C. L'ACCUMULATION DE HANDICAPS PONCTUELS

L'importance des facteurs structurels dans le déclin du marché de l'art conduit le rapporteur à considérer que, si des aménagements fiscaux sont nécessaires, compte tenu du différentiel de charge dont pâtissent les opérateurs français, diverses contraintes en limitent la portée. Elles risquent, à défaut d'une volonté politique affirmée, d'amoindrir les chances de la France de redevenir un pôle majeur du marché de l'art mondial.

1. La fiscalité et les charges

La question n'est pas fondamentalement différente pour les oeuvres d'art et pour les produits d'épargne : face à des consommateurs, bien informés, bien conseillés, et donc très mobiles, il faut être très attentif aux charges.

Sans nécessairement s'aligner sur le moins disant fiscal ou social, il convient donc d'examiner les effets des prélèvements effectués sur les oeuvres d'art sans a priori, même s'il est difficile de mettre de côté les considérations idéologiques.

L'oeuvre d'art est un bien de luxe ; c'est un bien symbole, qui est le privilège des riches et qui ne peut dans un État comme la France imprégné d'idéaux égalitaires, être exonéré d'impôt. Et pourtant dans un marché mondial l'oeuvre d'art se déplace vers le marché où la demande est la plus forte et/ou la fiscalité la moins pénalisante.

Il y a un différentiel de charge entre la France et les marchés concurrents anglais américain et suisse. Mais, objectivement, s'agissant d'estimer son effet du point de vue de l'attractivité du marché français, ce différentiel ne joue qu'à la marge et est pour une part, plus psychologique que réel.

a) La taxe sur les plus-values : un régime comparativement favorable

Les ventes d'objets d'art - comme celles de métaux précieux, de bijoux, - sont soumises à une taxe forfaitaire proportionnelle au prix de vente, tenant lieu d'imposition sur les plus-values, dont le régime est fixé aux articles 150 V bis et suivants du CGI.

francs

La taxe s'applique aux objets d'art et de collection 53( * ) - ainsi que les bijoux - d'une valeur supérieure à 20 000 F (assorti d'un mécanisme de décote jusqu'à 30 000 F),. Lorsque l'objet est exporté ou non vendu aux enchères la taxe est de 7 contre 4,5 %, pour les ventes publiques Il s'y ajoute, depuis le 1er février 1996, 0,5 point au titre de la Contribution au remboursement de la dette sociale, CRDS, lorsque le vendeur est domicilié en France.





La taxe est supportée par le vendeur particulier - y échappent les professionnels et les non résidents - mais la responsabilité du versement incombe à l'intermédiaire (marchand, commissaire-priseur), ainsi qu'à l'exportateur en cas d'exportation.

Les personnes physiques ou sociétés de personnes qui résident en France peuvent opter pour le régime de droit commun des plus-values sur biens meubles lorsqu'elles cèdent ou exportent des bijoux, objets d'art, de collection ou d'antiquité et qu'elles sont en mesure d'établir de manière certaine les dates et prix d'acquisition (CGI, art. 150 V sexies).

La plus-value est alors déterminée suivant les règles prévues aux articles 150 A et suivants du CGI. Elle est calculée par différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition. Pour les biens cédés au-delà d'un an de détention, il est tenu compte de l'érosion monétaire et de la durée de détention (abattement de 5 % par année de détention au-delà de la première). La plus-value est ainsi exonérée à l'expiration d'un délai de détention de 21 ans.

En ce qui concerne les oeuvres cédées par des artistes vivants, il faut rappeler que la vente en France ou dans un autre État membre de la Communauté européenne ou l'exportation des oeuvres créées par l'artiste et faisant l'objet d'une propriété continue 54( * ) depuis la création est hors du champ d'application de la taxe. Le profit réalisé constitue un bénéfice professionnel imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

Il faut souligner que ce régime est relativement favorable par rapport à celui applicable tant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis :

En Grande-Bretagne , la plus-value est imposée au taux marginal auquel est taxé le revenu annuel du vendeur. Le plus souvent, ce taux s'élève à 40%. Elle est due par le vendeur sur la vente de la plupart des oeuvres d'art vendues aux enchères, sauf celles dont le prix est inférieur à 6.000 livres sterling, ou dont l'espérance de vie ne dépasse pas 50 ans. Elle est calculée sur la différence entre, d'une part, le produit de la vente diminué des frais, et d'autre part, le prix d'achat originel réactualisé pour tenir compte de l'inflation. Si l'oeuvre a été acquise avant le 31 mars 1982, le prix d'achat pris en compte consiste en la valeur de marché de l'oeuvre à cette date réactualisée. L'impôt est dû par tout résident sous réserve d'une franchise annuelle de 6800 livres

Aux États-Unis , il y a deux types d'impôt sur les plus-values :

Au Niveau Fédéral, pour les particuliers le taux de l'impôt fédéral sur les plus values s'élève à 28%, si le bien a été détenu pendant plus de 12 mois. L'assiette est calculée en faisant la différence entre le prix de vente et le prix d'achat actualisé ; pour les marchands, la plus-value est traitée comme un élément de leur bénéfice et est taxée au taux fédéral de 39% ; enfin, pour les sociétés, le taux de la taxe est de 35%,sauf si le bien fait partie de leur stock auquel cas il est taxé au taux standard de l'impôt fédéral des sociétés.

Au niveau local, les plus-values sont taxées dans l'État de résidence du vendeur à des taux variant entre 0 et 18 %.

On peut donc dire que la France est à cet égard - et pour une fois dans une situation relativement favorable.

b) La TVA

La mécanique de la TVA joue à la fois contre le marché de l'art français et contre le patrimoine. Le phénomène est largement dénoncé par les professionnels en ce qui concerne la TVA à l'importation ; il est moins visible mais non moins réel en matière de TVA sur les marges.

(1) La TVA à l'importation

Jusqu'en 1991, l'importation des biens d'art en vue d'une vente publique aux enchères était exonérée de TVA. La loi du 26 juillet 1991 a mis fin à cette exonération. La 7ème directive européenne, adoptée à Bruxelles le 14 février 1994, a été transposée en droit français par la loi du 29 décembre 1994, qui a confirmé l'application de la TVA aux oeuvres d'art, des objets de collection ou d'antiquité importés en France pour être vendus aux enchères.

Le taux est de 5,5 % . Cette TVA n'est pas répercutée sur l'acheteur. Elle est réglée à l'administration douanière par le Commissaire-priseur. Quant à l'assiette de cette taxe, elle est égale à la somme reçue par le vendeur, augmentée de certains frais supportés à l'occasion de l'importation.

La Grande-Bretagne a obtenu une dérogation lui permettant d'appliquer, jusqu'au 30 juin 1999, aux importations des biens créés avant 1973, une TVA à taux réduit de 2,5%.

Il en résulte deux conséquences :

• Une nouvelle incitation, pour les vendeurs étrangers, à choisir Londres plutôt que Paris et, plus généralement, les États-Unis plutôt que l'Europe : à New-York, s'applique une " sales tax ", très facile à esquiver, puisqu'il suffit de faire livrer la marchandise dans les états voisins qui ne la pratiquent pas ;

• Des risques de détournements de trafic entre Londres et Paris, les objets ayant tendance pour bénéficier d'un différentiel de 3 % de TVA à transiter par Londres avant, éventuellement, d'arriver en France.

Il faut cependant nuancer ce handicap par le fait que, le plus souvent, les biens destinés à être vendus aux enchères sont introduits en France sous le régime de l'admission temporaire, d'une durée maximale de deux ans, en suspension de taxes. En cas de réexportation après la vente, aucune taxe n'est due.

Les commissaires-priseurs peuvent obtenir de l'administration douanière des facilités pour n'avoir à verser dans ces cas qu'une fraction de la somme qui serait due si l'acheteur se révélait être un ressortissant communautaire.

La 7 ème directive européenne autorise l'application d'un taux réduit de TVA à l'importation sur les oeuvres d'art est à l'origine d'une autre distorsion tenant au fait que certains objets couramment vendus aux enchères ne font pas partie du marché de l'art au sens de la directive 55( * ) . Les bijoux, mais aussi les manuscrits et les meubles de moins de 100 ans d'âge, sont soumis au taux normal de 20,6 %. Il en est résulté la migration du marché des bijoux à Genève, ou le taux de TVA applicable en la matière est de 6,5 %. ; autre exemple, le mobilier Art déco sorti de France n'y reviendra pas avant longtemps, car l'importation serait prohibitive !

