EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 15 OCTOBRE 2025

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M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Max Brisson et Karine Daniel consacré à la mise en oeuvre de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales, dite loi Molac.

M. Max Brisson, rapporteur. - À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la consolidation de notre République s'est faite par une relégation des particularismes locaux dans la sphère privée, au nom de l'unité nationale. Parmi ces derniers figurent ce que nous appelons aujourd'hui les langues régionales et qui étaient autrefois connus sous le nom de patois, dialectes ou idiomes. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur transmission dans le cadre familial a également commencé à décroître, entraînant à partir des années 60 un recul spectaculaire de leur pratique.

La loi Deixonne de 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux est davantage un texte de tolérance que de valorisation. Les professeurs peuvent recourir à ces langues pour aider leurs élèves à mieux assimiler les savoirs fondamentaux, dont le français.

Quant à la réforme constitutionnelle de 2008 qui introduit la reconnaissance des langues régionales, elle est la conséquence d'un sursaut militant qui s'intensifie à partir des années 70. L'article 75-1 de la Constitution précise que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Cette révision constitutionnelle n'a toutefois pas eu d'effets concrets majeurs.

Aucun projet de loi n'est venu tirer profit de cette révision constitutionnelle.

Dans le même temps, et malgré le sursaut militant, le nombre de locuteurs diminue inexorablement. Voici quelques chiffres pour mesurer cette chute : 60 % des locuteurs en breton ont plus de 60 ans. Pour le gallo, plus de la moitié de la population de Bretagne ignore même l'existence de cette langue. Je pourrais multiplier les exemples. Je citerai seulement les chiffres pour l'alsacien qui sont significatifs de cette perte de transmission intergénérationnelle : 70 % de la population alsacienne de plus de 55 ans maîtrise cette langue ; mais ce taux n'est plus que de 9 % chez les 18-24 ans.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Sans sursaut politique et sociétal fort, nos langues régionales, à de rares exceptions, seront quasiment toutes éteintes d'ici une à deux générations.

C'est dans ce contexte que notre collègue député Paul Molac a déposé la proposition de loi qui porte son nom. Je tiens à le souligner : pour la première fois, nous avons débattu des langues régionales dans un climat serein et apaisé, loin des invectives sur une remise en cause de l'unité nationale.

Notre commission a souhaité en janvier dernier lancer de manière transpartisane une mission d'évaluation de cette loi.

Nous avons centré notre rapport sur les articles relatifs à l'enseignement de cette loi pour deux raisons.

Tout d'abord, parce que l'article relatif au bilinguisme dans les communications institutionnelles et les panneaux de signalisation ne pose pas de problème.

Ensuite et surtout, parce que la transmission familiale, à de rares exceptions, est désormais marginale. L'avenir des langues régionales est désormais à l'école.

Pour cette même raison, nous nous sommes concentrés sur les langues de France en métropole. La transmission familiale est encore forte dans les départements et territoires d'outre-mer. Par ailleurs, une réglementation particulière s'y applique en matière de reconnaissance de ces langues et de rôle des collectivités territoriales, dans les territoires d'outre-mer, mais aussi dans les départements ultramarins.

En revanche, nos recommandations sont applicables à l'ensemble du territoire sur lequel l'État est compétent en matière d'enseignement scolaire. Nous avons également demandé au ministère les effectifs pour toutes les langues enseignées : cela inclut le créole, le tahitien et le mélanésien.

M. Max Brisson, rapporteur. - Que prévoit la loi Molac en matière d'enseignement des langues régionales ? Il s'agit de le renforcer, de prévoir la signature de conventions entre l'État et les collectivités territoriales et de clarifier la participation financière des communes au financement des établissements d'enseignement privés en langue régionale.

Cette loi a fait naître de nombreuses attentes et espoirs parmi les défenseurs des langues régionales. C'est aussi la raison pour laquelle la censure partielle du Conseil constitutionnel de ce texte, notamment de l'article relatif à l'enseignement immersif, a suscité une vague de mécontentement et d'incompréhension sur nos territoires. Elle a frappé des structures qui en 40 ans ont acquis une légitimité, un savoir-faire et une reconnaissance.

Je tiens à l'affirmer avec force : les réseaux privés d'enseignement immersif ont pendant longtemps porté seuls et à bout de bras la survie des langues régionales. Leur rôle ne doit pas être sous-estimé.

L'État a d'ailleurs souvent considéré que les familles souhaitant offrir un enseignement en langue régionale n'avaient qu'à se tourner vers cet enseignement privé.

Celui-ci a une mission de service public reconnue par l'État : les premiers contrats d'association entre le ministère de l'éducation nationale et ces établissements scolaires datent de 1994, soit il y a plus de 30 ans.

C'est aujourd'hui tout un écosystème qui est remis en cause par cette décision constitutionnelle.

A l'initiative du Premier ministre, le ministère de l'éducation nationale a publié le 14 décembre 2021 une circulaire proposant un cadre modernisé pour l'enseignement des langues régionales. Elle reconnaît l'intérêt éducatif du bilinguisme français/langue régionale et appelle à développer les ouvertures de classes bilingues au primaire, collège et lycée.

Surtout, elle trouve une voie de passage pour l'enseignement immersif dans les premiers cycles du primaire. Elle assouplit ainsi l'obligation de parité horaire - comprise dans la précédente circulaire comme l'impossibilité d'avoir plus de 50 % du volume hebdomadaire de cours dans une langue autre que le français - en permettant de calculer ce quota à l'échelle de plusieurs cycles scolaires.

