fermeture des petites structures et de fusion des fameux comités Théodule, tandis que le programme Action Publique 2022 fait des propositions et on crée le Ftap.
Ministre de la transformation et de la fonction publiques en 2020, j'ai participé au déploiement très volontariste du Ftap, à un moment où de nombreuses voix suggéraient de ne pas se disperser en plein milieu d'une crise sanitaire. C'est pourtant à cette période que France Connect a été déployé, ainsi que la facturation électronique et la numérisation des autorisations d'urbanisme.
Jean Castex a, quant à lui, porté la grande ambition de redonner de la vigueur à l'administration territoriale départementale, d'où un certain nombre de circulaires qui ont notamment soutenu le corps préfectoral et apporté un suivi départemental des politiques publiques, afin de disposer de données plus fines.
Nous avons ensuite connu la guerre en Ukraine et la crise de l'énergie, qui ont renforcé la pression budgétaire. Les travaux administratifs préparatoires étant aujourd'hui largement mûrs, l'objectif de réaliser des gains d'efficacité de l'ordre de 2 % pour une croissance nominale d'environ 3 % est à la fois sain, proportionné, et atteignable, d'autant plus que les Français considèrent qu'il s'agit de notre devoir.
J'estime donc qu'il relève de ma responsabilité d'affirmer qu'il est temps d'agir sur ce tiers d'opérateurs qui a fait l'objet de tant de propositions, non pas en maniant la tronçonneuse, mais en faisant en sorte d'améliorer le fonctionnement de l'ensemble, tant pour les agents de ces organisations que pour les Français.
Dès lors qu'une entité est concernée par des changements de manière isolée, elle est considérée comme un bouc émissaire. Je suis, pour ma part, un peu gênée que des agences puissent se concevoir comme des monuments plutôt que comme des outils, et je souhaite que ces opérateurs endossent à nouveau ce rôle. Nous avons ainsi le droit d'en modifier la nature, les périmètres, le fonctionnement et les budgets, car ils appartiennent aux Français et sont placés sous le contrôle du Parlement.
M. Pierre Barros, président. - Depuis 2020, les maires, les services déconcentrés et les collectivités ont été confrontés à de sérieuses difficultés, ce qui a nous certes fournit une expérience intéressante des dysfonctionnements des opérateurs et des ministères sur différents sujets : il a parfois fallu improviser largement.
La commission d'enquête contribuera à l'atteinte des objectifs que vous avez annoncés au travers d'un important travail, puisque nous aurons conduit plus de soixante-dix auditions en l'espace de quelques mois, et que nous formulerons des préconisations.
Cependant, les décisions seront prises par les ministres et par le Président de la République. Nous serons donc très vigilants à ce que chacun prenne ses responsabilités et se souvienne de nos échanges. Même si nous devons avancer ensemble, une seule personne signera en bas de la page, et il s'agit de vous.
Merci d'avoir consacré du temps à notre commission d'enquête, madame la ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM.
Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières,
et Éric
Woerth, député
JEUDI 15 MAI 2025
M. Pierre Barros, président. - C'est à une audition d'un type particulier à laquelle nous procédons cet après-midi.
Nous recevons en effet deux personnalités qui ont en commun d'avoir remis l'an dernier au Gouvernement deux rapports importants : l'un sur la décentralisation, par M. Éric Woerth, l'autre sur le coût du millefeuille administratif par M. Boris Ravignon.
Ces deux rapports ne portent pas directement sur les agences et les opérateurs de l'État. C'est la raison pour laquelle nous ne vous avions pas invités dès les débuts de nos auditions. Plus nos travaux ont progressé, plus nous avons perçu des points de rencontre entre vos travaux et les nôtres. Monsieur Woerth, vos recommandations sur la clarification de la répartition des compétences, sur le besoin de prévisibilité des moyens budgétaires et sur la nécessité de « remettre les préfectures au centre des relations entre l'État et les collectivités territoriales » touchent à autant de sujets que les personnes que nous avons entendues en audition ont également abordés pour ce qui concerne les relations entre l'État central, les agences et les collectivités.
Monsieur Ravignon, vous notez « une confusion entre les responsabilités », « un enchevêtrement des compétences » et « l'importance des flux financiers entre l'État et les collectivités » : là encore, ces mots sont souvent revenus dans nos auditions pour décrire les agences. Travailler sur les missions des agences, des opérateurs et des organismes consultatifs de l'État nous a très vite amenés à réfléchir à la question de l'organisation administrative de la France. Dès lors, comment vos travaux pourraient-ils nous inspirer ? Vos recommandations, qui s'appliquent à l'État central, pourraient-elles se transposer à ses agences et opérateurs ?
Vous avez l'un et l'autre une carrière de responsable politique qui vous permettra de nous faire part de votre point de vue de manière éclairée sur l'objet de notre commission d'enquête, au-delà du cadre strict de ces rapports.
Monsieur Woerth, vous avez présidé entre 2017 et 2022 la commission des finances de l'Assemblée nationale, dont vous êtes toujours membre. Vous avez par exemple cosigné, avec Laurent Saint-Martin, la proposition de loi réformant la loi organique relative aux lois de finances, qui a élevé au niveau organique la règle de plafonnement des emplois des opérateurs. Bien avant cela, entre 2007 et 2010, vous avez été ministre du budget. Cette période nous intéresse particulièrement parce que c'est celle de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a notamment connu d'importants rapprochements entre agences. Quelles leçons en avez-vous tirées ? Cela vaut-il vraiment le coup de se lancer dans des fusions souvent complexes ? À quelles conditions, pour quel objectif et avec quel sens ?
Monsieur Ravignon, vous pourrez également nous faire part de votre vision des agences tirée de votre expérience accumulée aussi bien en cabinet ministériel que comme élu local à plusieurs niveaux : vous êtes en particulier maire de Charleville-Mézières depuis 2014 et vice-président d'Intercommunalités de France. Dans vos différents mandats, quelle a été votre perception des agences de l'État et de leur coordination avec les collectivités, d'une part, avec les préfets, d'autre part ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Woerth et M. Boris Ravignon prêtent serment.
M. Éric Woerth, député. - Permettez-moi d'évoquer à la fois l'objet de votre commission d'enquête et l'expérience que vous nous invitez à partager.
Le rôle des agences, des opérateurs, des autorités administratives indépendantes, des commissions, de tout ce que l'on regroupe souvent sous l'appellation de comitologie, constitue un ensemble hétérogène que l'on confond aisément. La presse s'y perd, certes, mais les responsables politiques également, et ce quelle que soit leur appartenance partisane.
Nous avions, de manière comptable, pris l'habitude de désigner ces structures par le sigle ODAC pour organismes divers d'administration centrale, mais il est clair qu'aujourd'hui la réalité va bien au-delà.
Le nombre d'agences et d'opérateurs ne correspond pas toujours aux classifications officielles, et les niveaux de financement ou les coûts de fonctionnement varient fortement d'un opérateur à l'autre. Les interventions et les charges réelles de fonctionnement sont souvent confondues. Or certaines structures qualifiées d'opérateurs ou de comités ne coûtent rien du tout, quand d'autres mobilisent des milliards d'euros.
Il s'agit donc de sujets de nature très différente. À cet égard, il serait particulièrement utile que votre rapport puisse proposer une répartition claire et cohérente des responsabilités entre ces entités.
Pourquoi avons-nous, malgré quelques fusions, multiplié le nombre d'opérateurs ? Il y avait, me semble-t-il, une raison légitime : il s'agissait de lutter contre l'excès de centralisation. Trop de centralisation dans l'administration centrale, trop de fonctionnaires régis par des statuts rigides, trop de budgets encadrés, de plafonds d'emploi figés... Dans bien des cas, le besoin d'oxygène s'est fait sentir.
Les gouvernements successifs ont donc créé ce que l'on pourrait appeler des administrations de mission, confiant une mission spécifique à un responsable, en structurant autour de lui une organisation dédiée. Et une fois la mission achevée, l'opérateur avait vocation à disparaître. Telle était la logique initiale.
Dans cette dynamique, nous nous sommes inspirés d'exemples étrangers, ceux des pays du nord comme la Suède ou la Finlande, voire le Canada.
Mais la créature a fini par échapper à ses concepteurs. Le personnel est devenu un peu opaque. Quant à l'immobilier, je préfère ne pas m'y attarder. Et les budgets eux-mêmes sont devenus difficilement lisibles. Les champs d'intervention se sont multipliés : environnement, école, enseignement supérieur... Lorsque nous avons rendu les universités autonomes, nous les avons, en quelque sorte, transformées en opérateurs de l'État. Il en va de même pour la santé, avec les agences régionales de santé (ARS), qui ressemblent davantage à des préfectures de santé qu'à de véritables agences indépendantes. Et que dire du secteur agricole, du social, et en particulier de la politique de l'emploi ?
Nous recherchions la flexibilité. C'était cela, le coeur de la démarche : introduire de la souplesse et de la responsabilité, identifier un acteur chargé d'une politique et l'en tenir comptable. C'était une réponse à la rigidité de l'appareil d'État.
Dire que ce système a totalement échoué serait absurde. Il serait tout aussi inexact de prétendre qu'il a produit les effets attendus. Il n'a pas apporté la flexibilité espérée. Nous sommes restés prisonniers d'un modèle d'État rigide.
Le paradoxe tient sans doute à ceci : plus nous avons confié de compétences à ces opérateurs, plus nous les avons rapprochés du fonctionnement administratif traditionnel. Plus nous fusionnerons les opérateurs, plus nous fusionnerons les missions, les responsabilités, les personnels, les budgets, les sièges, et plus nous recréerons, en réalité, des institutions publiques d'une ampleur considérable, soumises à des règles toujours plus nombreuses, marquées par une complexité croissante et une accessibilité réduite.
Le second élément qui explique pourquoi cette réforme n'a pas permis de transformer un État rigide en un État agile, comme on le disait à l'époque, tient à l'absence totale de pilotage politique.
Les gouvernements ont, certes, créé des structures, en avançant qu'elles seraient moins lourdes et moins complexes, mais dans les faits, aucun ministre n'a véritablement assumé la gestion de ce système. La tutelle n'a exercé ni l'autorité ni la responsabilité qui lui revenait. Cela s'explique notamment par l'éloignement de ces structures, mais surtout par le renouvellement de plus en plus rapide des ministres, dont le mandat ne dépasse parfois pas quelques mois. Comment, dans ces conditions, s'occuper sérieusement de l'organisation administrative des opérateurs ? L'attention est portée ailleurs, sur ce qui est plus visible, plus médiatisé.
Dans cet abandon progressif, l'État perd en puissance. On assiste à une fragmentation de sa présence, à un morcellement de ce que l'on appelait autrefois la « marque État ». Lors d'une inauguration, par exemple, le nombre d'intervenants qui se succèdent à la tribune au nom de l'État, parfois sans réelle légitimité, peut devenir inquiétant. Et lorsqu'un discours prétend que l'État est absent du domaine de la sécurité, qu'il ne fait rien, mais qu'il faut saluer le travail des gendarmes et de la police, on ne peut s'empêcher de relever l'incohérence, car enfin, ces forces incarnent bel et bien l'État !
La présence de l'État devient donc fragmentée. Ce n'est d'ailleurs pas le cas des collectivités territoriales, même si elles sont nombreuses. Sur le plan local, les agences interviennent sur des politiques majeures, souvent en chevauchement avec celles des collectivités ou de la préfecture. Le manque de coordination entre ces acteurs provoque un sentiment de désordre et d'inefficacité.
Cette « agenciarisation », comme on l'appelle, a été dénoncée à juste titre par de nombreux élus locaux. Le rapport que j'ai remis au Président de la République aborde longuement cette question : celle des appels à projets, des interventions sur les territoires sans même que le préfet en soit informé, alors qu'il représente l'État.
La solution paraît simple : il faut la mettre en oeuvre. Le préfet doit pouvoir consolider l'ensemble des interventions. Il doit être consulté avant toute initiative d'une agence sur son territoire. Il faut également l'associer avant tout versement de subvention. Certains crédits doivent être déconcentrés. Il faut faire vivre l'idée, inscrite dans les textes, que le préfet représente l'État et qu'il en est l'égal face aux agences.
Les témoignages recueillis auprès de nombreux préfets montrent cependant une tout autre réalité. C'est pourquoi il faut encadrer les appels à projets, déconcentrer les budgets, éviter le gaspillage et les situations illisibles, voire contradictoires.
En 2008 et 2009, vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous avons mis en place la RGPP. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, m'avait confié sa conduite politique. Dans ce cadre, un travail approfondi a été mené sur les opérateurs : une vingtaine ont été fusionnés et de nombreux autres ont été supprimés. Nous avons repris en main la gestion de l'immobilier - personne ne savait plus qui était propriétaire de quoi -, la rémunération au mérite des directeurs selon des objectifs, les contrats d'objectifs. Ce fut un exercice de tutelle exigeant, une véritable reprise en main.
Des résultats ont été obtenus, mais une action isolée, sans continuité, ne suffit pas. Depuis, aucun suivi sérieux n'a été engagé. Pourtant, 63 mesures ont été prises en conseil des ministres pour redéfinir les missions, les politiques et les structures des agences dans le cadre de la RGPP. L'objectif était d'éviter les doublons, de rendre plus compliquée la création de nouvelles structures, car si la démarche est trop simple, on démembre l'administration, qui se reconstitue ailleurs, tandis que la nouvelle entité grossit à son tour. La contradiction est totale.
Il faut optimiser les structures de gouvernance : les conseils d'administration, les comités et les conseils territoriaux rattachés à certains opérateurs.
Pour conclure, la réduction du nombre d'opérateurs n'est pas la solution miracle à la maîtrise de la dépense publique. Elle peut y contribuer, bien sûr, mais elle n'est pas suffisante. Trop souvent, certains responsables politiques s'empressent de réagir au dernier titre de presse, dénoncent la multiplication des agences et vont dans les médias proclamer qu'il faut toutes les supprimer.
Bien sûr, il est plus facile de dire que l'on va supprimer l'Agence de la transition écologique (Ademe), parce que personne ne sait très bien ce que c'est, que d'annoncer la suppression, par exemple, du dispositif MaPrimeRénov'. On dit souvent que derrière chaque niche fiscale, il y a un chien. De même, derrière chaque agence, il y a une politique publique, et parfois plusieurs.
Il faut donc interroger les politiques publiques elles-mêmes. Cela me paraît bien plus légitime, mais, dans ce cas, les candidats sont beaucoup moins nombreux. Il y a peu de volontaires pour dire : « supprimez cela », en assumant les conséquences sur les politiques que portait cette structure.
Prenons l'exemple de l'Agence nationale de l'habitat
(Anah) et de l'Ademe, avec la politique de la rénovation thermique des
logements. Ce n'est plus très clair aujourd'hui : qui
instruit ? Qui communique ? Qui agit ? Nous proposons donc que
certaines politiques publiques, aujourd'hui menées par des agences,
soient redéployées dans le cadre des grandes métropoles
qui ont été créées, ou, à défaut,
dans celui de certains départements. Mais je pense
surtout
aux métropoles, car c'est dans leur nature même : les grandes
agglomérations sont, au fond, les mieux placées pour gérer
ces questions environnementales.
Par ailleurs, je le répète, si l'on veut supprimer des agences, il faut assumer politiquement la suppression des politiques publiques qu'elles portent. C'est là que résident les véritables économies. Il y a, certes, quelques économies possibles dans les emplois, mais le vrai gisement d'économies est dans le choix d'abandonner certaines politiques.
J'insistais au début sur ce point : parmi ces structures, certaines sont très molles. Sur les centaines qui existent, certaines ne sont rien d'autre que des comités informels. Cela ne coûte rien, c'est très souple. Nous n'avons pas besoin d'une loi ni d'une commission d'enquête pour créer ou supprimer un groupe de travail.
En revanche, il existe aussi des autorités de régulation, qui sont trop souvent mélangées avec les autres agences. Je veux bien que soient supprimées l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), ou encore l'Autorité des marchés financiers (AMF), mais dans un monde qui a besoin de moins de sauvagerie, nous avons aussi besoin de régulation, tout particulièrement en ce qui concerne le numérique. En France, le taux de de dépenses publiques est de 57 % ! Cela signifie que la puissance publique est présente dans pratiquement tous les domaines de la vie nationale. Dès lors, les autorités de régulation sont nécessaires pour empêcher que le plus faible soit mangé, soit par le plus fort, soit par le moins honnête.
Il y a également des opérateurs que personne ne remet en cause. Je n'ai pas entendu beaucoup d'élus proposer la suppression des universités. Peut-être faut-il revisiter la question de leur autonomie : c'est un vrai débat, encore faut-il l'engager de façon honnête et transparente.
Que penser du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ? Que penser du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ? On peut estimer que ces structures sont trop importantes, ou qu'il faudrait organiser différemment les actions de recherche, mais elles fonctionnent. La France n'est pas au dernier rang mondial en matière de recherche. Peut-on rendre ces structures encore plus efficaces ? Sans doute, mais cela reste plus complexe que de simplement annoncer leur suppression.
Certaines structures, enfin, ressemblent furieusement à des administrations. Je pense notamment à l'agence régionale de santé, que j'ai déjà évoquée. Il y a aussi la Banque des territoires, qui est une émanation de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce n'est donc pas un opérateur à proprement parler : elle gère au nom de la CDC plusieurs dizaines de milliards d'euros de prêts accordés aux collectivités locales pour financer leurs projets.
Les objectifs assignés à ces opérateurs sont-ils suffisamment clairs ? Ont-ils été précisément définis par leur tutelle ? Les politiques menées sont-elles efficaces ? Sont-elles bien évaluées ? L'organisation est-elle rationnelle ?
Il y a eu plusieurs fusions ces dernières années. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) en est l'exemple. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), souvent critiquée, en est un autre. A-t-on besoin d'ingénierie ? C'est une vraie question, mais elle n'est pas soluble dans un simple « je supprime ceci ».
La rationalité de l'organisation doit donc s'apprécier au regard des objectifs. Il faut également interroger l'exercice de la tutelle politique. La responsabilité de l'État ne se limite pas aux administrations centrales : elle doit s'étendre à l'ensemble des démembrements de l'administration.
Enfin, il y a la question de la simplification de l'accès. Ces opérateurs ne recréent-ils pas la complexité que les administrations centrales avaient justement tenté de réduire ? Y a-t-il simplification ou complexification ?
Plutôt que d'ouvrir périodiquement une chasse aux opérateurs, la vraie question est la suivante : a-t-on besoin d'opérateurs pour mener certaines politiques publiques ? Ou vaut-il mieux les confier à l'administration centrale ou à une administration déconcentrée, mieux organisée ? Si l'on garde des opérateurs, il faut des objectifs très clairs et une tutelle effective.
Je pense que le Parlement a un rôle à jouer. Le Sénat, je le sais, évalue depuis longtemps les politiques publiques. L'Assemblée nationale, beaucoup moins. On a essayé, notamment avec la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), mais aussi à travers d'autres initiatives, de faire de l'évaluation une priorité. On a du mal à y parvenir, et je le regrette.
Si vous voulez faire des économies sur les opérateurs, un coup de rabot aveugle n'a aucun sens, compte tenu de la diversité des structures et des politiques engagées. Pour rendre l'action publique plus lisible, notamment en présence d'une multitude d'opérateurs, il faut clarifier l'organisation par la territorialisation. Et je pense que cette territorialisation, sous l'autorité du préfet pour un certain nombre d'opérateurs, constitue une bonne solution pour réintroduire de la rationalité.
M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières. - La question des opérateurs ou des agences n'était pas directement traitée dans le rapport que j'ai eu l'occasion de remettre. Pour autant, elle n'en est pas absente, et je souhaite revenir sur quelques points de contact que nous avions identifiés, car ils éclairent, me semble-t-il, les préoccupations qui ont été exprimées.
Tout d'abord, s'il avait été possible de disposer de plus de temps, il aurait certainement fallu s'intéresser davantage aux coûts de la coordination entre les collectivités territoriales et les opérateurs de l'État. Par manque de temps, cela n'a pu être fait, et nous nous sommes concentrés sur une évaluation du coût de la coordination politique publique par politique publique, rendue nécessaire par la complexité de la répartition des compétences.
Dans toutes les politiques étudiées, si nous avions comptabilisé le temps que les collectivités, à tous les niveaux, consacrent aux échanges avec l'ANCT, l'Ademe, l'Anah ou encore l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le coût de coordination affiché - estimé à 6 milliards d'euros pour les collectivités - aurait été significativement majoré.
Nous avons également identifié le rôle de complexification que jouent ces opérateurs dans les dispositifs de financements croisés, comme cela a été rappelé tout à l'heure. Cela vaut pour les aides à l'investissement, mais également pour les aides au fonctionnement. L'Ademe, par exemple, coûte beaucoup en moyens de fonctionnement pour l'échelon intercommunal, notamment sur les questions de gestion des déchets ou de mobilités. Elle contractualise directement avec les collectivités. La sollicitation de ces agences, l'instruction des dossiers, leur mobilisation, tout cela contribue à accroître les coûts de coordination et d'instruction, tant pour les collectivités que pour l'État.
Ces constats nous ont conduits à formuler plusieurs propositions, notamment celle de coupler la déconcentration à une remise sous l'autorité du préfet, en réunifiant la représentation de l'État et de ses opérateurs. Ce mouvement a d'ailleurs déjà commencé. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi 3DS) a ainsi désigné le préfet comme délégué territorial de l'Ademe. C'est le cas pour l'Anru, ainsi que pour l'ANCT, et ce depuis leur création.
Ainsi, dans certains cas, le préfet devient le délégué de l'opérateur, en particulier le préfet de département. Il existe cependant des cas qui appellent à la vigilance. Certaines agences structurées à un niveau régional, comme les ARS, ne permettent pas toujours une réelle implication des préfets de département. Certes, les préfets de région président les conseils d'administration des ARS, mais les préfets de département se sentent souvent totalement exclus de la politique sanitaire conduite par ces agences, étant peu ou pas informés des actions menées. Être informé ne signifie pas être codécideur.
Ces constats, issus à la fois de mon expérience d'élu local et de fonctionnaire, rejoignent pour l'essentiel ceux exprimés par Éric Woerth, tout en appelant peut-être à une certaine prudence. Des chiffres très impressionnants ont circulé aujourd'hui - 700, voire 1 200 opérateurs de l'État. Pour atteindre de tels niveaux, il arrive que soient additionnés sans distinction universités, écoles nationales, musées nationaux, en comptabilisant chaque entité séparément. Cela conduit nécessairement à des chiffres vertigineux.
En revenant à la définition du Conseil d'État, qui repose sur l'unicité et la spécialité des opérateurs par politique publique, les chiffres sont moins importants. Le problème demeure néanmoins sérieux. Ce nombre a fortement progressé ces dernières années.
Éric Woerth parlait de rigidité : elle est bien réelle, et à tous les niveaux. Et l'État ne s'est jamais vraiment donné les moyens de traiter cette question de manière structurelle.
L'un des moteurs de l'agencification a précisément été le constat d'une rigidité interne au fonctionnement des services de l'État, à laquelle on a cherché à échapper. Ces rigidités prennent plusieurs formes.
Il y a d'abord les problèmes de gouvernance. Il a parfois été jugé si compliqué d'associer d'autres parties prenantes significatives que l'État a préféré créer de nouvelles structures. Ainsi, l'organisation des ARS sous la forme d'établissements publics visait notamment à permettre la mise en place d'un conseil d'administration intégrant, entre autres membres, des représentants des caisses primaires d'assurance maladie. Faute de parvenir à construire, dans les services centraux ou déconcentrés de l'État, une relation efficace avec les organismes de sécurité sociale, il a été créé des opérateurs dotés de conseils d'administration pluripartites pour accueillir ces différentes sensibilités.
Ces questions de gouvernance ont également été au coeur de la réorganisation du Cerema, dont le conseil d'administration vise à représenter l'ensemble des parties prenantes. La création de telles structures - établissements publics ou autres personnes morales - a ainsi souvent été justifiée par la volonté d'adopter une gouvernance spécifique, mieux adaptée à la diversité des acteurs.
Ces choix visaient également à contourner des règles financières particulièrement rigides. Il s'agissait de trouver davantage de souplesse, notamment en matière de comptabilité analytique, et, disons-le franchement, d'échapper aux règles de la fonction publique.
Les agences permettent ainsi de mobiliser plus rapidement les moyens confiés par la Nation. Prenons l'exemple de l'Ademe et du fonds chaleur. Si les crédits de ce fonds avaient été gérés dans le cadre de la chaîne de dépenses publiques de l'État, les délais d'intervention et la complexité auraient été bien supérieurs. C'est la raison pour laquelle cette compétence a été confiée à un établissement public industriel et commercial (Épic), afin de bénéficier d'une souplesse accrue, tant financière que comptable, et de faciliter le recrutement de contractuels relevant du droit privé, et non plus du statut de la fonction publique.
En somme, faute de s'être réorganisé et d'avoir assoupli ses propres procédures, l'État a multiplié les créations d'organismes distincts pour contourner ses propres rigidités, qu'elles relèvent de la gouvernance ou de la gestion financière.
Parmi ces rigidités financières, il faut également mentionner les difficultés d'identification et de suivi comptable. Il n'est pas toujours aisé d'isoler, dans les comptes d'un ministère, les dépenses liées à une politique publique spécifique. La création d'un organisme autonome permet alors de disposer d'une comptabilité dédiée, même si l'on tend aujourd'hui à confondre dépenses de fonctionnement et dépenses d'intervention. Là encore, pour revenir à l'Ademe, il suffit de rappeler que cette dernière dispose de 4 milliards d'euros de budget, auxquels s'ajoutent les dépenses de fonctionnement ainsi que les crédits d'intervention qu'elle redistribue à d'autres acteurs.
Ce mouvement de création et de développement des agences s'explique donc essentiellement par de réels blocages internes aux services de l'État.
Il serait difficile de nier que certaines créations relevaient d'une volonté politique de visibilité. Très clairement, s'agissant des missions aujourd'hui portées par l'ANCT, il existait déjà, auparavant, des directions compétentes. Le choix de créer une agence a aussi visé à manifester une préoccupation pour l'ingénierie des territoires. Il ne nous appartient pas ici de juger si l'objectif a été atteint ou non. Mais cette motivation d'affichage n'a pas été le seul moteur : les rigidités internes aux services de l'État ont constitué un facteur déterminant.
Ce phénomène d'agencification ne touche pas uniquement l'État. Les collectivités territoriales en subissent également les conséquences. Ainsi, une commune qui souhaite attribuer des aides aux enfants ou aux parents d'élèves, ou prendre en charge la cantine scolaire, se trouve tenue, en vertu d'un article du code de l'éducation hérité des lois de la fin du XIXe siècle, de constituer une caisse des écoles, établissement public rattaché à la commune. Beaucoup de communes se sont néanmoins affranchies de cette règle, sans que l'État y trouve à redire.
Il en va de même pour les centres communaux d'action sociale (CCAS), à travers lesquels les collectivités sont tenues de gérer l'aide sociale facultative. Cette obligation les contraint à créer un établissement public distinct, à y affecter du personnel et à gérer les conséquences en matière de ressources humaines. Il y a deux employeurs pour un même financeur.
Plus récemment, j'ai été confronté à la réglementation aussi foisonnante que délirante qui encadre la gestion des services d'eau et d'assainissement. Même en cas de gestion en régie, la réglementation impose une identification comptable et financière, ainsi qu'une affectation précise des personnels. Il faut établir un tableau des effectifs spécifique, ce qui incite à la création d'un service d'exploitation doté d'une autonomie juridique, financière et comptable, autrement dit, d'une quasi-agence, même lorsque l'intention n'est pas de déléguer au privé. Et les chambres régionales des comptes, de leur côté, veillent rigoureusement au respect de ces normes. Je parle ici d'expérience.
Quelle approche adopter dans ce contexte, étant entendu que je souscris à ce qu'a dit Éric Woerth sur le foisonnement ?
Il faut se donner deux objectifs.
Le premier est le plus important : c'est la cohérence des politiques publiques. Je ne vois pas comment on échapperait à une révision périodique de nos politiques publiques, politique par politique, en se demandant comme chacune d'elles est organisée et quelle part l'État, les collectivités et les opérateurs peuvent y prendre.
Il faut examiner aussi la nature des missions, car il peut paraître surprenant de voir des missions de réglementation exercées par des établissements publics, comme les ARS, alors que les services de l'État pourraient y pourvoir. Je pense aussi aux missions d'expertise, même si, dans certains cas, la structuration en agences et le recours à des contractuels de droit privé peuvent permettre de s'attacher des compétences spécifiques. Reste qu'il est difficile d'expliquer que des missions de ce type doivent être détachées et exercées par une personne morale distincte de l'État ou des collectivités.
Cette restructuration de nos politiques publiques doit permettre de satisfaire le deuxième objectif de cette revue, qui est essentiel compte tenu du contexte, à savoir réaliser des économies budgétaires. Je rejoins ce qu'a dit Éric Woerth à cet égard : ce qui rapporte le plus, sur le plan budgétaire, c'est de supprimer une mission. C'est par là qu'il faut commencer et c'est cela qui, incontestablement, rapporte le plus - c'est aussi le plus difficile à faire. Il faut toujours se poser la question, pour chaque cas d'espèce, de savoir si l'on a besoin d'une intervention publique, c'est-à-dire d'une mission financée par l'argent public.
L'autre approche importante, qui, du point de vue de l'État, peut équivaloir à une forme de suppression, c'est la décentralisation : ne peut-on pas faire confiance aux collectivités pour assurer et assumer telle ou telle mission ?
Il est des sujets sur lesquels, petit à petit, les esprits évoluent. Si l'on va par exemple vers une décentralisation de la politique du logement et de l'habitat, il va de soi que l'instruction des dossiers doit évoluer en conséquence : il faut un vrai transfert. Des régions travaillent déjà en ce sens avec des agences de l'État. Ma région a ainsi lancé avec l'Ademe un programme intitulé Climaxion : la région Grand Est, considérant qu'elle bénéficie d'une proximité plus grande avec les demandeurs, instruit tous les petits dossiers, lesquels émargent ensuite sur les crédits de l'Ademe.
Dans son rapport, Éric Woerth propose d'aller plus loin dans la délégation des crédits des fonds aux collectivités, en procédant par convention, sur le modèle de ce qui existe déjà pour le fonds Chaleur ou en matière de rénovation énergétique et de lutte contre le changement climatique : c'est la collectivité qui instruirait les dossiers et en rendrait compte régulièrement auprès de l'agence. Cette délégation peut prendre diverses formes ; on n'est pas obligé d'aller jusqu'à un morcellement complet de l'agence, qui peut très bien continuer d'exister au niveau national. L'idée est de décentraliser l'instruction et la consommation des ressources. Si l'on veut simplifier et rationaliser le paysage des opérateurs de l'État, la décentralisation est vraiment une piste à creuser.
Il est nécessaire par ailleurs de travailler à ce que les agences gagnent en efficience et gèrent mieux les moyens de fonctionnement qui leur sont confiés. Je partage le constat d'une nécessaire mise sous tension, pour dire le moins, de ces moyens de fonctionnement, pour ce qui est de l'immobilier notamment.
Un autre chantier à ouvrir est celui de la fusion des opérateurs. Rapprocher des opérateurs, c'est souvent d'abord consentir une dépense importante ; mais cette dépense doit être mise en regard avec les économies de deniers publics que permet ensuite de réaliser la mutualisation des fonctions support.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Woerth, combien de temps ont duré les travaux relatifs à la RGPP ? Quelle durée s'est écoulée entre le lancement de l'initiative et la validation des soixante-trois mesures en conseil des ministres ? Six mois ? Un an ? Deux ans ?
M. Éric Woerth. - Les travaux de la RGPP se sont déclinés en plusieurs conseils des ministres : le conseil des ministres valait comité de pilotage de la RGPP. À l'époque, en effet, on considérait - c'est toujours un peu vrai - qu'il fallait qu'une initiative soit rattachée à l'Élysée ou à Matignon pour qu'elle ait du poids. Il n'y a pas d'organisme de décision publique mutualisée plus élevé que le conseil des ministres.
Le travail s'est déroulé sur trois ou quatre conseils des ministres, qui se sont révélés de plus en plus tendus : les mesures se faisant plus précises, il devenait compliqué de les arbitrer. Des audits conjoints ont été lancés, associant des corps d'inspection de l'État et des cabinets de conseil.
Sur les opérateurs, nous sommes allés très vite, avec peu d'audits. En tant que ministre, j'ai réuni l'ensemble des opérateurs dans la grande salle de conférence de Bercy pour leur annoncer que les administrations de tutelle allaient fixer ou repréciser des objectifs qui donneraient lieu à la signature de contrats d'objectifs. Je leur ai demandé de nous donner, dans les trois semaines, l'état exact de leur parc immobilier, qu'il était impossible d'obtenir dans les ministères - il n'existait en la matière aucune centralisation, et nous avons d'ailleurs créé, à cette occasion, une structure dédiée à l'immobilier de l'État. J'ai lié l'ensemble des résultats exigés - contrats signés et état de l'immobilier éclairci - à la rémunération au mérite des directeurs d'organisme. Cette méthode a déclenché un mouvement de réponse très rapide...
Tout cela s'est fait sur un temps assez bref : la RGPP a duré deux ans. Ensuite est arrivée la crise financière, et l'État a trouvé que cette façon de faire était un peu rude.
Mais l'idée demeure - c'est le coeur des questions que vous vous posez - que les opérateurs doivent participer à l'effort de productivité de l'État, qui est encore plus nécessaire aujourd'hui. Il ne saurait donc y avoir d'un côté un îlot où il ne se passe pas grand-chose, où l'on gère et dépense les crédits comme avant, et de l'autre l'État, qui s'époumonerait à trouver des économies.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À cet égard, que pensez-vous du calendrier de la « refondation de l'action publique » lancé par l'actuel Gouvernement ? À entendre ce que nous disent à demi-mot la ministre des comptes publics et le ministre de la fonction publique, que nous avons auditionnés respectivement ce matin et la semaine dernière, cette refondation se veut une « RGPP 2 ». Entre son lancement le 9 février et la date fixée pour la remise des conclusions, qui doivent être rendues publiques mi-juillet, le calendrier vous semble-t-il tenable ?
M. Éric Woerth. - Oui : nous disposons d'ores et déjà d'une bonne connaissance des choses.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons plutôt le sentiment, pour notre part, d'un manque de connaissance.
Je vous rejoins sur un point : quand on s'intéresse à la maille « micro », c'est-à-dire quand on descend au niveau de l'agence - j'ai travaillé dans le passé à la Cour des comptes -, on récupère tout : on est capable de reconstituer l'état de son parc immobilier, le nombre total de ses agents, l'ancienneté de chacun, les fiches de paie, etc.
En revanche, personne n'est en mesure d'appuyer sur un bouton pour nous transmettre un fichier regroupant toutes les données relatives à l'ensemble des opérateurs et comités publics. Quand nous avons demandé une liste exhaustive, nous avons reçu un fichier, constitué par Bercy et par le secrétariat général du Gouvernement, recensant y compris des structures locales, qui ne concernent qu'une commune en France ! Certaines régions semblent devenues expertes dans la création de telles structures locales, dont on peut se demander pourquoi elles apparaissent dans des fichiers constitués au niveau national par l'administration centrale et où sont collectées des informations par ailleurs parcellaires et lacunaires.
M. Éric Woerth. - J'ai peu de certitudes, mais j'en ai au moins une : on ne peut pas faire ce travail au coup par coup. Lorsqu'on fait une RGPP, il faut définir une méthode - je crois beaucoup à la méthode, qui n'est pas spécifique à un parti politique, ce qui n'enlève rien au contenu politique de la réponse aux difficultés.
Il faut donc une méthode pour juger de l'efficacité d'une structure : est-elle en mesure de remplir sa mission ? A-t-on besoin de cette politique ? Peut-elle la conduire dans des conditions acceptables d'un point de vue des coûts publics ? Si vous vous contentez de le faire une fois, c'est bien, cela donne un article dans le journal, et éventuellement quelques décisions ; mais nous avons besoin d'une méthode dans la durée, aujourd'hui plus encore qu'hier. À défaut, on recommence périodiquement, et chaque fois on réinvente la roue : c'est épuisant et ça coûte très cher !
On doit évidemment s'occuper des opérateurs, mais ils doivent retrouver leur vocation, qui est d'être plus rapides, plus agiles et moins coûteux qu'une intervention de l'État, ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, que ce dernier perd de son importance. L'État doit structurer les réponses : il doit être stratège, comme on disait autrefois, et ne pas s'occuper du détail. Mais chaque ministre doit avoir toutes les informations nécessaires pour exercer sa tutelle dans de bonnes conditions.
Ces orientations ont l'air de relever du bon sens ; malheureusement, ce n'est pas le cas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je voudrais revenir sur la délégation de certains fonds, par exemple le fonds Chaleur, à des régions. Êtes-vous convaincu que l'on gagnerait en efficacité dans la distribution des crédits de ce fonds en le décentralisant ? Serait-il plus efficace de le confier aux régions ou de transformer l'Ademe pour déléguer la gestion du fonds aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ?
Si l'on délègue le fonds aux régions, on aura besoin d'une structure d'expertise dans chaque région, capable d'instruire les dossiers. Certains diront qu'il ne s'agit que de dépenses de guichet ; mais le guichet en question consiste tout de même à vérifier la solidité du modèle financier, la pertinence du dossier eu égard à l'objectif de décarbonation, ainsi que l'absence d'autre solution moins coûteuse.
Le fait de disposer aujourd'hui de cette unité d'instruction et de paiement qu'est l'Ademe ne permet-il pas, précisément, de mutualiser les compétences ? Si l'on décidait de faire basculer le fonds à la maille des Dreal, on resterait dans la sphère de l'État ; en revanche, dans l'hypothèse où l'on éclaterait la gestion du fonds en le faisant passer dans la sphère des régions, il faudrait composer avec le fait que chaque région est indépendante de sa voisine.
J'ai pris l'exemple du fonds Chaleur, mais la même réflexion pourrait s'appliquer à d'autres. Prenez les fonds européens : vous connaissez l'argument - leur gestion étant divisée entre l'État et les régions, pourquoi ne pas les placer entièrement dans l'orbite des secondes ? Mais la question cruciale doit rester celle de l'expertise.
M. Boris Ravignon. - Cette possibilité de délégation, qui existe, a très peu fonctionné jusqu'à présent, essentiellement parce que l'opérateur en question n'était pas vraiment enthousiaste à l'idée de se défaire de moyens importants pour les confier aux régions. Mais ce sujet est transversal dans vos réflexions : fait-on une économie lorsqu'on change simplement l'attributaire d'une compétence, en l'espèce l'instruction des dossiers du fonds Chaleur et des projets de constitution de réseaux de chaleur portés par les collectivités ?
Y aurait-il un intérêt budgétaire et une capacité à décentraliser l'exercice de cette mission au niveau des régions ? J'ai tendance à penser que oui ; mais ce ne serait pas vrai au niveau départemental : les compétences techniques manqueraient sans doute, à ce niveau, pour procéder à l'évaluation d'un projet de réseau de chaleur.
En revanche, ces compétences, on les trouve en principe dans les services des régions, qui sont très présentes sur les sujets de transition énergétique : on parle de services qui, parce qu'ils ont préparé le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), ont tout de même une petite idée, par exemple, des disponibilités en bois-énergie sur le territoire. Autrement dit, les régions disposent des compétences clés pour évaluer la crédibilité d'un projet.
La régionalisation permettrait-elle de réaliser une économie ? Ce n'est pas gagné d'avance, mais j'ai tendance à penser que oui, car les régions sont déjà des interlocutrices du bloc communal sur bon nombre d'autres projets d'investissement. Un tel transfert reviendrait donc à confier une action supplémentaire à des gens qui ont l'habitude de ce genre de missions et qui disposent déjà, de surcroît, des données pertinentes et de la connaissance des territoires. Tel ne serait pas le cas des Dreal, qui ont sans doute l'expertise nécessaire, mais qui n'ont absolument aucune expérience aujourd'hui, à ma connaissance, pour ce qui est d'instruire des dossiers d'aides à destination des collectivités.
Cette question de savoir si la région est capable de faire - si elle dispose de l'expertise nécessaire - et si ce transfert présente un intérêt budgétaire et permettrait de faire des gains de productivité, nous allons la retrouver dans tous les domaines. Au cas d'espèce, concernant le fonds Chaleur, il me semble que les régions cocheraient plutôt bien les cases.
