Droit de la famille

LARCHE (Jacques)

RAPPORT D'INFORMATION 481 (97-98) - COMMISSION DES LOIS

Table des matières






AVANT-PROPOS

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A entendre les participants de la journée de réflexion organisée le 8 avril 1998 au Sénat par la commission des Lois à l'initiative de son président Jacques Larché, la famille reste la cellule d'organisation de la vie privée qui contribue le mieux à structurer la société.

Qu'attend-on du droit de la famille ? M. le professeur Jean Hauser nous a utilement rappelé que près de la moitié du code civil y était consacrée. On y trouve les règles relatives au mariage, à la filiation, aux régimes matrimoniaux, au divorce, aux successions, mais il faudrait y ajouter, nous a-t-il dit, du droit social et du droit fiscal.

Certains aspects ont été plus spécifiquement traités tout récemment par le législateur, l'adoption (1996) et la procréation médicalement assistée (1994), par exemple.

Au fond, le droit de la famille ainsi entendu traduit juridiquement les liens d'intimité et de patrimoine entre un individu et ses géniteurs, sa descendance, ses collatéraux et son conjoint.

Il les exprime en obligations et il reconnaît corrélativement certains droits avec deux objectifs principaux soulignés par différents intervenants : la protection du faible (cf. M. Philippe Malaurie) et l'intérêt bien compris de la société de favoriser un modèle (cf. M. Jean Hauser).

Dans ce contexte, la famille reste majoritairement fondée sur le mariage mais elle a beaucoup évolué sociologiquement et légalement :

1/ Lorsqu'elle est fondée sur un mariage, celui-ci peut traduire des réalités bien différentes selon les générations et les milieux. Moins vécu comme une alliance entre deux familles, le mariage repose aujourd'hui davantage sur la rencontre entre un homme et une femme dont la loi et le marché de l'emploi régulent l'équilibre des droits mais dont les sentiments régissent la stabilité de l'union.

2/ Une nouvelle famille ne commence pas toujours par un mariage : la cohabitation préalable, les naissances hors mariage se sont développées.

3/ Les mariages successifs, car il y a de plus en plus de " multirécidivistes " de l'institution, mettent en place une mosaïque des sentiments, des filiations et des patrimoines de plus en plus complexe.

Devant ces constats, Mme Irène Théry réfute néanmoins la " désinstitutionnalisation " de la famille par " individualisation, privatisation, pluralisation " mais elle constate la désarticulation inédite entre les liens de conjugalité et de filiation.

Le droit a déjà pris en compte un grand nombre de ces situations, tant à travers les lois sur la filiation naturelle (1972), le divorce (1975), l'autorité parentale (1993) ou les ayants droit, qu'à travers la jurisprudence (concubinage).

L'unicité même du mariage civil accueille une multiplicité de régimes matrimoniaux et le droit des successions permet des aménagements encore que son droit commun doive sans doute être revu.

Parmi les intervenants, certains ont fait le choix d'aborder un aspect technique d'une des branches de ce droit (la réforme des procédures de divorce ou l'éventualité d'un contrat de concubinage, par ex.), d'autres ont retracé avec beaucoup de nuances les grandes évolutions (le mariage ou la famille au sens le plus large).

Difficile d'introduire ou de conclure les propos tenus sur un champ juridique aussi vaste dont les modifications ont des incidences sur la vie la plus privée de chacun.

Il y a les questions dont les médias parlent beaucoup (contrats de concubinage, divorce " administratif ", autorité parentale sur les jeunes délinquants) et celles auxquelles sont confrontés quotidiennement les professionnels, les justiciables, les familles (successions, conjoint survivant, prestation compensatoire...).

Le professeur Jean Hauser a rappelé que le droit de la famille n'avait jamais été un " droit de la marginalité " et qu'il ne devait pas fonctionner comme " la Bourse de Tokyo " où l'indice change tous les jours.

Le législateur doit tout d'abord s'interroger sur la hiérarchie des priorités. Quel est le problème le plus aigu, celui qui concerne le plus grand nombre, celui qui a les conséquences les plus graves, celui qui ne peut être traité que par la loi car il ne peut relever du contrat ou de la jurisprudence ?

Il doit également se préoccuper de la méthode : certaines questions peuvent-elles être réglées par un amendement ou une proposition de loi spécifique, comme dans l'exemple donné par le Sénat pour la prestation compensatoire en matière de divorce, d'autres doivent-elles attendre un vaste projet de loi préparé de longue main par la Chancellerie ?

Certaines modifications des prestations familiales ou des régimes fiscaux ont également des conséquences immédiates pour l'organisation des familles.

En cette matière, comme plus généralement en ce qui concerne la justice, bien souvent les préoccupations des praticiens les mieux au fait des besoins des Français concernent les délais et la simplification des procédures pour résoudre un litige ou changer de situation juridique.

Toutes ces questions très concrètes relèvent parfois des moyens budgétaires ou de l'organisation administrative mais débouchent aussi sur des réformes législatives dont l'importance devra être hiérarchisée pour répondre aux attentes les plus profondes, parfois silencieuses car elles s'expriment dans l'intimité des familles, à l'occasion des moments les plus marquants de notre vie (naissance, rencontre, séparation, décès...). Le droit de la famille, par essence, est celui qui accompagne chacun, celui que sollicite chacun, sans le savoir, dès sa naissance.

AUDITIONS DE LA COMMISSION
Mme Irène THÉRY,
Sociologue

M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission des Lois du Sénat. - Je vous présente Madame Irène Théry. Elle a bien voulu être avec nous. Vous la connaissez tous, elle est sociologue réputée, elle est l'auteur de " Démariage, justice et vie privée ". Elle a également écrit un article sur le contrat d'union sociale.

Mme THÉRY . - Merci, Monsieur le Président, de m'avoir invitée à venir m'exprimer devant vous. Cette audition intervient à un moment particulier puisque je suis chargée par Mme Guigou, Ministre de la Justice et Mme Aubry, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, de rédiger un rapport prospectif sur la famille, incluant en particulier un bilan très général de l'état de notre droit au regard des évolutions sociologiques que nous vivons.

La Commission de travail que j'ai constituée pour ce faire se réunit aujourd'hui toute la journée. De ce travail en cours, inachevé, il n'est pas possible de parler aujourd'hui. En revanche, c'est bien volontiers que je m'exprimerai devant vous à titre personnel.

J'ai retenu deux questions sur lesquelles j'ai parlé publiquement, dans le cadre de mon travail de sociologue du droit de la famille. Une question très générale concerne l'évolution de la famille. J'ai publié sur ce point, il y a un an et demi un article intitulé " Famille, une crise de l'institution ". J'aimerais préciser ce que j'entends par ces termes et situer, dans ce cadre, certains grands enjeux de l'évolution du droit.

Ensuite, j'aborderai la question du contrat d'union sociale que j'ai exposée dans un article publié il y a six mois environ.

D'abord sur l'évolution générale de la famille. Chacun connaît le caractère souvent très idéologique du débat opposant, de façon récurrente, d'un côté une interprétation des changements comme crise de la famille, indice et facteur d'une décadence morale et sociale, et de l'autre une interprétation symétrique de la même évolution comme progrès des valeurs de liberté individuelle, d'authenticité et d'égalité.

Prise entre ces deux pôles, l'opinion parvient d'autant moins à s'y retrouver que la plupart de nos contemporains ressentent, à partir de leur expérience personnelle que la vérité est plus complexe, qu'il n'y a sans doute ni déclin ni progrès univoque et qu'une autre interprétation est à trouver. Cette bipolarité de notre débat public est bien connue et je ne m'y attarderai pas ici.

Ce qui me paraît essentiel est moins compris : bien qu'absolument opposés sur le jugement qu'ils portent, ces deux pôles symétriques sont en réalité d'accord sur le constat de fond. Le sens de l'évolution (qu'on le dénonce ou qu'on le valorise) se résume en général à trois traits principaux : le passage de la référence à la famille à la référence à l'individu, le passage de règles communes à des normes ou des valeurs privées, le passage enfin de la famille aux familles. Individualisation, privatisation, pluralisation forment ainsi la trinité explicative aujourd'hui admise. Elle conduirait à une inéluctable " désinstitutionnalisation ", permettez-moi le terme, de la famille.

Cette interprétation est loin d'aller de soi.

Peut-on vraiment parler d'individualisation ou d'atomisation de la famille quand toutes les enquêtes sur les solidarités intergénérationnelles soulignent leur extraordinaire intensité ? Je citerai la récente publication de l'INSEE sur la pauvreté qui contient des chiffres très éloquents.

Peut-on parler d'individualisation quand la famille est plébiscitée dans tous les sondages et en particulier par les jeunes ?

Peut-on parler de privatisation des normes alors que, plus que jamais, les attentes sociales en matière familiale s'expriment sous la forme de l'appel au droit, au point que de nombreux auteurs s'inquiètent de la frénésie législative, de la montée en puissance des tendances procédurières et enfin que se développent, en référence à l'intérêt de l'enfant, des formes toujours plus actives de contrôle de la vie familiale ?

Peut-on enfin parler de pluralisation des modèles familiaux alors que l'on sait qu'il n'y a aucune fracture idéologique séparant les mariés et les concubins stables (toutes les enquêtes soulignent l'homogénéité des comportements, des valeurs, des modes de vie de ces deux populations), en particulier en présence d'enfants, d'autre part que ce que l'on nomme les familles monoparentales ou recomposées ne sont en rien des modèles alternatifs, mais des séquences du cycle de vie familiale consécutives à une rupture du couple (par décès dans 20 % des cas ou séparation), autrement dit que ce sont les mêmes personnes qui peuvent se trouver selon les étapes de leur vie dans une puis l'autre situation ?

Ni individualisation, ni privatisation, ni pluralisation, est-ce à dire que tout va bien ? Certainement pas. Nous savons tous qu'il existe aujourd'hui de profonds désarrois, des situations familiales problématiques, le tout dans un contexte où les repères essentiels semblent éclatés ou évanescents. Comment le comprendre ?

Il me semble que l'évolution de la famille peut et doit être repensée, à condition de partir d'une définition claire du mot famille. Les anthropologues nous ont montré que la famille n'est pas un groupe social comme les autres, en ce sens que ce groupe n'existe dans toutes les sociétés que rapporté à un système symbolique : celui de la parenté. Autrement dit, la famille humaine ne se résume jamais au simple fait que l'on entende par là le fait biologique des liens du sang, ou le fait social que sont les modes de vie et les échanges intersubjectifs au quotidien.

Au sens le plus universel du terme, au delà des différences importantes selon les cultures, la parenté est l'institution qui articule la différence des sexes et celle des générations, et les familles, si diverses soient-elles concrètement, s'inscrivent dans cette dimension symbolique.

Soyons plus précis. A travers la référence à la parenté, la famille articule trois types de liens : le lien de conjugalité, le lien de filiation et le lien fraternel.

A partir de là, plutôt que d'opposer la famille comme groupe et l'individu comme atome, comme on le fait habituellement, je me demanderais d'abord comment ont évolué les différents types de liens qui coexistent au sein de la famille contemporaine. Un fait saute aux yeux, ignoré de l'analyse classique que je viens d'évoquer.

Nous vivons aujourd'hui une forme de désarticulation inédite entre le lien de conjugalité et celui de filiation. Je laisserai dans cette analyse le lien fraternel pour ne pas être trop longue.

Le lien de conjugalité a été profondément redéfini par l'égalité des hommes et des femmes, trait majeur de l'évolution historique des sociétés démocratiques. Plus égalitaire, ce lien s'est affirmé au fil du temps comme plus individuel. Il se distingue progressivement de l'alliance, lien plus entre deux familles qu'entre deux personnes. Il s'est redéfini aussi comme plus contractuel et plus privé.

Le fait de se marier a cessé d'être une obligation sociale absolument impérative, pour devenir une question de conscience personnelle. Le couple, marié ou non, demeure un engagement très profond, mais il ne prend de sens que s'il affronte la durée de la vie commune, non plus avec la garantie d'un statu quo quoi qu'il arrive, ce qui supposait, ne l'oublions pas, de trancher à l'avance des conflits éventuels par la soumission de la femme à la puissance maritale, mais sous la responsabilité aujourd'hui personnelle de chacun des partenaires de construire une histoire partagée, une conversation continuée, au risque de la rupture si la promesse de cette histoire, de cette conversation n'est pas tenue.

Or, le lien de filiation a évolué historiquement exactement à l'inverse. Au fil du temps, ce qui l'a profondément remodelé est la reconnaissance de l'enfance comme un âge doté de besoins spécifiques et de l'enfant comme une personne, une personne en devenir certes, mais une personne à part entière. En se personnalisant et s'affectivant, le lien de filiation s'est affirmé comme un lien de plus en plus inconditionnel. Ce que l'on doit désormais à son enfant, c'est de l'aimer et le soutenir quoi qu'il arrive, de rester son parent quoi qu'il arrive, que l'enfant soit beau ou pas, intelligent ou pas, handicapé ou pas, et je dirais même d'une certaine façon, délinquant ou pas.

Nos ancêtres étaient loin d'une telle inconditionnalité, c'est ce qui a fait dire au juriste anglais, John Eekelaar, que le principe d'indissolubilité s'était déplacé de la conjugalité vers la filiation.

Mais comment assurer ce principe d'indissolubilité de la filiation en cas de rupture du couple ? Nous sommes là confrontés à une véritable désarticulation possible où le lien de conjugalité devient une menace directe pour le lien de filiation dont l'idéal d'inconditionnalité se trouve alors complètement perverti. Comment répondre à ce grave problème sans remettre en cause de façon autoritaire et rétrograde la liberté conquise avec l'égalité des sexes ?

La question demeure ouverte, et c'est pourquoi on peut parler d'une crise de l'institution, c'est-à-dire non du lien familial, qui reste très vivant, mais de son inscription dans un système symbolique de référence assurant à la fois la signification respective de chacun des liens et leur compatibilité.

Cette crise est aujourd'hui démultipliée par le discours hyper individualiste qui nous incite, au nom de la conception la plus pauvre de la liberté privée (je fais ce qui me plaît), à renoncer à toute ambition d'édifier des valeurs communes de référence.

Or, des questions majeures sont nées de cette crise. Qu'est-ce qu'un père ? Qu'est-ce qu'une mère ? Un enfant ? Un couple ? Une fratrie ? Qu'est-ce qu'une famille ? Faute de réponse commune, c'est le règne du " chacun sa définition ", où chacun doit négocier dans son coin comme une question personnelle : qui est qui pour qui ? Qui doit quoi à qui ? Une sorte de jungle intersubjective où l'emporte en réalité le plus fort, celui qui négocie le mieux ses atouts et où chacun est au risque de se voir un jour privé de son identité de père, de mère ou d'enfant.

Une telle situation n'est pas inéluctable. La dépasser suppose de chercher à s'accorder sur une définition de la parenté contemporaine, qui soit assez générale pour transcender, tout en la respectant, la diversité des situations concrètes.

La question du droit me paraît ici centrale parce qu'il n'a pas qu'une fonction de police ou de gestion, mais, aussi et d'abord, cette fonction instituante d'inscrire la famille dans le système de la parenté, en définissant les droits, devoirs et interdits qui sont attachés à chacune des places qu'on peut y occuper.

La réinstitution du lien familial me paraît une des tâches majeures de notre temps si nous refusons de nous résoudre à ce que le philosophe Cornélius Castoriadis, récemment disparu, nommait la montée de l'insignifiance et à ce qui accompagne toujours, mais aujourd'hui plus que jamais, l'insignifiance, c'est-à-dire l'accentuation dramatique des inégalités sociales. Certes, le droit ne peut pas tout. Il n'est pas une machine à dresser les individus. Sans lui, nous n'avons aucune chance d'assurer à tous les enfants quelle que soit la situation du couple conjugal, marié ou non, démarié ou non, la sécurité du lien à leurs deux parents, et au-delà à leurs grands-parents, à leur double lignée généalogique.

Des progrès importants ont été réalisés en ce sens, que ce soit par l'égalisation, encore imparfaite, du statut des enfants naturels et légitimes ou par l'affirmation progressive d'un principe de coparentalité maintenue après séparation. Je pense à la loi du 8 janvier 1993. Il reste encore beaucoup à faire pour que ce principe devienne une réalité concrète et l'on en sait les difficultés.

Aujourd'hui, malgré de réels progrès, révélés par une récente enquête de l'INED, après une séparation, le lien au père et à la lignée paternelle demeure très fragile, que les pères soient évincés ou carents. Dans un remarquable rapport, Alain Bruel, Président du Tribunal pour Enfants de Paris, situe avec une grande profondeur de vue ce problème au sein de la crise beaucoup plus vaste de la paternité contemporaine, crise dont j'ajouterai qu'elle ne bénéficie à personne et sûrement pas aux mères qui en paient aussi le prix lourd. Ce rapport donne des pistes très importantes de réflexion et d'action.

J'ai tenté de contribuer, à mon échelle, à cette réinstitution du lien familial, en m'attachant par une enquête qui fut la première en France, à montrer que la question des familles recomposées pouvait et devait être entièrement repensée, à partir d'une hypothèse de complémentarité et non de rivalité ou de substitution entre les parents, qui seuls ont un statut généalogique indissoluble, inscrivant l'enfant dans sa double lignée, garantissant le lien aux grands-parents et les beaux-parents qui, eux, ont des responsabilités qui ne sont pas généalogiques, mais qui sont pourtant générationnelles à l'égard de l'enfant de leur conjoint.

Je n'ai pas ici le temps de développer davantage l'analyse, mais j'en tirerai une mise en garde. Face aux incertitudes, dans un moment de transition où la crise de l'institution est réelle, la tentation est grande de chercher des raccourcis rassurants. Le premier est connu, c'est de chercher la certitude du côté du biologique. A première vue, le lien biologique semble donner toutes les garanties que l'institution ne donne plus : univoque, perpétuel, indiscutable, garanti sur l'expertise génétique une fois pour toutes. Cette tentation existe aujourd'hui, une célèbre affaire récente en témoigne, et nous devons en mesurer tous les dangers. Le réductionnisme biologique serait une défaite de la culture, c'est-à-dire de notre tâche d'inscrire le vivant dans l'ordre des significations symboliques, sans lequel il n'est possible de fonder ni réellement l'interdit de l'inceste, ni de gouverner les découvertes scientifiques et techniques au nom d'une idée supérieure du sujet humain.

Une autre tentation, un autre raccourci existent aujourd'hui : c'est de croire que l'on peut repenser toute la famille à partir d'un seul point de vue : l'enfant, et en particulier les droits de l'enfant. On comprend la force de cette idée : l'enfant est fragile, il est innocent. Si nous respectons ses droits, nous aurons les guides nécessaires et suffisants pour ordonner autour de lui les responsabilités des adultes. Mais cette approche est illusoire et n'échappe pas toujours à une certaine démagogie sentimentale à courte vue.

La famille n'est pas un groupe organisé seulement pour le bien de l'enfant, mais aussi pour le bien des adultes, pour celui des personnes âgées. C'est un système d'échange, de lien mutuel où chacun a des droits : les enfants, mais aussi les parents, les grands-parents, où chacun a des devoirs les parents, les grands-parents, mais aussi les enfants.

Comment croire que ces différents droits et devoirs puissent s'abolir dans les seuls droits de l'enfant ? L'attitude qui consiste à ne voir que l'enfant paraît très noble, mais je ne suis pas certaine qu'elle soit la plus favorable à l'enfant car elle s'inscrit dans une tendance plus générale de nos sociétés, qu'a fort bien analysée le doyen Jean Carbonnier dans son dernier ouvrage : " l'explosion des droits subjectifs ".

Cette tendance porte en elle le renoncement à penser le lien au profit de l'organisation de la défiance. Droit des uns contre droit des autres, la famille ne serait plus que le lieu de leur affrontement possible.

Les nouveaux droits de l'enfant ont alimenté depuis dix ans la défiance systématique à l'égard de l'autorité parentale. Au nom des abus possibles, certains n'ont pas hésité à voir dans l'autorité parentale elle-même un abus de pouvoir. Réaffirmer la valeur de l'autorité parentale, qui n'est pas un autoritarisme nous le savons bien mais un ensemble de droits et de devoirs, est aujourd'hui reconnu comme essentiel.

J'étais frappée en particulier de le voir dans tous les textes récents publiés par les professionnels confrontés aux situations familiales les plus difficiles. Cela suppose de protéger l'autorité parentale, et aussi de la protéger contre les intrusions abusives au sein de la vie privée. Certes des abus, des carences existent, mais en protéger l'enfant n'implique pas de faire de tous les parents des maltraitants ou des abuseurs potentiels. Nous devons être attentifs aux coups de balancier qu'impliquent nécessairement les attitudes unilatérales ou simplificatrices.

Après avoir disqualifié les parents abusifs, la tentation aujourd'hui est de faire des parents démissionnaires des boucs émissaires de toutes les détresses sociales, économiques et culturelles. Exercer l'autorité parentale est une tâche difficile, impliquant un devoir d'exigence à l'égard de l'enfant ou du jeune. C'est une tâche qui s'exerce toujours dans un contexte urbain, social, économique. Face à cette tâche nous sommes loin d'être égaux. Nous le serions davantage si nous allions à un discours réinstituant le lien familial contemporain et donnant à chacun sa juste place, un souci de justice sociale plus affirmé.

La seconde question que je voulais aborder ce matin a été lancée dans le débat public à partir d'un problème socialement nouveau : la revendication croissante des homosexuels à voir reconnu leur lien de couple. Cette revendication me paraît très légitime. Je l'ai écrit et je tiens à le redire ici solennellement. Chacun sait désormais que l'épidémie du sida a révélé, de façon plus visible et ample, que la situation juridique actuelle ne protège pas ces couples des discriminations.

La question du sida est loin d'être la seule et nous devons prendre garde à ne pas confondre homosexualité et sida. Bien au delà, les homosexuels, hommes et femmes, ne veulent plus de la honte et du mensonge où les avait enfermés la relégation sociale. Ils veulent être considérés comme des citoyens comme les autres, en particulier respectés dans leur choix quand ils forment un couple. Je rappelle d'ailleurs que le récent traité d'Amsterdam a ajouté à la liste des discriminations passibles de sanctions éventuelles celles qui seraient fondées sur l'orientation sexuelle.

Pourquoi alors ai-je critiqué les différentes propositions de lois déposées sous les noms de contrat d'union civile, de contrat d'union sociale, ou de contrat d'union civile et sociale ? Parce que je pense, comme d'autres, que ces propositions sont contradictoires, parfois inconsistantes juridiquement et qu'il y a de meilleures façons de reconnaître en droit le couple homosexuel.

J'ai souligné trois points majeurs. Tout d'abord les différentes propositions déposées se présentent comme des droits pour les concubins qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels . Or, ces propositions exigent en réalité des concubins, qui ont fait le choix respectable de l'union libre, qu'ils se lient par un statut juridique qu'au vu d'un examen très détaillé, j'ai pensé justifié de qualifier de " mariage bis ". Autrement dit pour que les concubins aient des droits, il leur est demandé au préalable de cesser d'être des concubins. C'est une première contradiction.

Le second point, c'est que les différents projets se présentent comme des façons de reconnaître en droit le couple homosexuel, mais qu'il n'y est question ni de couple ni d'homosexualité. Sous le vague de " l'union sociale ", on mêle ici les couples, les paires, les duos, les fratries.

Paradoxalement, des raisons tactiques, la crainte d'affronter une hostilité encore évidente de la part de certains, ont incité à noyer la question homosexuelle au moment même où on la posait. Un tel évitement me paraît en décalage par rapport à l'opinion française dont les sondages montrent qu'elle est prête, dans sa grande majorité, à reconnaître les concubins homosexuels comme tels.

Au delà, accorder un statut à " l'union sociale " introduit dans le droit une confusion volontaire entre des types de liens qui sont différents, voire incompatibles au plan symbolique : deux amis, deux étudiants qui cohabitent, deux religieuses, un frère et sa soeur, ne sont pas un couple. Les lier par un quasi mariage, par un engagement inscrit à l'état civil, leur assurant un statut fiscal et successoral semblable à celui des mariés, est un non sens, un brouillage de tous les repères qui accordent signification aux liens humains.

Enfin, ma troisième critique tient plus précisément à ce que le contrat d'union sociale, qui serait une autre façon juridique de s'unir, s'adresse aussi aux couples hétérosexuels. En nombre, ce serait d'abord eux qui seraient concernés. Pourquoi leur proposer un " mariage bis "? On met ici en cause, sans y prendre garde, l'unicité du mariage civil, qui a été l'une des conquêtes majeures de la Révolution française au nom de l'égalité de tous devant la loi, contre les discriminations frappant certaines populations à commencer par les protestants depuis la révocation de l'Edit de Nantes.

Unique et pluraliste, le mariage civil est une institution vivante, peut-être l'une des plus vivantes de nos institutions, qui a pu au cours du temps, parce qu'il était unique, et à travers des débats orageux se transformer profondément et intégrer les principes démocratiques d'égalité et de liberté.

Notre idéal républicain commande d'assurer, dans le respect de la pluralité des situations et des convictions (assurée en France en particulier par la diversité des régimes patrimoniaux et des procédures de divorce), l'unicité du mariage qui donne à tous ceux qui s'y engagent la protection de la loi commune.

Voilà les principales critiques qui m'ont amenée à qualifier le contrat d'union sociale de " fausse bonne idée "

Une autre issue est possible dès aujourd'hui, qui respecte davantage la revendication légitime des homosexuels, sans mettre à bas tout l'édifice du droit civil en matière matrimonial, et sans nous entraîner sur les terrains très controversés du mariage, de la filiation et de l'adoption, c'est de partir simplement de la réalité.

Dans la réalité, l'union sociale ne renvoie à rien, cela n'existe pas, personne ne l'a jamais rencontrée. La réalité nous la connaissons. Il existe des couples de concubins. Ces couples sont formés, dans l'immense majorité des cas, de deux personnes de sexe différent, et dans une minorité des cas de personnes de même sexe.

La Cour de Cassation, par des arrêts successifs, s'obstine à nier cette réalité. Elle le répète, pour elle des concubins sont obligatoirement, en référence à la vie maritale, un homme et une femme. Ce faisant, par ce déni des faits, le droit discrimine les concubins homosexuels, qui par exemple n'ont même pas accès à la protection en matière de logement que la loi reconnaît aux autres. C'est là aussi que l'on voit l'incohérence des propositions de contrat d'union sociale puisque ces contrats pourraient parfaitement coexister avec ce déni juridique de l'existence du couple homosexuel.

Revenir sur cette jurisprudence, accorder à tous les concubins les mêmes droits, me paraît un devoir premier de vérité et de justice. On pourra alors résoudre de façon plus sereine l'ensemble des questions urgentes posées par la croissance des situations de concubinage dans notre pays.

Est-il normal que des concubins soient désormais reconnus par le droit fiscal comme des couples quand il s'agit de leur ôter une demi-part, comme l'a fait, à juste titre, l'amendement Courson, et dans le même temps qu'ils soient niés en tant que couples, puisque qu'ils n'ont pas accès à l'imposition commune ?

Est-il normal que le concubin, même s'il a partagé trente ans d'une vie commune, soit considéré au regard de sa compagne ou de son compagnon prédécédé comme un étranger et à ce titre taxable de 60 % de droits de succession ?

Voilà les deux questions qui reviennent le plus souvent dans le débat public. Je suis sûr que cette journée, où vous pourrez entendre les plus éminents juristes, apportera beaucoup à cette réflexion essentielle pour la cohésion sociale de notre pays.

Je vous remercie.

(Applaudissements).

M. LARCHÉ, président. - Remarquable exposé. Permettez-moi une très légère correction. Ce n'est pas à la Révolution française que l'on doit la terminaison heureuse des conséquences de l'Edit de Nantes, mais à Louis XVI, qui, en 1787, a publié l'Edit de Tolérance. Cela ne lui a pas servi à grand-chose, puisque cinq ans après on lui coupait la tête. En établissant cet Edit, Louis XVI rendait l'Etat civil aux protestants.

Mme THÉRY.- Merci de cette précision. J'avais organisé un colloque sur ces sujets, il y a maintenant dix ans, qui traitait justement la période 1787/1804, pour tenir compte de l'importance de cet Edit. Je crois que nous pouvons dire que le mariage civil a été constitué en référence à ces problèmes de discrimination.

M. LARCHÉ, président. - C'est un détail, mais il est demeuré très vivant dans l'esprit des protestants. J'ai l'honneur de représenter un village dans lequel existe une minorité protestante. En 1987, j'ai célébré le bicentenaire de l'Edit de Tolérance. C'est donc très vivant.

Ce que vous venez de nous dire constitue, en quelque sorte, le socle indispensable d'une réflexion juridique. A partir de ces remarques, à la fois sur la situation de la famille, sur les possibilités qui devraient être explorées pour parvenir à des définitions juridiques, peut-être novatrices, nous avons bien le sentiment que nous sommes confrontés à un problème immense. Nous ne savons pas très bien encore comment il peut être résolu.

J'ai noté particulièrement votre remarque sur ce que je pourrais appeler, vous l'avez dit vous-même, le transfert de la notion d'indissolubilité. L'indissolubilité de la famille, et du lien qui doit exister entre les parents et les enfants.

Evidemment, vous n'avez pas abordé ce problème, mais il est sous-jacent. Si nous passons un jour, peut-être, à cette recherche d'un contrat (je ne sais comment il s'appellera) se posera le problème de la relation de ce couple d'un type nouveau et de l'enfant. Il ne manquera pas d'être posé.

M. BADINTER. - A propos du contrat d'union civile, ne pensez-vous que l'affirmation, peut-être au plus haut niveau des normes juridiques, du principe de non discrimination au regard des moeurs réglerait le coeur du problème ?

Il n'y a pas lieu de discriminer selon les moeurs, les droits doivent être égaux pour des situations égales quelles que soient les moeurs.

Mme THÉRY.- Ce principe est très important, mais règle-t-il toutes les questions ?

Il existe une différence entre une discrimination et une distinction. Il est essentiel d'avoir en tête cette différence. Je remarque aujourd'hui -je lis absolument tout ce qui se publie sur le sujet- que toute distinction est considérée comme une discrimination.

Nous devons affirmer très fortement un principe anti-discriminatoire, c'est-à-dire que des situations semblables doivent être traitées de façon semblables. Nous devons reconnaître aussi que des distinctions sont possibles.

Traiter, en matière de filiation un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, ou plutôt un couple formé d'un homme et d'une femme et un couple formé de deux personnes de même sexe, n'est pas forcément les discriminer puisque les questions de la filiation ne se posent pas de la même façon. On ne peut pas tout rapporter à des discriminations. En matière de couple, les situations sont semblables, il y a une vie commune, un lien affectif, une dimension sexuelle autorisée, c'est cela qui peut définir un concubin et non pas simplement la référence à la vie maritale que fait la Cour de cassation. Voilà pourquoi on peut parler de discrimination.

En matière de filiation ou de mariage, je ne crois pas que le fait de le considérer comme une lien entre un homme et une femme soit une discrimination à l'égard des couples du même sexe. c'est une distinction qui a du sens, la différence des sexes en ayant un.

M. LARCHÉ, président. - Je voudrais ajouter un point concernant la remarque très importante entre la distinction et la discrimination qui conduirait -vous avez employé le mot- à mettre fin à l'obstination de la Cour de cassation, car elle s'obstine. Nous pouvons considérer qu'elle s'obstine, mais nous pouvons remarquer également que le premier arrêt, qui concernait un steward d'Air France, ne date que de 1989.

Est-ce une obstination ou une reconnaissance de l'idée de couple ?

Mme THÉRY.- J'ai employé le mot d'obstination en me référant au récent arrêt de décembre dernier. Je pense que la situation a évolué, dans le sens justement d'une conception du couple qui soit plus large, qui considère que la notion de couple existe même entre personnes de même sexe. Ce qui fait la notion de couple c'est justement cette dimension.

Autant je suis très claire, on ne doit pas confondre les couples, les fratries, les amis, etc., autant je ne vois pas de confusion symbolique à reconnaître l'existence de liens humains qui sont exactement de même nature du point de vue affectif, de l'engagement dans la vie commune, de la solidarité, que les couples soient de même sexe ou non.

M. LARCHÉ, président. - Peut-être la Cour de cassation adoptera-t-elle un jour une attitude moins obstinée.

M. BADINTER . - Elle ne fait qu'appliquer la loi. Si le législateur la définit autrement, elle s'adaptera.

M. LARCHÉ, président - Nous devrons trancher un jour. Nous ne sommes pas encore saisis de ce problème. Nous verrons lorsque ce jour arrivera. Il faudra alors nous interroger sur des identifications possibles.

M. DREYFUS SCHMIDT. - Nous le sommes, par diverses propositions.

M. LARCHÉ, président. - Elles viendront à l'ordre du jour le moment opportun, tout au moins à notre niveau. Ce n'est pas moi qui prendrais la décision seul.

M. LARCHÉ, président. - Je vais demander à Monsieur Philippe Malaurie, Monsieur Alain Benabent et Madame Jacqueline Rubelli-Devichi de bien vouloir nous rejoindre.

Madame, Messieurs, après avoir entendu cette sociologue éminente, nous avons pensé vous entendre pour obtenir de vous un éclairage et un sentiment sur la situation actuelle du droit et également sur les évolutions possibles.

M Philippe MALAURIE,
Professeur émérite à l'Université du Panthéon-Assas
M. Alain BENABENT,
Professeur à l'Université de Paris X
Mme Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI,
Professeur à l'Université de Lyon

M. MALAURIE . - Merci Monsieur le Président. Je vais d'abord remercier le Sénat de m'avoir invité et d'avoir prévu cette audition avec un ordre du jour très étendu. La réforme du droit de la famille est une des questions les plus graves, les plus étendues et les plus difficiles que nous puissions concevoir.

Quand on m'a dit que j'avais un quart d'heure pour présenter mon point de vue sur les réformes du droit de la famille, je me suis senti un peu frustré. Je laisse une note d'une quinzaine de pages à la disposition de la Commission des lois et de tous ceux qui voudront bien la regarder. Ce seront donc des observations très fragmentées, qu'aussi rapidement qu'il m'est possible je présenterai, pour laisser une place au débat qui me paraît un des moments les plus fructueux de ce type de réunion.

Je regrette que Mme Irène Théry soit partie, j'aurais voulu lui dire tout le plaisir que j'ai eu à l'entendre.

M. LARCHÉ, président. - Elle l'a deviné.

M. MALAURIE . - Oui, mais elle n'entend pas mes compliments ni mes réserves. Il m'est souvent arrivé en la lisant d'être très frappé par la coïncidence de nos points de vue et d'être surpris de la différence de nos conclusions. Je ne partage pas un certain nombre de ses conclusions.

Je souhaite que la réforme du droit de la famille ne soit pas parcellaire. Mme Guigou a eu l'idée de constituer une Conférence de la famille et c'est peut-être une bonne idée de voir un ensemble. Tout ce qui est réforme parcellaire, au coup par coup, sous l'impulsion du sentiment de l'intérêt ou de l'émotion du moment, me paraît être une mauvaise méthode.

Je souhaite aussi que les réformes aient des objectifs simples, et pour moi, l'objectif simple qui doit dominer la politique de la famille, comme probablement toute notre politique, est le respect de notre humanisme, des engagements ; donner à chacun le sens du devoir, le sens de la responsabilité et du caractère presque sacré de la famille.

Je parlerai de trois points, mais d'une façon très inégale.

Un mot sur la grande réforme du droit de la famille, en panne depuis 1988 : la réforme du droit des successions. Il faudra qu'elle aboutisse. Une des raisons pour lesquelles elle a échoué est que le projet de loi n'a pas pris en considération une des données actuelles -que Mme Théry a heureusement souligné- à savoir l'éclatement de la famille.

Le grand problème du droit des successions, surtout problème politique, est le droit du conjoint ; il doit être envisagé de manière tout à fait différente du cas habituel : je lègue la totalité de mes biens à ma femme, qu'elle ait une réserve ou pas, peu importe, de toute façon un jour ou l'autre mes enfants retrouveront le peu de bien que je peux avoir. Mais, si jamais mon mariage étant dissout, j'épouse une jeune femme de 20 ans le problème est tout à fait différent. Il y a là une distinction capitale à apporter que le projet de loi n'avait pas vu.

Le deuxième point que j'entends évoquer est celui appelé, à tort ou à raison, divorce administratif. L'expression de divorce civil me paraît mal venue, car il y aurait un divorce commercial, pénal, etc. J'y suis hostile bien qu'en soi l'idée ne soit pas absurde. C'est le propre de toute erreur de comporter une part de vérité.

L'idée profonde que j'ai du divorce est que c'est un mal, toute solution que l'on apporte au divorce est mauvaise et il nous faut chercher la moins mauvaise. Quand en 1975, on a affirmé qu'on allait dédramatiser le divorce, ce n'était pas vrai ; il restera toujours un drame, mais essayons qu'il soit le moins douloureux possible.

Le divorce administratif n'est envisageable que s'il n'y a pas d'enfants, pas de biens, si le mariage n'a pas duré longtemps, c'est-à-dire une quasi nullité du mariage, Mme Théry ajoute l'hypothèse : si les époux sont d'accord. Tout le problème est là. La grande difficulté des relations entre époux en voie de divorce est la réalité de leur accord.

Il faut, je le souhaite vivement, que les projets législatifs écartent radicalement les divorces mal faits, ceux qui sont les plus douloureux, les plus contentieux : vite fait, mal fait. Il faut très soigneusement préparer le divorce. Une solution souvent envisagée est de faire précéder le divorce d'une convention liquidative, non pas avec un avocat (là, la loi de 1975 a commis une erreur), mais avec deux avocats : l'avocat est un défenseur, il doit défendre l'intérêt de son client. Dès qu'il y a un seul avocat, les relations deviennent équivoques et sont faussées.

Après la convention liquidative il devra y avoir un délai de six mois pour éviter le divorce d'explosion et il sera déféré à un juge. Quel que soit son rôle, il me paraît indispensable parce que le celui-ci peut empêcher les débordements que nous avons tous rencontrés. Tout récemment, j'ai vu par exemple une convention où figurait une compensation entre la prestation compensatoire et la pension alimentaire. Cela paraissait devoir se compenser, mais ce ne sont pas les mêmes personnes, il y a l'enfant d'un côté et les époux de l'autre.

J'ajoute, malgré toute l'autorité que je reconnais à M. Carbonnier, que je souhaite très profondément que soit prévue une rescision pour cause de lésion de ces conventions, dont certaines sont très spoliatrices du conjoint.

Quand je présente ce divorce par requête conjointe, je ne suis pas hostile, car c'est une réalité qui, aujourd'hui s'impose, à une sorte de privatisation et contractualisation de la famille, à condition quelle ait ses limites. Il y a un danger considérable si nous croyons que la loi, que l'Etat, que le juge doivent s'effacer en matière de famille, c'est une erreur immense. Nous devons continuer à assurer la fonction essentielle du droit : la protection du plus faible. Dans un divorce, il y en a presque toujours un qui est le plus faible, généralement le plus aimant et c'est lui qui fait les frais des divorces par consentement forcé.

Mon dernier point concerne le CUC (contrat d'union civile) ou le PIC (pacte d'intérêt commun). De toutes les réformes envisagées, c'est de beaucoup la plus grave parce qu'elle touche au coeur du droit de la famille : le mariage. M . Carbonnier avait très soigneusement écarté toute espèce de révision du droit du mariage (si je rapporte ses propos, c'est parce qu'il les a publiés) et lorsqu'il avait vu le Général De Gaulle, alors Président de la République, il avait posé comme condition que l'on ne toucherait pas au mariage. On y a touché indirectement par le divorce ou la filiation, mais le problème du mariage est explosif. C'était dans les années 1960. Depuis la situation a considérablement changé. Le caractère explosif des réformes du mariage serait encore beaucoup plus sensible.

Ces questions du CUC ou du PIC intéressent deux sortes d'hypothèses : les homosexuels et les concubins hétérosexuels. Les vrais demandeurs sont les homosexuels. Je ne crois pas qu'il faille exclusivement arrêter notre attention sur eux. Il y a pour le CUC et le PIC des homosexuels une grande diversité de propositions, avec des différences de modalités, mais je ne crois pas qu'elles soient profondément différentes.

La seule vraiment différente, est le projet PIC, j'ai beaucoup de mal à en parler, il change tous les jours. Hier j'ai vu dans la presse que, alors qu'initialement le PIC était une convention purement pécuniaire, il devait conférer la possibilité d'adoption, ce qui change tout à fait l'économie du système.

Il y a, comme dans tout débat politique, intellectuel et juridique, du pour et du contre. Le pour, c'est le thème que j'ai encore entendu tout à l'heure avec Mme Théry, un des thèmes vieux comme le monde, l'adaptation du droit au fait, tout le monde sait qu'il doit s'adapter au fait mais que le droit ne doit pas s'identifier au fait. Le deuxième thème est la lutte contre la discrimination.

Le contre me paraît être la réalité profonde de notre condition humaine, la distinction entre l'homme et la femme. C'est le repère fondamental, premier de l'individu et de la société. Dans notre société qui est en crise, plus qu'elle ne l'a jamais été, avec toutes les conséquences de délinquance que nous pouvons connaître, ce n'est vraiment pas le moment de faire disparaître ce qui est l'immunité essentielle de notre société. Si nous perdons ce repère, nous perdons beaucoup de signes de valeur de notre société.