Ce texte permet l'ouverture de filières immersives dans l'enseignement public, avec un cycle de maternelle en langue régionale, qui peut se prolonger sur une partie du cours préparatoire (CP). Le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) de mon département s'est d'ailleurs saisi de cette possibilité pour ouvrir quatre CP immersifs en basque en cette rentrée scolaire dont trois dans le public, dans la suite de parcours immersifs en maternelle. La première partie de l'année de CP est en basque, le français est progressivement introduit à partir de janvier. Aujourd'hui 34 école primaires publiques accueillent au Pays basque une filière immersive en maternelle et en CP.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Quatre ans après le vote de cette loi, quel bilan peut-on en tirer ?

Un point positif tout d'abord : ce texte a permis une reconnaissance des langues régionales et conduit les pouvoirs publics à devoir les prendre en compte.

Toutefois, au-delà de ce symbole, les effets concrets de cette loi restent insuffisants.

Commençons par les effectifs scolaires. À la rentrée 2023, plus de 168 000 élèves suivent un enseignement d'une langue régionale. Les deux tiers d'entre eux sont scolarisés dans le premier degré. D'ailleurs, dans le primaire, les effectifs sont en progression de 47 % entre 2021 et 2023. Cette augmentation est d'autant plus remarquable que dans le même temps le nombre d'écoliers chute de 172 000 en raison de la déprise démographique.

De leur côté, le nombre de filières bilingues augmente. Enfin, bien qu'encore confidentielles, les filières immersives commencent à se mettre en place, y compris dans le public, notamment pour le basque, le corse ou l'alsacien.

Cette évolution positive doit toutefois être nuancée pour trois raisons.

Tout d'abord, le rythme de développement de l'enseignement est insuffisant pour compenser la rapide diminution du nombre de locuteurs.

Par ailleurs, les ouvertures des filières bilingues sont décrites comme un parcours du combattant par les acteurs concernés.

Enfin, ces chiffres du ministère de l'éducation nationale, qui montrent une croissance des effectifs, ne font pas de distinction entre les différentes intensités d'enseignement. Ils regroupent à la fois des élèves en filière bilingue voire immersive, mais aussi des élèves bénéficiant d'une simple initiation de quelques heures par an. Celle-ci est pourtant insuffisante pour former des locuteurs complets.

Par ailleurs, cette satisfaction sur le primaire cache l'effondrement des effectifs à l'entrée dans le secondaire. Ils poursuivent d'ailleurs leur chute dans la suite de la scolarité. Les réformes du lycée puis du baccalauréat ont été très fortement préjudiciables aux langues régionales. Elles ont été oubliées dans le projet initial et rattrapées in extremis, de manière bancale.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : moins de 1 000 élèves de terminale présentent une langue régionale en LVC au bac. Ils sont moins de 400 à présenter une discipline non linguistique - l'histoire géographique dans la très grande majorité des cas - en langue régionale. Quant à la spécialité « littérature, langue et culture », présentée par le ministère comme leur prise en compte dans les nouvelles spécialités, à peine 230 lycéens, toute langue régionale confondue, l'ont conservée en terminale en 2023.

M. Max Brisson, rapporteur. - Deuxième point de vigilance : les difficultés perdurent dans l'application du forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs. La modification apportée par la loi Molac n'a pas permis de régler la situation.

D'un côté, des réseaux d'établissements d'enseignement immersif nous ont indiqué continuer à avoir des difficultés à percevoir ces sommes. Plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'euros sont en jeu en fonction des réseaux.

Ils hésitent à aller plus loin et à s'engager dans une démarche contentieuse par peur d'une remise en cause de leur méthode pédagogique par le juge administratif au regard de la décision du Conseil constitutionnel.

De l'autre, des élus se sont émus d'avoir reçu des factures sans aucune forme de négociations, et rappellent que la participation financière de la commune résulte d'un accord. Par ailleurs, certaines communes rurales alertent sur une double peine : devoir payer pour les élèves de leur territoire scolarisés dans ces établissements scolaires, et subir une fermeture de classe dans leur école publique à quelques élèves près.

Quoi qu'il en soit, il est urgent de clarifier la rédaction de cette disposition législative.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Je finirai ce bilan par les conventions prévues par la loi entre l'État et les collectivités territoriales pour la promotion et l'apprentissage des langues régionales.

De l'avis des personnes que nous avons rencontrées, ces conventions constituent un élément structurant et permettent de fixer des trajectoires.

La loi a également permis de relancer des discussions qui s'enlisaient.

Mais parce que les attentes par rapport à ces documents sont fortes, la déception l'est tout autant. Là encore, les raisons sont multiples. Certains territoires ne sont pas couverts par des conventions. C'est le cas du département de la Loire-Atlantique pour le breton.

Des conventions arrivées à échéance ne sont pas renouvelées.

Par ailleurs le contenu de la convention n'est pas respecté. Pour l'alsacien, le rectorat a conscience que l'objectif de 50 % des élèves inscrits en section langue régionale à parité horaire en maternelle en 2030 est inatteignable. À la rentrée 2024, seuls 20 % des élèves de maternelle du public et 21 % des élèves de maternelle du privé sont scolarisés dans de telles filières. Il en est de même pour le breton sur le nombre d'élèves en filières bilingue à l'horizon de 2027.

Enfin, le contexte budgétaire impacte nécessairement la mise en place des conventions. Certaines déclinaisons opérationnelles sur trois ans de convention ont désormais pris un rythme annuel, ce qui limite la capacité à se projeter sur le moyen terme pour l'ensemble des parties prenantes.

M. Max Brisson, rapporteur. - Une fois ce bilan dressé, quelles sont nos recommandations ?

Le constat est sans appel : sans sursaut d'envergure, la plupart de nos langues régionales sont condamnées à très court terme.

