VI. L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE : ÉVOLUTION DU SYSTÈME DE SANTÉ DES ETATS-UNIS 159( * )

Le marché de la santé  aux Etats-Unis (c'est-à-dire les dépenses de santé américaines) est le plus important du monde développé, dans l'absolu, en pourcentage du PIB et par habitant. En 1996, ces dépenses représentent 1 000 milliards de dollars ou 14 % du PIB et croissent à un rythme rapide " (11 % en moyenne annuelle de 1960 à 1996 en valeur).

Il n'existe pas aux Etats-Unis de garantie publique de couverture du risque maladie, ni de garantie d'accès aux soins. De ce fait, en dehors des programmes publics comme Medicare qui assurent les soins pour les personnes âgées de plus de 65 ans 160( * ) , ou comme Medicaid qui prend en charge les dépenses de santé des personnes à faible revenu, et de la tradition de prise en charge des dépenses de santé pour les employeurs au travers de contrats collectifs (qui ne sont cependant pas obligatoires) une fraction importante de la population ne dispose pas de prise en charge formelle de ses dépenses de santé : en 1996, 41,7 millions d'Américains, soit 15,6 % de la population (fraction comparable à celle du Royaume-Uni). Ils ne payent pas non plus de cotisations à ce titre. Cependant, 10,8 millions, sur ces 42 millions, sont des enfants de moins de 19 ans (qui représentent 14,8 % de la population d'âge inférieur à 19 ans) qui n'ont donc pas nécessairement vocation à rester sans couverture. Un grand nombre des non assurés de plus de 19 ans sont également des jeunes qui choisissent l'auto-assurance et assument les risques associés à l'emploi. C'est cette situation d'articulation de la couverture des dépenses de santé qui rend particulièrement sensible la perte d'emplois aux Etats-Unis.

Il faut ajouter à ces remarques que l'assurance dommages finance entre 7 et 9 % des dépenses de santé totales aux Etats-Unis et apporte donc sa contribution à la couverture du risque des 41,8 millions de personnes qui n'ont pas accès aux soins selon les modalités " classiques " précédemment décrites. Ceci ne représente qu'une partie de financement total par l'assurance privée, qui s'élève en tout à plus d'un tiers des dépenses de santé en 1996 contre 20 % en 1960 (voir les acteurs du marché de la santé plus loin).

La structure du financement des dépenses de santé aux Etats-Unis se présente de la manière suivante en 1996.

Tableau 51

Structure du financement des dépenses de santé aux Etats-Unis

Dépenses personnelles :

171 G USD

Blue Cross/Blue Shield 40

Assurance dommages

Dépenses personnelles :

171 G USD

Dépenses courantes pour des

primes d'assurance inviduelle :21 G USD

Besoin de

financement

total des

Dépenses couvertes par les contrats d'assurance de groupes 316 G USD

Blue Cross/Blue Shield

dépenses

de

de santé :

Assurance employeurs

1 035

G USD *

Organismes de soins médicaux (MCO)

Dépenses publiques :

483 G USD

Medicaid : 148 G USD

483 G USD

Medicare : 203 G USD

Autres : 142 G USD

* milliards de dollars

Source : U. S. Health Care Financing Administration et Swiss Re Economic Research.

Au vu de cette situation de financement, il apparaît que le financement par l'assurance privée en général du système de santé est de 33 %, la part du financement public est de 47 %, le financement privé direct s'élevant à 17 %.

L'évolution de la structure du financement a été la suivante depuis 1960 :

Graphique 21

Evolution de la structure du financement des dépenses de santé aux Etats-Unis

Source : U.S. Health Care Financing Administration, à partir de Sigma n° 2/1998.

Les polices d'assurance santé individuelles sont apparues aux Etats-Unis depuis les années 1860, à la suite des polices d'assurance individuelles contre les accidents dans les années 1850. Les contrats d'assurance de groupe sont apparus dans les années 1910 et se sont développés dans les années 20 et les organismes de gestion de soins (" Managed Care Organisations " ou MCO) dans les années 30.

En 1940, seuls 2 millions de personnes, 9 % de la population américaine, bénéficiaient d'assurances privées.

C'est sur cet arrière-plan et des contraintes de gel des salaires que l'assurance santé souscrite par les employeurs s'est développée pendant la seconde guerre mondiale afin de retenir leurs salariés dans une période où la demande sur marché du travail était excédentaire. Les entreprises se mirent donc à offrir des avantages non salariaux (ou " wage benefits ") à leurs employés, qui étaient par ailleurs exonérés des impôts sur le revenu et de taxe de sécurité sociale. Ils devinrent rapidement un des sujets majeurs dans les négociations collectives. Ceci a permis d'accroître rapidement dans l'après-guerre le nombre d'Américains couverts par une assurance-maladie privée via leur entreprise, ce qui fait du système de couverture du risque santé un système unique dans l'ensemble des pays développés, comme l'ignorent souvent les Américains.

Graphique 22

Evolution de la place de l'assurance privée dans le financement de la santé aux Etats-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale

Source :HIAA Source of Book of Health Insurance Data, 1997 à partir de Sigma n° 2/1998.

Le système de santé américain a connu un autre tournant dans les années 60. La pratique de l'assurance santé par les employeurs laissant un nombre croissant de personnes hors de toute couverture sociale, le gouvernement adopta le système Medicaid en 1965 et Medicare en 1966.

Dans les années 80 et surtout 90 s'est opéré une migration croissante entre la couverture par l'assurance privée (employeurs) et les organismes de gestion de soins dits " Managed care ", pour satisfaire aux besoins de couverture des employés auxquels les entreprises n'offraient plus de programmes d'assurance d'une part, et pour les salariés des petites et moyennes entreprises. En parallèle sont apparus également les organismes d'auto-assurance (" Self Insured Organizations ").

