II - LES DÉMARCHES EXPÉRIMENTALES EN COURS : TISSUS ET CELLULES

1. L'ingénierie tissulaire

L'ingénierie - ou génie - tissulaire est, selon la définition qu'en donne le docteur François AUGER, directeur du laboratoire d'organogenèse expérimentale (LOEX) à l'hôpital du Saint-Sacrement (Québec), un nouveau domaine biomédical regroupant les principes de la biologie cellulaire et du génie biologique, qui permet de reconstruire des structures proches des tissus à partir de cellules vivantes pour des usages in vivo ou ex vivo. Le concept clef en est la reproduction, avec des caractéristiques simplifiées, de l'architecture tissulaire, qui conduit à une intégration immédiate et interactive de ces tissus dans le corps humain.

Deux méthodes sont actuellement expérimentées pour la création de « néo-organes » à partir de cultures cellulaires in vitro.

1°) La première fait appel à des biomatériaux pour la culture in vitro et l'implantation des cellules. Les cellules incorporées dans ces supports sécrètent des quantités variées de matrice extracellulaire conduisant à la reconstruction d'une structure proche du tissu d'origine mais comprenant également la trame biodégradable du biomatériau. Ces tissus offrent une bonne résistance mécanique mais la présence d'un squelette biodégradable peut être un handicap dans les organes pulsatiles, comme les vaisseaux sanguins, en raison d'une incompatibilité de compliance entre les cellules et leur matrice extracellulaire, d'une part, et la structure du biomatériau, d'autre part. De plus, le processus de biodégradation de ces matériaux s'avère plus complexe qu'il n'avait été initialement prévu.

Cette technique a été utilisée à la Harvard Medical School de Boston par Anthony ATALA pour expérimenter sur des chiens la création d'une vessie bioartificielle . Des cellules musculaires lisses et des cellules de la paroi interne de la vessie, dites urothéliales, sont prélevées par biopsie chez l'animal receveur et mises séparément en culture pendant quatre semaines. Le tissu ainsi cultivé est ensuite fixé sur un moule de polymère biodégradable ayant la taille et la forme d'une vessie de chien. Les cellules urothéliales sont placées à l'intérieur du moule et les cellules musculaires à l'extérieur, en couches successives, après passage dans un incubateur. Au bout de six semaines, les chercheurs remplacent la vessie naturelle par ce néo-organe qui fonctionne correctement un mois plus tard. Après onze mois, la vessie retrouve 95 % de la capacité d'un organe normal.

L'intérêt de cette expérience, par delà son aspect spectaculaire, est d'avoir réussi à reconstituer une structure fonctionnelle composée de plusieurs tissus différents. Pratiquée avec succès sur dix animaux, elle devra encore être affinée avant son expérimentation sur l'homme. Néanmoins, l'équipe d'Anthony ATALA a déjà élaboré des cultures de cellules de vessie humaine in vitro. Ce néo-organe pourrait intéresser 400 millions de personnes connaissant des problèmes de vessie qui vont de la malformation congénitale à l'infection chronique et au cancer.

2°) La seconde méthode consiste, sans apport extérieur, à exploiter la capacité qu'ont les cellules à s'auto-assembler spontanément , à sécréter leur propre matrice extracellulaire et à en organiser l'architecture interne, lorsqu'elles sont placées dans un environnement favorable. Les tissus ainsi obtenus sont dénués de tout matériel exogène et présentent de surcroît des propriétés mécaniques remarquables.

Ce procédé a été expérimenté par le LOEX à Québec pour la fabrication de vaisseaux sanguins à partir de cellules humaines prélevées sur un cordon ombilical. On en a extrait, pour les cultiver séparément, les trois types de cellules constitutives d'un vaisseau sanguin : des cellules endothéliales pavimenteuses qui tapissent la paroi interne du vaisseau (« intima ») ; des cellules musculaires lisses logées dans la couche médiane (« média »), qui assurent la contractilité du vaisseau ; des fibroblastes qui forment la couche externe (« adventice »). On obtient, après culture, deux feuillets cellulaires, la média et l'adventice, qu'on enroule autour d'un mandrin pour reproduire la forme tubulaire du vaisseau. Puis des cellules endothéliales sont ensemencées dans la lumière du vaisseau. Ainsi réunies, les espèces cellulaires entament un « dialogue » qui concourt, par un échange de messages chimiques (cytokines et facteurs de croissance), à structurer la matrice extracellulaire pour en faire une structure de soutien.

