ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT

M. le président. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais peut-être déroger aux habitudes, car j'ai déjà adressé une lettre à tous les sénateurs pour leur dire comment s'était déroulée cette première session unique à la suite de la réforme de la Constitution.
Je voudrais vous en faire un compte rendu à cette tribune. J'estime que cette première session unique ne s'est pas trop mal passée, même s'il ne faut pas occulter les problèmes qui restent à résoudre. Toutefois, il faut noter une nette amélioration dans l'organisation de notre travail.
M. Emmanuel Hamel. Vous êtes optimiste !
M. le président. Vous avez l'air de le contester, monsieur Hamel, mais je vais vous en donner des preuves.
Je voudrais vous remercier, monsieur le Premier ministre, non seulement de votre présence, mais aussi de la compréhension que vous avez manifestée chaque fois que nous vous avons demandé de faciliter le travail du Sénat en harmonie avec celui de l'Assemblée nationale. Vous avez également simplifié la vie du Sénat en ce qui concerne l'organisation correcte de l'examen des textes que de leur suivi, puisque les décrets d'application ont en général été pris plus rapidement que par le passé.
Le bilan de la session est, selon moi, positif, car l'organisation des travaux a été meilleure. La conférence des présidents a d'ailleurs, me semble-t-il, bien fonctionné.
J'ai souvent déclaré, comme d'autres d'ailleurs, que trop de lois tue la loi. Nous avons peut-être été entendus puisque seules cinquante-cinq lois ont été votées contre soixante-dix en 1994, que je prendrai comme année de référence, l'élection présidentielle ayant atténué le rythme de nos travaux en 1995. C'est donc quinze lois de moins qui ont été adoptées, et la France n'a pas l'air de se porter plus mal !
Nous aurons siégé cent dix jours, soit sept cents heures de travail, contre cent vingt-trois jours en 1994, et huit cent treize heures de travail.
Quant au travail de nuit, je n'ai jamais pensé - mais tout le monde ne partage pas mon avis - que le meilleur travail se faisait à trois heures ou quatre heures du matin, même s'il est plus rapide. Nous pouvons constater une amélioration, puisque seulement 14 p. 100 de notre travail législatif s'est effectué la nuit contre 27 p. 100 en 1994, année au cours de laquelle nous avions siégé plus longtemps.
Par ailleurs, nous n'avons siégé que quatre lundis et quatre vendredis, et encore pas complètement. Voilà qui permet d'exercer deux mandats sans difficultés, puisque le lundi, le vendredi et le samedi sont maintenant libres.
Enfin, le Sénat souhaitait que ses commissions travaillent sérieusement. Il fallait donc qu'elles disposent d'un certain temps pour étudier les textes et pour procéder à des auditions.
Ainsi, cent vingt jours, en moyenne, se sont écoulés entre le dépôt d'un projet de loi en première lecture au Sénat et son vote définitif, c'est-à-dire vingt-sept jours en moyenne de plus qu'avant la réforme de la Constitution. Cela va dans le bon sens.
Désormais, une séance par mois est réservée à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. Ces séances ont été très fructueuses puisque, pour la première fois au cours de cette session, six propositions de loi émanant du Sénat ont été définitivement approuvées et quatre autres sont en navette. Que dix propositions de loi soient d'origine sénatoriale, voilà qui est tout à fait nouveau. Auparavant, l'inscription d'une proposition de loi à l'ordre du jour était toujours subordonnée à l'accord du Gouvernement, que nous n'obtenions pas très souvent. C'est un point extrêmement important, qui méritait d'être souligné.
Le Sénat a été de plus en plus influent. En dehors d'une loi qui a été votée à la fin de l'année 1992 sans l'accord du Sénat, aucune loi en 1993, 1994 et 1995 n'a été votée sans l'accord des deux assemblées.
Pour 1995-1996, 80 p. 100 des textes adoptés l'ont été après une navette, ce qui traduit un travail constructif.
Enfin, 89 p. 100 des amendements du Sénat ont été retenus, intégralement ou modifiés pour seulement 12 p. 100 d'entre eux.