M. Éric Woerth. - Boris
Ravignon et moi-même sommes tous les deux persuadés, comme
beaucoup d'entre vous, que la décentralisation est une restructuration
de la dépense publique. Elle consiste à l'affecter autrement,
donc à la contrôler différemment, ce qui revient au bout du
compte - on peut l'espérer - à dépenser
autrement, objectif qui doit être celui d'une décentralisation
réussie. Or nous avons besoin, incontestablement, de restructurer la
dépense publique, en investissement
comme
en fonctionnement, en la reliant mieux aux objectifs
définis par ailleurs, ce qui est difficile lorsque ceux-ci sont
totalement nationaux. Mais une planification nationale peut s'assortir de plans
territorialisés.
La stratégie bas-carbone est par définition obligatoirement nationale ; mais, à mesure qu'elle se décline en plans, en Sraddet, elle se territorialise et on commence à parler de choses concrètes.
Si l'on admet que les collectivités doivent avoir davantage de pouvoir, il est logique de dire que le conseil régional doit être chargé des schémas, qui doivent évidemment rester compatibles avec la stratégie nationale, lorsqu'elle existe, mais qu'il doit adapter à son territoire, la réponse n'étant pas la même d'une région à l'autre.
Et il faut, bien sûr, des outils de mise en oeuvre, car une collectivité qui fait des schémas, en soi, cela ne sert à rien : la région doit être chargée de l'opérationnalité de ces schémas et de leur déploiement avec les acteurs concernés - autres collectivités, entreprises, organismes de logement. Il va de soi, en outre, qu'une telle manière de faire devrait aller de pair avec une déconcentration des crédits.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La même logique vaudrait pour la lutte contre l'habitat insalubre et les copropriétés dégradées. D'ailleurs, les collectivités interviennent déjà en créant des agences locales là où l'Anah n'a pas de bureaux : ce sont les agences locales qui agissent, l'Anah payant une partie du salaire de leurs conseillers.
Cela étant dit, si l'on se place dans l'hypothèse d'une décentralisation de ces politiques, comment sera-t-on certain qu'elles pourront être équitablement réparties sur le territoire ? Vous avez parlé des grandes métropoles, mais je pense aux zones qui ne sont pas situées dans une aire métropolitaine : comment les traite-t-on ?
Je prends l'exemple des réseaux de chaleur : le gisement disponible n'est pas équitablement réparti sur le territoire. Avec une enveloppe nationale, les meilleurs projets à la tonne de CO2 évitée, les plus pertinents du point de vue de la décarbonation, sont sélectionnés, sachant que la tonne de CO2 évitée a tendance à coûter de plus en plus cher chaque année. Comment parvient-on à affecter l'argent public, qui est rare, au projet le plus pertinent quand on raisonne à l'échelle d'une maille plus fine ?
Cette remarque est moins une critique qu'une réponse, car je suis sensible à ce que vous dites : passer d'une administration de schémas à une administration de gestion serait très satisfaisant pour les conseils régionaux.
M. Éric Woerth. - Les agglomérations et les métropoles peuvent faire beaucoup de choses, car il s'agit de communautés de vie très larges, avec des centaines de milliers d'habitants, des structures administratives solides et une bonne connaissance de la réalité du terrain - nul ne peut penser le contraire.
Là où des choix très opérationnels sont à effectuer - faire passer telle copropriété avant telle autre, fonctionner par quartier, par rue, par immeuble, ou que sais-je encore -, du moment que les résultats sont là en matière de réduction de l'impact carbone, c'est à ces établissements publics que sont les agglomérations ou les métropoles d'en décider.
En revanche, en milieu rural, c'est le département qui trouve tout son rôle, comme je l'ai écrit dans le rapport, la région ayant plutôt vocation à agir dans le domaine économique. Le département est garant de l'unité de la ruralité : il prend le relais là où les métropoles ne sont pas, c'est-à-dire dans les petites communes, pour assurer un certain équilibre, par exemple, dans la répartition des services publics. Le département, au fond, c'est la métropole de la ruralité. L'agglomération est quelque chose d'extrêmement opérationnel. Quant au département ou à la région, selon la compétence dont il s'agit - logement ou développement économique -, ils peuvent être les garants de l'égalité devant le service public en milieu rural.
M. Boris Ravignon. - Il est important de penser la décentralisation du logement sans oublier aucun domaine. Il paraît compliqué, par exemple, de « sortir » l'hébergement d'urgence de la compétence en matière de logement. À moins de considérer que l'hébergement d'urgence est une voie sans issue, il convient en principe de ménager des ponts vers du logement plus durable ; si l'on décentralise le logement, il faut donc aussi décentraliser l'hébergement. Je cite une autre dimension de la compétence logement : la politique de rénovation de l'habitat. Il faut donc une véritable compétence habitat qui couvre toutes ces missions, de l'hébergement d'urgence au logement en passant par l'accompagnement à la mutation énergétique du parc résidentiel.
Je partage ce que disait Éric Woerth sur les agglomérations et les métropoles. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs déjà fait la démarche de demander et d'obtenir le statut d'autorité organisatrice de l'habitat ; nous ne sommes pas très loin de pouvoir nous appuyer sur elles pour déployer des politiques en ce domaine. Pour les autres territoires, la question se pose, en effet. Dans le cadre de la mission que j'ai menée, j'ai rencontré des communautés de communes très motivées par le sujet, qui pourraient candidater, sur une base volontaire, pour être attributaires d'un tel statut. Il est vrai aussi qu'il est des territoires dans lesquels il n'y a pas d'agglomération et pas de communauté de communes de taille suffisante ou désireuse de se saisir du sujet. Il paraît assez évident, le cas échéant, que le département pourrait être le bon niveau pour le faire. Du reste, il existe déjà des départements qui sont délégataires des aides à la pierre.
J'en viens aux critères de répartition. On
ne le sait pas toujours, mais l'attribution des aides à la
décarbonation fait l'objet d'un encadrement européen
extrêmement poussé : c'est une obligation européenne
que de devoir les attribuer à la tonne de carbone évitée
la moins coûteuse. Et, de toute façon, ce genre d'obligation est
transitive : aujourd'hui, c'est l'Ademe qui
la respecte ;
si demain les fonds sont délégués, la
réglementation continuera d'être appliquée, je n'en doute
pas. Autrement dit, la délégation n'est pas une carte
blanche : il y a des contrôles.
S'agissant également des aides économiques, des gains de productivité me semblent possibles. Ayant été vice-président chargé de l'économie d'une région plus grande que la Belgique, je me souviens que nous passions beaucoup de temps à co-instruire les projets - je pense en particulier au plan France 2030 - avec l'État, notamment avec Bpifrance. Au total, l'instruction de l'intérêt et de l'opportunité d'un projet pouvait avoir lieu trois fois...
À un moment où l'argent public est rare, il serait plus pertinent et plus économe de rationaliser les moyens et de faire en sorte qu'il n'y ait qu'une seule instruction, qu'elle soit le fait d'un opérateur ou d'une collectivité - en l'occurrence, s'agissant des aides économiques, la région me semble plutôt bien placée.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons entendu ce matin, de la part de la ministre des comptes publics, l'idée de conserver les structures, mais de réinternaliser les crédits. Qu'en pensez-vous ?
M. Boris Ravignon. - Réinternaliser, cela veut dire les faire revenir dans le giron de l'administration ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cela veut dire, semble-t-il, reministérialiser.
M. Ludovic Haye. - Je l'ai compris comme un retour en arrière : les agences, si l'on revient à leur contexte de création, avaient vocation à apporter ce que les ministères, de par leur rigidité, ne pouvaient pas apporter. Il s'agit de faire le chemin inverse, sans qu'il y ait nécessairement des économies à la clé.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce compte-là, on pourrait aussi bien tout mettre dans le ministère... Se pose aussi une question d'acceptabilité - prenez des crédits qui sont aujourd'hui gérés par une structure sise à Charleville-Mézières : s'ils redeviennent des crédits du ministère de la transition écologique, installé à La Défense, cela risque de poser quelques problèmes...
Je souhaitais vous interroger également sur le sujet de la pluriannualité : vous le disiez justement, les agences ont été créées, en France, pour contourner des problèmes, et non pour faire différemment ou autrement ce que faisaient les ministères. Ce que nous disent les dirigeants de ces agences, c'est qu'ils aimeraient avoir de la visibilité sur leurs moyens - à la hausse comme à la baisse -, ce dont ils ne disposent pas aujourd'hui : ils voudraient connaître leur horizon d'ici à un an, trois ans, cinq ans, afin de pouvoir construire une trajectoire.
Le président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), que nous auditionnions hier, s'est félicité de ne pas être dans un ministère : ainsi, nous a-t-il expliqué, l'agence peut-elle s'engager dans des projets d'infrastructures de long terme. Si demain on décide de conserver l'Afit France tout en réinternalisant les crédits au sein du ministère des transports, on perdra cette souplesse budgétaire que procure le statut actuel.
M. Éric Woerth. - Oui, à une réserve près : les crédits étant des crédits - les choses sont différentes s'il s'agit de ressources propres -, ils doivent obéir au principe d'annualité budgétaire. Même une taxe affectée reste une taxe, qui, comme telle, peut être revue d'une année sur l'autre. Qu'il y ait des engagements, d'accord, mais les engagements dont on parle ne sont pas du tout assurés de tenir.
J'ai plutôt dans l'idée que les crédits des agences pourraient être décentralisés, et non déconcentrés, dès lors qu'une partie des fonds que nous avons évoqués serait déléguée dans le cadre de politiques conduites par les collectivités locales. Dans cette perspective, il restera bien un opérateur pour organiser la politique en question et fixer un certain nombre de critères ; la collectivité sera là, ensuite, pour assumer cette politique, la mettre en oeuvre et, surtout, l'adapter à l'échelle locale. Il faut donc non seulement l'argent de l'État, mais aussi et en même temps une vision globale et un pouvoir d'adaptation territoriale.
Reministérialiser les crédits, cela veut simplement dire avoir la main sur ces crédits. Mais, au fond, l'État a déjà la main. Tout cela, c'est de l'argent public : les crédits font bien l'objet d'un jaune budgétaire. La réinternalisation dont il est question faciliterait le contrôle et le coup de rabot, sans doute, mais il n'y a là aucune réforme structurelle.
M. Boris Ravignon. - Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez du mal à avoir une vision budgétaire d'ensemble. Je suis tout de même très étonné : dans tous les conseils d'administration de ces opérateurs siègent des représentants de la direction du budget et des différentes directions thématiques d'administration centrale. C'est leur rôle d'exercer cette surveillance et de prendre connaissance de la volumineuse documentation financière et budgétaire dont ils sont destinataires. Mon expérience est d'ailleurs qu'ils interviennent y compris pour orienter les choix et les réaffectations de crédits.
Mme Christine
Lavarde, rapporteur. - Au niveau
« micro », cette information existe, mais elle n'est
jamais consolidée ne serait-ce qu'à l'échelle d'un
secteur. Le bureau ministériel qui exerce la tutelle sur l'Anah, par
exemple, dispose de toutes les données intéressant cette agence,
mais celles-ci ne sont pas concaténées dans une grande base
où seraient retracées des données homogènes et
comparables pour l'ensemble des différents opérateurs
qui
s'occupent de politique du logement. Une application informatique est
censée être créée à cet effet, mais nous
n'avons pas le sentiment qu'il s'agit d'une priorité de l'action
publique.
En attendant, les données, nous ne les avons pas : chacun y va de son chiffre, mais tout cela manque de cohérence. Dans le jaune de l'Afit France, à la ligne « coût salarial », on trouve le chiffre de 70 000 euros, ce qui est tout simplement impossible.
M. Éric Woerth. - Les agents de l'Afit France sont payés par l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Exactement ; les représentants de l'agence, que nous avons reçus hier, le reconnaissent d'ailleurs avec honnêteté. En définitive, on ne trouve nulle part le coût de fonctionnement de l'opérateur, pas plus dans le jaune que dans le projet annuel de performances (PAP). Les agents de l'Afit France sont en effet noyés dans la masse du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables », au lieu de relever du programme 203 « Infrastructures et services de transport ». Ce chiffre, donc, on ne le connaît pas : seuls le connaissent peut-être les membres du conseil d'administration de l'Afit France.
M. Boris Ravignon. - Par ailleurs, le jaune budgétaire sur les transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales n'existe plus depuis l'an dernier. C'est tout de même un petit sujet à 150 milliards d'euros... La présentation de ces chiffres consolidés dans un document unique n'existe plus, sauf si la Cour des comptes décide ponctuellement de réaliser ces calculs.
Le sujet de la pluriannualité est au coeur de toutes les discussions relatives à la refondation des relations financières entre l'État et les collectivités. La Constitution et les lois organiques organisent la répartition des ressources de la Nation, mais la capacité à s'engager de manière pluriannuelle va devenir absolument cruciale, tant vis-à-vis des opérateurs que des collectivités. Si plusieurs années difficiles se suivent, connaître la hauteur des marches trois ou quatre ans en avance devient absolument vital pour que les destinataires des fonds puissent les gérer tout en prenant des engagements crédibles. Je ne sais pas comment concilier ce besoin de pluriannualité avec la règle constitutionnelle de l'annualité budgétaire, mais une articulation doit être possible.
M. Éric Woerth. - Il
n'y a pas d'astuce : honnêtement, nous avons tout utilisé
pour tenter de réduire l'augmentation et la dérive des
dépenses, du moins tout ce qui évite d'avoir à faire le
principal. Il n'y a pas d'échappatoire à un travail sur le
contenu de la dépense publique. Aujourd'hui, la masse de la
dépense publique est considérable. On peut le déplorer ou
s'en féliciter, selon que l'on soit de gauche, de droite ou du centre,
mais si l'on veut réduire les dépenses publiques tout en
garantissant leur efficacité, il n'y a
pas
d'échappatoire. Ensuite, il faut aussi examiner les
structures et la manière dont a lieu cette dépense, mais c'est
d'abord le contenu de la dépense que nous devons reconsidérer.
Dans notre rapport, nous proposons de remplacer les dotations de l'État dans les départements - dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), aides financières pour installer des caméras de surveillance, fonds vert, etc. - par une dotation unique, qui pourrait être gérée de manière autonome en fonction des projets locaux, en prenant les gens pour des adultes, une partie de cet argent pouvant être conservée afin de financer certains projets pluriannuels des collectivités, qui ont besoin de fonds sécurisés sur plusieurs années. Compte tenu des montants en question, nous savons le faire.
M. Ludovic Haye. - M. Ravignon parlait de la décentralisation et de la territorialisation. Tous les élus locaux le savent, le problème est que lorsqu'ils reçoivent une compétence, ils demandent le budget qui va avec l'exercice de cette compétence. Le seul cas où cela fonctionne, c'est lorsqu'une collectivité transfère une compétence à une collectivité ou à un organisme qui exerçait déjà cette compétence. Dans tous les autres cas, la structure bénéficiant du transfert de compétences demandera un budget afférant. Je ne vois pas où se situent les pistes d'économies dans ce cadre-là...
Le temps, c'est de l'argent, disais-je à Mme de Montchalin ce matin. Monsieur Woerth, votre rapport indique que la simplification présentait diverses vertus, notamment celle d'accélérer les dossiers. Cette question du temps a-t-elle été réellement posée ? Je sais que les chiffres sont difficiles à établir en la matière, mais le temps a plusieurs conséquences : lorsqu'une procédure doit passer par trois ou quatre intermédiaires, les délais sont évidemment allongés. Il faut payer les intermédiaires, et beaucoup de temps est perdu avant la validation du processus. Supprimer des agences, ce n'est pas seulement supprimer des intermédiaires, c'est aussi supprimer les coûts induits par cette lenteur, que certains appellent lourdeur administrative. Ces derniers ont-ils été évalués ?
Mme Ghislaine Senée. - Ce matin, la ministre Amélie de Montchalin a justifié son annonce de réaliser 2 ou 3 milliards d'euros d'économies en trois ans en se fondant uniquement sur l'application statistique d'un gain de productivité de 2 % sur les 63 milliards d'euros du coût total des agences. Au fur et à mesure de nos auditions, il apparaît manifestement que chaque opérateur et chaque collectivité a son système de gestion et de subvention. Tout le monde travaille sur l'intelligence artificielle et la gestion des données. Même si les informations transmises par les ministères nous montrent que ces compétences ne sont pas totalement maîtrisées, des gains de productivité sont peut-être envisageables sur cet axe global. Plutôt que de supprimer des fonctionnaires et d'attribuer les gains de productivité directement au secteur privé, les services de l'État pourraient gagner en productivité et les fonctionnaires pourraient être réaffectés au service des Français. Pourrait-on envisager une optimisation des systèmes développés par les opérateurs pour réaliser rapidement des gains de productivité, tout en évitant les guéguerres éventuelles quant à la comparaison entre les logiciels ?
M. Éric Woerth. - Selon l'adage, le temps, c'est de l'argent, mais aujourd'hui, c'est exactement le contraire : perdre du temps, c'est gagner de l'argent. Comme les collectivités locales n'ont pas les moyens de financer leurs investissements, le temps nécessaire pour mener un projet a été multiplié par deux ou trois en dix ou quinze ans. Ce n'est pas seulement une question de règles, environnementales ou autres : si on avait de l'argent, on y arriverait. Perdre du temps, c'est ne pas dépenser, ne pas faire. Certes, les structures de financement perdurent, mais il y a là un vrai sujet.
Autant, dans le privé, le temps c'est de l'argent, parce qu'on examine la rentabilité de chaque dépense, autant dans le public on ne raisonne pas comme cela, en étudiant la rentabilité de chaque investissement ou du fonctionnement. Il peut y avoir une rentabilité sociale, certes, mais on ne raisonne pas selon une rentabilité économique. Les pertes d'opportunité deviennent alors des sources d'économie, ce qui est en soi assez grave.
Plus on rapproche la décision du contribuable - même si on ne sait plus très bien s'il contribue ou non aux finances locales -, qui a une vision sur la politique décentralisée dans sa commune, mieux c'est : cela permet de clarifier les responsabilités et donc de restructurer la dépense publique. Il n'y a pas non plus les mêmes moyens de contrôle, notamment de la part des citoyens.
Peut-on pour autant s'exonérer de revoir l'organisation des opérateurs de l'État ? La ministre a eu raison de remettre le sujet sur le devant de la scène, mais il ne faut pas en attendre un bénéfice immédiat. Vous semblez d'ailleurs le penser, au vu de vos questions. La question n'est évidemment pas uniquement celle des porteurs de projets, mais celle des projets eux-mêmes. De même qu'un porte-avions sans avions n'a aucun intérêt, ce n'est pas la structure qui est importante, ce sont les projets et les politiques qu'elle porte. Si l'on veut moins dépenser, il faut donc réfléchir sur les politiques publiques elles-mêmes, puis se demander comment celles-ci sont organisées.
À ce moment, si l'on veut économiser de l'argent sur les opérateurs, il faut d'abord mettre les choses à plat et dédoublonner. Si la cartographie avait continué à être tenue d'année en année, les choses seraient peut-être plus simples, mais un certain nombre d'outils permettent toutefois de réaliser ce travail. Ensuite, il faut aller au plus près du terrain pour adapter la granulométrie aux objectifs que l'on se fixe. Sinon, on se perd et on ne change rien... Il faut optimiser la dépense publique, bien sûr, mais l'optimisation des politiques est au fond le moteur de l'optimisation des structures qui portent ces politiques.
M. Boris Ravignon. - L'optimisation de la gestion des pouvoirs publics et de leurs différents opérateurs est une question qui n'est ni de droite ni de gauche. Une organisation où la productivité est faible, par exemple parce qu'elle n'est pas habituée à traiter un certain type de dossier et doit s'y remettre en mobilisant de nouveau des ressources, gaspillera de l'argent alors qu'elle pourrait faire le même travail bien plus facilement, plus vite et à un moindre coût si elle était habituée à traiter toujours le même type de dossiers. On observe le même résultat si plusieurs opérateurs interviennent sur une même politique. Par exemple, sur l'accompagnement à la rénovation de l'habitat, il y a le tuyau à très haut débit de MaPrimeRénov', mais à l'échelon intercommunal on essaie de mobiliser des moyens de la région ou du département pour monter des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, et l'on revient sur une partie de l'aide à l'adaptation, en finançant pour cela des associations qui instruisent des dossiers... On demande à de nombreuses personnes de faire le même travail dans des structures différentes, ce qui revient à perdre de l'argent à cause de doublons.
