23. PROFESSEUR JACQUES TESTART, DIRECTEUR DE L'UNITÉ U355 (MATURATION GAMÉTIQUE ET FÉCONDATION) DE L'INSERM

M. TESTART souligne, en préambule, la nécessaire clarification des compétences respectives du CCNE, de la CNMBRDP et des CCPPRB . Ainsi le CCNE, qui devrait être chargé des problèmes généraux touchant la bioéthique, a-t-il renvoyé à la CNMBRDP l'appréciation sur la pratique de l'ICSI. Plus discutable encore est la compétence exclusive de cette dernière sur la mise en oeuvre du diagnostic préimplantatoire qui a des implications dans le devenir même de l'humanité. Confier à une commission technique un pouvoir général d'appréciation sur un des domaines les plus sensibles de la recherche bioéthique ne constitue pas une solution souhaitable. Il est également fâcheux que renaissent ici et là des comités locaux d'éthique qui, parfois, sur la base de relations personnelles, se substituent sans aucun fondement légal au comité national.

S'agissant de la situation de l'embryon au regard de la recherche , question à laquelle la loi n'est pas parvenue à fournir une réponse précise, une première clarification pourrait être apportée par la détermination de ce qui n'est pas encore un embryon et entre donc sans restriction dans le champ de la recherche, à savoir les gamètes et le zygote, stade d'interaction gamétique précédant la fusion des noyaux.

Le zygote ne doit pas être confondu avec le " préembryon " sur lequel les Anglo-Saxons admettent l'expérimentation jusqu'à l'apparition, au quatorzième jour, de la ligne primitive, ébauche du système nerveux. M. TESTART note à ce propos qu'en renvoyant aux législations nationales la fixation des règles en matière de recherche, la Convention européenne de bioéthique laisse ainsi ouverte, en Grande-Bretagne, la possibilité du clonage.

S'agissant de l'embryon proprement dit, qui existe à partir de la fusion des noyaux, deux hypothèses peuvent être distinguées :

o les embryons grossièrement anormaux (triploïdes, par exemple) peuvent constituer des objets de recherche sans restriction particulière. Quatre demandes d'études de ce type ont obtenu l'accord de la CNMBRDP ;

o les embryons surnuméraires doivent également pouvoir entrer dans le champ de la recherche à condition qu'elle soit codifiée. Quant aux conséquences pour l'humanité, elles doivent être appréciées par le CCNE.

En réalité, le problème essentiel ne porte pas sur la définition du matériel biologique mais sur les finalités mêmes de la recherche, qui doivent être soumises à une expertise éthique systématique.

Quant au DPI , sa mise en oeuvre expose à un risque d'eugénisme difficilement évitable. Employé dans un premier temps pour prévenir la transmission d'une anomalie génétique ou chromosomique, il pourra être ultérieurement utilisé afin de détecter chez l'embryon, aussi précisément que chez l'adulte, les prédispositions à la survenance d'une maladie ou au développement d'une infirmité. Dans cette perspective, il sera tentant de créer, pour un couple donné, un nombre élevé d'embryons permettant de pratiquer la sélection aboutissant au " meilleur " embryon. Celui-ci pourra alors être cloné en plusieurs exemplaires pour parer aux risques de transplantation infructueuse.

Le législateur français arrive probablement trop tard pour enrayer une évolution qui bouleverse la notion même d'humanité et se trouve à un stade déjà plus avancé dans d'autres pays (Grande-Bretagne, Espagne). Des barrières peuvent néanmoins être posées en n'autorisant le diagnostic que sur une seule mutation génétique et sur les anomalies chromosomiques ayant de très graves conséquences. La recherche du sexe devrait être proscrite en tout état de cause.

A l'heure actuelle, les chercheurs français poursuivent leur activité en collaborant avec des laboratoires dans des régions du monde où la législation est moins contraignante (Italie, Espagne, Singapour, Egypte, Arabie saoudite).

M. TESTART évoque, pour conclure, un certain nombre de points particuliers :

o l'insuffisance des moyens de la CNMBRDP, qui ne peut exercer un véritable contrôle sur les centres agréés ni vérifier l'exactitude des résultats affichés alors que le public ne dispose en ce domaine d'aucune information sérieuse ;

o la conservation des embryons dont la destruction n'est pas autorisée et qui pose de sérieux problèmes aux centres d'AMP ;

o les excès de la stimulation ovarienne qui devrait faire l'objet, par les gynécologues, de comptes rendus d'activité ;

o les médiocres résultats des CECOS en matière d'insémination artificielle et les difficultés qu'entraîne l'anonymat pour le don d'ovocytes (M. TESTART étant plutôt partisan du don de gamètes personnalisé) ;

o l'insuffisante mise en oeuvre de la pluridisciplinarité dans l'organisation de l'AMP.

Auditions du 5 novembre 1998

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