Les vaisseaux sanguins ainsi reconstruits ont 3 à 5 mm de diamètre. Ils se prêteraient donc bien aux pontages coronariens et pourraient également réparer les dégâts artériels causés par l'athérosclérose. « Les vaisseaux » , indique le docteur AUGER, « supportent une tension de vingt fois supérieure à celle d'une personne normotendue. En outre, ils sécrètent eux-mêmes des substances antithrombotiques qui préviennent la formation de caillots susceptibles d'obstruer le flot sanguin. Or, ces deux caractéristiques font défaut aux prothèses synthétiques qui ont servi de greffons jusqu'à présent. » 34 Obtenus à partir des propres cellules du patient, ils éviteraient les problèmes de rejet et de transmission pathogène qui sont les principaux écueils liés à la transplantation d'organes étrangers.

D'autres recherches sur la reconstruction tissulaire tridimensionnelle sont actuellement en cours. Elles portent notamment sur la cornée . Deux chercheurs de l'Eye Institute de l'Université d'Ottawa et de la faculté de médecine de l'Université du Tennessee ont ainsi mis en culture, en couches superposées, trois types de cellules composant la cornée (épithélium antérieur qui constitue la membrane extérieure, stroma qui forme la couche intermédiaire composée de kératinocytes et endothélium antérieur, ou couche profonde de la cornée). Après deux semaines, ils ont pu disposer d'un tissu transparent ayant à peu près les mêmes propriétés que la cornée humaine. Avant d'en envisager la greffe, il conviendra d'une part de vérifier l'absence de risque cancérigène et de réactions immunitaires, d'autre part de s'assurer que ces cornées artificielles ne s'opacifient pas avec le temps. Cela étant, ce tissu artificiel présente un grand intérêt pour la recherche et « pourrait servir de modèle pour répondre à bon nombre de questions fondamentales » comme le note Terence O'BRIEN, chirurgien de la cornée au Wilmer Eye Institue (Johns Hopkins School of Medicine) 35 .

Les différentes méthodes de génie tissulaire ouvrent donc de nouvelles voies dans le domaine de la transplantation d'organes. Elles pourraient en outre apporter un concours précieux au développement de la thérapie génique en permettant l'introduction de gènes actifs dans des équivalents tissulaires in vitro et l'implantation de ceux-ci au niveau des sites anatomiques adéquats. On soulignera enfin qu'elles présentent l'avantage non négligeable de ne soulever aucun problème éthique puisqu'elles font exclusivement appel à des cellules adultes qui ne se heurtent pas, de ce point de vue, aux mêmes objections que les cellules embryonnaires.

2. La greffe de cellules allogéniques

Les voies thérapeutiques actuellement explorées par les chercheurs qui expérimentent ce type de greffe sur l'animal et sur l'homme visent, pour l'essentiel, deux objectifs :

• fournir une alternative à la transplantation d'organes pour le traitement des affections hépatiques graves et du diabète. Outre le problème habituel que pose la pénurie de donneurs, les greffes de foie et de pancréas constituent des procédures chirurgicales lourdes qui exposent le patient à des suites parfois émaillées de complications et dont le taux de réussite est, de ce fait, assez faible dans les conditions actuelles. On peut redouter, d'autre part, les effets pathogènes induits par l'administration prolongée d'un traitement immunosuppresseur ;

• soigner de façon plus efficace des affections neurodégénératives (maladie d'Alzheimer, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, chorée de Huntington) qui ne font actuellement l'objet que de traitements palliatifs et dont la fréquence s'accroît avec le vieillissement de la population.

Les cellules utilisées proviennent selon les cas de résidus opératoires, de donneurs décédés accidentellement ou de foetus après IVG. On renverra, pour les problèmes juridiques que posent ces différents types de prélèvements, aux observations énoncées dans notre rapport sur l'application de la loi du 29 juillet 1994.