Il n'y a pas non plus de dépolitisation complète du débat : les vrais choix politiques, ce sont ceux par lesquels on décide ce qu'on fait des marges de manoeuvre dégagées. En revanche, gérer les finances de manière cohérente et rationnelle n'est ni de droite ni de gauche, mais relève de la salubrité publique. Dans de nombreux endroits, notre organisation actuelle nous fait gaspiller de l'argent public, alors que celui-ci est rare, et que nous aimerions pouvoir le diriger vers d'autres objets plus nobles.
La décentralisation et le transfert de compétences ne permettent pas de gains magiques. Transférer les compétences de l'Anah et de MaPrimeRenov' à un seul opérateur présenterait l'inconvénient de recentraliser, alors qu'il faut se rapprocher du terrain. Trouver l'échelon de collectivité auquel transférer cette responsabilité et la gérer pour la Nation permettrait de ne traiter ces questions qu'une seule fois, avec un seul interlocuteur, dans un seul guichet. Cette rationalisation reviendrait aussi à ne plus demander à chaque acteur de faire son bricolage tout seul dans son coin. C'est aussi un sujet sur lequel les collectivités attendent l'État : il faut faire respecter les règles du jeu. Quand des collectivités qui en ont les moyens exercent certaines compétences alors qu'elles n'en ont pas vraiment le droit, de l'argent est perdu et l'énergie est gaspillée.
Nous pouvons gagner en productivité sur
l'instruction des dossiers relatifs à la rénovation de l'habitat
ou aux aides aux entreprises. Des collectivités sont parfois mieux
placées que d'autres, mais il n'y a pas d'effet magique de la
décentralisation, et on ne fait pas disparaître le besoin de
travailler. Ce sont des questions de productivité, du rapport entre les
moyens mobilisés et les résultats. Si ceux-ci sont meilleurs,
seules de petites économies seront réalisées, sauf si l'on
renonce d'accomplir la mission.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - En préalable, il faudrait faire appliquer le principe de spécialisation des compétences, en attribuant par exemple le logement à l'intercommunalité, l'énergie à la région, le social au département, et le tourisme à l'intercommunalité.
M. Éric Woerth. - C'est exactement ce que nous disons dans notre rapport, en présentant des tableaux qui préconisent une telle rationalisation.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si l'on avait une grille stable dans le temps, et si personne ne pouvait se saisir d'une compétence qui ne lui est pas attribuée, il serait plus facile de redistribuer au bon étage les moyens de gestion, d'analyse et d'expertise. Ce qui manque, c'est un État stratège capable de penser le temps long, d'avoir une vision non des petits morceaux du réseau de transport et de la desserte du quotidien, mais une vision globale du réseau qui permette d'assurer l'approvisionnement en marchandise. Nous avons le sentiment que cet État stratège n'existe plus.
M. Éric Woerth. - C'est exactement ce que nous proposons. Supprimer une strate, finalement, cela revient à clarifier : c'est presque un raisonnement par l'absurde. Il y a trois strates, plus l'intercommunalité, ce qui est dû au fait que la France compte beaucoup plus de communes que d'autres pays. C'est un choix. Nous ne pouvons pas recommencer la guerre des strates, ce qui nous ferait perdre beaucoup de temps et d'énergie. Il faut organiser intelligemment ces compétences et essayer de faire de cette diversité une force.
Le tourisme en fournit un exemple : ce n'est pas la peine que tout le monde exerce cette compétence. Il est certes important de bien valoriser les qualités touristiques de toutes les régions et micro-régions, mais il ne va pas de soi que cette tâche soit réalisée par les offices de tourisme dans les communes, puis par le département, puis par la région, car cette problématique est stratégique du point de vue économique. Il faut choisir, comme nous le faisons dans notre rapport.
Il ne peut y avoir de grandes régions sans grandes politiques ; sinon, il valait mieux en rester aux départements. Si nous avons créé de grandes régions voilà une dizaine d'années, c'est que cela a un sens. Tout le développement économique dépend des régions. Toute la schématisation opérationnelle qui le permet relève du pouvoir réglementaire, qu'il faut modifier, ce qui nécessite de réviser la Constitution.
M. Boris Ravignon. - Nous avons choisi d'appliquer le principe selon lequel celui qui décide paie sur son budget. Il faut être vigilant si l'on dissocie la décision de la responsabilité financière, car cela peut créer des situations où, marginalement, des droits peuvent être accordés de manière irresponsable lorsque d'autres sont débiteurs. Notre politique du handicap, où les départements et l'État sont à la manoeuvre, l'illustre particulièrement. Les maisons départementales des personnes handicapées ouvrent des droits à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sur le budget de l'État, à l'affectation d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) dont la mise en oeuvre est assurée par les rectorats, ou encore à l'accueil des enfants handicapés qui ont besoin d'un accompagnement plus important dans des structures comme des instituts médico-éducatifs (IME) ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep), qui eux relèvent non de l'État ou du rectorat, mais des ARS. Bref, ce type d'organisation ne permet pas d'économiser l'argent public ou de s'assurer qu'il va à ceux qui en ont vraiment besoin. Sur ce sujet, nous savons pourtant que les besoins sont immenses...
M. Éric Woerth. - Le jardin à la française ne sert à rien, mais il est très bien ordonné. Nous pouvons encore mettre beaucoup d'ordre : les mesures que les collectivités ne parviennent pas à financer elles-mêmes peuvent être cofinancées, mais il faut alors donner du contenu à la notion de « chef de file », qui est une belle notion. Le chef de file est celui qui dirige, qui cherche des financements, qui dispose du pouvoir réglementaire : c'est celui qui tient la barre. Une autre collectivité peut demander son soutien, si elle estime en avoir besoin. Il y a des compétences légales, la possibilité de venir en soutien existe, et le cadre permettant d'aider l'exercice des compétences est déjà parfaitement fixé. Les compétences légales, il faut les exercer avant d'exercer les autres.
Mme Ghislaine Senée. - Si on rouvre ce débat, des collectivités ou des départements voudront financer localement certaines opérations pour gagner en visibilité.
M. Éric Woerth. - C'est un peu obligatoire : les communes rurales ne peuvent pas mener ces investissements et ont besoin d'une capacité financière plus importante que celle de la plupart des intercommunalités.
Mme Ghislaine Senée. - Sauf à travailler à une dotation unique...
M. Éric Woerth. - En revanche, le département ne pourrait venir en aide aux collectivités que s'il a correctement rempli ses obligations légales, notamment sociales, qui posent des problèmes de financement considérables.
Mme Ghislaine Senée. - Ce qu'il fera si l'État le rembourse...
M. Éric Woerth. - Le département ne devrait ainsi pas pouvoir décider que l'aide aux communes est plus importante que l'aide sociale à l'enfance (ASE).
M. Pierre Barros, président. - Cela reviendrait presque à fixer des contrats d'objectifs et de moyens entre l'État et les différentes strates territoriales.
M. Éric Woerth. - Du point de vue des compétences ?
M. Pierre Barros, président. - L'État délègue aux EPCI des compétences relatives aux politiques publiques. Il y a un contrat d'objectifs et de moyens, c'est logique qu'il y ait une évaluation.
M. Boris Ravignon. - Le mécanisme de décentralisation, plus qu'un rapport entre la collectivité et l'État, est un rapport entre la collectivité et le citoyen. Il s'agit de clarifier et de simplifier pour aider nos concitoyens à comprendre qui est responsable de chaque politique publique. C'est eux qui, par leur vote, sanctionnent ou approuvent les politiques conduites. L'idée de la décentralisation, c'est de partager le pouvoir entre l'État et les collectivités. Il est fondamental que les citoyens connaissent les compétences de chacun, pour, le cas échéant, pouvoir les sanctionner. À mon sens, c'est beaucoup plus motivant, pour les élus, de travailler dans ce cadre que de travailler dans celui d'un contrat d'objectifs et de moyens.
M. Éric Woerth. - Les collectivités ne sont pas des opérateurs de l'État...
M. Pierre Barros, président. - C'est vrai. Les collectivités abordent des sujets territoriaux divers, très marqués par la diversité des réalités locales. Nous croyons évidemment à la sanction populaire qui s'exerce si les collectivités ne font pas le travail sur l'ASE ou le handicap, mais il faut quand même que l'État vérifie comment ces politiques sont menées sur l'ensemble du territoire.
M. Éric Woerth. - Nous nous éloignons du sujet de cette audition, mais nous avons beaucoup travaillé sur l'organisation de l'aide sociale dans les départements, en particulier sur l'ASE. Dans notre rapport, nous indiquons deux scénarios : l'un qui est très organisé, y compris financièrement, et l'autre dans lequel la protection de l'enfance serait recentralisée. Nous ne vivons pas dans un état fédéral ; l'État peut considérer qu'il doit reprendre la main, car le droit de l'enfant domine celui du département et tous les enfants de France doivent être traités de la même manière. Toutefois, cette reprise en main aurait un coût considérable, mobiliserait énormément d'énergies pour recréer les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), qui n'étaient pas non plus formidables et ont été défaites il y a une vingtaine d'années. Cela supposerait également de restructurer la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la médecine scolaire, etc. Le rapport comporte un passage sur ce sujet, qu'il faudra trancher à un moment.
M. Pierre Barros, président. - J'avais remarqué ces pages de votre rapport. Ces sujets font énormément défaut à l'échelon départemental, en souffrance budgétaire assez aiguë.
M. Éric Woerth. - Il faut parler du fond, et non seulement s'intéresser aux modalités d'exercice des mandats, au statut de l'élu ou à la modification de certaines règles électorales. Toutes ces réformes peuvent se comprendre, mais elles doivent servir une décentralisation qui inspire davantage de confiance. Aujourd'hui, c'est d'abord la défiance qui prédomine dans les rapports entre les collectivités et l'État, ce qui n'est pas bon. Les rapports de travail peuvent être un peu vigoureux, mais la défiance actuelle n'est pas acceptable. Il n'est plus possible que la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit ancrée sur des éléments de calcul figés depuis vingt ou trente ans. Aucun élu n'accepte de ne rien comprendre au versement de la part de DGF qu'il reçoit. On ne peut pas dire qu'il faut simplifier, et ne pas clarifier les critères qui déterminent le versement de la DGF.
M. Boris Ravignon. - Une part des composantes forfaitaires de la DGF, décidée en partie dans les années 1970, reprend une vieille taxe sur les ventes créée en 1941 sous le régime de Vichy. Les éléments de calcul ont été figés depuis plusieurs décennies.
M. Ludovic Haye. - Il me semble que nous ne nous éloignons pas vraiment de notre sujet : ces choses sont essentielles. Monsieur Ravignon, vous parliez de ce qui est politique et de ce qui ne l'est pas. On ne peut s'adjuger une compétence uniquement parce que travailler ce sujet est plus vendeur d'un point de vue politique. Il faut reclarifier les missions de chacun, et éviter les superpositions.
M. Boris Ravignon. - Il me semble essentiel de ne pas travailler uniquement à une lecture juridique des compétences, mais de travailler en responsabilité, car c'est cela qui crée de la redevabilité de la part des citoyens. La limite de la décentralisation, c'est qu'il n'y a que le pouvoir qui arrête le pouvoir. Ce sont les citoyens qui contrôlent les élus et les arrêtent. La décentralisation, ce n'est pas un chèque en blanc fait aux territoires et aux élus, car elle reste placée sous la responsabilité des électeurs locaux. Ce point majeur est parfois oublié, ce qui fait un peu obstacle dans notre pays, où l'on a tendance à donner d'une main et reprendre de l'autre.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour vos réflexions sur ces questions de fond.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean Verdier, président de l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (Agence Bio), de Mme Laure Verdeau, directrice, de Mme Laurence Foret Hohn, directrice adjointe, et de M. Philippe Henry, ancien président
M. Pierre Barros, président. - Notre commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État poursuit ses auditions en recevant aujourd'hui les représentants de l'Agence Bio, ou Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique - il est utile de donner son intitulé complet pour mieux comprendre les missions de cette agence. Nous entendrons donc M. Jean Verdier, président de l'Agence Bio, Mme Laurence Verdeau, sa directrice, Mme Laurence Foret Hohn, sa directrice adjointe, et M. Philippe Henry, son ancien président.
L'Agence Bio est chargée, depuis 2001, de la promotion de l'agriculture biologique, du suivi statistique de la filière, de l'information des consommateurs ainsi que de la gestion du fonds Avenir Bio, destiné à soutenir le développement de la production biologique.
Lorsque nous vous avons contacté, il y a près d'un mois, pour vous convier à cette audition, nous ne savions pas que vous seriez aujourd'hui au coeur de l'actualité. En effet, le ministère de l'agriculture a annoncé, ce mardi 20 mai, la suppression de 5 millions d'euros de crédits dévolus à la communication de l'agence, ainsi que la suspension de 10 millions d'euros alloués à votre agence afin de soutenir ses projets pour l'année 2025.
La Cour des comptes, dans son rapport de 2022 sur le soutien à l'agriculture biologique, soulignait pourtant que l'Agence Bio ne dispose pas de moyens suffisants au regard de ses missions, notamment en matière de communication, et appelait à vous donner plus de moyens humains et financiers, notamment par une mobilisation financière accrue des interprofessions agricoles et par une augmentation des subventions pour charges de service public (SCSP).
Pouvez-vous nous confirmer les informations parues dans la presse ? Avez-vous été associé, au préalable, à ces éventuelles décisions, et quelles en sont les conséquences concrètes sur votre activité ? Je suis sûr que vous aurez à coeur de nous éclairer sur cette question majeure au regard du budget de votre agence.
Nous souhaiterions également nous arrêter sur les particularités juridiques de l'Agence Bio. Celle-ci prend en effet la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) et non d'un établissement public. Pour quelle raison cette forme a-t-elle été choisie ? Quelle est la participation des différentes partenaires au financement du GIP ? Dans quelle mesure les mêmes partenaires participent-ils aux prises de décision ? Ne serait-il pas plus simple que ces missions soient exercées par un établissement public, en concertation bien entendu avec les professionnels du secteur ? À ce sujet, que pensez-vous du souhait exprimé devant nous par un responsable de syndicat agricole, qui demandait une plus grande implication des professionnels agricoles dans l'Agence Bio afin de mieux aligner le développement de l'agriculture bio avec le marché ?
Notre commission s'intéresse plus généralement aux missions des agences et opérateurs de l'État ainsi que des organismes consultatifs. En conséquence, nous sommes intéressés par toutes vos observations sur ce qu'apporte votre organisation en matière d'autonomie, de recrutement, de gestion budgétaire, mais aussi de relations avec vos tutelles et avec les autres administrations. Quelles sont vos relations avec ces dernières, ainsi qu'avec les préfets et les collectivités territoriales, qu'il s'agisse d'actions de communication ou du déploiement du fonds Avenir Bio dans les territoires ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M Jean Verdier, Mme Laurence Verdeau, Mme Laurence Foret Hohn et M. Philippe Henry prêtent serment.
M. Jean Verdier, président de l'Agence Bio. - Je vous remercie de nous avoir invités dans le cadre de vos travaux consacrés aux missions des agences d'État dans leur ensemble ; vous nous donnez ainsi l'occasion de nous exprimer et d'expliciter nos missions.
Comme vous l'avez rappelé, nos budgets viennent d'être supprimés, avant même que nous ayons pu exposer nos missions et que vous ayez rendu vos conclusions, et ce sans aucune concertation avec les professionnels du secteur bio ou de l'agroalimentaire. Rappelons que nous sommes un groupement d'intérêt public avec sept familles professionnelles ; sur les dix administrateurs de l'agence, on compte sept agriculteurs issus de sept organisations professionnelles.
Notre incompréhension est totale aujourd'hui. Cette baisse significative, de 64 %, signifie que l'État se désengage du bio. Je suis chef d'entreprise ; pour une société privée, une telle annonce mènerait directement au tribunal de commerce... Elle a un impact énorme. Or l'agriculture bio est une agriculture d'intérêt général ; c'est pourquoi ses objectifs sont gravés dans la loi de finances, dans le droit européen et, tout récemment, dans la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
L'agriculture bio n'a pas recours aux pesticides de synthèse ; ainsi, il y a moins de maladies professionnelles chez les agriculteurs et moins d'indemnisations à verser aux victimes de pesticides - malheureusement, il y a beaucoup de procès actuellement.
Cette approche met aussi fin aux fermetures de captages d'eau potable et réduit les dépenses engagées par les collectivités pour le retraitement et l'élimination des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et autres résidus épandus sur les champs. André Santini, président du syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif), a annoncé l'année dernière devoir investir 1 milliard d'euros pour de la nanofiltration visant à préserver la potabilité de l'eau distribuée. Il y a 30 000 points de captage ; comment les préserver, surtout dans les petites communes, si ce n'est en ayant recours à l'agriculture biologique ?
Chaque ferme en bio, c'est de la souveraineté alimentaire en plus, c'est une meilleure balance commerciale, car le bio n'importe ni engrais azotés ni soja du Brésil. Quelque 70 % des produits bios consommés en France y sont produits ; la proportion monte même à 82 % si l'on exclut les produits exotiques. Le bio, c'est de l'emploi non délocalisé, ce sont 26 000 fermes qui vendent partout sur le territoire, recréant le lien si nécessaire entre agriculteurs et consommateurs.
Les dépenses engagées pour le bio sont donc un investissement collectif à haut rendement pour l'intérêt général et les finances publiques. Tant que l'objectif national de 21 % de surface agricole en bio et de 20 % de produits bios dans les cantines ne sera pas atteint, en l'absence d'interprofession, ce secteur nécessitera le bras armé de l'Agence Bio pour se développer. Or, amputée aujourd'hui de 64 % de ses crédits, celle-ci ne peut plus effectuer les trois missions d'intérêt général qui lui ont été assignées par les ministres successifs.
La première de ces missions, c'est de tenir un tableau de bord du bio, de diligenter les études nécessaires, de collecter les chiffres et de les publier. Sans indicateurs fiables et mesurables, il ne peut y avoir de politique publique pour le bio.
La deuxième mission, c'est de financer la structuration des filières. Depuis sa création en 2008 par le ministre Michel Barnier, le fonds Avenir Bio n'a cessé d'augmenter. On a ainsi construit plus de 350 infrastructures pour le bio made in France. Pourtant, son financement va passer de 18 millions à 8,7 millions d'euros.
Enfin, notre troisième mission est d'informer le citoyen, de lui expliquer les raisons de consommer bio. Notre campagne « C'est bio la France », qui démarre justement aujourd'hui, a été co-construite avec les régions, les interprofessions, les ministères et les organisations professionnelles. Tout le monde a été consulté pour élaborer une communication qui suscite des débouchés aux agriculteurs bios, pour mobiliser la grande distribution et les autres distributeurs. C'est historique, c'est la première fois que le bio sera visible à la télévision. Évidemment, faute de budget, l'année prochaine, cela ne pourra se reproduire ; la campagne s'arrêtera en septembre 2025. L'Agence Bio, que je qualifierai, si vous me permettez la métaphore, de capitaine de France du bio, se trouverait ainsi au vestiaire. Ses membres sont largement bénévoles, mais elle a des permanents.
Je laisse mes collègues vous décrire l'effet domino des décisions prises par la ministre sur le tissu de nos fermes et de nos PME bio, sur tout l'écosystème de la rupture biologique.
Mme Laurence Verdeau, directrice de l'Agence Bio. - Rentrons dans les détails concrets de l'impact des décisions qui nous ont été notifiées vendredi dernier par notre tutelle, avant d'être confirmées mardi matin et annoncées par Mme Genevard mercredi.
Pour le plan Avenir Bio - nous agissons autant sur l'offre que sur la demande de bio -, nous devions avoir 18 millions d'euros, aux termes du contrat d'objectifs et de performance que nous avions signé avec le ministère et du programme Ambition Bio, qui engage l'ensemble des acteurs. Selon les dernières décisions, au lieu de 18 millions, nous n'aurons plus que 8,7 millions d'euros. Dès lors, une fois payés les projets que nous avons engagés à la fin de l'année dernière, il nous restera 3 millions d'euros à distribuer, et ce alors même que les dossiers affluent : plus de 28 entrepreneurs ont déposé des dossiers qui sont en attente. Ils nous demandent 25 millions d'euros et nous n'en avons plus que 3 millions à distribuer : on voit à quel point nos moyens sont déconnectés des besoins du secteur.