Nombreux ont été les ministres à affirmer devant les parlementaires leur attachement aux langues régionales. Il est désormais temps que ces propos tenus à la tribune des assemblées se concrétisent dans les politiques publiques. Nos recommandations s'articulent autour de cinq axes.

Il s'agit tout d'abord de définir une stratégie nationale de promotion et d'enseignement des langues régionales.

Le développement de l'enseignement de ces langues relève aujourd'hui de rapports de force, de statuts dérogatoires obtenus dans des négociations bilatérales entre le territoire concerné et l'État. Ces multiples héritages entraînent des différences de traitement entre les langues, parfois pour la même langue entre deux académies.

Cette stratégie nationale doit pour nous se concrétiser de plusieurs manières : il s'agit tout d'abord de renforcer la coordination et la promotion de politiques linguistiques à l'échelle nationale et territoriale. Ce sont nos recommandations nos 1 à 3.

Je m'attarderai un peu plus longtemps sur les recommandations nos 4 et 5. Elles découlent directement de la censure par le Conseil constitutionnel de l'article relatif à l'enseignement immersif.

Il me paraît important de rappeler quatre points. Tout d'abord, en raison de la quasi-extinction de la transmission familiale, le recours à l'enseignement immersif est le moyen le plus efficace pour former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues.

Par ailleurs, les réseaux d'enseignement immersifs jouent un rôle de service public qui va au-delà de ce que prévoit leur contrat d'association avec l'État, notamment en termes de transmission linguistique. Nombreux sont les enseignants brittophones ou bascophones de l'école publique qui sont d'anciens élèves des réseaux Diwan ou Seaska.

Le législateur avait pour objectif, lors de l'introduction de cet article, de former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues, sans préjudice à l'apprentissage du français.

Enfin l'enseignement immersif est avant tout une méthode pédagogique qui n'aurait pas dû relever du domaine de la loi. Toutefois, il faut désormais tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel qui fragilise cette modalité d'enseignement.

La Constitution prévoit que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il doit pour nous en découler la possibilité de prendre les mesures nécessaires à leur sauvegarde, notamment en formant des locuteurs complets.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - J'en viens à notre deuxième axe : le développement d'une véritable offre d'enseignement en langue régionale à l'école publique. Elle a longtemps été un lieu de mise à l'écart de ces langues. C'est donc l'école privée qui, à bout de bras, a porté la sauvegarde des langues régionales. L'éducation nationale, sous la pression des familles et des élus locaux, s'est longtemps contentée, dans de nombreux territoires, de saupoudrer au gré des ressources disponibles, quelques heures dans les écoles publiques, mais sans véritable politique.

À l'instar de l'école privée, l'école publique doit se donner les moyens de former des locuteurs de bon niveau dans les deux langues.

Tel est l'objet des recommandations nos 6 à 8. Elle porte sur le développement de l'enseignement immersif dans les premiers cycles du primaire public ainsi que sur la construction de parcours bilingues de la maternelle au lycée pour permettre la montée de cohortes.

Par ailleurs, nous plaidons pour les langues pour lesquelles il existe déjà un nombre significatif de filières bilingues de passer à une logique de l'offre sans attendre une mobilisation des parents pour ouvrir une telle filière dans leur école publique de secteur.

Cette politique de l'offre est d'ailleurs celle employée par l'éducation nationale dans de nombreux autres domaines, notamment pour les langues étrangères. Bien évidemment, la scolarisation d'un enfant dans une filière bilingue restera facultative et soumise à l'accord des parents.

M. Max Brisson, rapporteur. - Notre troisième axe vise à sécuriser financièrement les réseaux d'enseignement privés immersifs. La rédaction de l'article 6 de la loi Molac n'a pas permis d'apaiser les tensions sur le terrain. Il est nécessaire que soient clarifiées les conditions d'enseignement d'une langue régionale au sein d'une école de la commune pour que cette dernière soit dispensée du paiement du forfait scolaire. Il est également nécessaire d'indiquer ce que la médiation du préfet recouvre et de rappeler la nécessité dans chaque département de se doter d'un forfait départemental moyen, pour que la contribution demandée à la commune puisse être objectivement analysée.

L'axe 4 concerne l'accroissement des ressources humaines disponibles pour enseigner ces langues. L'ensemble des personnes rencontrées ont pointé comme frein principal au développement de l'enseignement des langues régionales les carences en ressources humaines. C'est d'ailleurs le coeur de notre rapport avec les recommandations nos 9 à 18.

Nous proposons quatre pistes d'action : tout d'abord identifier les ressources dormantes, c'est-à-dire un professeur qui maîtrise une langue régionale mais ne l'enseigne pas dans les académies concernées ou dans toute la France.

Ensuite, il faut davantage inclure les langues régionales dans la formation initiale des enseignants et ne pas manquer le virage de la réforme en cours qui avance le concours à bac+3.

Nous souhaitons mettre en garde le ministère contre toute tentative de réduire la prise en compte des langues régionales dans la formation initiale des enseignants à des cours d'initiation ou de sensibilisation. Un volume horaire conséquent est nécessaire pour disposer d'une bonne maîtrise de la langue. Par ailleurs, maîtriser une langue et être capable d'enseigner une discipline en langue régionale sont deux choses différentes.

Troisième piste d'action face à la carence en ressources humaines : la formation continue. Je profite de ce point pour saluer le travail remarquable que font les collectivités territoriales et les offices publics des langues régionales, qui sont des partenaires essentiels des rectorats pour la formation continue des professeurs - et bien souvent pionniers en la matière.

