Louis MERMAZ - Ancien Président de l'Assemblée nationale

À l'énoncé du sujet, « La première élection présidentielle au suffrage universel direct du Président », ne faut-il pas se poser la question du rôle essentiel que joue la Constitution dans la vie d'un pays et cependant s'interroger sur les limites de ladite Constitution ?

La Troisième République finissante, qui avait connu des heures glorieuses avant 1914-1918, est si affaiblie qu'elle ne saura pas s'opposer à la remilitarisation de la rive gauche du Rhin, alors que si le Gouvernement, le Gouvernement FLANDIN, avait réagi et envoyé l'armée française en Rhénanie comme le traité de Versailles le permettait, la Wehrmacht aurait déposé HITLER, au pouvoir depuis deux ans. S'en sont suivis les accords de Munich et vous connaissez la suite.

Dans un contexte différent, la IV e République finissante n'a pas tenu les promesses de celle qui avait reconstruit la France après la Guerre. Sous ses législatures des projets de réformes économiques majeurs ont été engagés. Néanmoins l'instabilité de la fin de la IV e République, son impuissance à régler les problèmes coloniaux (Indochine, Madagascar, Algérie) ont permis le 13 mai 1958. Nous avons assisté au plus fameux des coups d'État de l'Histoire de France, puisqu'on discute encore de savoir si s'en fût un. Toutes générations confondues, les uns ayant vécu la fin de la III e République, les autres celle de la IV e , ont massivement répondu « oui » au référendum sur la nouvelle Constitution de 1958. On comprend derechef qu'après les accords d'Évian, ils aient encore voté à 62 % pour l'élection du Président de la République au suffrage universel, car dans les deux cas, dans des contextes historiques différents, les régimes parlementaires avaient terminé par des régimes d'assemblée.

Le Général de GAULLE arrive donc au pouvoir. De lui, jusqu'à François HOLLANDE, nous assistons à un usage différent de la même Constitution, approuvée par les Français en violation d'ailleurs des dispositions de la Constitution. Les Français avaient néanmoins validé par leur vote positif ce qui avait été au départ une illégalité flagrante. Le Général de GAULLE est donc porté au pouvoir par l'insurrection d'Alger le 13 mai 1958. Il lui faudra un certain nombre d'années pour se dégager de l'emprise de ceux qui l'ont soutenu, puisqu'il en sera réduit, à poursuivre pendant quatre ans la guerre d'Algérie.

Lorsque le Général de GAULLE déclare : « Il n'est de pouvoir ni exécutif, ni législatif, ni judiciaire qui ne procède du Président de la République », on peut parler de monarchie, presque de droit divin. À la même époque, François MITTERRAND réplique : « Le Général de GAULLE a son Gouvernement, son assemblée, sa justice, sa télévision. Il veut maintenant son Europe. Et comme BONAPARTE l'a dit un jour, et pourtant il s'y connaissait en la matière, les pouvoirs excessifs finissent pas mourir d'indigestion ». Nous avons connu en effet les évènements de mai 1968.

De 1958 à 1974, deux présidents, de GAULLE et POMPIDOU ont accompli une oeuvre positive sur bien des points. La France a joué un rôle international certain. Le Général de GAULLE déclarera cependant qu'il aurait voulu pouvoir faire plus, qu'il aurait aimé être à la tête d'un pays plus puissant, car il savait parfaitement, que, s'il avait fait sortir la France du commandement intégré de l'OTAN, celle-ci en pleine période de Guerre froide, avait malgré tout besoin de la protection des États-Unis.

Vint en 1974 la présidence de GISCARD d'ESTAING. Ni Jacques CHIRAC ni Raymond BARRE ne furent des premiers ministres falots ou dociles.

François MITTERRAND est élu en 1981 après deux échecs. Il rappelle qu'il n'a jamais voté la Constitution de 1946 ou 1958. Dès 1965, première élection au suffrage universel direct du Président de la République, il fut l'inventeur de l'Union de la gauche après en avoir fait l'essai dans son département de la Nièvre. Cela fut alors un véritable coup de tonnerre.

François MITTERRAND aura plusieurs premiers ministres, MAUROY, FABIUS, CHIRAC pendant la première cohabitation, ensuite ROCARD, CRESSON et BÉRÉGOVOY.