Précisons que nos financements ont une immense ombre portée : lorsqu'un acteur obtient 1 euro du fonds Avenir Bio, il génère de la sorte 1 à 3 euros d'autres financements, publics ou privés, provenant de la région, de l'agence de l'eau, de fonds de private equity comme Sofiprotéol, ou encore du Crédit Agricole. Pour chaque euro retiré au fonds Avenir Bio, on peut donc considérer que 3 euros de financement s'évaporent pour les porteurs de projets.
C'est ce que nous allons devoir expliquer à la dirigeante de l'entreprise des Petites l'Ouches, à Bernay, dans l'Eure, qui s'apprêtait à construire une légumerie pour fournir les cantines de Normandie. La loi Égalim prévoit un minimum de 20 % de bio dans les cantines ; on en est à 6 %. En coupant les fonds, on affecte directement tant les maires qui veulent respecter la loi que les agriculteurs qui se trouvent privés de débouchés. Derrière chaque euro retiré au fonds, il y a des hommes, des femmes et des familles qui vont devoir remettre en question un choix de vie : ce n'est pas par opportunisme qu'on développe une gamme bio, la conversion prend trois ans. Malgré tout, les déconversions sont peu nombreuses, le solde est encore positif : quand l'on s'engage dans la bio, on n'y renonce pas.
Derrière le fonds Avenir Bio, il y a 61 000 fermes bios qui constituent notre trésor national, que nous avons patiemment constitué par les aides à la conversion. Le bio n'est pas une fin en soi ; il est un moyen de limiter l'imprégnation de notre environnement par les pesticides synthétiques. Mais si l'on veut du bio dans les champs, il faut qu'il y en ait dans les assiettes des Français, et nous sommes peu performants en la matière : nous ne consacrons que 6 % de nos courses au bio, contre 12 % chez beaucoup de nos voisins européens, ce qui aussi l'objectif inscrit dans la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc).
C'est pourquoi nous avons calibré une campagne de communication sur trois ans, pour 15 millions d'euros. Mais voici qu'elle s'arrête au milieu du gué, ou plutôt au tiers du gué, puisqu'elle n'aura duré qu'un an. Cette campagne est pourtant vitale, elle répond à une attente forte des Français. Depuis 25 ans que nous les interrogeons pour le baromètre de la consommation de bio, ils nous disent avoir besoin d'informations sur le bio pour éclairer leurs choix de consommateur : ils ne savent pas si c'est du marketing, ce qu'il y a derrière... Surtout, ces campagnes marchent : à chaque fois que nous avons pu en mener, on a constaté un effet sur les ventes, sur la confiance et la compréhension du bio par les consommateurs. Ainsi, le ministre Julien Denormandie nous avait octroyé à cette fin une dotation de 500 000 euros, à laquelle nous avons pu adjoindre 1,2 million de financement interprofessionnel. Cette campagne a eu un effet immédiat : 5 % de chiffre d'affaires en plus là où elle avait été déployée ; ce n'est pas nous qui le disons, mais l'interprofession laitière et celle des fruits et légumes frais, Interfel. La deuxième fois, au vu de ce succès, le ministre Marc Fesneau nous a alloué 750 000 euros et nous avons levé 1,6 million d'euros de financement public et privé, avec cette fois le soutien de plusieurs régions, comme la Bretagne et l'Occitanie. Chaque fois que le grand public est exposé à ces campagnes, l'envie de bio redémarre. Trop souvent aujourd'hui, le bio est classé en spam dans la tête des gens, qui sont saturés d'information.
La campagne qui démarre aujourd'hui a remobilisé la grande distribution, qui commençait à remettre les produits dans les rayons. La Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe les enseignes généralistes comme Carrefour, s'est déclarée choquée que la campagne soit tuée dans l'oeuf avant même d'avoir produit des résultats. Nous avions beaucoup d'espoir !
M. Philippe Henry, ancien président de l'Agence Bio. - Vous avez bien compris que la bio a aujourd'hui une place importante en France. Deux solutions sont possibles. Soit on revient quinze ans en arrière, on supprime l'Agence Bio et on invisibilise la bio dans l'ensemble de l'administration française ; soit on rectifie le tir, en reconnaissant que la bio est structurante pour nos territoires et importante pour l'économie française. L'agriculture biologique française occupe la deuxième position en Europe, mais elle est en train de se faire doubler. Tant que nous n'avons pas d'interprofession bio, l'Agence Bio est indispensable. Le débat entre agence et interprofession s'est tenu à l'époque de sa création ; le choix a été fait d'une agence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'y a-t-il toujours pas d'interprofession pour le bio ? Avez-vous le sentiment que la question du bio est complètement éludée par les interprofessions existantes ? Celles-ci permettent de structurer des filières de production : la viande, les céréales, les légumes... Pourquoi ne sont-elles pas un relais de l'agriculture biologique ?
M. Philippe Henry. - Nous travaillons avec les différentes interprofessions ; il y en a environ soixante-dix, chaque filière a une interprofession avec des financements spécifiques. Certaines d'entre elles ont des commissions bio, qui fonctionnent différemment suivant les filières : certaines interprofessions sont plus volontaires que d'autres. Nous devons composer avec ce paysage. Les interprofessions abondent souvent nos budgets de communication, quand ils existent. Néanmoins, même avec ce soutien, les budgets restent modestes, en dessous de notre proportion au sein de l'agriculture française. Alors que nous représentons 10 % de la superficie agricole et 15 % des agriculteurs, nous ne sommes pas représentés à hauteur de 10 % ou 15 % des budgets de chacune des interprofessions ; c'est un problème sur lequel il faudrait ouvrir un débat, car l'Agence Bio a contribué à rendre visible la bio dans un monde agricole qui ne le faisait pas. Telle était la motivation principale de ses fondateurs, et cela a bien fonctionné.
Ce dossier devrait être examiné, me semble-t-il, puisque l'objet de vos travaux est de discuter des réaménagements que l'État pourrait envisager pour ses agences. C'est un dossier compliqué, avec des enjeux financiers et politiques ; chacune des interprofessions a ses spécificités. La bio est une activité transversale : vous avez du lait bio, des céréales bios, des cochons bios, et chaque secteur fonctionne de façon différente. Pour notre part, nous ne travaillons pas en silo, mais d'une manière transversale. Ce fractionnement est l'un des handicaps de l'agriculture française : il faudrait se transformer, pour sortir d'une vue en silo et communiquer de manière transversale. Cette réflexion doit être menée.
Mme Laurence Verdeau. - Nous participons aux commissions bio des interprofessions, qui participent également aux nôtres. Nous échangeons des données pour établir des statistiques. Nous communiquons conjointement, nous les avons embarqués dans l'équipe de France du bio pour drainer des budgets de communication spécifiques au bio. Depuis la crise du bio, nous savons en effet qu'il faut une communication spécifique sur les produits biologiques. Ainsi, le mode de production du lait bio n'est pas le même que celui du lait non bio, leur prix n'est donc pas le même. À produit spécifique, campagne spécifique.
Les budgets des interprofessions sont assez hétérogènes. Ils vont de quelques millions d'euros à plusieurs dizaines de millions d'euros. Nous avons reçu des contributions financières : 90 000 euros d'Interfel, l'interprofession des fruits et légumes frais, 77 000 euros d'Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, 50 000 euros du Cniel, le centre national interprofessionnel de l'économie laitière, et 50 000 euros d'Intercéréales, l'association interprofessionnelle des céréales, et de Terres Univia, l'interprofession des huiles et protéines végétales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La législation et la réglementation actuelles prévoient l'utilisation d'un pourcentage minimum de produits biologiques dans la restauration collective. Le simple respect de la loi devrait donc permettre à la filière de trouver des débouchés, sans avoir besoin du soutien public. Or vous dites qu'il n'y aura pas d'investissements privés à la place de la subvention qui vous est retirée. Est-ce que cela signifie qu'il y a en bout de chaîne des endroits où la réglementation n'est pas respectée ?
Mme Laurence Verdeau. - C'est le cas.
Mme
Christine Lavarde, rapporteur. - Vous
demandez une subvention pour permettre à un
écosystème de continuer de produire, alors même que l'outil
qui a été conçu par le Parlement devrait lui assurer
un débouché naturel, ou à tout le moins garanti.
Peut-être faut-il agir sur
le respect de la loi et des
objectifs qu'elle fixe ? Nous demandons aux contribuables de subventionner
une consommation, le bio, qui coûte effectivement plus cher.
La question pourrait se poser demain pour les filières industrielles françaises. Nous ne nous en sortirons pas tant que nous n'intégrerons pas le coût carbone du produit textile fabriqué en Chine. Nous devrions peut-être réorienter nos outils économiques et appliquer le principe pollueur-payeur.
M. Philippe Henry. - Votre remarque est tout à fait juste. D'une part, le fonds Avenir Bio permet de réaliser les études nécessaires à la mise en place de filières localement, autour d'un projet local, entre les agriculteurs et les transformateurs, entre autres, mais également de financer les équipements. D'autre part, le fonds permet d'alimenter la restauration collective. Ses subventions s'élèvent à 18 millions d'euros. Il s'agit de coups de pouce, si on les rapporte aux 13 milliards d'euros que représente l'agriculture biologique, mais ils constituent une incitation et ont un effet de levier.
La loi Égalim est une loi d'intention. Elle incite les collectivités à intégrer 20 % de produits issus de l'agriculture biologique dans leurs repas. Peut-être pourrait-on inciter davantage les hôpitaux, les prisons, l'armée - la meilleure élève en la matière - et les écoles, via la commande publique, à intégrer du bio. Les niveaux décisionnels sont différents et la situation est très contrastée selon les régions. Nous demandons le maintien de la subvention de l'Agence Bio. La commande publique de produits issus de l'agriculture biologique, si la loi était respectée, pourrait atteindre 1,5 milliard d'euros. Il serait en effet intéressant d'étudier de nouveaux outils législatifs permettant d'aller plus loin. Au sein de l'Agence Bio, nous faisons tout notre possible : nous avons trois à quatre collaborateurs qui travaillent auprès des secteurs de la restauration collective et de la restauration commerciale afin de les inciter à commander du bio et de faciliter la mise en oeuvre de projets sur le terrain. La ville de Toulouse fait le nécessaire, Lyon également. Nous avons besoin de collaborateurs - nous n'en avons pas assez - pour intervenir auprès des collectivités afin qu'elles appliquent la loi Égalim.
Mme Laurence Verdeau. - Un marché se pilote autant par l'offre que par la demande. Jusqu'à la crise du bio, nous étions focalisés sur la création d'une offre de produits biologiques afin de ne pas avoir à en importer. Le problème est que l'objectif du bio est libellé en hectares. Or on ne mange pas de grains : on a besoin de moulins, de silos à grains, de trieurs optiques. Le fonds Avenir Bio sert à les financer. Sans cela, il ne serait pas possible d'avoir des pâtes bios à base du blé dur d'Île-de-France et d'atteindre l'objectif des 20 % fixé dans la loi Égalim.
Pour avoir du bio dans les cantines et atteindre le
1,5 milliard d'euros de commandes publiques qui ruisselleraient sur nos
agriculteurs bios, il faut un savoir-faire, un accompagnement. À cet
égard, l'Agence Bio joue
un rôle clé. Les
salariés qui se consacrent à cette tâche sont payés
par des fonds européens. La ministre nous a dit qu'elle allait nous
aider à obtenir des fonds européens, mais nous en avons
déjà et nous allons de nouveau les demander.
Nous avons mis en lumière les Ehpad, les hôpitaux, les cantines qui sont capables de proposer du bio pour le même coût moyen matière, soit entre 1,80 euro et 2,50 euros, sachant que le prix total d'un repas est de 10 euros. On sait que les cantines qui proposent entre 60 % et 80 %, voire 100 % de bio, peuvent le faire à budget équivalent, mais cela demande un accompagnement et un savoir-faire, notamment des formations. Actuellement, le mot « bio » ne figure même pas dans le manuel utilisé pour la préparation du CAP cuisine. Il ne comprend aucune information sur la manière d'optimiser le coût matière et les menus sur une semaine pour pouvoir proposer plus de bio. Il est donc vital que l'on puisse être présent, notamment au congrès des maires et des présidents d'intercommunalités de France, pour montrer qu'il est possible d'utiliser du bio et pour faciliter les échanges entre pairs. Or notre participation est compromise puisque nous n'avons plus de budget. Un chef n'écoute que ses pairs. Le plus efficace est de lui faire rencontrer un chef de cantine qui lui explique qu'il utilise 35 % de produits bios et locaux, après avoir construit des partenariats et contractualisé avec des filières, et que le fonds Avenir Bio a financé l'usine de pâtes bios.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les grandes collectivités qui fonctionnent en délégation de service public ou qui passent des marchés ne construisent pas de partenariats, c'est l'entreprise qui prépare les repas qui le fait. Cela n'est possible que pour celles qui fonctionnent en régie.
Mme Laurence Verdeau. - La régie représente deux tiers de la restauration collective. Par ailleurs, nous sommes en lien avec Sodexo, qui utilise 8 % de produits bios en moyenne, ce qui est plus que la moyenne nationale, parce que l'entreprise a créé des partenariats de long terme avec les mairies les plus engagées. Ils accompagnent 44 000 PME pour pouvoir contractualiser.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je suis convaincue par tout ce que vous dites, mais la question se pose de savoir jusqu'où cette activité a besoin de rester dans le giron public. Pourquoi ne serait-elle pas une activité privée ? L'agriculture non biologique n'est-elle pas trop favorisée ou pas assez défavorisée compte tenu des externalités qu'elle génère ?
Combien l'Agence Bio compte-t-elle de personnes ? Quel est leur statut ? S'agit-il de fonctionnaires, de contractuels ? Que se passe-t-il pour les personnes payées par des fonds européens si vous perdez ces fonds ? Faites-vous tout en interne - la gestion des ressources humaines, la paie, le support informatique - ou avez-vous mutualisé certaines de fonctions avec des structures plus grosses ?
Mme Laurence Foret Hohn, directrice adjointe de l'Agence Bio. - Nous avons un plafond d'emploi de vingt équivalents temps plein. Nous exécutons l'intégralité de notre plafond d'emploi en 2025. Nous avons dix-neuf employés de droit privé et une fonctionnaire détachée, en l'occurrence moi. Nous avons également des emplois hors plafond, qui font partie du global voté chaque année dans le projet de loi de finances : un CDD payé intégralement par le programme européen et deux alternants.
Nous avons emménagé en 2020 dans des locaux que nous partageons avec FranceAgriMer, l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), l'Agence de services et de paiement (ASP) et d'autres services publics extérieurs au champ de l'agriculture. Nous partageons avec eux la logistique et toutes les charges immobilières. Nous avons également rejoint en 2020 l'agence comptable mutualisée de FranceAgriMer, de l'Inao et de l'Odéadom. En matière de gestion des ressources humaines, la mutualisation ne peut pas aller au-delà de la paie puisque nous avons des contractuels de droit privé, contrairement aux autres opérateurs. Notre petite taille nous impose d'avoir recours à des prestataires extérieurs.
Notre système d'information est important. Il permet d'offrir au grand public à la fois l'annuaire de tous les opérateurs bios français et toutes les données relatives au bio, qu'il s'agisse de la production ou de la consommation. Il s'agit d'une infrastructure spécifique, que l'on ne pouvait pas mutualiser. Nous mettons néanmoins nos données, qui sont en open data, à disposition de FranceAgriMer et de l'Inao. Ce système n'est pas un frein aux collaborations avec la recherche ou les autres opérateurs publics.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne pourriez-vous pas demain être une direction de FranceAgriMer, qui pourrait avoir pour mission de faire la promotion du bio à l'échelon national ?
M. Philippe Henry. - Si l'on a créé l'Agence Bio en 2001, c'est parce qu'il fallait rendre la bio visible. La question de rejoindre FranceAgriMer se posera lorsque nous en serons à 20 % ou 25 % de bio. L'Agence Bio n'aura alors plus de raison d'exister. Si on voulait supprimer l'Agence, on pourrait répartir ses effectifs entre plusieurs autres agences, dont FranceAgriMer, mais il n'y aurait plus de cohérence d'ensemble. En outre, il faut savoir que l'Agence est fédératrice. Le conseil d'administration de l'Agence comprend sept familles différentes. Nous parvenons à mettre autour de la table des organismes opposés politiquement et à les faire travailler ensemble, sur le même sujet. Les agriculteurs ne sont pas toujours très satisfaits de ce que fait la grande distribution, mais ils siègent ensemble au sein de l'Agence Bio. C'est un élément important, dans un pays où les clivages sont nombreux. L'Agence a été créée pour cela. La France s'est dotée d'un outil important parce qu'il permet à tout le monde de parler d'une voix pour développer le bio. Vous avez vu au mois de janvier que le soutien dont a bénéficié l'Agence allait bien au-delà du monde de l'agriculture biologique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - On mesure ce soutien au nombre de mails que nous avons reçus ! Vous avez dit que le bio représentait 13 milliards d'euros. Comment l'Agence s'intègre-t-elle dans cet écosystème ?
Mme Laurence Verdeau. - Le bio, c'est en fait 12 milliards d'euros. Notre rôle de fabrique de consensus est reconnu. Le Danemark, qui compte 6 millions d'habitants, est le champion de la consommation de produits bios. Il vise 100 % de bio dans les cantines. Leur agence bio, Organic Denmark, qui est indépendante du ministère de l'agriculture, dispose d'un budget de fonctionnement de 12 millions d'euros. Le nôtre vient de passer à 2,5 millions d'euros. C'est bien la preuve qu'une politique publique, ça s'accompagne.
Nous sommes les seuls à agréger les données des sept débouchés. Le marché de 12 milliards d'euros repose en partie sur les exportations, de vin essentiellement. À 92 %, la consommation de produits bios est une consommation à domicile. Le bio consommé dans les cantines et dans les restaurants représente seulement 8 % des débouchés, ce qui est très problématique. Autant ce déséquilibre a été indolore pour le bio pendant le covid, quand les restaurants ont fermé - cela a même été une période faste -, autant il s'est révélé dramatique quand les restaurants ont rouvert et que plus personne ne voulait cuisiner à la maison.
Ce déséquilibre est très net, puisque dans l'alimentation lambda, la proportion est plutôt de deux tiers de consommation à la maison et d'un tiers à l'extérieur. Au sein des 92 % de bio consommés à domicile - pour 100 euros de courses, nous ne consacrons que 6 euros au bio -, la moitié des ventes est réalisée par la grande distribution. Cela explique le violent coup d'arrêt lié au déréférencement. Là encore, le bio présente une forte particularité. Si l'alimentation non bio est distribuée à 70 % ou 80 % par la grande distribution - une autoroute -, l'alimentation bio ne l'est qu'à 50 %. Elle est en effet distribuée également par le circuit spécifique des magasins 100 % bio, dont dépendent des filières agricoles et qui représente 2 800 magasins pour 28 % du business. Débouché moins visible et plus éclaté, quelque 8 % des produits bios - la boule bio chez votre boulanger, la saucisse de Morteau bio chez votre boucher - sont vendus par des artisans. Enfin et surtout, tout le monde parle du local, mais le local, c'est le bio qui le produit, puisque 26 000 fermes bios font de la vente directe en France. Cela représente 15 % des débouchés du bio, avec des prix ultra-compétitifs.
Nous sommes donc les seuls à remonter ces données, ce qui n'est pas chose aisée puisque nous devons agréger une cinquantaine de sources différentes et que nous recoupons nos chiffres avec les territoires. L'une de vos questions portait justement sur nos liens avec les territoires. Nous pilotons nationalement l'ensemble des observatoires régionaux de l'agriculture biologique (Orab), en nous appuyant sur un réseau de correspondants. Les associations interprofessionnelles bio régionales (interbio), présentes dans 8 régions sur 13, sont un peu nos homologues. Elles sont dotées de missions similaires aux nôtres et nous correspondons étroitement avec elles. D'ailleurs, les zones dépourvues d'interbio sont en quelque sorte des zones blanches. Ainsi, nous recevons de nombreuses demandes de journalistes qui recherchent, par exemple, une ferme en polyculture et élevage présentant telle ou telle caractéristique. Dans les zones couvertes par les interbio, nous pouvons en général y répondre, grâce à ces relais de terrain avec lesquels nous travaillons en lien étroit. Nous avons même partagé nos budgets de communication et doté toutes les régions de 50 000 euros afin qu'elles diffusent nos slogans communs et, ainsi, créer une caisse de résonance locale.
Nous pourrions tout à fait imaginer, en effet, que l'Agence bio soit fongible dans FranceAgriMer, une fois que l'État aura lui-même atteint les objectifs qu'il s'est fixés. La dernière loi d'orientation agricole fixe un objectif de 21 % de bio dans les champs à l'horizon 2030 ; or nous n'en sommes qu'à 10 % et nous reculons cette année. Nous sommes même à contresens de la tendance européenne, puisque tout le monde progresse. Comme le disait Philippe Henry, nous sommes désormais sur la deuxième marche du podium des surfaces bio cultivées en Europe, alors que nous étions les premiers. Nous aurions dû le claironner à l'époque. L'Espagne, qui mène une politique beaucoup plus volontariste de développement du bio, affiche désormais 3 millions d'hectares cultivés et elle s'en félicite : elle est absolument ravie de nous avoir damé le pion. Nous restons tout de même le premier vignoble bio mondial.
Mme Christine Lavarde, rapporteure. - Quid de la structuration ? Il y a là manifestement une stratégie de portage d'une politique publique. Pourquoi n'est-ce pas finalement le ministère qui s'en charge ? Je mets entre parenthèses le statut de GIP et je parle pour l'instant de la politique en tant que telle.
Vient ensuite la question de l'organisation, et le reste. Si je comprends bien, vous avez voulu créer une agence pour exposer le bio et c'est ce qui explique la taille modeste de la structure. Quels étaient les effectifs à la création ?
M. Jean Verdier. - J'étais parmi les cosignataires, à Rambouillet en 2001. Au départ, nous étions trois structures professionnelles, puis nous avons été rejoints progressivement, par la Coopération agricole, par les interprofessions bio régionales, mais également par la grande distribution au travers de la FCD et de la distribution spécialisée bio. Nous avons donc regroupé des personnes partageant une vision commune du développement de l'agriculture biologique, depuis le champ jusqu' à la distribution.
Au moment de la création de l'agence, le statut de GIP était peut-être plus courant qu'il ne l'est aujourd'hui. Au départ, le GIP avait été envisagé comme une première étape vers la constitution d'une interprofession bio. Cela ne s'est pas fait et se fera peut-être. Le statut de GIP permettait une souplesse de fonctionnement et d'évolution dans le tour de table, dans les financements ou encore dans l'accueil de nouveaux membres. C'est probablement cette souplesse qui, à l'époque, avait motivé le ministre Jean Glavany, tout comme la mission qu'avait lancée son prédécesseur, d'une couleur politique différente, quelque temps auparavant.
Vous posez la question d'une éventuelle réintégration des missions au sein du ministère, avec certainement pour objectif - c'est tout de même le sujet du moment - de faire des économies. L'Agence Bio compte vingt collaborateurs. Si nous voulons, comme l'a réaffirmé la ministre de l'agriculture, poursuivre les trois missions que je citais tout à l'heure, il faut bien que des gens s'attellent à la remplir. En tant que chef d'entreprise, je vois comment fonctionne l'Agence Bio : heureusement que ses collaborateurs ont, comme on dit, la foi du charbonnier chevillée au corps ! Je constate, en particulier depuis les amendements Juvin et Duplomb et depuis les dernières annonces, que nous gardons une motivation extrême. Il faut vraiment y croire en effet et l'Agence Bio fait preuve d'une très grande efficience. Je le répète : si nous cessons de travailler au sein de la structure ad hoc qu'est l'Agence Bio, il faudra bien transférer les effectifs. Ou alors on dit que l'on coupe dans les missions, ce qui, me semble-t-il, n'est pas à l'ordre du jour. Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher l'économie.
Mme Laure Verdeau. - Nous sommes en relation très étroite avec le ministère : nous faisons des points bimensuels avec l'équipe qui assure notre tutelle, à savoir la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), qui assure également la tutelle de l'Inao et celle de FranceAgriMer. La DGPE nous fait signer à chacun des contrats d'objectifs et de performance et joue un rôle de chef d'orchestre en s'assurant que tout le monde joue sa partition sans doublon. Nous ne sommes donc pas une agence hors sol. Notre travail est étroitement monitoré et l'information largement partagée. J'en veux pour preuve que la DGPE, par exemple, n'était pas au courant, en janvier, de notre suppression.
Mme Christine Lavarde. - Puisque vous évoquez la DGPE, avez-vous le sentiment d'avoir une caisse de résonance ou un appui au niveau des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et de leurs structures départementales ?
M. Jean Verdier. - Nous associons
les Draaf à nos actions. Nous parlions précédemment
du fonds Avenir Bio, dont la structure est extrêmement fine et qui,
à ma connaissance, est unique au sein du ministère de
l'agriculture : à chaque fois qu'une entreprise ou un porteur de
projet présente une demande d'aide, nous réunissons un
comité consultatif, la décision se prenant in fine
collectivement sur la base de critères de recevabilité, notamment
financiers. Y participent les Draaf, mais aussi les interprofessions
« filière », ou encore les organisations de
commerce équitable, puisque nous essayons d'évaluer la juste
rémunération des agriculteurs. Nous associons également
les banquiers : cela a été dit, le fonds Avenir Bio a un
effet de levier puissant, un euro engagé par l'Agence Bio sur un projet
ou un investissement
permet en général, suivant les
dossiers, de lever trois à quatre euros auprès des financeurs
habituels, en private equity, au niveau des associés ou de
la région.
Ce lien avec les territoires est très fort. Les actions de communication ont été soulignées : l'année dernière, nous avons soutenu les interprofessions régionales pour favoriser l'éclosion et mener des actions communes. Nous avons également mis en place un « bio Tour » au cours duquel un bio bus sillonne les régions, et dont le financement a été renouvelé pour cette année sans que nous ne sachions toutefois ce qu'il en sera pour l'année prochaine. Ses étapes sont l'occasion de faire venir des écoles, ainsi que les différents acteurs de l'organisation bio locale. Nous avons également créé un réseau de 37 ambassadeurs bénévoles.
En résumé, nous essaimons autour des structures du ministère de l'agriculture, qui sont évidemment consultées sur chaque dossier, mais également, au-delà, auprès des structures privées et associatives. Nous jouons donc un véritable rôle de chef d'orchestre et de rayonnement. Nous contribuons aussi à lever des financements et à promouvoir le bénévolat.
Mme Ghislaine Senée. - Pour préparer cette audition, j'ai consulté le contrat d'objectifs et de performance signé en février 2024 par le ministre de l'époque, Marc Fesneau. Ce dernier appartenant, me semble-t-il, à la même tendance politique que le Président de la République, nous devrions retrouver une certaine continuité. Vous avez parfaitement justifié le rôle du bio et son impact sur le quotidien de nos concitoyens, mais également sur les économies à venir, au travers notamment de l'utilisation de modes d'agriculture qui obligent à traiter particulièrement les questions de l'eau ou de la pollution de l'air.
Cette commission d'enquête a pour objectif évident de trouver des économies et de rationaliser ce qui peut l'être. Or nous nous sommes vite rendu compte que si nous voulions réellement faire des économies, c'était sur les politiques publiques qu'il fallait taper, et pas tant sur les frais de structure, même s'il est possible d'y faire quelques économies.
La décision qui a été prise la semaine dernière souffre manifestement d'un mauvais timing. Elle intervient au moment où vous lancez une grande action de communication dans la presse, et où l'on fête les quarante ans du label AB. Soit c'est malencontreux, soit c'est volontaire, mais en tout état de cause, il y a franchement un problème de calendrier.
La politique publique actuelle est le résultat d'une décision politique. Je veux dire par là que nous avons une ministre qui a décidé de tuer le bio. Nous avons des engagements européens et nationaux très forts. Nous savons désormais que le coup d'arrêt auquel nous avons assisté était lié non pas directement aux agriculteurs eux-mêmes, mais aux déréférencements sur le marché. Le choix politique a donc été fait de se dédire du contrat d'objectifs et de performance qui a été signé voilà à peine un an. Je pose la question : dans le cadre de cette audition, ne sommes-nous pas, nous aussi, garants de la longévité des politiques publiques ou, en tout cas, de la continuité de l'État ? C'est une vraie question. On ne peut pas exprimer de manière très claire que l'un des leviers les plus importants pour développer les produits biologiques est la communication, affecter 15 millions d'euros à la promotion de la filière - c'est écrit noir sur blanc dans le contrat signé par le ministre de l'agriculture, qui précise en outre que, pour déployer cette campagne, les filières agroalimentaires seront consolidées et que 5 millions d'euros sur trois ans à compter de 2024 y seront de nouveau consacrés au titre de la planification écologique - pour dire tout à coup, un an plus tard : « Cela coûte trop cher, on arrête tout. » J'aimerais savoir exactement quel est le coût réel de votre structure, hors frais de communication. À combien s'élèvent vos charges d'exploitation ? En d'autres termes, si nous devions non pas fusionner l'Agence Bio, mais la supprimer, combien d'économies ferions-nous par an ? J'aimerais aussi connaître la part des fonds européens qui financent ces coûts de structure, et qui minimiseraient le coût réel de l'agence. Je voudrais, en d'autres termes, mesurer le travail de fond qui a été fait, avec vos partenaires et les ministères. Combien de temps met-on, par exemple, pour réaliser un contrat d'objectifs et de performance ? Savez-vous l'évaluer ? Je suis curieuse de connaître - nous pourrions le demander au secrétariat général - combien cela coûte chaque fois que la tutelle produit un tel document. Peut-être aurions-nous les éléments objectifs pour éclairer notre avis et dire si oui ou non il serait rentable ou efficace de supprimer ou de fusionner l'Agence Bio, ainsi que le propose la ministre.
M. Philippe Henry. - Je laisserai Laurence Foret Hohn répondre sur les chiffres, mais je précise que, en tant que professionnels, nous siégeons bénévolement à l'agence. Le président touche une indemnité de 600 euros.
M. Jean Verdier. - Beaucoup de bénévoles travaillent autour de l'Agence Bio. Nous ne l'avons pas évoqué, mais l'agence fonctionne grâce à plusieurs commissions. Dans ces commissions siègent essentiellement des professionnels, beaucoup d'agriculteurs, mais pas seulement. On y trouve également des gens de la transformation et de la distribution. Ces groupes de travail produisent également, et contribuent à diffuser de l'information incitative dans les territoires.
Mme Laurence Foret Hohn. - Concernant les coûts de structure, nous évaluons le fonctionnement courant, l'immobilier et les frais de salaire et de personnel à 2,3 millions d'euros annuels. Nous avons commencé à travailler sur le contrat d'objectifs et de performance en mai 2023 pour une signature en février 2024, mais nous n'avons pas évalué son coût de production à ce stade.
Mme Laure Verdeau. - Il faudrait compter le nombre de participants et le multiplier par le nombre d'heures de réunion... Vous évoquez les programmes européens. Nous avons par exemple déposé une demande de renouvellement de notre programme européen, qui entame sa troisième année et qui cartonne auprès des chefs, puisque son objectif est de développer le bio dans la restauration. Il n'y a que 1 % de bio dans les restaurants de France, c'est quand même dommage ! Ce programme doit être cofinancé à hauteur de 30 %. Or, à supposer que nous soyons lauréats, nous ne pourrions plus le cofinancer. Nous verrions alors 2,1 millions d'euros issus des financements européens nous échapper.
La même logique prévaut, par exemple, pour le Bio Tour, ce bus qui fait la tournée des plages pour expliquer le bio au grand public et qui s'arrête partout dans les provinces françaises. Sur ce projet, nous émargeons au fonds Écophyto, mais pour obtenir 400 000 euros, nous devons apporter un quart de cette somme. Là encore, nous ne savons pas où nous trouverons les 100 000 euros nécessaires, et ce d'autant moins que nous avons été informés à la fin du mois de mai que notre budget nous condamne à ponctionner notre trésorerie de l'an prochain. Nous avons donc un an d'espérance de vie devant nous, mais quid de l'après ?
Mme Ghislaine Senée. - Qu'en serait-il si l'agence était intégrée au sein du ministère ? Le ministère de l'agriculture pourrait-il solliciter les fonds européens en direct ?
Mme Laurence Foret Hohn. - Ce sont surtout les interprofessions et FranceAgriMer qui gèrent les fonds.
M. Jean Verdier. - Nous pourrons vérifier ce point.
Vous évoquiez les interprofessions, avec
lesquelles nous travaillons pour leur fournir des outils - audio,
télé, etc. - de communication. Tous ces
gens-là nous apportent de l'argent à condition que nous leur
fournissions un service. Cela a été rappelé pour le fonds
Écophyto et pour les fonds européens. J'ai cité le fonds
Avenir Bio, dans le cadre duquel le tissu économique va chercher trois
euros quand l'Agence Bio en offre un. Personnellement, je siège dans
d'autres comités, d'investissement notamment, et cela n'a rien à
voir. Il est évident que l'expertise et le tampon de l'Agence Bio
constituent une recommandation de poids, si bien que, je le
répète, quand l'agence met un euro sur un dossier, les porteurs
de produits et les entreprises peuvent en lever trois ou quatre à
l'extérieur. Il en va de même pour la communication : quand
l'agence met 1 000 euros en achats d'espace, cela permet un relais
par les interprofessions et par la presse. Nous sommes en quelque sorte la
poutre de l'échafaudage qui soutient l'écosystème. Et
l'écosystème de la bio en France a été construit de
cette façon depuis un quart de siècle. Autant dire que si on le
supprime ou si on bouscule les relations entre ses acteurs du jour au
lendemain... Admettons, hypothèse d'école, que l'agence soit
absorbée. Cela créerait un séisme. Je parle ici aussi
en tant que chef d'entreprise. On ne « blackboule » pas
les gens comme ça. Les statuts, les projets sont tout à fait
différents. Le personnel de l'agence se retrouverait soudainement parmi
des gens qui ne pensent pas bio du matin au soir et qui ne sont pas totalement
tournés vers l'objectif que nous a fixé le ministère. Il y
aurait donc
nécessairement des secousses et les
conséquences seraient extrêmement importantes sur
l'écosystème global de l'agriculture biologique en France comme
sur le développement du bio.
Mme Ghislaine Senée. - Ce serait antinomique dans la mesure où cela nous empêcherait d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé dans le cadre de la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'examen de votre structure budgétaire révèle que, bien que constitué en GIP, vous dépendez presque exclusivement de recettes publiques provenant du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique. Vos ressources propres ne représentent que 0,4 million d'euros sur 28 millions d'euros. Cela pose question quant à la pertinence même du modèle de GIP.
M. Jean Verdier. - Toute transition nécessite un accompagnement par une politique publique. Nous sommes engagés dans la transition alimentaire et agricole et l'agriculture biologique en constitue véritablement le fer de lance.
Toute transition requiert des politiques publiques, qu'elles soient d'ordre financier ou qu'elles offrent d'autres types d'avantages. L'intervention de l'Agence Bio représente l'un des outils de l'action publique pour accompagner et favoriser cette transformation à la fois dans les champs, dans les outils et sur les tables. La question demeure celle des modalités de mise en oeuvre.
Aujourd'hui, tout va tellement vite que ce questionnement s'impose naturellement. Cependant, gardons-nous d'agir dans la précipitation, de procéder d'une façon abrupte en coupant tous ces financements, car nous ne pouvons pas aujourd'hui en anticiper les conséquences.
Mme Laure Verdeau. - Je me permets de vous remettre un exemplaire du livre que nous distribuons aujourd'hui. Il contient les portraits de quarante acteurs du secteur de tous horizons et de tous âges montrant que le bio s'appuie avant tout sur des hommes et des femmes : il concerne 10 % des surfaces et 15 % des fermes.
M. Jean Verdier. - L'agriculture biologique s'inscrit sur le temps long et implique des mutations très fortes et des transitions. Elle est porteuse de beaucoup d'aménités dans de nombreux domaines. À ce titre, l'Agence Bio joue un rôle dans la formation du consensus et demeure transpartisane : au fil du dernier quart de siècle, tous les ministres ont consolidé et conforté son action et ses moyens de rayonnement et de fonctionnement.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'expliciter nos missions. Nous l'apprécions d'autant plus dans le contexte qui nous est imposé depuis six mois et nous espérons que vous serez nos avocats.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie. Nous avons entendu combien ce secteur représente souvent l'engagement de toute une vie pour ses acteurs.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Notre commission d'enquête a mené de son côté un travail important, qui arrive à son terme après 41 auditions plénières et 25 auditions rapporteur, afin d'analyser les missions des agences et des opérateurs, ainsi que la manière dont elles agissent avec leur tutelle d'une part, avec les destinataires de leurs actions d'autre part.
Notre objectif est d'évaluer si les modalités actuelles de gouvernance, de financement, de pilotage et d'évaluation de ces opérateurs sont cohérentes avec les exigences d'efficacité, d'efficience, de lisibilité et de responsabilité de l'action publique.
Le domaine qui est le vôtre, l'aménagement du territoire et les collectivités territoriales, a fait l'objet d'une attention particulière car nous avons vite constaté que certaines agences dont les missions sont spécialement orientées vers les collectivités, comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), n'étaient pas toujours bien connues d'elles malgré un effort important de communication. Bien souvent également, nous avons entendu regretter la disparition d'une ingénierie d'État au service des petites collectivités, comme l'ancienne assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat).
À cet égard, votre expérience de ministre, mais aussi d'élu local, sera particulièrement éclairante.
Je souhaiterais donc vous poser quelques questions, auxquelles mes collègues ne manqueront pas d'ajouter les leurs.
Premièrement, comment l'État veille-t-il, aujourd'hui, à ce que les missions confiées aux agences soient bien alignées avec les priorités stratégiques du Gouvernement, notamment en matière de cohésion territoriale ?
Deuxièmement, quels leviers utilisez-vous pour garantir une coordination efficace entre les agences relevant de votre champ ministériel et les services déconcentrés de l'État, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part ? Pensez-vous par exemple qu'il faut donner un rôle plus important au préfet face aux agences disposant de délégations territoriales, voire qu'il ait l'autorité sur ces délégations ?
Troisièmement, comment évaluez-vous l'impact concret de ces opérateurs sur le terrain ? Considérez-vous que, notamment par l'exercice de la tutelle, vous et votre administration disposez de tous les leviers pour exercer le rôle de contrôle, sans lequel la notion d'État stratège reste largement inopérante ?
Enfin, de manière plus transversale, pensez-vous que le cadre juridique et budgétaire actuel permet un pilotage suffisamment agile de ces structures, dans un contexte de forte contrainte sur les finances publiques ?
Avant de laisser la parole à Mme le rapporteur qui aura des premières questions à vous poser, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Rebsamen prête serment.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous commencer par répondre aux nombreuses questions que le président Barros vient de vous poser et que je partage, car elles couvrent un champ assez vaste ?
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je m'efforcerai d'être aussi précis que concis.
Vous m'interrogez tout d'abord sur la manière dont l'État veille à la cohésion territoriale des opérateurs. Le ministère que je dirige comprend actuellement onze directions d'administration centrale, ce qui est un nombre significatif. J'ajouterai, si vous me permettez cette remarque plus personnelle, que nous avons, en France, pour singularité que les intitulés ministériels changent fréquemment. Or, ces changements, décidés au moment de la formation des gouvernements, modifient la structure administrative, de sorte que certaines directions d'administration centrale changent de rattachement ministériel, voire se retrouvent avec des compétences partagées, ce qui n'est pas toujours évident.
Si je me permets cette digression, c'est pour souligner que ce sont précisément ces directions d'administration centrale qui veillent à la cohésion territoriale nécessaire entre les opérateurs.
Le ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation compte treize opérateurs, auxquels s'ajoutent quarante-trois établissements publics et les onze directions que j'ai déjà mentionnées. Nous partageons avec la ministre de la transition écologique la tutelle du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) qui est aujourd'hui répartie entre nos deux ministères, dans une forme de cotutelle.
Ces instances ont la responsabilité d'assurer une triple tutelle sur les opérateurs, à la fois stratégique, juridique et politique, cette dernière relevant du ministre. Un alignement est constamment recherché avec les priorités stratégiques définies par le Gouvernement. Des échanges réguliers ont lieu entre les directions d'administration centrale, mon cabinet et moi-même.