Enfin, les enseignants doivent être davantage accompagnés. Cela passe par un soutien aux structures produisant des contenus pédagogiques en langue régionale, ainsi que par la mise en place de cadres de l'éducation nationale spécialisés en langue régionale dans chaque territoire concerné. Je pense aux conseillers pédagogiques ou aux inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). Ils sont essentiels pour animer une politique à l'échelle territoriale et soutenir les enseignants.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - J'en viens à notre cinquième et dernier axe : une meilleure valorisation des langues régionales tout au long de la scolarité. Il regroupe les recommandations nos 19 et 23.

La possibilité pour les élèves en filière bilingue ou immersive de pouvoir présenter une partie des épreuves en langue régionale est une question particulièrement sensible pour le diplôme national du brevet (DNB) depuis plus de vingt-cinq ans. Après de longs combats, les textes prévoient cette possibilité pour l'épreuve d'histoire-géographie. Par dérogation, cette possibilité a été élargie aux mathématiques puis à l'épreuve de sciences. Or le brevet est modifié en 2026. De nombreux élèves et enseignants s'interrogent pour savoir si la dérogation pour les épreuves de mathématiques et de sciences est maintenue.

Nous avons interrogé la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) il y a un mois sur ce sujet. Voici la réponse obtenue dans un contexte certes particulier - à savoir un gouvernement démissionnaire : « l'évolution du DNB à compter de la session 2026 implique de revoir la place des langues régionales dans ce nouveau cadre ». J'espère que le nouveau ministre de l'éducation tranchera rapidement ce point.

J'en viens au baccalauréat. Entre 2012 et 2018, dernière année de l'ancien baccalauréat, les élèves bascophones de terminale avaient la possibilité de passer l'épreuve de mathématiques en langue régionale. Les élèves bretons avaient d'ailleurs la même revendication, quatorze d'entre eux ayant rédigé leur copie en breton. De même l'histoire-géographie, épreuve reine des disciplines non linguistiques (DNL), pouvait être passée en langue régionale. Avec la réforme du baccalauréat, ces deux matières font l'objet d'un contrôle continu.

Nouveauté pour la session 2026, il y aura désormais une épreuve anticipée de mathématiques. Nous souhaitons, comme c'était le cas auparavant que les élèves volontaires puissent composer en langue régionale. Plus généralement, nous demandons à ce qu'un nombre plus important d'épreuves puissent être passées en langue régionale au baccalauréat, notamment une partie du grand oral.

Enfin, les langues régionales continuent de pâtir d'une moindre reconnaissance par rapport aux autres langues vivantes. Nous devons changer le regard que nous portons sur celles-ci. Aussi, nous proposons une certification du niveau de langue pour les élèves volontaires de CM2, troisième et en classe de terminale.

Mes chers collègues, les langues régionales appartiennent au patrimoine immatériel de notre Nation. Soyons-en fiers et prenons toutes les mesures nécessaires pour le préserver.

Mme Annick Billon. - Le sujet des langues régionales revient régulièrement dans l'actualité, souvent sous la forme de revendications et d'attentes très fortes. Les vingt-trois recommandations des rapporteurs sont ambitieuses et couvrent l'ensemble des enjeux relatifs à ces langues, de leur préservation à leur diffusion.

J'ai le sentiment que vous appelez à un renforcement des écoles immersives, notamment privées. Est-ce bien votre objectif ? Il est également question de la langue régionale pour le concours d'enseignement du premier degré, avec l'instauration d'une bonification. Ces mesures me laissent penser que le rapport s'inspire directement du modèle catalan, lequel fait l'objet de critiques sur plusieurs points : ostracisation des personnes ne parlant pas catalan, impossibilité d'accéder à certains emplois dans la fonction publique sans maîtriser cette langue. Souhaitez-vous dupliquer ce modèle ou vous en rapprocher ?

Je m'interroge aussi sur les difficultés de mise en oeuvre des recommandations lorsque la langue régionale ne correspond pas à une région administrative, ce qui est le cas du basque. La région Nouvelle-Aquitaine est extrêmement vaste, allant du Pays basque à Niort et plusieurs langues régionales y sont parlées.

Par ailleurs, les propositions ne risquent-elles pas, in fine, d'imposer une deuxième langue officielle plutôt que de préserver la langue régionale ? N'est-ce pas vers cela que l'on se dirige ?

Je m'interroge également sur les moyens, financiers et matériels, nécessaires à la mise en oeuvre de ces propositions. Elles me paraissent ambitieuses et exigeraient des moyens tout aussi considérables. Vos recommandations conduisent-elles inéluctablement à une révision constitutionnelle ?

Enfin, quid de la charge que ces mesures pourraient induire pour les collectivités ?

Mme Sylvie Robert. - Je remercie nos deux rapporteurs pour ce rapport, dont nous partageons à la fois la philosophie et les recommandations. Vous avez eu raison de souligner qu'aujourd'hui l'avenir des langues régionales passe par l'école.

Vous avez également eu raison de qualifier l'enseignement immersif de méthode pédagogique, considérant qu'il constitue le moyen le plus efficace de former les locuteurs dans les deux langues. Je partage pleinement ce constat : il n'est pas anodin de l'affirmer aujourd'hui, surtout au regard des décisions récentes du Conseil constitutionnel.

Je voudrais, en revanche, revenir sur la recommandation n° 9, relative à la question du forfait scolaire. Pour « apaiser les tensions » - ce qui est nécessaire, car le sujet demeure toujours une source de conflits - vous proposez de « définir dans chaque département, lorsqu'il n'existe pas, un forfait scolaire départemental maternel et élémentaire ». Cela signifie-t-il qu'il faille l'imposer ? Cet aspect reste-t-il soumis à un accord ? Qui détermine le montant de ce forfait ?

Quant à la procédure de médiation et à la possibilité pour les préfets d'assurer le mandatement d'office, c'est une disposition bienvenue.