2.1. La greffe de cellules adultes

Les recherches en cours concernent les cellules du foie (hépatocytes) et les cellules du pancréas (îlots de Langerhans).

2.1.1. Les cellules du foie (hépatocytes)

Les hépatocytes sont des cellules du parenchyme hépatique à fonctions multiples (transformation, synthèse, détoxication, production de bile). La recherche sur ces cellules a pris un tournant décisif lorsqu'ont été mises au point des méthodes d'isolement et de purification par digestion enzymatique de l'organe entier par la collagénase. Après de nombreuses étapes préliminaires qui ont analysé le fonctionnement et le métabolisme de ces cellules, on a pu mettre au point des modèles de culture et de stockage.

A l'heure actuelle, les hépatocytes sont essentiellement obtenus par le biais de déchets opératoires, à l'occasion d'interventions chirurgicales pratiquées pour le traitement de pathologies tumorales. Dans cette hypothèse, l'ablation pratiquée est assez large pour permettre de récupérer une partie du parenchyme non affectée par la tumeur et d'en extraire les cellules hépatiques. Toutefois, la proximité de ces cellules avec une tumeur les rend impropres à un usage clinique. Pour la recherche fondamentale, elles sont imparfaites puisque les patients ont souvent reçu de nombreux médicaments qui modifient l'expression des gènes régulant les fonctions hépatocytaires 36 .

Les prélèvements post-mortem constituent, en revanche, une source d'approvisionnement qualitativement satisfaisante mais se heurtent à des difficultés liées au régime de consentement établi par la loi du 29 juillet 1994 37 .

A Rennes, deux unités INSERM (U 522 « Recherches hépatologiques » et U 456 « Détoxication et réparation tissulaire ») travaillent actuellement sur les hépatocytes. Dans le cadre de la thérapie cellulaire, deux programmes de recherche pré-clinique sont en cours de réalisation.

- Le premier concerne la mise au point d'un foie bioartificiel qui pourrait être fonctionnel et disponible à tout moment pour faire face, en urgence, à la menace vitale des insuffisances hépatiques aiguës, telles que l'hépatite fulminante. L'organe artificiel constitue ainsi une suppléance hépatique transitoire et extracorporelle. Le maintien en survie du patient laisse à son foie le délai nécessaire pour une régénération spontanée et permet de faire l'économie d'une transplantation d'organe.

Le bon fonctionnement de ce dispositif implique que soient satisfaites plusieurs conditions : maintien de la viabilité des hépatocytes durant plusieurs heures, voire plusieurs jours ; bon fonctionnement général de ces cellules ; mise à disposition, à tout moment, du foie bioartificiel, ce qui oblige à congeler les hépatocytes du donneur.

Le système mis au point à Rennes est fondé sur l'immobilisation d'hépatocytes (d'origine humaine ou porcine) dans des billes d'alginate 38 , composé naturel extrait des algues marines. Les billes sont congelées dans de l'azote liquide et disposées, pour leur utilisation, dans un bioréacteur extracorporel couplé à un séparateur plasmatique. Les premiers résultats obtenus à partir de cellules animales sont très encourageants : l'ensemble des fonctions hépatiques analysées, notamment celles de détoxication et de synthèse protéique, sont restaurées, et la protection immunologique des hépatocytes est totale.

- L'autre axe de recherche concerne la transplantation d'hépatocytes pour remédier aux déficits enzymatiques congénitaux d'origine hépatocytaire et traiter, en urgence, l'hépatite fulminante.

Sur ce dernier point, on peut faire état des recherches menées par Alexandre MIGNON et plusieurs de ses collègues de l'unité INSERM U 129 (physiologie et pathologie génétiques et moléculaires) dirigée par Axel KAHN. Les expériences menées par cette équipe procèdent des constatations suivantes : lors d'une infection touchant les cellules hépatiques, les lymphocytes T affluent dans le foie et libèrent une molécule - le ligand de Fas - qui se fixe indistinctement sur tous les hépatocytes, sains ou infectés, et conduit à leur autodestruction (apoptose). Des cellules génétiquement modifiées, produisant la protéine Bcl 2 , qui est un bouclier contre l'apoptose, ont été greffées sur des souris chez qui l'administration d'un anticorps imitant le ligand de Fas a déclenché l'autodestruction des hépatocytes d'origine. A l'issue de l'expérience, le foie des animaux greffés contenait, dans le meilleur des cas, 16 % d'hépatocytes modifiés fonctionnels.