Apparemment, la Grande-Bretagne est très déterminée à éviter un alignement de son taux de TVA, dont la première étape expliquerait, selon la Fédération britannique du marché de l'art, une diminution de près de 40 % du montant des importations britanniques d'oeuvres d'art.

(2) La TVA interne

La septième directive qui règle notamment l'imposition à la TVA des ventes et des importations d'oeuvres d'art, d'objets d'antiquité ou de collection a été transposée par la loi susmentionnée du 29 décembre 1994. Cette loi :

• consacre le régime de la marge comme le régime de droit commun de ces transactions ;

• instaure, pour les échanges intra-communautaires un système spécifique qui déroge aux règles habituelles de taxation dans la mesure où il prévoit que les ventes effectuées par les marchands - dits assujettis revendeurs, par opposition aux autres entreprises assujetties mais dont le métier n'est pas de faire le commerce de l'art - sont imposées dans les pays d'origine et non dans le pays destinataire, quelle que soit la qualité de l'acheteur (professionnel ou particulier) ;

• réserve à certaines opérations - et notamment aux importations d'oeuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité, ainsi qu'aux ventes d'oeuvres d'art par l'artiste ou ses ayants-droit - l'application d'un taux réduit de TVA égal à 5,5%. Ce qui revient à dire, à contrario, que les transactions effectuées dans notre pays par des professionnels sont imposées au taux normal (20,6%) sans qu'il soit fait de différence entre celles qui portent sur des oeuvres d'art et celles qui s'appliquent à des objets de collection ou d'antiquité.

Le principe général est que la base d'imposition est constituée par la marge bénéficiaire. En effet, sont soumises de plein droit au régime de la marge :

• d'une part, "les livraisons de biens achetés auprès d'un non redevable", c'est-à-dire notamment les ventes effectuées par un professionnel des oeuvres, des objets qu'il a acquis auprès d'un particulier ;

• d'autre part, "les livraisons de biens achetés auprès d'une personne qui n'est pas autorisée à facturer la TVA au titre de cette livraison". Il s'agit des ventes d'oeuvres d'art ou d'objets que les marchands ont achetés auprès des artistes bénéficiant de la franchise en matière de TVA 56( * ) ou auprès d'autres professionnels qui, eux aussi, appliquent le système de l'imposition sur la marge.

Par ailleurs, les professionnels peuvent demander à bénéficier du régime de la marge lorsque les oeuvres, les objets qu'ils vendent ont été importés en provenance d'un pays extérieur à la Communauté.

Dans la plupart des cas, les professionnels usent de la possibilité qui leur est ainsi offerte d'acquitter la TVA sur la marge, même s'ils ont toujours la possibilité d'adopter le régime général, c'est-à-dire acquitter la TVA sur le prix de vente total et à déduire la taxe supportée lors de l'achat.

Ils peuvent calculer cette marge de trois façons : soit "au coup par coup"; soit globalement pour une période donnée; soit forfaitairement, en appliquant un taux de marge déterminé.

(a) Le calcul de la marge "au coup par coup"

L'expression "au coup par coup" signifie que la marge est calculée opération par opération. La base d'imposition est alors constituée de la différence entre le prix de vente demandé par le marchand et le prix d'achat du bien en question.

Seules les opérations bénéficiaires supportent la taxe. Mais ce système a l'inconvénient de ne pas permettre de compenser la marge positive obtenue sur une bonne opération par la moins-value réalisée sur une opération déficitaire.

(b) La globalisation des achats et des ventes

Jusqu'alors, cette possibilité de globalisation n'était pas prévue par la loi. Mais l'administration admettait qu'elle soit pratiquée par les marchands. Elle consiste à retenir, pour déterminer la base de l'imposition, l'ensemble des achats et des ventes réalisés au cours d'une période déterminée (qui est normalement d'un mois). La marge globale est alors égale à la différence entre le montant total des ventes et le montant total des achats effectués au cours de la période considérée. Lorsque le chiffre des achats dépasse celui des ventes, l'excédent est ajouté aux achats de la période suivante. Desrégularisations sont effectuées en fin d'année en fonction des variations du stock.

(c) La marge forfaitaire

La possibilité d'adopter une marge forfaitaire égale à 30% du prix de vente est offerte aux marchands dans deux cas :

• lorsque le prix d'achat n'est pas significatif : l'administration admet que tel est le cas lorsque l'oeuvre d'art a été acquise depuis plus de six ans;

• lorsqu'il s'agit de galeries effectuant des actions de promotion, c'est-à-dire, pour reprendre les termes de l'administration, lorsque ces actions se traduisent notamment par l'organisation de foires, manifestations, expositions temporaires ou permanentes effectuées en France ou à l'étranger. Elles peuvent concerner des oeuvres d'un même artiste (mort ou vivant), des oeuvres appartenant à un courant (par exemple, impressionnisme), ou des oeuvres regroupées autour d'un même thème".

Ces critères sont donc assez larges. La plupart des marchands d'art moderne, ainsi que nombre d'antiquaires,peuvent bénéficier du système de la marge forfaitaire pour l'ensemble de leurs ventes d'oeuvres d'art 57( * ) . Les assujettis qui appliquent ce régime d'imposition ne peuvent pas déduire la TVA en amont et ne doivent pas facturer la TVA au titre des ventes concernées.

c) Le droit de suite

Ces droits perçus au profit des artistes, sont ressentis par les opérateurs du marché de l'art comme des taxes, bien qu'il faille dans leur finalité les rattacher à la famille des droits d'auteurs.

(1) Historique

Le droit de suite , apparu en France en 1920 dans un but de solidarité et de justice à un moment où les artistes ne bénéficiaient pas de la sécurité sociale, s'est étendu progressivement à la plupart des pays d'Europe, puisqu'on le trouve dans 8 des 15 pays de l'Union Européenne .

On peut rappeler la genèse de ce droit : en 1893, l'avocat Albert VAUNOIS publia un article dans la "Chronique de Paris" défendant la cause des artistes en soulignant que les écrivains, les musiciens touchaient des droits d'auteur lorsque leurs oeuvres étaient éditées, représentées, jouées, tandis que les artistes n'avaient guère l'occasion d'en percevoir lorsque leurs peintures, leurs sculptures étaient reproduites.

A l'époque, la jurisprudence considérait, en effet, que le droit de reproduction était "attaché" aux oeuvres d'art et que, de ce fait, il était cédé en même temps que celles-ci.

Un célèbre dessin de FORAIN, exécuté dans les premières années du XX ème siècle, illustre bien la vision très romantique de l'artiste et de la création qui a conduit à l'instauration de ce droit : La scène se passe à l'Hôtel des Ventes. Des messieurs, en chapeaux hauts-de-forme, regardent une peinture. Au premier plan, deux enfants en haillons dont l'un dit à l'autre : "Un tableau de papa".

Le message de ce dessin était parfaitement clair : les artistes sont amenés à céder leur production à bas prix, lorsqu'ils ne sont pas encore connus, sans que, lorsque leur jour de gloire est arrivé, ils puissent bénéficier - directement ou par l'intermédiaire de leurs héritiers - des prix élevés que leurs oeuvres atteignent.

Ces préoccupations sociales aboutirent au vote de deux lois :

• la première en date du 9 avril 1910 précisait que, sauf clause contraire, la vente d'une oeuvre n'entraînait pas cession du droit de reproduction ;

• la seconde en date 20 mai 1920 créait le droit de suite, qui a été repris dans la loi de 1957 et qui se trouve dans le code de la propriété intellectuelle.

La loi de 1920 instituait pour une durée de cinquante ans après la mort de l'artiste, un droit qui comportait un taux progressif allant de 1 à 3% .

On note que ce droit, qui ne concernait que les oeuvres originales et représentant une création personnelle de l'auteur 58( * ) ne s'appliquait qu'aux oeuvres qui passaient en vente publique.

Il était en outre transmissible par l'artiste, à ses héritiers et ayants-cause, y compris les légataires.