Nous savons que la question du forfait est singulière - comme l'a mentionné Max Brisson -, notamment lorsqu'il s'agit du déplacement d'enfants dans une commune entraînant la fermeture d'une classe. Cela génère de fortes tensions, même à l'échelle d'une communauté de communes ou d'un territoire. Cette éventualité restera-t-elle soumise à un accord et à une médiation, ou ira-t-on plus loin en imposant ce forfait à la commune tierce, au motif qu'il fait partie des coûts engendrés par les enseignants ? J'espère que nous pourrons, lors de l'audition du nouveau ministre de l'éducation nationale, recueillir son point de vue sur ce sujet.

Mme Sabine Drexler. - L'adoption de la loi Molac a été une étape historique. Pour la première fois, un texte législatif de portée nationale reconnaissait clairement le rôle et la valeur des langues régionales dans notre pays. Pour beaucoup d'acteurs associatifs et culturels, c'est un vrai pas en avant.

Toutefois, la réalité est plus nuancée, puisque le Conseil constitutionnel a malheureusement censuré la partie de la loi qui prévoyait la possibilité d'un enseignement immersif dans les écoles publiques, ce qui a fortement réduit sa portée.

Au quotidien, en particulier dans certains territoires, les difficultés sont nombreuses : manque d'enseignants formés, moyens financiers insuffisants et, surtout, la dépendance persistante à l'égard des décisions des rectorats et des académies, qui peuvent, selon les cas, freiner ou au contraire soutenir ces projets. En d'autres termes, la loi Molac a ouvert une porte, mais son application reste très inégale et fragile.

En Alsace, nous voyons bien ce décalage. La loi a marqué une avancée, mais nous sommes encore loin d'une véritable politique de revitalisation du dialecte. Certains vont même jusqu'à craindre un linguicide sans stratégie forte et volontariste. La défense de notre langue régionale - portée par la Collectivité européenne d'Alsace (CeA) - a connu de réelles avancées ces dernières années. Cependant, comme partout ailleurs, les moyens financiers diminuent.

La question du forfait scolaire crée aujourd'hui des tensions extrêmement fortes entre les communes, en particulier dans mon département, le Haut-Rhin. Certaines communes vivent très mal la contrainte de financer des dispositifs qui, in fine, entraînent la fermeture de leurs classes, voire de leurs écoles, tandis que la non-application de ce forfait prive les écoles privées sous contrat d'association - comme les écoles ABCM Zweisprachigkeit en Alsace - de ressources essentielles à leur maintien.

S'ajoute à cela le manque de postes sous contrat, générant un coût important pour la Collectivité européenne d'Alsace, qui cofinance les postes hors contrat à hauteur de 740 000 euros par an, pour des postes non pris en charge par l'éducation nationale.

Le développement de l'enseignement immersif, pourtant le plus efficace, demeure bloqué par le rectorat, alors que l'Alsace ne dispose que de quatre sites, ce qui est largement insuffisant.

Seule une politique volontariste, avec des moyens stables et une vision claire, permettra de véritablement revitaliser nos langues régionales. Sans cela, la loi risque de rester une déclaration d'intention sans effet réel sur la transmission de ces langues aux générations futures. C'est bien là tout l'enjeu : comment passer d'un cadre légal à une véritable dynamique de terrain ? Nous souhaitons que vos recommandations soient très vite mises en oeuvre.

Mme Monique de Marco. - Les langues régionales appartiennent au patrimoine immatériel de la France. Leur valorisation et leur promotion passent par leur utilisation et leur transmission. C'est pour cette raison que nous nous étions saisis du texte de Paul Molac en décembre 2020, que nous avions inscrit dans notre niche parlementaire. Celui-ci a ensuite été adopté à l'Assemblée nationale le 21 mai. Il est très intéressant que nous ayons pu faire un point d'étape, quatre ans après, sur les freins, les tensions, les avancées, les limites et les perspectives en cours. Je vous remercie donc pour tout le travail d'audition que vous avez mené, qui était assez complet.

Pour nous, la loi Molac a représenté une avancée législative importante, avec une reconnaissance plus forte des langues régionales dans la loi et des structures également créées pour soutenir leur promotion. Cependant, beaucoup restait à faire pour que les effets soient tangibles partout : sécurisation des dispositifs, clarté juridique, moyens suffisants, formation, etc.

Le Conseil constitutionnel a partiellement censuré les dispositions, notamment celles qui concernaient l'enseignement immersif. Cette décision a été peu compréhensible à l'époque.

La loi Molac devrait permettre une plus grande reconnaissance et une meilleure accessibilité des langues régionales dans le système éducatif. Comme je l'ai souligné, des progrès ont été faits, mais beaucoup reste à faire. Il y a des écueils d'un territoire à l'autre : offre d'enseignement variable par manque de ressources humaines ; absence de cadrage national ; fragilité juridique de l'enseignement immersif, qui repose sur une simple circulaire. Vous l'avez rappelé, il importe de promouvoir une stratégie à l'échelle nationale et de ne pas s'appuyer exclusivement sur le tissu associatif ou privé. Cette stratégie doit couvrir l'ensemble du parcours scolaire - primaire, collège et lycée.

Lors des auditions, des associations comme la Fédération pour les langues régionales dans l'enseignement public (Flarep) ont fait part d'une application erratique et d'un non-respect de la loi. Elles estiment que le ministère de l'éducation nationale n'a pas encore pris, quatre ans après la publication de la loi, les mesures et les moyens visant à organiser la généralisation de l'enseignement des langues régionales.

Concernant cette liste de vingt-trois recommandations, très intéressante et complète, quelles sont les premières que vous pourriez proposer en priorité au nouveau ministre de l'éducation nationale afin qu'elles soient efficaces le plus rapidement possible ?