La transposition de cette méthode à l'homme présuppose que soit démontrée l'innocuité à long terme des hépatocytes ainsi modifiés. Si tel était le cas, on pourrait envisager le prélèvement des cellules sur le malade lui-même et leur modification in vitro avant réimplantation afin d'éviter les risques de rejet et les traitements immunosuppresseurs.

Si la faisabilité et la fiabilité du procédé étaient confirmées, d'autres adjonctions transgéniques pourraient être envisagées, comme l'introduction du gène codant une molécule qui découpe les ARN messagers du virus de l'hépatite C et bloque ainsi la synthèse de nouvelles particules virales. La transgenèse pourrait également être utilisée pour compenser un déficit génétique : une recherche pré-clinique est en cours sur l'animal avec le gène du facteur VIII et le gène codant les récepteurs du cholestérol, dont l'absence provoque, dans le premier cas l'hémophilie, dans le second une hypercholestérolémie.

2.1.2. Les cellules pancréatiques (îlots de Langerhans)

Les îlots de Langerhans sont des structures grossièrement sphériques composées d'un bon millier de cellules dont la majorité, les cellules ß, sécrètent de l'insuline. Ces cellules endocrines représentent 2 % de la masse totale du pancréas.

Leur obtention passe par le prélèvement de l'organe sur un donneur en état de mort cérébrale. Après séparation des autres tissus constitutifs du pancréas et purification, ces cellules sont injectées, sous anesthésie locale, dans la veine porte du foie. Les îlots vont ainsi se disperser dans le flux sanguin hépatique et s'implanter dans le foie. Au terme d'un délai qui peut aller de quelques jours à quelques semaines, ils se remettent à fonctionner et sécrètent de l'insuline en fonction des taux de sucre dans le sang.

Cette méthode présente plusieurs avantages :

• la procédure thérapeutique elle-même est simple et peu agressive ;

• les îlots peuvent être congelés pour être stockés ou expédiés, ce qui facilite considérablement l'organisation de la greffe ;

• enfin, il est théoriquement envisageable de manipuler les îlots en éprouvette afin de réduire les risques de rejet.

De telles greffes ne sont concevables pour l'instant que sur des diabétiques soumis, par ailleurs, à un traitement immunosuppresseur parce qu'ils attendent une transplantation rénale ou en ont déjà bénéficié.

Les résultats sont encourageants : selon l'expérience allemande qui s'appuie sur la pratique la plus développée, cette thérapie cellulaire permet d'obtenir dans 20 % des cas une indépendance totale vis-à-vis de l'insuline, dans 70 % une amélioration notable se traduisant par une réduction majeure des doses, sans sevrage complet 39 .

Les perspectives qui s'ouvrent à l'heure actuelle aux chercheurs sont bien identifiées grâce, notamment, à l'Association américaine des diabétiques qui finance cette recherche à même hauteur que les NIH (National Institutes of Health), le but affiché étant de guérir le diabète dans les dix ans à venir. Les plus grands groupes de recherche américains s'intéressant à cette maladie, assurés d'un financement récurrent, se sont lancés dans une bataille qui était jusqu'ici menée par des équipes plus restreintes.

Deux objectifs ont été définis :

- Le premier est de parvenir à se passer de l'immunosuppression afin de pouvoir proposer cette technique à tous les diabétiques. Avec des cellules qui présentent la particularité d'être disponibles quelques jours, voire quelques semaines, avant d'être greffées - ce qui n'est pas le cas des organes - de nombreuses solutions théoriques sont possibles.