Voilà rapidement sur le CUC homosexuel.

Le concubinage hétérosexuel porte, comme d'ailleurs le concubinage homosexuel, des noms bizarres et ridicules. Dire que celui qui aura conclu un CUC sera " cucé " et celui qui aura conclu un PIC sera " piqué " est grotesque. Je ne vais pas en tenir rigueur aux auteurs de ces propositions. C'était probablement inévitable, non pas qu'il soit impossible de trouver un nom d'une institution intermédiaire entre l'union libre et le mariage, l'histoire en a donné. Par exemple Rome avait connu le concubinat, mais l'ambition des auteurs du CUC et du PIC explique l'impossibilité qu'ils ont de trouver un nom quelconque.

En effet, ils ne veulent donner avec leurs institutions qu'une situation indifférenciée, qui couvre aussi bien les relations avec " copula carnalis " que les relations entre les vieilles dames, entre le frère et la soeur ce qui est l'équivoque profonde de ces projets. Je peux leur faire de très nombreux reproches. Je ne les dirai pas tous. Je les ai mis dans ma petite note. Le premier, Mme Thery l'a évoqué, c'est la liberté. La base même de l'union libre, c'est la liberté : la liberté de rupture, la liberté de conclusion. La base de l'union libre c'est qu'elle ne vit qu'autant que le veulent les concubins.

J'ai cité dans ma note la jolie chanson de Georges Brassens, la " non demande en mariage ". Nul n'a mieux défini l'union libre que lui. Avec ma voix grippée, je ne vais pas la chanter, et peut-être n'est-ce pas le genre de la Commission des lois que de chanter du Brassens.

M. LARCHÉ, président. - Nous n'y sommes pas hostiles.

M. MALAURIE . - Nous n'avez pas intérêt à m'entendre chanter, mes enfants m'ont fait perdre la confiance que j'avais en moi à ce sujet .

Ce qui caractérise au contraire le mariage, c'est le rite. Mme Théry parle de la symbolique, ce mot me paraît obscur. C'est le rite avec tout le cortège de conséquences qui en découlent, la présomption de paternité, la preuve, la vocation successorale, tout cela est étranger à l'union libre.

A cet argument traditionnel s'ajoutent des arguments très techniques. L'équivoque de ces CUC : ils ont évoqué la possibilité de deux religieux qui constitueraient un CUC ou un PIC. J'ai interrogé l'Official qui dit que c'est tout à fait impossible. Le principe de toute communauté religieuse est qu'elle ne se fait pas à deux. C'est par les drames qui ont frappé ces malheureux trappistes d'Algérie qu'une communauté peut être réduite à deux, mais il doit être le plus rapidement possible mis fin à cette anomalie. Il y a là une équivoque et une erreur.

Le PIC, quand il envisage d'être une simple convention pécuniaire, réduit la grandeur de la communauté de vie à une économie mercantile et purement pécuniaire. Actuellement, j'ai l'impression d'avoir affaire, avec le PIC, à un exemple grammatical. Le dilemne est le choix entre deux propositions contraires qui aboutissent au même résultat. On donne comme exemple l'attitude du calife Omar Ier devant la bibliothèque d'Alexandrie : ou bien ces livres sont conformes au Coran, ils sont inutiles, il faut donc les brûler ; ou ils sont contraires au Coran, ils sont nuisibles, il faut donc les brûler.

J'en dis autant du PIC. Ou bien le PIC dit que l'on peut faire une convention d'indivision de société, il y a longtemps que nous le savons, donc il est inutile, ce n'est pas la peine de l'adopter ; ou bien des avantages sociaux et fiscaux lui sont attachés, là il s'agit d'un concurrent subreptice au mariage, il est nuisible, il ne faut pas l'adopter.

Un autre argument technique : tous ces mécanismes vont entièrement bouleverser, non seulement le droit de la famille, le mécanisme de la réserve, de la répartition des pouvoirs, mais même des matières auxquelles on ne s'attend pas. Les biens de main morte peuvent être reconstitués par le jeu de ces conventions.

Puis, il y a le Fisc. Si nous permettons aux " piqués " et aux " cucés " de bénéficier des avantages fiscaux dont profitent les époux, il y aura une énorme évasion fiscale, ce seraient des dizaines de milliards de recettes fiscales qui disparaîtraient.. Ce n'est pas le moment étant donné l'énorme difficulté budgétaire que nous connaissons, alors que les prestations familiales sont plafonnées et que nous n'arrivons pas à subvenir aux besoins des misérables et des pauvres qui nous entourent, de faire ce cadeau d'intérêt privé.

Par ailleurs, les problèmes de politique familiale sont en cause. Nous abandonnerons la cohérence de la société civile. Une des conséquences de la révocation de l'Edit de Nantes a été de mettre fin à la pluralité du mariage, il y avait le mariage des catholiques et puis le mariage du désert (le mariage des protestants).

Avec le système envisagé, il y aura une pluralité du mariage : le mariage traditionnel, le mariage bis, le sous mariage des homosexuels ou de ceux qui sont hésitants et qui ne veulent pas s'engager entièrement dans les liens du mariage. Il y aura aussi le mariage des catholiques, des traditionalistes, ils réclameront l'indissolubilité du mariage, comme ils l'ont fait en 1944. Pourquoi discriminer les musulmans? Il devrait y avoir le mariage polygame.

Il y a, là, un risque considérable, peut-être imperceptible, de fracture sociale. Il y a aussi le risque de l'instabilité de l'union, la rupture d'une union aussi facilement prévue que celle du CUC ou du PIC, sera une rupture mal préparée. Nous courons vers la répudiation coranique dont tout le monde sait qui en a été la victime, la femme avec la conviction d'être inférieure, à laquelle malheureusement souvent le droit musulman la condamne.

Voilà, je n'ai pas parlé de l'essentiel. J'ai l'impression que derrière des projets de CUC et de PIC et peut-être du divorce civil, il y aura une nouvelle anthropologie de l'union de l'homme et de la femme. Nous avons tous conscience, et c'est une des richesses de notre civilisation, que l'union entre l'homme et la femme, dès lors qu'elle s'institutionnalise, est une union grave et sérieuse.

Je reprends le mot de Portalis : " il ne faut pas ce soit une union que le plaisir forme et qui disparaisse avec le plaisir ". A cette vision anthropologique, j'ajoute une vision purement juridique : je ne crois pas, Monsieur le Président, en l'omnipotence du droit. Il ne faut pas légiférer sur tout, il ne faut pas croire que la société tout entière puisse être saisie par le droit. Non vraiment, quelle que soit la foi que j'ai dans le droit, il n'est pas une potion magique et je souhaiterais que nous ayons tous, dans un domaine aussi grave, aussi douloureux, plus d'humilité.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

M. LARCHÉ, président. - Merci infiniment.

J'ajouterai un point qui me semble très important quant à l'évolution du concubinage. Je ne sais à quel niveau, est-ce à celui de la Cour de cassation ou une Cour d'appel, mais il vient d'être jugé que le concubinage n'impliquait pas la domiciliation commune.

M. MALAURIE . - Comme la communauté de vie en matière de mariage ; on peut avoir sa femme à Marseille, habiter Lille et se rencontrer à Lyon.

M. LARCHÉ, président. - Cela vient d'être étendu au concubinage.

M. BENABENT . - Il est toujours très difficile de parler après M. Malaurie, vous l'avez tous compris. On m'a laissé le choix du thème sur lequel nous pouvions parler dans le droit de la famille.

Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Malaurie sur l'immensité du domaine et sur la nécessité de se concentrer sur un ou deux points.

Je ne reprendrai pas la question du droit des successions ni celui du PIC ou du CUC. Ce n'est pas que je partage entièrement les raisons qui conduisent M. Malaurie à souhaiter qu'il ne soit pas légiféré sur ce point. Comme pour l'exemple d'Alexandrie qu'il a donné, j'arrive à peu près à la même conclusion, mais pour d'autres raisons. Je répondrai à vos questions sur ce point, si nécessaire. Il est inutile d'alourdir le débat et d'amputer le temps assez court qu'il reste.

Je voudrais me concentrer sur la question du divorce et d'une éventuelle réforme ou modification de la réforme du divorce de 1975.

Il y a la question des causes, celle de la procédure et les conséquences. Le deuxième volet est sans doute aussi important à l'heure actuelle. Il est plus technique. Nous pourrons passer dessus plus rapidement.

Il y a actuellement trois causes de divorce : consentement mutuel, pour faute et pour rupture de la vie commune.

Notre état de droit, qui constituait sans doute un progrès en 1975 n'est plus satisfaisant et deux questions principales méritent d'être aujourd'hui posées ou reposées.

La première : le divorce par consentement mutuel donne en gros satisfaction, bien que je partage ce qu'a dit M. Malaurie sur la nécessité de lui maintenir son caractère sérieux et donc judiciaire.

Pour les deux autres procédures, deux questions se posent : d'abord le divorce pour rupture de la vie commune ne doit-il pas être entièrement refondu pour qu'il cesse de jouer le rôle totalement résiduel qu'il joue actuellement ? Ensuite, il faudra peut-être se poser de nouveau la question du principe même du divorce pour faute.

Concernant le divorce pour rupture de la vie commune, il est tombé quasiment en désuétude. Il représente moins de 1 % des procédures, compte tenu de la lourdeur de la procédure, de la longueur du délai (six ans) et surtout la rigidité de ses effets qui désignent le demandeur comme un paria du seul fait qu'il est demandeur et qu'il a recours à cette forme de divorce.

Ce divorce, à condition d'être refondu, peut servir de base à une liquidation des mariages en faillite et à une liquidation neutre, objective qui permette de sortir des insuffisances actuelles.

La faille du système actuel est que lorsqu'une personne veut divorcer, elle est obligée d'avoir soit des griefs à formuler et à prouver contre l'autre, soit l'accord de l'autre. Si jamais elle veut divorcer sans avoir l'un ou l'autre, à l'heure actuelle, il n'y a que cette procédure de six ans qui est extrêmement longue, donc en gros elle ne peut pas.

Par exemple, quand une dame vient me voir et me dit que son mari la trompe, qu'elle en a assez, qu'elle veut demander le divorce et qu'elle veut l'ennuyer vraiment, le conseil positif que nous pouvons lui donner, en l'état du droit, est de ne pas intenter de procédure de divorce. C'est en restant mariée qu'elle l'ennuiera le plus. En effet, il n'a aucun moyen de divorcer, il n'a pas de faute à lui reprocher et il n'a pas son accord.

Est-il digne d'un droit civilisé de donner un tel conseil ? Personnellement, j'en doute. Nous pouvons nous poser la question. Le mariage civil, pas religieux, ne doit pas être un moyen pour un citoyen de maintenir l'autre dans les liens d'un mariage dont il ne veut plus, qu'il ne tolère plus.

La loi, à mon sens, ne peut pas gouverner la liberté individuelle -elle est aussi intime que la vie privée des citoyens- au point d'imposer ce maintien ou de permettre de l'imposer.

Vous l'avez compris, c'est un divorce par volonté unilatérale que l'on pourrait instaurer, en remaniant ce divorce pour rupture de la vie commune. Le droit de mettre fin à une union personnelle, alors que l'on admet partout ailleurs que des liens perpétuels ne sont pas admissibles, même quand c'est en matière patrimoniale, ne peut être dénié et on ne peut plus reconnaître à l'autre conjoint le droit de s'opposer à tout divorce, en maintenant son conjoint prisonnier dans les liens d'un mariage sous prétexte qu'il l'aime encore, qu'il ne veut pas être seul. Ce n'est pas une façon d'aimer et la loi n'a pas à y prêter la main.

Bien sûr, il y a des objections. La première est de dire qu'il y a déjà 237 dossiers en stock de divorces pour rupture de la vie commune. Nous savons très bien que ce n'est pas possible, ce délai de six ans est beaucoup trop long.

A qui a-t-on demandé d'attendre six ans avant de se marier ? A personne. Pourquoi demander d'attendre six ans avant de divorcer ? Aujourd'hui, dans nos conceptions le mariage et le divorce sont deux actes très graves, aussi importants l'un que l'autre, ce sont des choix de vie. Il n'y en a pas un qui soit plus grave que l'autre. S'il n'y a pas de délai avant de vous permettre de vous marier, je ne suis pas certain que ce délai de six ans soit justifié. Dans d'autres pays, le délai est de trois ans, il est déjà aussi trop long.

Une seconde objection consiste à dire que c'est une répudiation. Du seul fait d'avoir utilisé le terme, c'est le mot qui sert à jeter l'anathème sur l'institution, alors qu'il est très ambigu. Dans la répudiation, qui évoque le mécanisme donné par l'Islam, ce qui est très choquant, ce n'est pas qu'elle soit à sens unique, mais que ce soit uniquement l'homme qui puisse répudier la femme et donc le quasi servage qui peut en résulter.

Toutefois, est-ce l'aspect de pouvoir libérer quelqu'un qui est dans un lien qui, pour des raisons diverses des années plus tard peut paraître intolérable, qui nous choque ? Il faut se méfier de l'amalgame facile qui se fait en employant ce mot. Ce que nous disons là n'a rien de révolutionnaire. C'était déjà connu dans une loi qui n'a pas duré très longtemps, celle du 20 septembre 1792.

Le projet de Naquet, qui a abouti à la loi de 1884 qui a rétabli le divorce n'était que son troisième projet.

Son premier projet, présenté en 1876, était beaucoup plus large. L'exposé des motifs est d'une humanité remarquable. Ce premier projet prévoyait un divorce pour faute, par consentement mutuel et un divorce par volonté unilatérale persistante. Une procédure permettait, à condition de réitérer quatre fois, tous les trois mois, pour être sûr qu'il ne s'agissait pas d'un coup de tête, la volonté persistante de l'un des époux, de mettre fin à cette union, sans cause déterminée, sans que le juge ait à contrôler s'il y avait véritablement faillite du mariage. A partir du moment où une des parties le ressentait comme tel, le juge n'avait pas de raison de dire qu'il en était autrement. Dans ces conditions, le divorce pouvait être prononcé, sur la base de cette volonté persistante de mettre fin à l'union.

Nous pourrions nous poser de nouveau la question car le respect de la personne implique qu'elle entre dans les liens qu'elle désire mais qu'elle puisse en sortir de la même manière.

S'agissant du maintien du divorce pour faute : Mme Ganancia a publié, il y a un an, un article -dont toute la première partie mériterait d'être citée quasiment mot pour mot- sur le caractère anachronique, inadéquat et nocif de l'existence même de cette forme de divorce.

Le juge se sent très souvent décalé, impuissant dans ce type de litige. Nous pouvons nous demander l'utilité de ce combat pour obtenir le gain du divorce, inutile dans 90 % des cas, puisque c'est dans cette proportion que cela aboutit à un divorce aux torts partagés, précisément parce que le juge ne se sent pas qualité pour s'immiscer dans la recherche des causes de cette mésentente. Son existence même n'est-elle pas plus nocive, dans la mesure où il conduit à rechercher ce que l'on pourrait reprocher à l'autre. La Cour de cassation, il y a quelques mois encore, admettait que l'on puisse produire en justice la correspondance adressée au conjoint, sauf à prouver qu'on l'a obtenue par faute, (comment prouver qu'elle a été prise dans un sac à main ?).

Que l'on puisse produire en justice le journal de l'autre qui par nature n'a pas à être consulté par quiconque, encore moins par le conjoint ! Ces procédés sont inadmissibles. Ils ne sont justifiés que par l'idée qu'il y aurait un droit à la preuve des fautes de l'autre et ce parce qu'il existe un divorce pour faute. Sans divorce pour faute, ces dérives deviendraient inutiles.

A quoi sert-il aujourd'hui de maintenir ce divorce pour faute ? A faire proclamer son innocence, (satisfaction morale) ou la culpabilité de l'autre.

Faire proclamer son innocence est une considération qui a eu sa légitimité à une époque, mais qui ne l'a plus. Pendant un temps, le divorce était une sorte de tache sociale. Dans beaucoup de milieu, il fallait une excuse pour avoir le statut de divorcé. Cette excuse était de dire : je n'y suis pour rien, je suis innocent et j'ai fait juger par le tribunal que je l'étais.

Actuellement, la société ne fait plus cette distinction, cette sorte de hiérarchie entre les mariés et les divorcés. La nécessité n'existe plus de faire proclamer son innocence pour se justifier d'avoir divorcé. Personne ne vous demande plus pourquoi, comment vous êtes divorcé aujourd'hui. Vous n'avez pas à en justifier. Il est donc inutile de faire proclamer votre innocence.

Faire proclamer que l'autre est coupable, est-ce légitime ? Par rapport à qui ? A des normes fermes dans une société où tous les gens mariés vivent de la même façon. Le juge peut voir ce qui est déviant, mais actuellement des gens mariés vivent ensemble, d'autres pas, certaines personnes mariées tolèrent telle ou telle activité de l'autre, ce sont des arrangements personnels. On ne considère plus que le droit ait qualité pour s'immiscer dans ces arrangements.

Par rapport à quelles normes le juge va-t-il dire ce qui est bien ou mal ? Il est bien embarrassé, le plus souvent il dit que les torts sont réciproques. Pourquoi déclarer l'autre coupable alors que l'on sait très bien que, quelle que soit la culpabilité apparente, il y a toujours une foule de causes enchevêtrées dont il est artificiel et vain d'aller rechercher l'imputabilité. Cela ne veut pas dire pour autant que dans les cas où la faute est patente, si l'un bat l'autre, il ne faille pas en tenir compte. Mais cela relève de la responsabilité civile d'en faire un accessoire du divorce dans les cas où la faute est évidente ; pourquoi en faire la condition du divorce ?

A partir de là, on arrive inévitablement à envenimer les débats. Ne serait-ce que parce que, par une sorte de gêne vis-à-vis des autres, le conjoint se dit qu'il est bien obligé d'avoir l'air de reprocher quelque chose à l'autre et donc de chercher des griefs et d'envenimer un débat qui pourrait être le simple constat qu'à un moment tout allait bien, puis qu'à un autre, il faut être adulte et dépasser cette recherche de la faute.

Je me demande si dans la réflexion sur le maintien du divorce pour faute, on ne pourrait pas assainir le débat judiciaire en le supprimant.

Le deuxième volet concerne la procédure du divorce : s'il me paraît utile d'alléger tout ce qui conduit au divorce, c'est-à-dire les causes, en les dédramatisant, en revanche il me paraît très important de faire un effort pour que le procès en divorce et l'organisation du divorce soient sérieux, au moins aussi sérieux que maintenant et peut-être plus si c'est possible.

Que cela passe devant le juge ou l'officier d'état civil, je partage l'opinion de M. Malaurie. Il est possible de passer devant l'officier d'état civil mais uniquement dans le cas où il n'y a personne à protéger, ni enfants ni un conjoint plus faible en raison de la situation patrimoniale, et cela ne concerne que peu de cas.

Dans tous les autres cas, le juge est là pour protéger quelqu'un, non pour prononcer le divorce ou pas, mais pour en organiser les conséquences. Il faut maintenir et renforcer le caractère sérieux du procès. Je ne suis pas favorable à l'idée que l'on pourrait, là où il y a une double requête, se contenter d'une seule, ce qui supprime, par nature, les délais de réflexion. Autant le divorce est un droit, autant c'est une affaire sérieuse pour laquelle on peut légitimement imposer des délais de réflexion, qu'il soit par consentement mutuel, par volonté persistante ou volonté unilatérale.

Sur le troisième volet, je crois qu'il faut cesser de diviser en plusieurs phases le règlement des conséquences du divorce. Actuellement, sauf dans le divorce sur requête conjointe où tout doit être réglé en même temps, le chemin est épars. D'abord le principe, ensuite les situations compensatoires, s'il y en a les mesures d'instruction entre les deux, et enfin le règlement du régime matrimonial, mais tout cela est lié. Pour bien faire, il faut avoir en vue toutes les conséquences.

Il me paraît indispensable d'étendre à tous les divorces la solution actuelle du divorce sur requête conjointe, qui consiste à dire qu'il faut que tout soit réglé au cours d'un seul et même procès. On va dire que cela allonge les procédures, je suis surpris de voir qu'on hésite à abréger le délai de six ans pour arriver à prononcer le divorce, mais que l'on soit pressé quant à la durée de la procédure. Mieux vaut abréger avant et prendre les mois nécessaires poux régler correctement et définitivement l'ensemble du problème matrimonial, y compris la liquidation du régime matrimonial.

Je termine en disant que les causes du divorce doivent être allégées, elles peuvent être dédramatisées, car on peut faire admettre, que ce soit par volonté commune ou unilatérale, que le divorce n'est pas une chose qui déroge à la norme dans la conception actuelle, mais simplement une manière de respecter, de restaurer la liberté de chacun, ce que l'on ne peut pas définitivement aliéner.

En revanche, il faut que l'on se concentre mieux sur les conséquences et l'organisation du divorce, avec la participation de deux avocats, même si le procès doit durer plus longtemps, il faut que tout soit réglé de manière unique avec le juge.

Je vous remercie.

Mme RUBELLIN-DEVICHI. - Monsieur le Président, j'ai beaucoup de plaisir à me trouver devant vous parce que vous étiez Président de la Commission des lois du Sénat quand a été votée la loi de 1993. C'est un plaisir de m'adresser à des sénateurs qui sont parfaitement au courant de la législation actuelle.

J'ai inversé ce que j'avais à vous dire car il y a des points où je me serais abstenue, mais finalement je ne peux plus. La beauté du droit et le plaisir d'être avec des collègues est grand même si nous ne sommes jamais tout à fait d'accord entre nous sur beaucoup de points.

M. LARCHÉ, président. - C'est un plaisir que nous connaissons bien entre nous.

Mme RUBELLIN-DEVICHI. - Je m'étais dit que je ne parlerai pas du divorce, d'abord parce que vous avez voté une proposition de loi sur la prestation compensatoire qui me paraît tout à fait satisfaisante, et même plus simple que ce qu'avait fait la commission Jean Hauser.

La proposition de loi qui a été voté par le Sénat, relative à la prestation compensatoire, me paraît résoudre le problème crucial du divorce régi par la loi de 1975, à savoir éviter que le choix d'une prestation compensatoire sous forme de rente ne pérennise les versements à accomplir, et aussi, -mais il manque quelque chose à votre réforme-, pousser vers la conversion en capital de la prestation qui prend trop souvent la forme d'une rente.

Le problème de cette réforme est que l'aspect fiscal ne pousse ni les magistrats ni les justiciables vers la prestation compensatoire en capital, pour la bonne raison que celle-ci est imposée, comme les libéralités entre époux. Pour la rente, au contraire, elle peut être déduite des revenus de celui qui la verse.

Je me permets de vous rappeler qu'il y a toutes sortes de prestations compensatoires, pour toutes les fortunes. On trouve dans les quelques derniers mois des prestations compensatoires en capital de 1 ou 2 MF. Faut-il pénaliser les riches ?

Faut-il les inciter à verser des prestations compensatoires en rente pour n'avoir pas ce système fiscal qui avantage ceux qui versent les prestations compensatoires en-dessous de 330 000 F ? Faut-il revoir le système fiscal ?

Nous devons réfléchir très vite pour répondre à cette question, elle accompagnerait très bien la proposition de loi que vous avez votée et qui me paraît très utile.

M. Benabent m'amène à parler du divorce alors que je n'en avais pas l'intention. Je ne suis pas d'accord avec lui sur certains points, notamment en ce qui concerne la suppression du divorce pour faute.

Non, je ne vois pas pourquoi une femme trompée devrait rester dans les liens du mariage.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Les hommes aussi peuvent être trompés !

Mme RUBELLIN-DEVICHI. - Je n'en doute pas, mais ils ne vont pas s'en apercevoir.

(Rires).

Le complice de l'adultère, aurait-on dit autrefois, s'affiche beaucoup plus volontiers pour narguer l'épouse que lorsque que c'est l'inverse.

Si un homme est battu, trompé, et souhaite rester dans les liens du mariage toute sa vie, je ne vois pas pourquoi il pourrait réclamer des dommages intérêts alors qu'il ne fonde pas sa demande sur une rupture du mariage pour faute.

En revanche, et je suis d'accord avec vous, il faut supprimer le délai du divorce pour rupture de la vie commune, six ans c'est la porte ouverte à tous les chantages, trois ans me paraissent bien, mais ne touchons à rien d'autre.

Quant au divorce sur requête conjointe, par consentement mutuel, il va falloir sûrement un texte pour vaincre l'obstination de la Cour de cassation, qui veut voir dans l'indissociabilité du divorce et de la convention quelque chose que M. Malaurie écrit très joliment. On peut désormais être tranquille, la convention dans un divorce sur requête conjointe a une force qu'aucune convention ne connaît dans notre droit quand bien même elle aurait été passée avec lésion, avec fraude, avec violence (on a tapé sur le juge par exemple).

Ces points me paraissent devoir être signalés, de même que je crois -et le Président Fossier le dira beaucoup mieux que moi- qu'une des solutions, à ce problème très grave que connaissent les magistrats, les notaires et un peu les avocats qui est que le juge doit statuer sur le divorce sans connaître l'état des biens des époux. La liquidation dure des années et des années parce qu'on a envie de prolonger. Une solution avait été trouvée lors de la Conférence de la famille, par M. Fossier lui-même : il faudrait exiger, dans tous les divorces, qu'au moment de la requête, les époux produisent l'état de leurs biens (liste des biens et des dettes des époux).

Presque la moitié des divorces prononcés sont des divorces pour faute. Cela correspond à une réalité et à une nécessité. Peut-être y a-t-il quelques divorces pour faute qui dissimulent des divorces par accord, car le drame des divorces par consentement mutuel, ce sont les délais, les possibilités de revenir sur sa décision. Il y a là une justification du maintien du divorce pour faute.

Je voudrais revenir sur le PIC ou le CUC. D'abord j'ai des propositions à faire à M. Jean Hauser. Il le sait, je vais défendre le PIC.

Il faut repartir d'un constat. Actuellement, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme pour le droit français et pour les autres droits, comme pour la Convention européenne des droits de l'homme. A telle enseigne que des droits étrangers, comme le droit du Québec, mettent maintenant dans leur législation que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme.

Il nous avait tellement échappé en 1804 que l'on puisse le contester que ce n'est même pas écrit dans le Code civil. Certains homosexuels, très défenseurs de l'homosexualité, prétendent que parce que ce n'est pas dans le Code civil français, cela prouve que le mariage entre homosexuels devrait être possible. Je leur laisse la responsabilité de leurs déclarations.

A côté du mariage, il y a des unions de fait de personnes qui vivent en union libre, c'était le terme autrefois. Drôle d'union libre, elle n'est pas si libre que cela, puisqu'on la déclare, on la révèle au moment où l'on se trouve devant les tribunaux. Il y a ce que le droit français appelle concubinage. La loi donne certains avantages aux concubins, notamment sur le plan de l'assurance maladie, maternité, logement, mais de droits civils, point..

En droit civil il existe deux dispositions : la possibilité d'avoir l'exercice, l'autorité parentale en commun sur l'enfant naturel si l'on vivait ensemble au moment de la naissance. Il y a aussi la possibilité pour les concubins qui ne peuvent pas procréer ensemble naturellement de recourir à la procréation médicalement assistée. Pourquoi la leur refuser alors qu'il s'agit d'aider médicalement (c'est le texte de la loi) un couple à se reproduire, puisqu'il ne peut le faire seul ?

Hors de ces deux dispositions du Code civil, il n'y en a pas d'autres pour les concubins, dans le pur droit civil, dans le statut individuel du citoyen.

Il est incompréhensible et très regrettable que la Cour de cassation ne soit pas revenue sur ce qu'elle a dit en 1989. Elle recommence en 1997 à dire que des concubins ne peuvent qu'être un homme et une femme. C'est une stupidité juridique, car rien ne définit le concubinage.. La Cour de cassation pourrait dire qu'au sens de la loi, pour le logement, ne sont considérés comme concubins que les concubins hétérosexuels. Toutefois, vous avez bien montré que ce que le concubin homosexuel n'obtient pas, avec l'arrêt de la Cour de cassation (parce que qu'il n'est pas considéré comme un concubin), il peut l'avoir comme personne à charge puisque la loi vise les personnes à charge.

Que vous les appeliez concubins ou pas, les unions en dehors du mariage sont des situations de fait auxquelles les lois accordent ou refusent certaines conséquences juridiques. Si vous acceptez cette idée, se pose alors la question de savoir s'il faut faire quelque chose pour les couples homosexuels. La Cour de cassation en décembre 1997, m'incite à répondre oui, car ils en ont trop fait avec le CUC qui est très mal fait, notamment aux yeux des juristes du droit de la famille. Il est invraisemblable de permettre à ce pseudo mariage d'avoir les mêmes droits que les personnes qui ont fait un vrai mariage.

Mais il faut légiférer, d'abord à cause de l'arrêt de la Cour de cassation, ensuite parce que dès que l'on parle d'un couple homosexuel, on se demande ce que cela éveille dans l'inconscient des gens ou des juristes, puisqu'ils protestent, (sauf les homosexuels et leurs défenseurs,). Certains disent que c'est affreux, qu'il n'y aura plus que des homosexuels, que l'on ne parle que d'eux, que les gens mariés n'existent plus.

Il faut faire une loi. Mais quelle loi? S'il ne faut sûrement pas aller du côté du CUC, le PIC présente des avantages considérables. Une autre nécessité de légiférer : il y a une dizaine d'années environ, je demandais à des amis belges et hollandais pourquoi ils faisaient des conventions de concubinage entre hétérosexuels, c'est-à-dire un homme et une femme non mariés ensemble. Leur réponse était : on ne sait jamais ce que les juges et l'Etat vont faire. Un beau jour un homosexuel va faire un testament et un tribunal va le déclarer illicite et contraire à l'ordre moral.

J'ai bien peur que nous ne soyons dans cette situation et qu'il y ait une nécessité de légiférer. Mais quelle loi ? Sûrement pas du côté du CUC, qu'on le veuille ou non, c'est un pseudo mariage, même si, pardonnez moi l'expression, par un espèce de racolage politique, les personnes qui ont mis le CUC sur pied disent que c'est aussi pour les hétérosexuels.

Le projet de M. Hauser et de son groupe est beaucoup plus sage.

M. LARCHÉ, président. - Nous allons l'entendre.

Mme RUBELLIN-DEVICHI. - Je sais, je ne vais pas exposer son projet. Mais j'aimerais vous montrer jusqu'où il faudrait aller.

Son projet touche les conséquences pécuniaires du couple. Il a voulu enlever toute connotation sexuelle mais il ne le peut pas. En effet, ce sont deux personnes, deux seulement sinon, dit-il sagement, il y a les projets de société ou d'indivision. Donc, deux personnes qui peuvent participer à ce projet.

M. Hauser et son groupe ont souhaité ne pas faire de distinction sexiste, ne pas dire que c'est pour les homosexuels. Pourtant, je crois que ce pacte qu'il a appelé " d'intérêt commun " mériterait d'être réservé aux homosexuels. Il n'est pas normal de tout mélanger, d'ailleurs les hétérosexuels n'iront pas faire un PIC, eux pourront se marier s'ils le souhaitent.

Je me demande s'il ne serait pas mieux de parler de deux personnes entre lesquelles le mariage est impossible. Cela permettrait de ne pas nommer les homosexuels et aussi, tout de même, de ne pas le proposer à des concubins hétérosexuels. Dans notre droit il arrive très souvent que l'on dise : les personnes entre lesquelles le mariage est impossible, par exemple pour légitimer un enfant par autorité de justice.

J'aimerais mieux aussi plutôt que de viser " l'intérêt commun ", car ce terme rappelle un contrat (nous savons ce qu'est un mandat d'intérêt commun), carrément parler de pacte de vie commune.

La troisième modification que l'on pourrait suggérer par la suite - pardon pour les avocats parisiens qui hier m'ont fortement tancée- est que le contrat, quel qu'il soit, le " pacte de vie commune " ou le " pacte d'intérêt commun " soit passé devant notaire. Ce dernier serait le garant et nous pouvons en être sûrs, étant donné sa responsabilité, de la légalité des contrats. Cela ne plaît pas aux avocats.

J'aurais dû vous parler du droit des enfants.

S'agissant de l'application de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, elle vient d'être encore une fois rejetée par la Cour de cassation, dans une affaire où la Chambre criminelle dit que la Convention ne s'applique pas aux individus, qu'elle ne lie que les Etats entre eux.

La seule solution, compte tenu de la séparation des pouvoirs, est que l'on adopte un texte de loi qui donne plus ouvertement à l'enfant le droit d'agir. Pour ce dernier, nous avons bien deux textes très restrictifs qui permettent à l'enfant d'être entendu, si le juge le veut bien, dans le divorce de ses parents. Ce droit d'agir devrait lui être concédé en grand, avec une autorisation d'un juge.

Mes dernières minutes sont consacrées à la réforme des successions, pas pour le conjoint mais pour l'enfant " ci-devant adultérin " dans le prolongement de la réforme proposée par le Doyen Carbonnier.

En 1991, le projet prévoyait l'amélioration du sort du conjoint survivant et la suppression totale de la " capitis diminutio " qui frappe l'enfant adultérin. La Cour de cassation s'y montre hostile, elle a encore rejeté l'application de la Convention sur les droits de l'enfant en 1996 et l'application de la Convention européenne sur les droits de l'homme, à propos d'une affaire où un enfant adultérin disait que le droit français n'était pas conforme à ce que nous avions signé. L'affaire est devant la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut très vite intervenir sans attendre une réforme du droit des successions pour gommer cette " capitis diminutio ".

M. LARCHÉ, président. - Je vous remercie. Si je comprends bien l'essentiel de votre propos, quand les juges nous gênent, il faut changer la loi.

Mme RUBELLIN-DEVICHI . - On ne peut pas faire autrement.

M. LARCHÉ, président. - A la condition que les juges nous gênent, ce qui est un tout autre problème.

Nous avons tenté de défiscaliser la prestation compensatoire, mais le Gouvernement nous a opposé l'article 40. Comme il s'agissait d'une diminution des ressources de l'Etat, nous n'avions pas le droit de le faire et la discussion s'est trouvée interrompue.

Dans tout ce dont vous nous avez parlé, il y a des sujets différents et très positifs. Nous sommes tout à fait d'accord sur le problème de l'urgence d'une réforme du droit des successions. Je l'ai souvent demandée à la Chancellerie. Je me suis heurté à des promesses dilatoires. Il faut absolument le faire pour deux raisons : le régime de la vie a changé, la modification de la longévité , phénomène relativement heureux, entraîne normalement une réforme du droit des successions.

Pour ma part, je considère que le conjoint survivant, très souvent la femme, n'est pas protégée suffisamment par le droit français. Il y a, dans le régime qui est en application, un détournement de la faculté ouverte de changer les régimes matrimoniaux et nous voyons fleurir des arrêts de plus en plus nombreux reconnaissant la communauté universelle, qui est un mécanisme susceptible de mettre fin à tout droit de succession. C'est aussi un autre problème.

Nous avons entendu l'essentiel. Je retiens la manière très humaniste dont vous avez abordé ce problème. M. Benabent, nous a soumis des propositions très concrètes. Cette volonté unilatérale sur la répudiation, impliquerait si nous l'admettions, un mécanisme de protection quant aux conséquences, beaucoup plus affirmé peut-être, que ce qui existe actuellement. Je vous remercie de nous l'avoir indiqué, je ne le savais pas.

Y a-t-il des questions ?

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Il y en aurait beaucoup. Nous avons appris beaucoup de choses.

En matière de divorce sur requête conjointe, ne pourrait-on pas envisager, quand il n'y a pas d'enfant, pas de biens, que les honoraires des avocats soient tarifés ? Il faut des avocats, à mon avis deux dans tous les cas, notamment pour vérifier. C'est également vrai d'ailleurs pour les notaires, il n'y a pas de raison qu'il y ait deux avocats et un seul notaire. Dans ce cas, la solution serait de tarifer les honoraires.

M. LARCHÉ, président. - J'ai lu un article indiquant qu'il y avait un accroissement du nombre de divorces par demande acceptée. L'auteur de cet article indiquait que la croissance du nombre de ce type de divorce était une sorte de détournement des procédures, car on considérait que le divorce par demande conjointe impliquait trop de contraintes, à tel point, paraît-il, que dans certaines juridictions le nombre de divorces par demande acceptée l'emporte très largement sur le nombre de divorces par requête conjointe.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - D'abord parce que cela va beaucoup plus vite.

J'ai une question pour M. Benabent, il me semble qu'il a oublié que dans le divorce pour faute il y a la possibilité de dommages et intérêts. Vous êtes sûrement contre, mais cela existe. Donc si on le supprime il n'y a plus possibilité de dommages et intérêts.

M. BENABENT. - Je crois avoir dit que je maintenais les dommages et intérêts. Je suis pour ne pas en faire la condition du divorce, mais un accessoire dans le cas où ils sont nécessaires.

M. LARCHÉ, président. - S'il n'y a plus faute, pourquoi y aurait-il des dommages et intérêts ?

M. BENABENT . - Si une faute est établie en plus, non plus comme condition du divorce, mais entre tout concitoyen, y compris entre gens mariés, si on manque à des obligations on doit répondre au préjudice qui en résulte. Il n'y a pas à faire passer le mariage en dessous du droit commun.

Pour le divorce sur demande acceptée, c'est effectivement pour des soucis de rapidité que l'on arrive de l'un à l'autre. Il faudrait que le caractère sérieux de la procédure soit respecté, imposé dans toutes les formes, y compris sur demande acceptée. Il ne faudrait pas faire l'économie, sur le moment, comme c'est le cas actuellement, du règlement des conséquences du divorce car elles se payent très cher après. Quelle que soit la forme du divorce, il faut que l'ensemble du règlement matrimonial soit vidé au cours du même procès.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - M. MALAURIE, ceux qui sont sous une communauté réduite aux acquêts, parlent-ils de " cra " ou disent-ils qu'ils sont " craqués " ?

M. LARCHÉ, président. - On a pu aussi parler du contrat de l'union libre ...

Nous vous remercions très vivement de vos interventions.

M. LARCHÉ, président. - Nous avons le grand plaisir d'accueillir Madame Sylvaine Courcelle, Madame Marie-Christine George et Madame Ganancia.

Mme Sylvaine COURCELLE,
Vice-président du Tribunal de grande instance de Paris
Mme Marie-Christine GEORGE,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Créteil
Mme Danièle GANANCIA,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Nanterre

M. le PRESIDENT. - Après ces points de vue théoriques qui ont été exprimés, nous écouterons vos expériences et les conséquences vous pourrez en tirer.

Mme COURCELLE . - J'ai vu que Madame et Messieurs les Professeurs de droit étaient contradictoires dans leurs termes. Nous, les juges, le sommes aussi. Je vais défendre une position qui sera combattue vigoureusement par les deux autres vice-présidents qui sont à mes côtés.

Concernant l'évolution de la famille, compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne pourrais pas traiter tous les problèmes. J'ai fait une note écrite que je pourrai donner à Monsieur le Président, si vous désirez des renseignements complémentaires.

Je me concentrerai sur deux points : le statut des pères naturels et la réforme du divorce.

L'exercice commun de l'autorité parentale est de droit pendant le mariage, de principe après un divorce. Pour les parents naturels le principe de l'autorité parentale en commun n'est appliqué que sous les conditions de la reconnaissance de la première année de la vie de l'enfant et de la cohabitation, au plus tard au moment de la seconde reconnaissance.

J'ai scrupule à critiquer cette disposition, je sais que le Sénat l'a voulue expressément pour écarter les liaisons éphémères. Dans notre vie de praticien, nous constatons que ces dispositions sont beaucoup trop complexes et mal adaptées aux situations actuelles.

Il semble nécessaire que le père naturel, qui a pris un engagement vis-à-vis de l'enfant au moment de sa naissance et qui l'a reconnu par un acte spécial, puisse automatiquement exercer l'autorité parentale en commun. La cohabitation en l'espèce n'ajoute rien, même des couples mariés peuvent ne pas cohabiter.

Les divorcés nécessairement séparés peuvent exercer l'autorité parentale en commun. Le certificat de communauté de vie qui permet la preuve de cette cohabitation est demandé très souvent dans le cas d'étrangers en situation irrégulière. Samedi et dimanche j'étais de permanence comme juge délégué pour les étrangers en situation irrégulière, de nombreux étrangers avaient un certificat de communauté de vie. Un certain nombre de ces documents ne sont là que pour tourner des dispositions légales. Comme il est très peu employé, ce côté marginal et détourné de la loi devrait cesser.

Les parents naturels doivent avoir un statut reconnu. Il n'est pas normal, en tant que juge, quand on doit s'occuper d'un enfant naturel, de ne jamais savoir le statut exact du père, car ce sont des situations qui peuvent être très différentes.

Je passe au divorce. L'annonce de Mme le Ministre Guigou, disant que, puisqu'on se mariait sans juge et sans avocat, on pouvait divorcer dans les mêmes conditions, a stupéfié tous les groupes qui réfléchissaient sur une réforme du divorce.

Si tout le monde était bien d'accord qu'il fallait toiletter la loi sur le divorce de 1975, cette possibilité de divorce civil ou administratif nous a absolument stupéfiés. L'intérêt de cette déclaration a été de faire prendre conscience que nous avions raté le débat de fond, philosophique sur la famille, le mariage et le divorce.