M. Pierre Ouzoulias. - Le limousin est parlé par plus de 30 000 locuteurs, avec une moyenne d'âge de 80 ans. C'est une langue qui disparaîtra dans très peu de temps, d'ici dix à vingt ans. C'est un drame culturel, car le limousin constitue la langue d'expression poétique la plus ancienne en France : celle des troubadours, au XIII? siècle. Quand on perd une langue, on perd une part de civilisation.

Je partage totalement le constat que vous faites et les préconisations que vous formulez pour défendre ces langues. J'ajouterai un point : elles sont encore plus mal enseignées à l'université. On assiste à un abandon absolu des langues régionales dans l'enseignement supérieur. À plusieurs reprises, j'ai signalé au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche le problème des « disciplines rares », c'est-à-dire des disciplines qui intéressent peu de personnes, mais qu'il faut absolument continuer à enseigner, car elles permettent de conserver un patrimoine très précieux.

Aujourd'hui, à la fois avec l'autonomie des universités et la volonté d'offrir de plus en plus de formations répondant aux besoins du marché, les universités marginalisent ces formations, les considérant comme totalement inutiles. Là aussi, un plan national s'impose pour permettre à certaines universités de continuer à enseigner les langues régionales.

Je prends l'exemple de la Haute-Corrèze, plus précisément de la commune de Tarnac. Une communauté arrivée de nulle part y a ouvert une école calandreta pour des enfants qui n'avaient jamais parlé l'occitan. Il s'agissait de « bobos » parisiens poursuivant un objectif séparatiste, et ils ont réussi : l'école du village a fermé. La calandreta occitane est devenue le coeur d'un conflit entre le maire communiste de Tarnac et cette petite communauté. Il faut donc dire les choses : les langues régionales peuvent servir d'instrument de contournement de la carte scolaire, comme d'autres disciplines, ce que je regrette.

Sur l'enseignement immersif, la position de notre groupe est parfaitement connue. Nous avons été les seuls, lors de l'examen de la loi Molac, à voter contre l'article 4 et les seuls à avoir suivi le ministre Jean-Michel Blanquer.

Que le Conseil constitutionnel ait censuré cette disposition relève de son rôle. Il n'a pas fragilisé les langues régionales : il défend la Constitution de 1958, qui dispose que le français est la langue de la République. J'ajoute que la loi Toubon dispose que le français est la langue de l'enseignement, des examens et du service public. Lorsque l'État finance quelque chose, cela devient un service public et doit être en français. Je suis profondément attaché aux langues régionales, mais tout aussi respectueux de la Constitution française. Il ne me semble donc pas possible, par le biais d'un rapport ou d'une mission d'information, de rouvrir le débat constitutionnel sur l'unicité de la République.

Un autre cadre permettra de le faire : la loi sur la Corse. Dans le projet gouvernemental tel qu'il nous sera présenté, la co-officialité de la langue corse est prévue, ce qui constitue une rupture totale avec la République telle que nous la connaissons. Nous aurons ce débat au moment de la réforme constitutionnelle pour la Corse. Aujourd'hui, nous ne pouvons voter ce rapport pour les mêmes raisons qui nous avaient conduits à refuser l'article 4 de la loi Molac.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Vous avez mis l'accent sur le déploiement d'une politique publique nationale en faveur de nos langues régionales et j'y suis particulièrement sensible. Je dois reconnaître que je suis très inquiète d'apprendre que ces dernières pourraient s'éteindre d'ici à une ou à deux générations. En effet, elles constituent une richesse inestimable de notre patrimoine national. Cette diversité culturelle de la France participe à la vitalité de nos territoires.

Dans le prolongement de la reconnaissance, symbolique mais essentielle, de ces langues à l'article 75-1 de la Constitution, la loi Molac a eu pour objet de renforcer leur visibilité dans la vie publique. Je constate avec satisfaction que cet attachement se traduit sur le terrain, au travers d'initiatives locales, mais également au sein de notre chambre haute, avec la récente création de l'association des amis du Félibrige et de la langue d'oc.

Ces démarches témoignent d'une volonté sincère et partagée de participer à la transmission de nos traditions linguistiques et culturelles. Au même titre que nos fêtes traditionnelles locales ou que notre patrimoine culinaire, nos langues régionales doivent continuer de bénéficier de mesures de protection et de valorisation : il faut assurer la préservation de notre héritage commun. Toutes reflètent une culture vivante et un enracinement profond. Les préserver revient à entretenir le lien qui unit les générations et les territoires.

M. Claude Kern. - Comme l'a indiqué Sabine Drexler, la région Grand Est et surtout la Collectivité européenne d'Alsace soutiennent énormément le bilinguisme. De nombreuses actions sont également menées par les intercommunalités, les communes et de nombreuses associations.

À l'heure actuelle, la formation des enseignants est notre véritable problème. Notre difficulté tient à la proximité de la frontière allemande : quand un enseignant est bien formé, il part dans le pays voisin parce qu'il y gagne deux fois et demie ce qu'il gagne en France.

J'émets des doutes sur la recommandation n° 9, car il ne faut pas trop charger les communes, et sur l'axe 5, notamment les recommandations nos 20 et 21. Je vois mal les examens, notamment les mathématiques, se dérouler en langue régionale. Le baccalauréat est un diplôme national.

M. Stéphane Piednoir. - Le recul de l'apprentissage intrafamilial des langues régionales est indéniable, d'où la nécessité d'une transmission dès le plus jeune âge par le vecteur le plus puissant et le plus universel qui soit : l'école. Elles sont une richesse. Je doute que les vingt-huit que compte la Nouvelle-Calédonie, pour moins de 300 000 habitants, soient enseignées. C'est dire à quel point la situation est inégale d'un territoire à l'autre.