L'une d'entre elles, envisagée de longue date, consiste à encapsuler les îlots dans un dispositif synthétique (polymère biocompatible), qu'il s'agisse de microcapsules ou de fibres creuses, arrêtant les cellules immunitaires mais laissant diffuser l'insuline et le glucose. Des résultats intéressants ont été obtenus chez le rongeur : à l'INSERM U 341 (Hôtel-Dieu de Paris), des îlots de porcs encapsulés greffés dans le péritoine de souris diabétiques ont corrigé leur glycémie pendant plusieurs semaines, sans traitement immunosuppresseur. L'expérience reste à confirmer chez le gros animal.

- Le second objectif est de développer une source alternative de cellules insulino-sécrétrices, quasiment illimitée et éventuellement accessible à un projet industriel 40 .

La xénogreffe, solution théorique initialement avancée, a subi, pour ce qui concerne les îlots de Langerhans, un sérieux coup d'arrêt en raison de problèmes infectieux qui, dans le cas du diabète, maladie létale, revêtent une particulière gravité.

La source principale est offerte par l'embryologie à partir de cellules souches . Des cellules souches endothéliales ont été caractérisées chez le rongeur adulte et, plus récemment, chez l'homme. On peut sous certaines conditions, pathologiques chez l'homme, expérimentales chez l'animal, réinduire leur différenciation. Des cellules souches canalaires pancréatiques peuvent ainsi conduire à la création de cellules endocrines pancréatiques. Ceci ouvre la porte sur deux voies principales :

• la néoformation in vitro, à base de cellules souches adultes, de lignées continues qui se développent de façon illimitée et pourraient être, soit allogéniques, soit autologues. Cette solution paraît réalisable dans les dix années qui viennent ;

• la création de lignées continues de génie génétique à partir de cellules hépatiques ou musculaires. Elle pose, sur le plan scientifique, un problème conceptuel important : s'il est tout à fait possible de faire sécréter de l'insuline par une cellule hépatique ou musculaire humaine, cette sécrétion doit être très finement régulée par le glucose, faute de quoi elle expose à un risque important d'hypoglycémie. Or, les systèmes utilisés par la cellule ß pancréatique naturelle pour réguler sa production d'insuline sont complexes et l'on ne dispose pas actuellement des outils permettant de réguler artificiellement cette sécrétion.

2.2. La greffe de cellules foetales

L'utilisation de cellules foetales à des fins thérapeutiques présente de nombreux avantages : encore peu différenciées, elles possèdent une grande capacité de multiplication et peuvent, grâce à leur immaturité, transgresser les barrières d'incompatibilité plus aisément que les cellules adultes, y compris d'une espèce à une autre. Ainsi a-t-on pu développer, à partir de souris affectées de déficits immunitaires sur lesquelles sont greffées des cellules foetales humaines, des modèles permettant de tester des médicaments, notamment contre le SIDA 41 .

Se pose, en revanche, le problème de leur obtention en quantité suffisante, sachant que plusieurs foetus sont, par exemple, nécessaires pour le traitement, à partir de cellules neuronales, d'un patient atteint de la maladie de Parkinson. Or, cette obtention passe nécessairement par une interruption thérapeutique ou - le plus souvent - volontaire de grossesse. Afin d'éviter tout abus visant à adapter l'offre à la demande, ces pratiques ont été encadrées par deux avis du Comité consultatif national d'éthique, en date des 22 mai 1984 et 13 décembre 1990, qui tendent notamment à garantir une stricte séparation entre la décision de recourir à une interruption de grossesse et l'acte de prélèvement d'organe ou de tissus. Le législateur pourrait être amené à s'en inspirer pour remédier au silence actuel des textes 42 . Dans ce contexte à juste titre restrictif, les praticiens seront tentés de s'orienter, comme ils commencent déjà à le faire de façon expérimentale, vers des xénogreffes d'origine porcine si celles-ci confirment leur faisabilité et leur innocuité.