Dans les faits, cette relation se formalise en général à travers les contrats d'objectifs et de moyens, qui font l'objet d'un suivi en cours de procédure, afin d'évaluer leur mise en oeuvre et de les corriger si nécessaire. Les directions d'administration centrale jouent ici un rôle déterminant. En outre, depuis mon entrée en fonction, j'ai engagé, à titre personnel, des relations directes avec les responsables des opérateurs placés sous la tutelle du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Vous m'interrogez ensuite sur la relation entre les agences, les collectivités territoriales et les préfets. J'ai pour volonté claire - l'avenir nous dira si j'aurai eu le temps de la mettre en oeuvre - de redonner du pouvoir à l'administration territoriale de la République, c'est-à-dire au préfet, notamment au préfet de département. Je souhaite que les agences, dans la mesure du possible, car elles relèvent de statuts et de logiques différentes, puissent être placées sous l'autorité territoriale du préfet de département.
Il existe toutefois un opérateur spécifique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui ne relève pas directement de mon périmètre ministériel, et qui est en relation plutôt avec le préfet de région. Mais pour le reste, je souhaite qu'il y ait un lien d'autorité assuré par le préfet de département sur les agences intervenant dans son territoire. Cela aurait un impact concret sur le contrôle exercé. Il y aurait tout d'abord l'élaboration du contrat d'objectifs, de moyens et de performance, puis une vérification, en cours de période, de la bonne exécution de ces engagements.
Le problème central auquel nous sommes confrontés, c'est que l'État a perdu son existence politique dans les territoires, à cause non pas des préfets, mais de l'insuffisance des moyens accordés localement à l'autorité préfectorale. Les collectivités locales déplorent souvent l'absence d'un véritable responsable face à elles, en l'occurrence le préfet de département, qui soit reconnu comme le chef des services de l'État. En effet, pour l'instant, nombre de ces services ne lui rendent pas forcément compte, dans des domaines pourtant essentiels, comme l'éducation nationale ou la santé. L'objectif est donc de redonner du pouvoir au préfet de département pour que les collectivités locales disposent d'un interlocuteur avec qui elles pourront aborder tous les sujets, car il les maîtrisera, ce qui n'est pas encore le cas.
Pour vous citer des exemples, je trouve surprenant que l'architecte des Bâtiments de France (ABF) échappe à toute possibilité d'adaptation sollicitée par le préfet, que ce soit à la demande des collectivités locales ou, à défaut, sur requête de particuliers. C'est un sujet de réflexion que je porte actuellement, mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai bien noté votre souhait que la tutelle des agences passerait auprès des préfets de département. Est-ce à dire que, dans votre esprit, toutes les agences, notamment celles relevant de votre périmètre ministériel, doivent perdurer sous cette nouvelle autorité hiérarchique fonctionnelle ? Ou bien est-ce que vous en avez identifié certaines dont le périmètre devrait ou pourrait évoluer ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous avez entendu d'autres ministres avant moi et je ne reviendrai pas sur ce qu'ils vous ont déjà dit. Le Premier ministre nous a demandé d'engager, en premier lieu, une revue des missions du ministère, et donc des opérateurs qui lui sont rattachés. J'ai chargé mon secrétaire général, sous l'autorité de mon directeur de cabinet, de conduire une réflexion d'ensemble sur les onze directions d'administration centrale, afin d'identifier une stratégie plus performante, fondée notamment sur une approche par métiers. Ce travail d'analyse est en cours. Le rapport m'a été présenté, et je suis en train d'en prendre connaissance. Je rendrai compte de ses conclusions au Premier ministre, car la décision relèvera de son arbitrage.
J'aimerais maintenant, si vous le permettez, aborder un sujet plus général qui, je le crois, vous intéressera certainement : il s'agit de l'ingénierie territoriale, qui constitue, en réalité, le point de départ de mes réflexions.
Historiquement, deux formes principales d'ingénierie coexistaient. D'un côté, certaines collectivités territoriales, principalement les départements, assumaient une mission d'ingénierie au bénéfice des communes, sans pour autant exercer de tutelle. Cette mission s'adressait en particulier aux communes qui, du fait de leur taille limitée, y compris à l'échelle d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ne disposaient pas des ressources nécessaires pour la mettre en oeuvre elles-mêmes. De l'autre côté, lorsque les départements n'étaient pas en mesure d'assurer cette fonction, l'État prenait le relais, par l'intermédiaire du préfet de département.
Or, aujourd'hui, nombre de départements connaissent des difficultés, parfois sévères, même s'ils ne sont pas tous dans cette situation. Mais certains ne sont plus en capacité d'assumer cette mission d'ingénierie. La question qui se pose est donc la suivante : l'État est-il en capacité de reprendre l'ingénierie qu'il assumait autrefois, alors même qu'il en a perdu les moyens, ou ne les détient plus dans les mêmes proportions qu'auparavant ?
Certains opérateurs assurent aujourd'hui encore une fonction d'ingénierie. Cela tient souvent à leur histoire et à leur implantation territoriale. Ainsi, le Cerema rayonne surtout dans les territoires où il s'est implanté, et pas forcément sur l'ensemble du territoire national, dès lors qu'il est sollicité dans le cadre d'une mission d'ingénierie locale. Ses missions ont de ce fait évolué et ses effectifs ont fortement diminué au fil du temps.
En même temps, il faut citer l'ANCT, que tout le monde connaît, parfois même beaucoup mieux que le Gouvernement ou le ministre concerné, ce qui ne va pas sans poser certains problèmes. En effet, malgré l'excellent travail accompli par l'ANCT, ou peut-être à cause de cet excellent travail, les responsables de l'agence, qu'il s'agisse de son président, qui est un élu, ou de son directeur général, sont accueillis dans les préfectures avec un empressement et une considération que n'obtiennent pas nécessairement les ministres. Comment s'étonner ensuite que le Gouvernement ne soit pas reconnu dans les territoires et que les ministres y aient peu de notoriété, d'autant qu'ils n'ont guère eu le temps, dernièrement, d'effectuer ce travail de terrain ? L'ANCT assume aujourd'hui des missions d'ingénierie à la demande de l'État.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ce que vous dites confirme ce dont nous nous sommes entretenus à huis clos dans la réunion précédente. Il est rassurant de constater que nous partageons collectivement une même vision de l'organisation publique.
M. François Rebsamen, ministre. - Cela me rassure également, car je me demandais si ces questions que je me pose traduisaient une problématique plus profonde.
Ce qui est certain, c'est que des politiques publiques ont été initiées, qui sont aujourd'hui portées par l'ANCT. C'est le cas par exemple des programmes France Services, Villages d'avenir et Action coeur de ville. Ces politiques sont bien conduites, je le reconnais. Elles ne couvrent pas encore l'ensemble du territoire, mais elles pourraient, demain, s'y étendre pleinement.
Par ailleurs, il arrive que l'ANCT réponde à des demandes émanant des préfets. Dans ce contexte, lorsque l'ingénierie n'est pas disponible localement, l'agence fait appel à l'ingénierie privée, ce qui soulève une interrogation de fond. Ces prestations peuvent donner lieu à une facture assez élevée. Certes, l'ingénierie publique n'est pas gratuite non plus, mais faut-il vraiment que des préfets commandent une étude d'ingénierie privée pour identifier, sur leur territoire, les communes susceptibles de fermer des classes dans les prochaines années, pour un coût de 80 000 euros ? Cela mérite réflexion.
Je peux également évoquer deux autres opérateurs qui me viennent naturellement à l'esprit.
Il y a d'abord l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui est dotée de crédits d'État. Le dispositif MaPrimeRénov' mobilise ainsi cette année 2,3 milliards à 2,5 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les certificats d'économie d'énergie et les crédits de l'Anah, pour un budget total d'environ 4,3 milliards d'euros. Ne pourrait-on pas envisager une décentralisation partielle des crédits destinés à la politique du logement, en direction des collectivités territoriales qui ont d'ores et déjà assumé la compétence des aides à la pierre, que ce soit au niveau un, deux ou trois. Il y aurait là une piste pour renforcer l'efficacité de l'action locale, sans remettre en cause pour autant le dispositif MaPrimeRénov', qui, par ailleurs, suscite certaines questions. J'y reviendrai si nécessaire.
Ensuite, il y a l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) qui constitue un opérateur un peu à part. Elle fonctionne, en réalité, avec peu de crédits d'État, ceux-ci ne représentant pas davantage que 10 % à 12 % de son budget, pour des programmations qui s'étendent aujourd'hui jusqu'à l'horizon 2031-2032. Doit-on envisager de relancer une politique plus ouverte sur les territoires, ce qui permettrait à l'Anru de redorer son image, qui, à certains égards, s'est ternie, l'agence apparaissant trop centrée - même si j'y suis favorable - sur la politique de la ville dans les quartiers prioritaires, alors que les difficultés sont tout aussi réelles dans des endroits situés hors de ces périmètres ? L'expertise de l'Anru pourrait-elle être mobilisée dans ces territoires ? C'est précisément l'objet de notre réflexion autour d'un possible troisième programme national de renouvellement urbain.
Telles sont mes réflexions concernant ces quatre opérateurs que je considère comme essentiels pour mon ministère et pour la politique d'aménagement du territoire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je voudrais rebondir sur vos propos concernant les aides à la pierre qui pourraient être transférées aux collectivités locales. Existe-t-il, au sein des financements versés par votre ministère ou par les structures relevant de votre pôle ministériel, d'autres crédits pour lesquels il vous semble qu'il serait plus efficace d'en déléguer la gestion directement aux collectivités locales ?
M. François Rebsamen, ministre. - Pour l'instant, j'observe ce qui se passe du côté des collectivités locales. Ces dernières expriment, en principe, un souhait de décentralisation accrue. Toutefois, dans les faits, ce désir n'est pas toujours si affirmé. Lorsqu'on leur accorde une certaine liberté, ce sont souvent les administrations locales elles-mêmes qui réclament des garanties.
Dans le cadre de la simplification, je me suis interrogé sur la nécessité qu'il pouvait y avoir à imposer, partout sur le territoire, un conseil de développement identique. Si une collectivité n'en souhaite pas, pourquoi le lui imposer ?
D'autres sujets relèvent également du principe de libre administration. La loi a institué les conseils citoyens dans les quartiers de la politique de la ville. Pourtant, de nombreuses communes avaient déjà mis en place des conseils de quartier, mais qui ne portaient pas le nom de « conseil citoyen ». Dès lors, certains préfets, dans un excès de prudence, ont réagi en déclarant : « Si ce n'est pas un conseil citoyen, tel que défini par la loi, je ne peux pas le reconnaître, et vous ne bénéficierez pas des crédits du contrat de ville. » J'ai vu cette situation se reproduire dans bien des territoires.
Un autre exemple est celui des centres communaux d'action sociale (CCAS). Pourquoi obliger toutes les communes à se doter d'un CCAS, si l'on entend aller vers plus de décentralisation ? Pourquoi ne pas leur laisser le libre choix d'en créer un ou non ? Aussitôt, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS) s'est manifestée : « Comment pouvez-vous envisager de retirer aux communes leur compétence sociale ? » Il m'a donc fallu rappeler que le bloc communal dispose d'une clause de compétence générale, et que, par conséquent, les communes exercent la compétence sociale comme elles l'entendent.
Ce que ces exemples révèlent, c'est que lorsque l'on envisage de transférer davantage de responsabilités aux collectivités sur certains sujets, plus sensibles, au nom de la décentralisation, elles ne sont pas forcément preneuses.
Pour vous répondre, madame la rapporteure, sur les crédits des aides à la pierre que vous évoquiez, il convient de rappeler ceci : si certaines grandes collectivités ne sont pas encore passées au niveau trois dans l'état actuel du droit, c'est en grande partie parce que l'Anah assure encore l'ingénierie technique liée à ces crédits. Or si l'on transfère les crédits, on ne transfère pas, en revanche, le personnel chargé de l'instruction des dossiers, ce qui crée une difficulté. En effet, les collectivités redoutent d'avoir à recruter pour assumer cette mission, dans un contexte où les dépenses de fonctionnement, et plus particulièrement celles liées au personnel, font l'objet d'un contrôle étroit.
Voilà des exemples de freins qui peuvent se présenter lorsque l'on tente d'engager des démarches de décentralisation. Il s'agit de sujets spécifiques, certes, mais ils méritent une véritable réflexion.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous dites que c'est l'Anah qui assure l'ingénierie. Toutefois, en examinant l'organigramme de cette agence, on constate que les effectifs réellement dédiés à l'ingénierie y sont très réduits. La majorité des agents sont des personnels administratifs. Ceux qui assurent des missions d'ingénierie sont, en réalité, cofinancés par l'Anah et par les collectivités territoriales, et travaillent principalement dans les Agences locales de l'énergie et du climat (Alec).
Au sein de votre pôle ministériel, il est d'ailleurs intéressant de relever que les missions d'ingénierie, à coût moindre, reposent davantage sur des agents cofinancés au sein des collectivités que sur des agents affectés aux structures des opérateurs. Ne conviendrait-il pas de renforcer ce modèle, de le consolider, et, peut-être, de l'étendre à d'autres domaines de l'action publique ? Je pense à ceux que vous avez évoqués, notamment les missions du Cerema ou encore de l'Anah.
C'est du moins ce qui ressort de travaux conduits en interne par le ministère de la transition écologique (MTE). Les écarts sont considérables, tant en termes de coût budgétaire que d'effectifs, entre deux logiques : celle du fonctionnariat classique et celle des agents cofinancés dans les collectivités.
M. François Rebsamen, ministre. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que vous venez de dire, car je souscris à vos propos.
Je rappellerai toutefois que lorsque l'État modifie ses politiques ou en crée de nouvelles, les moyens ne suivent pas toujours immédiatement. Ainsi, le nombre d'équivalents temps plein à l'Anah est resté stable pendant quinze ans, autour de 115 ETP. Il a bondi à partir de 2020 pour atteindre aujourd'hui 287 ETP. Cette progression notable est liée à l'apparition de nouvelles politiques, notamment le lancement du dispositif MaPrimeRénov'.
J'aimerais à présent évoquer ma vision de ce que pourrait être un renforcement de la capacité d'ingénierie au sein de l'administration territoriale, sous l'autorité du préfet de département. Si l'on souhaite poursuivre dans l'esprit d'une ingénierie publique territoriale, comme nous l'avons évoqué en début d'audition, on pourrait envisager une déconcentration partielle du Cerema, qui peine à justifier sa propre mission.
Dans le cadre de la revue des missions que j'ai demandée, cette piste a été soulevée. Elle n'est pas simple à mettre en oeuvre, car le Cerema dispose d'une expertise de haut niveau, reconnue tant par l'État que par les collectivités - personne ne le conteste. Mais on pourrait envisager d'affecter de petites équipes auprès des préfets de département, afin de redonner de l'allant aux administrations locales.
Aujourd'hui, les directions départementales des territoires (DDT) ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) exercent principalement des missions de contrôle et de gestion des crédits, notamment vis-à-vis des opérateurs. Cela peut engendrer une frustration chez les agents, qui sont mal perçus parce qu'ils ne font que du contrôle. Et lorsque les lois s'amplifient, notamment celles qui renforcent - à juste titre - la lutte contre le dérèglement climatique, ce sont eux qui se retrouvent à porter l'aspect désagréable de la contrainte, alors qu'ils ne font qu'appliquer la loi. Autrement dit, le fait de ne jamais pouvoir proposer, accompagner ou construire les place dans une posture ingrate.
C'est pourquoi l'on pourrait prendre - ce n'est qu'un exemple - 500 agents du Cerema pour constituer de petites équipes de cinq personnes par département, dans les territoires où celui-ci n'a plus la capacité d'assurer une mission d'ingénierie. Cela renforcerait le pouvoir du préfet de département.
M. Hervé Reynaud. - Monsieur le ministre, nous arrivons à la dernière séquence de nos travaux au sein de cette commission d'enquête. Après de nombreuses auditions, un constat s'impose : certaines agences ont peut-être, à un moment donné, justifié leur existence, mais aujourd'hui, leurs périmètres d'intervention se chevauchent, des doublons apparaissent, et certaines se sont progressivement autonomisées par rapport à la puissance publique.
Tout au long de nos échanges, la question de la déconcentration a été très présente. Elle résonne fortement pour les sénatrices et sénateurs que nous sommes. Vous avez évoqué, dans votre champ de compétences, en tant que ministre chargé de la décentralisation, la nécessité d'un nouvel âge de la décentralisation, que les territoires appellent de leurs voeux.
Cette dynamique donne une raison d'être aux élus locaux et compte beaucoup pour leur engagement. Elle leur redonne aussi la capacité d'apporter un certain nombre d'aides et de faire vivre une solidarité territoriale dans leurs territoires, en particulier à l'échelon des départements, que vous avez cités.
J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet, d'autant que nous n'avons pas encore évoqué d'autres types d'agences, telles que les agences de l'eau ou les agences régionales de santé (ARS) - nous avons tous en mémoire la crise du covid. L'on peut se demander si, en ramenant la prise de décision à l'échelle départementale et en rendant des moyens et des compétences aux élus locaux, certains aspects liés à une trop grande concentration ou à un manque de décentralisation n'auraient pas pu être corrigés.
M. François Rebsamen, ministre. - Je souscris entièrement à vos propos. Il reste à savoir comment avancer ensemble, concrètement.
Vous avez mentionné deux agences importantes qui agissent aux échelons régional et départemental dans les domaines de l'eau et de la santé. Les préfets ne sauraient rester à l'écart. Si l'on veut qu'ils soient les véritables interlocuteurs des collectivités, ils doivent être associés à ces politiques et les collectivités aussi.
M. Cédric Vial. - Ma première question concerne l'ingénierie territoriale, qui peut intervenir à deux niveaux, comme vous l'avez rappelé, assurée à la fois par l'État territorial et par les collectivités, notamment les départements. Vous avez également souligné le changement de nature que cela a induit dans la relation entre l'État et les collectivités, lorsque l'État s'est retiré de cette mission. Les plus anciens d'entre nous ont en mémoire le dispositif Atésat et, pour ma part, j'ai connu cette situation en tant qu'élu local.
Ce retrait a profondément modifié la nature du lien entre les collectivités et l'État. Autrefois, ce dernier accompagnait les collectivités, or il est progressivement passé à une posture de contrôle. Ce basculement a transformé les relations sans pour autant faire gagner en temps. Au contraire, la personne qui accompagnait auparavant la collectivité dans le montage du projet était aussi celle qui instruisait la demande de subvention. Le travail était ainsi fait d'un seul tenant, alors qu'aujourd'hui, on a créé des doublons.
Vous avez déjà partiellement répondu sur ce sujet, mais j'aimerais savoir comment, selon vous, on pourrait revenir à un État qui accompagne et dans quel type de politique. De plus, ne pensez-vous pas qu'il faudrait également envisager une décentralisation, ou une redécentralisation, partielle de l'ingénierie ? Pourquoi ne pas transférer une part de cette mission au département ou à la région, en fonction des spécificités territoriales ? Avez-vous défini une ligne claire à ce sujet ? Je pense, par exemple, au montage de projets qui pourrait être confié aux collectivités ; en revanche, pour ce qui concerne les grandes infrastructures ou les réseaux, le rôle de l'État pourrait rester central.
Ma seconde question concerne les agences de l'eau. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet. Il me semble qu'il existe une volonté partagée par un certain nombre d'entre nous de retrouver davantage de légitimité. En effet, nous avons le sentiment que ces agences se sont, au fil du temps, autonomisées. Elles prennent des décisions sans que la légitimité démocratique soit toujours clairement assurée et elles ne rendent pas nécessairement compte de ce qu'elles font. Dans cette perspective, seriez-vous favorable à une décentralisation, et non pas à une simple déconcentration, de la politique de l'eau ? Autrement dit, ne conviendrait-il pas de transférer cette compétence aux départements, qui pourraient ainsi retrouver du pouvoir fiscal ? On pourrait inscrire cela dans une loi nationale, une loi-cadre, qui garantirait le maintien des agences de bassin à une échelle supradépartementale, pour assurer la coordination entre les départements. Ceux-ci deviendraient les véritables opérateurs des politiques locales de l'eau, plutôt que de confier cela à des représentants d'associations qui n'exercent pas d'action directe sur les sujets qu'ils sont pourtant chargés de suivre.
M. Christophe Chaillou. - Monsieur le ministre, je crois que nous avons bien reconnu, à travers vos différentes interventions, votre expérience d'élu de terrain. Vos remarques et vos réflexes traduisent la connaissance des réalités que vous avez acquise à l'échelon local et national. Nous partageons assez largement plusieurs des constats que vous avez formulés.