Par ailleurs, je constate que si nous n'avons aucune difficulté à discuter des identités régionales, il en est tout autre lorsque l'on évoque l'identité nationale.

Je tiens à préciser que nous sommes tous très soucieux des finances locales. Dès lors, faire payer l'enseignement de ces langues aux collectivités et non plus à l'État serait dangereux. Je vous encourage donc à la plus grande vigilance sur ce point.

J'émettrai une réserve sur la généralisation à toutes les disciplines de l'enseignement en langue régionale. Dans le contexte budgétaire actuel de la France, nous devons accepter de prioriser l'allocation des moyens. Il ne faut pas s'éparpiller ! Je ne sais pas s'il faut rendre possible l'enseignement supérieur en langues régionales.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - La singularité de ce rapport est que nous avons mis l'accent sur l'enseignement dans les écoles publiques, lesquelles sont, dans certains territoires, en concurrence avec des écoles privées sous contrat. Celles-ci sont plus attractives, mais nous ne pouvons nous satisfaire de ce constat.

Aussi, nous affirmons qu'il faut mener une politique de l'offre dans l'école publique, si la demande est suffisamment présente et si le territoire est volontaire. Cela participerait de l'attractivité de l'école publique qui ne doit plus uniquement être sur la défensive. J'y insiste : nos recommandations ne renforceraient ni les écoles privées sous contrat ni le système associatif, au contraire ! Nous souhaitons, grâce à des filières d'immersion ou, selon les territoires, à des filières pleinement bilingues, le développement d'une offre accessible à toutes et à tous, et pas seulement aux enfants dont les parents sont des militants.

Se pose alors la question du forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs. La situation actuelle est pour le moins confuse. M. Brisson et moi-même avons assisté à des tables rondes d'élus locaux remontés. Effectivement, le forfait scolaire est particulièrement important pour les écoles rurales, faute des économies d'échelle que l'on observe dans les écoles urbaines. Pour cette raison, nous prônons un calcul du forfait à l'échelle départementale. Comme celui-ci intègre les forfaits des communes urbaines, généralement moins élevés, il est souvent d'un montant inférieur à celui calculé pour une commune rurale.

En plus de faire baisser le niveau du forfait pour les écoles rurales, donner davantage de responsabilités aux préfets de département permettra d'apaiser les discussions entre les écoles, les réseaux d'écoles et les élus locaux, car ces derniers sont en première ligne pour négocier des tarifs sur lesquels ils n'ont pas la main. Le calcul départemental des forfaits existe déjà, par exemple dans l'Ouest.

Pour réussir à créer cette politique de l'offre et développer ainsi l'enseignement des langues régionales, la priorité est la formation des professeurs sur le terrain. Il faut donc prendre en compte cet enjeu dans la mise en oeuvre de la réforme de la formation des enseignants.

M. Max Brisson, rapporteur. - Premièrement, une heure d'enseignement de mathématiques ne coûte pas plus cher selon qu'elle est dispensée en langue basque ou en langue française. Par conséquent, je ne supporte pas le discours de certains recteurs et directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) qui comptabilisent toutes les heures de cours en langue régionale comme une dépense supplémentaire. Catalan, français, occitan : les élèves ont le même nombre d'heures de cours et de professeurs par enseignement ! Nous n'avons donc pas voulu tomber dans un débat sur les moyens.

Deuxièmement, l'école publique doit assumer ses missions en matière de langues régionales. Les réseaux immersifs existent précisément du fait d'une défaillance passée. Nous souhaitons que l'école publique joue son rôle car c'est celle que fréquente la très grande majorité des élèves. C'est le coeur de notre rapport. Cela doit particulièrement être le cas dans les territoires où les parents n'expriment pas d'attente à l'égard de l'institution scolaire. À titre d'exemple, je travaille actuellement avec le recteur de ma circonscription au développement de classes bilingues français-basque dans les quartiers nord de Bayonne. Ces derniers relèvent de quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les parents n'y expriment pas davantage d'attentes sur la langue basque qu'ils n'en ont pour la musique, le théâtre ou d'autres formes de parcours éducatifs particuliers.

J'y insiste : nous souhaitons que l'éducation nationale bascule peu à peu dans une politique de l'offre, alors que la logique a été jusqu'à présent de répondre à une demande sociale avérée. Encore faut-il que cette demande s'exprime, sans parler du parcours du combattant nécessaire pour qu'elle puisse le faire ! D'ailleurs, pour les langues régionales où leur enseignement est déjà significativement développé, on peut constater qu'il n'est que très rarement présent dans les quartiers de la politique de la ville ou en REP (réseaux d'éducation prioritaire).

Soyons clairs : la République française est « une et indivisible ». Nous ne souhaitons ni ostraciser les langues régionales ni les officialiser, quoique leur reconnaissance soit une revendication politique de certains territoires, par exemple celui où je suis élu. Il est évident que le modèle des communautés autonomes catalane ou basque, au sein du Royaume d'Espagne, n'est pas envisageable en France hexagonale. Cela n'interdit pas de prendre des mesures pour assurer la transmission des langues régionales.

Par ailleurs, il est important de rappeler, comme l'indiquait à juste titre Sylvie Robert, que l'immersion n'est qu'une méthode pédagogique. L'objectif est d'atteindre un bilinguisme complet à la fin du parcours scolaire en français et en langue régionale. Introduire l'immersion dans la loi Molac a peut-être été une erreur. D'ailleurs, nous ne critiquons pas le Conseil constitutionnel dans notre rapport : nous relevons seulement le problème que sa censure pose.