2.2.1. Les cellules souches hématopoïétiques (cellules de foie foetal)

- Le professeur Jean-Louis TOURAINE a expérimenté à Lyon, depuis une quinzaine d'années, la greffe de cellules souches hématopoïétiques pour le traitement, chez les nourrissons et les enfants, des déficits immunitaires congénitaux, des maladies sanguines et de quelques erreurs innées du métabolisme. Les indications sont voisines de celle de la greffe de moelle osseuse mais l'avantage de cette technique est de pouvoir s'affranchir des exigences de compatibilité. Ce traitement vise notamment les « enfants bulles », privés de système immunitaire. On parle indistinctement, en l'espèce, de prélèvements embryonnaires ou foetaux parce qu'ils sont effectués entre la huitième et la douzième semaine suivant la fécondation alors qu'on place la frontière, nécessairement floue, entre l'embryon et le foetus à la huitième semaine de grossesse.

Ces cellules ont fait la preuve de leur efficacité avec, cependant, un taux d'échec de 30 % qui tenait à deux causes principales :

• la survenue d'infections avant que le traitement ne soit devenu opérant ;

• la manifestation de phénomènes de rejet 43 .

A partir de 1988, on a donc décidé, après expérimentation animale, d'appliquer le traitement dès le stade foetal, immédiatement après le diagnostic prénatal, pour parer à des réactions de rejet. Cette méthode a très sensiblement amélioré les résultats 44 .

- Le professeur François FORESTIER vient, de son côté, de lancer un projet de recherche très voisin qui associe l'Université Paris IX et le CHU de Lausanne, après accord du comité d'éthique de cet établissement.

Ce projet s'appuie sur le fait qu'il existe, dans la nature, des chimérismes, c'est-à-dire des situations dans lesquelles des individus peuvent vivre en symbiose avec des cellules ne provenant pas de leur organisme. L'objectif est de traiter des maladies foetales, notamment monogéniques, qui sont actuellement incurables et auxquelles la transplantation ne peut apporter qu'une réponse très imparfaite.

L'expérimentation fait appel à des foies foetaux prélevés après avortement entre 12 et 14 semaines de grossesse. L'accord de la mère, sollicité après la décision d'interruption de grossesse, est totalement indépendant de cette décision. Le don est rigoureusement anonyme et exclusif de toute rémunération comme de toute association de la donatrice aux résultats futurs de la recherche.

L'intérêt que présentent ces cellules de foie foetal tient au fait :

• qu'entre 12 et 14 semaines de développement du foetus, elles sont immunologiquement neutres et ne suscitent donc pas de phénomènes de rejet ;

• qu'à ce stade, elles sont multipotentes et peuvent, sous l'influence de facteurs de croissance, conduire à une différenciation contrôlée en globules rouges, globules blancs, plaquettes, cellules musculaires, cellules osseuses.

Elles ont, par ailleurs, une très grande capacité de prolifération, leur nombre s'accroissant d'un million au bout de 90 à 120 jours. Un seul foie permettrait ainsi d'offrir une transplantation de moelle osseuse à 150 receveurs 45 .

Une banque de 27 foies foetaux congelés a pu ainsi être constituée à partir de 52 organes prélevés, cet écart s'expliquant par le délai variable et non contrôlable qui sépare l'interruption de grossesse du prélèvement.

Deux contrôles de séroconversion sont pratiqués sur la mère, l'un le jour du prélèvement, l'autre trois mois plus tard. La phase thérapeutique entamée après ce second contrôle consistera dans l'injection de ces cellules, par voie péritonéale, à des foetus atteints de déficits immunitaires sévères, constatés par un diagnostic prénatal effectué à 10 semaines. L'injection sera effectuée entre la douzième et la treizième semaine de grossesse. Une prise de sang foetal permettra de contrôler l'expression du chimérisme conduisant à la création d'une molécule particulière. L'appréciation du résultat sera communiquée aux parents, à qui reviendra la décision d'une éventuelle interruption de grossesse 46 .

2.2.2. Les neurones foetaux

La transplantation de cellules neuronales d'origine foetale pour le traitement de la maladie de Parkinson a été inaugurée en Suède à partir de 1989 et s'est développée ensuite aux Etats-Unis, en France et en Belgique. Elle a été pratiquée, les premiers temps, de façon unilatérale (c'est-à-dire sur un seul hémisphère cérébral), sur des patients sévèrement atteints et présentant les principales complications de la maladie (fluctuations motrices et dyskinésies).