Cela prouve le poids du Sénat, contrairement aux affirmations d'un éminent président d'une autre assemblée, qui déclarait que nous ne touchions qu'aux virgules. Ce sont, en fait, de grosses virgules. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Ivan Renar. Sacré Mazeaud !
M. le président. Le renforcement du contrôle du Sénat, c'est aussi très important. Comme vous l'avez remarqué, la proposition de résolution tendant à modifier le règlement a été votée à l'unanimité. Or, elle a ouvert à l'opposition la possibilité de s'exprimer plus encore qu'avant. Ainsi, certaines des propositions de loi dont je parlais émanent de l'opposition, ainsi que la plus grande partie des questions.
D'octobre 1995 à juin 1996, le Gouvernement aura répondu à 163 questions d'actualité, retransmises à la télévision, et à 219 questions sans débat, le mardi matin, soit 110 p. 100 de plus qu'en 1994.
Il s'agit bien là de l'exercice d'un contrôle sur l'exécutif.
Enfin, dix débats portant sur de grands sujets ont été organisés tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, soit deux fois plus qu'en 1994.
Nous vous suggérons pour l'avenir, monsieur le Premier ministre, afin d'éviter que la discussion de la loi de finances ne soit trop lourde, d'organiser tout au long de l'année des débats sur de grands sujets plutôt que d'attendre la loi de finances. Ainsi, chacun pourra apporter en amont sa contribution à l'élaboration du budget, dont la discussion intervient en fin d'année.
Je tiens également à parler des travaux d'investigation du Sénat et à rendre hommage aux commissions.
Elles ont tenu 360 réunions au cours de cette session, ce qui est extraordinaire, et procédé à l'audition de 230 personnes, dont un certain nombre étaient des personnalités importantes.
De plus, certaines auditions ont été publiques, ce qui est nouveau et constitue un moment privilégié pour la démocratie.
Je comprends que les commissions se plaignent parfois que leurs réunions se télescopent avec la séance publique. Mais elles ont travaillé 665 heures cette année contre 514 heures l'année dernière. Elles ont pu ainsi approfondir leur travail, ce qui a sans doute permis d'écourter les navettes entre les deux assemblées.
Il convient également de relever que 290 rapports législatifs ont été publiés, ainsi que 14 rapports d'information. Ainsi, au total, plus de 300 rapports ont été élaborés par les sénateurs au cours de la session.
Le Sénat avait également souhaité contrôler plus étroitement la politique communautaire. Je ne dirai pas que tous les textes ont été examinés ; néanmoins, cent quatre-vingts textes ont été transmis au Sénat et huit résolutions ont été adoptées.
Enfin, s'agissant des offices parlementaires, il a été difficile de les mettre en place mais, avant la fin de la session, le Sénat en désignera les membres. Ainsi, la machine sera en route et les contrôles pourront s'effectuer.
Cela dit, tout n'est pas idyllique. Des procédures restent à améliorer.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, je vous remercie de la grande part de responsabilité que vous avez prise dans le bon déroulement de nos travaux. En conférence des présidents ou ailleurs, vous avez toujours une parole aimable pour arranger la situation.
Je vous ai souvent dit que nous souhaitions une prévision de nos travaux à plus long terme. Vous nous avez donné, c'est vrai, un programme approximatif pour six mois. Mais, pour ce qui est de l'inscription des textes à l'ordre du jour, vous ne parvenez pas à les prévoir plus de trois à quatre semaines à l'avance. Des efforts sont encore nécessaires, car une prévision sur deux ou trois mois serait souhaitable.
Ce laps de temps faciliterait la vie des ministres : ils n'auraient pas besoin de se précipiter en fin de session pour vous demander de prolonger celle-ci et ils seraient beaucoup plus décontractés lors de l'examen de leurs textes. Il faut leur demander de les prévoir assez tôt pour laisser le temps au Sénat de les examiner.
Pour ce qui est du nouveau règlement, tout le monde a participé à son élaboration, majorité et opposition, sous la brillante présidence de M. Guéna. Les différentes parties sont parvenues à un accord, puisqu'il a été voté à l'unanimité. Pourtant, il n'était pas facile de faire plaisir à tout le monde.
