DEUXIÈME PARTIE : DON ET UTILISATION DES ÉLÉMENTS ET PRODUITS DU CORPS HUMAIN

I. - LES OBJECTIFS VISÉS PAR LE LÉGISLATEUR DE 1994

1. Soumettre la transplantation à un encadrement juridique restaurant le climat de confiance indispensable à son développement

Au moment ou s'élaborent les lois dites de bioéthique, le législateur se trouve placé devant une situation paradoxale, caractérisée par l'émergence de deux phénomènes contradictoires. D'un côté, l'efficacité thérapeutique des greffes n'a cessé de s'affirmer grâce aux progrès des techniques et des traitements immunosuppresseurs. La transplantation a connu, de ce fait, un essor spectaculaire, passant de 685 greffes d'organes en 1980 à 3 512 en 1990. De l'autre, la poursuite de cette progression s'est trouvée freinée dans les années qui suivent par la raréfaction des greffons disponibles : de 1990 à 1994, les prélèvements régressent de 30 % pour les cornées et de 20 % pour les organes.

Les origines de cette situation ont été identifiées mais il convient d'y revenir rapidement pour éclairer la démarche du législateur. Les causes structurelles (insuffisances de la législation en vigueur) ont été aggravées par des facteurs conjoncturels.

1.1. Une législation parcellaire et lacunaire

- Le caractère parcellaire de cette législation résultait de la coexistence de deux textes : la loi Lafay de 1949, qui encadrait le don de cornées, avait posé l'exigence d'une démarche volontaire du donneur alors que la loi Caillavet de 1976 avait institué, pour le don d'organes, la règle du consentement présumé. Jouant sur ce dualisme à l'occasion de pluriprélèvements, certains praticiens avaient ainsi cru pouvoir se dispenser d'un consentement explicite, comme ce fut le cas en 1991 dans l'affaire d'Amiens. Juridiquement condamnables, ces pratiques avaient débouché sur des procès générateurs dans l'opinion d'un malaise que les hésitations des pouvoirs publics n'ont pas contribué à dissiper.

- Quant aux lacunes , elles tenaient à l'imprécision de la loi Caillavet dont le champ d'application, limité aux organes dans l'intention primitive de ses auteurs, avait pu être considéré comme s'étendant aux tissus et cellules puisque le texte ne visait que les " prélèvements " sans autre précision. Cette applicabilité incertaine laissait en fait le champ libre à des pratiques non encadrées telles que le prélèvement de tissus sur cadavres dans les dépôts mortuaires. De plus, la loi n'avait pas fixé le mode d'expression des refus, omission ultérieurement réparée par voie réglementaire. Enfin, les établissements assurant la transformation, la conservation et la distribution de tissus d'origine humaine n'étaient assujettis à aucune autorisation ni même à aucune obligation de déclaration et s'étaient, de ce fait, multipliés, souvent dans une grande confusion, parfois pour leur plus grand profit.

1.2. Une conjoncture défavorable

Les ambiguïtés d'une législation dont la portée était grevée de quelques imprécisions ont pu favoriser le développement dans l'opinion d'un sentiment de scepticisme sur les finalités réelles du don d'organes, voire d'une suspicion touchant les pratiques illicites qui pourraient entourer une activité médicale dont l'intérêt thérapeutique n'était pourtant pas contestable. Ce climat psychologique défavorable fut encore aggravé par le drame du sang contaminé, qui accrédita la prévalence des considérations économiques sur les impératifs de santé publique.

La loi n° 654, qui s'appuie sur les principes généraux inscrits dans le Code civil par la loi n° 653 et régit désormais l'ensemble des activités ayant recours à des éléments ou des produits du corps humain, a donc eu pour objet, par la mise en place d'un encadrement juridique approprié, de restaurer entre les praticiens de la transplantation et le corps social la relation de confiance sans laquelle les actions de promotion seraient impuissantes à mettre en jeu les mécanismes de solidarité. Selon la formule lapidaire de M. Christian BYK, " il fallait empêcher que les transplanteurs d'aujourd'hui soient associés aux voleurs de cadavres d'hier " .

A l'appui de cet objectif général, quatre objectifs particuliers devraient être atteints grâce à la nouvelle législation de la transplantation :

o mettre les activités de prélèvement et de greffe à l'abri des dérives mercantiles ;

o faciliter l'expression d'un consentement libre et éclairé des donneurs ;

o organiser les activités de transplantation sur des bases objectives garantissant, autant que faire se peut, l'égalité des receveurs ;

o assurer la sécurité sanitaire de ces activités.

2. Mettre les activités de prélèvement et de transplantation à l'abri des pratiques mercantiles

La tension croissante entre la demande et l'offre de greffons alimente précisément ce risque de mercantilisme. La loi n° 653 a inscrit dans l'article 16-1 du Code civil le principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits. Comme l'avait souligné, dans son rapport, le professeur MATTEI, la défense de ce principe " constitue l'un des aspects modernes de la mission civilisatrice de la France. Elle tente, par suite, de faire triompher cette idée contre le mercantilisme de la société industrielle. Il n'est pas dans la tradition française de considérer les parties du corps comme une marchandise. "

Il revenait à la loi n° 654 de donner, dans le Code de la santé publique, une traduction concrète à ce principe.