La première greffe française a été réalisée, en juin 1991, à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil par l'équipe du professeur Pierre CESARO. Depuis cette date, 25 interventions portant sur les deux hémisphères cérébraux ont été pratiquées sur 13 malades parkinsoniens.

Ces essais cliniques font appel à des neurones prélevés sur des embryons 47 issus d'IVG, de 8 à 10 semaines post-gestation, et dont les cellules du système nerveux central sont en cours de différenciation. Conformément au protocole établi en 1990 par le CCNE, l'accord de la mère sur un prélèvement éventuel à des fins scientifiques ou médicales est recueilli, sous forme écrite, par les obstétriciens et non par les neurologues. Une information plus précise sur l'utilisation des prélèvements peut être fournie sur demande de la patiente mais elle n'est, dans les faits, que très rarement sollicitée.

Selon la procédure la plus couramment utilisée, le tissu contenant environ 3 millions de neurones est implanté en trois endroits du putamen, le principal noyau cérébral affecté par la déficience en dopamine, dans chaque hémisphère cérébral. Les points d'implantation sont contrôlés par repérage radiologique. Le cerveau étant considéré comme immuno-protégé, la pratique française s'est orientée vers un traitement immunosuppresseur réduit qui n'a pas suscité de phénomènes de rejet.

La survie et le développement des neurones dopaminergiques greffés sont évalués annuellement grâce à des techniques d'imagerie cérébrale : la tomographie par émission de positons (TEP) ou l'imagerie par résonance magnétique (IRM).

L'évolution des patients est suivie selon un protocole international, le CAPIT (core assessment program for intracerebral transplantation).

Selon le bilan présenté par le professeur Gilles DEFER 48 , on a pu noter, après une greffe bilatérale, une amélioration qui peut être chiffrée de 30 à 40 % dans la majorité des cas et qui se traduit par une réduction des périodes de blocage, une amélioration des capacités motrices et une modification des dyskinésies. Les critiques fondées sur l'effet placebo ont été abandonnées face à l'homogénéité des résultats cliniques. D'autre part, l'autopsie de patients décédés a mis en évidence les effets positifs et persistants des greffes. « Dans tous les cas » , note de son côté Philippe HANTRAYE (service hospitalier Frédéric-Joliot, Orsay), « la transplantation a permis de réduire les doses du traitement médicamenteux par la L-Dopa et d'éliminer ses effets secondaires .» 49

La plus récente étude clinique américaine , « randomisée » avec groupe contrôle et réalisée sur fonds fédéraux par les équipes de Curt FREED (Université de Denver, Colorado) et de Stanley FAHN (Columbia-Presbyterian Medical Center, New York) a été communiquée en avril 1999 par le National Institute of Neurological Disorders and Stroke. Elle a été effectuée en double aveugle avec un groupe placebo sur un échantillon de 40 individus. Un an après, plus de la moitié des transplantés présentait une augmentation significative de la production de dopamine mais la durée et la persistance de cet effet restent à préciser. D'autre part, seules les personnes traitées de moins de 60 ans, soit 9 patients, ont connu une amélioration significative de leur état. « L'ancienneté et la sévérité de la maladie influent incontestablement sur l'efficacité du traitement. » (Pr. DEFER)

Plus récemment 50 , une équipe britannico-suédoise a rapporté les résultats obtenus sur un des 17 patients traités, qui avait fait l'objet en 1989 d'une greffe unilatérale. L'administration de L-Dopa a pu être interrompue au bout de 32 mois et le traitement immunosuppresseur suspendu après 64 mois. Six ans plus tard, une dose réduite de L-Dopa a dû être réadministrée pour soigner les symptômes provenant de l'hémisphère cérébral non greffé. Cette expérience a permis de constater sur une période de dix ans le maintien en activité des neurones implantés et une innervation normale du striatum par ces derniers alors que cette innervation a disparu dans la partie non traitée. Ces données confirment l'intérêt de la greffe de neurones foetaux mais ne sauraient conduire à sous-estimer la longueur du chemin que l'expérimentation clinique doit encore parcourir en ce domaine.