On peut déjà faire le bilan de son action :

- La décentralisation, permettant des actions efficaces au sein des villes ;

- Les nationalisations qui à l'époque ont sauvé plusieurs industries françaises qui allaient être vendues au capital international ;

- Les libertés (cf. article de Michel CHARASSE dans la dernière Lettre de l'Institut François MITTERRAND), telles que l'abolition de la peine de mort ou encore la suppression des tribunaux d'exception et la libération de l'audiovisuel.

À la fin du second septennat, François MITTERRAND a voulu procéder à une réforme de la Constitution. Il s'y était engagé, dès le Gouvernement d'Édith CRESSON (mai 1991-mai 1992). Le 2 décembre 1992, il informa le Conseil des ministres qu'il chargeait le doyen VEDEL de préparer un projet. Selon les notes que j'ai pu prendre alors, en tant que porte-parole du Gouvernement, François MITTERRAND déclare : « L'opposition se préoccupait surtout à l'époque de réduire le mandat présidentiel à 5 ans et m'obliger à me l'appliquer à moi-même sans aller jusqu'à la fin de mon septennat ». Il poursuit ses réflexions : « Une Constitution de type américain ? Mais un Gouvernement nommé par le Président de la République et responsable devant lui seul, sans possibilité de dissoudre l'Assemblée, ce serait en France invivable. Nous n'avons pas de système fédéral comme aux États-Unis, et à la moindre difficulté, un chien ou un chat écrasé, le Président de la République serait responsable ». L'opposition disait d'ailleurs de Georges POMPIDOU qu'il s'occupait de tout. Il avait annoncé lui-même que désormais on pourrait aller de Paris à Vienne en Isère sans rencontrer un seul feu rouge. François MITTERRAND ajoute : « Le Président de la République a certes des pouvoirs en matière de défense et de diplomatie ». À noter que ces prérogatives ne sont pas un usage, mais sont bien inscrites dans la Constitution. Ce qui ne signifie pas que le Premier ministre n'ait aucun pouvoir en la matière bien entendu. François MITTERRAND préconise la « redistribution des rôles entre le Gouvernement et le Parlement, notamment sur l'ordre du jour, sur l'application du 49-3 » qui permet à un projet de loi d'être voté sans débat si une motion de censure n'est pas déposée et adoptée. Il est également pour que la Haute Cour s'occupe uniquement des cas de haute trahison et de complot contre la sûreté de l'État. Il demande à VEDEL que le projet soit prêt pour le 15 février 1993. François MITTERRAND rappellera qu'avant 1981, il avait proposé pour le mandat présidentiel cinq ans ou bien sept ans non-renouvelables. « Depuis j'ai pensé, dit-il, qu'il faut une durée plus longue que le mandat parlementaire. Deux fois cinq ans ou bien sept ans non renouvelables. 14 ans, c'est excessif, c'est offenser la patience des prétendants ». Quant aux relations entre le Parlement et le Gouvernement, il estime : « Je n'interviens pas. Trois fois avec BÉRÉGOVOY, pas plus avec le prédécesseur [Michel ROCARD], pas davantage avec FABIUS. Si, davantage avec Pierre MAUROY car il débutait et nous débutions ». En lisant la presse, « on pense que le Président de la République fait tout. La dérive monarchique je sais ce que ça veut dire, une certaine raideur avec le mal de dos. La démarche du Premier ministre doit être autonome. Cette pratique des choses, on ne peut pas l'écrire dans un projet de révision de la Constitution ». Sur la période 1986-1988 (première cohabitation), il ajoute : « Je n'ai pas gêné le Gouvernement, je ne me suis opposé aux ordonnances que parce qu'elles étaient illégales ».

Le Commission VEDEL remit sa copie le 15 février 1993, comme prévu. Au dernier conseil des ministres du 10 mars 1993, François MITTERRAND constatait : « Il n'y a pas de recommandation sur la durée du mandat présidentiel faute de consensus dans la commission . » Puis, il ajoutait : « En 1958, c'est plus contre les circonstances - les régiments autour de Paris, les troupes d'Alger prêtes à débarquer - que contre le texte de la Constitution que je me suis élevé.