Nous ne demandons pas non plus de révision constitutionnelle, même si cette question politique se pose dans certains territoires, comme au Pays basque. Une solution intermédiaire serait d'inscrire dans la loi, pour les sécuriser, les dispositions de la circulaire du 14 décembre 2021, laquelle intégrait les remarques exprimées par le Conseil constitutionnel dans sa censure partielle de la loi Molac. Une telle loi ne satisferait peut-être pas les mouvements militants, mais elle pourrait constituer une évolution.

Le forfait pour les établissements d'enseignement privés immersifs se trouve dans la loi Molac. Face aux problèmes de financement que rencontrent les réseaux d'enseignement, il est possible d'objectiver les discussions avec les communes en permettant au préfet de définir ce forfait à l'échelle départementale. La compétence est de son ressort mais il peut s'appuyer sur le directeur académique. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le préfet, pour calculer cette moyenne, a lancé une enquête auprès des communes ; de toute manière, elles ne sont appelées à payer le forfait qu'en cas d'absence d'enseignement de la langue régionale à l'école publique dont elles dépendent.

Qu'entendre, néanmoins, par « enseignement de la langue régionale » ? Une simple sensibilisation ou des heures optionnelles sont-elles satisfaisantes ou faut-il une classe bilingue ? Tout dépend également de la langue dont il s'agit. Le nombre d'heures d'enseignement nécessaires à la maîtrise d'une langue latine est bien différent de celui requis pour des langues non latines, comme le basque ou le breton : les liens entre le français et ces dernières sont beaucoup moins forts.

Sabine Drexler a parlé de « linguicide ». Le mot est fort ! Serons-nous la génération qui n'aura pas assuré la transmission de ce patrimoine ? Dans le département où je suis élu, je constate que les personnes qui ont autour de la trentaine reprochent à ma génération de ne pas leur avoir permis de maîtriser la langue basque ou le gascon, sachant que les plus jeunes suivent désormais un tel enseignement.

Le basculement vers une logique de l'offre doit reposer sur le principe de la libre adhésion des parents, qui reste la règle. Personne n'est obligé de suivre une voie bilingue en langue basque ou en langue bretonne. Ceci dit, l'éducation nationale prend moins de gants lorsqu'elle développe une offre d'enseignement du théâtre, de la musique ou du latin : on ne demande pas systématiquement de réaffirmer cette libre adhésion !

De surcroît, certains recteurs, Dasen ou préfets appliquent de manière extrêmement stricte la loi Toubon et l'article 2 de la Constitution lorsqu'il s'agit des langues régionales, mais font montre d'un laxisme total pour l'anglais. Ce « deux poids, deux mesures » donne aux territoires le sentiment insupportable d'un État fort avec les faibles et faible avec les forts : trop souvent, on s'abrite derrière la loi fondamentale pour empêcher le développement de classes bilingues que certains parents souhaitent, outrepassant la volonté du législateur.

J'en viens à nos recommandations sur les examens. Pourquoi un élève ayant reçu un enseignement en basque, en breton ou en alsacien ne passerait-il pas certaines épreuves du baccalauréat ou du brevet dans cette langue régionale, comme le demandent les territoires ? La possibilité existe déjà, mais des reculs ont eu lieu ces dernières années à la suite d'une circulaire d'un ancien directeur général de l'enseignement scolaire. Les sections internationales, elles, ne donnent lieu à aucun débat... Pourquoi ce qui vaut pour l'allemand, l'anglais ou l'espagnol ne vaudrait-il pas pour le catalan ou l'occitan ?

Le coût de la formation, essentielle, varie d'un territoire à l'autre, car toutes les collectivités locales ne s'impliquent pas. Ainsi, la Collectivité européenne d'Alsace est investie, mais celles de mon territoire ne le sont pas. Notre rapport est extrêmement clair : puisque la formation des professeurs relève de la compétence de l'éducation nationale, cette dernière doit en assumer la charge. Il ne doit pas y avoir de transfert aux collectivités, même si certaines d'entre elles, comme la Bretagne ou la Collectivité européenne d'Alsace, participent sur la base du volontariat, un choix politique que je salue.

Plusieurs facteurs expliquent l'absence d'adéquation entre la carte des langues régionales et l'organisation administrative de notre pays. La différence de prise en compte du breton entre la région Bretagne et la Loire-Atlantique est inacceptable. Des harmonisations sont donc nécessaires. Les Pyrénées-Atlantiques ont réglé le problème en créant un groupement d'intérêt public réunissant l'État, représenté par les ministères de l'intérieur, de l'éducation nationale et de la culture, la région Nouvelle-Aquitaine, le département des Pyrénées-Atlantiques et la communauté d'agglomération Pays basque, qui couvre la totalité de l'aire linguistique bascophone.

Je conclurai en précisant que l'ancienne ministre de l'éducation nationale m'a assuré plusieurs fois attendre ce rapport avec beaucoup d'impatience. J'espère que le nouveau ministre témoignera du même sentiment.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - La situation en Loire-Atlantique, à l'origine de ce rapport, est clairement inacceptable. Dans ce département, un inspecteur pédagogique régional (IPR) de mathématiques est complètement réfractaire aux langues régionales. Il pourrait y avoir une coopération entre le rectorat de Nantes et celui de Rennes en matière de langues régionales. Une convention, de fait, permettrait des mutualisations pour améliorer la situation sans en passer par une révolution. Parfois, un peu de bonne volonté suffit ! Ce rapport nous permet de mettre en avant des constats aussi simples.

Ne parlant pas mais comprenant pour ma part le gallo, j'ai constaté que l'apprentissage des langues régionales permet d'être plus à l'aise dans le reste du monde. Je suis attachée à la défense et à la promotion des langues régionales non pas dans une visée de repli sur le territoire, mais dans une visée universaliste.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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