Toutefois, c'est le ministre que nous souhaitons entendre dans le cadre de cette audition. D'autres ministres sont venus avant vous en affirmant, d'entrée de jeu, vouloir réaliser 3 milliards d'euros d'économies, supprimer tel ou tel opérateur, etc. Aussi, permettez-moi de vous poser cette question directe, même si je sais que le sujet appelle la prudence : avez-vous des préconisations, ou du moins des priorités d'action, à formuler à partir des constats que vous venez de poser ?
Vous avez évoqué quatre agences. Concernant l'Anru, vous avez parlé d'une nécessaire réflexion ; s'agissant de l'ANCT, vous avez pointé certaines ambiguïtés, notamment en matière de positionnement, et nous sommes nombreux à souscrire à vos propos ; vous avez également ouvert des pistes de réflexion sur l'Anah et le Cerema.
Mais, en tant que ministre, quelle vision proposez-vous ? Quelles recommandations concrètes pourrions-nous retenir dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête ?
M. François Rebsamen, ministre. - Ce sont des questions difficiles que vous me posez. J'aurais presque envie de vous répondre : « donnez-moi les réponses ! » Mais je ne le ferai pas.
Comment éviter les doublons, car l'enjeu est celui de l'efficacité de la dépense publique ? Faut-il maintenir l'ANCT là où elle existe, alors qu'elle s'est implantée là où on lui a demandé d'intervenir - il faut dire les choses telles qu'elles sont ? Je tiens d'ailleurs à saluer le travail accompli. Quand on voit le développement des dispositifs France Services ou Villages d'avenir, on doit constater que cela fonctionne. Avec la ministre Françoise Gatel, nous avons eu l'occasion de beaucoup circuler en milieu rural et nous avons pu voir ce qui a été fait.
Mais la première question que je me pose, c'est de savoir pourquoi les agences sont presque toujours présidées par des élus. Est-ce indispensable ? Je m'adresse ici aux élus que vous êtes, et je suis moi-même élu, mais la question mérite d'être posée.
Les agences sont de nature très différente. Vous le savez parfaitement pour avoir travaillé sur ces sujets. Le Cerema, par exemple, est presque indépendant. Ce n'est pas une agence que l'État peut diriger d'un claquement de doigt.
Dès lors, pourquoi ne pas envisager de mettre à disposition des préfets de département les équipes de l'ANCT ? Cela me paraît une piste réaliste. Pourrait-on décentraliser l'Anah et selon quelles modalités ? S'agissant de l'Anru, je ne vois pas, à ce stade, d'autre voie que celle que j'ai déjà évoquée. Enfin, pour ce qui est du Cerema, ses effectifs comptent de nombreux métiers supports, au-delà des ingénieurs, dont la qualité est unanimement reconnue. Le nombre d'emplois hors plafond, le nombre de directeurs adjoints ou la composition des équipes sont des données qui offrent un éclairage utile sur le fonctionnement des agences. Par exemple - certains diront que je regarde par le petit bout de la lorgnette - il y a plus d'équipes chargées de la communication dans certaines agences que dans le ministère, ce qui est pour le moins surprenant ! Il faudrait commencer par regrouper tout cela.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'aménagement du territoire. Il faudrait le recréer au niveau d'une matrice nationale. Pour l'instant, l'aménagement du territoire se fait au coup de coeur, pour ainsi dire, alors qu'il faudrait déterminer ce qu'est l'aménagement global du territoire, quelles sont les grandes infrastructures dont on a besoin, comment travailler sur les canaux et les dessertes, la Saône, le Rhône ou le site de Fos-sur-Mer. Dans quelle mesure cela aura un impact sur les départements ou les communes voisines ? Telles sont les questions qu'il faudrait poser. Au lieu de cela, la France est tachetée comme une peau de léopard : des interventions se font ici ou là, sans qu'on ait toujours les crédits nécessaires et dans un manque de cohérence. Il faudrait retrouver de la cohérence, mais pour cela il faut du temps, et bien plus que six mois. Cela pourrait être un beau sujet de campagne dans le cadre d'une élection majeure dans notre pays. J'espère que cela se fera.
En ce qui concerne les agences de l'eau, on ne peut pas les laisser gérer seules les évolutions de taxes. C'est le rôle des élus ou de l'État, mais pas celui d'un opérateur. Ce serait franchir un cap, même si je ne vous donne là qu'un avis personnel.
Alors, comment faire autrement ? Il faut récupérer cette compétence. Est-elle du ressort du département ? Il est indispensable de conserver une vision à l'échelle du bassin, pour la gestion de l'eau. Le territoire départemental ne saurait se soustraire à cette responsabilité ; les élus doivent impérativement en garder la maîtrise. On ne peut pas laisser aux seuls agents, fussent-ils parfaitement compétents, la charge de gérer certaines évolutions de la fiscalité locale, d'autant que cette fiscalité est aussi nationale, dans la mesure où elle concerne tous les acteurs implantés sur le territoire du bassin de l'agence de l'eau.
S'agissant des ARS, la situation est comparable : les préfets ignorent parfois jusqu'à l'installation d'un robot dans tel ou tel hôpital. Ils ne sont même pas informés. Il arrive même que des établissements hospitaliers se livrent une véritable bataille pour déterminer qui en bénéficiera, sans que le préfet de département n'en ait connaissance.
La posture de contrôle exercée par l'État reste, bien entendu, indispensable. Il est normal que l'État fasse appliquer la loi sur l'ensemble du territoire : cette mission lui est confiée. Mais il faut également lui assigner une autre mission tout aussi essentielle : celle d'accompagner les collectivités, d'être à leurs côtés et face à elles. Quand je dis « face », je veux dire que l'État doit venir avec les compétences qui lui permettront de dialoguer à égalité avec les collectivités en leur disant : « Voilà ce que je veux ; et vous, que voulez-vous en retour ? » Il faut reconnaître que cela ne se passe pas ainsi aujourd'hui.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons abordé un grand nombre de questions qui ont occupé nos travaux en début d'après-midi, comme elles nous mobilisent depuis quatre mois. Il est vrai que nous aurions souhaité vous entendre plus spécifiquement sur les réorganisations. Cela dit, je comprends que ces éléments figurent dans la revue de politiques publiques que vous avez transmise au Premier ministre. Quoi qu'il en soit, nous nous rejoignons sur un certain nombre de points que vous avez évoqués en filigrane.
Nous nous interrogeons comme vous sur les enjeux de gouvernance. Les agences de l'eau offrent un exemple particulièrement éclairant. Nous mesurons que le sujet ne s'inscrit pas dans une maille géographique déterminée, ne relevant ni du préfet de département ni du préfet de région, car les bassins hydrographiques échappent aux limites administratives. Pourtant, il faudrait redonner la main à ceux qui ont une légitimité démocratique pour traiter ces questions.
Dans d'autres secteurs, la situation est sans doute plus facile, car elle correspond à la déclinaison territoriale de politiques nationales. Vous avez évoqué l'ANCT comme si elle devait perdurer en l'état. Mais, en tant que ministre, considérez-vous que les orientations que vous nous avez exposées pourraient se poursuivre sans l'existence de l'ANCT ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous voulez que j'en dise plus que je ne le peux ! Les arbitrages n'ont pas été rendus.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez le droit d'exprimer un avis devant cette commission d'enquête.
M. François Rebsamen, ministre. - Je ne me suis pas limité jusque-là à des réflexions communes : j'essaie d'indiquer mon sentiment.
Par exemple, j'ai reçu depuis longtemps des alertes sur les agences de l'eau. L'une d'elles couvre le secteur Rhône-Méditerranée-Corse. D'après ce qu'il m'a été expliqué, ce périmètre permet de donner des crédits à la Corse. Ce n'est pas une justification ! Quel est le lien avec les bassins ? Je ne le trouve pas.
Cela m'a amené à réfléchir à ces structures, mais aussi à la nécessité de redonner du pouvoir à ceux qui le méritent, c'est-à-dire aux élus, car ce sont eux qui gèrent la fiscalité. De fait, l'augmentation du prix du mètre cube d'eau du fait des taxes mises en place par les agences de l'eau leur sera reprochée, quand bien même ils auraient affirmé s'y opposer. Il n'est pas possible de continuer ainsi.
S'agissant de l'ANCT, j'attends de voir les arbitrages que rendra le Premier ministre. Je suis sensible à ce que vous avez dit, mais je n'irai pas plus loin dans mon propos.
M. Christian Bilhac. - Même si les limites des départements ne sont pas celles des bassins - ce constat revient comme un leitmotiv -, les présidents des conseils départementaux ne sont pas aussi bêtes que ce qu'on a l'air de croire à Paris. Par exemple, ceux du Tarn et de l'Hérault se sont mis autour de la table il y a plusieurs années pour coordonner les travaux d'amélioration des axes routiers depuis le port de Sète. Les départements ont une vision qui dépasse les frontières de leur territoire.
Le rôle de l'État est d'attribuer les crédits : il peut imposer une péréquation entre départements.
M. François Rebsamen, ministre. - Absolument.
M. Christian Bilhac. - Par conséquent, le transfert des crédits des agences de l'eau à ces collectivités ne poserait aucun problème : il s'agit d'une question de volonté. En effet, le domaine d'intervention de ces agences est vaste : renouvellement des réseaux, désimperméabilisation des cours d'école, requalification de certains cours d'eau... Le rural a beaucoup de réseaux et peu d'habitats, et l'urbain connaît le problème inverse.
M. François Rebsamen, ministre. - L'exemple que vous citez est pertinent : les collectivités locales sont capables de s'entendre.
Il faut mener une réflexion sur la pertinence du bassin comme échelle géographique. Vous apportez vous-même la solution : les préfets pourraient coordonner les élus qui décideraient de réfléchir ensemble sur la ressource, car ces derniers ont peu de poids dans les agences de l'eau. J'ai pu le constater moi-même. Pourquoi ne pas leur faire plus confiance ?
Si les politiques de l'eau ne se faisaient pas à l'échelle du bassin, il est clair que ce serait à l'État de prendre les choses en main. En effet, les élus ont parfois du mal à s'entendre, en dehors de toute appartenance politique et même au sein d'un parti.
M. Cédric Vial. - Pour en revenir à ma question sur l'ingénierie, avez-vous une vision claire des missions qui pourraient être décentralisées, notamment en matière d'accompagnement des communes ? À l'inverse, quelles missions des agences ou missions extérieures à celles-ci devraient rester du ressort du pouvoir central ou même réintégrer les services de l'État ?
M. François Rebsamen, ministre. - Ce n'est pas simple. Le paysage français ne nous facilite pas la tâche, car chaque territoire est non pas unique, mais particulier. Vos pistes rejoignent toutefois mes réflexions.
Là où les départements qui assumaient une fonction d'ingénierie ne l'assument plus, l'État doit prendre la relève grâce à de nouveaux outils, par exemple une agence locale placée sous ses ordres. Il pourrait le faire, grâce à des agents qui lui seraient confiés.
L'État pourrait aussi confier aux collectivités des compétences dont elles disposaient auparavant en matière d'aménagement du territoire. Pour le moment, c'est compliqué. Les départements aimeraient qu'il en soit ainsi, mais ils n'ont plus assez de moyens pour que cela soit possible, aussi, il faut agir autrement. Il ne faudrait pas non plus mettre une collectivité sous la tutelle d'une autre parce que cela pourrait favoriser une forme de clientélisme. Il ne faut pas ignorer ce risque. Néanmoins, on ne peut pas laisser les territoires dépourvus d'une réflexion globale sur l'aménagement. J'y insiste : en me rendant dans des espaces ruraux de ma région, j'ai été assez surpris de voir que les conseils départementaux étaient à l'os, supportant des charges sociales importantes sans avoir les recettes correspondantes.
Un autre outil d'ingénierie existe, utilisé en général par les régions et les départements : la contractualisation avec les collectivités d'une échelle inférieure. Je pense aux contrats de territoire, par exemple pour les EPCI qui n'ont pas les moyens de réfléchir à l'aménagement.
Je ne veux pas indiquer d'arbitrages parce que ce n'est pas mon rôle. Le Premier ministre et moi en débattrons. Il n'empêche qu'il faudra qu'ils soient rendus assez rapidement afin de pouvoir agir d'ici à la fin de l'année.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Votre réflexion sur l'absence de vision concernant l'aménagement du territoire est intéressante. J'ai cru percevoir des larmes de regret s'agissant de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar). Vous semblerait-il pertinent de recréer cette structure ?
Au-delà de la Datar, nous nous interrogeons sur la conception et la mise en oeuvre des politiques de la ville. En regardant les organigrammes des administrations centrales, il semble que ces questions aient complètement disparu. Ainsi, l'ANCT, qui est historiquement la concaténation de la Datar, du secrétariat général du comité interministériel des villes et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), est absente des politiques Villages d'avenir ou Petites Villes de demain.
Estimez-vous, si nous devions les redéployer, que les politiques publiques d'aménagement auraient leur place à l'échelle de l'administration centrale ? Si oui, à quel endroit ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous essayez de m'arracher des réponses ! Personnellement, je regrette clairement la fin de la Datar. Nous manquons d'un organisme central capable de produire des réflexions.
Je viens justement de confier à Dominique Faure une mission sur les moyens de concevoir la politique d'aménagement du territoire. Elle rendra un rapport avant la fin de l'année. Il est indispensable de réfléchir de façon globale, car - vous avez raison, messieurs, mesdames les sénateurs - les politiques actuellement menées ne visent que des problèmes de petite taille. Or la France est confrontée également à des problèmes à une échelle plus large : industrie, développement économique...
Prenons une carte des maisons France Services - heureusement, ce dispositif est peut-être le plus réussi en la matière - et des Villages d'avenir : elle montrera que des actions sont menées dans les espaces ruraux. Toutefois, même si je suis très content des actions de l'ANCT, celles-ci ne suffisent pas à constituer une politique d'aménagement du territoire. Je suis désolé d'avoir à le dire !
Je regrette d'ailleurs que les villes soient mal perçues, en ce moment. Elles ont perdu leur attrait alors même que les pratiques nouvelles s'y développent. Même si je suis un défenseur du monde rural, je défends aussi la ville : l'énergie est en ville, l'authenticité dans le monde rural. Il faut avoir ce constat en tête pour avancer.
Mme Catherine Di Folco. - Nous sommes sur la même longueur d'onde.
M. Hervé Reynaud. - En tant qu'élu de la Loire, je crois en la contractualisation. J'ai été ravi d'entendre ce terme ! Même s'il faut des garde-fous, comment expliquer aux élus et donc à la population que certaines décisions sont prises par des personnes qu'on ne voit jamais et qui n'ont pas de légitimité démocratique ? Cette situation problématique suscite une défiance.
Je suis content de constater que nous sommes d'accord sur certains points, d'où l'intérêt d'avoir un parcours d'élu local.
M. François Rebsamen, ministre. - Ça aide !
M. Sébastien Fagnen. - Nous sommes heureux d'apprendre qu'une mission a été confiée à Dominique Faure pour définir une politique d'aménagement du territoire nationale. En effet, la prestation ne fait pas la vision. Quelles prérogatives ont été confiées à Mme Faure ? À quelles problématiques doit-elle répondre ?
Serait-il possible que l'État rompe avec la politique de guichet que sont les appels à projets permanents ? Cette logique, dont souffrent nos collectivités territoriales et leurs élus, grève la vision à long terme dont nous devons disposer pour aménager correctement le territoire national et faire face aux enjeux que vous avez évoqués, auxquels j'ajouterai la réduction des inégalités sociospatiales. Celle-ci doit être agrégée aux réflexions de l'ancienne ministre Dominique Faure.
M. Michaël Weber. - Vous vous êtes dit un homme de la ville. Même si je suis plutôt un rural, je crois en la solidarité : l'aggravation de la fracture entre ces deux espaces ne serait bonne pour personne et sans doute pas pour nos concitoyens.
Je regrette les années 1960 et 1970, durant lesquelles la Datar permettait de porter une ambition par ses anticipations. Les élus aménageaient le territoire à partir de ces projections. Je vois bien tout ce qui est mis en oeuvre actuellement, notamment dans les territoires ruraux : programme Petites Villes de demain, maisons France Services... Personne n'a vraiment le sentiment que ces réponses soient efficaces pour le citoyen et sans doute pour l'élu lui-même. Elles le sont peut-être : ayant longtemps été président de la commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT) de Moselle, je connais des maisons France Services qui fonctionnent très bien et je me rends compte de leurs efforts.
Comment rendre ces politiques non seulement réellement efficaces, mais aussi visibles ? Comment mettre fin au sentiment d'abandon et à l'impression de fracture entre les espaces ruraux et urbains ? Comment susciter à nouveau l'espoir dans ces territoires ? On développe en permanence de multiples outils dont on ne perçoit peut-être plus tout à fait la cohérence.
M. François Rebsamen, ministre. - Oui à la contractualisation, non aux appels à projets : le message est unanime. J'ai eu de nombreuses réunions avec l'ensemble des associations d'élus depuis quelque temps et toutes vont clairement en ce sens. Elles en ont assez des appels à projets, sources de complexification et de perte de temps, d'autant qu'ils coûtent cher sans forcément aboutir.
Peut-être aurons-nous bientôt l'occasion de tirer le bilan des contrats qui ont été conclus. Avant une grande élection, il serait positif de savoir où nous en sommes ! Il fut un temps où il existait de vrais contrats de plan, contrairement aux plans actuels faits de contrats qui ont pu s'user, faute de crédits et en raison d'engagements non suivis d'effet, la parole n'étant pas tenue. Mon constat est très dur, mais les élus locaux connaissent cette vérité.
Tirer le bilan de la contractualisation devrait nous amener à réfléchir à une nouvelle conception globale de l'aménagement du territoire. Celle-ci doit mettre la France en débat, en s'appuyant, quelle que soit la formule retenue et avant la mise en place de conseils de développement, sur les élus. Nous savons comment faire pour consulter la population.
Pour répondre plus précisément à votre question, je pense qu'il est possible de renouer le lien entre les territoires ruraux, rurbains et la ville, même si l'espace rural profond est une réalité particulière. Les politiques menées par l'ANCT le permettent, qu'il s'agisse des Villages d'avenir ou des 3 000 maisons France Services à moins de vingt minutes de trajet... Toutefois, pour recréer un vrai lien, il faut développer le transport entre le monde rural et la ville. Cela nécessite une réflexion globale, qui peut se mener par territoire.
De fait, la priorité des priorités est-elle d'ouvrir une nouvelle ligne à grande vitesse qui permettra de ne gagner que trois minutes dans un endroit qui n'en a pas forcément besoin ? Je ne cite pas de lieu, mais je pense clairement à un exemple. Ne faudrait-il pas plutôt développer un nouveau réseau de transport autour des chefs-lieux - il ne s'agit pas forcément des grandes métropoles, mais de capitales départementales ou régionales -, permettant à tout citoyen du monde rurbain et rural d'accéder à la ville de manière propre et rapide ?
J'y insiste : pour permettre à tout le monde d'accéder aux services publics - certains annoncent déjà qu'ils mèneront une nouvelle politique de logement ou de peuplement... -, il faut réfléchir aux transports. Je suis sincèrement persuadé qu'une bonne partie de la crise des « gilets jaunes » s'explique par ce sujet. Les villes ont une énergie vitale et le monde rural une authenticité dont il nous faut prendre conscience, car la ruralité nous apporte beaucoup pour des raisons historiques.
M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions pour votre disponibilité et, surtout, pour vos paroles claires, franches et concrètes, sources d'enseignements et de confirmations. La mise en relation entre le terrain et les services centraux est le sujet sur lequel nous travaillons, sous le prisme de la réorganisation que nous appelons tous de nos voeux. Cette dernière permettra de déployer les services publics et de rendre visible l'État sur tous les territoires.
Nous n'avons pas parlé des douze mesures clés pour simplifier l'action des collectivités ni du Roquelaure, au centre des discussions des responsables de service. En effet, au-delà de l'échelle nationale de notre commission d'enquête, la simplification à l'échelle de la secrétaire de mairie ou de la directrice générale des services est un vrai sujet : marchés publics, appels à projets... Le guichet unique est un sujet qui résonne très fortement. Il faut sortir d'une organisation qui ressemble à la « maison qui rend fou » ! Les agents sont nombreux à compter sur nous pour faire en sorte que leur métier soit ainsi plus attractif, notamment d'un point de vue salarial.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.