B. LE LIEN CROISSANCE, EMPLOI, SALAIRES

Le redressement de la demande intérieure décrit par la projection trouve essentiellement son origine dans l'accélération des revenus salariaux des ménages (les cotisations sociales, les impôts et les prestations sociales ne joueraient en effet qu'un rôle marginal dans la progression du pouvoir d'achat du revenu des ménages (cf. annexe n° 1 page 86). Celle-ci résulte de l'évolution de l'emploi et des salaires individuels : votre Rapporteur tentera ci-dessous d'éclaircir les liens complexes (dans les modèles tout autant que dans la réalité) entre croissance, emploi et salaires.

1. La productivité du travail

L'évolution de l'emploi résultant du taux de croissance de l'économie est déterminée, dans une projection menée à l'aide d'un modèle, par :

- une hypothèse sur la tendance d'augmentation de la productivité du travail. Celle-ci connaît depuis une dizaine d'années un ralentissement marqué, au-dessous de 2 % par an. Depuis quelques années, on observe une rupture de la productivité du travail par rapport à sa tendance de long terme : à croissance équivalente, les créations d'emplois sont aujourd'hui plus importantes que par le passé. Cet enrichissement du contenu en emplois de la croissance s'explique notamment par le développement du temps partiel et par les divers dispositifs d'allégement des charges sur les bas salaires (ce point est abordé dans le chapitre III , page 63), sans toutefois épuiser les causes de ce phénomène ;

- un effet du " cycle de productivité " : en période d'accélération de l'activité, les entreprises n'ajustent leurs effectifs qu'avec retard (ce qui se traduit par une hausse transitoire de la productivité, au-dessus de sa tendance) ; en phase de ralentissement, le retard dans l'ajustement des effectifs entraîne une hausse transitoire de la productivité.

L'augmentation de la productivité par tête observée dans la projection de l'OFCE s'élève ainsi à 1,8 % par an en moyenne : elle se situe ainsi à mi-chemin entre le net ralentissement observé depuis 1995 (+ 1,5 % par an) et la tendance observée depuis une dizaine d'années (+ 2,0 %).

Par ailleurs, la projection n'intègre pas de ralentissement supplémentaire de l'évolution de la productivité par tête pouvant résulter de la réduction de la durée légale du travail de 39 heures à 35 heures hebdomadaires : les experts de l'OFCE, en effet, n'ont pas cherché à simuler l'impact de cette mesure, compte tenu de la fragilité des hypothèses - souvent de nature plus microéconomique que macroéconomique - que cela aurait nécessité d'intégrer dans la projection.

Néanmoins, on peut considérer que si l'évolution de la productivité retenue en projection (+ 1,8 % par an en moyenne) prolonge le ralentissement tendanciel observé depuis une dizaines d'années, les modélisateurs auraient pu également extrapoler sur le moyen terme le fort enrichissement du contenu en emplois de la croissance observé au cours des dernières années. Ce choix aurait eu, en projection, des effets plus favorables à l'évolution de l'emploi. C'est celui qu'a retenu par exemple l'INSEE dans son scénario de moyen terme.

2. L'évolution de l'emploi

La projection de l'OFCE décrit une progression de l'emploi total de 1 % par an en moyenne entre 1998 et 2003, soit en moyenne 227 000 créations nettes d'emplois par an. Il faut rappeler qu'entre 1991 et 1997, l'emploi total avait diminué de 0,1 % par an en moyenne.

Le résultat de la projection de l'OFCE en matière d'emploi tient compte d'une hypothèse de création de 350 000 " emplois-jeunes " dans le secteur non-marchand. Les auteurs de la projection ont toutefois considéré que les créations nettes d'emplois induites par le dispositif en faveur des emplois-jeunes seraient limitées à 80 % des embauches réalisées (soit 280 000 créations nettes d'emplois en trois ans) et que les 20 % restants seraient intervenus même en l'absence de cette mesure (celle-ci générant un " effet d'aubaine "). La projection retient par ailleurs l'hypothèse que ces emplois seraient pérennisés .