Si le mandat du Président de la République était jumelé avec celui des députés, ce serait la IV e République ». Il propose alors trois réformes :

La première : l'article 16 est supprimé. « Si le Général de GAULLE a brisé les deux putschs des généraux, ce n'est pas en brandissant l'article 16, mais parce qu'il y avait une volonté politique ». François MITTERRAND avait sur ce point approuvé l'action de de GAULLE.

D'autre part si de GAULLE n'a jamais voulu pendant la campagne présidentielle de 1965 qu'on use de certains arguments contre François MITTERRAND, arguant qu'il fallait le respecter car il pouvait devenir un jour Président de la République, François MITTERRAND, de son côté, n'a jamais accepté, même en petit comité, des critiques malsaines contre le Général. Un de ses jeunes collaborateurs ayant tenu des propos désobligeants, François Mitterrand avait riposté : « Je ne vous permets pas ».

Deuxièmement, les parlementaires doivent disposer de facilités pour engager une révision constitutionnelle à condition qu'on ne recoure pas directement au référendum et qu'on passe par les deux assemblées en premier lieu.

Troisièmement, l'organisation de référendums à l'initiative des citoyens deviendrait possible.

Dans l'immédiat, ces propositions ont seulement abouti en 1993 à la création de la Cour de Justice de la République. Une seconde réforme est intervenue en novembre 1993, lorsqu'un alinéa a été ajouté à la Constitution sur le droit d'asile.

Après une seconde cohabitation avec Édouard BALLADUR, Jacques CHIRAC est élu en 1995. Alain JUPPÉ, Premier ministre, obtint de lui la dissolution de 1997. Jusqu'en 2002, une troisième cohabitation eut lieu. Lionel JOSPIN, Premier ministre, imposa alors le quinquennat, que les parlementaires ont voté. Ce sujet n'était pas le sujet le plus passionnant, comme en attestent les 70 % d'abstention lors du référendum. Je considère pour ma part que l'instauration du quinquennat est une catastrophe, car le Président à peine élu on se préoccupe déjà de l'élection suivante. Ainsi le quinquennat est-il entré en vigueur à partir de l'élection présidentielle de 2002, lors de la réélection de Jacques CHIRAC. Il aura bien sûr regretté l'instauration du quinquennat, que Lionel JOSPIN lui avait imposé.

Sous les deux présidences de Jacques CHIRAC, je constate qu'il a refusé la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN parce qu'il avait demandé en échange qu'un amiral français commande les forces de l'OTAN en Méditerranée. Les Américains ne l'ont pas accepté. Jacques CHIRAC a considéré que si les Français n'étaient pas dignes de commander, même en Méditerranée, il n'y avait aucune raison qu'ils retournent dans le commandement intégré. Il a également refusé de participer à la seconde guerre en Irak, ce qui s'est avéré intelligent et prémonitoire.

En ce qui concerne l'actuel mandat présidentiel qui a débuté en 2012, je ferai remarquer que la façon dont François HOLLANDE intervient au Mali et en Syrie me fait penser aux décisions qu'aurait prises le Général de GAULLE ou François MITTERRAND, notamment par la rapidité de décision. Lors d'un colloque sur « MITTERRAND et la Défense » organisé par l'Institut François MITTERRAND et le ministère de la Défense à l'École militaire, en juin 2015, les intervenants avaient tous apprécié la rapidité des réactions en maintes circonstances de François MITTERRAND.

Pour conclure, je ferai quelques comparaisons. Barack OBAMA qui est à la tête d'un régime présidentiel avec des institutions qui datent souvent du XVIII e siècle, a eu des difficultés extrêmes pour instaurer un régime de santé a minima face au Congrès. Angela MERKEL en Allemagne, régime parlementaire pur, éprouve de grandes difficultés pour répondre à la détresse des réfugiés. David CAMERON, non seulement se heurte souvent aux Communes, mais également à la Chambre des Pairs.

Les Constitutions sont importantes, mais elles ne sont pas tout. Les systèmes politiques sont aujourd'hui sous la pression d'un régime capitaliste universel, qui prospère également en Russie et en Chine. Ce régime provoque des drames dans de nombreux pays entrainant l'exil d'un nombre croissant de réfugiés et provoquant un dérèglement climatique sans précédent.

Ghislaine OTTENHEIMER

Je remarque que nous n'avons jamais connu une telle défiance à l'égard des politiques. Ce désaveu des élites politiques est spécifique à la France.

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