Un débat existe d'ailleurs en France sur les mérites comparés de la stimulation électrique et de la transplantation cellulaire pour le traitement du Parkinson. Un programme européen du réseau NECTAR (network of european CNS transplantation and regeneration), coordonné par le professeur DEFER et le docteur LEVIVIER (hôpital Erasmus, Bruxelles), vise à mettre au point un protocole d'évaluation standardisée, destiné à tous les types de chirurgie du Parkinson (greffe neuronale, stimulation électrique et pallidectomie 51 ). Il doit être complété cette année par l'ouverture d'une banque de données européenne localisée à Bruxelles qui tiendra un registre des patients opérés, quel que soit le type d'intervention pratiquée.

Pour parer à la faible disponibilité, déjà évoquée, des cellules neuronales d'origine humaine, des expériences à base de cellules animales ont été mises en oeuvre. Aux Etats-Unis , la société Genzyme Tissue Repair a développé des cellules provenant de foetus de porcs non transgéniques ; des essais cliniques de phase 1 sont en cours sur 24 sujets atteints, pour une moitié, de la maladie de Parkinson, pour l'autre, de la chorée de Huntington. Ces patients sont placés, de façon permanente, sous cyclosporine. En Europe , un réseau rassemblant la France, la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark et l'Allemagne se prépare à la xénogreffe dans les trois années à venir, après expérimentation sur le primate, en la soumettant à des précautions pré et postopératoires plus strictes que celles qui s'appliquent aux Etats-Unis. L'objectif est d'améliorer notamment les traitements immunosuppresseurs.

A l'hôpital de Nantes, l'équipe de Philippe BRACHET (INSERM U 437, Immuno-intervention dans les allo et xénotransplantations) expérimente, dans des transplantations porc-rat, la modification par transgenèse des neurones greffés pour qu'ils sécrètent des cytokines anti-inflammatoires et immunosuppressives de sorte qu'ils inactivent, une fois implantés dans le cerveau, le peu de système immunitaire dont il est doté, rendant inutile l'administration de cyclosporine. Ainsi pourrait-on parvenir à terme à un porc transgénique dont les neurones survivraient chez l'homme 52 .

A partir de 1996, une étude expérimentale et clinique a été conduite à Créteil par Pierre CESARO, Jean-Paul N'GUYEN et Marc PESCHANSKI pour le traitement, par greffe de neurones foetaux, de la chorée de Huntington . Cette maladie neurodégénérative d'origine génétique frappe des adultes jeunes ; troubles moteurs et démence précèdent une issue fatale en dix à vingt ans. Des travaux antérieurs, menés sur un modèle animal partiel de la maladie ne présentant que des troubles moteurs, par des équipes de l'INSERM associées au CNRS et au CEA, avaient montré que l'on peut obtenir une certaine correction de ces troubles par une greffe de neurones foetaux dans la région du striatum. Une série de cinq patients a fait l'objet, après avis favorable du CCNE, d'implantations bilatérales en deux périodes (juin 1996-décembre 1997, janvier 1998-octobre 1998). L'évaluation finale est en cours.

On signalera enfin que l'équipe du docteur Marc PESCHANSKI 53 expérimente, depuis avril 1998, une technique de thérapie génique déjà validée chez les primates : elle consiste dans l'administration d'un facteur de protection des neurones par implantation de cellules génétiquement modifiées et encapsulées dans un polymère, afin d'éviter les réactions immunitaires. Ce procédé a permis d'utiliser, dans un premier temps, des cellules de hamster. Compte tenu des restrictions qui prévalent actuellement en matière de xénogreffes, l'expérimentation se poursuit maintenant avec des fibroblastes humains (cellules du tissu conjonctif). Les résultats semblent positifs en termes de tolérance et de faisabilité. Le docteur PESCHANSKI souligne à ce propos le caractère artificiel, au regard de sa pratique scientifique, de la distinction entre thérapie cellulaire et thérapie génique puisque les cellules génétiquement modifiées pourraient être conduites à jouer simultanément un rôle de substitution et un rôle neuroprotecteur. 54

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