20. PROFESSEUR PIERRE JOUANNET, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES CECOS, DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE BIOLOGIE DE LA REPRODUCTION, HÔPITAL COCHIN

M. JOUANNET indique préalablement qu'il s'exprime au double titre de responsable d'un service d'AMP, concerné par toutes les dispositions de la loi se rapportant à cette activité, et de président de la Fédération des CECOS, auxquels s'appliquent spécifiquement les règles touchant la procréation par don et l'autoconservation des gamètes.

La mise en oeuvre d'une évaluation constitue l'un des nombreux aspects positifs d'une loi sur laquelle la profession manifeste des sentiments partagés.

Un certain nombre de points ne soulèvent aucune contestation :

o les grands principes visant à la protection de la personne et du corps humain. On pourrait souhaiter cependant une meilleure insertion de l'AMP dans l'organisation générale des soins utilisant des cellules d'origine humaine, qu'elles soient données ou non, et de la sécurité sanitaire ;

o l'encadrement juridique des pratiques ;

o l'identification et l'affirmation claires des responsabilités professionnelles.

M. JOUANNET estime que l'article L 152-2 du CSP qui réserve l'AMP à des indications médicales doit être maintenu pour le moment, même si cette exigence conduit au développement d'un " tourisme procréatif " pour des motifs de convenance, dont les conséquences ne pourront être ignorées longtemps.

Il existe, en revanche, des dispositions floues ou ambiguës :

o L'article L 152-6, qui fait de la procréation avec donneur une " ultime indication ", traduit sans doute une réticence du législateur à l'égard de cette solution. Le praticien peut se trouver ainsi incité à l'acharnement thérapeutique et à l'utilisation de techniques dont l'innocuité n'est pas démontrée. A l'extrême, le recours au clonage pourrait trouver là une justification. De la même façon, dans le cas d'un couple séro-différent, on pourrait être amené à privilégier le traitement du sperme de l'homme séropositif (y compris sans pouvoir garantir une diminution du risque de transmission virale) plutôt que de recourir à l'IAD qui peut être choisie par certains couples.

o L'autoconservation des gamètes n'a pas été traitée par la loi. Techniquement maîtrisée pour le sperme depuis les années 50 et utilisée par les CECOS depuis 1973, elle le sera très prochainement pour les ovules. Elle peut être employée dans deux situations :

o pour une utilisation à court terme dans le cadre d'une AMP ;

o pour parer à la survenance prévisible d'une stérilité (consécutive, par exemple, à une chimiothérapie). Dans ce cas, le sujet concerné peut être un célibataire, même mineur.

Les fragments ovariens pourraient, dans les prochaines années, offrir à cet égard de nouvelles perspectives lorsque se confirmera leur utilisation, déjà réussie chez l'animal, soit pour une FIV après maturation de l'ovocyte in vitro, soit pour une autogreffe permettant la reprise de la procréation in vivo. La congélation de ces fragments chez un sujet aujourd'hui très jeune lui permettrait de bénéficier ultérieurement de cette technique lorsqu'elle sera transposable à l'être humain.

La conservation de ces gamètes à long terme suscite des questions spécifiques. Cette activité devrait être identifiée dans la loi. Elle devrait être assurée selon une réglementation et avec un encadrement qui doivent être précisés.

o Enfin, certaines dispositions ne sont pas entrées en vigueur soit parce qu'elles étaient inapplicables, soit parce qu'une volonté de blocage liée à des pesanteurs administratives y a fait obstacle. Ainsi, un projet d'étude sur l'embryon financé par la Délégation à la recherche clinique de l'AP-HP en 1996 a dû attendre, pour être soumis à l'agrément de la CNMBRDP, la parution, en mai 1997, d'un décret d'application puis celle, en avril 1998, d'un formulaire réglementaire sans qu'une décision ait pu être prise à ce jour.

Plusieurs souhaits sont par ailleurs exprimés par les CECOS :

o L'article L 665-12 qui distingue la publicité, interdite, et l'information, autorisée, est d'une interprétation malaisée. Le ministère de la Santé, chargé de cette information, a tardé à la mettre en oeuvre puisque la première campagne ne s'ouvre que dans les prochains jours. Une délégation de ces actions à d'autres organismes serait sans doute souhaitable.

o Le régime de conservation des gamètes devrait distinguer l'utilisation immédiate et la conservation à long terme qui intéresse également les embryons en prenant en considération les données sanitaires, éthiques et relationnelles qui justifient un agrément spécifique.

o L'exigence pour le donneur de faire partie d'un couple ayant procréé posée par l'article L 673-2 devrait être remplacée par celle de la parentalité, plus large et plus adaptée à l'esprit de la loi (et, de fait, pratiquée par les CECOS).

o La limitation du nombre de naissances à l'origine desquelles peut se trouver un même donneur, fixée à cinq par l'article L 673-4, vise à réduire les risques de consanguinité. Ce risque n'existant pas à l'intérieur d'une même famille, il serait plus opérant d'énoncer cette limitation en termes de familles ou de fratries.

o La notion de centre pluridisciplinaire doit être conservée sans qu'elle conduise à une dilution des responsabilités dans un milieu où sont associés biologistes, médecins, généticiens, psychologues et personnels paramédicaux. Le rôle déterminant que joue ici la biologie -interventionnelle et thérapeutique- est très différent de sa fonction habituelle d'analyse. Elle nécessite une formation adaptée qui vient d'être mise en place avec la création, l'année dernière, d'un DESS de biologie de la reproduction.

o Le développement des pratiques d'AMP, sans que les recherches préalables aient été réalisées, semble encouragé par la loi dans son état actuel. Cette recherche devrait être replacée dans le droit commun avec quelques adaptations tenant compte de sa spécificité. Elle devrait, en tout état de cause, pouvoir être menée sans restriction sur les embryons qui sont jugés intransférables en raison des anomalies manifestes dont ils sont affectés (20 % des embryons conçus in vitro) et qui sont immédiatement détruits.

L'AMP devrait être dotée d'un organisme gestionnaire comparable à la HFEA britannique. Conçue comme un office spécifique ou un sous-ensemble de l'EFG, cette structure devrait disposer de l'autonomie et des moyens qui font défaut à la CNMBRDP :

o elle exercerait les missions actuellement dévolues à cette dernière pour l'agrément des établissements et des praticiens avec des moyens renforcés d'inspection et d'expertise ;

o elle évaluerait l'activité d'AMP, non pas seulement d'un point de vue quantitatif, mais sous l'angle des conséquences des actes accomplis, de la qualité des pratiques et de leurs répercussions sociales ;

o elle favoriserait et démocratiserait la réflexion dans le domaine de l'AMP, prenant modèle ici encore sur les consultations nationales organisées en Grande-Bretagne par la HFEA ;

o elle mènerait, en direction des personnes touchées par le problème de la stérilité mais aussi du grand public, des actions d'information sur l'évolution des connaissances et des pratiques, les causes et les effets de la stérilité, les conséquences des traitements ;

o elle élaborerait les règles de bonne pratique, développerait l'assurance qualité et organiserait la formation des praticiens.

Interface entre les pouvoirs publics, les professionnels, les usagers et la société tout entière, elle exercerait une fonction régulatrice dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.

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