Notre règlement sera à nouveau modifié pour organiser les nouvelles modalités de discussion du projet de loi de finances. Une nouvelle réunion aura lieu jeudi, puis le président et le rapporteur général de la commission des finances dégageront une solution au sein du groupe de travail.
Il est certain que l'on va également améliorer la discussion du projet de loi de finances pour éviter les séances de nuit, mais aussi pour assouplir le carcan assez étroit dans lequel elle est enfermée si toutefois, comme je vous le suggère, suffisamment de débats ont lieu au cours de l'année afin que les débats de politique générale n'interviennent pas pendant la discussion du budget.
Il faut aussi - c'est une critique qui est faite de temps en temps - concilier les réunions de commission et les séances publiques. Mais comment faire ? Ce n'est pas facile.
Le Sénat a siégé cette année un peu moins longtemps en séance publique. En revanche, les commissions ont beaucoup siégé ; elles ont procédé à des auditions publiques, à des auditions à l'extérieur. Doivent-elles apporter plus de souplesse à leurs horaires ? Doivent-elles travailler plus longtemps ? C'est un problème auquel je n'ai pas de réponse.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, nous comptons donc beaucoup sur vous pour une prévision à plus long terme de nos travaux. Le jour où nous obtiendrons le calendrier de nos travaux trois mois à l'avance, nous serons les plus heureux parlementaires de France !
Nous devons également approfondir encore le dialogue que nous avons avec le Gouvernement. Je voudrais vous en donner une raison.
Récemment, des représentants d'organisations professionnelles m'ont téléphoné pour me dire que le Sénat n'était pas raisonnable d'avoir modifié un texte qu'ils avaient préparé avec le Gouvernement. Je leur ai répondu qu'ils se trompaient, car ce n'est pas à eux de préparer les textes avec le Gouvernement ; c'est bien au Parlement de le faire avec le Gouvernement. Plus nous les préparerons en amont, moins nous aurons à les modifier après. En revanche, si les textes sont préparés par les organisations professionnelles, qui n'ont pas de comptes à rendre, contrairement aux sénateurs, qui sont élus par l'ensemble des citoyens, ces textes seront forcément modifiés par nous ! Je vous raconte cela car j'ai été surpris par cette réaction de ces personnes. Si nous modifions les textes préparés par les milieux professionnels avec le Gouvernement, cela prouve que nous avons encore quelque pouvoir, et cela me fait plaisir !
M. Emmanuel Hamel. Nous ne sommes pas à la botte des grands intérêts capitalistes ! (Applaudissements sur les travées du RPR. - Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Nous allions le dire !
M. le président. Mais, monsieur Hamel, ce ne sont pas forcément des intérêts capitalistes ; ce peuvent être des intérêts corporatistes tout simplement, sans considération de revenus !
Enfin, nous avons essayé, pendant cette session, de moderniser le Sénat.
Comme vous l'avez vu, les commissions disposent de la salle Médicis pour les auditions publiques. Nous avons un studio et une télévision parlementaire, encore embryonnaire, qui va se développer.
Nous avons également fortement encouragé, sur l'initiative des sénateurs, ce dont je les remercie, les colloques sur la prospective. Beaucoup de sénateurs m'ont écrit pour me demander d'en organiser et j'en ouvre même quelques-uns. C'est tout à fait important parce que nous devons travailler en amont et apporter au Gouvernement des idées. Ainsi, le travail sera mieux fait. Je ne sous-estime pas du tout les collaborateurs des ministres ou du Premier ministre ; mais les nôtres font aussi un bon travail.
Je voudrais dire également combien la communication du Sénat a évolué. En particulier, en 1995 et en 1996, on l'a beaucoup dirigé vers les jeunes et vers les élus, qui nous sont très reconnaissants de recevoir des informations du Sénat aussi souvent que possible, informations que l'on communique aussi au Gouvernement.
Enfin, nous avons beaucoup ouvert le Sénat vers l'extérieur. Savez-vous que cent personnalités étrangères ont été reçues au cours de la session, soit par la présidence, soit par les commissions, pour un déjeuner ou un échange de vues important. Ainsi, onze chefs d'Etat et de gouvernement, vingt présidents ou vice-présidents d'assemblée ont été reçus par les commissions ou par moi-même. C'est une ouverture considérable sur l'extérieur.