L'hypothèse retenue par l'INSEE, selon laquelle l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance observé au cours des années récentes serait susceptible de perdurer, se traduit par une évolution plus favorable de l'emploi total en projection : celui-ci progresserait ainsi de 240 000 par an entre 1998 et 2003(cf. tableau page 35).

3. Les salaires

Le pouvoir d'achat du salaire par tête (secteur privé) progresse dans la projection de l'OFCE de 1,6 % par an en moyenne entre 1998 et 2003. Cette accélération des salaires individuels par rapport aux années récentes (+ 1 % par an en moyenne de 1991 à 1997) s'explique par la baisse du chômage en début de période, qui renforce les revendications salariales et se traduit par une évolution des salaires plus dynamique. On observe en effet cette relation inverse entre salaires et niveau du chômage - ou " courbe de Phillips " - dans tous les modèles macroéconomiques.

L'augmentation de l'emploi entraîne par ailleurs une progression du pouvoir d'achat de la masse salariale plus rapide que celle du salaire par tête. Dans le secteur marchand, celle-ci progresse de 3 % par an en moyenne, soit plus rapidement que le PIB marchand (+ 2,7 % par an en moyenne).

Il en résulte une déformation , en faveur des salaires, du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits et, par conséquent, une baisse du taux de marge des entreprises de près de 3 points entre 1998 et 2003, ce qui traduit une inflexion par rapport à l'évolution observée entre 1993 et 1998.

Une baisse du taux de marge des entreprises peut induire des tensions inflationnistes si les entreprises souhaitent augmenter leurs prix afin de restaurer leur taux de marge. Lorsqu'elle se produit, cette réaction peut avoir des effets restrictifs sur l'activité : la hausse des prix entraîne une hausse du taux d'épargne (et une moindre progression de la consommation des ménages) et dégrade la compétitivité . Selon le modèle, toutefois, le taux de marge ne s'éloigne pas de manière suffisante du niveau désiré par les entreprises pour produire ce type d'enchaînement.

Ainsi la projection ne met-elle en évidence que l'effet positif, en termes de demande, de l'accélération de l'évolution des revenus distribués.

4. Conclusion

• Si votre Rapporteur insistait en préambule sur la complexité des liens entre croissance, emploi et salaires, il doit également souligner la fragilité des évolutions décrites ci-dessus.

Celle-ci tient à la relation entre salaires et inflation telle que la décrit la projection mais, surtout, à l'évolution de la productivité .

Tout d'abord, les projections de l'OFCE et de l'INSEE prolongent sur le moyen terme le ralentissement de la productivité du travail observé ces dernières années (de manière plus nette dans le cas de la projection de l'INSEE). Or, le débat entre économistes sur l'interprétation du phénomène d'enrichissement du contenu en emplois de la croissance au cours des années récentes ne semble pas tranché : celui-ci pourrait correspondre à une inflexion significative de la tendance de croissance de la productivité par tête, tout autant , dans une période de faible croissance, qu'à une inflexion des délais d'ajustement de l'emploi à la production (c'est-à-dire une atténuation du " cycle de productivité "). Aussi faut-il considérer avec prudence l'hypothèse, implicite dans ces projections, d'un enrichissement durable du contenu en emplois de la croissance.

Par ailleurs, il faut évoquer la forte incertitude, de nature statistique , sur l'évolution de la productivité au cours des années récentes. Par exemple, l'évolution de la productivité du travail dans les comptes nationaux provisoires pour 1986 était estimée à - 0,1 %, alors que, selon les comptes définitifs, elle a été en réalité de + 3,6 %. Le diagnostic sur l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance pourrait ainsi être atténué au fur et à mesure des révisions statistiques.

• Au-delà de ces incertitudes, votre Rapporteur considère que si la projection ne décrit pas l'évolution la plus probable à moyen terme de l'emploi, la productivité et les salaires, elle n'en délivre pas moins un message clair : l'économie française pourrait supporter une évolution plus rapide des revenus salariaux, de nature à soutenir la demande intérieure, et sans qu'il en résulte nécessairement des tensions inflationnistes.

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