Le taux de pénétration du marché de l'assurance-maladie par les " Health Maintenance Organizations " 161( * ) (HMO, qui sont la principale forme de MCO, qui ont été traduites en Français par le terme " réseaux de soins assistés ") a pu s'élever dans certains Etats jusqu'à 68 % en 1996. Les HMO offrent une prise en charge totale des frais médicaux et d'hospitalisation contre une somme fixe d'argent par personne et par mois.

Les caractéristiques générales des MCO sont :

- de reposer sur des accords avec les prestataires de soins (médecins, hôpitaux) pour fournir un ensemble de prestations complet à leurs membres ;

- de définir explicitement les critères de sélection des prestataires de soins ;

- de mettre au point les dispositifs formels d'assurance de la qualité par l'évaluation des services ;

- d'intégrer des orientations financières pour que les membres des réseaux suivent les procédures et utilisent les prestataires prévus par l'organisme.

Dans un article sur la gestion du risque maladie, Claude Le Pen précise les sept techniques communes de gestion qui spécifient le " Managed Care " (HMO ou PPO pour " Preferred Providers Organizations " ou POS pour " Point of services ") :

- la limitation de l'accès des patients aux prestations agréées ;

- la sélection de ces prestataires sur la base d'un cahier des charges précis ;

- leur investissement financier aux économies réalisées ;

- la création d'un niveau obligatoire de soins primaires qui filtre l'accès aux soins de spécialité et à l'hôpital ;

- la tenue de profils de prescriptions et d'activité pour les médecins ;

- la publication de référentiels professionnels pour le traitement des pathologies les plus courantes ;

- le développement parmi les médecins et les patients d'une " culture organisationnelle " 162( * ) .

On notera les évolutions récentes du marché de la couverture des dépenses de santé et de la fourniture des soins.

Graphique 23

Evolution récente de la structure de financement des dépenses de santé aux Etats-Unis en volume de primes

(millions de $)



Source : HIAA Source Book of Health Insurance Data, 1997, à partir de Sigma n° 2/1998.

Cependant, le " Managed Care " a fait apparaître certaines dérives, ou du moins certaines limites lourdes, comme la pratique de la sélection du risque, qui ont amené à une nouvelle forme de concurrence dans l'offre de soins aux Etats-Unis.

Comme l'expose Sigma, " dans l'environnement de la gestion de soin (" Managed Care "), la gestion maîtrisée de la dépense passe par l'utilisation de médecins aiguilleurs (" gate-keepers ") qui interviennent en combinaison avec des protocoles médicaux explicites pour contenir la consommation médicale ". De ce fait, les prestataires des soins se trouvent mis par les financiers en première ligne pour la maîtrise des coûts et du contrôle de gestion de soin. Beaucoup ont eu le sentiment qu'ils perdirent le contrôle de la capacité à exercer une médecine de qualité et à prescrire librement les thérapies les plus adaptées selon les principes de la déontologie médicale.

Une réaction de médecins visant à obtenir à l'égard des intermédiaires et des organisateurs une plus grande latitude de mouvement et d'indépendance dans la pratique des soins. Ces initiatives médicales ont vu le jour récemment sous la forme variée de :

- PSO (Provider Service Organizations) organisations de prestataires de services ;

- PHO (Provider Hospital Organizations) organisations de prestataires de soins médicaux et hospitaliers ;

- PPM (Physician Practice Managers) gestionnaires de la pratique médicale ;

tous organismes nouveaux qui gardent la pratique des réseaux et la coordination des soins et ont pour point commun d'être dirigés par les médecins (provider driven and sponsored) et non plus par les financiers, dont le souci de rentabilité avait tendance à s'exprimer au détriment de la qualité (et de la quantité) des soins 163( * ) .

Ces organismes entrent maintenant en compétition directe avec les MCO et les assureurs classiques.

* *

*

Le plus frappant dans l'expérience américaine, au-delà de la spécificité générale du système de soins et du caractère volontaire de l'assurance-maladie, c'est sa très grande capacité à évoluer, son pluralisme, sa plasticité et sa capacité innovatrice au fur et à mesure que les problèmes associés à une forme d'offre de soins ou de financement se font jour. Ses plus grandes faiblesses sont de ne pas permettre la prise en compte obligatoire des risques difficiles ou d'avoir permis, en l'absence de cahiers des charges sur le fonctionnement des institutions de santé, que la concurrence s'exerce au détriment des patients. Au total, l'ensemble du système de santé américain, marqué par ce caractère facultatif de l'adhésion, est d'une très grande variété initiale et dans une évolution permanente qui ne fait cependant jamais disparaître la pluralité historique de l'offre, mais permet à de nouvelles formes d'organisation, répondant à des besoins nouveaux, de prendre pied sur le marché. C'est certainement ce caractère de bouillonnement expérimental qui présente un intérêt en Europe aujourd'hui, mutatis mutandis.

Tableau 52

Evolution de la prise de risque sur le marché de la santé
aux Etats-Unis

Avant la

2 e guerre mondiale

 

Années 1940 - Milieu  années 1960

 

Fin années 1960 -

Début années 1980

 

Milieu

années 1980 - Milieu

années 1990

 

Fin

années 1990

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Patient

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Patient

 

Employeur

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Patient

 

Employeur

 

Etat/contribuable

 
 

Patient

 
 
 
 
 
 

Patient

 
 
 

Assureur

 

Assureur

 

Assureur

 
 

Assureur

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Etat/contribuable

 

Autoassurance

 

HMO

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

HMO

 

Associations

de médecins

Source : Swiss Re, Sigma n° 2/1998.