E. MIEUX VALORISER LES LANGUES RÉGIONALES DANS LE CURSUS SCOLAIRE
1. Un besoin urgent de prévisibilité et d'égalité entre les langues régionales au brevet des collèges
La possibilité pour les élèves en filière bilingue ou immersive de pouvoir présenter une partie des épreuves en langue régionale - qui est la langue d'apprentissage de la discipline tout au long du collège, voire de leur scolarité - est une question particulièrement sensible et récurrente pour le diplôme national du brevet depuis plus de vingt-cinq ans.
Comme sur de nombreux autres points en ce qui concerne l'enseignement des langues régionales, l'autorisation de composer dans une langue autre que le français résulte de négociations bilatérales entraînant des différences de traitement entre langues régionales, mais aussi pour une même langue régionale selon que l'élève fréquente un établissement privé immersif associatif, un autre type d'établissement privé ou l'école publique.
Ainsi, depuis 1994, les collégiens du réseau Diwan peuvent composer l'épreuve d'histoire-géographie en breton. Cette possibilité de rédiger en langue régionale a été élargie par arrêté du 18 août 1999 à l'ensemble des élèves de troisième des sections bilingues français-langue régionale, les élèves devant faire connaître leur choix de la langue de composition au moment de l'inscription à l'examen.
En 2011, sur dérogation, la possibilité de passer les épreuves de mathématiques en langue régionale a été ouverte aux élèves de l'enseignement privé immersif associatif avant de l'élargir à l'ensemble des élèves en 2022. Ce schéma s'est répété pour l'épreuve de sciences ouverte en 2023, uniquement aux élèves des réseaux associatifs de l'enseignement privé immersif, avant d'être élargie à tous les élèves en 2025.
L'annonce d'une réforme des modalités d'examen pour le diplôme national du brevet suscite de nombreuses interrogations auprès des élèves, de leurs familles et des enseignants des filières bilingues. En effet, à la différence de l'épreuve d'histoire-géographie pour laquelle les textes prévoient explicitement la possibilité de rédaction en langue régionale, aucune précision n'est apportée sur les épreuves de sciences et de mathématiques. À ce stade, les élèves et enseignants ne savent donc pas si le régime dérogatoire est maintenu dans la nouvelle mouture de cet examen. Les réponses de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) aux questions des rapporteurs alimentent ce flou : « l'évolution du DNB à compter de la session 2026 implique de revoir la place des langues régionales dans ce nouveau cadre ».
Pour les rapporteurs, il est urgent de clarifier cette situation en précisant dans l'arrêté du 31 décembre 2015 relatif aux modalités d'attribution du DNB - texte de référence qui définit le cadre de cet examen - la possibilité pour les élèves volontaires des filières bilingues français-langue régionale de passer les épreuves de mathématiques et de sciences en langue régionale, dans les mêmes conditions que celle d'histoiregéographie - éducation morale et civique.
Cette modification réglementaire s'inscrirait dans la création d'un cadre national pour les langues régionales que les rapporteurs appellent de leurs voeux.
Recommandation n° 20 : Réaffirmer, à la suite de la réforme du diplôme national du brevet pour la session 2026, la possibilité pour les élèves volontaires de composer certaines épreuves du brevet en langue régionale. Inscrire cette possibilité dans un cadre national pour assurer une équité entre les élèves qui reçoivent un enseignement en langue régionale.
Se pose également la question de la langue utilisée pour les énoncés et les documents. En novembre 2023, le ministère de l'Éducation nationale a transmis un courrier à l'ensemble des recteurs et des chefs d'établissement concernés pour indiquer qu'« afin de respecter l'équité de traitement pour tous les élèves lors des examens et de sécuriser la passation, il convient de rappeler que, quelle que soit la langue de composition, les sujets et les documents d'accompagnement des sujets ne sont pas traduits en langue régionale et demeurent en français ». Ce courrier, à rebours de la pratique observée dans certaines académies, notamment pour les élèves brittophones et bascophones, a suscité un vif émoi parmi les élèves.
Après plusieurs interventions des parents, des enseignants et des élus locaux, le ministère est finalement revenu sur sa décision en avril 2024. Par un courrier aux élus locaux, Nicole Belloubet, alors ministre de l'Éducation nationale indique que « pour cette session 2024, les modalités de traitement des langues vivantes régionales des sujets du DNB et de leur traduction, [sont reconduites] afin de maintenir une stabilité du cadre d'évaluation pour cette dernière session du DNB actuel ».
Au nom de l'équité entre élèves, les rapporteurs appellent à maintenir cette traduction des énoncés et des documents en langue régionale. Disposer de documents dans une langue et devoir composer dans une autre rend plus difficile pour les élèves la reformulation et l'appui sur les documents qui font pourtant partie des critères d'évaluation des candidats au brevet des collèges.
2. La nécessité d'une meilleure reconnaissance des langues régionales au baccalauréat
L'ensemble des acteurs constatent que le passage du collège au lycée constitue le deuxième moment majeur de décrochage dans l'apprentissage des langues régionales, après le passage de l'école au collège.
Les langues régionales, comme toutes les options, souffrent très fortement de la réforme du lycée et du baccalauréat. D'une part, elles sont beaucoup moins valorisées qu'auparavant dans le calcul de la note du baccalauréat. D'autre part, les heures d'option sont souvent reléguées à des horaires peu attrayants, quand celles-ci ne sont pas supprimées en raison d'une dotation horaire globale absorbée pour la mise en oeuvre des différentes spécialités et des demi-groupes dans les autres langues vivantes.