Nous ne pouvons comprendre le travail que nous faisons, en particulier lorsqu'il s'agit de politique étrangère, et, au-delà, de l'évolution du monde économique, si nous n'avons pas ces contacts permanents avec les responsables étrangers qui cherchent actuellement leur voie, comme cela nous arrive également.
Enfin, pour terminer, je dirai qu'il y a beaucoup plus d'aspects positifs que d'aspects négatifs dans mon propos. Je suis convaincu que notre travail s'est considérablement amélioré. Il est vrai que si, de temps en temps, nous nous apercevons que les habitudes ont changé, nous sommes un peu conservateurs, sans le dire et sans le savoir !
Mme Marie-Claude Beaudeau. On le savait !
M. Guy Allouche. Beaucoup trop !
M. le président. Vous en particulier !
M. Philippe de Bourgoing. Voilà !
M. Gérard Larcher. L'aile conservatrice !
M. Guy Allouche. Moi ?
M. le président. Sans être méchant, j'ai entendu des discours de votre part qui n'ont pas beaucoup évolué depuis quinze ans ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Guy Allouche. Il y a quinze ans, je n'étais pas là !
M. le président. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie beaucoup de votre présence, de vos efforts pour engager des réformes. Nous vous soutiendrons, car il faut en faire !
Je remercie le Gouvernement, les ministres qui manifestent toujours une grande disponibilité à notre égard, et tout spécialement mon ami Roger Romani, qui nous apporte une grande aide et qui est toujours de bonne humeur. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je remercie également les fonctionnaires, aussi bien ceux de la maison que ceux des ministères, qui se sont toujours également rendus très disponibles.
Nous avons la chance d'avoir une équipe de collaborateurs de très grande qualité, qui nous aident grandement lorsqu'il faut arbitrer, étudier ; ils n'hésitent d'ailleurs pas - c'est arrivé à certains qui ne sont pas loin de moi - à passer une nuit complète à mettre au point des textes dont le Sénat doit débattre le lendemain. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
Je tiens à remercier tous les journalistes, qui rendent compte plus qu'avant de nos travaux.
J'aurai l'occasion, mes chers collègues, de vous adresser également une lettre sur la communication. Vous verrez que le nombre d'articles consacrés au Sénat publiés dans la presse a beaucoup évolué, tout comme le nombre de séquences télévisées. Les journalistes ont des contraintes qu'il ne leur est pas toujours facile de surmonter, mais ils y parviennent.
Je remercie, bien sûr, les commissions du travail formidable qu'elles ont accompli, comme d'habitude, mais encore plus cette année, et, bien sûr, tous les sénateurs qui sont beaucoup plus présents dans l'hémicycle que l'opinion ne le croit.
En effet, il est facile de critiquer l'absentéisme des parlementaires en séance publique. Encore faut-il savoir que, dans le même temps, ils travaillent en commission. Je viens de le prouver ; comment faire 660 heures de travail en commission, sauf à prendre ce temps quelque part ? Le grand public ne perçoit pas cette subtilité ; c'est pourtant la vérité.
Je remercie aussi les assistants des groupes, hommes et femmes de qualité, qui préparent bien le travail et qui contribuent grandement au renom du Sénat.
Je remercie également les membres du bureau que je réunis tous les mois et dont le travail n'est pas simple puisqu'il nous faut souvent décider sur des sujets contradictoires et difficiles. Ce sera sans doute encore le cas demain.Quel que soit l'ordre du jour du bureau - chargé ou non - nous avons réussi à tenir tous les mois une réunion. Je voudrais vous remercier de votre contribution et de votre compréhension. Ce n'est pas un bureau « béni-oui-oui », ce sont des réunions performantes qui autorisent les grandes discussions, parfois âpres et difficiles, mais je crois que c'est aussi ce qui fait la richesse du Sénat.
Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots. Je me réjouis du climat qui existe entre le Gouvernement et le Sénat, entre les sénateurs, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition, car le Sénat demeure convivial.