En ce qui me concerne, je soutiendrai la position opposée à ce divorce administratif ou civil, en me référant aux trois critiques que l'on fait actuellement sur le divorce.

1) La lenteur de la procédure.

2) Le coût du divorce.

3) La dramatisation que représenterait le passage devant un juge.

Au sujet de la troisième condition, je voudrais dire que, dans mes attributions, j'ai le consentement pour la procréation médicalement assistée. Je reçois les couples qui veulent passer par un tiers donneur. Ces couples ont le choix entre deux formes de procédure : soit ils passent devant le juge et c'est gratuit, soit devant le notaire, là, le coût est d'environ 103 F. Que se passe-t-il ?

Tous les couples viennent devant nous, ou pratiquement tous. C'est donc que la dramatisation que représenterait le passage devant un juge n'est pas aussi grave que cela. Ce qui tracasse plutôt les couples, c'est le coût.

Je reprends les deux autres critiques, mais en préambule, si un mariage et un divorce sont des actes graves, ce n'est quand même pas la même chose parce que dans un mariage il y a l'accord des parties et tous les intérêts sont convergents. Le couple veut bâtir quelque chose de convergent.

Dans un divorce, la seule chose qui soit convergente est la nécessité de divorcer, mais tous les autres intérêts sont divergents. On ne peut pas faire un parallélisme qui serait un petit peu tentant.

Quant à la lenteur de la procédure, il y a deux sortes de lenteurs :

La première est inhérente aux procédures parce que qu'il y a, par exemple, des expertises, des discussions très âpres sur les mesures financières ou sur les enfants. Ce divorce civil ne peut pas toucher cette forme de divorce et la lenteur des procédures durera toujours quand ce type de difficultés se présente.

Le divorce civil ne peut toucher que le divorce par consentement mutuel. Quel est le rôle du juge dans un consentement mutuel ?

Il est de vérifier l'équité des conventions et l'intérêt des enfants. Un maire peut-il avoir la fonction juridictionnelle de vérifier ce consentement ? Non, je ne le pense pas. On pourrait me rétorquer, j'entends des positions de l'autre côté, que l'on peut séparer le prononcé du divorce des conséquences. Le prononcé du divorce serait devant le maire et les conséquences éventuellement devant un juge. Je suis très opposée à ces divorces fragmentés.

Un des intervenants antérieurs a fait remarquer à quel point il était désagréable de devoir faire des liquidations quinze ans après une séparation. Il vaut mieux, au contraire, régler tous les problèmes. Si on doit revenir une fois devant le juge pour les enfants, une fois pour la liquidation, une fois pour la prestation compensatoire, ce n'est pas un gain de temps.

De plus, le temps est un facteur qu'il faut considérer dans un divorce, car comme dans un veuvage, celui qui perd son conjoint peut être triste, alors que dans un divorce on ne veut même pas lui laisser le temps de faire son deuil.

La deuxième critique est le coût de la procédure. Actuellement ce ne sont pas les juges qui coûtent cher, ce qui est reproché, c'est naturellement celui des avocats.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Et des notaires.

Mme COURCELLE . - Exactement. Dans un divorce par requête conjointe, on peut ne prendre qu'un seul avocat. Pourquoi ? Parce qu'il y a un regard objectif sur la procédure. Il y a le regard du juge qui va refuser d'homologuer tel point qui n'est pas l'intérêt des parties ou des enfants. Quand on travaille sous le regard de l'autre, on évite autant que possible les erreurs et les bavures.

En revanche, si des époux devaient divorcer, sans le regard objectif du juge et avec un maire qui ne peut pas avoir ce rôle décisionnel, juridictionnel, il faudrait avoir deux avocats. Là, il faut que chacun soit bien conscient de ses droits.

Souvent le consentement des parties, au moment de la crise du couple, est terriblement difficile à cerner. Dans notre pratique, nous avons tous vu le cas d'hommes ou de femmes qui abandonnaient l'autre conjoint tout à fait victimisants et qui prenaient des engagements, en particulier des prestations compensatoires, incompatibles avec le futur prévisible des époux.

Nous avons vu d'un autre côté, des femmes voulant absolument la garde des enfants et qui abandonnaient tout sur le plan financier. Dans ce cas, à mon sens, devant un maire, ces dispositions ne pourront pas être rattrapées, puisque qu'une prestation compensatoire ne peut pas se rattraper, en tout cas en l'état de notre droit.

Je voudrais dire ce qui me semble important. Cela ne peut pas toucher, comme on l'a dit, des divorces simples, sans enfant, sans biens, sans années de mariage. Je ne crois pas qu'on puisse faire une distinction législative entre deux types de mariage, les personnes qui ont des enfants et celles qui n'en ont pas. Du point de vue de la natalité, cela ne me paraît pas être une idée faramineuse.

Je suis plus partisane d'une réforme du divorce. Contrairement à certains intervenants, en matière de requête conjointe, le juge pourrait avoir la possibilité de prononcer le divorce lors de la première audience. S'il considère, de même que le couple, que le divorce est parfait et qu'il n'y a rien à rattraper, compte tenu des délais qui existent en pratique, je ne vois pas très bien ce qui justifierait le deuxième passage.

La deuxième réforme que j'envisagerais est le divorce pour rupture de vie commune où, à mon sens, maintenant, le temps s'étant accéléré, six ans paraissent un délai un peu trop long. Cela résoudrait une partie des problèmes des divorces pour faute.

Je vais passer tout de suite au divorce pour faute. Doit-on supprimer la faute ? Beaucoup de juges partent du constat qui est réel, que la majorité des divorces sont aux torts partagés et que l'agressivité déployée dans ce type de divorce est mauvaise pour le couple et les enfants et donne un climat malsain et pervers.

Certains préconisent la suppression du divorce pour faute. Si les époux souhaitent éviter le combat, ils ont à tout moment la possibilité de le faire en recourant à la passerelle ou en demandant la non motivation du jugement. Il y a lieu de constater que le divorce est très majoritairement prononcé aux torts partagés, quand les deux époux sont présents à la procédure, quand l'un n'est pas là, évidemment c'est un divorce aux torts exclusifs. Il ne faut pas faire oublier la frange des divorces se prononçant aux torts exclusifs et surtout le débouté des demandes.

La vraie question qui se pose, et je vais la poser en termes un peu provocants : le véritable progrès de notre loi, de notre droit est-il de revenir à la répudiation unilatérale ? Actuellement le divorce est le constat d'une faute ou d'un échec. Mais cet échec doit être constaté objectivement de deux façons : ou les deux époux sont d'accord pour constater qu'il y a échec de leur couple, ou bien le juge estime qu'il y a séparation de fait de plus de six ans, qu'on pourrait réduire à trois ans, qui est la preuve même de l'échec du couple.

Si on doit permettre, unilatéralement en dehors de ces cas, à un seul époux de divorcer, c'est revenir au système de la répudiation. Dans les divorces pour rupture de vie commune, la proportion des femmes demanderesses est inversée par rapport aux autres divorces.

Dans les cas de tous les divorces autres que sur requête conjointe, puisque qu'il y a deux demandeurs, 70 % de femmes demandent le divorce, dans les ruptures ce sont 70 % d'hommes.

Pour éviter ce reproche de répudiation, on a considéré qu'on pouvait envoyer le couple devant un médiateur ou un conseiller conjugal ou mettre un délai de plusieurs mois entre le dépôt de la requête et le passage devant le juge.

La première solution, le passage devant un médiateur me paraît artificielle. Si je suis très favorable à la médiation, dans ce cas particulier la volonté de divorcer et la certitude d'y arriver rendent vains le passage obligé par un médiateur. Pour qu'une médiation ait quelques chances d'aboutir, il faut que les deux soient d'accord et dans ce cas particulier, on peut se demander si les deux le seraient.

Le deuxième point qui me fait déclarer artificielle cette solution, est qu'il n'y a pas lieu de transférer à un travailleur social le soin de juger du caractère irrémédiable d'une situation matrimoniale.

La deuxième solution qui serait le facteur temps, la certitude d'obtenir un divorce contre la volonté de l'autre, n'est pas un facteur de conciliation.

Je voudrais m'étendre sur l'agressivité qui existe. Il est vain de nier qu'elle existe au moment de la crise conjugale. Cependant, la nier me semble contraire à une bonne évolution du couple. Il faut que l'agressivité sorte. Si elle ne sort pas sur les griefs, ne sortira-t-elle pas sur les enfants ce qui sera encore plus nocif pour eux ? La preuve de cette affirmation est que tout le monde sait qu'une partie des instances modificatives touche celles qui ont suivi un divorce par consentement mutuel. Il est à craindre que si l'on empêche cette agressivité, elle ne ressorte sur les enfants ou après. Cette agressivité qui dure pendant des années est encore plus néfaste qu'au moment du divorce, de la crise. S'il existe un droit à divorcer, il doit se faire dans le respect des droits de l'autre.

Je suis pour favoriser les formules qui tendraient à simplifier ce que l'on appelle la passerelle, c'est-à-dire la possibilité de passer au divorce sur requête conjointe. Actuellement on est obligé de revenir à l'ordonnance initiale, sans pouvoir passer directement au jugement.

Je serais d'accord aussi pour séparer les conséquences financières du divorce pour faute. Souvent, cette bataille infinie des griefs ne cache qu'une chose : on ne veut pas que l'autre ait une prestation compensatoire, ce qui pousse les juges à mettre le divorce aux torts partagés, alors qu'ils seraient parfois plus enclins à les attribuer à un membre du couple. S'ils le font, ils savent qu'ils vont priver l'un des conjoints de tout droit à prestation compensatoire.

Je ne parlerai pas du PIC ou du CUC, car les projets sont très nombreux. J'ai été stupéfiée et le projet de M.  Hauser a été un soulagement.

Je voulais, pour terminer, vous dire par comparaison un mot des familles recomposées. Je fais partie d'un groupe de réflexion qui travaille sur ce sujet. Je tiens à dire, en un mot, qu'il me paraît tout à fait mauvais d'élaborer un statut des familles recomposées. Seul le toilettage des textes me paraît intéressant parce que la raison invoquée est la nécessité de protéger les parents biologiques, en particulier le père qui a beaucoup de mal à faire sa place au moment des séparations, et de le protéger de cette rivalité avec le nouveau beau-père par rapport à son bel-enfant.

Le deuxième point que je voudrais souligner dans les familles recomposées est la multiplicité des situations de fait des familles recomposées, qui peuvent aller des liaisons éphémères à des concubinages stables ou au remariage. Je vous renverrai au document que j'ai remis.

En conclusion, il est vrai que lorsqu'on touche au divorce, on touche au fondement même du mariage. Beaucoup de principes philosophiques et moraux resurgissent.

En tout état de cause, et comme juge, une fois votée régulièrement, la loi sera appliquée.

M. LARCHÉ, président. - Merci infiniment. Une question de détail : y a-t-il une proportion que vous pourriez nous indiquer quant aux refus que l'on oppose à des conventions de requête conjointe.

Mme COURCELLE . - Le refus pur et simple est très rare car, en général, les personnes changent leur convention. L'incitation à changer des points de convention est fréquente. Je ne peux pas donner de chiffre sans risque d'erreur.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Cela dépend des juges.

Mme COURCELLE . - Peut-être, et des avocats qui ont l'habitude de leur juge aussi.

Mme GEORGE . - C'est au nom de mon expérience de praticienne que vous m'avez invitée à exposer mon point de vue. Je suis magistrat à Créteil, depuis quatre ans et j'exerce les fonctions de juge aux affaires familiales. Je préside la Chambre du conseil qui statue en matière de filiation.

A Créteil nous sommes, en théorie, neuf juges aux affaires familiales et le plus souvent huit. Nous rendons entre 7 500 et 8 000 décisions par an. En 1997, 72 % des jugements civils rendus par le Tribunal de grande instance de Créteil, ont été rendus en matière familiale.

Créteil est la huitième juridiction de France pour le contentieux de la famille et la sixième pour la population de son ressort. Le tribunal de Créteil traite 2 % des contentieux familiaux nationaux. Voilà pour le cadre de mon expérience.

Je voulais vous parler de l'évolution du droit de l'autorité parentale, pour dire à quel point la loi de 1993 a permis une évolution positive des conséquences de la séparation à l'égard des enfants. Cette loi est un outil précieux pour les juges, notamment pour renvoyer les parents à leurs responsabilités, puisque la loi renvoie à la responsabilité première désormais des parents, de régler les conséquences de leur séparation pour leurs enfants.

L'intervention du juge n'est plus que subsidiaire à l'accord des parents. Si le juge peut s'opposer à un accord des parents au nom de l'intérêt de l'enfant, je peux témoigner qu'il le fait rarement car il est convaincu de la nécessaire modestie dont il doit faire preuve à l'égard des choix des parents. On rappelait à quel point le discrédit porté sur les parents posait problème aujourd'hui. Les juges ont tout à fait conscience de cette nécessité.

Le principe de l'égalité de droits et de devoirs des parents, posé par la loi de 1993, permet au juge, dans la mesure du possible ,de garantir la place de chacun des parents près de l'enfant après la séparation. On a noté une évolution positive sur ce plan. Il y a quatre ou cinq ans les études de l'INED témoignaient que la moitié des enfants de parents séparés ne voyait plus ou très irrégulièrement leur père. La dernières études tendent à montrer que ce ne sont plus que 30 % des enfants qui ne voient plus ou très irrégulièrement leur père après la séparation.

Si le choix de la mère pour fixer la résidence habituelle n'a pas changé -dans la majeure partie des cas c'est un accord des parents qui fixe la résidence des enfants chez la mère- en revanche la place du père a beaucoup évolué notamment par un meilleur équilibre du temps passé par l'enfant auprès de chaque parent. Un père qui revendique plus que le sacro-saint week end sur deux et la moitié des petites et grandes vacances scolaires obtient satisfaction auprès de nombreux juges aux affaires familiales.

Bien que positive, cette évolution est inachevée. Les principes de la loi de 1993 sont parfois méconnus, même par les praticiens du droit. En effet, le principe du maintien de l'exercice de l'autorité parentale par les deux parents fait qu'il n'y a plus démantèlement de l'autorité parentale, ce qui n'empêche pas de nombreux praticiens et de nombreuses décisions judiciaires de faire référence au droit de visite d'hébergement, qui juridiquement n'a pas de sens dans le cadre de l'exercice en commun de l'autorité parentale.

Les principes de la loi de 1993 sont également méconnus par un certain nombre d'administrations : les services sociaux, fiscaux ; l'institution scolaire a fait de sérieux progrès sur ce point. Parfois les services fiscaux exigent des décisions judiciaires alors qu'elles ne sont pas nécessaires. Ces procédures entraînent des coûts, du fait que le principe de la loi de 1993 n'est pas rentré dans les moeurs. Une simple accord des parents sur un changement de résidence est suffisant pour permettre le changement, notamment du quotient familial.

Nous ne sommes pas en désaccord sur tous les points. Concernant la limite apportée à l'exercice en commun de l'autorité parentale par les parents naturels, je suis entièrement d'accord avec les propos de Mme Courcelle. L'exigence de la communauté de vie nuit gravement à la sécurité juridique des enfants naturels. Il serait nécessaire de savoir, à la lecture de l'acte de naissance, quel parent exerce l'autorité parentale. De nombreuses directrices de crèche inquiètes nous téléphonent. Il faut une plus grande sécurité juridique. Par ailleurs, c'est conforme à l'évolution sociologique des familles naturelles. Le fait d'exiger cette communauté de vie visait à protéger la mère et l'enfant du père que l'on pensait fugitif, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Cette condition de communauté de vie pourrait être supprimée.

Sur l'acte de reconnaissance des enfants naturels, on note une évolution très rapide. Selon les derniers chiffres, en 1996, 39 % d'enfant sont nés de parents non mariés. En 1994, 85 % des enfants nés de parents non mariés ont été reconnus par leur père avant leur premier anniversaire.

A noter une très forte progression des reconnaissances concomitantes avant la naissance de l'enfant. Les deux parents vont à la mairie le reconnaître. En 1992, ils étaient 30 % à le faire et 39 % en 1995. On peut se demander si cette démarche commune des parents avant la naissance ne constitue pas un nouvel acte fondateur de la famille.

Il faudrait mener une réflexion sur les conditions dans lesquelles cet acte de reconnaissance est passé. Il se fait au guichet des services d'état civil de la mairie, alors qu'il est solennel, irrévocable d'une gravité extrême puisque qu'il est le signe de filiation entre un parent et un enfant. Il va créer des obligations réciproques qui vont durer leur vie durant.

Le décret de 1962 qui a permis aux officiers d'état civil de déléguer leur fonction aux employés des services d'état civil, devrait être revu, surtout pour ce qui concerne les actes de reconnaissance.

Concernant le droit de la filiation, à la Chambre du conseil nous constatons un certain nombre de procédures, peu nombreuses mais d'une grande violence pour des enfants qui se voient contester, quelquefois à plusieurs reprises, leur filiation paternelle. Des enfants font l'objet d'une reconnaissance, d'une légitimation subséquente par le mari de leur mère qui n'est pas leur père biologique. Le couple se sépare, le mari de la mère conteste la reconnaissance et la légitimation subséquente. Parfois la mère se remarie. Dans une procédure, j'ai déjà vu un enfant de huit ans qui avait changé quatre fois d'identité. Il me semble nécessaire de stabiliser l'état de l'enfant et de restreindre les possibilités de contestation du lien de filiation.

Nous pourrions aussi faire une distinction dans les contestations qui visent à remplacer une filiation par une autre et dans les procédures engagées par des mères qui visent simplement à détruire les liens de filiation.

La possession d'état de dix ans exigée actuellement me paraît également beaucoup trop longue. Je m'interroge sur le fait de savoir s'il ne serait pas possible de fixer la durée de la possession d'état en fonction de l'époque à laquelle elle se situe dans la vie d'un enfant. Il est clair que la possession d'état originelle des premières années d'un enfant pèse plus que celle qu'il peut avoir, à douze ou treize ans, quand sa mère se marie.

Nous relevons de nombreuses procédures de mères qui demandent le changement de nom de leur enfant naturel, elles demandent qu'il porte leur nom, alors qu'il portait celui de son père. Ces procédures sont utilisées comme une sorte de déchéance, le père ne payant pas la pension ou ne manifestant pas suffisamment d'intérêt pour son enfant.

Dans la mesure où les reconnaissances concomitantes ou paternelles sont importantes dans la première année de la vie de l'enfant, ne pourrait-on pas considérer comme attribué définitivement le nom du père à l'enfant quand il a été reconnu par une reconnaissance concomitante ou lors de la première année de sa vie ?

Les administrateurs ad hoc : la loi de 1993 a généralisé cette institution. Au tribunal de Créteil, lors de ces conflits de filiation, nous estimons qu'il y a souvent lieu d'en désigner un. La seule difficulté est que le financement de cette institution n'a pas été prévu. Nous sommes en pourparlers avec l'ASE du Val de Marne qui considère que cette fonction n'entre pas dans ses missions dans le cadre des procédures civiles. Elle se trouve débordée .

Je dois aborder la question du divorce civil. La tâche n'est pas facile après les avis unanimement hostiles et les plus autorisés que nous venons d'entendre. On m'a demandé de venir vous dire pourquoi je ne suis pas hostile à cette innovation.

120 000 divorces sont prononcés chaque année en France. A Créteil, nous en prononçons 2 600 environ. C'est un contentieux de masse, le plus souvent un divorce est toujours un drame personnel. En 1975, l'idée d'une déjudiciarisation du divorce a été évoquée. En 1989, le Doyen Carbonnier rappelait que l'opinion publique aussi bien que la classe juridique répugnait à un divorce non essentiellement judiciaire. Les magistrats étaient, selon ses termes, peu disposés à abandonner ce contentieux qui les accable et leur confère le prestige d'une médiation et d'une police des familles.

L'opinion publique semble avoir changé si nous nous en tenons aux sondages effectués récemment. Certes, l'engouement du public ne suffit pas à garantir la valeur d'une réforme. En 1975, le législateur a créé plusieurs cas de divorce afin de respecter le pluralisme des convictions religieuses, philosophiques, ainsi que la diversité des situations familiales.

Depuis cette date, des changements sont intervenus dans les familles. Les rituels de l'institution familiale ne sont plus utilisés de la même façon.. De même que le mariage ne marque plus l'entrée dans la vie conjugale, mais intervient le plus souvent après une période de vie commune plus ou moins longue, de plus en plus de couples divorcent après un temps de séparation.

A travers les diverses procédures, le temps que prennent les époux pour décider, négocier et organiser leur séparation et ses conséquences, constitue une principale ligne de partage des attitudes face à la séparation et ils peuvent parvenir à régler eux-mêmes les conséquences de leur divorce. Dans la logique de 1975, il me semblerait souhaitable de prévoir un cas de divorce adapté à ces attitudes qui semblent plus fréquentes que par le passé, même si une minorité est concernée. Il était rappelé tout à l'heure que le divorce pour rupture de la vie commune ne concernait que 1 % des divorcés.

L'idée de pluralisme de la loi de 1975 doit être conservée. Le divorce pourrait être réservé aux époux séparés de fait depuis un certain temps, puisque c'est bien la question du temps qui sépare les différents couples. On pourrait envisager une séparation de fait d'un ou deux ans et un délai de réflexion entre le dépôt de la demande et le prononcé du divorce par l'officier d'état civil.

Le terme de divorce civil ne me choque pas puisqu'on parle de mariage civil, ce serait un divorce prononcé par l'officier d'état civil. Le divorce civil serait vraiment un cas supplémentaire. Il est indispensable de conserver toutes les autres procédures y compris le divorce sur requête conjointe. En effet, un certain nombre de couples négociant des accords plus ou moins difficiles ont besoin de voir homologuée cette convention par un juge.

Par ailleurs, il faut également que le rôle du maire soit simplement limité, comme en matière de mariage, au seul recueil des consentements et peut-être au rappel de certaines obligations des parents, par lecture de certains articles du Code civil. Son rôle pourrait être le même que lorsqu'il prononce un mariage. Je rappellerai pour rassurer un certain nombre d'officiers d'état civil, que les amendes, les pénalités actuellement encourues par les maires lorsqu'ils prononcent des mariages ne respectant pas les prescriptions légales varient de 20 à 200 F. Ce divorce ne pourrait concerner que des époux qui n'ont absolument pas besoin de formaliser des accords officiels.

Concernant les enfants, le recours devant le juge sera toujours possible. En matière d'enfants, aucune décision n'est jamais définitive, de même pour les pensions alimentaires.

Cette innovation heurte nos habitudes de pensée et peut poser des problèmes, notamment pour la répartition des biens, des dettes, le droit à la prestation compensatoire. Pour ce qui est du rapport de force entre les époux, je rappelle que depuis 1975 la loi reconnaît que la décision de se séparer de son conjoint peut n'appeler aucun contrôle, à partir du moment ou celui-ci l'accepte. C'est pourtant là que réside l'inégalité la plus forte entre celui qui veut la séparation et celui qui la subit. Il nous arrive souvent, à nous juges des affaires familiales, de nous entendre répondre, quand nous interrogeons un époux qui divorce sur la réalité de son consentement, qu'il n'a pas le choix. A ce stade de la procédure le juge n'a rien à apporter à ce constat résigné. Les rapports de force s'équilibrent dans un certain nombre de cas. Les femmes demandent plus souvent le divorce alors que généralement les hommes sont en position de force sur le plan économique.

Concernant les procédures actuelles, il faut considérer qu'un certain nombre d'entre elles sont en trompe-l'oeil quant à la garantie des droits de chacun. Je rappelle que 27 % des divorces contentieux, hors requêtes conjointes, sont prononcés non contradictoirement. 30 % des procédures de divorce pour faute demandés par des femmes en présence d'enfants mineurs sont prononcés de façon non contradictoire. Parmi ces femmes 60 % bénéficient de l'aide juridictionnelle, ces situations se présentent très souvent, c'est-à-dire l'hypothèse où le mari est parti, laissant les enfants, les dettes et ne donnant plus aucune nouvelle. La femme ne sait même plus l'adresse de son mari.

Bien sûr il est nécessaire de garantir l'accès au droit le plus tôt possible. Il sera nécessaire de développer l'aide juridique, éventuellement l'aide juridictionnelle car en cette matière le rôle des avocats est essentiel, mais pas forcément dans l'hypothèse d'une procédure judiciaire. Ce sont des conseillers, ils doivent développer cette fonction de conseiller et de négociateur d'accords. Je cite l'exemple des avocats de Créteil qui se forment à la médiation familiale. C'est une excellente chose.

N'étant pas obligés de recourir à une procédure judiciaire, peut-être les époux iront-ils consulter plus vite un avocat. Peut-être même pourront-ils se tourner vers d'autres professionnels car tous les couples n'ont pas les mêmes problèmes. On ne peut pas parler du divorce en général. L'intérêt de notre métier est la diversité des situations. Certains époux pourront consulter un notaire, un thérapeute conjugal ou un médiateur familial, selon leurs besoins. Ces consultations, plus précoces, seront plus efficaces pour la réconciliation des couples que l'intervention du juge. Le juge arrive beaucoup trop tard. On peut constater l'échec total du juge, puisque le taux de réconciliation devant eux varie entre 0 et 0,3 %. Le temps de la séparation permettra de cibler les époux qui pourront divorcer.

Pour les dettes, il est souhaitable de prévoir une meilleure articulation entre les procédures de surendettement et les séparations de fait des époux. Quant aux biens, il est impossible d'exiger des époux de liquider leur régime matrimonial avant de passer devant le maire, puisqu'on ne demandera aucun contrôle au maire. Donc, nécessairement certaines situations difficiles viendront devant les tribunaux. Il faut toutefois relativiser ce contentieux, sur 120 000 divorces par an, 70 000 procédures post divorces, parmi ces dernières, 3 500 concernent la liquidation du régime matrimonial. C'est dire que le problème des biens est pour les juristes très important si on lit les arrêts de la Cour de cassation, mais quantitativement il est marginal.

La question de la prestation compensatoire en l'état actuel du droit pose problème. Peut-être faut-il prévoir un délai pendant lequel cette demande pourrait être faite devant le juge. Elle concerne 13 % des divorces parmi lesquels bon nombre sont de fausses prestations compensatoires puisque ce sont des partages et des négociations dans le cadre de la liquidation par compensation entre la soulte et la prestation compensatoire.

Une crainte est souvent avancée, celle du contentieux post divorce. Une bonne part pourrait être largement réduite : il est constitué, pour plus de 50 %, par le contentieux des pensions alimentaires qui correspond à la crise économique actuelle. Pour les procédures successives, il faut absolument arriver à déterminer des lignes directrices qui permettraient aux ex-époux de négocier des accords. C'est un travail auquel nous nous attelons au tribunal de Créteil avec les avocats également.

Par ailleurs, une bonne part du contentieux post divorce est un faux contentieux. Les parents sont parfaitement d'accord, mais ils répondent, en engageant une procédure, aux exigences des tiers, des administrations qui n'acceptent pas un accord privé. Il subsiste de vrais litiges et il est légitime qu'ils viennent devant le juge. Quand les époux divorcent peu de temps après leur séparation, la période de deuil va avoir lieu après le divorce, à l'occasion d'un remariage, d'une naissance. Des litiges vont surgir et le juge est dans son rôle en les traitant. Il est illusoire de penser qu'on peut au moment du divorce régler définitivement toutes les questions.

Les avantages de ce nouveau divorce sont les suivants :

§ Tirer toutes les conséquences de la loi de 1993 qui deviendrait parfaitement lisible.

§ Marquer la responsabilité des époux et des parents.

§ Redonner au juge sa juste place qui est de résoudre un conflit quand il existe, alors que les termes et les enjeux en sont connus.

§ Eviter le discrédit de l'institution judiciaire.

Je ressens dans ces audiences rapides sans enjeu, sans débat, une perte de la valeur de l'intervention du juge. Les gens sortent souvent très frustrés. Il est vrai que si nous devons traiter treize dossiers dans une audience, nous ne garderons pas plus de cinq minutes les personnes qui sont d'accord car nous aurons peut-être une tentative de conciliation qui nous demandera une heure ou plus. Nous devons faire des choix.

Dernier argument, ce divorce civil mettra un terme à ce que certains commencent à ressentir comme une pénalisation des couples mariés. Les concubins que l'on dit si proches des couples mariés sociologiquement, seraient-ils plus mûrs, plus responsables pour pouvoir se séparer sans avoir besoin de venir nécessairement devant le juge ?

M. LARCHÉ, président. - Merci, madame.

Mme GANANCIA . - L'intervention de M.  Benabent a vidé la mienne d'une partie de sa substance car il partage, bonheur et surprise, les vues que j'avais exposées dans mon article de la Gazette du Palais l'année dernière qu'il m'a fait l'honneur de citer.

Quelques réflexions inspirées par ma pratique depuis de longues années comme avocat d'abord et comme magistrat de ce contentieux sensible du divorce. Ces conflits familiaux ont une spécificité, ils impliquent des couples qui, malgré leurs déchirures, sont appelés à conserver des relations de parents pour garantir le devenir de leurs enfants. Nous savons combien les enfants sont écartelés et mis parfois en danger psychique parfois davantage par le conflit des parents que par leur séparation.

Une saine loi sur le divorce doit avant tout être pacificatrice et aider à reconstruire le futur de chacun des conjoints et des enfants. Notre loi actuelle remplit-elle se rôle ? Nous pouvons en douter quand on voit qu'un divorce sur deux revient devant les tribunaux en contentieux d'après divorce, que dans près de la moitié des cas on recourt encore à ce divorce pour faute qui est très destructeur et que la moitié des enfants n'ont pratiquement plus de contact avec l'un de leurs parents quelques années après la séparation.

Des coûts humains, judiciaires et sociaux effarants, des conflits familiaux mal réglés incitent à tout mettre en oeuvre pour déconflictualiser le climat du divorce. C'est l'esprit même de l'ensemble du système qu'il faudrait repenser car il ne correspond plus aux besoins actuels de notre société.

Dans le mariage moderne, la vérité du sentiment est devenue le seul fondement du lien, cela va de pair avec une nécessaire précarité. La société ne peut que la constater, aucune loi sur le divorce ne pourra l'enrayer. En corollaire la loi doit assurer une protection accrue de l'enfant par le maintien des liens à ses deux parents et la préservation d'une coparentalité par delà la rupture.

Le divorce qui pourrait répondre à ces besoins nouveaux serait, à mon sens, proche du consentement mutuel, fondé sur le constat objectif de l'échec du mariage, axé sur des processus de négociation et avec un règlement global des effets du divorce par la liquidation du régime matrimonial.

Déjà en 1975, le vent dominant était au divorce -constat à la suite des propositions de lois socialistes et communistes, mais les tenants de la faute l'ont emporté. Le divorce-constat est pratiqué depuis bien longtemps par tous nos voisins allemands, anglais, pays nordiques, américains, canadiens et bien d'autres. Notre système actuel du divorce l'ignore, c'est là sa faille.

Globalement, les divorces se répartissent par moitié entre consentement mutuel et faute. Le consentement mutuel est l'idéal du bon divorce, mais il est très contraignant puisque qu'il suppose un accord sur tout. Il s'agira souvent de pseudo-consentement mutuel avec des accords forcés pour éviter l'horreur du divorce pour faute.

Quant à ce divorce pour faute, il est choisi le plus souvent à défaut d'une vraie alternative, ou bien parce qu'on n'a pas pu trouver un accord sur tout, ou bien pour contraindre l'autre, qui n'est pas encore tout à fait mûr à divorcer. Or, dans la quasi totalité des cas il y a demande reconventionnelle. Cela veut bien dire que tous les deux finalement, veulent sortir du mariage dont ils finissent par constater soit l'échec, soit l'impossibilité de maintenir un lien dont l'autre ne veut plus. Ce divorce pour faute a un caractère éminemment destructeur. Il oblige à accuser l'autre, à le salir, à mentir, à renier tout ce qui a pu être heureux dans l'histoire du couple, pour ne fournir que le plus négatif dans un grand déballage de l'intimité et de la vie privée. Il envenime le conflit, surajoute des blessures et humiliations réciproques, parfois irréparables, il barre la route à tout dialogue et à toute négociation.

Ainsi, la loi oblige-t-elle à superposer aux souffrances de la séparation un combat meurtrier dont les premières victimes sont les enfants impliqués par les parents dans leur conflit, amenés à les juger. Littéralement déchirés d'aimer en même temps deux ennemis, ils deviennent otage du conflit parfois au prix de la perte des liens avec le parent non hébergeant.

Chaque audience est une illustration du caractère dévastateur de ce divorce pour les liens familiaux. Au lieu de donner des armes de guerre, la loi devrait inciter les couples à fermer la porte d'un passé mort, pour enfin s'investir dans une dynamique de reconstruction dans l'intérêt des enfants. C'est pourquoi il ne faut plus associer divorce et faute dans ce duo infernal, ne plus subordonner l'obtention du divorce à la preuve de la faute, ne plus en faire la condition du divorce. La réalité est ailleurs. Elle est tout simplement dans la désintégration du couple. L'impossibilité de vivre ensemble est la seule vraie cause de tous les divorces. On sait bien que certains couples se brisent sur un adultère et d'autres pas, ce qui montre bien que la cause du divorce n'est pas la faute mais un état de la dégradation. Celui qui est déterminé à dénouer le lien y parviendra de toutes les manières, inutile de l'obliger pour cela à un combat judiciaire. Dans l'immense majorité des cas, le divorce sera prononcé aux torts partagés, sans aucun profit financier, rendant dérisoire tous ces coûts psychologiques et judiciaires.

Personne ne nie qu'il existe parfois des comportements gravement fautifs entraînant des préjudices particuliers. Je pense aux violences physiques, aux départs brusques laissant l'autre dans le dénuement. Oui, mais il devront toujours être sanctionnés par dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, c'est évident. La rupture définitive du lien doit être reconnue de façon indépendante, comme cause objective de divorce car elle correspond à la réalité de toutes les situations et aux mariages d'aujourd'hui qui n'existent que par la volonté de chacun de maintenir le lien.

Tous les professionnels de la famille sur le terrain, psychologues et travailleurs sociaux, s'accordent sur la nocivité du divorce pour faute. La Cour d'appel de Paris, Chambre de la famille, vient de se prononcer publiquement mercredi dernier devant le Garde des Sceaux pour la suppression de ce divorce qualifié de barbare. Seuls certains juristes s'arc-boutent encore sur cet anachronisme, car cela en est un, avec deux arguments principaux.

Le premier est qu'il faut que l'agressivité sorte, le combat judiciaire aurait la vertu d'expurger le conflit, ceux qui se vivent comme victimes auraient besoin de cette reconnaissance par la société. Mais enfin, le rôle de la justice est-il d'encourager ces réflexes de pure vengeance, car c'est bien de cela qu'il s'agit ? Cette logique de vengeance pétrifie son auteur lui-même dans une attitude stérile et destructrice. Elle mobilise toutes les énergies vers la négativité et empêche tout travail de deuil et de reconstruction personnelle. Il existe des lieux pour parler de ces souffrances : les thérapies, la médiation et d'autres. Mais les arènes judiciaires sont le dernier lieu pour les guérir. Tout y est déformé, la parole et l'expression des émotions sont raptées par les écrits des avocats. Il y a trop de théâtre et si peu de vérité.

D'ailleurs la société, et à travers elle le juge, a-t-elle vraiment compétence, vocation et légitimité pour juger ce qui s'est noué et dénoué dans l'alcôve des couples, espace intime s'il en est.

Le lien affectif ne relève que des individus. La justice n'a pas à dire la morale conjugale. Elle ne peut connaître que des conséquences du lien social créé par le mariage et veiller à l'organisation la plus juste de la séparation.

Le deuxième argument des tenants de la faute est que divorcer contre le gré de l'autre équivaudrait à une répudiation. Si on récuse le divorce pas la volonté d'un seul, peut-on concevoir aujourd'hui, en 1998, un mariage par la volonté d'un seul ? C'est nier l'évolution de la société et la force des faits, aucune loi ne peut maintenir un individu dans un mariage prison. Il lui suffira de partir et le mariage sera vidé de tout sens.

Plus dérisoire encore, pour se libérer il devra engager une procédure pour faute, avec de fausses accusations, qui aggravera encore la souffrance de celui qui est abandonné. La procédure pour faute est celle qui organise de la façon la plus sûre la répudiation, c'est la seule qui ne ménage à l'autre aucun temps de réflexion ni aucun dialogue préalable. Une requête soudaine en divorce, truffée d'accusations meurtrières, un quart d'heure de pseudo conciliation, sans s'être parlé ni avant ni pendant et s'en est fait de son couple. Cette audience de non conciliation est d'une extrême violence psychologique.

Il faut donc imaginer un divorce plus pacifique, plus respectueux de l'autre, plus constructif qui ménage des temps de dialogue et de réflexion. Par quelle procédure ? Il faudrait instituer à côté du consentement mutuel une seule autre cause du divorce, fondée sur la rupture irréversible du lien. Ainsi, il n'y aurait plus de consentement mutuel forcé puisque qu'il y aurait une alternative possible.

Cette nouvelle procédure de divorce-constat pourra être à l'initiative de l'un ou de l'autre. La rupture du lien sera objectivement constatée dans trois cas :

1/ Séparation de fait de plus de trois ans, là, il y a un consensus. Le juge se borne à la constater et prononce le divorce.

2/ Accord des deux conjoints sur le constat de la rupture. Cet accord pourra toujours intervenir au cours de la procédure, à la différence de l'actuelle demande acceptée qui suppose l'accord initial des deux conjoints d'où l'échec de cette procédure.

3/ Un seul invoque la rupture du lien et l'autre s'y oppose. Le juge devra imposer un délai de réflexion, d'une durée maximum de 18 mois. Il appréciera ce délai en fonction de chaque situation lors de l'audience initiale où il prendra les mesures provisoires nécessaires. A l'issue de la période de réflexion, s'il n'y a pas eu réconciliation, le juge ne pourra que constater la rupture irréversible du lien et prononcer le divorce.

Ce délai obligatoire de réflexion a un double intérêt psychologique et pratique. Psychologique : ne pas banaliser le divorce en différant les demandes hâtives ou intempestives ; inciter à réfléchir sur les possibilités de réconciliation et donc donner une chance supplémentaire au mariage qui n'existe pas dans le divorce pour faute qui rend les gens ennemis ; ménager un temps de maturation pour panser les souffrances et entamer un deuil nécessaire. A cet effet, le juge pourra imposer au minimum un entretien de médiation.

A l'opposé de la violence actuelle de l'audience de non conciliation qui brise la communication, l'entretien de médiation correspondrait à un devoir de dialogue entre conjoints sur leur histoire commune, dans le respect dû autant à l'autre qu'à leur engagement initial. L'intérêt pratique de ce délai est que s'il n'y a pas de réconciliation possible, il sera utilisé pour l'élaboration d'accords sur l'après divorce. La certitude du prononcé du divorce au terme du délai ne peut qu'inciter le défendeur à une négociation équilibrée.

Dans les trois cas de divorce-constat évoqué, le juge devra statuer sur les mesures accessoires, une éventuelle demande de dommages et intérêts pour réparer une faute très caractérisée, mais également sur la liquidation du régime matrimonial qui actuellement nourrit le conflit des années après le divorce ; elle est un obstacle intolérable à la reconstruction des vies de chacun. Il faut apurer le passé des époux par un seul et même jugement.

C'est l'esprit du procès qui doit changer. La négociation doit devenir l'axe prioritaire de son déroulement. Le juge demandera aux parties et aux avocats de présenter des projets d'accord. Il s'agit d'amener enfin les couples à se responsabiliser sur les conséquences de leur séparation. Il n'y aura pas obligation de résultats, mais de moyens. Parmi les moyens, il faut élargir le recours à la médiation familiale qui fait passer d'une logique de guerre à une logique de construction. Grâce à un processus de restauration du dialogue et de l'écoute, à l'expression des besoins et des émotions les solutions vont pouvoir émerger qui seront l'oeuvre des parties elles-mêmes. L'échange recentré sur les enfants amène à l'apprentissage d'une coparentalité effective et donc au maintien des liens parents/enfants.

La médiation est un incontestable instrument de paix familiale, elle amoindrit les coûts économiques et sociaux du divorce pour les personnes et la société. Selon l'expression des Canadiens, qui nous devancent largement dans ce domaine, pour un dollar investi en médiation on économise 700 dollars en coûts sociaux. Il faudrait donc la favoriser le plus en amont possible des procédures et en tout cas rendre obligatoire un premier entretien de médiation dès lors qu'il y a des enfants. Au Québec, un entretien d'information gratuit à la médiation est devenu obligatoire avant le dépôt de la requête. Résultat : 90 % des couples choisissent de poursuivre volontairement le processus.

En l'absence d'accord négocié que fera-t-on ? Le juge tranchera sur tous les points, y compris sur la liquidation du régime matrimonial, il réglera par un jugement global tout le contentieux des époux pour assainir l'après divorce et devra disposer d'un projet de liquidation-partage préparé par un notaire.

Le temps manque pour développer ces aspects techniques, je renvoie à mon article qui a ébauché quelques solutions, mais surtout à la nécessité d'une réflexion plus approfondie à mener avec les notaires et les avocats. Ces derniers seront la cheville ouvrière du règlement global des effets du divorce.

Voilà quelques propositions pour une pacification et une responsabilisation de la séparation. Le divorce constat correspond au mariage actuel dans sa dimension d'authenticité et vise à protéger la famille par le maintien des liens de parentalité.