Le régime actuel, tel qu'il résulte de la loi du 11 mars 1957, comporte une série de différences importantes avec le texte de la loi de 1920.

D'abord, le droit est applicable aussi bien aux ventes en galerie qu'aux ventes aux enchères ; ensuite, le taux est porté au montant uniforme de 3% ; enfin, les légataires sont expressément exclus du bénéfice du droit de suite.

Mais, l'extension aux ventes en galerie n'a jamais été appliquée. Le décret, qui aurait dû préciser les conditions dans lesquelles les galeries s'acquitteraient du droit de suite, n'est toujours pas paru, ce qui a fait que les galeries n'ont jamais versé ce droit.

Une des sociétés de recouvrement du droit se suite, la SPADEM, aujourd'hui disparue 59( * ) , et en difficultés financières s'est émue de cette situation.

En juillet 1990, elle a adressé une demande au gouvernement, lui demandant de faire paraître le décret prévu par la loi de 1957. Face au silence du Gouvernement, la SPADEM a saisi le Conseil d'État pour obtenir l'annulation de la décision implicite de rejet . Celui-ci condamna effectivement l'État en avril 1993. Mais le décret n'est toujours pas sorti...

(2) Le problème des galeries

Les galeries d'art ont toujours protesté contre l'extension du droit de suite au commerce privé d'oeuvres d'art. Elle font en effet valoir que :

• elles ont accepté de participer au financement du régime de la sécurité sociale des artistes pour ce qu'il est convenu d'appeler la "part patronale" ;

• elles font un travail de promotion des oeuvres des artistes, qui se traduit par la constitution des stocks lourds, qui devraient les dispenser d'une telle charge.

A l'appui de leur position, les galeries soulignent également que le système allemand, qui comporte effectivement un droit de suite, se révèle plus favorable.

Le régime applicable en Allemagne aux galeries est le suivant : en principe, ils ont 5% de droit de suite et 7% de cotisation à sécurité sociale. Mais ils ont conclu un accord avec une société, la "Bilkunst", qui représente les artistes.

Dans ce cadre, les galeries allemandes versent à cette société un montant égal à 0,8 de leur chiffre d'affaires. Ce versement tient lieu à la fois du droit de suite et de cotisation à la sécurité sociale.

(3) Les ventes publiques et le problème de compétitivité internationale

Dans la perspective de ce rapport, il convient seulement de souligner qu'il n'est perçu ni à Londres, ni à New-York.

Il en résulte une nette tendance à la concentration des ventes d'art contemporain vers ces deux places, qui vient, au moins pour la seconde, accentuer l'attraction d'un marché américain déjà dominant du fait de l'importance de ses artistes et du nombre et de la richesse de ses collectionneurs.

(4) Les chiffres du droit de suite

Comme le montre le tableau ci-dessous, les sommes perçues au titre du droit de suite sont variables avec la situation du marché.

L a Société des Auteurs Arts Graphiques et Plastiques - ADAGP - assure, sauf pour quelques grandes familles d'artistes, la perception du droit de suite.

Ses coûts de gestion sont d'environ 20 %,des sommes récoltées, comme l'a indiqué devant le rapporteur M. Jean-Marc Gutton, son directeur général.

PERCEPTIONS DROIT DE SUITE 1988-1998

FRANCE ET ÉTRANGER

 

France

Étranger

Total

1988

22.000.000 F

 
 

1989

47.000.000 F

 
 

1990

79.000.000 F

 
 

1991

26.000.000 F

 
 

1992

12.000.000 F

1.800.000 F

13.800.000 F

1993

13.000.000 F

2.000.000 F

15.000.000 F

1994

14.000.000 F

3.500.000 F

17.500.000 F

1995

10.000.000 F

3.000.000 F

13.000.000 F

1996

11.000.000 F

2.200.000 F

13.200.000 F

1997

11.200.000 F

2.700.000 F

13.900.000 F

1998 *

14.500.000 F

3.000.000 F

17.500.000 F

* dont 3 millions vente Dora Maar/Picasso

En ce qui concerne, la répartition du droit de suite, il est difficile d'avoir des chiffres très précis ; selon les informations qui ont été fournies au rapporteur, les produits moyens perçus par les bénéficiaires se répartissent de la façon suivante :

Pour l'année 1996, sur 2490 bénéficiaires :

• 38 auteurs (1,5 % des bénéficiaires) ont reçu 3.300.000 F (soit 30% du droit de suite) ;

• 250 auteurs (10 % des bénéficiaires) ont reçu 3.300.000 F (soit 30% du droit de suite) ;

• 2200 auteurs (88% des bénéficiaires) ont reçu 4.400.000 F (soit 40% du droit de suite).