Je me réjouis que la réforme de la Constitution, un peu crainte au départ, ait atteint la plupart de ses objectifs. Dans la mesure du possible, nous ferons mieux encore en 1996 et en 1997. Je suis sûr en tout cas que nous sommes sur la bonne voie ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et indépendants et du RDSE, ainsi que sur quelques travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Cela mérite une prime exceptionnelle pour tous !
M. le président. La joie de travailler dans cette maison doit suffire.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques jours va donc s'achever la première session parlementaire unique de l'histoire de la Ve République. Ces neuf mois de session continue ont été, je le crois, particulièrement riches en innovations et en réformes.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah là là !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il est sans doute encore prématuré de dresser le bilan définitif des conséquences de la révision contitutionnelle du 4 août 1995 voulue par le chef de l'Etat. Je crois pouvoir néanmoins affirmer que le rééquilibrage des institutions qu'il avait souhaité est en bonne voie.
La réorganisation du rythme des sessions a incontestablement contribué à améliorer l'organisation des travaux parlementaires, vous le constatiez à l'instant même, monsieur le président. C'est un élément de satisfaction pour le Parlement tout entier, et en particulier pour la Haute Assemblée.
Surtout, la session a permis de donner un caractère plus permanent aux fonctions de contrôle que le Parlement exerce sur l'action gouvernementale. Ainsi, renforcé dans ses missions essentielles, le Parlement prend une part sans cesse plus active aux grand enjeux d'aujourd'hui et de demain.
La contribution du Sénat aux réformes de ces derniers mois en fournit la pleine illustration, j'en suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le président.
A l'heure des premiers bilans, je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir brièvement sur quelques aspects qui me paraissent particulièrement significatifs dans cette évolution.
La réorganisation du rythme des sessions avait comme corollaire indispensable une meilleure répartition du calendrier des travaux parlementaires. Cet objectif est, je crois, en passe d'être atteint, et je m'en réjouis, même si des améliorations, bien sûr, peuvent et doivent encore être apportées, en particulier pour éviter la surcharge que génère traditionnellement la fin de chaque session. Le règlement de votre assemblée a fixé le calendrier des semaines et des horaires de séances, ce qui est une très bonne chose. De son côté, le Gouvernement a usé avec une grande modération de la faculté qui lui laisse la nouvelle loi constitutionnelle d'ouvrir des séances supplémentaires.
Ainsi, dans la limite des 120 jours fixée par l'article 28 de la Constitution, six jours supplémentaires seulement, si on ne tient pas compte de la loi de finances, ont été ouverts à ce jour.
Par ailleurs, comme vous le rappeliez à l'instant, monsieur le président, la prolongation des séances au-delà de vingt heures a été considérablement réduite. Si l'on compare aux autres années, là encore, hormis la loi de finances, 24 séances sur un total de 82 ont été prolongés au-delà de 20 heures ; et je partage votre point de vue, monsieur le président, ce n'est pas forcément parce qu'il est cinq heures du matin que l'on travaille mieux. Des souvenirs de ministre du budget à ce banc m'ont laissé quelques marques.
En parallèle, le Gouvernement a fait un gros effort de programmation en amont des textes législatifs. Conformément à l'article 29 du règlement de votre assemblée, les grandes lignes du calendrier du travail parlementaire vous ont été communiquées en début d'année. Le ministre chargé des relations avec le Parlement - je vous remercie en son nom, puisqu'il est provisoirement muet, des éloges que vous lui avez à juste titre décernés - a par ailleurs veillé à informer chaque semaine la conférence des présidents de l'ordre du jour prioritaire du Sénat des trois semaines et, souvent, des quatre semaines à venir. J'ai bien noté, monsieur le président, que vous en vouliez plus. Nous progresserons pas à pas avec le temps.