Nous ne pouvons plus nous laisser enfermer, comme en 1975, par des combats d'arrière-garde, nous irions à contre-courant du vent de l'histoire.

M. LARCHÉ, président. - Nous allons essayer d'aller dans le sens de l'histoire. Après une Cour de cassation qui s'obstine, voilà que les juristes s'arc-boutent. Nous sommes dans le domaine de la résistance affirmée. J'ai noté également un propos initial qui est bien à la base de notre réflexion, peut-être à l'occasion d'autres débats, n'avons-nous pas su mener un véritable débat sur la famille ? Tout ce que nous sommes en train de voir n'est d'ailleurs qu'un aspect du droit de la famille, bien d'autres considérations doivent être mises en avant.

Vos interventions nous ont enrichis, les trois praticiennes que vous êtes nous ayant apporté des vues relativement contradictoires. C'est ce que nous attendions, de telle manière que le débat s'instaurant, nous puissions utiliser tout ce que vous avez bien voulu nous dire et qui exprime cette expérience qui nous est très précieuse.

Le propre d'un Parlement est de décider après avoir entendu, mais il n'est pas obligatoirement de faire ce qu'il aura entendu suggérer. Nous avons donc des démarches d'appréciation qui, jusqu'au dernier moment, devront demeurer.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Si j'ai bien compris Mme George et Mme Courcelle, elles sont partisanes de supprimer la condition de vie en commun pour le père naturel. N'est-ce pas oublier qu'une reconnaissance peut émaner de n'importe qui ? Je suis même sûr que si en 1993 on a donné la possibilité au juge de donner l'autorité parentale au père naturel dans tous les cas, on a réservé précisément le fait que ce soit obligatoire et automatique quand il y a eu vie commune au moment de la dernière reconnaissance et ce parce que n'importe qui peut se présenter à la mairie pour reconnaître un enfant et ennuyer sa mère.

Mme GEORGE. - C'est une hypothèse assez rare. Avec la condition du temps, dans la première année de la naissance de l'enfant, on risque moins d'avoir de fausses reconnaissances. Le risque d'une reconnaissance fantaisiste est infime. La reconnaissance crée de nombreuses obligations à celui qui reconnaît un enfant.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - Celui qui n'a pas un sou ne risque rien.

Mme GEORGE. - Je comprends votre souci de prudence. L'inconvénient qui en résulte est plus important que l'avantage. L'inconvénient majeur est qu'il y a une incertitude sur la personne qui exerce l'autorité parentale sur un enfant.

M. DREYFUS-SCHMIDT . - C'est pourquoi les juges existent.

Mme GEORGE. - Si les juges doivent intervenir dans tous ces cas.

Mme COURCELLE . - Même pour des juristes, il est difficile de dire, à la seule vue de l'acte de naissance, quel est le statut du père naturel, c'est une insécurité pour les enfants. De tels cas sont vraiment marginaux. D'ailleurs il y a un recours contre cette reconnaissance qui sécurise plus l'enfant naturel. Il faut absolument qu'il y ait un statut unique du père naturel sur les enfants naturels.

Mme GEORGE. - Il faut que ce soit lisible au vu de l'acte de naissance.

M. LARCHÉ, président. - Je ne suis pas sûr que le terme que vous avez relevé corresponde à la réalité. Vous avez dit que M. Benabent, dont nous avons apprécié l'intervention, avait fait justice du mot répudiation.

M. DREYFUS-SCHMIDT . -Oui, c'est exact.

M. LARCHÉ, président. - Certains membres de la commission estiment que c'est vrai et d'autres s'interrogent peut-être. C'est le propre d'une commission d'ailleurs.

Je vous remercie infiniment de vos interventions.

M. Jean HAUSER,
Professeur à l'Université de Bordeaux,
Président de la Mission de recherche droit et justice
sur le Pacte d'intérêt commun

M. HAUSER. - Merci, Monsieur le Président, de m'accueillir pour présenter une fresque qui risquerait d'être bien longue, compte tenu du retard que votre vigilance présidentielle ne saurait admettre trop important.

Il est d'abord présomptueux de vouloir traiter du droit de la famille sans savoir que ce ne sont pas seulement des aspects personnels, mais des aspects patrimoniaux considérables. Près de la moitié du Code civil se trouve englobée dans cette expression droit de la famille qui comporte les régimes matrimoniaux, les successions. Il faudrait y ajouter du droit social et du droit fiscal.

Il n'y a plus de possibilité de pensée partielle en droit de la famille, réformer un morceau sans réformer l'autre ou sans réfléchir à l'autre consiste finalement à détruire l'ensemble ou à en faire un monument byzantin et complexe.

Il faut rappeler que c'est à partir de 1964 que les très grandes réformes de droit de la famille moderne ont été entreprises. On ne peut oublier, cela nous mettra du baume au coeur en constatant que rien de grave ne se produit, les débats parlementaires d'une rare violence lors du vote de la loi de 1912 sur l'action en recherche de paternité naturelle. La lecture de ces débats est très intéressante. Entre les prévisions apocalyptiques ou paradisiaques, l'avenir a montré que la loi de 1912 n'a pas fait trembler la société sur ses bases. Il faut relire aussi les débats de la loi de 1884 qui ont introduit le divorce. Un peu d'histoire en quelques secondes méritait, peut-être, de nourrir cette introduction.

En résumant de façon très abusive une législation complexe et souvent subtile, ces trente dernières années il s'est agi de faire remonter les faits vers le droit, alors que jusque là le droit était plutôt conçu comme impératif et avait pour prétention et objet de discipliner et contraindre les faits à un prix que l'on estimait finalement modeste.

A vrai dire, l'évolution vers un droit plus soucieux du réel qu'un droit normatif avait déjà envahi, en partie, les branches détachées du droit civil pur, notamment le droit social. Depuis longtemps, le droit social, voire le droit fiscal à la philosophie beaucoup plus empirique, étaient plus soucieux du fait que de définition juridique. L'assimilation progressive, par exemple, des filiations avait été largement anticipé dans d'autres domaines. Le droit civil a souvent plus suivi que précédé. N'oublions jamais que la grande scène du droit de la famille n'est pas seulement une scène civiliste, qu'elle est pour une large partie une scène de droit social, et pour une petite partie une scène de droit fiscal. Nous n'avons pas à réfléchir dans un splendide isolement civiliste, c'est une donnée que tous les spécialistes n'ont peut-être pas toujours assimilée.

Cette adaptation doit être poursuivie, et c'est pour cela que nous sommes là, pour évoquer, réfléchir. Elle n'est pas plus dramatique qu'elle le fut dans le passé. Les grandes lois du droit de la famille ont été votées à travers des majorités d'idées qui ont transcendé les clivages politiques. La loi de 1975 a été votée dans une certaine atmosphère de consensus et il n'y a pas eu de cataclysme familial. Nous ne sommes pas plus à la veille d'un cataclysme familial que nous ne l'étions en 1912, en 1884 ou en 1975.

Pour autant, l'adaptation proposée ne doit pas consister à faire remonter tous les faits vers le droit. S'il s'agit aujourd'hui ou à d'autres moments, de se soumettre dans tous les cas à la dictature des faits, parce que les époux, les parents, les enfants naturels sont comme ça, je ne vois guère à quoi sert le droit, c'est la sociologie qui doit alors servir, elle est peut-être la photographie la plus fidèle, mais le droit ne sert à rien.

Comme avant, il doit rester un jugement de valeur final sur ce qui est proposé par la loi. Je ne crois pas à la neutralité de la loi familiale, sauf à avouer la disparition du droit de la famille.

Cette politique législative qui doit être volontariste n'est pas obligée de se cantonner dans un respect tatillon du passé présumé comme si nos ancêtres avaient pour toujours fixé les modèles idéaux d'organisation familiale. Affirmation qui méprise souvent la réalité historique car nos ancêtres ont eu une pensée plus complexe et évolutive qu'il n'y paraît. Ce que nous croyons être séculaire n'est souvent finalement que le produit de quelques dizaines d'années passées. Nous manions les siècles en droit de la famille avec un peu de légèreté. La société doit trier, comme elle l'a toujours fait, dans la réalité.

Pour ne pas prolonger, je vous propose quelques réflexions rapides sur quelques grands thèmes du droit de la famille dont certains d'entre eux ont déjà été évoqués.

Le mariage, je vous en parle d'abord parce qu'il me paraît tout à fait regrettable que dans ce grand bouillonnement d'idées, personne ne pense à modifier le droit du mariage. Comme si on pouvait toucher au divorce sans se préoccuper de l'existence du mariage, comme si au fond il était réservé à de lointaines peuplades en voie d'instinction.

Il faut le rappeler, l'apparat législatif du mariage dans les textes du Code civil est incroyablement vieillot, obsolète, démodé, beaucoup trop long. Songeons aux publications, aux oppositions : je sais que les candidats au mariage ne vont pas d'abord lire le Code civil, je l'espère pour eux, sinon je garantis qu'il y aurait moins de personnes mariées. Tout cela mériterait un nettoyage sérieux.

Certaines parties de ce droit matrimonial sont à peine conformes au droit international. Il n'est pas sûr que le droit des parents de faire opposition sans indiquer un motif précis soit encore conforme à nos engagements internationaux. Il faudrait peut-être peigner ce droit du mariage et, pourquoi pas, le rénover, le dynamiser, en faire quelque chose de neuf.

Est-il inconcevable, qu'en parallèle à une réforme visant à l'admission partielle de couples non mariés, on rénove la vieille maison, gardant alors une balance équilibrée ?

Pourquoi plutôt que de faire une réforme des droits successoraux du conjoint survivant, noyée dans une réforme successorale d'ensemble (qui d'ailleurs n'a pas abouti), ne pas procéder à une réforme plus significative, axée autour du thème du mariage, de ses avantages et obligations, et en même temps réfléchir aux manifestations du couple hors mariage ? Ce serait un grand chantier matrimonial et para matrimonial dans lequel il faudrait s'investir et où l'objectivité serait probablement sauvée.

Sur le divorce : j'écoutais, il y a quelques minutes nos trois magistrats, éminentes, il ne peut y avoir de réforme du divorce sans toucher au mariage. J'ai eu l'impression qu'on parlait du divorce comme s'il n'était pas la fin du mariage. Il n'y a pas de réforme du divorce qui soit innocente quant au mariage. Chaque fois qu'on touche, même à un petit détail sur le divorce, c'est le mariage qui se trouve touché.

Sur les causes du divorce, je vais exprimer mes accords et mes désaccords. Je suis d'accord sur le fait que le divorce pour cause objective devrait être mieux introduit et mieux traité en droit français. Le divorce pour rupture de la vie commune a été vu comme scélérat. En 1975, c'était un traité de paix entre des forces contraires. La Cour de cassation n'a rien arrangé, elle l'a durci encore plus, multiplié les exigences tatillonnes, ne s'est pas montrée généreuse, sauf sur la clause de dureté dont nous ne voyons plus guère de manifestations.

Il serait peut-être utile d'avoir un divorce pour cause objective, pour séparation de fait un peu assoupli. On pourra toujours négocier sur la durée de la séparation, il est plus facile de négocier sur les chiffres que sur les idées, les chiffres se divisant à l'infini..

Peut-être serait-il temps de créer ce divorce dont on nous a dit abusivement qu'il était celui de tous les pays voisins. En réalité les pays voisins ont des divorces pour cause objective, mais souvent réintroduisent la faute au niveau des effets. Il s'agit de faux divorce pour cause objective, la faute gardant tout de même un certain rôle.

Supprimer le divorce pour faute, je serais tenté de rester plus modeste. Je dirais, comme le Doyen Carbonnier en 1975, si près de la moitié des Français veulent divorcer pour faute, de quel droit les en empêcherions-nous ? S'ils ont une conception de la dissolution du mariage contentieuse, est-ce aussi ignoble que cela ?

N'est-ce pas parce qu'ils avaient mis dans leur mariage quelque chose de bien plus élevé qu'une sorte de contrat qui sera rompu demain ou après-demain quand on ne s'entendra plus, que le drame se produit ?

Y a-t-il véritablement ici à critiquer le fait que des personnes recourent au divorce pour faute ? Que des mesures techniques soient nécessaires, que la preuve de la faute (souvent mal organisée) soit apportée, que la procédure soit à revoir, bien. Quant à supprimer le divorce pour faute, c'est la dernière sanction des devoirs nés du mariage. Il n'y en a point d'autres. Il y a bien longtemps que l'on ne fait plus ramener les conjoints manu militari, d'ailleurs cela n'a jamais bien marché, même au XIXème siècle, que l'on ne prononce plus guère de dommages et intérêts dans ce domaine. Il n'y a plus guère que le divorce pour faute. S'il est supprimé, les obligations nées du mariage n'ont quasiment plus de sanctions.

Il faudrait réfléchir, avant de supprimer complètement cette idée, au rôle exact qu'elle joue. J'avoue être plus prudent que ce qui vient d'être dit.

La compétence en matière de divorce. Elle a envahi le devant de la scène. On nous a proposé deux scénarios, les deux sont très obscurs. En effet, derrière l'écran des mots, je ne sais pas ce que veut dire divorce municipal, divorce à l'état civil. Encore faudrait-il m'expliquer ce que fera l'état civil, quel sera son rôle ? Qui va recevoir le divorce et comment va-t-on faire entrer dans les actes d'état civil cette déclaration de divorce ?

Le premier scénario me paraît fallacieux. La municipalisation du divorce conduirait probablement à des difficultés et à zéro économie de juges. Actuellement, s'il n'y a pas de recours trop nombreux, c'est sous l'argument que la convention de divorce est homologuée par le juge. On s'arc-boute sur cette idée, le juge a lavé la convention de divorce de tous les défauts qu'elle pouvait avoir : point de vice du consentement, point de recours en rescision pour cause de lésion, Dieu sait si la Cour de cassation veille au grain dans ce domaine. L'homologation du juge devient solennelle et absolutoire.

Demain, personne ne pourra soutenir ce raisonnement quand le divorce se bornera à être déclaré à l'état civil. Nous risquons d'avoir après coup un lourd contentieux, car on nous a décrit des personnes qui auraient divorcé comme cela et qui seraient vraiment la main dans la main ; on finit par se demander pourquoi elles divorcent si elles sont d'accord sur tout. Elles vont donc déclarer leur divorce à l'état civil ; au nom de quels principes leur interdira-t-on de recourir le lendemain en nullité de leur convention ?

On va alors retomber dans un contentieux de type civil très ordinaire, avec des vices du consentement (j'ai consenti à tort l'abandon de la maison de campagne, je n'aurais pas dû admettre que...). Au nom de quoi pourrions-nous nous y opposer ? Nous le pouvons actuellement parce que le juge lave la convention de ses vices. On ne pourra pas dire de même de l'officier d'état civil.

De toute façon, si nous supprimons tout recours, se reposera la question de savoir si notre procédure et si notre déclaration sans aucun recours, y compris s'il y avait eu vice du consentement, seront conformes aux instruments de ratification internationale.

Je ne pense pas qu'on ferait de sérieuses économies, ni que l'on aboutirait à un chiffre significatif de divorces simplement déclarés devant l'officier d'état civil, même en réfléchissant à cette réforme lancée plus que proposée. Je pense que nous n'irons pas jusqu'au bout.

En revanche, il y a d'autres scénarios sur lesquels je ne vais pas m'étendre. Ils visent à alléger la procédure de divorce sur requête conjointe. Il est vrai qu'un certain nombre de formalités, de comparutions ne sont peut-être pas utiles, que l'on pourrait simplifier et admettre qu'un divorce sur dossier soit prononcé par le juge dans un certain nombre cas. Nous n'entrons pas dans le détail, mais quelques propositions sont possibles.

N'oublions jamais que toute réforme du divorce, que ce soit la suppression du divorce pour faute ou la municipalisation du divorce, est d'abord une réforme du mariage. La nature juridique du mariage ne sera plus la même le jour où nous aurons admis qu'un divorce peut être enregistré par sa déclaration devant l'officier d'état civil. Rien ne dit qu'il ne faille pas franchir un pas, il faut en mesurer la longueur.

Quant aux conséquences du divorce, elles ont également envahi le devant de la scène médiatique. La technique de la prestation compensatoire est au centre des discussions et des critiques. Je me demande si nous ne sommes pas en train de redécouvrir la plus belle invention du monde, après la roue, quand on nous propose de réintroduire des révisions de prestations compensatoires.

Pourquoi, en 1975, le Doyen Carbonnier et les auteurs de la loi, ont-ils supprimé le pouvoir de révision ? Parce que la situation antérieure était impossible, les pensions révisables impliquant un contentieux énorme après divorce qui ne cessait de renaître de ses cendres. Si la prestation compensatoire a été rendue forfaitaire et définitive, c'est précisément pour éviter une telle situation. Que l'on ne nous propose pas maintenant, comme une redécouverte unique, une prestation compensatoire qui pourrait redevenir révisable. Il faut faire très attention aux contentieux nouveaux que l'on ouvrirait.

En revanche, il est sans doute possible, nous l'avons proposé dans un projet, que ce soit d'abord une mesure transitoire. En effet , de vieilles prestations ont été prononcées au lendemain de 1975, qui sont des poids importants peut-être parce qu'à l'époque on ne mesurait pas la technique de la prestation compensatoire, beaucoup de juges et d'auxiliaires de justice raisonnaient encore en termes de pension alimentaire révisable et ils n'ont pas toujours mesuré l'impact du prononcé d'une prestation compensatoire. Admettons que dans un texte de loi il existe une disposition transitoire permettant de rouvrir, pour quelques mois, quelques semaines ou quelques années, un contentieux de révision pour les prestations compensatoires les plus anciennes, en y mettant comme condition que le débiteur les ait exécutées ponctuellement, ce qui supprimerait déjà un certain nombre de demandes.

Quant à l'avenir, la proposition est la suivante, elle est équilibrée et viserait à donner au juge, qui prononce des prestations compensatoires, la possibilité quand il estime qu'il n'a pas tous les éléments en main pour décider, de fixer dans sa décision une date à partir de laquelle il pourrait éventuellement être ressaisi pour refaire un examen de la situation.

Enfin, j'ajouterai insidieusement que si on se décidait de s'attaquer sérieusement au régime fiscal de la prestation compensatoire en capital, on éviterait un certain nombre de difficultés

M. LARCHÉ, président. - Il faut le dire au Gouvernement, il nous a opposé l'article 40.

M. HAUSER. - Je le dis à qui veut l'entendre. Je ne doute pas que les négociations soient difficiles. L'argument que l'on fait toujours valoir dans l'Administration fiscale est que les époux feraient exprès de divorcer pour avoir un système préférentiel qu'ils n'auraient pas autrement. Quels sont les époux qui vont se livrer à de tels calculs ? Une procédure de divorce sur requête conjointe, avec une fausse prestation compensatoire qui serait indexée... si on suit cette voie, il est préférable de supprimer le mariage qui sert aussi quelquefois à frauder le Fisc. Il faut supprimer les reconnaissances d'enfants naturels fictives qui servent également à frauder le fisc. Je croyais qu'en droit civil la fraude ne se présumait pas, que c'était la bonne foi. Dans une vision peut-être exagérément optimiste j'en resterai là.

J'en viens à la vie à deux que nous préférons appeler pacte d'intérêt commun. Il y a ici deux revendications qui s'entremêlent et brouillent beaucoup le débat.

Il y a d'abord une première revendication d'ordre symbolique. Quand nous avons commencé le chantier de la réflexion, c'est celle-là qui est d'abord apparu. Une première revendication symbolique vise, pour certains couples, à obtenir une reconnaissance du droit à travers l'extension de techniques très chargées de symboles qui sont, pour l'essentiel, le mariage (qui retrouve un respect assez étonnant) et la parenté.

Le symbole ne me paraît pas être de l'ordre du jugement juridique. Il suppose une appréciation politique, philosophique. Il faut remarquer que les exemples de droit comparé que l'on nous oppose doivent être maniés avec beaucoup de prudence. Dans l'ensemble des pays qui nous entourent et qui ont admis un contrat d'union civile ou l'équivalent ou un contrat de partenariat, c'est une déclaration pure et simple à l'état civil et qui n'entraîne que fort peu de conséquences (le cadeau ne coûte pas cher). Il y a fort peu de pays où le contrat entraîne les mêmes conséquences qu'entre personnes mariées, où l'assimilation est complète.

Quand on crée un contrat de partenariat parallèle pour ceux qui ne veulent pas du mariage, je ne comprends pas en quoi la valeur symbolique de ce contrat doit être mise en avant puisque cela consiste à leur donner un système spécifique. Je laisse de côté ce qui est de l'ordre du symbole qui nous échappe. Après tout, dans les textes constitutionnels on affirme souvent la liberté du mariage. Somme-nous prêts à aller affirmer dans nos constitutions la liberté de constituer un couple ? Je ne sais pas. La société est-elle prête à aller jusque que là ? Cette question dépasse le droit.

Une seconde revendication est d'ordre pratique. Là, je me sens plus sur un terrain concret. Elle vise à offrir civilement, socialement, fiscalement des droits (et des droits techniques) permettant d'organiser la communauté de vie de deux personnes autour d'une définition simple. On peut discuter de l'opportunité. Elle nous a paru démontrée autour de l'idée suivante : jusqu'à une époque récente la société définissait un modèle familial et elle en fixait les contours, les conditions d'existence et les conséquences. Ce modèle familial est un modèle séculaire adopté depuis longtemps, mais qui a beaucoup changé dans sa forme.

Nous pensons qu'actuellement le problème se pose un peu différemment. A côté du modèle familial que la société impose et auquel elle doit continuer à donner la primauté et des droits plus étendus, existe une deuxième difficulté qui est la solitude. Alors que jusqu'ici la société n'avait d'intérêt à donner des droits et un statut spécifique qu'à ceux qui entraient dans sa définition, il est concevable de dire que la société, en notre temps, a peut-être intérêt, bassement, à donner un certain nombre de droits à ceux qui ne vivent pas seuls parce que la solitude est un fléau.

Cela conduit à constater que les relais sociaux, familiaux, villageois, communaux ayant souvent disparu, la vie à deux devient une valeur en tant que telle, en dehors du jugement qu'on peut porter et qui reste un jugement supérieur. Cette vie à deux mérite peut-être un embryon de statut et un certain nombre de conséquences.

Je ne propose pas de faire confiance à la bonne mine des concubins. Je dis que la société a intérêt à franchir un certain pas et à considérer que la notion de vie à deux mérite non pas une récompense, mais des droits supplémentaires.

Ces droits devraient être accordés et l'appellation importe peu. Nous avons proposé " pacte d'intérêt commun ", le mot " pacte " étant marqué par une histoire intéressante, le pacte sociétaire. Nous avons proposé de mettre les textes non pas dans la partie " personnes " du Code civil. Tous les projets proposés mettaient les textes dans la partie " personnes " du Code civil et aboutissaient à des rapprochements scabreux, à des places difficiles, on finissait par voir les droits des concubins après la distinction entre les meubles et les immeubles. Les projets se sont promenés un peu partout. Pour nous, la place naturelle est entre la société et l'indivision. En effet, ce pacte est un peu moins qu'une société et un peu plus d'une indivision.

Tout cela ne répond pas aux droits que l'on va accorder à ce pacte. Ces droits doivent suivre certaines logiques. D'abord, il ne me semble pas que les droits octroyés doivent aboutir aux droits accordés aux personnes mariées. La société, pour l'instant, peut-être pas pour toujours, a plus d'intérêt à voir des personnes mariées que non mariées. Le jour où l'intérêt de la société sera égal, nous verrons.

A part pour les droits fondamentaux, pour tous les autres c'est une négociation qui devra s'ouvrir avec, là encore, estimations chiffrées et des discussions sur les seuils de durée à prévoir. Les administrations sociales et fiscales n'admettront probablement pas qu'ayant signé un PIC hier on puisse avoir aujourd'hui tous les droits. Il est très probable que l'on opposera à nouveau la fraude comme en matière de prestations compensatoires.

La seconde idée est que je ne pense pas -et je sais que sur ce point les discussions seront vives- qu'il faille distinguer parmi les cohabitants. Les prémisses sont simples, c'est la solitude. Peu m'importe comment on traite sa solitude, on la traite, avec quelqu'un avec qui on accepte de " coucher " ou avec quelqu'un avec qui on n'a pas ce type de relation.

Dans les deux cas, je ne vois pas comment on pourrait extraire du pacte commun ceux qui n'ont pas de relations, sauf à faire, paradoxe des paradoxes, de l'existence de liens de parenté un empêchement à pacte, ce qui mènerait loin. Ma logique est celle de la vie en commun : dès lors qu'elle existe, il doit y avoir statut de la vie en commun. Il serait sans doute difficile d'expliquer aux Français la différence entre le cas du frère et de la soeur qui vivent à la campagne et exploitent ensemble un bien et de l'autre côté le couple homosexuel ou hétérosexuel ; le jour du décès de l'un des membres, le couple de concubins aurait un système fiscal de transmission préférentiel et le frère et la soeur n'auraient rien, parce qu'ils sont frère et soeur. Que ceux qui peuvent m'expliquer cela me fassent signe car je ne comprends pas.

Dès lors que l'on est sorti de la logique institutionnelle du mariage, on entre dans la logique de fait de la vie en commun, il me semble que c'est elle qui doit être retenue.

La filiation et les relations familiales : on a beaucoup parlé de filiation dans des termes tout à fait défendables. Un certain nombre de détails sont à revoir. Je ne vois pas qu'il y ait lieu de remettre sur le chantier l'ensemble de la loi de 1972. Il faut se méfier beaucoup des lois sur la famille. On ne les remet pas en chantier tous les dix ans. La loi de 1975 sur les divorces a mis vingt ans à entrer dans la tête d'un certain nombre de praticiens. Si le divorce sur demande acceptée a mis quinze ans pour démarrer, c'est parce que durant ce temps de très nombreux avocats, qui n'avaient jamais connu cela, pensaient que c'était impossible. Beaucoup m'ont dit : mais cela n'a jamais existé. C'est comme le régime matrimonial de participation aux acquêts, il faudra certainement attendre encore. Donc, ne changeons pas trop souvent la loi car personne ne sait si la précédente aurait pu s'appliquer puisqu'elle est abrogée, avant même qu'elle n'ait eu quelque chance. Le droit de la famille n'est pas la bourse de Tokyo, l'indice ne change pas tous les jours, heureusement, il faut longtemps, c'est en cela qu'il me plaît, pour ainsi mesurer les évolutions.

En revanche, il me semble que le grand chantier de réforme devrait être celui des délais. Il faut raisonner sur une constatation simple pour finir. Le délai n'était guère nécessaire jadis parce que l'impossibilité des preuves était naturelle. La nature se chargeait de faire mourir les preuves de la filiation, les personnes mouraient (nous l'avons vu récemment, cela ne suffit plus). Elle se chargeait aussi de faire mourir toutes les preuves en général parce que la mémoire était fragile, les papiers disparaissaient. Maintenant nous avons une mémoire redoutable, elle est génétique, ce qui remet au devant de la scène les délais de prescription. On en parlait à peine quand j'étais étudiant. Nous pensions qu'ils ne s'appliquaient jamais, que c'était loin, et qu'il n'y avait plus de preuves. Eh bien non, maintenant même après trente ans il y a des expertises et toute sorte de possibilités. On a parlé des dix années pour les possessions d'état concernant les reconnaissances, il faut revoir l'ensemble de nos délais en matière de droit de la filiation car c'est la dernière protection que nous ayons contre les actions abusives. Il n'y a pas d'autres protections puisque nous n'oserons plus devant une action téméraire refuser la preuve scientifique. On vient de le voir dans quelques affaires célèbres.

Puisque nous n'oserons plus, c'est le temps qui doit être réintroduit, or il est beaucoup trop long. La prescription trentenaire qui reste le droit commun provoque dans les études de notaires un désordre incommensurable, notamment dans les départements d'outre-mer. L'article 334-8, voté en 1982, permet pendant trente ans d'établir la filiation naturelle alors qu'on n'avait rien fait du vivant des parents. Voilà un exemple où la prescription trentenaire, prévue par la Cour de cassation et non pas par les textes, est beaucoup trop longue

Concluons : il n'y a pas à craindre l'évolution du droit de la famille, d'abord parce que nos instruments de connaissance sont très supérieurs à ceux du passé. Nous imaginons mal qu'on ait statué, légiféré il y a encore trente ou quarante ans, en ignorant tout de la réalité avec une superbe indifférence envers elle. On avait l'impression que nous connaissions. Nous sommes maintenant assommés de chiffres, d'expériences de droit comparé. Peut-être faut-il aussi faire attention à l'abondance.

Il faut inlassablement rappeler qu'au-delà des manifestations bruyantes et souvent marginales, l'immense majorité des sujets de droit se satisfait du système actuel. Certes, il y a 3 millions de concubins, mais il y a aussi 17 millions de couples mariés, certes un certain nombre de couples finissent devant le juge, mais il y a encore beaucoup de couples, près de 60 %, qui ne terminent pas devant le juge.

Gardons-nous de faire un droit de la marginalité. Le droit de la famille n'a jamais été cela. Tous ceux qui ont des problèmes sont seulement demandeurs d'une adaptation supplémentaire et de solutions ponctuelles à des problèmes précis. Contrairement à ce qui se dit ou s'écrit, ici ou là, les citoyens semblent rester très attachés à la famille. Ils veulent simplement en être plus souvent la source.

Merci Monsieur le Président.

M. LARCHÉ, président. - Vous avez avancé cette idée du pacte, le pacte d'intérêt commun.

Quelles sont les conséquences concrètes de la conclusion du pacte ? Intéresse-t-il le droit de la succession ? Intéresse-t-il le droit au maintien dans les lieux ? Intéresse-t-il le droit à la pension de réversion? Intéresse-t-il, par exemple, le droit au regroupement familial pour les fonctionnaires ?

Toute une série de conséquences vont en découler. Ou bien il se rapproche de ce qui est la logique du couple marié, ou bien il ne reconnaît pas à ceux qui l'ont conclu les mêmes conséquences. A quoi sert le pacte ?

Je vais retrouver la notion de dilemme que M. Malaurie nous a très bien exposée tout à l'heure. Sur ce point il existe quelques conséquences concrètes. Si nous sommes un jour saisis en tant que législateurs, nous aurons à décider, au delà des avis très autorisés que nous avons entendus.

A la commission des Lois nous aimons toujours essayer de connaître la portée de nos décisions. Que mettez-vous ou ne mettez-vous pas ? Est-ce un pacte à géométrie variable ?

M. HAUSER. - Monsieur le Président, jusqu'ici on a fait l'inverse de ce que nous proposons. On est parti des conséquences en répétant tous les jours qu'il faudrait un jour définir la structure. Ce n'est pas moi qui ai donné des droits aux concubins, ni personne ici présent. Voilà cinquante ans qu'on leur en donne, sans jamais avoir défini le concubinage. Il existe cinq ou six définitions différentes : le notoire, celui qui implique des relations maritales, etc.

Est-il de bonne politique, dans un pays qui se veut cartésien, de commencer par la fin ? Il faut reprendre le problème au départ. Quand on a voté le titre " du mariage " dans le Code civil, on ne s'est pas interrogé sur les conséquences sociales et fiscales du mariage. On l'a voté, après on devait voir ce qu'on lui accorderait.

M. LARCHÉ, président. - On a défini d'abord les obligations du mariage.

M. HAUSER. - Elles étaient définies depuis longtemps. Une fois définie une structure optionnelle, le législateur aura à décider, point par point, ce qu'il veut accrocher à cette structure optionnelle. Il y a d'abord une part qui restera entre les mains des concubins. Il y aura des gros PIC, des petits PIC, des PIC complets, après tout, les personnes mariées font la même chose, celles qui se marient sous le régime légal et d'autres qui adoptent des contrats de mariage très compliqués. Nous pouvons estimer que la liberté leur est offerte.

Quant aux droits de type social ou fiscal, il y a une limite que nous ne franchirons pas. Je ne crois pas qu'il faille donner des droits de succession " ab intestat " aux signataires d'un pacte d'intérêt commun. Ces droits ne sont donnés qu'en fonction d'une reconnaissance solennelle de la société qui estime que sans que les personnes aient à se prononcer, on peut penser qu'elles ont voulu hériter l'une de l'autre.

Personne ne peut me dire aujourd'hui que ce raisonnement peut être appliqué à des concubins, personne ne sait. D'ailleurs il y aura des concubins de toutes sortes et des signataires de PIC très différents, nous ne pouvons créer un modèle unique en disant que tous les " PICistes " ont voulu que leur cocontractant hérite " ab intestat ", alors que c'est possible aux personnes mariées. Voilà pourquoi il y aurait des limites à ne pas franchir, celle entre la reconnaissance institutionnelle (celle du mariage), et celle d'un fait (la vie en commun). On ne fonde pas des droits successoraux " ab intestat " sur un fait, fût-il reconnu dans un contrat. Ces droits se fondent sur une institution que la société reconnaît.

Le système me semble pouvoir être appliqué ailleurs, pour d'autres conséquences sociales et fiscales. A aucun moment les techniques ne seront les mêmes. Il y a des techniques chargées de signification, elles restent matrimoniales. D'autres techniques, plus neutres et plus indifférenciées, peuvent servir pour le pacte d'intérêt commun.

Il faudra rester attentif chaque fois à ne jamais mélanger les genres. Le projet que nous avons proposé, parmi d'autres, ne les confond pas.

M. BADINTER . - Vous dites que l'on passe du fait du concubinage au contrat, passer du fait à l'acte n'est pas mince. Vous paraît-il possible qu'une personne puisse conclure plusieurs pactes ?

M. HAUSER. - Non, mais successifs, certainement.

M. BADINTER . - Je ne crois pas qu'on puisse l'interdire. Ce serait comme interdire le mariage ou le remariage.

La Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné la disposition du droit de Lausanne qui interdisait le remariage à l'époux coupable. Je voulais dire plusieurs, concomitamment ou sans avoir dénoncé le premier. C'est bien ici un contrat qui, par là, rejoint le mariage, une sorte de mariage bis ou de sous mariage.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Et entre plusieurs personnes, deux frères et une soeur, par exemple ?

M. HAUSER. - Nous avons beaucoup réfléchi. C'est d'ailleurs le premier exemple qui s'est présenté à notre esprit. Le PIC est à mi-chemin entre l'indivision et la société. Quand on est plus de deux, on peut faire une société. La demande qui nous est faite est simple. Il faut rappeler un élément qui est trop ignoré : les concubins qui ont beaucoup d'argent ensemble ont, depuis longtemps, utilisé le régime de la société. Les sociétés civiles entre concubins existent depuis longtemps.

Notre PIC est destiné aux personnes qui n'ont pas eu l'idée ou les moyens de passer par la société civile. C'est une petite société civile, une petite structure d'accueil qui permet d'introduire une once de prévisibilité dans un statut qui ne mérite pas d'être complètement marginalisé dans l'imprévisible. C'est une structure intermédiaire.

Mme Michelle TORRECILLAS,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Belfort
M. Thierry FOSSIER,
Président de la Chambre de la famille
du Tribunal de grande instance de Grenoble

M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission des Lois du Sénat. - Si nous avons demandé à M. Thierry FOSSIER et à Mme Michelle TORRECILLAS de venir, c'était pour nous dire, à l'échelon de la pratique judiciaire, le point de vue des juges de province.

Je vais vous demander de nous dire, après avoir entendu vos "collègues" parisiens, en quoi le point de vue que vous nous apportez peut être marqué par une orientation différente.

Mme TORRECILLAS. - Je vous prie, au préalable, d'excuser le caractère peu construit de l'intervention que je vais faire devant vous maintenant. J'ai en effet estimé nécessaire de parler plutôt de certains autres points que ceux que j'avais initialement prévus, compte tenu des interventions que nous avons entendues ce matin et de la raison de ma présence ici qui est d'apporter le point de vue d'un provincial sur la pratique judiciaire.

J'ai entendu avec satisfaction, ce matin, que l'indissolubilité du lien familial s'était déplacé du lien conjugal vers le lien entre les parents et les enfants. L'une de mes collègues a aussi rappelé ce matin l'évolution positive qui existe dans le maintien des relations entre les parents et les enfants, en particulier entre le père et les enfants. En effet, la proportion d'enfants qui ne voient plus leurs parents, après une procédure de divorce ou de séparation, était de la moitié, et n'est plus que du tiers.

Ces éléments optimistes ne m'ont pas paru refléter tout à fait la vision des choses, telle qu'on la voit dans une juridiction de province, dans une petite ville, et dans un milieu non pas rural, mais plutôt dans un tissu urbain moins dense.

Certes, les progrès existent, et on peut les constater tous les jours, notamment pour ce qui est de la relation entre les parents et les enfants, et de la place de chacun des parents auprès de ses enfants. On peut cependant noter qu'encore aujourd'hui, la loi de 1993 qui a institué cette autorité parentale conjointe conserve encore un caractère quelque peu théorique, et n'est pas complètement assimilée par tout un chacun face à une problématique familiale de séparation.

C'est la raison pour laquelle je pense que le judiciaire a encore un rôle à jouer dans les procédures de divorce. Il me paraît un peu prématuré de se passer de juge car l'évolution a beau être amorcée, elle est loin d'être terminée.

Je vais essayer d'éclairer mon propos par quelques exemples pratiques qui vous en feront peut-être percevoir le sens. Je vous ai apporté une requête que j'ai reçue récemment. Elle est significative, mais pas du tout isolée. C'est une requête conjointe, c'est-à-dire des personnes d'accord entre elles. Ce sont des parents naturels qui m'ont envoyé cette requête :

"D'un commun accord entre Mlle X et moi-même, nous avons décidé de nous séparer. Pour le bien de nos enfants, nous avons pris certaines décisions. Je soussigné le père déclare laisser l'autorité parentale de mes enfants, qui sont nés en 1993 et en 1997, à Mlle X, leur mère. Je m'engage à ne pas exercer de droit d'hébergement sur eux, sauf sous la demande des enfants, et je désire toutefois les voir à mon gré au domicile de leur mère".

Madame écrit ensuite : "Je soussignée Katia X m'engage à laisser le père de mes enfants les voir quand il le désire à mon domicile et les laisser aller chez lui si les enfants le souhaitent. En contrepartie, je ne demande pas de pension alimentaire, mais je ne refuserai pas les sommes d'argent qu'il désirera donner aux enfants.

Nous souhaitons que vous nous établissiez une attestation confirmant notre demande."

Il est pas question, comme je l'ai entendu ce matin, de porter la suspicion sur les parents et sur l'attitude politiquement correcte qu'ils doivent avoir vis-à-vis de leurs enfants, mais il me semble qu'il existe une loi qui prévoit que, sauf exception et sous conditions, les parents exercent en commun l'autorité parentale conjointe. Dans ce cas précis, les parents ont entendu se séparer sans douleur et n'ont pas voulu se disputer, envenimer la situation, et plutôt que de construire quelque chose de façon positive, ont préféré abandonner certaines des prérogatives que la loi leur accordait.

Cette question de l'autorité parentale conjointe ne me semble donc pas tout à fait encore assimilée et naturelle. Elle ne l'est pas pour les personnes qui vont divorcer, mais elle ne l'est pas non plus par les professionnels du droit. Elle n'est pas connue non plus par les administrations. Ce matin, on vous a indiqué qu'il y avait un surplus de procédures judiciaires parfaitement inutiles, puisqu'il s'agissait de fixer une résidence habituelle, des droits de visite et d'hébergement, complètement en contradiction, en cas d'accord, avec cette notion d'autorité parentale conjointe. Les gens qui se séparent, divorcent, avant de vivre leur divorce et leur séparation dans les tribunaux, les vivent dans leur maison, leur ville, leur famille, et ont la perception de ce que les autres leur renvoient.

C'est la raison pour laquelle la notion d'autorité parentale conjointe ne satisfait pas tout le monde et ce n'est pas faire plaisir aux gens que de leur dire qu'ils ont une autorité parentale conjointe. En effet, ils mesurent que les conséquences pratiques tirées de cette notion ne seront pas complètes.

Les administrations ne tirent pas réellement les conséquences de l'autorité parentale conjointe, les professionnels du droit non plus : les avocats comme les juges aux affaires familiales qui, malgré cette loi de 1993, continuent à fixer les résidences habituelles -et c'est un réel objet de conflit, encore et toujours- ainsi que les modalités d'exercice du droit de visite et d'hébergement en se donnant la bonne conscience de prévoir préalablement, en principe, un droit d'hébergement libre.

Cette évolution n'est donc pas tout à fait terminée. C'est la raison pour laquelle je pense que le désengagement judiciaire n'est pas encore d'actualité et que l'on ne peut pas encore se passer tout à fait de quelqu'un qui est là pour dire ce que prévoit la loi, et pour garantir les intérêts des enfants.

L'idée selon laquelle on pourrait se passer de juge dans des procédures de divorce et de séparation est séduisante. Elle est séduisante car elle provient du constat que ce que font les juges aux affaires familiales aujourd'hui, ils ne le font pas très bien, voire assez mal. On se dit : "puisque les juges aux affaires familiales n'assument pas vraiment leur rôle dans ce domaine, on va laisser les gens se débrouiller et plutôt confier à quelqu'un d'autre cette tâche".

