M. le président. Par amendement n° 194, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte proposé pour l'article 231-89 du code de procédure pénale :
« Art. 231-89. - Si un accusé refuse de comparaître, sommation lui est faite au nom de la loi, par un huissier commis à cet effet par le président, et assisté de la force publique. L'huissier dresse procès-verbal de la sommation et de la réponse de l'accusé. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cet amendement vise à apporter une précision nécessaire.
On est dans l'hypothèse où l'accusé refuse de comparaître. Il convient évidemment - et cela figure dans le texte de l'article 319 actuel - d'abord, de lui faire une sommation et, ensuite, de dresser procès-verbal de cette sommation et de la réponse de l'accusé. Aujourd'hui, tout cela est fait par un huissier.
Dans le texte du projet de loi, il est proposé que ce soit le chef de l'établissement pénitentiaire ou l'huissier d'audience qui remplisse ce rôle. Je ne vois vraiment pas pourquoi le chef de l'établissement pénitentiaire, lequel a certes toutes sortes de mérites mais n'est pas officier ministériel, devrait devenir le dépositaire de la réponse de l'accusé. Cela ne peut que nourrir des difficultés et, éventuellement, servir de motif à un pourvoi en cassation. Mieux vaut en rester au système actuel, qui fonctionne très bien.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je suis défavorable à cet amendement parce que je ne vois pas pourquoi il faudrait adopter des dispositions aussi formalistes.
Le chef de l'établissement pénitentiaire est à même de recueillir et de transmettre les observations de l'accusé détenu, adressées au président du tribunal. C'est si vrai que, par la loi du 31 décembre 1985, qui a été adoptée sur la proposition du garde des sceaux de l'époque, M. Badinter, on a prévu que de nombreux actes de procédure pouvaient être accomplis par le chef de l'établissement : il en est ainsi, par exemple, dans un cas très important, comme l'est l'appel de l'ordonnance de refus de mise en liberté.
Je pense que nous avons toutes les raisons d'adopter une simplification qui est dans la droite ligne de la loi de 1985.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 194.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je crains, monsieur le garde des sceaux, qu'une confusion ne se soit glissée dans votre esprit. Il est normal d'essayer de rendre plus faciles les formalités à l'avantage de celui qui est prévenu ou qui se trouve accusé, pour un appel par exemple.
En l'occurrence, il s'agit de quelqu'un qui refuse de comparaître. On lui fait une sommation : c'est un acte très important. A cet instant, il peut vouloir faire des déclarations, qui figureront ensuite au dossier. Il est évident qu'un chef d'établissement pénitentiaire, tout à fait compétent pour recevoir une signature, n'a ni la formation ni la responsabilité requises pour recueillir les déclarations que l'accusé peut être amené à faire à la suite de son refus de comparution. C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les arguments ad hominem n'apportent pas beaucoup de clarté dans un débat !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mes arguments ne sont pas ad hominem ; ils se fondent sur les textes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est vrai qu'en 1985 le garde des sceaux et ses services avaient fait en sorte que le plus grand nombre de formalités possible soit effectué par le gardien-chef de la prison. On avait même oublié que l'avocat pouvait faire appel et qu'il n'était pas nécessaire de l'obliger pour cela à se rendre à la Cour d'appel. On y a remédié en 1987. Mais là n'est pas le problème.
J'ai l'impression que nombre des modifications apportées à la loi en vigueur ont pour objectif d'accélérer les procédures. Or, il ne s'agit pas d'aller plus vite. Il s'agit de faire juger un crime par le tribunal criminel avec la même méticulosité que jusqu'à présent devant la cour d'assises.
Ains, l'article 319 prévoit que : « Si un accusé détenu refuse de comparaître, sommation lui est faite au nom de la loi. » Mais par qui ? Evidemment par un huissier, dit le texte, « commis à cet effet par le président et assisté de la force publique ». Cela confère à l'acte une solennité que ne peut évidemment pas donner le chef de l'établissement pénitentiaire.
Ensuite que se passe-t-il ? « L'huissier dresse procès-verbal de la sommation et de la réponse de l'accusé » parce qu'il est assermenté et que cette pièce sera versée au dossier. Le chef de l'établissement pénitentiaire, n'a pas, lui, qualité pour enregistrer la réponse de l'accusé. D'ailleurs comment l'enregistrera-t-il ? Verbalement ? Comment la transmettra-t-il au président du tribunal ? Par téléphone ?
Excusez-moi, monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas pourquoi on revient sur le texte actuel.
Il en sera de même s'agissant de l'article 320, qui traite du cas de l'accusé qui refuse d'obtempérer à la sommation.
Qu'est-il prévu actuellement si l'accusé n'obtempère pas à la sommation ? « Le président peut ordonner qu'il soit amené par la force devant la cour ; il peut également, après lecture faite à l'audience du procès-verbal constatant sa résistance - on donne le compte rendu aux assesseurs et aux jurés - ordonner que, nonobstant son abstention, il soit passé outre aux débats ». Dans ce cas-là, il est important que l'on sache ce qui a été dit à l'intéressé et ce qu'il a répondu. On le saura exactement grâce au procès-verbal dressé par l'huissier et non par ce qui aura été retenu par le gardien-chef de la prison, qui a certainement beaucoup de qualités, mais pas celle d'être un huissier.
L'article 320 actuel continue en ces termes : « Après chaque audience, il est, par le greffier de la cour d'assises, donné lecture à l'accusé qui n'a pas comparu du procès-verbal des débats, et il lui est signifié copie des réquisitions du ministère public ainsi que des arrêts rendus par la cour, qui sont tous réputés contradictoires. » Ainsi, l'accusé est mis au courant par le greffier de la cour de ce qui s'est passé en son absence. Ce qui fait qu'il pourra dire : « Tiens, il faut que j'y retourne. »
Le nouvel article 231-90, lui, dispose : « Si des jugements incidents sont rendus par le tribunal en l'absence de l'accusé, ils lui sont notifiés par le chef d'établissement pénitentiaire. » C'est tout, le directeur de la prison lui notifie les jugements. Quant à lui raconter ce qui s'est passé, il n'en est plus question. Pourquoi ? Ce n'est pas parce qu'il y aura possibilité d'appel qu'il faut modifier une procédure actuellement en vigueur devant la cour d'assises et qui doit être la même devant le tribunal criminel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 194, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Le texte proposé pour l'article 231-89 est donc ainsi rédigé.

ARTICLE 231-90 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE