B. UNE IDEE DIFFICILEMENT APPLICABLE

Séduisante dans son esprit et dans ses éventuelles conséquences, la suggestion d'une extension de la fonction consultative des chambres régionales des comptes se heurte à de tels obstacles qu'elle semble vouée à demeurer une fausse bonne idée.

Le premier obstacle rencontré par ce projet est constitué par le caractère non extensible des ressources humaines dont disposent les chambres régionales des comptes.

A effectif inchangé, la reconnaissance d'une fonction de conseil, même limitée à deux matières (les projets de convention de délégation et de service public ou de marchés publics et les situations susceptibles de déboucher sur une gestion de fait) risque de se traduire par un "embouteillage", un encombrement ou un engorgement des chambres au détriment d'un exercice satisfaisant de leur fonction juridictionnelle de jugement des comptes et de leur mission "d'examinateur" de la gestion des collectivités locales.

En second lieu et surtout, -car l'obstacle matériel n'est pas insurmontable-, la reconnaissance aux chambres régionales des comptes d'une fonction consultative au bénéfice des élus locaux aboutirait à un dédoublement fonctionnel de ces juridictions financières qui pourrait poser problème au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En effet, dans un arrêt récent (Procola c/Luxembourg, 19 juillet 1995), la Cour européenne des droits de l'homme a condamné le Grand-Duché du Luxembourg pour violation de l'article 6 (droit à une procès équitable) de la convention, en raison du défaut d' impartialité structurelle du comité contentieux de son Conseil d'Etat.

Selon la Cour, "il y a eu confusion dans le chef de quatre conseillers d'Etat de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles . Dans le cadre d'une institution telle que le Conseil d'Etat luxembourgeois, le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mette en cause l' impartialité structurelle de ladite institution. En l'espèce, Procola a pu légitimement craindre que les membres du comité du contentieux se soient sentis liés par l'avis précédemment donné. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer l'impartialité du tribunal en question."

Certes la portée de cette jurisprudence, qui représente un avatar européen du vieil adage selon lequel " nul ne peut être juge et partie ", mérite d'être relativisée car elle ne semble s'appliquer qu'au cas où le même magistrat aurait à connaître dans ses fonctions juridictionnelles d'une "affaire" sur laquelle il aurait émis, en amont, un avis dans son rôle consultatif.

Toutefois, cette hypothèse "d'impartialité structurelle" risque de se réaliser dans les "petites" chambres régionales des comptes aux effectifs réduits où il sera impossible d'établir une stricte division du travail entre les magistrats " conseillers " et les magistrats " contrôleurs ".

Or, il est inconcevable de ne reconnaître une fonction consultative qu'aux seules chambres régionales des comptes disposant d'effectifs de magistrats suffisants pour éviter de se trouver en situation "d'impartialité structurelle".

Une telle discrimination entre les chambres, fondée sur leur taille, se traduirait par une rupture du principe d'égalité entre les collectivités locales.

Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a décidé, après en avoir longuement débattu, de ne pas retenir la suggestion d'une extension au bénéfice des élus locaux de la fonction consultative des chambres régionales des comptes.

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