Il est vrai que le contentieux de masse conduit souvent à une cérémonie judiciaire qui devient dépourvue de sens, où le juge perd de sa crédibilité en ressemblant le plus souvent à une chambre d'enregistrement. Mais plutôt que d'utiliser cet argument au soutien du désengagement du judiciaire dans ces procédures, il serait peut-être plus constructif de veiller à éliminer le formalisme, là où il existe et là où il ne sert absolument à rien.

Je souscris complètement aux idées qui ont été développées ce matin, selon lesquelles il faudrait toiletter et épurer quelque peu les procédures de divorce ; par exemple, en prévoyant de donner la possibilité au juge de prononcer le divorce par consentement mutuel, dès la première comparution des époux, quand aucun problème particulier ne se fait jour, et quand la réalité des consentements paraît suffisamment solide.

Le formalisme existe partout aussi dans les procédures contentieuses, les procédures de divorce pour faute. Je parle de formalisme dans ce domaine car cela paraît un peu contradictoire avec l'idée que l'on se fait d'un divorce pour faute, où il y a une partie de théâtralisation et peut-être aussi de thérapie judiciaire, mais il existe quand même.

On peut constater, par exemple, que les requêtes en divorce pour faute sont parfois libellées de façon tout à fait typée, stéréotypée. Certains cabinets se contentent en fait de reprendre toujours la même formule, à l'appui de leur requête en divorce ou de leur assignation en divorce.

Quand on prononce un divorce aux torts partagés en faisant application des dispositions de l'article 248-1 du Code civil, il y a également du formalisme, puisque cet acte n'apporte rien au règlement du problème familial. On pourrait peut-être se passer de cette phase supplémentaire qui n'est que la reprise des dispositions antérieures et, en fait, également d'un constat d'échec partagé par les deux époux.

C'est la raison pour laquelle la réforme du droit du divorce pour faute me paraît nécessaire. Mais plutôt que de prévoir une possibilité de divorcer sur constat d'échec, sur requête unilatérale, et que de supprimer complètement cette notion de divorce pour faute, il existe à mon sens une position médiane.

Cette position consisterait peut-être à permettre à l'un des époux de prendre l'initiative de ce divorce en déposant une requête qui ne s'appellerait pas "requête en divorce pour faute", mais simplement "requête en divorce unilatérale", et à ne pas obliger cet époux, comme c'est le cas actuellement, à formuler des griefs contre l'autre, et à faire ce qui crée le mauvais climat, condamné ce matin, dans le cadre des procédures de divorce pour faute.

En revanche, la faute pourrait revenir à l'initiative de l'époux défendeur, si toutefois il refuse ce divorce. A ce moment-là, il pourrait peut-être obliger l'autre époux, le demandeur, à caractériser les griefs qui existent à son encontre. Il pourrait aussi revenir sur le terrain de la faute, à son initiative, en formant une demande reconventionnelle en divorce. Mais il pourrait aussi accepter cette requête en divorce, ce qui ferait bien des économies et éviterait de jeter de l'huile sur le feu en ce qui concerne les griefs et la théâtralisation autour de ces griefs.

Le deuxième point sur lequel je voudrais attirer votre attention aujourd'hui est quand même la réforme récente qui a créé le juge aux affaires familiales. Cette réforme a des conséquences, non pas tant sur le plan procédural, mais aussi sur le fond.

Le juge aux affaires familiales a été instauré en tant que juge unique. Comme tous les juges uniques, on lui attribue peut-être plus de pouvoir que quand il appartient à une collégialité ou quand il est un juge aux affaires matrimoniales "lambda" perdu au milieu des autres juges du siège.

On a concentré entre les mains du juge aux affaires familiales les compétences qu'avaient auparavant le juge aux affaires matrimoniales, le Tribunal de grande instance, le Tribunal d'instance, et le juge des tutelles. Le juge aux affaires familiales peut à présent effectuer un suivi total des dossiers dans les procédures de divorce, du jour de la requête et de l'audience de conciliation jusqu'au prononcé même de ce divorce. Cela veut dire qu'à l'heure où l'on pense pouvoir se passer de juge, à l'heure où cette idée est lancée, il est quand même contradictoire de penser que l'on va en demander plus au juge aux affaires familiales, et lui demander de faire autre chose que ce qu'il faisait avant. C'est l'une des conséquences du nouveau statut de ce juge aux affaires familiales.

On ne demande plus seulement au juge aux affaires familiales de trancher les conflits, mais bien plutôt de traiter des problématiques familiales.

La conséquence, en matière familiale, est que le procès n'est plus tout à fait la chose des parties, mais il n'est plus tout à fait seulement l'affaire du juge seul, il est aussi l'affaire d'autres intervenants. Le juge aux affaires familiales, de plus en plus, et avec les moyens procéduraux qui sont les siens, a permis d'ouvrir la porte à la pluridisciplinarité, ce qui semble très important et être tout à fait effectif. C'est quelque chose qui donne des résultats. Le juge aux affaires familiales ne travaille plus seulement avec des avocats et des greffiers, mais aussi avec des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres, des médiateurs familiaux.

Cette évolution qui paraît tout à fait naturelle à mes collègues parisiens est quand même à un stade d'ébauche en ce qui concerne la province. Il est vrai que le service de médiation familiale belfortin a été créé il y a à peine un an. Il ne faut pas croire que tous ces outils sociaux sont à la disposition de tous les juges aux affaires familiales. Il faudrait peut-être penser à pouvoir doter également toutes les juridictions de ces moyens qui permettent non seulement de dédramatiser les divorces, mais également de garantir le maintien des relations entre les parents et les enfants.

Pour conclure, je dirai que le juge aux affaires familiales et le contentieux familial dans son ensemble n'est pas tout à fait le contentieux civil que l'on connaît dans d'autres domaines. C'est quand même un peu autre chose. Le traitement de ces problèmes est tout à fait spécial et a besoin de continuer à se développer, surtout dans la pluridisciplinarité.

Il ne faut pas oublier, dans tous ces développements et dans les réformes qui pourraient voir le jour, que les affaires familiales ne sont pas un contentieux civil comme les autres parce qu'il y a une grande part d'humain, de passionnel, de viscéral, dans ces procédures, et que l'on ne peut pas faire l'économie de cette dimension. Je ne sais pas si l'on peut finalement souhaiter une intellectualisation à l'extrême d'une relation entre un homme et une femme, entre un parent et son enfant.

Je vous remercie.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci. Monsieur Fossier, si vous voulez bien intervenir maintenant.

M. FOSSIER. - Merci, Monsieur le Président. Je vais essayer de faire la transition avec le reste de la journée en abandonnant le terrain du divorce et de l'autorité parentale qui ont été abordés jusqu'à présent.

Pour le plaisir d'ouvrir le champ et de compliquer les problèmes, je me propose d'aborder trois types d'interrogations qui ne manqueront pas de se poser à vous, à chaque étape de votre travail de réforme, quelle qu'en soit la date.

Tout d'abord, les questions relatives au statut de l'enfant dont il a été un peu question ce matin. Ensuite, les questions relatives au travail social dont il vient d'être fait mention pour la première fois tout à l'heure. Enfin, la question de la juridiction familiale que vous voulez pour la France du troisième millénaire.

Rassurez-vous, je serai bref sur chacun de ces points. Je ne vais pas refaire le monde et je poserai sans doute plus de questions que je n'en résoudrai car je ne pense pas que l'institution judiciaire dispose des réponses.

Le statut de l'enfant tout d'abord, avec une manière d'aborder le problème qui est plus économique que cela n'a été le cas jusqu'alors.

Je veux dire d'abord que la première question qui se pose au juge aux affaires familiales que je suis ou au juge des enfants et au juge des tutelles que j'ai été dans le passé, est bien celle de l'apprentissage économique offert au mineur. Le constat se fait à tout instant que les jeunes majeurs sont à peu près démunis devant les lois économiques de l'existence. Pour ceux d'entre eux qui n'ont pas de patrimoine propre, le financement des études, par exemple, ou la recherche d'un emploi et, ensuite, la fondation d'un budget familial sont une longue suite de tâtonnements où la famille joue un rôle qui ne fait que retarder les échéances, mais ne résout pas le problème de l'ignorance des grands enfants. Pour ceux d'entre eux qui ont un patrimoine, l'option se situe entre la gabegie plus ou moins consciente ou bien une sorte de tutelle, de fait, des parents. Ces deux réalités ne sont certainement pas conformes à ce que vous avez voulu, en 1974, lorsque vous avez abaissé à 18 ans l'âge de la majorité.

Autrement dit, la gestion tutélaire qui marque la fin de la minorité ne laisse pas assez de place, dans l'état actuel des choses, à la participation de l'adolescent. C'est ainsi, par exemple, que l'audition de l'intéressé par le juge des tutelles est une rareté ou encore sa participation au conseil de famille. La réforme législative sur ce point fait évidemment partie du grand chantier du droit de la famille.

C'est d'ailleurs dans la même préoccupation économique que s'inscrivent les conclusions de la conférence de la famille sur l'obligation alimentaire des parents à l'égard de leurs enfants jeunes majeurs. Voilà une question brûlante que vous aurez certainement à résoudre dans les années à venir. Le contrôle des juridictions sur cette obligation est évidemment de plus en plus favorable aux jeunes gens. La Cour de cassation a rendu encore récemment un arrêt indiquant que les parents ne peuvent pas se débarrasser de cette obligation alimentaire trop rapidement. Je ne crains pas sans un souci prégnant une baisse possible de la fécondité. Si chacun de nous apprend qu'il doit élever ses enfants non pas jusqu'à 18 ans, mais jusqu'à 25 ou 30 ans, nous ne verrons peut-être plus les choses de la même façon.

Autre préoccupation tenant au statut de l'enfant, la place procédurale de cet enfant ; et nous voici plus au coeur des préoccupations agitées ce matin. Cette place procédurale continue d'agiter la doctrine juridique. On a parlé de résistance ou d'obstination de la Cour de cassation. Je n'utiliserai pas ce terme car j'ai du respect pour les institutions de la République. Le débat est manifestement très retardé par la résistance à introduire la Convention de New-York dans notre droit positif. La décision vous appartient, Mme Rubbellin-Devichi vous l'a démontré ce matin, et je n'insisterai pas pour ne pas alourdir les débats.

Je dirai simplement à ce sujet, contrairement à ce que j'ai cru comprendre du propos de Mme Théry, que l'introduction en droit positif de la Convention de New-York n'est certainement pas un service rendu sans contrepartie aux enfants. Faire de l'enfant un sujet de droit à part entière, c'est aussi créer pour lui des obligations et ce n'est pas forcément le mettre au centre de nos préoccupations en balayant les nôtres propres.

Statut de l'enfant, enfin, dans les familles recomposées avec une question que nous nous posons, dans la pratique provinciale ou parisienne, chaque jour davantage, celle des rapports juridiques entre l'enfant de parents séparés et le second compagnon du parent gardien : le beau-père, la belle-mère.

On a assez dit et écrit que les familles recomposées, ou bien les secondes familles, se développent considérablement, mais on n'a pas exploré les effets juridiques du phénomène. C'est sans doute quelque chose que vous aurez à faire dans les années qui viennent.

Deuxième chapitre de mes développements sur la place du travail social par rapport à la famille.

Cette réflexion est devenue tout à fait première non seulement dans les juridictions, mais aussi dans les associations familiales, qui certainement, traversent également les débats de la représentation nationale. Depuis 1945, au moins, le travail social est conçu comme un palliatif des carences familiales, que celles-ci soient fautives ou pas. C'est ainsi que l'assistance éducative pour les mineurs ou bien la tutelle aux prestations sociales pour améliorer les conditions de vie des allocataires, ou encore la tutelle des majeurs déficients et des malades mentaux, plus récemment, la médiation familiale dans les couples séparés, tout cela mobilise des professionnels qui font valoir leur formation approfondie et l'excellence du rapport entre le coût public qu'ils occasionnent et les bénéfices qu'ils procurent à la collectivité. Loin de moi l'idée de remettre en cause ces dogmes.

Néanmoins, il nous faudra savoir jusqu'où vous voulez que nous allions dans ce domaine, surtout compte tenu de la dépense publique occasionnée.

Il devient presque certain que dans les années à venir, il faudra développer d'autres modes de travail social : un travail social toujours au soutien des intérêts familiaux, mais moins coûteux. Je pense à de l'assistance matérielle et morale, des groupes d'achats collectifs, des animations de quartiers, de l'entraide familiale, des permanences éducatives, des groupes de parole. Tout cela existe un peu partout en France et commence à faire ses preuves. Il faudra que vous nous disiez si vous entendez que ce soit la voie de l'avenir.

Le troisième et dernier chapitre de mes développements concerne la juridiction familiale que vous voulez construire pour l'avenir.

Cette juridiction familiale reste éclatée, nonobstant la loi de 1993, entre trois instances : le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des tutelles. Ces trois institutions pour être éclatées, parfois même au niveau topographique, ne manquent pas de points de ressemblance.

Tout d'abord, un certain isolement au sein de l'institution judiciaire ; également une procédure axée sur l'intérêt de l'enfant ou, en tout cas, pour y englober également les majeurs protégés, axée sur les personnes vulnérables ; une fonction très fondatrice, et même parfois thérapeutique de l'audience et de l'écrit rendus par le juge ; une masse de dossiers réunis, tantôt nouveaux tantôt en suivi, qui offrent évidemment un terrain d'élection aux assistants de justice dont on apprend avec satisfaction que le ministère de la Justice envisage la création d'un plus grand nombre de postes qu'auparavant ; un contact permanent, pour ces trois juges, avec les collectivités territoriales -et je ne doute pas que le Sénat soit attentif à cette question-.

On peut multiplier les points de rencontre entre ces trois magistrats. Pourtant, ces trois magistrats sont singulièrement isolés les uns des autres. C'est la raison pour laquelle il me semble qu'il nous faudra réfléchir ensemble, sinon à la fusion des trois instances car elles n'ont pas exactement le même rôle, en tout cas, à leur rapprochement et même à la création éventuelle d'un tribunal de la famille où coexisteraient ces trois fonctions, dont le siège resterait à déterminer, et qui présenterait à mon avis plusieurs avantages. J'en cite quelques-uns.

Premier avantage : une réflexion d'ensemble sur le statut de l'enfant et sur les procédures applicables à ce que j'ai appelé tout à l'heure "les personnes vulnérables" ; procédures qui pour l'instant diffèrent pour des raisons mystérieuses.

Deuxième avantage : une expansion du rôle de l'avocat dont je signale, nonobstant les efforts considérables faits par les barreaux ces dernières années, qu'il est encore trop absent de l'assistance éducative. On peut placer un enfant sans que le ministère d'avocat soit obligatoire, ce qui est assez invraisemblable.

Troisième avantage : une meilleure maîtrise de la croissance du travail social, chacun comparant les équipes en place et les avantages que l'on peut en attendre.

Quatrième avantage, une plus grande cohérence des jurisprudences ; notamment en cas de séparation parentale, l'absence de contact ou les contacts difficiles entre les juges aux affaires familiales et les enfants ne manquent pas d'exaspérer les familles et, d'une façon générale, les usagers.

Cinquième avantage : une réflexion sérieuse sur les cas d'intervention judiciaire. Tout ce qu'on a dit ce matin sur la possibilité d'une déjudiciarisation du divorce était passionnant. Je ne suis pas sûr qu'on puisse y réfléchir uniquement par rapport au divorce. L'ensemble des juridictions familiales doivent se poser la question du sens de leur intervention et des cas dans lesquels elles interviennent.

Dernier avantage que j'y vois, une meilleure lisibilité de l'institution judiciaire non seulement par les usagers, mais aussi par les collectivités territoriales qui ne comprennent pas toujours pourquoi le juge des enfants, le juge aux affaires familiales et le juge des tutelles fonctionnent d'une façon aussi différente les uns des autres.

Je dirai en conclusion, sinon en forme de boutade, qu'il y a peut-être dans la création d'un tel tribunal des affaires familiales un début de solution au lancinant problème de la carte judiciaire.

Je vous remercie de votre attention.

M.  LARCHÉ, Président. - Je vous remercie de vos interventions.

Finalement, entre ce que vous représentez, c'est-à-dire les juridictions de province et ce que nous avons entendu ce matin, il n'y a pas de distinction majeure. Vous avez peut-être une approche plus immédiate d'un certain nombre de problèmes avec des difficultés à traiter dans ces contextes qui sont sans doute quelque peu différentes. Ce n'est pas l'anonymat des grandes foules qui entourent Créteil, Nanterre et Paris. C'est inscrit dans une situation sociale que vous ressentez très directement, peut-être plus à Belfort qu'à Grenoble, en fonction des dimensions de vos juridictions.

Je constate qu'il y a malgré tout chez vous, tout au moins avec un certain nombre d'intervenants précédents, un accord sur une approche prudente de ce que l'ont pourrait appeler la déjudiciarisation.

Mme TORRECILLAS. - C'est sans doute dû au fait que la province suit toujours Paris avec une petite longueur de retard.

M.  LARCHÉ, Président. - Une longueur de retard qui marque une certaine prudence.

Mme TORRECILLAS. - En effet, une certaine prudence. J'espère que ce n'est pas simplement dû aux lourdeurs et au poids des traditions.

M. Jean-Marie COULON,
Président du Tribunal de grande instance de Paris

M. COULON. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Si vous me le permettez, j'aimerais intervenir tout d'abord en qualité de gestionnaire. Je ne sais pas si un gestionnaire a sa place dans un débat de fond, mais ce n'est peut-être pas non plus négligeable. J'aimerais vous proposer quelques touches dans ce débat qui, en ce qui me concerne, ne portera que sur le divorce.

Je vous disais "gestionnaire". Qui dit gestionnaire dit approche pragmatique du problème. Comme je n'oublie pas que je suis Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, j'aimerais vous donner quelques chiffres qui peut-être nous feront comprendre l'intensité de la question.

Le service du juge aux affaires familiales à Paris, l'année dernière, a connu 13.000 affaires. 56 % des procédures générales ont été jugées devant le JAF. Concernant le divorce par consentement mutuel, le total est de 57 % de l'ensemble des divorces. La durée moyenne d'un divorce par consentement mutuel est de l'ordre de 7 mois à Paris.

La proportion des divorces par consentement mutuel, sur l'ensemble de l'activité judiciaire en France, est de l'ordre de 10 %.

Lorsque j'ai entendu les personnalités pour rédiger mon rapport sur les procédures civiles, on commençait bien entendu à parler du mouvement de déjudiciarisation. On parlait du notaire ou de l'officier d'état civil, même si à l'époque, il n'y avait pas de débat public. Je n'ai pas donné suite à ces réflexions pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, ce n'était pas l'objet de mon rapport et de plus, j'avais trouvé que les positions des uns et des autres étaient crispées, d'où l'importance du débat actuel qui consiste, au moins, à ce que des échanges profonds puissent avoir lieu.

Je vous donne un exemple. Lorsque j'ai interrogé les notaires en leur disant : "Seriez-vous favorables pour intervenir en matière de divorce par consentement mutuel ? ", la réponse a été totalement négative. J'ai l'impression, aujourd'hui, que la réponse est un peu différente. Cela témoigne de l'évolution des choses.

Un autre facteur me paraît très important : le temps. Je disais tout à l'heure en aparté que les lettres que je peux recevoir en tant que Président de juridiction ne portent pas du tout sur l'indépendance des juges ou sur les problèmes dont on peut débattre. La question lancinante est la suivante : quand va-t-on me rendre justice ? C'est la notion de temps et de délai.

Je suis peut-être moi-même assez sous l'influence de ces notions, mais je suis absolument convaincu -car c'est la société du fax que nous vivons actuellement- qu'une justice qui ne répond pas dans un délai raisonnable et normal est une justice qui fonctionne mal. En matière de divorce, qu'on le veuille ou non, c'est un facteur à prendre en compte.

Concernant le divorce par consentement mutuel, il y a une analyse assez simple. On nous dit que c'est une procédure gracieuse. Sur le plan juridique, c'est vrai, mais il n'en demeure pas moins, me semble-t-il, en raison des conséquences négatives et qui existent forcément, même dans un divorce par consentement mutuel, que cette procédure gracieuse a une coloration assez fortement contentieuse, au moins sur le plan sociologique.

Cette différence, à mon avis très ténue, a semble-t-il pour conséquence que l'intervention d'un juge est importante, est un facteur essentiel, et qu'il faut bien réfléchir avant de proposer quelque chose où le juge serait absent, même s'il est vrai qu'il y a une tendance assez forte en ce sens que, d'ailleurs, je ne récuse pas.

Il m'a semblé intéressant d'essayer de redéfinir un peu les modalités d'intervention du juge et de les adapter à l'évolution du droit de la famille et à la pression des flux.

Je suis parti de ce constat qu'un divorce moyen de neuf, dix mois, même si par consentement mutuel, c'est plutôt sept mois, est une notion qui n'est plus admise aujourd'hui, dans notre société. Il m'a semblé qu'on pourrait aller par petites touches vers une solution bien plus rapide.

Dans le divorce par consentement mutuel, on passe deux fois devant le juge avec un délai de trois mois. Il m'a semblé que cette seconde comparution devant le juge pourrait être facultative. Si, lors de la première comparution, le juge a pu s'assurer de la réalité du consentement des époux et de la sauvegarde des intérêts en présence, d'une manière générale, rien n'interdit, à mon avis, de prononcer le divorce.

Sur le plan procédural, c'est une mesure qui ne bouleverse pas l'ordre des choses. Dans la mesure où il y a une certaine souplesse et qu'à la fin de l'audience, l'affaire pourrait, en cas de difficulté, être renvoyée par le juge à une audience ultérieure, cela me paraît être une parade aux critiques.

Il est évident qu'à l'heure actuelle, l'intervention du juge est éclatée pour permettre aux parties de réitérer leur requête et donc d'avoir un temps de réflexion. Là encore, même si des positions de principe tout à fait respectables en ce sens défendent cette thèse des deux comparutions, il me semble que cela ne correspond pas du tout à la réalité sociologique. Force est de constater que le délai souhaité par le législateur pour une réconciliation éventuelle est complètement utopique. C'est la raison pour laquelle je trouve que ce ne serait pas une mauvaise solution.

Un autre élément sur lequel j'aimerais insister est le problème de la médiation.

Les juges aux affaires familiales ont donné l'exemple depuis longtemps avec la loi de 1995 et le décret de 1996. C'est en train de pénétrer la culture judiciaire dans tous les tribunaux. Au tribunal de Paris, la médiation familiale, à mon sens, devrait se développer comme toutes les autres formes de médiation.

En 1997, il y a eu environ une centaine de médiations familiales. C'est beaucoup, mais peu, au vu du nombre de divorces. Il me semble là aussi que l'on pourrait généraliser la médiation comme on est en train d'essayer de le faire, en donnant la possibilité aux parties d'avoir recours à cette mesure de médiation. Elle aiderait peut-être à faire disparaître ou, au moins, à atténuer la notion de faute. Mais c'est un autre débat, c'est un débat de fond que je ne me sens pas compétent pour aborder à cet instant.

Je vous remercie.

M. le Président. - Merci, Monsieur le Président, d'avoir bien voulu extraire quelques données très pratiques de cette réflexion d'ensemble que vous avez conduite et qui a abouti à ce rapport remarquable sur la réforme de la procédure que nous connaissons tous.

Je suis très frappé des chiffres que vous nous indiquez et, en même temps, de cette remarque préalable que nous serions d'ailleurs peut-être en état de faire. Lorsque l'on nous parle de la justice -je parle avec beaucoup de prudence- on nous parle, dans les contacts que nous avons, très rarement de l'indépendance du Parquet. Par contre, de manière constante, on nous parle du temps nécessaire pour que s'élabore la décision de justice. Nous savons tous, d'ailleurs grâce aux travaux extrêmement approfondis que nos collègues Pierre Fauchon et Charles Jolibois avaient menés dans ce domaine, que l'on aboutit à des situations, à la limite, aberrantes, dans certaines cours d'appel.

Je suis en revanche frappé de la modestie des délais indiqués. Après tout, un divorce en neuf mois, ce n'est pas mal.

M. FAUCHON. - Est-ce une moyenne ? Quelle est la dispersion autour de la moyenne ?

M. COULON. - La moyenne est de dix mois.

M. le Président. - Je suis heureusement surpris des chiffres que vous nous indiquez.

M. COULON. - Ce sont des chiffres de première instance.

M. le Président. - Quelle est la proportion d'appel sur les jugements de première instance en divorce ?

Mme COURCELLE. - En matière de divorce contentieux, il y a deux ans d'attente.

M. le Président. - Quelle est la proportion de jugements de première instance qui est frappée d'appel ?

Mme COURCELLE. - La proportion est de 10 % à Paris.

M. le Président. - C'est extraordinairement satisfaisant.

M. FAUCHON. - Deux ans d'attente ?

M. le Président. - Réfléchissez à ces chiffres.

M. COULON. - Je voudrais nuancer la réponse que Sylvaine Courcelle vient de vous faire. Elle vous a donné une réponse sur Paris. Si je vous donnais une réponse sur Aix-en-Provence, ce serait différent.

M. le Président. - J'ai posé deux questions. Premièrement, combien de jugements de première instance sont frappés d'appel ? 10 % à Paris, me dites-vous. Est-ce différent à Aix-en-Provence ?

M. COULON. - Non, je vous parlais du délai.

M. le Président. - Deuxième problème. Mme Courcelle nous dit que s'il y a appel, le délai est de deux ans à Paris. Si c'est à Douai, à Montpellier, à Aix-en-Provence, est-ce quatre ans ?

M. DREYFUS-SCHMIDT. - En matière sociale.

M.  LARCHÉ, Président. - Je le dis sous forme de boutade, mais si on est fâché au mois d'octobre et qu'au mois d'août suivant le divorce est réglé ...

M. COULON. - Il ne faut pas non plus être obsédé par le temps. Dans un divorce par consentement mutuel, si vous rendez facultative la seconde comparution, c'est un divorce par la première et unique comparution, et cela veut dire qu'il serait obtenu en six semaines, deux mois.

M. le Président. - Attention. Est-il bon, et ceci est un tout autre problème, d'obtenir un divorce en six semaines, deux mois ?

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Sur ce point précis, j'ai remarqué que tous les magistrats nous disent cela parce qu'ils pensent tous à des cas où, visiblement, toutes les affaires sont réglées, où le consentement est manifestement libre et spontané, et qu'effectivement, dans ce cas, il n'y a pas de raison d'attendre, cela permet aussi de gagner du temps pour les autres affaires.

M. le Président. - C'est une question de moyenne, je pense. Les chiffres qui nous sont indiqués par le Président Coulon sont des chiffres moyens. Il y a des divorces de moins de 9 mois et des divorces, même en première instance, qui doivent durer 12 mois.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Il peut y avoir des difficultés à faire l'état liquidatif, par exemple.

M. BALARELLO. - Le problème est le suivant. Est-ce que pour le divorce par consentement mutuel, il est nécessaire d'avoir deux comparutions ou une seule ?

Je pense quant à moi, après pas mal d'années d'exercice de la profession d'avocat, qu'il faut deux comparutions. Monsieur le Président, vous le savez fort bien, le divorce est perçu par bon nombre de couples comme une période de crise, où l'un des deux époux, plus fragilisé que l'autre, risque de sacrifier des éléments, la garde des enfants, des pensions alimentaires, des prestations compensatoires, etc. Eléments sur lesquels on revient après une réflexion.

C'est la raison pour laquelle il me semble indispensable de maintenir les deux comparutions.

Ceci étant, il ne faut pas confondre les effets et les causes. Vous savez fort bien, malheureusement, alors que le législateur a prévu un délai de trois mois entre les deux, que si la justice fonctionnait normalement, au bout de trois mois, trois mois et demi, le divorce serait prononcé par consentement mutuel.

Cela veut dire que le législateur a voulu que le divorce par consentement mutuel soit normalement prononcé au bout de quatre mois. Il ne faut pas raccourcir ce délai, mais il conviendrait de le respecter. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Quelles sont les causes ? L'encombrement des tribunaux. Cela n'a cependant rien à voir avec le droit du divorce et la loi du divorce. Il nous appartient de prendre les mesures afin que les affaires ne traînent pas pendant des mois. Doit-on pour autant modifier la réglementation du divorce ? Personnellement, je pense qu'il ne faut pas la modifier.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Je me permets de demander à M. le Président s'il n'y a pas une différence à faire pour les divorces de personnes qui gagnent la même chose et n'ont ni enfant ni bien ? Si ceux-là sont vraiment décidés, pourquoi faudrait-il deux séances, si eux-mêmes et le juge estiment que ce n'est pas la peine ?

M. COULON. - Je voudrais faire quelques observations.

Premièrement, j'ai la faiblesse de penser que la justice n'est pas si mal rendue que cela en première instance, que ce soit à Paris ou en province.

Deuxièmement, nous, juristes, avons le défaut d'être trop systématiques et de faire une confiance absolue à la règle de droit. Il me semble qu'il faut de la souplesse et laisser au juge un pouvoir d'appréciation. Il n'est pas question, dans mon esprit, de dire que c'est une seule comparution et que l'on s'arrête là. C'est la raison pour laquelle il ne serait pas mauvais de laisser au juge cette possibilité de procéder ou non à la deuxième comparution, et un juge aux affaires familiales a suffisamment d'expérience, de compétence, pour se rendre compte, me semble-t-il, immédiatement, si la seconde comparution est nécessaire ou non. Ce n'est pas un problème de flux, mais un problème beaucoup plus profond. Il y a le délai de trois mois, plus le délai de six semaines de convocation, c'est-à-dire un délai de quatre mois et demi. Je ne vois pas pourquoi on ajouterait au délai nécessaire pour la première comparution, un délai artificiel de quatre mois et demi.

M. FAUCHON. - Je voudrais revenir à cette question de chiffres. Vous avez indiqué un délai pour les affaires de divorce, à Paris, de neuf mois. C'est une moyenne. Il n'y a rien de plus redoutable que les chiffres moyens, c'est tellement commode. La question est de savoir tout de même quelle est la dispersion. Y a-t-il une grande dispersion autour de cette moyenne ? S'il y a une grande dispersion, il y a peut-être une question.

M. COULON. - Je ne peux vous répondre que par les chiffres. Mme Courcelle serait plus qualifiée que moi pour essayer de les disséquer sur le plan de la réalité.

Mme COURCELLE. - Sur les requêtes conjointes, c'est quand même l'affaire des parties et la moyenne à Paris est vraiment celle qu'indique M. le Président, étant entendu que si les parties souhaitent que ce soit plus long, ce sera plus long. On est dans cet ordre de grandeur, c'est-à-dire une moyenne de sept à huit mois.

Pour les divorces pour faute, l'échelle est beaucoup plus étale puisqu'on a des divorces qui se passent très vite ; mais dès qu'il y a expertise, on passe à deux ou trois ans. C'est la raison pour laquelle la durée des divorces contentieux est plus dispersée que celle des divorces par requête conjointe.

M. FAUCHON. - Le problème de la justice, ce ne sont pas les affaires faciles, mais les affaires difficiles. C'est là que la justice accomplit sa mission.

Mme COURCELLE. - On dépose dans les neuf mois, on peut être convoqué après renvoi.

Je voudrais quand même souligner les propos de M. Coulon sur les chiffres. A Paris, et c'est une spécificité de votre tribunal, les requêtes conjointes représentent 57 % des divorces, alors qu'en province, vous avez 50 % de divorces pour faute et 50 % d'autres procédures. A Paris, on a beaucoup plus de requêtes conjointes.

M.  LARCHÉ, Président. - Pourquoi ?

M. COULON. - La réponse est assez simple. Un certain nombre de personnes qui habitent en banlieue préfèrent divorcer à Paris pour des raisons de commodité dues à plusieurs facteurs.

Mme COURCELLE. - Tous les Français situés à l'étranger, qui se sont mariés en France et qui veulent divorcer en France, viennent à Paris. Comme nous avons un relativement bon délai dans les requêtes conjointes, beaucoup d'habitants de l'Ile-de-France viennent également divorcer à Paris.

M. le Président. - Monsieur Coulon, je vous remercie infiniment.

M. Régis de CREPY
Maire de la Ferté-Loupière
Me Jacques COMBRET
Notaire

M. de CREPY. - Je voudrais faire deux propos liminaires.

Tout d'abord, je me sens un peu le canard de l'assemblée. Je pense être à peu près le seul non juriste. J'ai une vague teinture de mes études en faculté de droit, mais je n'ai pas exercé le métier. Par rapport à tout ce que j'ai pu entendre jusqu'ici, je me sens non pas complexé, du tout, je sens, au contraire, que j'ai une responsabilité différente : celle d'apporter un éclairage un peu extérieur, un éclairage de témoignage.

Je viens ici en tant que maire de France, au nom de l'association, mais je ne peux pas représenter, dans les propos que je vais tenir, l'association car celle-ci ne s'est pas encore prononcée sur les sujets qui vous occupent. Je ferai donc un témoignage.

Pour ce faire, j'ai pensé utile de vous planter le décor pour savoir quelles sont les observations que je peux avoir autour de moi dans mon expérience de maire.

Je suis maire depuis quelques années, dans une commune rurale de 650 habitants située dans la région de Bourgogne, qui fait beaucoup parler d'elle en ce moment, et en particulier, à la Ferté-Loupière, département de l'Yonne. Le prélèvement fiscal est de 1,2 MF. Vous voyez que c'est faible. C'est une population bien entendu rurale, mais plus seulement agricole. Les liens avec l'agriculture, qu'ils soient en population active ou non active ne sont plus que de 20 à 30 % seulement. Quand on parle de rural, on ne parle plus nécessairement du milieu agricole. Ceci doit être très clair. Il ne faut pas confondre l'agriculture et le milieu rural, encore que l'agriculture ait sa force et toute sa raison d'être dans le milieu rural, mais les choses évoluent.

A titre indicatif, nous avons une population qui a beaucoup décru au cours de ces dernières années. Entre les deux recensements de 1982 et 1990, il y a eu une baisse de 14 % dans ma commune. Depuis 1989, 1990, il y a une reprise très nette de la démographie, à telle enseigne, par exemple, que les effectifs de l'école de la commune sont en progression de 30 %. Bien que la population des plus de 70 ans ait progressé très largement, de nouveaux ménages sont arrivés et nous avons un rajeunissement assez général de la population.

Voilà ce que je voulais vous dire en ce qui concerne le terrain sur lequel j'exerce.

En préparant l'intervention que je fais à l'instant, j'ai demandé à l'école de me donner une indication sur les enfants et leur vie avec leurs parents biologiques. La réponse a été la suivante : seulement 50 % des enfants scolarisés dans ce milieu rural vivent avec leurs deux parents biologiques. Le milieu rural n'est donc plus tellement distinct du milieu urbain. Je voulais insister sur cet aspect avant de vous faire quelques observations, à titre de témoignage, sur ce qu'un maire peut ressentir par rapport aux problèmes évoqués ici.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais quand même rappeler les deux fonctions principales du maire. Je m'excuse, Messieurs les sénateurs qui, pour la plupart d'entre vous, êtes maires, je pense que ce que je vais dire est parfaitement inutile, mais je m'adresse au-delà de vous-mêmes. Ce qui me m'apparaît comme tout à fait fondamental dans la fonction du maire, est tout d'abord d'être, comme tout homme politique -car le maire est un politique au sens général et originel du terme...

M. BONNET. - Au sens noble.

M. de CREPY. - Je n'ai pas dit "noble", c'est vous qui le dites. Le rôle fondamental du maire est tout d'abord de mettre en perspective concrète, pour une population, son devenir. Il me semble que c'est la fonction principale. Elle se renforce dans l'époque que nous vivons.

La deuxième fonction, tout aussi importante, est d'être un lien, un médiateur, entre tous les éléments d'une population. Nous le vivons particulièrement bien et de façon très riche, en milieu rural, où nous n'avons pas du tout les mêmes problèmes politiques qu'en milieu urbain. Par politique, j'entends la politique politicienne.

Voilà, me semble-t-il, les deux fonctions majeures du maire qui peut être entrepreneur -et il doit l'être à notre époque-, agent social, etc. Les deux fonctions principales du maire sont donc la mise en perspective de l'avenir de la population, et le fait d'être médiateur au sein des composantes de cette population, au service de tous.

C'est par rapport à ces deux facteurs de réaction fondamentaux que je vais me situer dans les propos qui vous intéressent et que je vais aborder, non pas sur le fond, puisque je ne suis pas juriste, et que je ne voudrais pas compléter des informations et des jugements qui ont été apportés ici. Je voudrais plutôt m'interroger devant vous.

Ensuite, j'essaierai de vous donner quelques recommandations. C'est peut-être mon réflexe de conseiller économique qui prend le devant.

La première des questions, un peu candide, est la suivante : pourquoi diable met-on dans les grandes urgences -je ne parle pas de vous, Messieurs les sénateurs, qui avez raison de suivre les problématiques au jour le jour- le problème de la vie à deux ou de la réforme du divorce sur le plan de sa désinstitutionalisation judiciaire ?

Par rapport aux problèmes de société que nous vivons actuellement et par rapport à l'activité brûlante que nous vivons, y a-t-il véritablement une urgence telle qu'il faille saisir les capacités de réflexion du corps législatif sur ces deux thèmes, certes importants, mais enfin, permettez-moi de le dire, qui ne sont pas d'une telle urgence, me semble-t-il.

La deuxième question, plus prosaïque, est la suivante : si l'on réforme et que l'on prévoit un statut qui va améliorer financièrement -parce que tout se traduit d'une façon ou d'une autre par des aspects financiers, il ne faut pas se leurrer, qui va payer cette réforme ? Là encore, quelles sont les priorités ?

C'est à la fois candide et prosaïque, mais ce sont tout de même des réalités.

Est-on certain que l'on pourra hiérarchiser ces priorités ?

J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt, ce matin, l'intervention du M. le Professeur Hauser. A bien des égards, j'étais d'accord avec ce qu'il a pu nous dire. A bien des égards, mais pas à tous. Quand il a dit notamment que depuis fort longtemps, on avait pris des mesures de politique familiale qui apparaissaient dramatiques et qu'il ne s'est produit aucun cataclysme, permettez-moi de vous dire qu'en aucun cas je ne peux accepter cela quand on voit ce qui se passe dans la famille. Il faut dire que la famille a une capacité de résistance formidable. Mais il faut voir le taux de nuptialité en France. Je vous faisais état de la répartition des enfants de ma commune dans mon école : 50 % qui ne peuvent hélas pas vivre avec leurs deux parents génétiques. Il y a de quoi s'interroger sur la vitalité et l'explosion sociale dues au fait que la famille a très sérieusement évolué, sans doute dans des formes tout à fait acceptables et adaptables, mais on ne peut pas dire que ces différentes mesures qui ont été prises sont allées dans le sens de la préservation de la famille institutionnelle, telle qu'elle existait à l'époque. C'est selon moi une aberration.

Quand on dit que si l'on crée un statut nouveau, que ce soit pour le divorce ou pour la vie à deux, ce statut devrait bien entendu avoir une incidence sur l'évolution de la famille, je ne comprends alors pas bien la contradiction évoquée dans les deux termes du discours. En effet, on dit d'une part, que cela n'a rien produit et que, d'autre part, cela ne peut pas ne pas produire.

Voilà des questionnements qui, au départ, me mettent sur la réserve. Quand je vois cela depuis mes fonctions de maire dont j'évoquais tout à l'heure les deux aspects principaux -la mise en perspective, la médiation-, comment peut-on concevoir qu'un même maire qui a pour fonction essentielle de provoquer et de maintenir l'unité sociale pourrait à la fois consacrer des mariages par sa présence et accepter et officialiser le divorce ? Je dirai qu'il y a là un antagonisme qui me paraît difficile à gérer.

Quand on est mêlé à la vie quotidienne de sa population, et que l'on voit toutes les implications que peuvent avoir ces relations parents/enfants, on vit une histoire en tant que maire. On ne peut pas être en abstraction et vivre un instant donné. On vit dans la durée avec une population donnée.

Ensuite, comment faire pour déjudiciariser ? Est-ce que le maire doit avoir une compétence nécessaire pour examiner, avec le recul et la compétence nécessaires, toutes les relations entre les époux qui se séparent et leurs enfants car on ne divorce pas de ses enfants ? Je vois mal le maire intervenir à ce niveau. Il faudra donc trouver une compétence. Or, je ne vois pas beaucoup de compétences, en dehors du milieu judiciaire, pour exercer ce rôle.

On aurait pu imaginer que le maire reçoive d'un côté, un certificat du juge de la famille prouvant que les problèmes relationnels parents/enfants sont réglés, et, d'un autre côté, un certificat du notaire prouvant que les problèmes patrimoniaux sont réglés. Le maire, ainsi, n'aurait plus qu'à acter que tous les problèmes sont réglés. Je ne crois pas que cela simplifie considérablement la démarche. En tous les cas, on revient sur le dilemme que je vous posais au départ : comment un maire peut-il en même temps unir et désunir une même population dans la durée ? Cela me paraît difficile.

Quant au problème de la vie à deux, cela a été clairement dit, si le maire, et donc la commune, aide, favorise, une institution qui, d'une façon ou d'une autre, va venir en concurrence avec l'institution familiale au sens général du terme, et, il faut se dire que la loi de Gresham s'appliquera. La loi de Gresham -je me permets de la rappeler au-delà de vous mêmes, Messieurs les juristes- est celle de l'économiste qui parlait de la fausse monnaie qui chassait la bonne. C'est vrai dans tous les domaines de la vie. A partir du moment où l'on met un produit factice par rapport à un produit originel plus coûteux, plus exigeant, c'est le produit factice qui l'emporte. Il ne faut pas ensuite s'étonner de voir le mariage perdre de son intérêt.