L'annonce à la rentrée 2025, de la création dès la session 2026 d'une épreuve anticipée de mathématiques, suscite de nombreuses questions de la part des élèves et des enseignants, notamment au Pays Basque. En effet, entre 2012 et 2018, dernière année de l'ancien baccalauréat, les élèves de terminale avaient la possibilité de passer l'épreuve de mathématiques en langue basque31(*). Depuis la réforme du baccalauréat, il n'existe plus, en tant que telles, d'épreuves terminales en langue régionale : l'histoiregéographie, discipline reine pour parmi DNL, est désormais évaluée en contrôle continu. Il en est de même pour l'enseignement scientifique.
Depuis septembre se fait entendre une demande de pouvoir passer cette épreuve de mathématiques en langue régionale, comme cela était possible avant 2019. Les rapporteurs sont favorables à cette demande, d'autant plus qu'il s'agit de la langue dans laquelle ont lieu les apprentissages.
Plus généralement, les rapporteurs souhaitent que davantage de disciplines, notamment des épreuves de spécialité ou une partie du grand oral, puissent être présentées en langue régionale.
La préparation aux épreuves de
spécialités mathématiques au lycée
Extepare
entre cours en basque et préparation d'une épreuve en
français
M. Garikoitz Mujika Zubiarrain, directeur de l'établissement, a précisé les conditions dans lesquelles les bacheliers de Seaska préparent l'épreuve de spécialité de mathématiques. Les cours ont lieu intégralement en langue basque alors que l'épreuve doit être présentée en français. Lors du premier bac blanc, les élèves ont la possibilité de rédiger en basque ou en français. En revanche, pour le deuxième bac blanc, leur copie doit être en français afin de les préparer aux conditions de passage de l'épreuve.
Les rapporteurs sont conscients de la difficulté supplémentaire qu'est celle de trouver des correcteurs de copie et examinateurs maîtrisant à la fois le contenu disciplinaire et la langue régionale.
Aussi, ils proposent que dans chaque académie, il soit procédé au recensement des correcteurs disposant d'un niveau suffisant en langue régionale susceptibles d'être mobilisés pour corriger des copies d'examen ou les épreuves orales des disciplines linguistiques. Lors de son audition, l'office public de la langue basque a indiqué avoir transmis à l'académie de Bordeaux une telle liste.
Recommandation n° 21 : Permettre aux élèves volontaires de passer en langue régionale la nouvelle épreuve anticipée de mathématiques du baccalauréat. Élargir cette possibilité aux spécialités ou au grand oral.
Recommandation n° 22 : Procéder dans chaque académie au recensement des correcteurs disposant d'un niveau suffisant en langue régionale.
3. Une même importance à accorder aux langues régionales qu'aux autres langues vivantes européennes
Paradoxalement, si les sondages réalisés dans les territoires concernés par les langues régionales montrent un attachement de la population aux langues régionales, celles-ci pâtissent encore d'un manque de reconnaissance dans la sphère publique. Un responsable de l'éducation nationale a ainsi indiqué aux rapporteurs que la mention de l'apprentissage de ces langues sur Parcoursup reste très peu valorisée par les établissements de l'enseignement supérieur.
Pour les rapporteurs, un signe fort doit être envoyé afin de montrer que ces langues sont des langues vivantes comme les autres langues européennes. L'évaluation de leur maîtrise par l'éducation nationale et les objectifs de niveau à atteindre se font d'ailleurs en référence au cadre européen commun de référence pour les langues (CERCL), également utilisé pour les autres langues enseignées à l'école en LVA, LVB ou LVC, telles que l'anglais, l'allemand, l'espagnol ou l'italien.
Les rapporteurs soulignent la mise en place pour l'anglais du test Ev@lang collège depuis la rentrée scolaire 2021-2022, afin d'évaluer leur niveau au regard de référentiel européen des langues. Celui-ci, qui est un test 100 % en ligne, concerne tous les élèves scolarisés en classe de troisième. Ce test est conçu par France Éducation international qui est un organisme expert en matière de certification linguistique et opérateur public sous tutelle du ministère de l'Éducation nationale.
Sur ce modèle, ils préconisent que les élèves volontaires suivant un enseignement en langue régionale puissent bénéficier à différents moments de leur scolarité - par exemple à la fin du CM2, du collège et au baccalauréat - d'une certification de leur niveau de langue régionale.
Recommandation n° 23 : Proposer aux élèves à la fin du primaire, du collège et en classe de terminale une certification en langue régionale visant à évaluer leur niveau au regard du cadre européen commun de référence (A1 à C2) sur le modèle d'Ev@lang au collège pour l'anglais afin que les langues régionales bénéficient du même niveau de reconnaissance que les autres langues vivantes européennes. Inscrire cette certification sur le diplôme national du brevet ou du baccalauréat.
* 31 En 2018, une demande similaire a été portée par des lycéens de la filière bilingue breton. 14 d'entre eux du lycée Diwan de Carhaix ont d'ailleurs composé leurs épreuves de mathématiques en breton en signe de protestations vis-à-vis de la différence de traitement avec leurs homologues basques et corses.