On rappellera ci-après l'essentiel de ces dispositions :

o l'interdiction de toute rétribution des donneurs, qui ne peuvent obtenir, le cas échéant, que le remboursement des frais engagés ;

o la limitation du don d'organes entre vifs, contrairement aux règles plus libérales qui prévalaient dans la législation antérieure, à un cercle familial étroit (parents, enfants, frère ou soeur, conjoint en cas d'urgence), la seule exception à cette exigence d'apparentement concernant la moelle osseuse sauf en cas de don entre mineurs ;

o l'interdiction de la publicité en faveur du don d'éléments ou de produits du corps humain au profit d'une personne ou d'un établissement déterminé, cette interdiction ne faisant pas obstacle à une information du public en faveur du don, réalisée sous la responsabilité exclusive du ministre chargé de la Santé ;

o le monopole attribué aux établissements publics de santé et aux organismes à but non lucratif pour l'exercice des activités de conservation et utilisation des tissus et cellules du corps humain ;

o l'anonymat applicable au prélèvement provenant d'une personne décédée, cette disposition visant, entre autres finalités, à contrecarrer l'établissement de relations pécuniaires entre les proches du donneur et le receveur ;

o l'interdiction de toute rémunération à l'acte pour les praticiens effectuant des prélèvements ou des greffes d'organes.

3. Favoriser l'expression par les donneurs d'un consentement libre et éclairé

Il n'y a pas eu ici rupture avec la législation antérieure mais volonté de mettre en place des règles plus contraignantes permettant de respecter la volonté des donneurs et d'en faciliter l'expression. Le problème ne se posait évidemment pas dans les mêmes termes pour les prélèvements in vivo et les dons post mortem qui sont, il faut le rappeler, à l'origine de 95 % des transplantations.

1) S'agissant du donneur vivant , l'exigence d'un consentement écrit devant le juge a été imposée quelle que soit la nature (régénérable ou non régénérable) de l'organe, et l'obligation d'une information préalable a été inscrite dans la loi.

2) S'agissant des prélèvements post mortem , le législateur n'a pas voulu, par pragmatisme, remettre en cause la présomption du consentement mais il en a limité les aspects les plus controversés en restreignant, d'une part, le champ d'application de la présomption et en élargissant, d'autre part, les modalités d'opposition.

- La présomption a été écartée dans deux situations :

o le prélèvement a une finalité exclusivement scientifique (hors investigation sur les causes du décès). Le défunt doit alors y avoir préalablement consenti, soit expressément, soit par le recueil du témoignage favorable de la famille. S'il était mineur, le consentement est exprimé par l'un des titulaires de l'autorité parentale ;

o le prélèvement en vue d'un don sur une personne décédée mineure ou incapable majeure nécessite désormais le consentement écrit et exprès de chacun des titulaires de l'autorité parentale.

- Les modalités d'expression du refus ont été facilitées : sans dire explicitement, comme la loi antérieure, que le refus peut être exprimé par tout moyen, le texte de 1994 a institué, pour en faciliter la connaissance, un registre automatisé sur lequel le refus peut être exprimé. Comme le soulignaient les travaux préparatoires, l'efficacité de ce registre dépend, dans une large mesure, non seulement de ses moyens techniques d'accès et de fonctionnement, mais surtout de l'information de la population qu'il incombe au Gouvernement d'organiser.

Par ailleurs, un rôle éminent demeure dévolu à la famille, dont le médecin doit s'efforcer de recueillir le témoignage lorsqu'il n'a pas eu directement connaissance de la volonté du défunt.

4. Organiser les activités de prélèvement et de transplantation sur des bases rationnelles et objectives garantissant, notamment, l'égalité d'accès au don des receveurs

La loi de 1994 s'appuie pour ce faire, en les complétant, sur des dispositions édictées par des textes antérieurs.

- L'établissement français des greffes, créé par la loi du 18 janvier 1994 pour mettre fin aux dysfonctionnements constatés notamment par un rapport de l'IGAS de 1992, succède, avec des moyens renforcés, à l'association France-Transplant. Il doit soumettre à homologation ministérielle les règles de répartition et d'attribution des greffons. Il est chargé de la gestion d'une liste nationale des patients en attente de greffe et de l'attribution des greffons disponibles aux personnes inscrites sur cette liste. A ce titre, il doit organiser une répartition rationnelle et arbitrer, non seulement entre les malades en attente de greffe, mais aussi entre les équipes médicales en concurrence pour développer l'activité de transplantation dans leurs services hospitaliers.

- Le régime d'autorisation des établissements a été organisé en fonction de deux objectifs :

o favoriser les prélèvements d'organes en en permettant la pratique dans tout établissement de santé, public ou privé, même à but lucratif ;

o consacrer le principe d'une planification sanitaire des transplantations d'organes en les soumettant au régime de droit commun mis en place par la loi hospitalière de 1991. Mais, afin d'éviter une spécialisation excessive, seuls des établissements autorisés à effectuer des prélèvements peuvent être autorisés à pratiquer des transplantations.

5. Garantir la sécurité sanitaire des transplantations

Le drame de la contamination des produits sanguins par le virus du Sida et, plus récemment, le développement de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez des enfants ayant subi un traitement à base d'hormones de croissance d'origine humaine illustrent l'importance des règles de sécurité sanitaire qui doivent s'imposer dans l'usage de produits d'origine humaine.

En ce domaine, le législateur de 1994 a posé des règles (tests de dépistage, vigilance) dont les modalités d'application devaient être précisées par décret. S'agissant des prélèvements de tissus ou cellules post mortem, il n'a pas cru devoir les interdire en dépit des risques de contamination difficiles à prévenir mais a confié, là encore, au pouvoir réglementaire le soin de fixer les situations médicales où ils pourraient être autorisés.

Complémentairement, la loi du 28 mai 1996 a renforcé les dispositions introduites en 1994 dans le Code de la santé publique en permettant, par arrêté, au ministre chargé de la Santé de restreindre, suspendre ou interdire la transformation, l'exportation, la cession ou l'utilisation d'un élément ou produit du corps humain.

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