Je voudrais ensuite vous faire part d'une troisième interrogation. Puis j'en viendrai à mes recommandations.

Quand on voit la difficulté de notre cohésion sociale, les difficultés de la vie démocratique, et quand on sait quelle part ont les deux institutions majeures que sont la mairie, le maire et la commune d'une part, et la famille, d'autre part, -selon les sondages, la famille est la première valeur, et le maire est probablement la deuxième valeur- pourquoi est-ce que ces deux institutions fondamentales, à la base de notre fonctionnement démocratique, seraient subitement remises en discussion ou chamboulées dans leur fonctionnement ? Il y a là problème.

Est-ce un fait de la pensée unique ? Est-ce un fait de la volonté populaire ?

Je voudrais à ce propos vous rappeler trois propos que j'ai tirés de mon agenda et qui m'ont été donnés ces derniers temps par des éléments de ma population.

Le premier d'entre eux est le suivant : " Ce que nous entendons tous les jours à la radio, Monsieur le maire, croyez-vous que c'est indispensable ? Cela fait 50 ans. Nous aussi, nous avons été déportés et résistants".

Deuxième propos, de Marcel : "De toutes façons, ils trichent tous : les politiques comme les autres".

Troisième propos, plus optimiste celui-là, de Catherine, 25 ans : "Monsieur le maire, j'espère que vous êtes libre le 18 juillet. Nous aimerions nous marier".

Je tire cela de mon agenda. Cela montre la situation concrète dans laquelle nous vivons. Je vous disais tout à l'heure mon interrogation première, très candide : pourquoi cette urgence ? Je constate en effet un décalage très important et je dis : attention. Jean-François Kahn nous a bien parlé récemment de la pensée unique, et il y a peut-être lieu de tenir compte de ses propos qui nous intéressent tous, quel que soit le bord auquel nous appartenons.

J'en terminerai avec quelques recommandations. Tout d'abord, une recommandation sur le sens des mots. Quand on parle de la vie à deux, on parle beaucoup de solidarité. De quoi s'agit-il réellement ? Est-ce vraiment de la solidarité ? Est-ce que le mariage, la famille, les liens de parents à enfants sont bien dans le même contexte ? Est-ce que l'on a le terme devant soi ? La solidarité est avant tout de faire fi du présent pour aider son frère, peut-être espérer en retour, mais ce n'est en tous les cas pas une affaire de court terme.

La deuxième recommandation sur laquelle je suis déjà intervenu, est la dualité et la gradualité des statuts. On nous dit que pour arriver à des situations exigeantes et difficiles à tenir, il faut passer par des stades intermédiaires. Là, l'expérience nous montre que c'est totalement faux. A partir du moment où le niveau d'exigence est abaissé dans une population donnée, on s'en tient là et on ne veut pas aller plus loin parce que c'est trop difficile. Ce sera réservé à quelques privilégiés qui auront la possibilité de faire toujours des progrès, mais en toute équité, le raisonnement est faux.

La dernière recommandation que je me permettrai de vous faire, messieurs les sénateurs -et je dirai qu'elle est superflue parce que vous êtes la Haute assemblée, vous êtes les sages de notre corps législatif- est d'insister sur la prudence politique, la vertu de juger dans le terme, la vertu de prévoir le bien commun, bien entendu dans le plus court terme possible, mais aussi dans le plus long terme. Cela me paraît fondamental.

Je vous l'ai dit, selon moi, le mariage, la famille, en admettant qu'on puisse y arriver, est quand même une communauté d'amour et de vie, une communauté d'amour et de vie qui s'engage dans le futur et qui correspond à l'aspiration fondamentale de la plupart des jeunes. "Je t'aimerai toujours", c'est toujours d'actualité. Pourquoi aider à ne pas tenir cet engagement ? Je ne parle pas de l'impossibilité de le tenir et d'essayer ensuite de trouver des remèdes à cette incapacité. Mais essayons quand même de réserver à nos jeunes un avenir et de leur permettre de penser qu'il est toujours possible d'être heureux.

Pour terminer, à titre de conclusion, je me permettrai de vous citer un ouvrage que vous avez probablement lu, les uns et les autres. Il est d'Emmanuel Todd, démographe et sociologue : "Toute croyance collective est une structure d'éternité qui permet au groupe de se perpétuer au-delà de la vie individuelle. Le déclin des croyances collectives, parce qu'il isole l'individu dans sa peur, révèle sa fragilité essentielle et la renforce. L'individu alors, est ramené à son intolérable. Or, les croyances collectives conduisent au long terme, sinon c'est le court terme qui prime et l'intolérance".

Voilà le témoignage que je souhaitais vous apporter.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci, Monsieur le maire. Je suis persuadé que nous avons tous été très sensibles à la qualité de votre intervention.

J'ai compris que vous ne souhaitiez pas acquérir dans l'immédiat de nouvelles tâches ou, plus exactement, que vous n'étiez pas particulièrement demandeur pour exercer ce à quoi peut-être certains auraient songé.

Je vous indique malgré tout la préoccupation qui est la nôtre. Il ne s'agit pas de céder à la mode et de légiférer dans l'immédiat. Nous sommes au stade de la réflexion, comme nous en avons souvent menées sur un certain nombre de problèmes. Le moment venu, soyez bien assuré que ce que nous aurons entendu aujourd'hui et jusqu'à ce jour -et je vous englobe dans cet ensemble- sera pour nous d'un profit considérable.

Je note cependant un étonnement qui m'est tout à fait personnel. J'ai également des communes rurales : dans mon canton, dix-neuf communes qui ont moins de 2.000 habitants. Je me suis amusé, si j'ose dire, à étudier ce problème que vous avez vérifié. A 80 kilomètres de Paris, la situation est infiniment plus satisfaisante. La très grande majorité des enfants vit dans la famille parentale normale. C'est un état de fait. Or, nous sommes voisins, puisque vous êtes de l'Yonne et que je suis de Seine-et-Marne. Le problème qui m'étonne et qui m'inquiète est que dans une collectivité aussi peu nombreuse, les chiffres soient ceux que vous indiquiez. Ils sont révélateurs d'une évolution.

M. JOLIBOIS. - Monsieur le maire, je vous ai écouté avec intérêt. Vous vous êtes exprimé, vous l'avez dit, comme citoyen et comme maire de la Ferté-Loupière. Je tenais à vous charger d'un message, si vous le voulez bien, puisque vous venez de la part de l'Association des maires et que, je le suppose, vous avez été invité comme représentant de cet organisme.

Nous recevons périodiquement des avis de l'Association des maires lorsque l'on se propose de donner de nouvelles tâches aux maires ou lorsqu'on se propose de leur en retirer. Je suis personnellement Président de l'Association des maires de mon département qui regroupe d'ailleurs la totalité des maires du département. C'est l'un des 14 départements où l'Association des maires de France est très vivante. Je me permets de vous charger de manière pressante de dire que je ne comprendrais pas que l'Association des maires, en tant qu'institution, ne se prononce pas sur les deux points sur lesquels se pose l'éventualité de donner des fonctions à un maire.

Le premier point est la possible intervention -je ne sais trop encore laquelle-, soit du point de vue de l'état civil, soit du point de vue de la réception des consentements. Plusieurs formes sont envisageables pour ces fameux contrats ou pactes dont nous examinons en ce moment la probabilité ou l'utilité.

Le deuxième point sur lequel nous pouvons être amenés à intervenir est la "municipalisation" des divorces. Est-ce que ce seraient seulement nos bureaux qui auraient à intervenir ? Ils interviennent déjà puisque nous sommes destinataires des extraits de jugements qui nous sont envoyés pour faire la transcription sur les registres de l'état civil. Mais veut-on aller plus loin et nous donner d'autres fonctions ?

J'estime que dans ces deux cas, il est non seulement intéressant mais nécessaire que l'Association des maires de France se prononce.

M. de CREPY. - Je réponds à la dernière question : dont acte.

M. JOLIBOIS. - Parfait. Merci.

M. de CREPY. - A vos deux questions, Monsieur le président, je vous répondrai que je me suis sans doute mal exprimé. Quand j'ai fait mon introduction sur les forces externes qui s'exerçaient pour donner une priorité, j'ai bien exclu le travail que vous faisiez ici car il me paraît bien normal que vous vous préoccupiez de tout ce qui se passe. Je faisais beaucoup plus allusion aux forces externes et non pas du tout aux travaux de la commission. Je croyais avoir été clair sur ce point.

Vous m'interrogez sur la réalité de mes statistiques.

M.  LARCHÉ, Président. - Je n'ai pas mis en doute leur réalité.

M. de CREPY. - Le monde rural n'est pas si différent du monde urbain. C'est simplement ce que je voulais signaler. Ce que j'avais à dire se situe par rapport à une observation dans un milieu qui est globalement celui de la France.

M. le Président. - Avec cette accentuation d'une modification de la ruralité.

M. de CREPY. - Tout à fait.

M.  LARCHÉ, Président. - Monsieur le Maire, il me reste à vous remercier de votre participation à nos travaux.

Je vais donner la parole à Me Combret, notaire à Rodez.

Me. COMBRET. - Merci, Monsieur le Président. Au nom du notariat, je suis là pour vous dire que nous sommes très heureux que vous ayez souhaité nous entendre. Avec le retard que nous avons pris parce que les débats étaient riches, nous arrivons à un moment où il faut éviter les redites. J'adapterai donc mon exposé, encore que sur un certain nombre de points, le notariat souhaitait donner un avis. Ce sont des points dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui. Nous avons beaucoup parlé, jusqu'à présent, des familles en difficulté, des familles en rupture, mais il y a aussi celles que nous rencontrons tous les jours : les familles heureuses, les familles qui donnent, les familles qui se marient, les familles qui ont des problèmes dans leur vie de tous les jours, mais qui se règlent à l'amiable. Tout cela compose, avec le reste, le droit de la famille, qui est l'un des principaux piliers de l'activité des 7.500 notaires de France et de leur 40.000 collaborateurs.

Depuis toujours, par notre fonction, nous avons ce rôle traditionnel de conseiller des familles. Je crois aussi profondément que pour la plupart d'entre nous, c'est à la fois le plus lourd à assumer, et le plus gratifiant, tant sur le plan personnel que professionnel.

Nous avons aussi la chance d'avoir une implantation dans toute la France, non seulement dans les grands centres, mais aussi dans les plus petits villages. Nous sommes la seule profession juridique à avoir cette chance. Chaque jour, ces familles unies ou ces familles déchirées, ces familles éclatées ou ces familles recomposées, ces familles dans la joie ou ces familles dans la peine, nous les rencontrons. Mais nous rencontrons aussi des personnes sans famille, des personnes qui sont en rupture totale avec les familles.

Cela nous apprend donc à nous méfier des positions tranchées, des condamnations hâtives, face à telle ou telle situation douloureuse, ou face à telle situation en dehors des normes traditionnelles.

Cela nous permet aussi de voir, quand nous échangeons entre nous, qu'à l'intérieur de notre pays, des traditions restent très présentes. On n'aborde pas toujours de la même manière la question du régime matrimonial ou des transmissions sucessorales selon la région où l'on habite. Dans telle région, on sera plus communautaire, dans telle autre, plus séparatiste. Dans telle région, on sera pour l'égalité absolue entre les enfants, dans telle autre, on utilisera les possibilités maximum pour avantager un enfant par rapport à un autre, notamment dans la région dont je suis originaire, en zone rurale, afin d'éviter un morcellement de propriété.

Bien entendu, nous ne sommes pas du tout pour que le droit ne bouge pas. Ce serait contraire à tout ce que nous vivons tous les jours. Nous sommes bien conscients que ce droit de la famille doit évoluer, mais dans un certain contexte, c'est-à-dire en ayant une vision globale.

Je reprendrai rapidement quelques points qui ont été au centre des discussions depuis ce matin, parfois parce qu'on a parlé de nous et qu'il ne me paraît pas anormal que nous donnions éventuellement notre position. J'ai entendu tout à l'heure une intervention qui ne me paraissait pas tout à fait traduire notre sentiment, notamment à propos du divorce par consentement mutuel.

Ensuite, j'essaierai de vous faire part de quelques-unes de nos préoccupations dans le cadre de la réflexion que nous menons, puisque les notaires de France ont décidé de choisir comme sujet, en 1999, pour leur congrès "Demain, la famille". Ils l'ont choisi il y a déjà plus d'un an, à un moment où il n'y avait eu ni changement de gouvernement ni élections. Le hasard de la vie veut que nous soyons en pleine actualité.

Quelques remarques rapides sur tout ce qui concerne les contrats d'union sociale, Pactes d'Intérêt Commun ou autres. Du fait que nous rencontrons dans la vie de tous les jours des personnes non mariées, homosexuelles ou pas, nous pouvons apporter deux témoignages.

Le premier est que, très sincèrement, la demande d'un contrat spécifique chez les concubins est largement minoritaire. Il faut rappeler que cette situation existe depuis des années, tout comme les problèmes, et qu'il a bien fallu essayer de les résoudre. C'est ce que ne nous faisons chaque jour, nous et d'autres professionnels du droit. Nous essayons de répondre à des préoccupations, de résoudre certaines difficultés, et nous avons un certain nombre d'instruments juridiques. Il est vrai qu'il existe des freins, il faut le reconnaître, surtout fiscaux, et quelques freins sociaux, mais il ne faut peut-être pas, à l'aune de ces quelques difficultés, vouloir tout bouleverser.

Ces points qui posent problème et concernent pour l'essentiel des couples qui ne peuvent pas se marier, comme les homosexuels, méritent attention et réflexion. On ne peut pas rejeter toutes les propositions faites à ce sujet. Dans l'état actuel de la réflexion du notariat, la proposition du Pacte d'Intérêt Commun avancée par la commission Droit et Justice, présidée par le Professeur Hauser, est pour l'heure la seule solution qui, si le Législateur devait poursuivre et retenir cette idée, soit éventuellement acceptable avec, nous ne le cachons pas, un grand nombre de réserves. En l'état actuel, ne connaissant ni le volet fiscal ni le volet social de ce projet, il me paraît prématuré d'aller plus loin dans notre avis.

Sur le divorce, je citerai simplement un point à propos de la prestation compensatoire et en lien avec le récent texte qui a été voté ici. Il est vrai que ce dont nous souffrons le plus, nous, notaires, c'est, à l'occasion des successions, le problème de la prestation compensatoire transmise aux héritiers. Il est certain que nous sommes à fond favorables à une capitalisation automatique au moment du décès et que le capital soit déductible au moment de la déclaration de succession au titre du passif. C'est selon nous la seule solution pour arriver à en sortir au point de vue pratique.

Concernant la déjudiciarisation, là aussi, je crois que l'on peut être très clair. La réaction d'un syndicat professionnel, qui a bien entendu tout à fait la possibilité de s'exprimer, a pu laisser croire que nous étions favorables à ce divorce administratif et, pourquoi pas, que nous étions prêts à proposer nos services. La position de l'immense majorité du notariat est tout autre : oui pour une simplification de certaines procédures, notamment dans le divorce pour consentement mutuel quand il n'y a pas d'enfant ou un faible patrimoine ; non à un divorce constaté par M. le maire.

Je disais tout à l'heure que nous étions sur l'ensemble du territoire. Nous vivons à côté de tous ces maires de ces petites communes. Je suis d'un département de 260.000 habitants avec 310 communes. Beaucoup de communes ont moins de 100 habitants. Ces maires qui ont des structures quasiment nulles ou qui ont un secrétariat quelques jours par semaine, auraient une tâche de plus. On constate actuellement que de plus en plus d'élus se découragent face aux responsabilités que l'on fait peser sur eux. Si c'est pour créer des services administratifs supplémentaires, nous avons trop de connaissance et de respect pour toutes les qualités des juges pour ne pas penser qu'il n'y a vraiment qu'eux qui sont les plus aptes à ce type de travail. Je crois que cela doit rester le travail des juges.

De la même manière, pour ce qui concerne le rôle de l'avocat dans toutes ces procédures, nous n'entendons pas nous substituer à l'avocat. Là encore, l'avocat a une mission.

Sur le terrain, dans la plupart de nos villes de province où se trouvent des petits barreaux, des petites chambres des notaires, les relations sont bonnes et complémentaires. Nous arrivons ensemble, à côté des autres professionnels du droit et de la justice, à essayer de faire du mieux possible notre travail.

On a parlé tout à l'heure, à l'occasion d'un échange entre un sénateur et un magistrat, des frais, du coût de l'avocat et du notaire. Je voudrais à ce sujet rappeler quelques points.

Premièrement, s'il n'y a rien ou pas de patrimoine, il n'y a en général pas de notaire, et si l'on a fait appel à un notaire, le coût du notaire étant lié à la valeur du patrimoine, il n'y a pratiquement pas de coût.

Deuxièmement, dans les frais de notaire, quand il y a des frais, il y a éventuellement la rémunération du notaire, mais aussi la part fiscale. Si l'on parle par exemple, au niveau des entreprises commerciales, des problèmes de plus-values liés à une attribution d'un fonds de commerce à l'un ou l'autre des époux qui entraîne une fiscalisation, il y a peut-être des progrès à faire et l'on peut réfléchir à propos de ces frais.

Troisièmement, lorsqu'il y a un dossier où les personnes ont un patrimoine mais pas de revenu, il y a aussi pour nous l'aide juridictionnelle qui se limite, pour ce qui concerne la rémunération du notaire proprement dite, à 430 F. Quand les notaires se font rémunérer en fonction de l'actif, la rémunération fixée par l'Etat est de 0,825 %, c'est-à-dire de 825 F pour 100.000 F.

Dernier point : la médiation. Sans mélanger médiation et conciliation, si demain, tout ce qui est médiation évolue, il nous semble que tous les professionnels ne peuvent pas tout faire. On ne va surtout pas s'intituler médiateur, mais dans le cadre d'un travail de conciliation, dans tout ce qui pourrait évoluer au niveau judiciaire et qui ferait que l'on liquiderait plus en amont, nous pensons que pour le règlement des effets patrimoniaux, notre technicité, notre compétence, notre expérience, doivent servir à côté des autres professionnels du droit.

Voilà ce que je voulais dire par rapport à ce qui a été dit au cours de cette journée.

Je voudrais à présent situer mon intervention dans le cadre de la réflexion que nous menons depuis un an pour vous faire part de quelques autres aspects.

Nous avons donc intitulé notre congrès de l'an prochain : "Demain, la famille". Nous avons retenu quatre axes.

Le premier est le suivant : "Demain, la famille. Quel concept ?" C'est à l'occasion de cette première question que nous réfléchirons, notamment sur tout ce qui peut être le mariage, l'union libre, etc.

Nous souhaitons cependant apporter un éclairage particulier sur une question qui nous préoccupe de plus en plus tous les jours, à savoir les ménages binationaux et les ménages d'origine étrangère installés en France qui, éventuellement, par une religion différente, ont des traditions différentes. Ces gens viennent nous voir et règlent, par exemple, une succession, respectent notre droit français, mais revenus chez eux, il arrivera que l'on demande à la demoiselle de céder la moitié de sa part parce que c'est la tradition. Il faut prendre conscience de l'existence, au sein de notre communauté, d'une grande diversité, non seulement au niveau des traditions, mais aussi par toute la richesse de notre population française. Actuellement, des problèmes nouveaux naissent que l'on ne peut pas ignorer. Nous allons essayer d'y réfléchir.

Un deuxième axe dont nous avons peu parlé aujourd'hui : Demain, la famille. Quelle solidarité ? Quelle responsabilité ? Nous souhaitons faire porter notre réflexion, et vous soumettre éventuellement demain nos avis, sur d'une part, tout ce qui tourne autour du problème des obligations alimentaires, envers les enfants, mais aussi des enfants envers les parents. Je vais en venir aux grands-parents. Depuis ce matin, nous n'avons pas parlé une seule fois des personnes âgées, du vieillissement de la population, et de tous les problèmes que cela entraîne actuellement. Nous ne pouvons pas les ignorer si nous parlons de la famille dans son ensemble.

Nous allons également réfléchir à une certaine inaptitude face à un accroissement de la population âgée et très âgée, de ce quatrième ou cinquième âge. Nous allons réfléchir à une certaine inadaptation des régimes actuels de tutelle ou de curatelle. Nous rencontrons des personnes âgées qui commencent à être perdues dans leurs papiers. Elles viennent nous voir et nous disent : "Qu'est-ce que je peux prévoir si, demain, je ne m'en sors pas ? Ou bien je resterai comme cela et je me ferai peut-être avoir par quelqu'un de peu scrupuleux, ou bien, un jour, couperet, et parfois curatelle, souvent tutelle, et je ne suis plus rien".

Il peut y avoir une place pour d'autres formules, tel que le mandat pour inaptitude, toute une série de formules où l'on peut, de son vivant, essayer de programmer ce qui se passera après. C'est un élément de réflexion, une porte que nous ouvrons.

Dans le cadre de notre troisième axe "la famille, les ruptures", nous essaierons d'envisager toutes les ruptures et non pas seulement celle du couple : les problèmes posés par des ruptures entre parents et enfants, des ruptures entre les fratries qui ont parfois des conséquences graves dans des règlements patrimoniaux.

Enfin, dernier axe, "Demain, la famille. Quelle transmission ?" On a parlé de remettre sur le chantier la réforme du droit des successions. C'est indispensable. Ces dernières années, on a fait des projets, des discussions sans fin ont eu lieu à propos des droits du conjoint survivant. On ne rouvrira sans doute pas le débat là-dessus. Il appartient maintenant au Législateur de trancher, ceci dit, en le situant dans un droit de la famille réformé dans son ensemble. N'oublions pas que si l'on touche au régime patrimonial, cela peut avoir un impact sur le droit des successions, si l'on touche au droit des successions, cela peut avoir un impact sur les régimes matrimoniaux, et ainsi de suite.

Il faut prendre en compte ces familles recomposées, ces double ou triple mariages, ces enfants issus de plusieurs lits, etc.

Il y a sans doute quelques réformes à faire au niveau du droit des successions, d'une succession non préparée, je n'y reviendrai pas, mais il y a l'anticipation successorale. Ces dernières années, toutes les réformes que vous avez votées ont eu pour but de favoriser les transmissions anticipées. Elles ont été encouragées par des avantages fiscaux. Elles se justifient aussi parce qu'aujourd'hui, nous réglons les successions de gens de 90 ans, dont les enfants en ont 70, sont eux-mêmes à la retraite, n'ont plus de besoins, et où les petits-enfants ont 40 ans. Est-ce que notre droit est adapté à ce type de situation ? Est-ce que la prohibition des pactes sur succession future ne mérite pas qu'il y ait, de nouveau, demain, une certaine réflexion ?

Ne faut-il pas non plus que l'on se repose la question d'une plus grande souplesse quand on essaie de régler les affaires de son vivant, lorsque l'on a des enfants issus de trois lits, un patrimoine mélangé ? Nous avons des contraintes, des difficultés, et là encore, sans proposer aujourd'hui de solution, sans avoir de position tranchée, nous disons que puisque l'on parle du droit de la famille, de la famille en général, ce sont aussi des questions qu'il faut soulever.

Nous sommes pour une évolution du droit de la famille et pour une étude globale, mais nous avons le temps, il ne faut pas de décisions prises sous la pression. S'il y a des sujets d'actualité, comme les contrats d'union civile et sociale ou le Pacte d'Intérêt Commun qui font beaucoup parler et intéressent la presse, c'est naturel car il y a un problème réel. Rappelons-nous, pardonnez-moi de le dire ainsi, qu'après tout, il y a une Gay Pride chaque année, et que si l'on n'a pas réglé le problème avant celle du mois de juin, nous traiterons peut-être de ces problèmes avant celle de l'an prochain ou dans deux ans, mais dans le cadre d'une réforme globale du droit de la famille.

Voilà le sens de l'intervention et du message que souhaitaient vous faire passer les notaires de France.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci, Maître.

Nous avons été très sensibles à l'accent que vous avez mis sur la nécessité d'une réforme extraordinairement difficile du droit des successions, compte tenu de l'évolution de la famille, de la longévité et de l'existence de ces familles recomposées qui sont parties prenantes de la succession.

Nous avons très souvent demandé cette réflexion à la Chancellerie. Je ne me dissimule pas les difficultés auxquelles les services, les Gardes des sceaux successifs ont pu se heurter. Dans l'ordre des priorités, je ne suis pas loin, personnellement, de partager le sentiment que vous n'avez peut-être pas exprimé totalement mais que j'ai cru deviner : c'est peut-être dans le droit actuel et dans les situations juridiques actuelles que nous connaissons, l'un des domaines dans lesquels on devrait porter l'attention en priorité. Avant de légiférer sur le PIC dont on nous parle, si on légiférait sur le droit des successions, cela me semblerait peut-être une manière de répondre à nos problèmes de société qui correspondrait davantage aux exigences que nous pouvons rencontrer.

Nous avons bien noté que les notaires connaissent l'immense majorité des maires de France. Vous avez parlé de Rodez. La Seine-et-Marne qui a 1.200.000 habitants a 514 communes, dont 410 ont moins de 2.000 habitants. Je vois mal nos 410 maires intervenir dans des domaines de ce genre.

M. JOLIBOIS. - C'est vrai dans quasiment tous les départements.

M.  LARCHÉ, Président. - C'est une idée qui a été lancée. Elle retombera d'elle même le moment venu.

Je vous remercie infiniment.

Avant que Mme Guigou ne vienne, je voudrais vous faire part de mon étonnement de ce que je lis dans la presse aujourd'hui : " " Le Sénat rivalise avec le Gouvernement sur le droit de la famille". Il est dit que nous agacerions la Chancellerie. Pourquoi agacerions-nous la Chancellerie ? Je ne le sais pas. De plus, on y dit que j'ai pressé Mme Guigou de venir. Si elle n'avait pas voulu venir, elle aurait été dans une situation de liberté absolue.

Me Jacqueline BEAUX-LAMOTTE,
Avocat
Me Françoise BAQUÉ DE ZAN,
Avocat

Me BEAUX-LAMOTTE . - Merci de donner la parole aux avocats. Je voudrais vous dire que j'interviens comme modeste porte-parole...

M. le Président. - C'est la défense qui parle.

Me BEAUX-LAMOTTE. - Oui, C'est la défense qui parle. J'interviens comme le porte-parole de la Commission du droit de la famille du barreau de Paris qui n'est pas seulement de Paris, puisque se sont jointes à ces travaux deux associations à caractère national, Droit et Procédure, ainsi que l'Association des avocats de la famille.

Cette commission a beaucoup travaillé en matière de droit de la famille, notamment le droit des successions et la protection des majeurs incapables.

Ceci dit, mon intervention sera très ponctuelle, puisqu'elle concernera seulement le droit du divorce. Il me paraît intéressant de vous dire qu'hier, le Conseil de l'ordre de Paris a donné son accord sur les orientations et les propositions que je vais donc vous exposer.

Il me semble que mon rôle est de vous dire comment nous concevons l'avocat dans le divorce. Notre commission y a beaucoup réfléchi, surtout sur le devoir de conseil préalable à l'introduction de la procédure de divorce.

Auxiliaire de justice auprès du juge aux affaires familiales, l'avocat est celui que l'on va voir en premier -sa présence est obligatoire- avant de prendre la décision d'une séparation officielle et définitive. Tenter la réconciliation, favoriser l'accord, éviter un contentieux douloureux dans la préoccupation du respect de la famille : croyez-le bien, les avocats sont conscients de ces devoirs, mêmes s'ils sont souvent pris dans la tourmente de la crise du couple, dont l'un au moins refuse de continuer à partager la vie commune.

S'il y a dans tout avocat l'instinct de la défense et même du combat, l'avocat de la famille apprend à laisser au vestiaire tout esprit de chicane pour trouver la bonne solution, c'est-à-dire celle qui sera, sinon juste, du moins acceptée et permettra un espoir de reconstruire une vie nouvelle.

Le rôle de l'avocat, dans le droit du divorce, n'apparaît pas contesté. Même parmi les partisans d'un divorce non judiciaire, on semble donc lui faire confiance, mais n'oubliez pas qu'il tire sa légitimité de son rôle d'auxiliaire de justice. C'est cette qualité qui lui donne son autorité liée au caractère obligatoire de ses fonctions auprès du juge.

Si la recherche d'un accord, surtout en présence d'enfants, apparaît une obligation d'ordre même déontologique (lettre-type préalable à tout dépôt de requête et pourparlers confidentiels), force est de constater que nous devons choisir entre les quatre procédures offertes par la loi de 1975 car le divorce par consentement mutuel n'est pas toujours la meilleure solution. La différence est parfois grande entre le désir de chacun des conjoints, qu'il s'agisse des modalités de l'exercice de l'autorité parentale, de l'hébergement habituel ou des conséquences financières du divorce.

Il faut savoir que les époux sont souvent très ignorants de leurs droits et surtout de leurs devoirs, et qu'alors, la première étape d'une audience de conciliation contentieuse s'avère parfois nécessaire.

C'est dans cet esprit que notre commission a effectué un important effort de réflexion sur une possible actualisation de la loi de 1975 sur le divorce dans une recherche pragmatique de simplification ayant pour but d'alléger la tâche du juge, mais sans pour autant renoncer à l'acquis de plus de 20 années d'expérience et d'enrichissements de toutes natures dans l'oeuvre de justice la plus proche du justiciable.

Les orientations retenues visent l'ensemble des cas de divorce offerts par la loi de 1975, mais ne prévoient pas de cas nouveaux, comme l'institution du divorce prononcé par l'officier d'état civil sur simple déclaration des époux.

Si vous voulez bien m'en donner un peu le temps, je voudrais revenir assez à fond sur ce problème de divorce devant l'officier d'état civil. C'est un sujet dont on parle beaucoup. Je voudrais vous donner l'avis approfondi de notre commission sur ce problème, d'autant que nous avons parmi nous un avocat qui est le président de l'Association des avocats pour le divorce devant l'officier d'état civil. Nous avons eu une discussion tout à fait contradictoire et nous avons écouté les arguments pour ce divorce devant l'officier d'état civil.

Ce serait une cinquième procédure réservée à des divorces simples : pas d'enfant, pas de biens, un temps très court de mariage. Quel est alors le critère ? On ne nous l'a pas vraiment dit. Comment va-t-il être déterminé ?

On parle aussi de deux phases séparées. Première phase, accord sur le divorce, deuxième phase, on revient devant le juge à trois niveaux : enfants, prestation compensatoire, liquidation du régime matrimonial, et ce dans un délai précis.

Le danger me semble évident de voir prononcé le divorce sans réfléchir sur les conséquences. Cette situation risque de générer un contentieux important que l'on veut justement éviter.

A l'appui de ces propositions, la commission a écouté différents arguments tels que : l'évolution de la société et le désir des conjoints d'être les seuls maîtres des événements de la vie ; une modification de la conception du divorce qui ne serait plus un drame, mais une voie normale de la vie du couple. La famille se décomposant et se recomposant, le fil conducteur aurait changé, il y aurait d'autres solidarités. Le divorce devient "démariage". L'officier d'état civil pourrait démarier sur simple déclaration en enregistrant le consentement, comme il l'a fait au moment de la célébration du mariage. On invoque alors le parallélisme des formes.

J'ai entendu également que les magistrats seraient submergés par un contentieux dit de masse -la formule est un peu choquante en matière de droit de la famille-, qu'ils seraient fatigués d'homologuer les accords qui leur sont présentés, qu'ils choisiraient de réserver leur énergie à la solution des conflits, exerçant ainsi véritablement leur pouvoir de décision.

On nous dit que la déjudiciarisation séduit bon nombre de Français (70 %), mais comment la question leur a-t-elle été posée pour obtenir ce pourcentage dans les sondages ?

J'invoquerai trois arguments à l'encontre de cette mesure. Premièrement, l'ordre public et le rôle de l'Etat dans la protection de la famille.

Deuxièmement, la protection du conjoint le plus faible.

Troisièmement, l'expérience pratique.

L'ordre public, le rôle de l'Etat dans sa fonction de protection de la famille : la commission invoque l'article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : "La famille est l'élément naturel et fondamental de la société, elle a le droit à la protection de l'Etat". Les intérêts individuels devant s'effacer devant l'intérêt collectif, l'ordre public est concerné par l'institution familiale. Le divorce prononcé sur simple déclaration auprès de l'officier d'état civil fragilise à coup sûr l'institution du mariage, aboutit à créer une confusion avec le concubinage, ce qui se conçoit mal alors que l'on entend légiférer à propos du concubinage.

Enfin, toutes modification apportée à l'état des personnes, devant faire l'objet préalablement d'une décision judiciaire, il ne saurait être question de parallélisme des formes, alors qu'il est par exemple impossible de rectifier le seul prénom d'un enfant déclaré à l'état civil sans l'intervention de l'autorité judiciaire.

Il faut également à l'évidence éviter le consentement forcé. Tout praticien vous témoignera de l'existence de rapports de force dans un couple. Sachez qu'il faut plusieurs rendez-vous pour savoir très exactement ce que pense son client, encore plus pour connaître la réalité des faits. Il faut savoir que les gens font encore une relation entre la faute et les conséquences financières du divorce. Combien de mères prêtes à accepter n'importe quoi de peur de perdre leurs enfants ?

Il faut du temps et de la réflexion avant d'officialiser une séparation. Il faut aussi protéger le plus faible. Attention au pouvoir de l'argent, à la domination physique et psychique. Le rôle du juge et de l'avocat est essentiellement protecteur. Il faut prendre garde à l'apparente simplicité. Ce qui peut être dramatique, c'est l'échec d'un couple et non pas, à mon avis, l'exigence d'un divorce judiciaire.

Faites attention aux divorces qui seront déguisés en divorces simples, et à l'émergence d'officines de divorce qui n'offriront pas la garantie de l'autorité judiciaire indépendante et accessible à tous.

Le ministère de l'avocat, en matière de divorce, s'impose comme auxiliaire du juge et non pas, comme on voudrait le dire, comme conseiller juridique privilégié. Notre rôle est celui d'auxiliaire de justice et nous tirons notre autorité de cette qualité. On sait que le public a un besoin grandissant d'une solution de justice. Je rejoins M. le sénateur Balarello dans sa réflexion de tout à l'heure : c'est à mon avis à la justice de s'organiser pour traiter ce contentieux qu'elle qualifie de masse.

Quant à l'objection tirée du coût du divorce, laissez-moi vous dire qu'elle n'apparaît pas pertinente alors que la justice est gratuite, que les justiciables peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle pour obtenir l'assistance d'un avocat. Il est dommage que le juge aux affaires familiales semble s'écarter de son rôle d'homologation et de contrôle des accords passés en matière familiale, au regard de l'intérêt de la famille, alors que les procédures gracieuses sont fréquentes en droit des personnes.

C'est pour toutes ces raisons que la Commission exprime un avis négatif sur le divorce devant l'officier de l'état civil.

Il ne faut pas être seulement négatif et nous proposons un assouplissement des procédures existantes.

Pour ce qui concerne le divorce par requête conjointe, je rappelle que l'intérêt de cette procédure est double : non seulement éviter les conflits, mais aussi fixer définitivement et sans recours possible, sauf la voie du pourvoi en Cassation et de l'action en révision, toutes les conséquences financières du divorce. Le législateur a voulu un consentement éclairé soumis à l'homologation du juge avec un temps obligatoire de réflexion. On s'aperçoit cependant qu'il y a des contraintes. Comme Mme Courcelle vous l'a dit tout à l'heure, il y a plus de 50 % de requêtes conjointes à Paris, mais on s'aperçoit quand même d'une recrudescence du divorce pour faute. Les contraintes sont essentiellement tirées de la double comparution. Le divorce peut être simple et une seule audience peut suffire ou bien il peut avoir été complexe et difficile, mais avoir abouti à un accord après beaucoup de mois, et il n'est plus utile de prévoir une deuxième audience.

Nous prévoyons une modification très simple : donner aux parties la possibilité de demander dans la requête conjointe de les dispenser du délai de réflexion de trois mois prévu à l'article 231 du Code civil. Quand on dépose la requête, on demande à être dispensé du délai de réflexion et on s'en explique auprès du juge. On peut lui dire que le divorce est simple et lui donner la motivation, ou lui dire également que le divorce paraît compliqué mais qu'on a bien réfléchi. Il y a donc une demande de dispense qui fait également que le juge, qui se plaint d'être une simple chambre d'enregistrement, a son rôle et peut, si la demande de dispense est motivée, prononcer immédiatement le divorce.

Cela a également pour effet de décharger le prétoire des juges aux affaires familiales, puisque d'accord avec les parties et les avocats, il pourra prononcer tout de suite le divorce, ou bien il refusera le délai pour des motifs qu'il exposera et renverra aux articles 1093, 1094, et 1095.

Nous avons également travaillé sur le divorce sur demande acceptée. C'est une procédure assez peu utilisée et c'est peut-être dommage car c'est une procédure qui présente l'intérêt d'éviter un conflit sur les torts respectifs et qui laisse au juge le soin de décider des conséquences du divorce.

Nous proposons d'assouplir et de moderniser cette procédure. Tout d'abord, nous proposons de supprimer ce mémoire qui oblige la partie demanderesse à expliquer pourquoi la vie commune n'est plus possible. Nous proposons également de permettre aux époux de faire cette demande conjointement. La demande acceptée présente le risque de ne pas voir cette demande acceptée. On n'aurait plus cet aléa et l'on pourrait proposer cette procédure sur demande conjointe. Le critère ne serait plus que la vie commune ne peut plus être possible avec le report, la motivation dans les mémoires, mais serait le constat accepté et partagé de l'échec du couple.

Nous avons fait une proposition de texte que vous trouverez dans mon rapport et qui peut-être pourra intéresser votre commission des Lois.

Le divorce pour faute, nous n'y touchons pas. Je ne veux pas reprendre le propos, tellement critiqué par le M. le Professeur Benabent, ce matin, d'une répudiation, mais si on enlève la notion de force dans le divorce, on va très loin. Je pense qu'il faut également laisser faire les conjoints, s'ils veulent échanger leurs griefs et s'ils veulent que la justice tranche.

En revanche, sur le divorce pour rupture de la vie commune, qui est un divorce imposé, la Commission est d'accord pour réduire le temps de séparation de six ans à trois ans. Je dois vous dire qu'il n'y a pas l'unanimité. Le barreau de Paris demande également de ne pas retenir le chiffre de trois ans qui n'a pas eu l'unanimité non plus. Personnellement, je trouve que c'est un raccourcissement de délai beaucoup trop important.

La passerelle est à revoir parce que la loi de 1975 n'est pas très claire sur ce point. Nous avons donc fait une proposition de texte là-dessus pour ne pas garder une fausse passerelle qui est dans la loi de 1975 et qui fait que certains juges aux affaires familiales utilisent la passerelle et pas d'autres. La passerelle veut dire qu'à tout moment d'une procédure contentieuse, on peut revenir sous forme de requête conjointe, et à ce moment-là, il ne faudrait avoir qu'une seule audience. Il ne sera pas très difficile de faire une réforme à ce sujet. Elle présentera l'énorme avantage qu'à tout moment, on peut aller du contentieux au gracieux.

En revanche, on ne veut pas le contraire. Quand on est dans une procédure gracieuse, il ne faut pas que l'on puisse aller au contentieux facilement, étant donné que l'on peut se servir des accords qui ont été passés. C'est excessivement dangereux.

Pas de passerelle non plus pour la demande acceptée, cela ne présente pas d'intérêt.

Je voudrais dire à votre commission des Lois que nous sommes en complet accord avec vos propositions sur la révision de la prestation compensatoire. Je voudrais vous dire également que nos travaux continuent en ce qui concerne une recherche tendant à éviter le morcellement des procédures relatives au divorce. Nous poursuivons nos réflexions sur deux orientations : l'une consistant à fixer définitivement les conditions essentielles de la liquidation, dès le prononcé du divorce, et celle d'un processus de liquidation ou d'une préparation à celle-ci, pendant la procédure du divorce, qui devrait permettre, même en cas de difficulté, un dénouement plus pragmatique et plus rapide des situations matérielles. Il est très difficile de parler, par exemple, de révocation des donations déguisées pendant la procédure de divorce. On a des difficultés sur le plan de l'enregistrement. Il faut une réflexion très approfondie à ce niveau.

Je voulais uniquement vous présenter les propositions très précises sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord. J'espère que cette simplification et ce simple toilettage apparaîtront suffisants. Je suis désolée d'avoir insisté aussi lourdement sur le divorce devant l'officier de l'état civil, mais c'est vraiment une conviction profonde. A mon avis, s'il y a la moindre brèche, tout le monde s'y enfoncera et ce sera très lourd de conséquence, il faut le savoir.

Merci, Monsieur le Président.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci, Maître. Maître Baque de Zan, vous avez la parole.

Me BAQUE de ZAN. - Je vous remercie. En ce qui me concerne, j'interviens et je me prononce au nom de la Conférence des Bâtonniers de France et d'outre-mer. L'analyse technique que nous avons faite du sujet rejoint pour beaucoup de points celle de la Commission du droit de la famille et du barreau de Paris. Il faut revenir à des notions extrêmement importantes et générales.