Pour 1'année 1997, sur 2650 bénéficiaires :

• 39 auteurs (1,5 % des bénéficiaires) ont reçu 3.360.000 F (soit 30% du droit de suite) ;

• 270 auteurs (10,2 % des bénéficiaires) ont reçu 3.360.000 F (soit 30% du droit de suite) ;

• 2341 auteurs (88,34 % des bénéficiaires) ont reçu 4.480.000 F (soit 40% du droit de suite).

De tels chiffres ne permettent guère, faute d'informations complémentaires, de se faire une idée sur le bien fondé de tous ceux qui comme beaucoup de galeries, estiment que les personnes qui perçoivent le droit de suite sont par définition des personnes d'une certaine notoriété, qui en général n'en n'ont pas besoin. En revanche, ils suffisent à démontrer l'inexactitude de l'idée selon laquelle l'essentiel de ce prélèvement irait à une dizaine de familles d'artistes.

d) Le droit de reproduction

Le droit de reproduction résulte de l'article L122-3 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que l'auteur perçoit une rémunération à l'occasion de la reproduction autorisée de son oeuvre.

Le problème des reproductions d'oeuvres d'art dans les catalogues de ventes s'est posé il y a quelques années quand le titulaire du droit de reproduction de l'oeuvre d'Utrillo, a intenté une action en justice contre Maître Loudmer, pour avoir reproduit sans son autorisation deux peintures de l'artiste.

Dans un premier temps, le Tribunal de Grande Instance de Paris a admis dans un jugement en date du 8 avril 1997 que la reproduction d'un tableau dans un catalogue de vente devait être tenue pour une " courte citation ",au sens de l'article 47.3 de la loi du 11 mars 1957, n'exigeant pas l'autorisation de son auteur, dès lors que l'oeuvre en cause était " reproduite à seule fin d'information des acquéreurs éventuels et dans une présentation exclusive de tout autre usage " ......

En appel, la première Chambre de la cour d'appel de Paris confirma le 20 mars 1989, le jugement du tribunal. Or concurremment, la 4ème Chambre de la même cour adopta, en juillet 1989, toujours sur une plainte du titulaire des droits d'Utrillo, une position inverse, condamnant les grandes maisons de vente anglo-saxonnes, Sotheby's et Christie's, pour contrefaçon.

En cassation, dans deux arrêts rendus le même jour le 22 janvier 1991, la juridiction suprême a décidé que "la reproduction intégrale" d'une oeuvre d'art dans un catalogue de vente "ne pouvait en aucun cas s'analyser comme une courte citation". Elle a donc confirmé la décision rendue contre les maisons anglo-saxonnes et cassé l'arrêt prononcé en faveur de Me Loudmer.

Mais le feuilleton judiciaire continuait, car la cour de Versailles devant laquelle a été renvoyée l'affaire Loudmer, refusa de s'incliner devant la cour de cassation. Elle a persisté à considérer dans un jugement en date du 20 novembre 1991, qu'une reproduction dans un catalogue de vente pouvait être assimilée à une courte citation, dans la mesure où cette reproduction "adopte notamment quant aux dimensions un format assez réduit pour la ravaler au rang de la simple allusion ou, à tout le moins, de partie d'un tout de référence qui est l'oeuvre elle-même".

Cet arrêt a été cassé par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (5 novembre 1993).

L'affaire n'aurait eu qu'une portée limitée si les sociétés de perception ne s'étaient cru obligées de demander aux maisons de vente anglo-saxonnes des droits de reproduction pour ceux de leurs adhérents, dont les oeuvres avaient été publiées dans différents catalogues de vente (diffusés en France).