La bonne organisation des travaux parlementaires ne va pas non plus sans un dépôt plus équilibré des projets de loi examinés par les deux assemblées. Des projets de loi de première envergure ont été déposés sur le bureau du Sénat. Je citerai, pour la période la plus récente, le projet de loi relatif à la détention provisoire, le projet de loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription des parts de copropriété de navires de commerce ou encore le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
Autre élément appréciable de ce bilan, le recours à la procédure d'urgence a été relativement réduit. En outre, le Gouvernement veille, autant qu'il est possible, à ne pas surcharger le Parlement d'un trop grand nombre de textes. Je sais, monsieur le président, qu'il s'agit d'une de vos préoccupations majeures. « Trop de lois tue la loi. », dites-vous souvent. Dans les statistiques qui ont été publiées, j'ai pu observer que nous étions sur la bonne voie. Je veillerai à ce que les efforts soient poursuivis en ce sens, conformément aux voeux du Président de la République.
L'organisation des travaux parlementaires est encore, bien sûr, largement perfectible, mais je crois pouvoir dire que les conditions d'un réel renforcement des missions du Parlement ont été posées. Un des aspects les plus immédiats de la réforme concerne, je l'ai indiqué, les missions de contrôle du Parlement sur l'action gouvernementale, missions de contrôle renforcées de par leur caractère plus permanent et continu. Ce contrôle s'est exercé bien évidemment en premier lieu au travers des diverses séances de questions prévues par le règlement de chacune des assemblées, séances qui ont permis d'assurer une large présence des membres du Gouvernement tout au long de l'année parlementaire. Au total, je crois que vous avez cité ces chiffres, monsieur le président, 163 questions d'actualité et 219 questions orales sans débat auront été posées au Sénat.
Les nombreux débats qui ont été organisés en liaison avec l'actualité politique constituent également un élément appréciable de cette mission de contrôle. Ils ont parmis à chacun ici d'exprimer la diversité des approches, de confronter les opinions, de nourrir utilement la réflexion du Gouvernement sur des sujets aussi divers que la réforme de l'accession à la propriété, l'union économique et monétaire, la politique de défense ou plus récemment encore la situation en Corse.
Au cours de ces derniers mois, le Parlement a pu conforter ses pouvoirs de contrôle dans deux domaines particulièrement importants : celui des finances publiques d'abord, grâce à l'organisation - c'était une première - d'un débat annuel d'orientation budgétaire en juin - je crois d'ailleurs que cela a été un succès et qu'il a été apprécié par les parlementaires - et bientôt - ce sera là aussi un grand moment dans la vie parlementaire - la discussion et le vote à l'automne d'une loi de financement de la sécurité sociale, ensuite celui des activités communautaires avec l'adoption continue de résolutions parlementaires.
La mise en place des deux offices parlementaires devrait permettre aux assemblées d'évaluer plus efficacement la législation et les politiques publiques et leur donner ainsi les moyens d'exercer un contrôle plus efficace de l'action gouvernementale.
Mais c'est sans doute dans le rééquilibrage de l'initiative parlementaire que le renforcement des pouvoirs du Parlement est le plus évident.
L'organisation prévue par le nouvel article 48, alinéa 3, de la Constitution, d'une séance mensuelle réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée a permis la discussion au Sénat de nombreuses propositions de loi : six propositions de loi émanant du Sénat ont été définitivement adoptées par le Parlement et quatre autres sont en navettes ; c'est également un grand changement par rapport aux décennies précédentes.
Je citerai pour mémoire la proposition de loi relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, la proposition de loi relative à la prorogation de la suspension des poursuites engagées à l'encontre des rapatriés installés, la proposition de loi tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant ou encore la proposition de loi tendant à actualiser la loi locale de chasse régissant les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Ces propositions de loi, dont certaines ont été inscrites à l'ordre du jour prioritaire afin de faciliter la navette entre les deux assemblées, sont, au même titre que les amendements déposés par les parlementaires, l'expression d'un dialogue fructueux entre le Gouvernement et le Parlement.
Renforcée dans ses missions essentielles, la Haute Assemblée a pris une part active aux réformes entreprises par le Gouvernement, et je voudrais l'en remercier de tout coeur. Il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le président, que ces réformes ont été nombreuses depuis le début de cette session, et qu'elles ont concerné des volets essentiels de la vie économique et sociale de notre pays. Elles avaient, la plupart du temps, beaucoup trop tardé, qu'il s'agisse de la réduction des déficits (protestations sur les travées socialistes), de la préservation et du développement de l'emploi (nouvelles protestations sur les mêmes travées), de la défense et de l'encouragement des petites et moyennes entreprises, de l'amélioration de la sécurité des Français, de la modification du statut des télécommunications,...