Les avocats peuvent aider votre réflexion en ce sens qu'ils sont des hommes de terrain et ce sont eux qui sont en confrontation directe, au quotidien, avec les justiciables. Si l'on peut parler de loi de l'offre et de la demande s'agissant des besoins des justiciables, l'avocat, en tous cas, est apte à les apprécier.

La question que nous nous posons immédiatement est la suivante : y a-t-il tant de situations de fait, actuellement non traitées par le droit, et qui devraient l'être ? Y a-t-il tant de situations juridiquement traitées et qui font l'objet d'insatisfactions telles qu'il faille modifier ? C'est la question qu'il faut se poser et que nous nous posons.

Si l'on traite le problème dans son ensemble, c'est-à-dire droit des personnes et de la famille, la réponse est non. Il y a peu d'insatisfaits sur des points de droit. Des justiciables insatisfaits dans les situations de fait, vous en aurez toujours et nous devrons toujours, au quotidien, expliquer pourquoi un justiciable ne peut obtenir satisfaction au moment où il éprouve le besoin d'engager une procédure. C'est nous qui devons expliquer ensuite, à l'issue de la procédure, pourquoi il ne serait pas raisonnable, face à un échec, de relever appel ou de contester la décision.

Bref, ces situations d'insatisfaction procèdent forcément de ce que dans le cadre de l'équilibre d'un procès, il y a une partie perdante et une partie gagnante.

Dans le cadre d'un divorce, même si vous voulez équilibrer les rapports de force, tendre vers la solution idéale de l'humain, traiter l'humain par de l'humain, et encore plus de l'humain, est-ce que à force de vouloir se placer dans cette perspective d'idéal, on ne risque pas de détruire les rouages absolument nécessaires au fonctionnement de tout procès, même le procès de divorce, ou quelque procès qu'il soit et qui touche au droit de la famille ?

Je crois que ces questions essentielles, vous devrez les avoir à l'esprit lorsque des choix techniques se présenteront à vous.

Ces précisions étant posées, quelles sont les réflexions que nous avons menées ?

Tout d'abord, les situations qui ne seraient pas réglées et dont on nous dit aujourd'hui qu'il faudrait les régler. Je parle de la contractualisation du concubinage. Qu'il s'agisse du Pacte d'intérêt Commun ou du contrat d'union sociale, il s'agit bien d'une contractualisation du concubinage. Nous ne répondons pas à la question ou, en tout cas, nous posons nous-mêmes des questions très ouvertes, et nous vous laissons véritablement la responsabilité de la réponse et du traitement de la question.

La question, on la pose de façon presque éthique, voire philosophique. Pourquoi ? Parce qu'avant de parler de concubinage -et le mot n'est peut-être pas très joli- on parlait d'union libre. L'union libre, dans les années post 68, avait un côté qui pouvait satisfaire et même séduire la pensée. Dans la contractualisation du concubinage, n'y a-t-il pas la disparition, la fin de ce concept un peu merveilleux, de ce concept que l'on avait rêvé, à une époque donnée, et qui était celui de l'union libre ?

Je continue en indiquant pourquoi aujourd'hui on parle d'une contractualisation du concubinage ou d'autres situations de vie en commun. Il faut le constater, la communauté d'intérêt et la réflexion en terme d'intérêts est en train de primer la réflexion en terme de communauté de vie. Nous, praticiens, quelles sont les questions que l'on nous pose, dans le cadre de situations de concubinage, à la recherche de droits possibles ou impossibles ? Les questions qui nous sont posées sont des questions en termes d'avantages sociaux. Au quotidien, et de plus en plus, nous sommes consultés en termes d'avantages sociaux. Quels sont les plus et les moins d'une situation de concubinage, de mariage ? Quels seraient les plus d'une situation régie par un Pacte d'Intérêt Commun ou par un contrat d'union sociale ? Intérêts sociaux, avantages sociaux, avantages fiscaux, et avantages successoraux. Ce sont tous des intérêts matériels.

L'évolution est-elle aujourd'hui telle qu'il faille créer un statut pour céder à une réflexion faite d'intérêts matériels ? C'est la question que vous devrez vous poser avant d'entrer dans la technique du Pacte d'Intérêt Commun qui, ce matin, a été abordée, ô combien légèrement, par M. le Professeur Hauser qui, au-delà, a fait une intervention absolument brillante.

Il existe un pan de situations de fait actuellement non traitées par le droit. Faut-il créer du droit sur cette situation de fait ? nous n'en sommes pas, nous, avocats, totalement partisans, loin s'en faut.

Ensuite, sur les insatisfactions de la situation telle qu'elle est régie aujourd'hui dans le contentieux le plus important du droit des personnes et de la famille, c'est-à-dire le contentieux du divorce.

La loi de 1975 est une loi qui a donné satisfaction. C'est une loi multiple, diverse. C'est une loi pour laquelle il a fallu plusieurs années avant de l'appliquer plus ou moins correctement. J'ai le courage de dire qu'aujourd'hui encore, il y a des articles du Code civil, des articles du Code de procédure civile qui ne sont pas utilisés. J'ai la surprise de constater qu'au travers de la réflexion que nous menons, nous en revenons à des situations qui existent en fait déjà plus ou moins dans le code, mais qui ne sont pas utilisées. Pourquoi ? Les articles ne sont peut-être pas situés dans les parties où ils devraient l'être. Il suffirait peut-être de modifications très légères pour rendre l'ensemble immédiatement plus pratique, cohérent, adaptable au quotidien.

Sur cette idée totalement nouvelle sur laquelle tout le monde a éprouvé le besoin de s'exprimer, et c'est normal, à savoir cette nouvelle option dans la carte du divorce de la loi de 1975. On a voulu ajouter un divorce dit tantôt divorce administratif, tantôt divorce civil, tantôt, de façon plus imagée, divorce devant le maire. Les avocats considèrent que c'est véritablement une vue de l'esprit, pour plusieurs raisons qu'ils ont exprimées et analysées.

A leur position, il y a tout d'abord des raisons juridiques. Le mariage est toujours simple parce que par hypothèse, il est voulu par deux personnes. J'ai entendu ce matin, dans le cadre de notions plus ou moins relatives à la répudiation, que finalement, les adaptations sur ce sujet ne seraient pas choquantes parce que le divorce constat d'échec serait forcément voulu par les deux. Si les choses étaient aussi simples, dans le cadre du divorce par requête conjointe et par consentement mutuel que nous connaissons aujourd'hui, les situations seraient parfaitement et entièrement gérées et traitées.

Devant le maire, que peut-on faire et ne pas faire ? On peut effectivement entrer dans une union parce qu'on est demandeur, à un moment donné, d'une institution classique, sociale, qui, sur le plan juridique, est maintenant qualifiée de contrat. Comme tout contrat, cette institution célébrée à l'état civil fait entrer le couple dans une situation de droit, c'est-à-dire dans un ensemble de devoirs et d'obligations. Ce sont les devoirs et obligations du mariage.

Le divorce n'est pas créateur de droits. Qu'on le veuille ou non, c'est une rupture d'une situation juridique. Je ne peux admettre qu'un acte juridictionnel sorte de l'enceinte des juridictions françaises. Il n'y a donc pas de parallélisme des formes, contrairement à ce que l'on pourrait très rapidement, et par une vue très superficielle, croire.

Pourquoi, dans nos tribunaux, réservons-nous toujours une part très importante au respect du huis-clos, c'est-à-dire au respect du secret de la vie privée des personnes ? Cette notion nous apparaît à tous, encore aujourd'hui où le temps nous pousse, essentielle. Le groupe, dans les juridictions, on ne connaît pas. Les couples, même si cela prend du temps pour les avocats et les juges aux affaires familiales, ont le droit au secret et personne ne songe à le leur contester.

Comment assurer le respect de ce secret devant le maire, alors qu'effectivement, nous connaissons tous maintenant les statistiques selon lesquelles sur 36.000 communes en France, 34.000 communes ont moins de 2.000 habitants ? J'ai entendu depuis ce matin des maires qui, en des positions diverses, se sont exprimés dans cette enceinte qui est tout de même la vôtre. Ils sont maires, l'un d'une commune de 250 habitants, l'autre d'une commune de 200 habitants, et encore un autre de 600 et quelques habitants. Comment, dans les petites communes, respecter le secret quand on doit étaler devant l'officier de l'état civil le divorce ? Il est évident qu'il y a là une incohérence et une incompatibilité.

Au titre des raisons pratiques, alors qu'on cherche aujourd'hui, dans le cadre d'une carte judiciaire refondue, à centraliser tous les sites, pourquoi décentraliser les sites de prononcé du divorce ? Autre incohérence.

Par ailleurs, on a voulu dire que devant le maire, de toutes façons, n'iraient que les couples sans enfants, sans patrimoine, bref ceux qui n'auraient rien, si ce n'est la misère de leur souffrance individuelle. Je n'aime pas ces différences, elles me choquent. Par ailleurs, et cela a été dit par tout le monde, dans la pratique, même quand il n'y a que deux personnes, l'une face à l'autre, sans lien par la descendance, par les intérêts patrimoniaux, il y a bien souvent un faible et un fort, un qui a toujours dominé plus ou moins, et un autre qui a toujours été habitué à être dominé. Je crois que tout le monde a le droit d'être reconnu en tant que justiciable, c'est-à-dire ayant droit à être conseillé, protégé.

Est-ce que le maire a, par sa formation, son quotidien, cette capacité de détecter celui qui est en situation difficile, celui qui est en position de dominer ? Je ne pense pas que l'on puisse répondre par l'affirmative. Même si les officiers d'état civil cherchent à faire leur travail de façon humaine, je ne pense pas qu'ils puissent détecter dans les situations humaines les souffrances individuelles ayant besoin d'un traitement particulier. Seuls les gens formés à la pratique ont cette capacité de détection.

Par conséquent : non au divorce administratif, non au divorce devant le maire.

Cela étant, dans le cadre de la palette offerte par la loi de 1975, quels sont les constats que la pratique nous amène à faire ? Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées, au vu de l'expérience dont nous nous sommes enrichis, juges aux affaires familiales, avocats, notaires, etc., depuis ving-cinq ans ?

Il n'est peut-être pas question de tout bouleverser. Par contre, nous avons maintenant acquis cette expérience et cet affinement des situations qui nous permet de dire : ceci n'est pas bon et voilà ce qu'il faudrait faire pour le rendre bon.

Sur les différentes procédures, tout d'abord le divorce par requête conjointe, par consentement mutuel à 100 %. Une comparution au lieu de deux, est-ce possible ? Après tout, pourquoi pas, si l'on considère la critique qui chez les justiciables se fait jour et les couples qui nous disent trop souvent : "Pourquoi revenir alors que nous sommes pleinement d'accord ? Pourquoi nous obliger à revenir alors que notre décision est parfaitement réfléchie ?"

Comment supprimer l'une des comparutions que nous avons aujourd'hui dans le cadre de notre législation ?

Il existe plusieurs formules et plusieurs situations. On ne peut pas traiter de la même façon, dans le cadre d'une requête conjointe, un divorce avec une liquidation de droits patrimoniaux où, manifestement, il y a un temps nécessaire de réalisation de certaines formalités, qui se font de pair avec le délai de réflexion, qui n'est pas un véritable délai de réflexion moral, psychologique, mais un délai de traitement des conséquences du divorce, d'une part, et, d'autre part, un divorce dans lequel il n'y a pas d'intérêts patrimoniaux, ou des enfants mais avec un traitement parfaitement appréhendé de la situation de ces enfants ? Comment traiter ces différences de situation dans le cadre d'une loi qui doit toujours être la plus générale possible ? Il ne faut pas traiter trop de situations particulières.

Deux solutions ont été imaginées par la profession. La première consisterait à supprimer la première comparution en rendant toutefois immédiatement exécutoire la convention temporaire réglant les effets du divorce pendant la durée de la procédure. Une formule exécutoire serait apposée dès le dépôt de la requête avec en adjonction la convention temporaire. La convention temporaire pourrait recevoir une formule exécutoire sur le dépôt de la requête. Ainsi, les juges aux affaires familiales ne traiteraient qu'une comparution -temps de traitement divisé par deux- et les couples ne seraient pas astreints à deux comparutions.

Cela pourrait être vrai pour tout le monde : qu'il y ait des intérêts patrimoniaux ou non, qu'il y ait des enfants ou non.

La deuxième solution serait tout simplement, dans le cadre de l'audience de comparution, en fonction des situations appréhendées par les praticiens et vérifiées par le JAF, de permettre d'interroger le couple pour savoir s'il considère devoir réfléchir ou s'il renonce au délai de réflexion.

A mon avis, cette solution risque d'être source de distorsions, alors que la première ne l'est pas.

Ensuite, le divorce pour faute. Il n'a pas trop vécu, n'en déplaise à certains. Que le propos des avocats ne soit pas déformé. Nous n'entretenons pas le divorce pour faute. Nous essayons, dans 100 % des cas, de traiter le divorce nous-mêmes en le dédramatisant. C'est le fruit de l'expérience de la loi de 1975. J'ai pratiqué un peu avant 1975. J'ai connu l'échange artificiel des lettres d'injures, etc. Nous avons beaucoup progressé. J'ai été un peu choquée, ce matin, par une intervention dans laquelle j'ai cru comprendre que l'on reprochait aux avocats de connaître la loi vingt-cinq ans après qu'elle a été promulguée. Je ne retiens pas la critique et je l'ai prise davantage comme une boutade, tellement elle était peu sérieuse !

Cela étant, il ne faut pas supprimer le divorce pour faute, là encore, pour des raisons juridiques. Je vous ai dit que le mariage était un contrat créateur de devoirs et d'obligations. La sanction de tout contrat est la faculté de rupture au tort de la partie ayant commis une violation des devoirs et des obligations. Je ne vois pas pourquoi on traiterait différemment ce contrat que l'on a voulu rendre contrat en 1975 ? Avant 1975, il y avait un débat. Quelle était la nature juridique du mariage ? Je n'y reviens pas. On a voulu en faire un contrat, gardons-en tous ses effets. Il serait totalement anormal que ce contrat ait un traitement à part dans le droit français, et que la faute commise par l'un ou par l'autre ne puisse recevoir la sanction.

On parle aujourd'hui du droit des victimes. Pourquoi n'y aurait-il pas une victime dans le cadre de l'échec d'un couple ? Pourquoi interdire à un sujet de droit de se positionner, dans le cadre de l'échec du couple, comme victime ? Je ne pense pas que vous puissiez affirmer cette interdiction de droit d'être une victime dans l'échec du couple.

Comment simplifier le divorce pour faute ?

Tout d'abord avec la notion de passerelle. Nous, praticiens, savons qu'il n'y a pas de meilleur remède que le temps. Très souvent, nous ne pouvons pas empêcher des personnes de divorcer pour faute parce qu'elles le veulent ainsi, même si on leur dit que, dans la pratique, cela ne sert plus à grand-chose parce que les dommages et intérêts tirés d'un divorce prononcé aux torts exclusifs sont symboliques -60.000 F au grand maximum dans le cadre de la jurisprudence de ma juridiction-.

Que signifie le divorce pour faute ? Cela signifie des lenteurs, un procès qui ne fait que durcir le climat relationnel.

On ne peut bien souvent pas faire admettre tout cela et on n'a pas le droit de l'imposer.

En revanche, le temps arrange les choses. Nous savons que dans 80 % des cas, les divorces engagés pour faute sont ensuite traités par le système du double aveu de faute réciproque et par la demande de non dénonciation, dans le corps du jugement, des torts et griefs respectifs. Ceci devrait être traité maintenant dans le cadre d'une véritable passerelle. Cette passerelle devrait être aménagée.

C'est très simple. Il suffit de supprimer l'alinéa 2 de l'article 246 du Code civil actuel. Les avocats sont suffisamment garants du moment où effectivement la passerelle peut être employée et utilisée.

Ensuite, amélioration du divorce pour faute au travers de la liquidation des droits patrimoniaux. Il n'est pas admissible de traiter facilement le divorce et de refuser de traiter ce qui est une conséquence nécessaire du divorce, c'est-à-dire la liquidation du régime matrimonial. La liquidation du régime matrimonial est une conséquence du divorce, au même titre que le règlement du divorce au regard des enfants. Il convient d'aborder cette question, à notre avis, dès le stade de l'audience et de tentative de réconciliation.

Là encore, c'est très simple. Il existe l'article 1146 du nouveau Code de procédure civile mais cet article est inséré au chapitre "l'instance" et non pas au chapitre sur les pouvoirs du juge aux affaires familiales, au moment des mesures provisoires. Dans le chapitre "l'instance", il est dit que le JAF peut à tout moment, entre autres, charger un notaire d'élaborer un projet de liquidation des droits patrimoniaux. Ce texte n'est jamais utilisé ou très rarement utilisé parce que les praticiens ne demandent pas au JAF de prononcer cette mesure et que les JAF ne prononcent pas cette mesure d'office.

Il suffirait de dire que le JAF a ce pouvoir, au stade des mesures provisoires, pour que tout un chacun s'habitue à traiter le divorce et les effets du divorce au niveau des effets patrimoniaux.

Voilà ce que les avocats de la Conférence des Bâtonniers avaient à exprimer sur le divorce pour faute avec une précision sur la prestation compensatoire. Notre position n'est pas forcément celle du barreau de Paris. Nous devons quand même faire très attention de ne pas retomber dans ces situations dont la loi de 1975 a eu le souci et la volonté de se débarrasser.

Nous avons connu le contentieux à répétition de la révision de la pension alimentaire. Admettre la faculté de révision de la prestation compensatoire, c'est prendre le risque de retomber dans ce contentieux totalement inflationniste, surtout dans la période actuelle, de la révision pour un oui ou pour un non, et bien souvent pour des motifs de contentieux de divorce mal digéré. Aujourd'hui, le contentieux de l'après-divorce, que nous connaissons au niveau des pensions alimentaires pour les enfants, est bien souvent un contentieux qui ne se justifie pas uniquement par des données économiques, mais aussi par un prolongement du contentieux de ce couple que l'on voudrait être parental mais qui, pour certains, n'arrivera jamais à se positionner en couple parental non plus.

Attention, donc, à la faculté de révision de la prestation compensatoire. Je ne suis pas certaine que la proposition de loi du Sénat qui évoquait le " changement substantiel " soit une terminologie adéquate. Qu'est-ce qui est substantiel ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Qu'est-ce qui est l'équité ? Qu'est-ce qui n'est pas l'équité ? C'est la jurisprudence qui va nous le dire, mais dès lors que la porte est ouverte à la création du droit jurisprudentiel, cela veut dire que nous, avocats, dès que quelqu'un viendra nous faire la demande, nous serons obligés de répondre que pour le moment, nous pouvons le tenter.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Si c'est substantiel.

Me BAQUE de ZAN. - Si c'est substantiel, j'entends bien. Donnez-moi une définition précise de ce qui est substantiel en fonction des données et des évolutions.

Je n'ai pas la prétention de proposer mieux ou autre chose. Je dis simplement attention, d'autant que vous devez être conscients de ce que modifier le fondement de la prestation compensatoire revient à modifier également, en introduisant la faculté de révision, toute cette perspective indemnitaire qui, au départ, était quand même la vision essentielle de la loi de 1975.

Privilégier un capital, telle est la formule vers laquelle il faut tendre dans la pratique. On a trop vu, depuis 1975, des prestations compensatoires sous forme de rente. Si aujourd'hui, nous éprouvons le besoin d'introduire une faculté de révision, c'est bien pour sauver des situations intenables parce qu'on a trop usé de la rente au détriment du capital.

Si nous traitons désormais le divorce pour faute de pair avec la liquidation des droits patrimoniaux, nous donnerons la possibilité au juge, dans le cadre du divorce, d'apprécier de façon totale, complète, et correcte, le patrimoine de chacun des époux. Il s'agit là de l'un des critères de la prestation compensatoire. On pourra plus facilement faire le choix d'une modalité de capital qu'à l'heure actuelle, où l'on arrive au prononcé du divorce avec une nébuleuse entretenue sur la liquidation du régime matrimonial.

Il n'est peut-être pas urgent d'introduire une faculté de révision. On peut peut-être passer le palier du traitement du "tout-en-un" au niveau du divorce avec liquidation des droits patrimoniaux. On verra si cela va mieux qu'aujourd'hui. Si cela ne va toujours pas, il sera toujours temps d'ajouter à la loi une faculté de révision qui m'apparaît en l'état dangereuse.

Concernant le divorce pour rupture de la vie commune, les avocats sont d'accord : le délai de six ans dans la procédure actuelle, telle qu'imaginée et réglée par le législateur, est trop long, trois ans suffisent.

En revanche, les avocats considèrent qu'il n'y a pas de raison de transformer le fondement de cette option dans la loi de 1975 car véritablement cette option n'était pas un divorce pour cause objective, mais un divorce qui permettait, au bout d'un temps donné, de sortir du couple quand il n'y avait ni faute d'un côté, ni possibilité d'obtenir l'accord de l'autre.

Laissons donc à cette modalité de divorce la forme qui est la sienne, raccourcissons simplement le délai.

Il manque quelque chose dans la loi actuelle, c'est cette cause objective appelée par la pratique et par diverses situations. Ne pourrait-elle pas être tout simplement traitée dans le cadre du divorce demandé par l'un et accepté par l'autre ? Curieusement, personne, ce matin, n'a abordé cette forme de procédure. Nous savons en effet que dans la pratique, elle est très peu utilisée. Dans la pratique, on constate l'échec de cette procédure, qui pourtant, si on lit correctement le texte, peut tendre au divorce pour cause objective, tout simplement parce que la pratique a détourné la loi de son objet. En effet, nous savons, nous, avocats, que lorsque nous lançons une demande, avant que l'acceptation n'arrive, nous recevons une lettre d'un confrère conçue dans ces termes : "M. ou Mme réserve sa position et souhaite envisager les conséquences de son acceptation avant que de s'engager dans l'irrévocabilité de l'acceptation".

S'il faut régler les conséquences avant de dire oui, on en revient à la requête conjointe. Cela n'a aucun sens de faire un divorce demandé par l'un et accepté par l'autre si avant de dire oui, il faut dire comment et à quelle condition.

Il faut tendre vers le divorce pour cause objective, mais de quelle façon ? Si on reporte l'acceptation à un autre stade de la procédure ; autrement dit, si on détourne la faculté de chantage, qui existe actuellement et qui est ouverte par le moment où la lettre d'acceptation doit être donnée, on peut améliorer cette procédure.

Pourquoi ne pas faire une procédure sur demande de la façon suivante : une requête avec son mémoire déclenchant automatiquement la convocation devant le juge aux affaires familiales. On s'exprime devant le juge aux affaires familiales avec soit un accord qui se dessine, soit de façon contentieuse sur les conséquences du divorce, et on sort en ayant réglé les problèmes relatifs à la résidence des enfants, au droit de visite, à la pension alimentaire, etc.

Ensuite, on a un délai de 3 ou 6 mois pour donner son acceptation. Si elle est donnée, on a le divorce pour cause objective, c'est-à-dire double aveu de ce que la vie commune est intolérable. Si, pour telle ou telle raison, l'acceptation ne vient pas, les mesures provisoires deviennent caduques. Comme dans le cadre de la requête conjointe, tout tombe, et on retombe au point zéro.

C'est une modalité de divorce pour cause objective. Pourquoi rajouter dans la loi ce que l'on peut déjà avoir en aménageant. Je ne pense pas qu'il faille multiplier. Il faut traiter les insuffisances et les imperfections de la loi actuelle. C'était en tout le cas le sens de la réflexion menée par la Conférence des Bâtonniers.

Dernier point : les obligations alimentaires. Trop souvent, nous avons dans nos cabinets des doléances sur les non paiements de pensions alimentaires. Le problème subsiste. Je sais que le législateur est intervenu de multiples fois et que les situations se sont tout de même améliorées, mais tout n'est pas parfait. Sur le recouvrement public des pensions alimentaires, il faudrait améliorer l'existant car les imperfections existent.

Mais surtout, au niveau des obligations alimentaires, on assiste à une multiplication d'actions qui, à mon avis, ne devraient ressortir ni du fonctionnement des cabinets d'avocats ni du traitement du contentieux par les JAF. Les avocats vivent mal les situations suivantes.

On vient nous trouver non pas parce qu'on a une demande issue d'une volonté individuelle, mais parce que les caisses d'allocations familiales ou autres organismes sociaux ont indiqué qu'il ne pouvait y avoir ouverture de prestations sociales que s'il y avait un titre. Je ne pense pas que la justice puisse se prêter à ce traitement simplement destiné à obtenir des avantages sociaux. Il faut maintenir à une décision de justice la force éthique de ce qu'elle représente. Je ne pense pas que les avocats aient à prêter la main à ce type de contentieux et nous ne voulons pas que ce contentieux perdure. Il faut mettre tout le monde d'accord, c'est-à-dire les CAF, les divers prestataires de prestations sociales, et les juridictions.

Voilà les réflexions qui sont les nôtres, les solutions que nous avons commencé à imaginer.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci infiniment, Maître.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Première question. En ce qui concerne l'obligation faite aux organismes d'allocations familiales de faire un recours contre ceux qui doivent la pension alimentaire, n'est-ce pas fait pour permettre à ces organismes de récupérer éventuellement la pension alimentaire, seulement la pension alimentaire, et toute la pension alimentaire ; et c'est évidemment aux tribunaux seuls qu'il appartient d'arbitrer ce montant ?

Deuxième question. Concernant la révision de la prestation compensatoire et les réserves que vous avez faites sur cette révision même, permettez-moi de vous demander si vous parlez au nom de la Conférence des Bâtonniers, sur ce point précis, ou en votre nom personnel.

Me BAQUE de ZAN. - La Commission de travail de la Conférence des Bâtonniers partage l'opinion que j'ai exprimée, mais ce n'est que l'opinion de la Commission de travail de la Conférence des Bâtonniers. Autrement dit, il n'y a pas eu de position de principe soumise à l'assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers. C'était la position de la Commission de réflexion. De façon générale, sur tous les sujets que j'ai exprimés, il y a eu des présentations faites à deux assemblées générales, mais il n'y a pas eu de vote de l'assemblée générale.

Cela étant, le Président de la Conférence des Bâtonniers est présent dans la salle. Je crois pouvoir dire que dans le cadre de la présentation des rapports de la Commission de travail, le 31 janvier, et il y a huit jours, il n'y a pas eu de mouvements de salle, et il n'y a pas eu d'opposition très nette par rapport à la réflexion de la Commission de travail.

M.  LARCHÉ, Président. - Maître, sur ce point, vous avez signalé le fait que le Sénat, dans sa sagesse, a retenu le mot "substantiel". Or, nous n'avons retenu ce terme qu'après une très longue discussion et nous ne sommes pas absolument persuadés qu'il était le plus satisfaisant. Comme très souvent, nous nous arrêtons lorsque nous pensons que nous n'avons rien trouvé de mieux.

A partir du moment où l'on met dans la loi des termes comme "l'ordre public", la "bonne foi" ou ce qui est " substantiel " ou non, il évident qu'il n'y a aucune décision susceptible de donner une définition juridique précise, et qu'à partir du moment où nous sommes en face d'un terme de ce genre, c'est au juge qu'il appartient de dire ce qui est substantiel ou non.

Nous avons le souci de légiférer, mais nous avons aussi le souci de ne point trop légiférer. C'est la raison pour laquelle j'ai entendu avec une extrême attention ce souci qui me semble le vôtre, c'est-à-dire prendre la loi de 1975 telle qu'elle est, et voir ce que l'on peut y apporter de façon qu'elle soit plus satisfaisante dans son application et son principe. Nous verrons bien. Nous ne pouvons pas non plus tout dire dans la loi.

Me BEAUX-LAMOTTE. - Il faudra que la décision de justice soit très motivée pour pouvoir apprécier l'évolution.

M.  LARCHÉ, Président. - Ce n'est alors pas à la sagesse du Sénat que nous nous en remettons, mais à la sagesse des juges.

M. HYEST. - Je ne sais pas si votre commission, Maître, ne trouve pas choquantes certaines situations, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prestations compensatoires. Le législateur a dû refaire une proposition de loi parce qu'il existait un blocage et des injustices criantes dans certains cas. On peut toujours trouver que c'est très bien, mais si la jurisprudence avait évolué, nous n'aurions pas eu à réintervenir.

Me BAQUE de ZAN. - Il est vrai qu'il y a une insatisfaction à l'heure actuelle, compte tenu de la crise économique. Toute loi nouvelle doit passer par une épreuve. En 1975, avec une application d'ailleurs en 1976, entre 1976 et 1980, je ne pense pas que l'on ait mesuré tout le poids de la prestation compensatoire. Il n'est pas anormal qu'en 1990, 1995, effectivement, on ressente les difficultés que nous connaissons aujourd'hui. J'ai cependant peur que l'on revienne en arrière et que le remède soit pire que le mal.

Mme Elisabeth GUIGOU,
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

M. Jacques LARCHÉ, Président. - Madame Le Garde des Sceaux, nous vous remercions d'être parmi nous, d'avoir accepté d'y venir très volontiers.

Par ailleurs, nous avons le sentiment que ce travail que nous avons entrepris est un travail normal de législateur. Des problèmes seront un jour évoqués devant nous sous forme de textes, et nous avons pensé qu'une réflexion préalable pouvait être intéressante. Si nous l'avions pensé au début, nous le pensons encore plus maintenant, compte tenu de l'extrême intérêt de ce que nous sommes susceptibles de retenir des propos de tous les intervenants qui, depuis ce matin, ont bien voulu venir participer à nos travaux.

Avant que vous nous disiez le point de vue actuel, et peut-être susceptible d'évolution, de la Chancellerie -le travail parlementaire interviendra par la suite-, je veux vous dire que nous sommes confrontés à trois séries de problème.

Quand on aborde le droit de la famille, il ne faut pas "rater" un débat sur la famille. Or, pour ne pas rater un débat sur la famille, il faudra peut-être avoir une vue assez globale des questions qui se posent.

Nous savons néanmoins qu'un premier problème difficile n'a pas encore été traité. Il a fait l'objet de nombreux travaux jugés plus ou moins satisfaisants et qui n'ont pas abouti. Il s'agit de la réforme du droit des successions.

L'ensemble des propos que nous avons entendus laissent penser que dans l'évolution générale, il y a là une question qu'il faudra résoudre dans des délais souhaitables.

Le deuxième problème est le droit du divorce. Quelles sont les opinions qui se sont dégagées sur le droit du divorce ? Elles sont variables. Je pense qu'il y a deux problèmes.

Tout d'abord, sur le fond même des procédures, il y a un éventail assez large qui part d'une remise en cause fondamentale de la loi de 1975 à certains aménagements qui tendraient à corriger, au bout de 20 ans d'expérience, ce qui devrait être amélioré dans l'ensemble de cette loi.

Reste le problème de la procédure. Il est certain que si l'on peut admettre une certaine déjudiciarisation dans ce domaine, on peut s'interroger sur le point de savoir s'il y avait lieu de transférer, en dehors du circuit judiciaire, où interviennent le juge et l'auxiliaire de justice, la décision du divorce dans l'ensemble des hypothèses.

Un troisième problème a été traité et abordé. C'est ce que l'on appelle, pour l'instant, le PIC. On a vu que si l'idée même d'un pacte quelconque pouvait être envisagé, l'une des questions sur lesquelles nous n'avons aucune information, c'est ce qu'entraînera, en terme de droits, l'institution d'un tel contrat.

Voilà à peu près les questions qui ont été évoquées sous des formes diverses. Nous sommes reconnaissants à tous ceux qui ont bien voulu participer à nos travaux puisqu'il nous ont, en l'état actuel des choses, considérablement aidés à mûrir ce qui sera, le moment venu, notre réflexion sur des propositions qu'il appartiendra à la Chancellerie de nous faire, quand elle le jugera nécessaire.

Compte tenu de l'intérêt de certaines interventions, les rapporteurs qui seront désignés, le moment venu, auront encore recours à un certain nombre de ceux qui ont bien voulu venir parmi nous aujourd'hui.

Mme la Ministre. - Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vais tâcher au fur et à mesure de mon intervention liminaire, et peut-être ensuite, de répondre à vos questions.

Auparavant, je voudrais faire une mise au point. J'ai eu la surprise de lire dans le journal "Le Monde" tout à l'heure que la Chancellerie était "agacée" de l'initiative du Sénat. Je ne sais pas où l'on est allé chercher cela, mais certainement pas auprès de moi et ni auprès de mon Cabinet. Si certaines ou certains ont pu parler en ce sens à la Chancellerie, ce n'est certainement pas en mon nom.

M. le Président. - Nous partageons votre étonnement, Madame.

Mme la Ministre. - Je tiens à dire ici que j'accueille avec intérêt toutes les initiatives parlementaires de ce genre, tout d'abord parce que sur des sujets de société de cette sorte, nous avons besoin ô combien d'approfondir la réflexion avant de prendre des décisions, et parce que je crois très important que nous ayons des lieux et des occasions pour confronter les points de vue des différentes parties prenantes.

Que vous ayez pris cette initiative, non seulement je ne m'en formalise pas, mais je trouve cela extrêmement intéressant, et je considère que cela va m'aider dans la réflexion que j'ai engagée.

Je ne vais pas vous apporter aujourd'hui des réponses. Je vais vous dire les questions que je me pose, comment je les aborde. Sur certaines, je serai un peu plus affirmative, sur d'autres, je me contenterai de lister des questions, mais ce n'est pas gênant. Conjointement avec Mme Aubry, j'ai demandé à Mme Théry qu'elle puisse nous faire un rapport sur l'état de la famille aujourd'hui pour que nous puissions avoir un socle commun de réflexion.

Pour moi, le sujet de la famille, en terme de décision, c'est pour 1999. Cela ne nous empêche pas, avec vous -et encore une fois, je salue votre initiative- de pouvoir réfléchir sur ces importants et difficiles sujets.

Quand je vois d'ailleurs la somme de malentendus qui continuent à subsister sur certains sujets, je pense que nous aurons encore besoin de beaucoup de discussions pour arriver à clarifier, ne serait-ce que le début de la réflexion.

Tout ceci pour dire que suis ici à votre invitation, Monsieur le Président, très volontiers, et que je vous remercie de m'avoir demandé de m'exprimer devant vous.

Avant de s'exprimer et de considérer l'évolution du droit de la famille, il me semble qu'il faut porter un regard sur ce qu'est la famille aujourd'hui afin de tenter de dépasser les idéologies, les stéréotypes ou les prises de positions passionnelles nombreuses sur un tel sujet.

Il faut pouvoir sortir des schémas simplistes qui souvent opposent les défenseurs de la famille d'un côté, et les défenseurs des droits des individus, de l'autre. Si nous voulons redéfinir un nouvel équilibre, c'est-à-dire faire en sorte que le droit prenne en compte les évolutions sociales tout en maintenant une certaine permanence, nous devons essayer de dépasser ce type d'oppositions stériles.

Je ferai quelques remarques préalables.

Tout d'abord, je considère, avec beaucoup d'autres, que la famille n'est pas une simple juxtaposition d'individus. Des auteurs, en particulier Claude Lévy-Strauss, nous ont magistralement montré que la famille est un lieu symbolique où se construisent les rapports sociaux. Dans la famille, un individu s'inscrit dans des liens qui n'ont pas commencé avec lui et qui ne se termineront pas avec lui, et par conséquent, le monde ne commence pas et ne recommence pas à chaque naissance. C'est un point très important.

Deuxième remarque. Il me semble qu'il faut penser la famille, non seulement au plan national, mais qu'il faut intégrer des réflexions européennes et internationales. D'ailleurs, les conventions internationales que la France a signées ces dernières années, nous y engagent.

Il faut mettre en perspective cette question d'un point de vue éthique, politique, technique, mais également mettre en perspective ce qui fonde notre réflexion nationale par rapport à un environnement européen et international. Si nous refusions de le faire, des difficultés très concrètes nous rappelleraient que nous aurions tort puisque de plus en plus, surtout dans le cadre de l'Union européenne, mais pas seulement, les gens se marient, ont des enfants, se séparent. Cela donne lieu parfois à des tragédies malheureusement trop fréquentes et que nous devons essayer de résoudre.

Troisième remarque. La famille est bien plus qu'une affaire purement privée et contractuelle. On construit au sein de la famille, non seulement les rapports entre générations, mais également les rapports entre les sexes et finalement, les rapports entre l'autorité et la liberté. C'est en cela que la fonction de la famille dépasse de beaucoup les individus qui la composent.

C'est aussi la raison pour laquelle, historiquement, la famille est fondamentalement une institution sociale saisie par le droit. Les rapports entre les générations se traduisent dans les catégories juridiques de la filiation ou des successions. Les rapports entre les sexes sont appréhendés par le mariage, le concubinage, la séparation ou le divorce. Les rapports entre autorité et liberté s'expriment dans les catégories de la majorité ou de l'autorité parentale.

Quand nous avons une réflexion de juriste, nous ne connaissons pas la famille comme un lieu de haine ou d'amour, mais d'abord avec les catégories juridiques du Code civil. Il est vrai que le législateur est en charge de la régulation du droit de la famille, et pourtant, il ne doit pas perdre de vue que la famille est aussi une symbolique sociale, des modes de vie, des sentiments, et des identités qui se construisent.

Sur ce sujet, plus que sur tout autre, le législateur, le juriste, a besoin de situer sa réflexion dans le cadre d'une réflexion plus globale.

Les concepts juridiques me semblent avoir deux fonctions. L'une, fondamentale, qui est d'articuler des notions intemporelles : dualité des sexes, relation parent/enfant, filiation, mort. L'autre, qui est de resituer ces notions dans une histoire qui évolue. Il faut toujours deux êtres humains sexués différemment pour qu'un enfant naisse et que cet enfant, en général, leur survive, mais ni cette naissance, ni le rapport entre les sexes ou les rapports entre l'enfant et ses géniteurs ne demeurent figés dans une histoire, une fois pour toutes. Une famille est à la fois un invariant et une histoire, une structure et une évolution sur lesquelles il importe de réfléchir.

Le paysage familial est aujourd'hui complexe. Certains parlent de véritable crise de la famille. Ils déplorent le déclin de la famille légitime, la baisse du nombre des mariages, l'augmentation des divorces qui concerne un couple sur deux, aujourd'hui, dans la région parisienne. Ils font valoir le développement des familles naturelles, les ruptures au sein de celles-ci, le développement des familles recomposées, le déclin de la solidarité familiale remplacée par des mécanismes étatiques, et soulignent l'émergence de plus en plus forte des volontés individuelles contre une institution.

Si on se place de ce point de vue, c'est-à-dire essentiellement du point de vue d'une crise de la famille, je crains que l'on n'ait d'autre choix, dans cette voie, que celui du choix nostalgique d'une restauration. Je ne me situerai pas dans cette perspective parce que je ne pense pas que l'on puisse revenir en arrière. J'ai plutôt tendance à penser que nous avons intérêt à penser l'avenir.

D'autres parlent d'une famille qui demeure mais dont les formes changent et sont de plus en plus diversifiées. Il y a en effet une diversité de plus en plus grande des formes apparentes de la famille : jeunes mariés, couples âgés, concubins, avec ou sans enfant, enfant commun ou non. Toutes ces personnes ont pu connaître un veuvage ou un divorce et avec l'allongement de la durée de la vie, ce sont souvent les mêmes personnes qui vont parcourir l'ensemble de ce chemin, dans un cycle de vie évolutif, et connaître, à différents stades de leur vie, ces différentes formes de famille.

Je crois pourtant que cette succession de formes de vie n'est pourtant pas exclusive de formes de permanence, et que c'est cela que nous devrons rechercher. Ce nouvel équilibre est là. A travers les formes diverses que prend la famille, aujourd'hui, comment assurer la permanence des fonctions exercées par la famille ?

Par exemple, l'enfant devrait être rassuré sur le fait que quoi qu'il arrive, il a un père et une mère qui exercent une responsabilité, qui n'est pas la même que celle des autres adultes avec lesquels il peut vivre. Les formes de la vie familiale se diversifient et la place des membres de la famille se redéfinit. La famille légitime garde une place privilégiée, comme en témoignent la recomposition de familles par le remariage et la légitimation très importante en nombre des enfants naturels.

Paradoxalement, la légitimité n'a plus nécessairement pour fondement le mariage. Dès 1972, la légitimité par autorité de justice est devenue possible, y compris pour les enfants adultérins. De même, l'adoption plénière par un célibataire confère un statut d'enfant légitime. Ce n'est donc plus la famille légitime qui épuise le concept de légitimité aujourd'hui.

La famille naturelle change, elle est de moins en moins subie. La famille monoparentale à dominante féminine est en diminution, elle est de plus en plus voulue. La famille biparentale avec coresponsabilité est en augmentation. Il y a des familles naturelles à vocation transitoire qui se termineront par un mariage et des familles naturelles pérennes pour des raisons diverses, matérielles, idéologiques...

La famille sociologique de coeur couvre des situations aussi diverses que l'adoption simple ou plénière, le recueil d'enfant, le parrainage, la délégation d'autorité parentale, les reconnaissances de complaisance. La famille "bioéthique" -je mets ce mot entre guillemets parce que ce n'est pas une catégorie juridique de la famille, mais qui comporte certaines règles spécifiques comme l'anonymat dans la procréation médicalement assistée et l'accueil d'embryons- ne doit pas être écartée de nos réflexions.

Enfin, il y a les familles recomposées qui peuvent être la réunion de l'ensemble de celles que je viens d'énumérer.

Il me semble également que la place des membres de la famille se redéfinit essentiellement autour de deux phénomènes aujourd'hui.