L'ADAGP a trouvé un terrain d'entente avec Sotheby's mais pas avec Christie's, dont le refus d'obtempérer s'appuie sur des considérations de droit communautaire 60( * ) .

Il faut toutefois souligner que la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques - ADAGP- qui revendique un droit de reproduction sur les oeuvres reproduites dans les catalogues des maisons de vente anglo-saxonnes a clairement fait savoir qu'elle ne revendiquait pas le paiement de ce droit pour les publications des opérateurs payant le droit de suite en France 61( * ) .

On note que, pour l'instant, il n'est pas prévu de maintenir en faveur des sociétés de ventes volontaires l`exception prévue par l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 en faveur des commissaires-priseurs pour leur catalogue mis à la disposition du public " dans le seul but de décrire les oeuvres mises en vente ". Ainsi, devrait prendre fin " par le haut " la discrimination dont pâtissaient les galeries d'art, tout en laissant subsister un problème de charge pour l'ensemble du marché français.

e) L'ISF, l'éternelle menace

Tel le phénix, la menace de l'inclusion des oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt sur la fortune ne cesse de renaître.

Les députés socialistes de la commission des finances de l'Assemblée nationale ont proposé, lors de l'examen de la dernière loi de finances, d'assujettir les oeuvres d'art à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Les partisans de la mesure en font d'abord une question de principe : " un bon impôt, c'est-à-dire un impôt bien accueilli par l'opinion, ne peut souffrir que très peu d'exonérations ou d'abattements particuliers. Pour qu'un prélèvement ne suscite pas une réaction légitime de rejet, il faut qu'il soit juste, c'est-à-dire qu'il s'applique également à tous les contribuables concernés "... Il s'agirait de pallier un " vice congénital " de l'ISF qui est une " assiette très étroite, pesant quasi exclusivement sur l'immobilier, et par contrecoup ses taux d'imposition sont trop élevés " 62( * ) .

En fait cette proposition reprenait une suggestion du rapport du Conseil national des impôts de juin 1998.

Sur le fondement d'une argumentation mettant en avant l'étroitesse de l'assiette, le Conseil note que l'exonération des oeuvres d'art peut " apparaître comme favorisant les détenteurs de patrimoine important ".

Considérant, toutefois que l'imposition de ces biens poserait aux services fiscaux des problèmes pratiquement insolubles d'évaluation et de contrôle et que la suppression de l'exonération risquerait aussi de perturber la "nécessaire modernisation du marché de l'art français", le Conseil des impôts suggérait d'inclure les oeuvres d'art et les objets de collection dans l'assiette de l'ISF, tout en simplifiant et en forfaitisant leur imposition, en proposant d'inclure les oeuvres d'art et les objets de collection dans le forfait mobilier fixé à 5% de la valeur du patrimoine.

L'argumentation se retrouve encore dans les propositions du député apparenté communiste, Jean-Pierre Brard qui dans le cadre de sa mission sur " La fraude et l'évasion fiscale " envisage de rouvrir le débat sur l'impôt sur la fortune, qui présente selon lui " une assiette trop étroite, des taux relativement élevés, un niveau parfois confiscatoire et cependant un rendement modeste " en préconisant en contrepartie un élargissement de la base, notamment aux oeuvres d'art.

La commission des finances de l'Assemblée nationale, peut par rapport à ce projet faire état d'un certain nombre d'assouplissements : D'abord, elle a abaissé le plafond de 5 % à 3 %. Ensuite, elle a suggéré d'exonérer les contribuables exposant leurs oeuvres au public pendant six semaines par an, ainsi que les oeuvres dont le créateur est encore vivant.

En dépit des interventions de Mme Catherine Trautmann 63( * ) et de M. Jack Lang 64( * ) , l'Assemblée nationale avait voté en première lecture la suppression de l'exonération avant de s'incliner devant le Gouvernement en seconde délibération. Le Premier Ministre ayant tranché en faveur du maintien de l'exonération des oeuvres d'art, dont la taxation n'aurait rapporté que 280 millions pour un ISF censé rapporter 15 milliards l'an prochain, une mission parlementaire devant toutefois réexaminer la fiscalité du marché de l'art.

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