E) QUEL PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE ?

Deux îlots de relative certitude me semblent émerger de l'océan d'inconnues qui inonde les horizons de la société de l'information : l'avenir appartient à ceux qui savent anticiper et se placer le plus avantageusement dans la chaîne de la valeur ajoutée des biens et services multimédia.

1. Savoir anticiper
n Au niveau du contenu, dont on continue à dire qu'il est roi, "le multimédia peine à trouver sa rentabilité - constate Philippe Coste dans sa lettre précitée de l'audiovisuel et du multimédia - aucun type d'outils, de contenus ou de services multimédia ne rapporte, à ce stade, de l'argent".
Hors ligne, les ventes de CD-ROM multimédia pour ordinateurs et consoles de jeux ont progressé fortement, en volume en 1996 (+ 74 %), aux Etats-Unis, pour atteindre 2,5 milliards de dollars. Mais 6 % seulement des titres, hors jeux, seraient rentables selon une étude de Dataquest et 4 % seulement des éditeurs gagneraient de l'argent. La société Pixar, bien qu'ayant vendu plus d'un million de titres, s'est retirée de ce secteur, le jugeant incertain, pour renforcer ses activités dans le domaine de l'animation.

En ligne, peu de sites web gagnent de l'argent. Bien que de plus en plus populaires, les jeux nécessitent des investissements coûteux (plusieurs millions de dollars pour l'ouverture d'un site), ne rencontrent pas un public suffisamment nombreux pour faire des bénéfices et subissent la concurrence des acteurs de l'édition électronique qui proposent des services gratuits.

La partie "divertissement " du site de Microsoft, d'abord accessible gratuitement, n'a pas connu le succès escompté.

Beaucoup de fournisseurs américains d'accès à Internet fournissent à perte le service d'abonnement sans limitation de temps (flat rate).

Dans le domaine du commerce électronique, il est vrai en forte croissance, le chiffre d'affaires des ventes en ligne (1 milliard de dollars fin 1997), représente, selon Forrester Research, à peine un peu plus de un pour mille de celui du commerce traditionnel.

En outre, il existe une forte concurrence entre les moteurs de recherche, qui font peu de bénéfices, et les services en ligne traditionnels, les uns comme les autres tendant à accroître leurs recettes publicitaires (59( * )) et à prélever une commission sur les transactions, au détriment des commerçants. Un bon contenu ne suffit pas pour réussir, il faut aussi soit offrir un service rare et recherché (livres et disques anciens...), soit avoir une marque connue du grand public, soit s'afficher sur un site générateur de trafic. Les marchands sont ainsi prêts à payer cher, par exemple, le privilège de figurer dans l'offre d'AOL.

Au total, les valeurs boursières tant de l'entertainment industry que du multimedia sont désormais sous haute surveillance.

"La rentabilité des entreprises de ces secteurs est souvent calamiteuse ou, au mieux, médiocre" - écrivait Philippe Coste en mai 1997. Selon Standard et Poor's, " le secteur de l'audiovisuel, malgré la flamboyance de ses dirigeants et une croissance continue de ses recettes, n'arrive qu'au 27 e rang des secteurs de l'économie américaine en termes de rentabilité, c'est-à-dire au même niveau que la distribution d'eau... ".

Quant au cinéma, on l'a vu, le retour sur investissement pourrait y être négatif en 1997, pour les studios, et la rentabilité des capitaux investis n'y a été, de 1993 à 1996, que de 5 %, les coûts continuant à y augmenter nettement plus vite que les recettes (notamment en raison du déluge d'effets spéciaux dans les dernières productions).

Pourtant, écrit Philippe Coste, " il y aura, cela est sûr, une forte croissance des marchés et beaucoup d'argent à gagner dans les années à venir dans les secteurs non seulement de l'audiovisuel mais aussi du multimédia... ".

Où et comment ?

" L'avenir appartiendra à ceux qui s'inscrivent dans une vision à long terme " et pas nécessairement aux plus créatifs, aux plus riches ou à ceux qui maîtrisent le mieux les nouvelles technologies.

Ce qui compte c'est la valeur à long terme des contenus et la capacité à les exploiter de toutes les façons.

Ce dont a surtout besoin le multimédia, c'est de temps, pour construire ses actifs et capter et fidéliser une clientèle.

Les intermédiaires, assembleurs de contenus multimédia en ligne ou audiovisuels, sur le câble et par satellite, éditeurs de programmes, détenteurs et gestionnaires de droits, risquent de jouer un rôle clé.

" Paradoxalement - conclut notre attaché audiovisuel à Los Angeles - l'entertainment, alors qu'il est traditionnellement associé à l'éphémère, apparaît aujourd'hui comme une industrie qui doit se jauger à l'aune du long terme ".
n Au niveau des équipements, je crois, tout d'abord, concernant les terminaux, que l'avènement et la généralisation de la reconnaissance vocale (et dans une moindre mesure de celle de l'écriture) sera l'un des phénomènes majeurs des prochaines années.
Mais je doute que le concept d'ordinateur de réseaux (NC) parvienne à se concrétiser sur les réseau des réseaux tout au moins tant que les hauts débits ne seront pas accessibles à chacun, étant donné la tendance générale à la baisse des prix de vente des ordinateurs personnels (sous les effets de la baisse des coûts des composants et de la concurrence). Par contre ce concept de Network Computer pourrait faire une percée remarquée dans les Intranets.

La qualité de l'image et du son sera peut-être le meilleur moyen pour l'audiovisuel et l'électronique grand public traditionnels de maintenir leur spécificité et de résister à l'intégration dans l'informatique multimedia, sans que cela empêche toutes sortes de métissages et d'hybridation aux niveaux des contenus comme des terminaux.

Tout ce qui concerne les réseaux (infrastructures, équipements de raccordement, d'interconnexion) devrait demeurer stratégique, notamment les serveurs et les modems.
n S'agissant des logiciels, il ne faut pas rejeter, à priori, la victoire finale de Java, malgré la résistance de Microsoft (dont Explorer aurait presque rattrapé, à la fin de 1997, le Navigator de Netscape ) parce qu'elle est conforme à l'intérêt de la majorité des industriels, comme des utilisateurs, de l'informatique.
La création de systèmes d'exploitation, désormais ouverte à tous, et l'édition de logiciels sont, je le répète, des domaines où la puissance est déconnectée du nombre.

Il est possible d'y faire fortune avec une mise de fonds et des ressources humaines initialement réduites.

Il n'y a, en effet, pas de limites à la diffusion d'un logiciel alors qu'il y en a, par exemple à l'activité d'une société d'ingénierie et de conseil en informatique (le nombre d'heures d'ingénieurs et leur coût, la clientèle et ses ressources...).