L'émergence de plus en plus forte de la notion de couple. Un couple est d'abord la construction d'une vie à deux, alors que traditionnellement, son objectif assigné était d'assurer la descendance et de transmettre un patrimoine. Cette modification de perspective se traduit d'abord par la recherche d'une égalité de plus en plus marquée entre l'homme et la femme. J'allais dire, c'est parce que la revendication d'égalité entre l'homme et la femme est de plus en plus marquée, aussi, que la signification du couple a changé.

C'est pour moi l'une des raisons fondamentales pour lesquelles nous ne pourrons pas revenir en arrière. Je ne vois pas comment nous pourrions revenir en arrière sur l'évolution du statut de la femme. On ne fera pas retourner les femmes devant leurs fourneaux. Autant prendre acte de cette évolution et voir comment, à travers elle, nous pouvons redéfinir le statut juridique de la famille.

Nous voyons aussi qu'il y a de plus en plus la volonté, au-delà de la mort, de faire perdurer l'entité même du couple par l'augmentation des droits du conjoint survivant et le maintien, en ce qui le concerne, des conditions de la vie familiale.

Enfin, la volonté de conférer à deux personnes ayant un projet de vie commun une reconnaissance juridique est également importante.

Le deuxième phénomène me paraît être l'émergence de l'enfant comme personnalité autonome s'insérant et s'identifiant au sein du groupe familial et social avec un intérêt propre. En 1989, l'énoncé par la convention de l'ONU des droits fondamentaux de l'enfant en est un exemple. Le droit de l'enfant à avoir des droits dont le plus important est le droit à la protection pose avec acuité le problème de la stabilité de son lien de filiation et celui de son droit à entretenir des rapports avec ses deux parents.

La description, même cursive, de la nature du paysage familial aujourd'hui souligne la nécessité pour le législateur d'accompagner ces évolutions. Il me semble que les attentes sont diverses, souvent contradictoires, parfois paradoxales. On oppose souvent la cohésion familiale aux droits de l'individu, l'autorité parentale aux droits de l'enfant, les droits des pères et la fixation quasi généralisée de la résidence de l'enfant chez la mère, la liberté individuelle et l'ordre public familial, la solidarité familiale et la solidarité nationale.

Toutes ces questions sont très importantes. J'espère qu'au terme des travaux que nous menons, aujourd'hui et plus tard, nous arriverons à concevoir ces questions non pas en termes d'opposition, mais en termes de complémentarité. Je ne crois pas que ce soit en termes d'opposition qu'il convient de raisonner, même si la famille s'est trouvée, au fil des ans, au carrefour d'un certain nombre d'influences où se mêlent des facteurs juridiques, sociaux, sociologiques, démographiques, économiques, et politiques, elle a aussi montré son extraordinaire capacité à les absorber, ainsi que sa vitalité.

S'il y a d'ailleurs une crise de l'institution proprement juridique, toutes les enquêtes d'opinions nous montrent également que, plus que jamais, est profondément ancrée, dans la population, la croyance dans la vertu de la famille et la volonté d'en faire le cadre de vie naturelle.

Le chantier est donc bien celui d'une refondation de la famille. J'en mesure le défi, bien entendu. La mission dont je vous ai parlé tout à l'heure que j'ai confiée à Mme Théry, conjointement avec Mme Aubry, devrait, par l'ampleur des questions qu'il lui est demandé d'aborder, apporter des éléments propres à nous permettre d'opérer en temps utile une remise à plat du droit familial et, sur cette base, faire les choix pertinents nécessaires.

Dans mon esprit, il ne s'agit pas de bouleverser le paysage juridique, mais de l'adapter. Cette adaptation ne peut pas passer par une remise en cause des grandes réformes contemporaines du droit de la famille, mais plutôt par une poursuite de l'oeuvre de rénovation législative entreprise autour de deux volets fondamentaux qui dominent le paysage familial contemporain : tout d'abord, l'affirmation de plus en plus forte de la réalité du couple et de sa volonté dans la vie familiale, et ensuite, l'affirmation du lien de filiation autour de l'enfant, enfant comme sujet de protection, et comme tel, ayant des droits qui permettent l'effectivité de cette protection.

Ce sont ces deux éléments que je voudrais développer devant vous ce soir.

Tout d'abord, l'affirmation de la réalité du couple et de sa volonté dans la vie familiale.

Cette affirmation passe par le besoin de plus en plus fortement exprimé de laisser à la volonté et à la liberté individuelle une place essentielle dans l'organisation du couple, alors que traditionnellement, celui-ci n'était conçu qu'à travers l'institution juridique du mariage qui fixait entièrement les règles de son fonctionnement.

Comment, juridiquement, organiser la vie du couple ? J'examinerai à ce sujet quatre domaines d'interrogation, et tout d'abord dans la vie matrimoniale. Il apparaît que la majorité des couples français est attachée au régime légal de communauté réduite aux acquêts qui privilégie la cogestion et la solidarité, et que 85 % des Français considèrent que les actes importants de la vie du ménage, tel l'achat d'un logement ou les emprunts, doivent se faire à deux.

Pourtant, nos voisins européens connaissent souvent des régimes légaux de séparation de biens et le régime de participation aux acquêts apparaît mieux prendre en compte l'évolution du statut professionnel de la femme. Nous n'avons donc aucune raison de figer la réflexion sur ces sujets.

La première question, dès maintenant, est celle d'une plus grande autonomie dans le changement de régime matrimonial. Est-ce que cette plus grande autonomie ne devrait pas être reconnue en donnant son plein effet à la volonté concordante des membres du couple, et en supprimant l'exigence d'homologation judiciaire.

Cette question se pose d'autant plus que la convention de La Haye sur la loi applicable au changement de régimes matrimoniaux, que la France a ratifiée et dont elle a assuré la mise en oeuvre pas la loi du 28 octobre 1997, permet au couple comportant un élément d'extranéité dans la nationalité des époux, dans le domicile, de changer de régime matrimonial sans contrôle judiciaire. Raison de plus pour nous poser cette question.

Le deuxième domaine sur lequel nous devons nous interroger sur l'organisation juridique de la vie du couple est celui de la rupture du lien matrimonial décidée par les époux, et tout d'abord le divorce.

En 1994, 118.056 divorces ont été prononcés, directement ou par conversion de séparation de corps. La loi du 11 juillet 1975 a déjà privilégié la volonté individuelle en diversifiant les modes de divorce et en offrant aux époux quatre types de procédure. Les formes de divorces consensuels, essentiellement par requête conjointe, sont aujourd'hui adoptés dans plus de 53 % des procédures. Le divorce pour faute, dans lequel il est aussi tenu compte de la volonté des époux qui peuvent s'accorder sur la dispense d'énonciation des griefs, dépasse encore 43 % des cas, tandis que le divorce pour rupture de la vie commune reste résiduel.

Faut-il aller plus loin que ces évolutions mises en place il y a plus de 20 ans ?

Tout d'abord, observons que toutes les enquêtes d'opinions révèlent que le divorce est vu comme le point noir des difficultés familiales. Il est perçu comme étant long, cher, psychologiquement éprouvant. Le vécu, tel qu'il m'a été rapporté par les juges aux affaires familiales, montre qu'une grande majorité des couples, dans notre pays, divorce dans la douleur.

Nous avons des propositions diverses qui vont de l'aménagement ou de la simplification des procédures actuelles à l'ouverture de nouvelles procédures, voire à la disparition d'anciennes procédures. Quand on parle d'aménagement des procédures actuelles, c'est en général dans le sens d'une simplification et d'une recherche de la réduction des causes de conflit. Vous avez examiné les principales suggestions en ce sens, aujourd'hui. Compte tenu du consensus relatif qui me paraît régner sur ces processus de simplification du divorce, nous pourrions en effet envisager ceux-là relativement facilement.

Je voudrais simplement souligner mon intérêt pour un recours plus organisé à la médiation familiale. Nous n'avons pas, en France, suffisamment recours à la médiation familiale, en amont de la procédure de divorce.

A côté des quatre cas de divorces existants, faut-il introduire une autre procédure devant un officier d'état civil ou devant un notaire ou devant toute personne qualifiée ? C'est une question que je me pose et que beaucoup de personnes se posent d'ailleurs. On constate qu'une forte demande se manifeste pour les divorces les plus simples -sans enfant, sans patrimoine à liquider- ou encore pour les couples séparés depuis longtemps qui régularisent un démariage antérieur.

Est-ce qu'une telle possibilité qui conduirait à une contractualisation accrue du divorce ferait perdre au mariage une partie de son aspect institutionnel ? Je ne le crois pas. Chaque fois que l'on touche au divorce, inévitablement se pose la question de savoir si l'on ne va pas fragiliser le mariage. Il faut donc se poser cette question. Cela ne veut cependant pas dire que nous n'ayons pas à aller plus loin. Je vais vous dire comment je raisonne sur cette question d'une nouvelle procédure éventuelle.

Tout d'abord, l'intérêt de cette question me paraît résider essentiellement dans la possibilité qui serait donnée aux couples de réfléchir eux-mêmes, sans l'intervention d'un tiers, sur leur divorce et leur séparation.

Pour moi, l'intérêt d'une telle question ne réside pas dans le désencombrement des juridictions. Ma préoccupation se situe beaucoup plus largement dans celle qui consiste à dire : aujourd'hui, dans nos sociétés complexes, dans lesquelles, de plus en plus, les réflexes individuels prennent le dessus, dans lesquelles les gens se parlent de moins en moins, est-ce que nous n'avons pas intérêt à susciter, en amont des processus purement judiciaires de règlement des conflits, des processus qui incitent les personnes ayant un contentieux entre elles à se parler et à essayer de résoudre leur conflit autrement que par le recours devant un juge, c'est-à-dire par des modes alternatifs de règlement des conflits, médiation ou conciliation ?

Je considère que l'un des piliers de la réforme de la justice que je vais bientôt présenter devant le Parlement est justement cette question de la distinction entre l'accès au droit et l'accès au juge. Autant l'accès au droit me paraît être un droit absolu, fondamental, autant je ne pense pas qu'il faille confondre l'accès au droit et l'accès au juge. Dès lors que l'on se pose cette question, comment éviter de se poser cette question sur le sujet par lequel nos concitoyens prennent le plus souvent, aujourd'hui, contact avec la justice, contact, à vrai dire, avec des processus juridiques, c'est-à-dire le divorce ?

La question est de savoir si les procédures actuelles de divorce sont de nature à permettre aux couples de se parler ou bien à leur éviter ce type de choses, parfois même à les inciter à aggraver leur conflit. Vous avez certainement entendu des analyses là-dessus dans le divorce pour faute.

Faut-il par conséquent non pas remplacer les procédures actuelles par d'autres procédures, mais faut-il ajouter à ces procédures existantes une possibilité nouvelle aux couples qui le souhaitent, et sans limiter les catégories ? On peut penser en pratique que cela intéresserait principalement les couples récents, sans enfant, sans patrimoine à partager, mais je ne vois pas pourquoi on établirait a priori des catégories puisque ce serait contradictoire avec cette volonté d'offrir une liberté nouvelle à tous les couples, sachant que si on le faisait, il faudrait répondre à plusieurs questions évidemment essentielles.

Que se passe-t-il si l'accord supposé au départ pour un divorce sans intervention devant le juge devenait un désaccord ? Il faudrait évidemment pouvoir laisser à tout moment la possibilité d'aller devant le juge.

Comment éviter qu'il puisse y avoir un divorce à deux vitesses, celui des pauvres et celui des riches ?

Comment éviter, avec ce type de procédure, que le maillon faible dans le couple soit désavantagé par rapport à l'autre ?

Voilà, à mes yeux, les vraies questions. C'est donc sur ces questions qu'il faut se pencher avant d'apporter une réponse à la question de savoir s'il y a légitimité à proposer une nouvelle procédure.

Je crois que ce sont justement nos études qui permettront de nous déterminer et de voir si ce nouveau type de procédure pourrait revêtir un intérêt et constituer un enrichissement pour les libertés ou, au contraire, des risques que l'on aurait du mal à surmonter ensuite.

Certains envisagent, dans un autre ordre d'idées, la disparition du divorce pour faute en proposant un divorce constat. Le divorce devrait alors être prononcé lorsqu'est rapportée la preuve d'une séparation de fait depuis un certain temps, prouvant la dissolution irréversible du lien conjugal. C'est Mme Ganancia qui écrit notamment qu'à l'actuelle logique de guerre, la loi devrait substituer une logique de négociation.

Je ne vous cacherai pas que je suis très sensible à ce type de réflexion et à la question de savoir si les procédures actuelles n'accentuent pas les difficultés entre les couples, alors qu'elles sont plutôt censées pouvoir les résoudre. Bien entendu, c'est un sujet très difficile et j'écoute avec intérêt tout ce qui peut être dit à cet égard.

Enfin, il me semble que cette réflexion sur le divorce doit s'accompagner d'un aménagement financier de la rupture du lien matrimonial. L'objectif est de donner aux époux les instruments leur permettant d'assumer la rupture dans de meilleures conditions. La justice ne décide pas de la séparation des époux.

En revanche, le passage devant elle devrait contribuer à pacifier les choses.

Il faut donc rechercher des règles plus simples, des procédures moins longues permettant de solder définitivement les relations pécuniaires entre époux au moment du divorce.

Différentes propositions ont été faites, y compris dans cette assemblée :

Revoir complètement la procédure de liquidation des régimes matrimoniaux qui actuellement peut perdurer des années après le divorce.

Revoir le sort des libéralités et avantages matrimoniaux.

Modifier le régime de la prestation compensatoire. En 1994, 15.550 divorces par an ont été assortis d'une prestation compensatoire. C'est minoritaire, mais cela compte. Une rente a été accordée, seule ou accompagnée dans plus de 10.000 cas, dont un peu moins d'un tiers sous forme de rente viagère.

Il faut, chaque fois que c'est possible, inciter à un versement de la prestation compensatoire en capital parce que c'est la meilleure façon de solder, au moment du divorce, le règlement financier. Je me suis engagée, avant l'inscription du texte que vous avez voté à l'Assemblée nationale, à poursuivre la discussion afin de proposer une disposition à la fois satisfaisante pour les intéressés, et pénalisant le moins possible les finances publiques en terme de fiscalité.

Parallèlement, je crois qu'il convient d'être particulièrement circonspect sur la faculté de révision de la rente, sur son caractère éventuellement viager, sur sa transmission aux héritiers. Je ne reviendrai pas sur le débat, au Sénat, pendant lequel nous avons longuement échangé ces arguments. A cet égard, le texte adopté par le Sénat devrait être amélioré, même si le principe d'une révision plus facilement possible qu'actuellement doit, en raison du contexte socio-économique actuel, être admis.

Enfin, la prestation compensatoire ne pourrait-elle être définitivement dissociée des causes de la rupture ? Il y a là autant de questions et de réflexions qui méritent d'être poursuivies.

J'en viens maintenant au troisième domaine dans le règlement successoral. Outre la nécessité, comme en matière de liquidation de régime matrimonial, d'adopter des règles d'évolution plus simples pour organiser plus facilement les conséquences du décès, nous savons que la question essentielle concerne actuellement les droits du conjoint survivant.

La France, en ce qui concerne le conjoint survivant, est paraît-il la lanterne rouge de l'Europe. Le conjoint ne dispose, sur la succession, que d'un quart de l'usufruit ; encore peut-il en être privé puisqu'il n'est pas réservataire. L'importance sociale de la question est considérable, puisque 240.000 ménages sont concernés par an. Les familles souhaitent voir accroître les droits du conjoint survivant, même en présence d'enfants communs. Une réforme en ce sens se justifierait là encore par la nécessité de mieux prendre en considération la volonté individuelle, encore que la pratique actuelle, très répandue chez les couples âgés, celle des donations au dernier vivant ou de l'adoption d'un régime de communauté universelle, réponde déjà à cette demande.

Pour autant, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que le conjoint survivant est de moins en moins celui que l'on a épousé en premières noces et, par conséquent, le parent de tous les enfants du défunt. Ceci est une vraie et difficile question. Là encore, diverses solutions ont été proposées.

Par exemple, faire du conjoint survivant un héritier réservataire, comme en Belgique ou en Allemagne, ou encore fixer ses droits en propriété, comme en Allemagne, en Italie, et en Suisse, ou bien en usufruit, comme en Belgique. En toute hypothèse, il faudra réfléchir aux conséquences de l'octroi d'un usufruit avant de s'engager éventuellement dans cette voie.

Le quatrième domaine est celui de l'appréhension juridique de la vie des couples non mariés.

Actuellement, le droit ne fait produire au concubinage, situation de fait, que des effets limités qui touchent essentiellement à sa dissolution, volontaire ou non, comme l'indemnisation du décès accidentel du concubin ou la liquidation de la société de fait ayant existé entre ces deux personnes. Ces effets sont d'ailleurs limités presque exclusivement aux couples hétérosexuels.

Or, le nombre de couples non mariés est passé de 3,6 % en 1975, à 20 % actuellement. Les revendications des associations d'homosexuels, relayées par diverses propositions de loi tendant à créer un contrat d'union civile ou sociale, à conférer au concubinage, quel que soit le sexe des partenaires, un statut juridique, s'inscrivent dans le souci d'appréhender juridiquement, plus finement, une réalité sociale que constitue la vie en couple, et de donner une plus grande place à la volonté individuelle de l'organiser.

Je n'envisage pas de légiférer spécifiquement pour les couples homosexuels. D'ailleurs eux-mêmes ne le souhaitent pas. Il est vrai que l'appréhension juridique du concubinage, dans son organisation et dans son déroulement, laisse place à différentes pistes de réflexion. Quelles sont-elles ?

La création d'un statut de concubinage. Cette solution conduirait à une véritable reconnaissance sociale de celui-ci en introduisant dans le Code civil un nouveau contrat qui, passé entre des personnes non mariées de sexe différent ou de même sexe, produirait des effets aussi bien personnels que patrimoniaux, et permettrait à deux personnes ne désirant pas ou ne pouvant pas se marier, de bénéficier d'un statut de quasi mariage.

Il me semble que cette voie est très difficile à suivre. Outre le fait qu'elle impliquerait de repenser l'institution du mariage, elle devrait à terme conduire à tirer toutes les conséquences familiales de ce statut quasi matrimonial, y compris à l'égard des enfants.

Deuxième piste. Permettre aux membres du couple d'organiser conventionnellement entre eux leur relations patrimoniales dans leur communauté de vie. Telle est, me semble-t-il, la finalité du Pacte d'Intérêt Commun proposé par le Pr. Hauser qui dirige le GIP Recherche, droit et justice. J'ajoute que ces propositions n'engagent pas le ministère de la Justice. Elles sont réalisées dans le cadre de ce GIP, mais ce n'est pas une prise de position officielle. J'ajoute d'ailleurs que le rapport n'est pas définitivement déposé.

Cette proposition, qui ne répond pas aux préoccupations de reconnaissance du couple non marié, aurait néanmoins pour effet de faciliter la vie quotidienne et matérielle des membres du couple non marié.

Troisième piste. Légiférer sectoriellement, en reconnaissant dans le domaine où l'inégalité des droits apparaît la plus problématique une assimilation entre concubins et conjoints. Dans ce domaine, nous avons un précédent. C'est une loi du 27 janvier 1993 qui a admis l'égalité des droits en matière de prestations -assurance, maternité, maladie- et même, en son principe, la continuation du contrat de location, cette dernière disposition n'ayant été censurée par le Conseil constitutionnel qu'au seul motif qu'il s'agissait d'un cavalier.

A cet égard, l'une des revendications essentielles du couple non marié est de bénéficier de droits fiscaux, sociaux, ou en matière de logement, identiques à ceux des couples mariés. En octobre 1996, 80 % des personnes interrogées se prononçaient en faveur de cette égalité.

Quatrième piste. Tenter de coordonner ces différentes pistes de réflexion en ne définissant plus le concubinage par rapport au mariage, mais seulement comme une cohabitation stable et durable entre deux personnes.

Ces questions, qui touchent aux fondements mêmes de notre société, sont tellement difficiles que vous comprendrez volontiers que je souhaite poursuivre la réflexion et ne pas me prononcer, à ce stade, sur le choix à faire.

J'en viens maintenant à la deuxième grande série d'interrogations : l'affirmation du lien de filiation autour de l'enfant.

Le droit civil, jusqu'à une période récente, a considéré l'enfant comme une personne dénuée de droits, mais envers laquelle les parents avaient un devoir d'éducation, d'entretien et de protection. Ce n'est que progressivement et assez récemment que la parole de l'enfant a été prise en compte -consentement à l'adoption, audition de l'enfant- dans certaines procédures judiciaires. C'est la Convention des Nations-Unies du 20 novembre 1989 qui a mis en exergue les droits de l'enfant. Elle est l'aboutissement d'une évolution vers la reconnaissance d'une autonomie de l'enfant, sujet de droit. La loi du 8 janvier 1993 imposant le principe que l'enfant doit être entendu dans toute procédure le concernant a concrétisé l'un de ses droits primordiaux, celui d'exprimer une opinion indépendante. Dans certains domaines, le législateur va plus loin en reconnaissant un véritable droit de veto à l'enfant ou bien en lui conférant le droit d'accomplir lui-même certains actes.

Il ne s'agit pas de nier le besoin spécifique de protection de l'enfant qui empêche que lui soit conféré un statut calqué sur celui des majeurs. Cet équilibre doit être préservé. L'autonomie ou l'émancipation progressive de l'enfant dont la condition évolue de zéro à 18 ans doit être accompagnée d'une protection spéciale. Il ne saurait être question d'abaisser la majorité pénale. Personnellement, je ne ferai pas une telle proposition car j'estime qu'elle est contradictoire avec la volonté de consacrer la responsabilité des parents.

Je crois qu'il faut repenser l'identité de l'enfant et le lien de filiation en termes de responsabilité. Dans certains domaines, l'évolution est en cours. Je pense à la proposition de loi permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil de famille et aux travaux de la commission d'enquête parlementaire sur l'état des droits de l'enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs, et de leur place dans la cité.

Cette évolution doit tendre à une reconnaissance plus affirmée des droits de l'enfant en termes de protection, protection de son identité, de son éducation par ses deux parents, tant sur le plan moral que sur le plan matériel.

Je viens maintenant à la première grande question sur la filiation de l'enfant.

L'intérêt de l'enfant est bien évidemment d'avoir une filiation établie et stable. Le droit français répond très largement à ces exigences car si la filiation n'est pas volontairement établie, l'enfant a le droit de la rechercher judiciairement.

Pourtant, les règles actuelles n'assurent pas à l'enfant une sécurité absolue de son statut juridique. Il faut réfléchir à un aménagement d'un certain nombre de dispositions afin de permettre une meilleure protection de ces liens de filiation.

Je voudrais en particulier évoquer deux questions à ce sujet : l'établissement et la connaissance de la filiation d'une part, la stabilité du lien de filiation établi, d'autre part.

L'établissement de la filiation. A la différence de la filiation légitime qui résulte automatiquement de la naissance, au sein d'un couple marié, laquelle vaut reconnaissance implicite de l'enfant par une mère et un père, la filiation naturelle repose sur un acte de volonté exprimé par le ou les parents ou, à défaut, est l'aboutissement d'une recherche judiciaire. L'acte de reconnaissance fait l'objet de plusieurs critiques. Il serait mal compris des parents. Certains en ignoreraient même la nécessité. S'agissant de la maternité qui est toujours certaine, cet acte de reconnaissance serait inutile.

Ces critiques doivent être relativisées, dès lors que les statistiques révèlent qu'en 1994, 85 % des enfants naturels ont été reconnus par leur père avant l'âge d'un an, et 97 % par leur mère, et que par ailleurs, l'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance vaut reconnaissance s'il est corroboré par la possession d'état.

Il me semble pourtant que plusieurs questions se posent. Est-ce qu'il convient de maintenir le principe d'une reconnaissance maternelle, au regard de nos engagements internationaux ? Quels moyens mettre en oeuvre à l'égard des couples non mariés pour faire mieux connaître la spécificité de l'établissement de liens de filiation de l'enfant ? Comment mieux assurer, en l'absence de reconnaissance simultanée, l'information réciproque des parents ? La question principale reste, quand la filiation biologique n'a pas été établie, la détermination du droit pour l'enfant à la connaissance de ses origines.

Il est vrai que sur le plan international, de nombreuses voix s'élèvent pour affirmer que l'article 7-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant proclame le droit pour l'enfant à connaître ses parents. Cette interprétation doit être nuancée car l'article qui pose le principe du droit à la connaissance des origines assortit celui-ci d'une réserve essentielle, puisqu'il précise que celui-ci s'exerce "dans toute la mesure du possible". Or justement, ce droit à l'établissement de la filiation, y compris après le décès du géniteur, est en concurrence avec le respect de la vie privée qui implique de pouvoir taire sa maternité ou sa paternité. Je crois que trois obstacles majeurs existent : lorsque la mère a demandé le secret de son accouchement et de son identité -article 31-1 du Code civil- ; en cas de procréation médicalement assistée, avec tiers donneur, puisque l'article 311-19 du Code civil pose le principe de l'anonymat du don ; et lorsque les parents qui confient un enfant à l'Aide sociale à l'enfance demandent le secret de leur identité. Il est vrai que la question est régulièrement posée de la remise en cause du secret de l'accouchement ou du maintien de l'article 62-4 du Code de la famille et de l'aide sociale.

Est-ce qu'il ne faudrait pas réfléchir à la possibilité d'instituer un mécanisme permettant, dans un cadre purement consensuel, de tenter un rapprochement entre l'enfant en quête de ses origines et la mère qui a souhaité garder son anonymat ?

En 1990, déjà, le rapport du Conseil d'Etat sur le statut et la protection de l'enfant préconisait la création d'une instance administrative chargée de rechercher les parents par le sang et de les interroger sur l'éventualité d'une prise de contact avec l'enfant. Il y a peut-être ici une piste à explorer.

Deuxième question : la stabilité du lien de filiation qui n'est pas aujourd'hui complètement assurée.

En effet, le droit français reste très largement dominé par la vérité biologique, même si la loi du 3 janvier 1972 a introduit, à travers la possession d'état, la notion de vérité sociologique. Il en résulte une certaine fragilisation du lien de filiation qui peut être largement contesté, au motif qu'il serait mensonger. Tel est le cas du désaveu de paternité légitime, de la contestation par la mère de la paternité du mari, de la contestation de la filiation d'un enfant légitime qui a une possession d'Etat non conforme à son titre de naissance, et de la contestation de reconnaissance d'un enfant naturel.

Ces actions n'obéissent pas aux mêmes régimes. Certaines sont très largement ouvertes à tout intéressé, d'autres peuvent être exercées pendant trente ans. Est-ce qu'il ne conviendrait pas, dans l'intérêt de l'enfant, de limiter les possibilités de se démettre du lien de filiation en lui assurant une plus grande sécurité ?

La reconnaissance d'un enfant ne concerne pas que la relation parents/enfant, elle insère l'enfant dans une chaîne de générations, dans une histoire. Derrière la sécurité du lien de filiation, il y a les relations de l'enfant avec ses grands-parents et l'ensemble de la famille.

Actuellement, l'auteur d'une reconnaissance mensongère peut la contester lui-même pendant dix ans, ce qui veut dire que dix ans après sa naissance, un enfant peut voir sa filiation anéantie. Une telle insécurité juridique n'est pas satisfaisante. Je pense qu'il va falloir réfléchir en cherchant comment concilier vérité, parole, stabilité de ce qui a été établi à un moment donné.

Il est vrai aussi que le développement des ruptures familiales a par ailleurs généré une fragilisation du lien de filiation. Je n'en veux pour preuve que le courrier abondant qui arrive à la Chancellerie de demandes de changement du nom de l'enfant, de substitution de paternité à l'état civil, de retrait de l'autorité parentale du "géniteur" à la suite à d'une séparation ou d'une recomposition familiale.

De plus en plus, les gens ont tendance à assimiler les changements dans le couple et à reporter ces changements sur la filiation. Il y a là une évolution très préoccupante.

Il est vrai aussi qu'une évolution se fait jour au sein des familles recomposées. Le beau-parent est de moins en moins vu comme un substitut au parent qui ne réside pas avec l'enfant, et c'est heureux. L'enfant de parents divorcés voit plus aujourd'hui celui de ses parents avec lequel il ne vit pas au quotidien, quand le parent qui l'héberge ne vit pas seul. La stabilité du lien de filiation de l'enfant ne devrait-elle donc pas être envisagée indépendamment de celle de la situation des parents ?

J'en viens maintenant à l'autorité parentale. Certains jugent ce terme d'autorité parentale inapproprié et lui préféreraient le terme de responsabilité. Quelle que soit l'appellation, le concept lui-même ne prête pas à ambiguïté. Il s'agit non d'un droit quasi discrétionnaire mais d'une véritable fonction que les parents doivent exercer dans l'intérêt de l'enfant pour le protéger. Je rappelle que l'article 371-2 du Code civil précise que les parents ont, à l'égard de l'enfant, droit et devoir de garde, de surveillance, et d'éducation. Plus que jamais se pose la question de la responsabilité première des parents dans l'éducation de l'enfant.

La convention sur les droits de l'enfant ne fait que rappeler le principe que celui-ci doit être élevé par ses deux parents (article 7-1) qui ont une responsabilité commune dans son éducation (article 18-1).

Toute l'évolution du droit français va dans ce sens, depuis 15 ans, avec l'exercice conjoint de l'autorité parentale dont la loi du 22 juillet 1987 a posé le principe dans la famille légitime. Depuis la loi du 8 janvier 1993, l'exercice conjoint est étendu au cas de divorce. On observe que dans 91,6 % des divorces, l'autorité parentale est conjointe. Par conséquent, nous avons bien l'émergence d'une "coparentalité" dans le droit .

Pourtant, il me semble que dans les faits, beaucoup de parents se heurtent à des difficultés pratiques, et notamment les pères. Ceci m'a été signalé à plusieurs reprises par des juges aux affaires familiales. Même quand l'autorité parentale est exercée conjointement, il arrive très fréquemment que le père ne soit pas convoqué aux réunions de parents d'élèves ou qu'il ne soit pas destinataire du bulletin scolaire de l'enfant. Il faudra aussi réfléchir à ces pratiques et à la possibilité de faire en sorte que l'exercice conjoint de l'autorité parentale le soit dans tous les actes de la vie quotidienne de l'enfant.

Auparavant, quand il n'y avait plus de couple, il n'y avait plus de parents. Aujourd'hui, heureusement, ce n'est plus vrai. J'observe pourtant que dans la famille naturelle, l'autorité parentale n'est exercée de plein droit, conjointement, que si les parents ont manifesté leur volonté d'assumer leurs responsabilités. Je me demande si une telle distinction est aujourd'hui légitime.

Les critères retenus à cette fin -reconnaissance de l'enfant avant que celui-ci ait atteint l'âge d'un an, cohabitation des parents lors de la reconnaissance- suscitent chez moi un certain nombre d'interrogations. De même que la justification de la déclaration de communauté de vie des parents par la délivrance d'un acte établi par le juge aux affaires familiales.

La question se pose de savoir si l'on ne doit pas abandonner ces critères. Dans le cadre de la famille naturelle, ne faut-il pas différencier l'effet des reconnaissances selon la proximité de la naissance ?

Les différents travaux en cours vont permettre de progresser dans cette réflexion et, je l'espère, de dégager des solutions consensuelles.

J'observe par ailleurs que la spécificité de la place du beau-parent n'est pas relayée par le droit. A l'aube du XXIème siècle, il faudrait peut-être sortir de cette dialectique du "tout ou rien" en réfléchissant non pas à un statut de parent de substitution, mais au droit des tiers responsables de l'enfant au quotidien.

Ensuite, nous voyons que beaucoup de critiques s'élèvent en ce qui concerne la résidence de l'enfant. L'affirmation du maintien du double lien familial, après la séparation des parents, ne passerait pas dans les faits. Les associations de pères dénoncent une fixation quasi automatique de la résidence chez la mère. Je crois que cette critique doit être relativisée. Une enquête révèle que dans 86,3 % des situations, il est vrai que la résidence est fixée chez la mère, mais souligne également que ce n'est que dans 15,7 % des cas que le père demande la fixation chez lui. Est-ce qu'il ne faudrait pas envisager plus souplement une évolution de cette fixation de la résidence ? On peut considérer qu'un enfant tout petit puisse aller davantage chez sa mère et qu'un enfant plus grand puisse aller davantage chez son père.

La question de la validité de la résidence alternée se pose aussi. De manière incidente, d'ailleurs, la loi sur la nationalité du 16 mars 1998 en admet le principe. L'idée que l'enfant conserve deux parents n'implique-t-elle pas deux lieux d'hébergement ? Ne convient-il pas d'en tirer les conséquences sur l'organisation de l'exercice de l'autorité parentale ?

J'arrive enfin à l'obligation d'entretien.

Dans le quotidien de la vie, sous le même toit, cette obligation est partie intégrante de la responsabilité parentale, mais la question prend toute son acuité en cas de séparation des parents et de fixation d'une pension alimentaire. Plusieurs réflexions m'ont déjà été soumises.

Tout d'abord, la question des modalités de la fixation. Certains proposent que des barèmes soient établis de façon à éviter des contentieux, chacun sachant approximativement ce à quoi il peut prétendre, ce à quoi il peut être obligé. Il faudrait, selon certains, permettre, en cas de modification des situations, une large déjudiciarisation en la matière, ce qui pourrait éviter un contentieux artificiel.

Il m'a aussi été indiqué que la fixation était souvent imposée par les organismes sociaux qui, en application du Code de la sécurité sociale, subordonnent le versement de certaines prestations sociales à une fixation judiciaire de la pension alimentaire. De tels barèmes pourraient peut-être éviter ces errements.

Plusieurs pays étrangers ont procédé de cette façon. Là encore, je pense qu'il va nous falloir étudier ce qui se passe ailleurs afin d'améliorer la situation.

En second lieu, nous avons la question du recouvrement des pensions impayées.

Malgré les réformes successives, en dernier lieu celle qui touche aux Caisses d'allocations familiales, il apparaît qu'un tiers seulement des pensions est régulièrement payé, un tiers irrégulièrement, et un tiers non versé. Il conviendra donc de s'interroger sur les conditions dans lesquelles les mécanismes de recouvrement pourraient être améliorés.

Nous voyons bien, même si je suis allée aussi vite que possible, que l'ampleur des questions est considérable et que seule une vue globale en la matière peut permettre de déterminer les nouveaux axes prioritaires d'une politique juridique refondée de la famille.

Je vous l'ai dit, c'est dans la deuxième moitié de cette année, au vu du rapport que nous donnera Mme Théry, que nous commencerons à réfléchir aux modifications du droit pour, je l'espère, pouvoir faire des propositions dans le courant de l'année 1999.

Je vous remercie.

M.  LARCHÉ, Président. - Madame le Garde des Sceaux, nous vous remercions. Bien évidemment, nous étions assurés que le climat dans lequel se déroulerait cet entretien serait celui que l'on vient de constater, c'est-à-dire celui qui est tout à fait habituel dans nos rapports. Je crois que votre énumération correspond tout à fait à l'ensemble des questions que nous nous sommes posées. Nous voyons déjà qu'il y a entre nous une concordance qui a trait aux problèmes qu'il faudra résoudre.

Nous sentons bien l'extraordinaire difficulté qui sera la vôtre et la nôtre au moment où, du stade de la réflexion il faudra passer au stade du droit, c'est-à-dire à la mise en oeuvre souhaitable, nécessaire, difficile, de ces principes, qui, tels que vous les avez énumérés, à ce stade de réflexion, n'apparaissent pas de nature à bouleverser l'état de notre droit. Je pense que les membres de la commission auront été sensibles à cette conception de la famille que vous nous avez traduite et dans laquelle on reconnaît votre souci d'une certaine pérennité de la cellule familiale, pérennité à laquelle nous sommes profondément attachés.

Je vous remercie donc de votre propos.

J'ai sans doute traduit le sentiment de mes collègues, je l'espère en tous les cas.

M. BALARELLO. - Madame le Garde des Sceaux, je vous remercie de votre exposé exhaustif. Je suis entièrement d'accord avec vous sur le problème des droits du conjoint survivant. Il faut apporter une modification législative là-dessus.

En revanche, je m'interroge sur deux paragraphes que vous avez traités. Tout d'abord, vous voulez permettre plus facilement le changement de régime matrimonial. Je me pose la question du droit des tiers. Vous savez que le grand problème des changements de régimes matrimoniaux est la garantie des tiers qui, parfois, ont prêté de l'argent à un couple en fonction du régime matrimonial. Il faut examiner la question.

Ensuite, vous avez fait état de votre volonté de supprimer progressivement le divorce pour faute.

Mme la Ministre. - Je n'ai pas dit cela.

M. BALARELLO. - ... Ou tout au moins de substituer une logique de conciliation à une logique de guerre.

Mme la Ministre. - Ce n'est pas pareil.

M. BALARELLO. - Madame le Ministre de la justice, nous sommes des latins. Des avocats essaient parfois de substituer la conciliation à la logique de guerre, mais n'y parviennent qu'avec beaucoup de difficultés. Il y a des gens qui veulent en découdre et on n'arrivera pas à les faire changer d'avis.

Je considère que vous faites des propositions qu'il nous faudra examiner dans le détail. Il est difficile de toucher à ces institutions du mariage et de la famille sans arriver à des solutions contraires à l'équité et au bon sens.

M. HYEST. - Madame le Garde des Sceaux, dans l'énumération des questions que vous avez posées, l'une d'elle est incidente et rejoint le droit de la famille : la responsabilité des mineurs et des familles. Vous avez dit que vous ne serez pas le Garde des Sceaux qui abaissera l'âge de la responsabilité pénale. Vous avez d'ailleurs ajouté que ceux qui voulaient plus de responsabilité des parents n'étaient pas très cohérents.

On constate que des mineurs de plus en plus jeunes commettent des actes graves, répréhensibles, et qu'il n'existe pas de réponse judiciaire, notamment pour les services chargés de la sécurité, pour ces mineurs. C'est vraiment une interrogation. On peut responsabiliser les parents, mais il n'empêche qu'il y a des faits. Pour avoir été pendant quelques semaines dans les banlieues difficiles, auprès des forces chargées de la sécurité, je m'aperçois qu'il ne peut pas y avoir de sécurité si on ne prend pas un certain nombre de mesures pour éviter que ces mineurs continuent leurs méfaits sans aucune sanction.

M.  LARCHÉ, Président. - Je vais ajouter au propos de mon ami Jean-Jacques Hyest l'indication suivante. Nous avons pensé qu'il était nécessaire de tenir aujourd'hui ce travail collectif auquel nous avons prêté un très grand intérêt, mais, en liaison avec mon collègue Jean-Pierre Fourcade, Président de la commission des Affaires Sociales, et dans la mesure où la commission l'accepterait, nous songeons à organiser un débat du même ordre sur ce problème véritablement grave et que, personnellement, je ne sais pas comment résoudre : la responsabilité du mineur délinquant.

Il y a là un problème qui se pose dans des termes tels qu'il faut s'interroger sur le fondement même de l'Ordonnance de 1945 et de la primauté éducative qui a dominé lors de sa rédaction et qui s'expliquait parfaitement dans la perspective du moment.

Est-ce que cette primauté éducative doit demeurer ? Doit-elle s'accompagner de mécanismes qui, entrant, mais de manière différente, dans la perspective éducative, permettraient de mieux résoudre des problèmes qui se posent dans la société actuelle avec une gravité telle que l'on constate une sorte de découragement, de lassitude, à la fois dans le monde des éducateurs, et dans le monde des forces qui seront chargées de rétablir ou de maintenir la sécurité.

Il y a là un grave problème qui n'est pas d'aujourd'hui, mais qui apparaît aujourd'hui avec une acuité particulière.

Nous aurons peut-être un jour prochain l'occasion d'y réfléchir ensemble, si vous voulez bien venir participer à nos travaux.

Mme la Ministre. - Je n'ai absolument pas pris parti sur le divorce pour faute. Il faut y réfléchir. Les questions posées à ce sujet méritent que l'on s'y attarde. Je n'imagine pas que l'on puisse empêcher les gens de se faire la guerre, s'ils en ont vraiment envie.

Essayons de développer les formes de médiation familiale; de voir en quoi nos procédures accentuent ces mauvaises tendances ou bien les dissuadent.

Tout d'abord, je partage votre préoccupation, Monsieur Hyest. Même si j'ai dit non à l'abaissement de la majorité pénale pour les mineurs, cela ne veut pas dire que je sous-estime la gravité du problème de la délinquance juvénile ni que je sous-estime l'impérieuse nécessité d'apporter des réponses à ces questions.

Si vous souhaitez organiser un débat là-dessus, je serai tout à fait désireuse d'y participer.

Par ailleurs, le calendrier gouvernemental va permettre, d'ici fin avril début mai, une expression sur ces sujets puisque nous allons recevoir le rapport de deux députés. C'est en effet une très importante question. Nos concitoyens ne peuvent plus supporter un certain nombre de comportements. Nous avons besoin de voir comment nous pouvons mieux traiter les uns et les autres, selon quel type de procédure.

Bref, toutes ces questions sont très importantes et graves et nous avons besoin d'apporter des réponses.

M.  LARCHÉ, Président. - Il me reste à vous remercier d'avoir bien voulu participer à nos travaux.


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