Mme Hélène Luc. Eh oui, parlons-en !
M. Alain Juppé, Premier ministre ... deux fois tentée et deux fois avortée, pour tenir compte des nouvelles donnes de la concurrence, de l'adaptation et de la modernisation de notre outil de défense, pour lequel rien n'avait été fait comme s'il ne s'était rien passé en 1989, en Europe et dans le monde. (Protestations sur les travées socialistes.)
Eh oui, beaucoup d'occasions manquées ont été enfin saisies depuis maintenant un an ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Les salariés sont dans la rue !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Eh oui, c'est cela le conservatisme, madame Luc ! Comme le disait justement M. Monory, c'est s'opposer à toutes les réformes ! (Applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.) C'est cela, la vraie définition du mot conservatisme !
Dans chacune de ces réformes, le Sénat, en tout cas sa majorité, s'est montré soucieux d'économiser les deniers publics.
Mme Hélène Luc. Parlez-nous du chômage !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Eh oui, le chômage augmente beaucoup moins vite que quand vos amis étaient au gouvernement, dans les années quatre-vingt !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a toujours plus de trois millions de chômeurs !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il a même tendance à diminuer !
Dans chacune de ses réformes, le Sénat s'est donc montré soucieux d'économiser les deniers publics, de défendre l'intérêt général et de préserver les grands équilibres de l'aménagement du territoire. Outre les textes importants dont il conviendra d'achever l'examen dès le mois d'octobre - je pense en particulier au pacte de relance pour la ville - de grands chantiers législatifs nous attendent à l'automne : le service national, la lutte contre l'exclusion et, bien sûr, la loi de finances pour 1997, qui devra nous permettre de poursuivre les efforts d'assainissement de nos finances publiques et de redynamisation de notre économie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la session qui s'achève marque un changement dans la pratique de nos institutions, car elle a vu les moyens d'action et de contrôle du Parlement se renforcer de manière conséquente.
Mme Hélène Luc. Le Sénat est toujours une chambre d'enregistrement !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Le bilan de cette session unique est doublement encourageant : la Haute Assemblée a su tirer, sur le plan de la pratique institutionnelle, le meilleur parti possible de la réforme du 4 août 1995 ; elle a également largement contribué, par son appui constant, constructif et vigilant, à améliorer les textes de lois qui lui étaient soumis. Très nombreux en effet ont été les amendements positifs apportés par le Sénat dans la discussion parlementaire. C'est dire - il est parfois nécessaire de le rappeler - à quel point le bicamértisme apporte régulièrement la preuve de ses vertus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La volonté que le Chef de l'Etat exprimait dans le message qu'il vous adressait le 19 mai 1995 de « faire passer un nouveau souffle dans nos institutions » est en train de devenir une réalité.
On le doit en partie aux initiatives prises par le Gouvernement. On le doit en très grande partie à la réponde qu'a apportée le Sénat à ces initiatives, et je voudrais vous remercier tous et toutes de l'excellent climat de travail qui s'est instauré entre la Haute Assemblée et le Gouvernement, mais aussi remercier tout particulièrement M. le président du Sénat, qui a toujours été prompt à favoriser les réformes parce que c'est dans son tempérament. Il aime les réformes, il les promeut et les facilite, nous lui devons une grande gratitude sur ce plan.
Je voudrais également, comme il l'a fait, remercier l'ensemble des fonctionnaires du Sénat, qui ont su s'adapter à une nouvelle donne dans le fonctionnement de la Haute Assemblée, avec la compétence et le dévouement qui les caractérisent.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je voulais faire au terme de cette session unique en remerciant plus précisément - j'espère que personne ne s'en offusquera - la majorité du Sénat de l'aide qu'elle apporte avec constance et confiance au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Vous avez raison de la remercier ! M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)